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Traves

Une fiction écrite par Blackhoof.

Traves, chronique d'une vie

Ce fut dans une maternité de la campagne de Baltimare que son histoire commença.

Ce jour-ci, une jument dans la fleur de l’âge était enceinte. Les médecins affirmaient que le bébé allait bientôt arriver.

Dans les heures qui suivirent, des contractions se firent sentir dans le ventre de la ponette. L’accouchement eut lieu quelques temps après.

Lorsque le poulain licorne fut né et que ses parents le virent pour la première fois, leur joie fut balayée par un étrange sentiment à mi-chemin entre la déception et le dégoût. Traves était né.

Le nouveau-né ne ressemblait pas à ce qu’ils avaient imaginé, d’ailleurs, sa laideur était tout simplement inconcevable. Aucune personne saine d’esprit n’aurait pensé qu’une telle horreur puisse exister, ou même vivre.

La médecine, et plus particulièrement l’obstétrique, consistait à donner la vie. Pas à créer des monstres. Il n’aurait jamais dû voir le jour.

Son visage était si tuméfié qu’il ressemblait à une myrtille, au point qu’un seul œil était visible. Quant à sa mâchoire, elle souffrait de déformations sévères ; elles étaient telles que le pauvre ne put jamais parler, seulement bafouiller des syllabes dans une sorte de langage primitif propre à lui. Il lui manquait aussi plus de la moitié de ses dents, rendant toute tentative de mastication pénible et douloureuse.

Le long de sa colonne vertébrale, l’habituelle crinière était remplacée par des boursouflures rosâtres dépourvues de poils. Une de ses jambes était complètement inutile, il ne s’agissait en réalité que d’une outre suintante de tissus graisseux solidifiés avec le temps. Son crin était clairsemé et dévoilait une peau couverte de plaques rougeâtres causées par des champignons.

Toute sa scolarité, il la passa seul. Seul à cause de ses déformations physiques.

Pendant l’école maternelle, Traves était systématiquement relégué au fond de la classe par ses camarades. Malheureusement pour lui, il était myope, et ces deux faits lui causèrent des résultats chaotiques et anormalement bas. En classe, personne ne s’asseyait à côté de lui à cause de ses odeurs corporelles écœurantes.

D’ailleurs, les autres poulains l’évitaient et ne voulaient pas jouer avec lui.

Mais parfois, ils le tabassaient « pour s’amuser ». Alors, il se cachait et restait seul dans un coin de la cour, pour échapper au « jeu » des autres.

À l’époque, il pensait que c’était « normal » de se faire exclure parce que l’on est différent. Du coup, il se disait que ce n’était pas grave, et ne parla jamais de ses problèmes à personne. Enfin, « parler »… Notre cher Traves ne voyait pas ses problèmes de mâchoire se résoudre avec le temps, il n’aurait donc pas pu se plaindre de toute manière... Même si ses parents comprenaient parfois ce qu’il voulait dire.

C’était aussi pour ça qu’il n’aimait pas les enfants, ils lui rappelaient trop de mauvais souvenirs.

Vint ensuite l’école primaire.

Désormais, la « chasse au monstre » était devenue le jeu favori de toute une école. Le pire, était que ses parents ne se rendaient pas compte de ses blessures tant elles se confondaient avec ses malformations naturelles.

Pour échapper à la persécution, Traves se mit à sécher l’école et à passer ses journées dans la forêt. Le bois devint vite son refuge, son sanctuaire secret. Il se fabriqua même une tanière avec des branches, pour pouvoir y venir les jours de pluie.

Sa cachette était humide, sale, froide, mais il la chérissait plus que tout. Car c’était le seul lieu où personne ne le jugeait, et où tout le monde le laissait en paix.

Malgré tout, Traves ne se sentait pas forcément seul. Avec le temps, la solitude était quelque chose auquel il s’était habitué.

Sans compter qu’il avait trouvé un nouveau passe-temps : les insectes.

Depuis toujours, ces petits êtres le fascinaient. Ils étaient si petits que personne n’y faisait attention, et pourtant, ils formaient véritablement un monde à part.

Il avait même fini par leur parler, puis à leur raconter ses problèmes quotidiens. Il savait très bien qu’une fourmi ne lui répondrait jamais, mais cela lui faisait du bien d’avoir un confident, aussi éphémère soit-il.

