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La légende de Mégane

Une fiction écrite par Acylius.

Première partie

La lumière tombait sur les murs de pierre, fugace et dansante. Trois poneys s’avançaient avec prudence dans le sombre tunnel, à la lueur de la corne de celui qui marchait en tête. Les deux autres, deux terrestres chargés de sacs et de divers instruments, scrutaient avec attention les murs, le sol, le plafond. Le claquement de leurs sabots ne renvoyait aucun écho et les ténèbres ne s’ouvraient devant eux que pour se refermer un instant plus tard dans leur dos, comme si l’air lui-même était imbibé de la noirceur et du silence qui régnait là depuis si longtemps. Un frisson parcourut l’échine du plus âgé des trois, un étalon à la crinière en brosse dont les crins grisonnaient déjà. L’équidé à ses côtés sentait lui aussi son poil se hérisser.

- C’est fantastique, professeur ! Absolument fantastique !

Le professeur resta muet, trop ému ou sur ses gardes pour répondre. Lui et le licorne qui ouvrait la route continuaient de scruter les profondeurs.

- Comment se fait-il que ce souterrain n’ait pas encore été découvert ? chuchota l’éclaireur. La région a déjà été fouillée de nombreuses fois, pourtant, n’est-ce pas ?

Le professeur frissonna à nouveau. En effet, c’était fantastique. Un peu trop, même. Découvrir une tombe de cette taille dans une région qui faisait pourtant l’objet de fouilles continues depuis des décennies, c’était déjà étonnant. Mais mettre à jour une tombe de l’époque préclassique dans une région où on n’avait jusque-là découvert que des vestiges moitié moins anciens, c’était réellement extraordinaire. Tout était encore intact, comme si le souterrain avait été scellé la veille, cependant le vieil étalon sentait jusque dans ses tripes le poids des millénaires qui s’étaient écoulés, immobiles, dans le noir et le silence. Et là-bas, à l’autre bout du tunnel qui s’enfonçait dans le roc, le défunt reposait toujours, tel qu’il avait été déposé au lendemain de sa mort. Attendait-il depuis lors d’être découvert ? Au moment de rendre l’âme, avait-il espéré revoir un jour la lumière, ou s’était-il endormi en pensant qu’il ne connaitrait plus rien d’autre que la froide noirceur de sa tombe ? C’était trop tard pour le savoir, désormais.

Le trio continua son exploration pendant encore une cinquantaine de mètres. À l’extrémité du couloir, une épaisse dalle de pierre se dressait.

- La chambre funéraire, murmura le jeune terrestre en inspectant la dalle de bas en haut.

Le professeur examina à son tour la dalle. Un grand symbole était gravé dans la pierre. Une figure triangulaire échancrée au sommet, percée de deux ovales et d’un triangle en son milieu. C'était la première inscription qu'ils voyaient depuis le début de leur exploration. Les murs du couloir ne portaient pas la moindre décoration, pas même le nom du défunt. Un nouveau frisson secoua les épaules du professeur alors qu'il observait l'étrange symbole. Cela ressemblait à un avertissement. Quel que soit celui qui reposait là, ceux qui l’avaient enterré avaient fait en sorte d’effacer son nom du cours de l’histoire.

À côté de lui, le licorne passait à présent la patte sur la dalle.

- Granite brun, murmura-t-il. D’un seul bloc, au moins trois tonnes.

- Vous saurez la faire bouger ?

Un petit sourire se dessina sur le visage de l’éclaireur.

Quelques minutes plus tard, dans un raclement sourd, la lourde pierre termina de pivoter, dévoilant un interstice suffisamment large pour laisser passer un poney. Le licorne, le souffle court, s’appuya contre le mur pour retrouver haleine. Sans attendre, le professeur s’avança. Il inspira nerveusement, puis posa une patte tremblante dans la chambre. Aussitôt, il lâcha un cri d’effroi.

Un visage monstrueux lui faisait face, ses yeux jaunes fixés sur lui. L’étalon fit un pas en arrière et trébucha dans le tunnel, muet de peur.

- Qu’est-ce qu’il y a ?! s’écria le jeune terrestre.

Il bondit en avant pour regarder, sursauta à son tour, mais finit par s’avancer.

- Tout va bien, lança-t-il aux deux autres quand il fut entré. Ce n’est qu’une sculpture.

Le professeur, remis sur ses pattes, s’avança à nouveau. Derrière lui, le licorne levait la tête pour éclairer l’intérieur.

La pièce était carrée, sans aucune décoration. Les murs, taillés droits dans le roc, ne portaient pas la moindre inscription. Au sol, ni sarcophage, ni stèle, ni cercueil, mais une énorme sculpture de bois en forme de sphinx, avec une large tête plate hérissée de cornes acérées et une gueule ornée de deux grandes défenses. Ses pattes aux énormes griffes étaient posées au sol comme celles d’un lion couché. Le jeune terrestre était déjà occupé à l’inspecter.

- Où est le sarcophage ? demanda le licorne.

- Il n’y en a pas, répondit le cadet. Il n’y a que ça.

- Mais qu’est-ce que c’est ?

- Une sorte de char, je pense. Regardez.

Il tendit la patte vers l’arrière de la sculpture. Deux grandes roues cerclées de fer dépassaient de part et d’autre. Le corps du monstre se prolongeait pour former un large plateau. Le professeur déglutit, les yeux levés vers la sculpture. Si c’était bien un char, alors il avait été fabriqué pour quelqu’un de bien plus grand qu’un poney.

- Mais pourquoi avoir enterré ça ici ? murmura-t-il.

Les deux autres ne répondirent pas. L’ambiance se faisait plus pesante d’instant en instant. Ce n’était pas une tombe. Cette chose n’avait pas été descendue là pour reposer en paix, on l’y avait enfermée pour l’oublier à jamais. Un immense frisson secoua les trois poneys. D’un même mouvement, ils se tournèrent vers la sortie. Ils n’auraient pas dû entrer là. Ils devaient sortir, immédiatement.

