Chapitre 5 – La complainte de Luna

Toujours impassible, la princesse de la Lune commença sa fonction. Alors qu’une Celestia éreintée passait près d’elle dans les couloirs caverneux, Luna lui adressa un hochement de tête discret avant d’entamer son ascension des escaliers hurlants qui menaient à l’observatoire. Une fois arrivée au sommet, elle s’installa pour une énième nuit. Devant elle se tenait un énorme télescope dont les puissantes lentilles se combinaient pour lui permettre de scruter le néant.

Au clair de lune, n’importe qui se verrait songer à des souvenirs enfouis.

Elle ne se souvenait pas de la première fois qu’elle l’avait rencontré. Elle se rappelait simplement ces yeux magenta qui avaient furtivement croisé les siens à plusieurs reprises dans la salle des conseillers, accompagnés d’un sourire discret. Son pelage pourpre et intense, pareil à du sang, l’avait toujours laissée perplexe.

La princesse de la Nuit et le prince du Poison, comme si cela avait été prédit par les étoiles. Ses ailes étaient osseuses, les plumes d’ordinaire fournies avaient été détruites par l’acide dont il se servait et sa crinière était d’un blanc immaculé. Elle avait été séduite par chaque centimètre carré de son corps.

Tout comme le draconequus aime sa jument désormais.

Son dégoût s’intensifia et ses sabots piétinèrent lentement le sol. La bile lui prit la gorge et ses yeux s’évadèrent vers les cieux, suivant une constellation qui lui était familière. L’atmosphère s’emplit d’une odeur âcre bien particulière, comme s’il se trouvait derrière elle et que ses sabots la massaient doucement sous les ailes.

Il avait été l’Élément de la Magie, la couleur de son aura virait du blanc pur au vert sapin en fonction de ses intentions. Elle avait elle-même été l’Élément de l’Honnêteté, tandis que sa sœur représentait la Générosité. Les deux autres conseillers étaient un bison et une sirène, respectivement au pelage terre de Sienne et à la peau bleu sarcelle.

La sirène était une de ses amies. Mi-poney, mi-poisson, et partiellement translucide, ses yeux étaient grands et vitreux, mais ses écailles bleues scintillaient telles les vagues d’un océan. Sa nageoire caudale se terminait en de minces filaments qui se perdaient dans le bassin depuis lequel elle présidait lors des réunions du conseil. Elle aussi avait été tuée par l’une des créations machiavéliques du draconequus.

L’esprit mentait très probablement à sa jument aussi, la leurrant avec des promesses de sécurité, comme il l’avait fait avec Chrysalis, avec Aqua, et avec tous les amis qu’il avait trahis lors de sa rébellion. Des larmes coulèrent à flots sur ses joues, imprégnant le bleu foncé et augmentant la pression jusqu’à ce qu’elle ne fût plus en mesure de contenir ses sanglots déchirants, mélangés à une peur et à une solitude omniprésentes depuis la disparition de son être cher. Les pleurs se changèrent en une rage aveugle.

« Je donnerais tout pour te revoir juste une fois, Nightlock. »

Ces mots, formulés dans un souffle, résultèrent en une trombe de vent qui portait son odeur âcre et qui l’encercla ; elle ouvrit les yeux, les pupilles dilatées par la terreur. Une voix profonde résonna depuis les limbes.

« Tout ?

— Qui êtes-vous ? »

La masse se mut, prenant la forme de la sirène, et plongea ses yeux vitreux dans ceux de la princesse.

« Les âmes immortelles ne mentent pas, Luna. Nous sommes unis. Nous voulons t’aider à te débarrasser du monstre qui nous a assassinés. »

La forme changea à nouveau, prenant cette fois les traits de son amant, ce qui fit tressauter Luna dont les larmes lui revinrent aux yeux.

Une bouffée d’air la raviva, et son esprit reprit du service.

« Tout. »

Des volutes visqueuses jaillirent de la masse, transperçant la peau de l’immortelle pour y récolter le sang qui la parcourait, la faisant hurler de douleur. Les volutes palpitaient, gorgées de son sang, et la firent tomber au sol alors que sa corne crépitait avec ténacité dans une tentative vaine de soigner ses blessures. Le liquide écarlate se rassembla au centre la masse, palpitant une ultime fois avant qu’un éclat de lumière ne laissât place à un corps se solidifiant et prenant une forme familière.

Il tomba à terre.

Elle était en pleine hyperventilation lorsque le poney se redressa, tremblant, afin de s’examiner puis de lever le regard et de plonger ses yeux magenta dans ceux de son amante. Elle sentit son cœur tressaillir ; elle demeurait incapable de se détourner de lui, le seul étalon qu’elle eût jamais aimé, peu importaient les conséquences, car il était son égal, sa moitié, celui avec qui elle était liée. Il se rapprocha rapidement d’elle pour déposer un baiser sur son front, laissant couler une larme, puis l’étreignit de ses sabots tout en les glissant tendrement sous ses ailes comme il le faisait autrefois. Son parfum âcre l’embaumait, et elle resta silencieuse un petit moment avant de jeter ses pattes délicates autour de lui, espérant ne plus jamais le relâcher.

« Nightlock, tu m’as tellement manqué. »

Elle contint un autre sanglot et l’étalon la relâcha, rendant leur différence de taille plus flagrante. Il était aussi grand que Celestia, peut-être même plus, alors que Luna avait été réduite à sa taille standard il n’y avait pas si longtemps de cela. Elle regrettait ces quelques centimètres, ou du moins le pouvoir supplémentaire qu’ils lui octroyaient et, pourtant, elle restait fidèle à elle-même.

« Comment se fait-il que tu sois en vie ?

— Le sang des immortels est très puissant, Luna.

— Et pour les autres ? Où sont Aqua et Terra ?

— Nous nous occuperons d’eux une fois que nous aurons purgé Equestria de la présence du draconequus. »

Sa corne commença à luire, d’un blanc pur, et elle se sentit ballottée par de la magie – elle se sentit devenir plus forte, plus puissante. Elle ferma les yeux, puis les rouvrit ; elle avait retrouvé sa prestance d’antan, et sa crinière s’était étoffée, longeant son corps comme autrefois.

« Et maintenant, douce Luna, où se trouve ton armure ? »