Je m'appelle Capeline.
Je suis la docteure du palais. Je crois que le titre exact c'est « apothicaire royale » mais le titre exact date de y a super longtemps. Alors on dit juste docteure. En fait on dit surtout Capeline, parce que mon travail est de m'assurer de la santé de la princesse Celestia. Et la princesse est toujours en bonne santé.
Alors je passe mes journées à m'ennuyer dans mon petit coin d'infirmerie et à me trouver pas très utile.
Et puis un matin la princesse Celestia est venue me rendre visite.
J'étais occupée à observer des bacilles quand le claquement de porte m'avait fait sursauter de mon tabouret. La princesse était entrée en chancelant, m'avait sourie et avait voulu dire quelque chose avant que je ne me précipite pour la retenir alors qu'elle s'effondrait. Elle m'avait alors murmurée, entre les flots de sa crinière boréale :
« Bonjour Capeline. Navrée de te déranger, mais j'aurais besoin de tes soins. »
Je m'étais affolée.
Je ne savais pas encore ce qu'elle avait mais j'imaginais le pire ou pire encore, et plus encore après avoir attendu ce jour toute ma vie je me sentais complètement dépassée. Elle était venue seule, le couloir était vide par la porte ouverte et j'étais écrasée par le poids de la princesse. Tout ce que je pouvais faire était de la porter jusqu'au lit le plus proche pour l'étendre et commencer par prendre sa température.
Son front était brûlant.
« Princesse, qu'est-ce qui vous arrive ? » Je m'exclamais.
« Je me suis disputée avec ma soeur. » Gémit la princesse. « Je crois que je me suis énervée. Je me sens un peu faible, Capeline, c'est normal ? »
« Vous avez cent cinq point huit de température et une pression artérielle de quinze millimètres trop faible ! Je ne prends pas de risques, » je diagnostiquai en retirant le manchon de sa patte, « je vais vous donner dix microgrammes d'équinéphrine ! »
Elle avait sans doute songé à se plaindre ou quelque chose mais la princesse ne fit que gémir sous une nouvelle douleur et je me pressai avec le dosage afin de la soulager au plus vite. Puis, sans attendre, je retirai la bouillotte flottante de mon bec bunsen tourné à fond et je la déposai sur le front de la princesse qui cria dans un sursaut.
« Mieux ? » Je m'inquiétai.
Elle hocha douloureusement la tête, et je dus replacer la bouillotte avec le sabot.
« Tirez la langue. Je vais faire un diagnostic compl- par tous les cieux, princesse ! Vingt millilitres de fluoride de sodium et d'acide hydrochlorique ! Ce n'est quand même pas d'avoir crié qui a pu causer autant de dégâts ! »
« C'est grave ? » S'inquiéta la princesse.
« Vous avez une inflammation du pharynx avec renflement lymphatique. Je vous prépare une solution d'érythromycine tout de suite ! »
Je lui fis avaler les comprimés avec un grand verre d'eau qui la fit tousser, mais j'ignorai les éclaboussures sur ma blouse et à la place, toute occupée à lui ausculter les yeux, je lui demandai :
« Princesse, au nom d'Equestria, comment une simple dispute peut ravager un corps à ce point ?! »
« C'était horrible. » Se plaignit la princesse en toussant. « Je venais tout juste de lever l'aube. La Lune n'était même pas encore couchée. J'étais entrée au salon pour déjeuner et j'y ai trouvée Luna encore à table. »
Je marmonnai un « mh mh » soucieux tout en retirant mes lunettes, les yeux rivés sur l'éprouvette d'urée. J'étais à peu près certaine à présent qu'elle devait souffrir de maux d'estomac.
Cinq cents milligrammes de clarithromycine.
« Nous étions heureuses de nous voir, mais ensuite elle s'est mise à crier sur les servantes… vraiment méchamment. J'étais choquée, je lui ai dit d'arrêter mais elle a continué… »
« Votre soeur devait avoir un taux de cortisol inférieur à deux cents soixante nanomoles. Huit cent milligrammes de phosphatidylsérine et elle se sentirait beaucoup mieux. »
« Je ne suis pas sûre que ça se soigne comme ça. » Nota la princesse Celestia.
Mais elle me sourit gentiment malgré sa douleur et j'en profitai pour lui glisser un thermomètre, après quoi je retournai brièvement à mon analyse de sang.
À ma surprise, la princesse continuait son autopsie.