Sans même échanger un mot, les trois équidés s’élancèrent en file vers la sortie, mais il était déjà trop tard. Dans un bruit de tonnerre, la dalle se referma, les enfermant dans les ténèbres. Ils crièrent, mais aucun écho ne leur répondit.

 

***

 

Luna ouvrit les yeux, la tête soudain dressée. Le cri lointain qui l’avait sortie de sa torpeur résonnait encore à ses oreilles. Elle resta immobile, en silence, l’ouïe en alerte, cependant plus rien ne se faisait entendre. Après de longues secondes, elle se décrispa, puis jeta un œil vers une des hautes fenêtres qui perçaient les murs de sa chambre. La lumière du jour filtrait encore à travers les tentures. De l’autre côté, le soleil de la fin d’après-midi entamait sa lente descente vers l’Occident. La nuit n’était pas encore tombée.

Luna soupira puis s’allongea pour se recoucher, mais aussitôt la tension en elle se réveilla, nettement plus vive. Un frisson lui parcourut l’échine. Elle se redressa pour sortir du lit mais, dès qu’elle posa un sabot au sol, un malaise la prit et elle trébucha sur le tapis. Soudain essoufflée, elle s’agrippa aux draps pour se redresser mais retomba et s’affala à nouveau.

Il y avait quelque chose d’anormal. Ce cri qui l’avait réveillée n’était pas celui d’un poney plongé dans un cauchemar. C’était quelque chose de bien plus grave, venu de bien plus loin. Quelque chose s’agitait en elle. Dès qu’elle le sentit, l’alicorne marine se figea, les yeux écarquillés.

Ce ne pouvait pas être ça. Cette part d’elle avait été détruite, il n’en restait rien. La lumière avait vaincu les ténèbres, elle le savait, elle l’avait vu.

Comme répondant à sa pensée, la chose à présent éveillée s’agita de plus belle, arrachant un cri à la princesse. Un faisceau de souvenirs remontait des tréfonds de sa mémoire, traversant son esprit comme une lance. Luna secoua la tête pour les chasser et s’efforça de se remettre debout, mais les images continuaient à l’assaillir avec fureur. Des images depuis longtemps oubliées, soudain ressurgies d’outre-tombe. Des images, mais aussi des sons, des cris, des hurlements qui sifflaient à ses oreilles, aussi réels que s’ils avaient rempli la pièce. L’alicorne se prit la tête entre les pattes. Par-dessus les cris s’élevait le sinistre hurlement du vent. Un vent d’ouragan, porteur de tempête, de violence et de noirceur.

 

***

 

Les tours déchiquetées du château se dressaient dans le noir du ciel. La tornade de ténèbres se déchaînait en hurlant, balayant les murs en ruine de la forteresse. Une grande forme sombre traversait les airs, entourée de nuées. Un rire démoniaque s’élevait et se mêlait au souffle de la tempête, jusqu’à le dominer.

Au sol, sur les dalles craquelées de la terrasse, un groupe de silhouettes levaient le regard vers le dôme de ténèbres qui recouvrait le ciel. Une grande créature au poitrail couvert de fourrure et au dos hérissé d’ailes de cuir se tenait prostrée, affalée contre la pierre.

- C’est fini, souffla-t-elle en se dressant sur ses coudes. Tout est perdu.

- Non, pas encore !

À ses côtés, une silhouette frêle à la chevelure blonde se tenait debout, main levée. Elle serrait dans son poing un médaillon rouge vif, au bout d’une chaîne dorée. Les poneys autour d’elles se relevèrent, les yeux levés vers la tempête qui faisait rage.

- Viens, Firefly ! lança la jeune fille.

Aussitôt, une pégase au pelage rose s’élança. Alors que l’humaine tenait toujours son poing levé, une vive lumière s’éleva du médaillon. Sans hésiter, la ponette ailée saisit la chaîne entre ses dents et s’élança comme une trombe. Au-dessus d’elle, la forme sombre passait à nouveau. Quatre énormes monstres ailés tiraient un imposant chariot noir. La grande créature qui dirigeait l’attelage faisait retentir son rire de dément par-dessus le bruit, le visage levé vers les ténèbres du ciel.

Dès que la pégase s’approcha, un faisceau d’ombre fila vers elle, mais la lumière du médaillon le repoussa. Le maître du char lança d’autres flèches de ténèbres vers elle, mais elles furent à leur tour dévorées par la lumière. L’éclat grandissait à chaque instant, se nourrissant de la noirceur qu’il absorbait. Des éclairs colorés se mêlaient à la lueur. Un arc aux multiples couleurs commençait à se former. Les poneys au sol plissèrent les yeux, éblouis par la soudaine lumière.

Quand l’arc-en-ciel fut complet, il fila pour traverser à son tour les airs, dissipant la noirceur sur son passage. Le char fit une embardée pour l’éviter et vira de bord pour le charger de front. Toutes les ténèbres qui restaient s’unirent et filèrent en avant, mais la lumière fila elle aussi à sa rencontre. En un instant, les ténèbres furent dévorées. L’arc-en-ciel continua sa course vers l’attelage, rapide comme la foudre. Le maître du char n’eut pas le temps de crier. Dans un éclair aveuglant, il fut tout entier submergé. La dernière image que les poneys eurent de lui fut deux bras levés au ciel, puis il s’évapora dans le néant.

Les quatre monstres attelés avaient disparu. À leur place, quatre poneys descendaient lentement dans les airs, jusqu’à se poser avec douceur sur le sol. Le char retomba lourdement, ses roues ferrées arrachant des étincelles aux dalles de pierre. Dans le ciel, la tornade de noirceur avait disparu. Déjà, les nuages se dissipaient, laissant apparaître le bleu du ciel.

Firefly atterrit avec douceur, le médaillon toujours entre ses dents. L’arc-en-ciel avait réintégré le bijou. Aussitôt, Mégane courut vers elle pour la serrer dans ses bras.

- Tout va bien, la rassura la pégase. C’est terminé.

La jeune fille eut un sourire ému, puis prit la tête de la ponette dans ses mains pour la presser contre sa poitrine. La créature ailée s’approcha à son tour et se pencha vers elles.