Ça lui donnait la sensation d’être normal, et d’avoir quelqu’un à qui parler.

Venir dans les bois devint vite son passe-temps préféré.

Mais un jour, tandis qu’il se promenait dans la forêt, il fut capturé par des hommes de spectacle qui virent en ce jeune poulain une bonne attraction.

Logé dans une cage et nourri comme une bête, ses ravisseurs lui coupèrent la langue pour l’empêcher de « parler » et accentuer son aspect monstrueux, avant de lui scier sa corne pour empêcher toute tentative d’évasion par magie.

Traves fut ensuite exhibé dans tout Manehattan. Ne pouvait demander de l’aide, il se contentait de formuler des paroles incompréhensibles dans l’espoir qu’on vienne l’aider. Il devint vite la risée de la ville, les poneys se ruaient sur les billets pour pouvoir constater de leurs propres yeux sa monstruosité.

Pendant toutes ces années, il attendit que ses parents, sa maîtresse d’école, ou n’importe qui, viennent le chercher. En vain.

Cette vie de foire dura jusqu’à ce que le petit Travers devienne adulte, jusqu’à ce que la Police intervienne et le délivre de sa captivité.

Étonnamment, la libération de l’étalon laissa ce dernier perplexe. Il ne savait pas s’il devait se réjouir ou pas. D’un côté, une nouvelle vie s’offrait à lui, mais de l’autre, il allait devoir dire adieu à Foxy.

Foxy : la seule personne qui avait jamais compris le malheur de ce poney.

De base, elle était une simple assistante dans le cirque où était détenu Traves. C’est en étant assignée au nettoyage de la cage de Travers qu’elle avait fait sa connaissance. Elle n’avait jamais jugé les gens sur leur apparence, et c’est pour ça qu’elle ne fut pas repoussée par lui.

Très vite, le détenu et elle firent connaissance, communiquant grâce à une simple feuille et un crayon.

Très vite, leur amitié se développa, malgré l’impossibilité de Traves de parler.

Ce que Foxy ne savait pas, ce qu’il l’aimait d’un amour sincère, pur, presque enfantin…

Malheureusement, la famille de Foxy n’était pas de cet avis. Pas question que leur fille ne fréquente, même amicalement, une abomination telle que Traves.

Dire qu’il avait passé la moitié de sa courte vie comme bête de foire…

Peu après sa libération, Traves reprit espoir car pendant ses années d’exhibition il avait eu tout le loisir de se planifier un futur moins sombre. Il acheta donc un billet pour Fillydelphia, pour tenter d’y refaire sa vie, mais dès son arrivée en ville, on lui déroba l’intégralité de ses maigres économies après l’avoir tabassé.

Il fut alors réduit à faire la manche, espérant que sa laideur apitoierait les autres poneys.

Mais c’était sans compter sur l’égoïsme des gens. Personne ne lui donna jamais rien.

Son aspect effrayant le tenait éloigné des plaisirs de l’amour, de l’amitié, et de la société - et le gênait parfois dans ses voyages. Comme la fois où le propriétaire d’un refuge de Fillydelphia refusa de l’héberger pour ne pas ternir la réputation de l’établissement.

Malheureusement, sa maladie empira.

Sa peau se dessécha, la rendant sujette à de nombreuses fissures et à des infections continues. Concernant son pénis, de lourds lambeaux de chairs pendaient et semblaient former une excroissance entourant l’appareil génital, empêchant tout examen sauf si incision de la masse.

Puis, ses malformations au visage s’aggravèrent, et sa tête devint si lourde, qu’à la longue il avait beaucoup de mal pour la faire tenir droite. Sa tête était si pesante qu’il devait dormir recroquevillé, la tête reposant sur ses genoux, sous peine d’avoir la sensation de s’étouffer à cause du poids de son crâne.

Réduit à la mendicité, son quotidien devint celui de manger des restes moisis dans un tas d’ordures qui lui servait d’abri.

Parfois, pour survivre, il devait même chasser le rat et boire l’eau des égouts, égoûts où il séjournait parfois.

Puis un jour, Foxy le retrouva par hasard. Il était parti en expédition à la surface pour faire les poubelles du quartier afin de se nourrir.

Depuis les années où ils s’étaient perdus de vue, elle était devenue aide-soignante dans un hôpital de la ville. Voyant que Traves n’avait pas pu se débrouiller sans elle, elle lui proposa de se faire soigner dans son établissement.