« Quand j'ai vu les servantes avoir les larmes aux yeux, je n'y ai plus tenu. Je lui ai crié dessus. J'ai dit des choses… désagréables. Et elle est partie en pleurs. Capeline, qu'est-ce que je devrais faire ? »
« Est-ce que vous avez pensé à lui demander pardon ? »
Elle me regarda, incrédule. J'étais trop préoccupée d'abord avec mon échantillon pour m'en préoccuper, mais enfin après une ou deux secondes je me rendis compte de ces grands yeux brillants et humides, fiévreux, qui me fixaient.
Je revins rapidement pour lui tâter les membres et constater qu'effectivement elle tremblait. Douleurs généralisées, spasmophilie notamment le long de l'échine et… oh.
Mon sabot éteignit l'électrocardiogramme.
« Princesse, » je dis d'une voix monocorde, « vous souffrez d'un spasme coronarien. Je devrais vous injecter un mélange de fillydipine et de dinitrate d'isosorbide. »
« D'accord, » dit-elle faiblement.
Je secouai la tête.
« Non, princesse. Vous avez déjà cinq médicaments dans le corps, dont l'équinéphrine qui a un effet strictement opposé à la fillydipine. Je… votre coeur a deux symptômes opposés et si je tente de guérir l'un, j'aggrave l'autre. »
Puis je restai muette, et je sentis que je baissais la tête. La seule fois, la seule fichue fois dans toute ma vie où je devais soigner la princesse, ma raison d'être, ma destinée et j'étais complètement impuissante.
Mais la princesse posa son sabot sur le mien, et même s'il tremblait, je la vis me sourire.
« Merci, Capeline. »
« Princesse, » je sentis ma voix s'angoisser, « je ne sais pas quoi faire ! »
« Grâce à toi, je me sens déjà beaucoup mieux. » Me dit-elle doucement. « Cela ne te dérange pas si je me repose un peu ? »
Je hochai difficilement la tête. Je pleurais ?
Elle me sourit encore, tapota mon sabot puis ferma les yeux et, la bouilloire légèrement sur le côté, elle se laissa prendre par la léthargie. Je la vis cesser de trembler et bientôt elle sembla sereine, dans ce lit, malgré quelques tics qui trahissaient encore la douleur latente.
Quand je fus sûre qu'elle était bien endormie, en silence, je considérai comment une dispute avait pu ravager un corps à ce point. Je n'osai pas quitter son chevet et à la place je préparai des cataplasmes et un futur bain pour son réveil. J'avais épuisé tout ce que ma médecine pouvait faire pour elle, et je ne la voyais pas se rétablir.
Vers midi sa secrétaire Raven vint lui rendre visite, et je la suppliai d'être courte. Elle informa simplement que tout le palais était affligé et se désolait pour la princesse Luna. La porte de Luna avait été couverte de fleurs et de mots d'excuses. Celestia demanda seulement si sa soeur s'était excusée, puis apprenant que non elle laissa retomber sa tête sur le coussin et replongea dans le sommeil.
Je forçai Raven à sortir, je lui claquai la porte au museau et m'en voulus tout de suite, de crainte d'avoir réveillé Celestia.
Je me retournai. Elle était réveillée.
« Elle est partie ? » Me demanda la princesse.
Je hochai la tête, étonnée de la voir souriante.
« Je dois te faire un aveu Capeline. J'ai tellement de magie en moi que tes médicaments sont plus ou moins sans effets. Mais ta grand-mère disait que le meilleur remède était une bonne tasse de thé et du repos. Tu aurais du thé ? »
Un peu perdue, je secouai la tête.
« Ce n'est pas grave. » Me rassura la princesse. « Deux symptômes opposés… ta grand-mère serait fière de toi. »
Elle voulut se relever mais retint un cri de douleur et se laissa retomber lourdement. Je me précipitai pour replacer la bouilloire et la couverture, et je lui demandai si elle voulait les cataplasmes. Mais elle voulait juste discuter, et je me retrouvai à parler avec la princesse d'à peu près tout et n'importe quoi quasiment jusqu'au soir.
À un moment j'avais dû m'endormir, car quand je rouvrais les yeux j'étais affalée sur mon bureau, le lit était vide et la nuit était en train de tomber. Je sursautai, je m'affolai puis je trouvais un mot de la princesse qui s'excusait d'avoir dû partir aussi vite.
« Je n'ai pas su si je devais te réveiller. » Disait-elle pour s'excuser.
Et deux écritures entrelacées me demandaient pardon pour le dérangement.
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