- Il a disparu, fit Mégane en levant les yeux au ciel.

- Peut-être, répondit-il. Vous l’avez vaincu. Il n’y a plus de danger pour l’instant.

Il avança la main pour toucher le médaillon. Le bijou écarlate luisait toujours, encore rempli de la lumière qui venait de vaincre les ténèbres. Son regard se porta ensuite vers le char, immobile de l’autre côté de la terrasse. Tandis que Mégane continuait d’étreindre la pégase, il s’avança dans sa direction.

Il n’était même pas endommagé. La lumière n’avait frappé que le conducteur et ceux qui le tiraient, laissant le char intact. Prudemment, Scorpan approcha sa main de la sculpture à l’avant. Aussitôt qu’il l’effleura, un frisson de peur le parcourut. Non, tout n’avait pas disparu. Pas encore. Ce n’était cependant pas le moment de s’en occuper. Lui et d’autres se chargeraient de cela en temps voulu.

Autour de lui, les poneys qui avaient assisté à l’affrontement aidaient leurs quatre congénères tombés des cieux à se relever. Scorpan revint vers Mégane et lui posa la main sur l’épaule.

- Partons, à présent.

- Oui ! lança un des poneys avec enthousiasme. Il faut fêter ça !

- Oui, une fête ! reprit un autre.

Mégane et Firefly sourirent. Elles se relevèrent et, ensembles, ils quittèrent la terrasse et regagnèrent la vallée, sur laquelle le soleil brillait à nouveau.

 

***

 

Le vacarme régnait dans le réfectoire des gardes. Licornes, terrestres et pégases s’agitaient de tous côtés, finissant d’engloutir leur petit déjeuner ou cherchant avec frénésie leur casque oublié sous une table. Ceux qui étaient prêts filaient au galop vers la sortie de la caserne, en direction du palais. Au dehors, les premières sonneries de clairon retentissaient.

Glavius, indifférent à toute cette agitation, terminait tranquillement de grignoter sa pomme tout en tournant les pages du journal ouvert devant lui. Il leva un moment le regard pour observer ses collègues qui s’agitaient en tous sens, puis se replongea calmement dans sa lecture, un petit sourire aux lèvres. Heureusement que Shining Armor n’était pas là pour voir tout ce désordre.

Un licorne maigrichon au pelage délavé passa en vitesse à côté de sa table. Quand il reconnut le terrestre encore assis, il pila et se tourna vers lui.

- Mais qu’est-ce que tu fais encore là ?! Il faut y aller !

- Relax, j’ai plus qu’à mettre mon casque.

Sans même lever les yeux de son journal, Glavius désigna de la patte son couvre-chef doré, posé sur la table. Dans un soupir énervé, Whisper s’en saisit par magie et le passa de force sur la tête de son collègue.

- Eh, tu m’abîmes le brushing !

- Amène-toi !

Whisper activa à nouveau sa magie pour forcer le terrestre à se lever, puis galopa vers la sortie. Glavius rajusta son casque avant de le suivre au trot. Une nouvelle sonnerie de clairon retentit au loin.

Le journal était toujours étalé sur la table, là où Glavius l’avait laissé ouvert. Trois colonnes de faits divers occupaient la page. En tête de celle du milieu, un titre en gras attirait l’attention.

Le professeur Delhoof toujours introuvable.

Digger Delhoof, professeur d’archéologie à l’Académie Royale, est toujours porté disparu. Lui et deux de ses assistants effectuaient des fouilles au nord de Dodge Junction mais, au terme de leur deuxième journée d’exploration, ils n’ont pas rejoint leur camp de base et n’ont pas été revus depuis. D’après le dernier communiqué des autorités locales, l’équipe de secours partie à leur recherche n’a jusqu’ici trouvé aucune trace d’eux.

Dans les cercles archéologiques, cette disparition étonne. Le professeur Delhoof a déjà dirigé de nombreuses fouilles et est considéré comme un explorateur expérimenté. De plus, la région en question est bien connue des archéologues et n’est pas considérée comme dangereuse. Les recherches pour tenter de retrouver les trois disparus continuent.

 

***

 

Whisper et Glavius arrivèrent juste à temps pour prendre leur place dans la haie d’honneur. Le licorne adressa un regard sévère à son ami terrestre, fâché qu’il l’ait mis en retard, mais Glavius se contenta de lever la tête pour faire face à l’allée. Une nouvelle sonnerie retentit. Dans un même mouvement, les gardes se mirent au garde-à-vous.

Cadence et Twilight gravissaient les marches. Célestia les attendait devant les portes. Toutes arboraient un air grave et préoccupé. Glavius les fixa une par une tandis qu’elles passaient devant lui. Quel que soit le sujet de la réunion, ça ne devait pas être très joyeux. Et où pouvait bien être Luna ? Même si elle dormait le jour, elle assistait toujours aux réunions entre princesses.

Quand les trois alicornes eurent atteint le hall, les battants de la grande porte se refermèrent. Au dehors, les gardes rompirent les rangs et repartirent en patrouille. À l’intérieur, les trois princesses traversèrent le hall et les couloirs jusqu’au salon privé de Célestia. Les deux gardes en faction s’inclinèrent puis sortirent en fermant la porte. Twilight fit des yeux le tour de la pièce. Elles étaient seules.

- Toujours aucun signe d’elle ?

Célestia baissa tristement le museau.

- Non, toujours rien.

Twilight croisa le regard de Cadence, sans savoir quoi dire.

Cela faisait trois jours que Luna était introuvable. Elle avait disparu sans laisser de traces. Pas la moindre lettre, pas le moindre indice, rien. L’hypothèse d’un enlèvement avait rapidement été écartée. Des ravisseurs n’auraient pas pu s’introduire dans le château et en ressortir sans être vus, et Luna savait se défendre en cas de besoin. C’était plutôt comme si la princesse de la nuit était partie d’elle-même, sans rien dire à personne. Comme si elle avait fugué.

- La population ne se doute de rien ? demanda Cadence.