Très vite, il fut connu sous le nom de « Raspberry » dans l’établissement, puis dans le quartier, à cause de son crâne tuméfié en forme de framboise.

Traves vieillit et passa d’étalon à vénérable licorne.

Sa vie était presque supportable, malgré les médecins désintéressés, les infirmières fumeuses, les soins douloureux, les thérapies inefficaces, et les opérations qui ne firent qu’aggraver son état physique.

Le matin d’un 1er avril, des poulains vinrent voir « Mr. Raspberry » dans sa chambre pour lui apporter des bonbons et lui souhaiter une joyeuse fête. Mais lorsqu’ils arrivèrent dans la pièce, l’étalon gisait par terre. Si son cou n’était pas tordu dans un angle aussi étrange, on aurait pu croire qu’il dormait.

C’était dans cet hôpital qu’il avait trouvé la mort. La nuit du 1er avril où il dormait recroquevillé comme à son habitude, il avait par mégarde lâché prise sur sa tête pesante qui tomba en arrière, disloquant son cou dans un craquement sinistre que personne n’entendit.

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Note de l'auteur

Ma seconde fiction "originale". J'ai mis beaucoup de cœur dedans.

J'attends énormément de vos commentaires et réflexions, alors écrivains, commentez !

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Blackhoof
Blackhoof : #17382
@Moonrise -> Hey, ravi de voir que tu apprécies cette critique de la société, et plus important encore, de la nature humaine !

Et je ne pense pas l'avoir précisé quelque part, mais cette fiction est inspirée à 100% de plusieurs histoires vraies.Il est donc normal que tu te reconnaisses dans certains cas, et tu n'es probablement pas le seul à avoir cette étrange sensation de déjà-vu.

Concernant le théâtre, je ne m'y suis jamais plongé ; donc autant je sais ce qu'est la catharsis, autant je ne sais pas comment la mettre en place.

Mais merci de ce commentaire constructif, et ravi de voir que le texte t'a plu !
Il y a 3 ans · Répondre
Moonrise
Moonrise : #17380
une chronique touchante et critique. J'ai même arrêter de compter le nombre de critique de notre société tant il y en a dans cette histoire. Puis je me reconnais un peu dans Traves, avec ces" chasses au monstre" qui se passe dans son école primaire, si ce n'ai que moi on me pourchassait parce que j' était" le gamin qui en savait trop".

Eh, voila que je commence à raconter ma vie! Je suis désolé.
Sinon, si tu ne réussit pas à nuancer tes phrases, fait de cette" impuissance" un atout. Il peux y avoir du bon dans la démesure. Une partie du théâtre tragique joue d'ailleurs sur cette dernière. Alors, tu n'as qu'à repousser encore plus loin la limite( bon, sans en faire trop, ce que j'ai tendance à oublier) de cette tristesse. Et peut-être(sûrement) que tu arrivera à la catharsis( la purgation des sentiments, si je me souvient bien), celle qui pousse justement l'homme à réfléchir!
Il y a 3 ans · Répondre
Blackhoof
Blackhoof : #17283
@thedarkcaster -> Effectivement, la fiction est triste ; même si je regrette mon impuissance à nuancer certaines phases. Mais hey, ravi que cela t'ait touché !

@Duoanimation -> J'ai fortement hésité à détailler ses émotions, mais j'ai pensé que ce pauvre Traves était tellement habitué à être exclu qu'il y est maintenant habitué. D'où son manque de ressenti. Mais tu as raison, j'aurais dû accentuer ce vide émotionnel. Et content de voir que tu as aimé, malgré les défauts de la fiction.
Modifié · Il y a 3 ans · Répondre
thedarkcaster
thedarkcaster : #16982
cette histoire est vraiment triste et me fait rappeler tant de film si triste.tu devrai faire des fic triste t'es fort, maintenant je vais pleurer devant tant de de tristesse.
Il y a 3 ans · Répondre
Duoanimation
Duoanimation : #16972
L'histoire est triste, mais si on avait un peu plus de son ressenti, ses sentiments face à sa situation. En général, il m'arrive de pleurer sur des fictions comme celle-là. Mais là je sais pas, peut-être le fait que j'écoute de la musique joue aussi. J'ai quand même aimer la fiction alors je met un "à lire" et je l'ajoute à mes favoris. (d'une débutante)
Il y a 3 ans · Répondre

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