- Pour l’instant, non, répondit Célestia. Mais ça ne durera pas. Il y a déjà des rumeurs parmi les gardes. Et ce n’est pas la seule disparition inexpliquée qui ait eu lieu ces derniers jours.

- Vous parlez du professeur Delhoof ? fit Twilight. Je l’ai lu dans le journal.

- Tu n’as pas tout lu, la coupa Célestia.

L’alicorne blanche leva la tête pour inspirer, puis reposa son regard sur sa cadette.

- D’autres disparitions se sont produites depuis, toutes dans la même région. Des membres de l’équipe de recherche se sont aussi volatilisés.

- Tu penses à un prédateur ? fit Cadence.

- Non. Cela aurait laissé des traces.

- Mais quel est le rapport avec Luna ?

Célestia ne répondit pas. Elle détourna la tête, perdue dans ses pensées, cependant Twilight connaissait désormais trop bien son mentor pour être dupe.

- Vous savez quelque chose, Princesse, fit-elle en fixant son ainée dans les yeux. S’il-vous-plait, dites-le nous.

Célestia soupira à nouveau. Twilight remarqua alors à quel point la princesse du jour semblait fatiguée. Des cernes ornaient ses yeux et les rides couvraient son front.

- Depuis le début de cette histoire, je sens que quelque chose n’est pas normal, comme si d’anciens souvenirs revenaient, comme si une chose oubliée depuis longtemps tentait de refaire surface.

- Princesse, de quoi parlez-vous ?

Célestia se passa un sabot sur le visage.

- Je ne suis plus sûre de le savoir, Twilight. Murmura-t-elle. J’ai oublié. C’était il y a si longtemps…

La grande alicorne ferma les yeux. Elle chancela, comme prise de malaise. Twilight et Cadence s’avancèrent pour la soutenir et la guider vers le divan.

- Je suis fatiguée…

- Restez tranquille, Princesse, la pressa Twilight.

Une fois allongée, Célestia fixa ses deux jeunes consœurs avant de fermer les yeux, épuisée.

 

***

 

- Il faut s’en débarrasser. Nous devons trouver un moyen de le détruire, et vite.

Scorpan détourna le regard du char, dressé à l'ombre des arbres à l’écart du village. Mégane lui faisait face, ainsi que trois autres poneys. Le premier était un licorne âgé à la longue barbe blanche, habillé d’une robe et d’un chapeau à grelots. Les deux autres étaient de jeunes licornes ailées, que l’étalon barbu leur avait présentées quelques jours plus tôt.

- Célestia et Luna viennent d’une très ancienne famille, avait-il expliqué. Elles ont en elles l’essence même des trois races de notre peuple. Les poneys sont encore dans l’euphorie d’être débarrassés de Tirek, mais cela ne durera pas. Bientôt, les anciennes querelles réapparaîtront, comme cela s’est déjà produit autrefois. Pour éviter cela, il faut unir les poneys sous une seule bannière.

Starswirl envisageait de faire des deux jeunes alicornes les princesses de leur peuple. Mégane ne savait pas quoi en penser. C’était la première fois qu’elle voyait des poneys de cette sorte.

- Mais pourquoi me demander mon avis ? avait-elle répondu. Je ne suis pas une des vôtres.

- Tu es plus importante aux yeux des poneys que tu le penses, avait répondu Starswirl. C’est toi qui as apporté l’Arc-en-Ciel de Lumière ici et qui l’as réveillé pour vaincre Tirek. S’ils devaient décider maintenant, c’est toi que les poneys choisiraient pour reine.

Mégane n’avait pas répondu. Deux semaines s’étaient écoulées depuis la défaite du centaure et l’admiration des poneys envers la jeune humaine ne faiblissait pas. Elle n’avait aucun mal à croire ce que le vieux licorne venait de lui dire.

- Mais je ne peux pas rester ici indéfiniment. Il me faudra retourner dans mon monde un jour ou l’autre.

- En effet, avait répondu Starswirl. Et même si tu restais, les poneys ont besoin que ce soient leurs semblables qui les gouvernent.

Scorpan avaient approuvé en silence. Tous s’étaient tournés vers les deux alicornes, qui avaient levé la tête avec dignité pour soutenir leurs regards.

« Si jeunes… »

À présent, tous les cinq se tenaient en bordure du village, observant du coin de l’œil l’énorme char. Il avait fallu vingt pégases pour le transporter des ruines du château de Minuit jusqu’aux abords du village. Même à la lumière du jour, son bois poli restait sombre et sans éclat. Seuls les fers des roues reflétaient le soleil, mais c’était un reflet blafard et tranchant, sans aucune chaleur. Tous étaient d’accord sur la nécessité de s’en débarrasser, mais nul se savait comment faire. Ni le feu ni les haches ne pouvaient l’abîmer. Scorpan et les alicornes avaient proposé de le détruire par magie, mais Starswirl s’y était opposé, craignant que la magie noire qui imbibait le char ne détourne leurs sorts s’ils essayaient.

- Nous pourrions le cacher, avait suggéra Mégane.

- Ce serait trop dangereux, répondit Scorpan. Il y aurait toujours le risque que quelqu’un le découvre par hasard. Ou pire, qu’une autre créature malfaisante se mette à sa recherche, sachant qu’il existe encore.

- Mais si nous ne pouvons pas le détruire ou faire disparaître son pouvoir, c’est la seule option qui nous restera, annonça Starswirl d’un ton grave.

Scorpan resta muet, plongé en pleine réflexion.

- Donnons-nous encore quelques jours. Si nous ne trouvons pas d’autre solution, alors nous le cacherons.

- Mieux vaudrait déjà songer à un endroit, répondit le vieux licorne.

Il fit volte-face et s'en retourna vers le village, suivi par Mégane et Célestia. Scorpan resta encore un moment face au char, Luna derrière lui. Il finit par détourner le regard et se retourna à son tour. Ses yeux croisèrent ceux de Luna. Il lui adressa un sourire triste, puis tous deux suivirent les autres vers la bourgade.

 

***

 

L’odeur doucereuse de la tisane embaumait l’air du salon. Célestia reposa doucement sa tasse sur la table. Twilight l’observait en silence, attendant qu’elle reprenne la parole. La grande alicorne semblait remise de son malaise. Bien qu’elle eut encore l’air épuisée, une étincelle de détermination brillait désormais dans ses yeux. Elle ferma un instant les paupières puis inspira profondément.

- Je ne vous aurais pas faites venir si je n’avais pas estimé que cela était nécessaire. Et je ne suis pas la seule à avoir ce sentiment. Quelqu’un d’autre l’a également perçu.

Elle adressa un regard insistant à Twilight. La jeune princesse hésita.

- Discord ?

Célestia approuva en silence. La princesse du jour leva les yeux vers la fenêtre, le regard perdu dans le lointain.

- Dès le lendemain de la disparition de Luna, il est venu me voir. Il était… il n’était pas comme d’habitude. Ses paroles étaient très confuses. Quelque chose lui faisait peur, mais il n’a pas voulu me dire quoi.

À ces mots, Cadence fit du regard le tour de la pièce, comme si elle s’attendait à ce que le draconequus surgisse de derrière un rideau. Twilight, cependant, devinait déjà ce qui s’était passé.

- Il est parti à sa recherche, n’est-ce pas ?

Célestia baissa les yeux avec tristesse

- J’ai essayé de le calmer, mais il s’est mis en colère et est reparti sans me dire où il allait. En temps normal, je ne serais pas inquiétée pour lui, mais…

- Mais Princesse, l’interrompit Twilight, quel rapport y a-t-il entre lui et Luna ?

Célestia soupira à nouveau.

- Je ne me souviens que de très peu de choses. C’était il y a des éternités. Quand j’y repense, je me demande même parfois si je l’ai réellement vécu.

- Vécu quoi ?!

Célestia se leva lentement et considéra avec gravité ses deux consœurs debout devant elle.

- Je vais vous montrer.

 

***

 

Luna volait depuis des heures, fendant les airs comme une ombre au crépuscule. Derrière son voile de nuages, le soleil brillait toujours, mais les yeux de la princesse ne voyaient rien d’autre que les ombres de la forêt en dessous d’elle. Depuis combien de temps volait-elle ? Combien de jours s’étaient-ils écoulés ? Elle n’aurait su le dire, pas plus qu’elle n’aurait su dire où elle se dirigeait, ni ce qui l’y attirait. Tout ce qu’elle savait, c’était que quelque chose l’appelait. Elle se sentait guidée, portée sans devoir y penser vers sa destination. D’étranges images remontaient sans cesse dans son esprit, fugaces, confuses et lointaines. Était-ce ses propres souvenirs, rescapés d’une époque reculée, où des images de rêves volées à ses sujets ?

La cime d’un arbre lui heurta soudain la patte. La princesse secoua la tête pour tenter de reprendre ses esprits. En quelques battements d’ailes, elle reprit de l’altitude. Ce qui l’appelait était tout proche à présent. La volonté qui s’agitait en elle se faisait plus insistante à chaque minute. Quelque chose lui répondait, perdue dans les étendues obscures, comme deux parts d’une même âme s’appelant l’une à l’autre.

À des kilomètres de là, une autre silhouette mince et fluide survolait les bois et les prés, guidée par le même appel. Elle finit par piquer vers le sol et, dans un bruit d’herbe tassée, se laissa tomber à l’orée de la forêt.

Discord déplia son long cou vers les arbres, l’oreille dressée, tous ses sens en alerte. Ils étaient là, quelque part devant lui. Luna, et aussi cette chose qui lançait sans cesse son appel, de plus en plus fort, avec de plus en plus d’insistance. S’il avait un jour su de quoi il s’agissait, il l’avait oublié depuis bien longtemps. D’étranges brides de souvenirs filaient dans le désordre de son esprit, mais il n’en reconnaissait aucune, comme s’il eut s’agit de la vie d’un autre. Lui-même se sentait différent. Toute envie de malice ou de farce avait disparu, ne laissant place qu’à cette volonté de rejoindre cette voix qui l’appelait. Comme s’il n’était plus lui-même, comme s’il n’était plus… Discord.

Après de longues minutes d’immobilité, le draconequus déplia à nouveau ses ailes et, sans un bruit, reprit son vol à travers les terres.

 

***

 

Twilight avait toujours pensé bien connaître le château de Canterlot, mais force était de constater qu’elle n’en avait pas encore exploré tous les recoins. Depuis plusieurs minutes, Célestia conduisait ses deux consœurs à travers couloirs et escaliers, se perdant dans les ailes les plus éloignées du château. Twilight n’aurait su dire où elles se trouvaient. Elle n’avait pas vu de fenêtre depuis longtemps. Les murs de pierre blanche laissaient petit à petit place à une paroi creusée dans le roc, comme si le couloir avait été taillé à même la montagne. Enfin, au bout d’un long escalier qui s’enfonçait en tournant, elles arrivèrent à une porte de métal, éclairée par des gemmes incrustées dans les murs. Un trou étroit mais profond était percé au centre. Sans hésiter, Célestia courba la tête et y introduisit sa corne. Des lignes lumineuses s’allumèrent à la surface et se propagèrent vers les bords. Une ouverture verticale se fit au centre de la porte. Lentement, les deux panneaux s’écartèrent, ouvrant le passage. Célestia inspira puis entra, suivie de Cadence et Twilight.

Les murs de la pièce étaient couverts de stèles et de fragments de bas-reliefs, comme dans un musée d’archéologie. On y voyait des poneys, ainsi que d’autres créatures que Twilight ne connaissait pas. La stèle en face de la porte, la plus grande de toutes, était occupée par le portrait d’une étrange créature bipède, entourée de poneys plus petits. Elle frissonna.

Tandis que Twilight et Cadence observaient les stèles, Célestia se pencha vers une petite alcôve creusée dans un coin de la pièce. À son approche, une cache s'ouvrit dans la pierre. Un livre à reliure de cuir y était posé. La grande alicorne le saisit délicatement par magie et le fit léviter jusqu’à Twilight.

- Il a de nombreuses choses que vous ignorez sur le passé d’Equestria, fit-elle d’un ton solennel en fixant Twilight et Cadence l’une après l’autre. Des choses dont même les êtres anciens tels que moi ne gardent que très peu de souvenirs.

- Vous voulez dire que vous avez vécu tout ça ? fit Twilight en désignant les restes de fresques.

Célestia soupira une nouvelle fois.

- Tout est lointain et confus. Je ne suis sûre de rien, et je crains que Discord et Luna en aient encore moins de souvenirs que moi. J’ai écrit ce livre il y a longtemps pour y fixer ce dont je me rappelais, mais quand je le relis aujourd’hui j’ai l’impression qu’il a été écrit par une autre, et malgré tous mes efforts j’oublie ce qu’il contient dès que je le referme, comme si ma mémoire se fermait avec lui. S’il reste néanmoins d’autres vestiges de cette époque que ceux qui sont rassemblés ici, alors c’est dans ce livre que vous les trouverez.

Twilight baissa le museau pour examiner l’ouvrage. Il n’y avait pas de titre, ni d’image sur la couverture. Elle leva à nouveau les yeux vers la stèle accrochée face à l’entrée. La créature gravée dans la pierre se tenait dressée sur ses pattes arrière. Elle tenait dans ses mains une sorte de médaillon en forme de cœur d’où émanaient des rayons semblables à ceux du soleil. Twilight savait n’avoir jamais vu une créature semblable, cependant elle lui semblait familière, comme le souvenir d’un rêve à moitié effacé. Ses yeux de pierre fixaient eux aussi Twilight, comme s’ils étaient vivants.

 

***

 

Scorpan se releva, les mains pressées sur sa tête. Un grésillement insoutenable s’élevait dans les airs. Il sentait chaque poil de sa fourrure se hérisser. Quelque chose grinçait dans son esprit et s’étendait pour s’en emparer. Il se mordit les lèvres, le crâne pris en étau.

Le char se dressait devant lui, au milieu d’une mare de ténèbres qui dansait en grondant. Il vibrait en émettant une lumière froide et blafarde, comme les éclairs dans un nuage d’orage. Une silhouette fine et sombre était couchée non loin, elle aussi entourée de noirceur.

- Luna !

Dans un immense effort pour se libérer de la force qui l’opprimait, Scorpan se mit debout et se jeta vers elle. La jeune alicorne était étendue sur l’herbe brûlée, la bouche ouverte, les pattes tremblantes. Son pelage était devenu noir comme de l’encre et ses yeux brillaient d’une terrifiante lumière blanche. Scorpan la prit par les pattes pour la relever, mais il fut obligé de la lâcher. La peau de la ponette était tellement froide qu’elle brûlait.

Soudain, une lueur blanche jaillit et déchira le voile de ténèbres. Dans un craquement d’éclair, Starswirl apparut, sa corne brillant de mille feux. Aussitôt, les ombres projetées par le char se jetèrent sur lui. Il planta ses sabots dans le sol et les reçut corne en avant. Les lances de ténèbres se brisèrent comme des flèches contre un bouclier, mais immédiatement d’autres s’élevèrent pour se ruer à leur tour contre lui. Le vieux licorne ferma les yeux en grimaçant, le sueur perlant sur son front.

Mégane et Célestia surgirent à leur tour, courant aussi vite qu’elles pouvaient. Aussitôt qu’il aperçut la jeune humaine, Starswirl cria :

- Le médaillon, vite !

Sans hésiter, Mégane arracha la chaîne autour de son cou et brandit le bijou en direction du char. Comme auparavant contre Tirek, l’Arc-en-Ciel de Lumière surgit et partit à l’assaut des ténèbres.

Tandis que le combat entre l’ombre et la lumière faisait rage, Célestia se rua aux côtés de Scorpan et se pencha sur sa sœur.

- Mais qu’avez-vous fait ? hurla-t-elle par-dessus la tempête. Qu’avez-vous fait ?!

Luna tremblait toujours, noire comme la nuit. Au-dessus, les ténèbres, rongées par la lumière, se rétractaient et regagnaient le char. Quand la dernière langue de noirceur eut disparu, Mégane se précipita vers eux. Aussitôt, elle se pencha vers Luna et, sans se soucier de la froideur brûlante de sa peau, lui passa le médaillon autour du cou. Aussitôt, la jeune alicorne cessa de trembler. Au bout de quelques secondes d’angoisse insoutenable, se pelage retrouva sa teinte bleue et la lumière blafarde dans ses yeux s’éteignit. Ses iris couleur d’océan se posèrent sur les visages qui lui faisaient face.

- Mégane ? Célestia ?

L’alicorne blanche pressa sa sœur contre elle. Mégane, de son côté, aidait déjà Scorpan à se relever. Le bipède ailé se tenait toujours la tête entre les mains en grimaçant. Starswirl les rejoignit, la démarche raide, le souffle court. Son visage était couvert de sueur. Il semblait épuisé et, surtout, en colère.

- Inconscients, gronda-t-il en fixant Scorpan.

Il s’interrompit, une grimace de douleur sur le visage. À son tour, il se prit la tête entre les pattes, comme saisi d’une intense migraine. Célestia et Luna les rejoignaient au pas, l’aînée soutenant sa cadette. Une froide détermination brillait dans le regard de l’alicorne blanche.

- Qu’est-ce que tu lui as fait ?! lança-t-elle à Scorpan. Tu aurais pu la…

- Il n’a rien fait, l’interrompit Luna d’une voix faible. C’est moi.

Célestia se tourna vers elle, les yeux écarquillés. Luna soupira, épuisée.

- J’ai… J’ai essayé de lancer un sort pour le faire disparaître, avoua-t-elle en baissant le museau. Je savais que vous aviez dit que c’était risqué, mais j’ai quand même voulu essayer. Scorpan a voulu l’arrêter, mais il est arrivé trop tard. S’il n’avait pas été là, je…

En voyant sa sœur au bord des larmes, Célestia se radoucit. Elle se pressa contre son flanc et vint frotter son encolure contre la sienne.

- Petite entêtée, souffla-t-elle avec douceur. Tu n’aurais jamais dû tenter ça toute seule. Tu aurais dû m’appeler.

Luna renifla tristement

Tandis que les deux sœurs s’étreignaient, Mégane et Starswirl se tournèrent vers Scorpan.

- Le char a riposté, expliqua ce dernier, anticipant leur question. Dès que le sort de Luna l’a atteint, il a contre-attaqué. Quand j’ai essayé de m’interposer, il m’a attaqué aussi.

Il tressaillit, pris de vertiges.

- Il… Il était dans ma tête, murmura-t-il juste assez fort pour qu’ils l’entendent. Il a essayé de s’emparer de moi, et d’elle aussi. Si vous n’étiez pas arrivé, il aurait…

Un nouveau frisson l’interrompit. Starswirl lança un regard noir vers le char.

- C’est décidé, il faut le cacher. Enterrons-le aussi profondément que nous le pourrons, et n'en parlons plus jamais.

Scorpan soupira. Lui et Mégane lancèrent un nouveau regard vers Luna, qui fermait les yeux contre le flanc de sa sœur. Les larmes coulaient toujours sur le visage de la jeune ponette.

 

***

 

Le tunnel s’étirait dans le noir, carré, uniforme, sans aucun ornement. Luna s’avançait tel un fantôme, le regard rivé devant elle. Un silence de plomb régnait, cependant elle entendait une voix murmurer à son oreille.

La stèle de granit se dressait devant elle, imposante et immobile. L’étrange symbole triangulaire brillait d’une pâle lueur bleutée. L’alicorne marine ne pouvait en détourner les yeux. Elle ne clignait plus, ne respirait plus, toute entière hypnotisée.

Il était là, juste derrière cette pierre. Il l’appelait, comme une mère appelle son enfant. Elle devait obéir, elle devait le rejoindre. Tel un pantin au bout d’un fil, Luna leva une patte. Les étoiles dans sa crinière s’éteignaient une à une, et le bleu nuit de son pelage laissait lentement place à une noirceur d’encre qui coulait sur elle comme une eau ténébreuse.

 

***

 

Une lueur diffuse s’éleva dans le couloir quand Starswirl raviva sa magie. Dans une rafale de vent, une épaisse dalle de pierre se matérialisa face à l’entrée de la chambre. Scorpan lança un dernier regard vers la monstrueuse figure du char, qui se fondait dans les ténèbres. Dans un bruit sourd, la porte de pierre se referma, scellant la prison. Starswirl pointa aussitôt sa corne vers la surface de granit. Dans un éclair aveuglant, un grand symbole triangulaire apparut sur la dalle. Le char était à présent enfermé, mais la force ténébreuse qui l’habitait vivait toujours. Scorpan la sentait, désormais.

- Cette prison ne durera pas éternellement, murmura-t-il. Un jour, quelqu’un trouvera cette chambre et l’ouvrira.

- Peut-être pas, répondit Starswirl dans un souffle.

Mégane les attendait au dehors, assise dans l’herbe face au soleil, ses bras encerclant ses genoux. Le vieux licorne lui fit un signe de tête pour lui signifier que leur tâche était terminée. La jeune humaine se leva, lança un dernier regard vers l’amas de rochers qui masquait désormais l’entrée du funeste tunnel, puis Starswirl leva à nouveau sa corne et tous trois disparurent en un éclair.

 

***

 

« Peut-être pas »

Luna s’avançait au milieu du nuage de poussière, hypnotisée. Ses sabots foulaient sans s’en rendre compte les débris de pierre qui jonchaient le sol. Dès qu’elle l’avait touchée, la dalle s’était écroulée, soudain réduite en miettes. La chambre s’ouvrait devant elle, noire et béante. Deux yeux flamboyants brillaient au centre, au milieu d’une forêt de cornes acérées. La princesse trembla, le regard figé, incapable de détourner les yeux. Un instant plus tard, elle était dans la chambre, face à la monstrueuse sculpture. Une voix d’outre-tombe s’éleva dans la noirceur.

- Ainsi les fragments perdus de Minuit reviennent d’eux-mêmes vers leur maître.

Comme si ces paroles avaient rompu le sort, Luna tressaillit, les oreilles dressées, son regard affolé dansant tout autour d’elle. La voix dans les ténèbres éclata de rire. La princesse sentit quelque chose se rapprocher derrière elle. Une grande ombre s’avançait dans le tunnel, déchirant le voile de poussière qui flottait encore dans l’air.

Luna fit un pas en arrière, mais elle butta sur la sculpture du char. Au moment où elle la touchait, un éclair jaillit dans son esprit, lui arrachant un cri muet.

 

***

 

Twilight leva les yeux du livre, tendue comme un arc.

- C’est ce Tirek ? Vous pensez qu’il est revenu ?

- Nous l’avions vaincu, fit Célestia, le regard encore perdu dans les ombres de la pièce, mais nous ne pouvions pas faire disparaître ce qui lui donnait ses pouvoirs.

- Mais quelqu’un a essayé ! lança Twilight en brandissant le livre. Vous l’avez écrit ici ! Vous avez écrit que quelqu’un a lancé un sort pour essayer de le faire disparaître, mais que ça s’est retourné contre lui.

Cadence, elle aussi penchée sur le livre, croisa le regard de Twilight.

- Ce quelqu’un qui a essayé, ce n’était pas…

Elle ne put finit sa phrase, cependant Twilight avait deviné de qui elle parlait. Célestia, à nouveau épuisée, s’appuya contre le mur.

- Je lui ai dit qu’elle aurait dû me demander de l’aider. Elle a toujours voulu tout faire toute seule…

Twilight et Cadence se fixèrent à nouveau, leurs yeux renvoyant à chacune l’expression d’effroi qu’affichait son visage.

 

***

 

L’esprit de Luna ne contrôlait plus son corps. La tempête de ténèbres se déchaînait à nouveau en elle et imprégnait chaque fibre de son être. La douleur était encore pire que dans ses souvenirs. Comme lors de cette terrible nuit, elle sentait les os de ses membres craquer à mesure qu’ils s’allongeaient, ses ailes lui déchirer le dos tandis qu’elles dressaient leurs épines au-dessus d’elle, sa chair et sa peau bouillir alors que les ténèbres à la fois glacées et brulantes la remplissaient toute entière. Mais ça ne s’arrêta pas là. Elle continuait de grandir, de se déformer, jusqu’à prendre une forme bien plus monstrueuse que celle de la terrible jument de la nuit. Son esprit sombrait dans un abysse dont elle ne voyait ni le fond ni la surface. Et, toujours, les yeux désormais flamboyants du char la fixaient.

Une autre créature passait l’entrée de la chambre. Ses quatre sabots foulaient les décombres de la stèle sans produire aucun crissement. Son corps massif au pelage d’un gris de cendre se détachait dans la faible lumière du couloir. Après une lente inspiration, Tirek tendit le bras et caressa du dos de la main la chose qui lui faisait face.

- Minuit revient. Son char fendra bientôt à nouveau les cieux, tiré par un nouvel attelage.

Sans cesser ses caresses, il leva sa tête aux cornes d’auroch vers le chariot.

- Oui, mon ami, murmura-t-il. Quatre esclaves pour te tirer. Mais tu auras bien mieux que de simples poneys, cette fois.

 

***

 

Discord tâtait de la main le mur froid et lisse du souterrain. Ses entrailles n’étaient plus qu’un bloc lourd et dur de crainte et d’excitation mêlées. C’était ici, il en était sûr. La voix avait cessé de l’appeler, mais il n’avait plus besoin d’elle pour le guider. Dans le chaos de son esprit, les images ne cessaient d’affluer, de plus en plus vives et précises. Il était déjà venu ici, il y a bien longtemps.

Il continua d’avancer à tâtons, jusqu’à enfin discerner quelque chose au devant. Deux points jaunes brillaient dans le noir, tels des yeux braqués sur lui. Un tremblement de panique s’empara du draconequus, mais, alors qu’il tournait la tête vers le bout du couloir, ce qui restait de l’éclat du jour s’éteignit et il se retrouva plongé dans la nuit, sans autre lumière que ces deux points jaunes qui le fixaient toujours.

Dans les méandres de sa conscience déformée, la magie du maître du chaos qu’il était tenta un assaut pour reprendre le contrôle de son corps. Elle crépitait déjà dans sa paume, prête à jaillir, mais une énorme main rougeâtre aux doigts griffus lui enserra le cou. Sans un effort, Tirek le souleva de terre.

- Je me doutais bien que tu devais être encore en vie quelque part, souffla-t-il avec un sourire mauvais. J’attendais ta venue.

Discord, à moitié étranglé, tentait en vain de se libérer de l’emprise de Tirek. Il ne pouvait détourner les yeux de ces fentes jaunes qui flottaient dans les ténèbres. La magie chaotique bondissait en lui comme un chien sans maître, incapable qu’il était désormais de la commander. Ce qui l’avait attiré ici s’emparait de lui et prenait les rennes de son corps.

Le bruit sourd d’une énorme patte qui s’abat sur le sol fit trembler le tunnel, suivit de nombreux autres. Avec horreur, Discord vit les yeux jaunes se rapprocher, révélant l’être à qui ils appartenaient. Une créature reptilienne, immense, lourde et menaçante, à la gueule hérissée de défenses et de cornes longues et acérées comme des lances. Le monstre se cabra en hurlant, et son cri assourdissant fit trembler le roc.

Dans un éclat de rire semblable au tonnerre, Tirek desserra son emprise et jeta Discord aux pieds du monstre.

- Toi aussi, tu as quelque chose qui appartient à Minuit. Qui m’appartient à moi. Mais tu ne finiras pas comme elle, pas encore du moins. J’ai une autre mission pour toi, Scorpan.

Discord, sonné et suffoquant, tenta tant bien que mal de se relever. Le monstre hurlait toujours. Il baissa ensuite vers lui ses immenses défenses et braqua son regard de soufre dans le sien. Une dernière image surgit du fond de sa mémoire et vint flotter à la surface de son esprit désormais submergé ; celle d’une frêle silhouette sombre couchée dans l’herbe morte, et lui qui se penchait sur elle pour la réveiller. Dans une dernière pensée, Discord comprit. Il se rappela qui il était, et qui était celle qui lui faisait face.

- Luna…

Un nouvel éclat de rire gronda dans le tunnel, et les ténèbres s’abattirent sur lui.

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stronger
stronger : #20896
Acylius01 juin 2015 - #20783

Là il va quand même falloir que tu m'expliques le rapport.
j'aime quand un perso s'appelle le professeur.
Dans ma fic il y en a un ^^
Il y a 3 ans · Répondre
Acylius
Acylius : #20783
stronger29 mai 2015 - #20266
Le professeur !
:-3

Là il va quand même falloir que tu m'expliques le rapport.
Il y a 3 ans · Répondre
stronger
stronger : #20266
Le professeur !
:-3
Il y a 3 ans · Répondre
rebelda
rebelda : #17800
Wow. C'est génial c:
Il y a 3 ans · Répondre
Acylius
Acylius : #17245
@Raincloud :
Avoue, elle n'est pas si mauvaise que ça, la G1 !
Il y a 3 ans · Répondre
Raincloud
Raincloud : #17244
Excessivement, objectivement et totalement magnifique. C'est pas pour te jeter des fleurs, mais ceci est un peu mon idéal de fiction. A mon niveau, je ne suis pas en mesure de trouver des défauts. Donc simplement bravo pour m'avoir arraché des WOW ! de révélations et pour avoir réussi à marier deux générations (et en prime de m'avoir contraint à regarder la G1... tu es très fort...)
Il y a 3 ans · Répondre
Duoanimation
Duoanimation : #17209
Oh là là là ! J'adore cette fiction !
Modifié · Il y a 3 ans · Répondre
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Pinkie007
Pinkie007 : #17192
Ouuuuuuh suspense!
Il y a 3 ans · Répondre

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