Arcanum Bellum. Deux mots qui se glissaient discrètement dans les vieilles histoires d’Equestria. Cela faisait des années, voire même des siècles que ce terme existait mais le nombre de poneys connaissant la signification de ce dernier était très restreint. On les trouvait dans un livre ou l’autre, griffonné sur le coin d’une page ou en indice près d’une phrase qui voulait expliquer un quelconque complot. Ces mots venaient d’une langue ancienne et se traduisaient littéralement par « Guerre secrète ».
Et à cette traduction, jamais personne ne fut capable d’expliquer concrètement la signification. De ce fait, ces treize lettres anciennes restaient – encore aujourd’hui – entourées de mystères. Et même si elles le niaient, certains suspectaient les deux sœurs Alicornes d’y être pour quelque chose. Enfin, elles l’étaient, mais pas directement. Lorsque l’on discutait avec des adeptes de l’histoire d’Arcanum Bellum, ceux-ci nommaient deux camps distincts. Le Concordat du Jour et le Conclave Nocturne. Deux camps qui évoquaient, bien évidemment, la relation directe entre Celestia, Luna et les astres. Ce serait donc une guerre secrète sororale entre elles. Mais lorsque quelqu’un parlait de ça devant l’une ou l’autre Alicorne, celle-ci se moquait ouvertement du suspicieux, blaguait sur ses dires ou encore, expliquait qu’il était stupide de se battre après plus de mille ans de séparation.
Pourtant, il y avait bel et bien d’étranges choses qui se passaient. Des disparitions, des symboles bizarres dessinés dans de sombres ruelles, des bagarres de gangs portant ces mêmes sigles… Et même pire encore.
Celestia et Luna se sentaient concernées par ces drôles d’histoires. Après tout, être quasiment considérées comme de véritables déesses venait avec son lot de qualités, mais également de défauts. Il semblait y avoir des fanatiques fous furieux qui vénéraient soit la Lune, soit le Soleil, et qui se livraient une bataille presque religieuse sans aucun sens. Elles étaient intriguées par ces morbides événements. Elles disaient mettre leurs meilleurs soldats sur ces affaires, mais ne donnaient jamais de nouvelles.
Elles se donnaient l’air concernées, voilà ce que quelques poneys pensaient. Et si ça n’était qu’une façade ? Et si ce n’était que du flan, leur bonne entente ? Peu de gens doutaient des princesses, mais « peu de gens » ne voulait pas dire « personne ». Après tout, personne ne pouvait lire dans les pensées d’autrui… Et même si elles étaient des princesses immortelles, elles restaient encore des êtres vivants. Même si elles semblaient plus que parfaites, qui pouvait prouver que c’en était vraiment le cas ?
Le doute. Voilà ce qui s’installait chez ceux qui avaient fait des recherches sur l’Arcanum Bellum. Les Alicornes, aussi bienveillantes soient-elles, étaient-elles vraiment digne d’une confiance aveugle ? Nul ne le savait. Toutefois, le Concordat et le Conclave existaient vraiment et les derniers événements tendaient à le prouver. Quelque chose se tramait, et ça n’annonçait rien de bon.
Il y avait vraiment une guerre secrète. Une guerre entre poneys de toutes races, vénérant la chaleur du Soleil ou priant la plénitude de la Lune. Une guerre entre poneys dotés d’étranges talents physiques ou magiques, obtenus par un général du Concordat ou du Conclave d’une manière occulte. Personne ne savait comment ils faisaient pour donner de telles capacités à leurs subordonnés et personne ne voulait vraiment le savoir car, mystérieusement, tous ressentaient que ces pouvoirs ne leur étaient transmis d’une façon ni naturelle, ni bienveillante.
Et, dans un sens, peu leur importait. Qu’ils soient terrestres, pégases, licornes, zèbres, batponies ou autre, chacun était capable d’utiliser cette magie offerte par leur supérieur, contrôlant une émotion ou un élément particulier. Le feu, la peur, l’imagination, le temps, la folie, l’illusion, les dimensions, la terre, les soins… Il y avait énormément de possibilités. Autant que de généraux, en tout cas.
Bien des questions sans réponses planaient au-dessus de l’Arcanum Bellum, même pour les membres de cette dernière. Et certains se disaient que parfois, il ne valait mieux pas trop en savoir.
***
Silver Song était un duc des Arts. Un terrestre à la crinière azur et au pelage grisâtre. Et un maître de la musique classique qui faisait partie du Conclave Nocturne, sous le commandement d’Octavia Melody. Oui, la très célèbre et talentueuse violoncelliste, à l’allure froide et noble, imposant sa présence à chaque endroit où elle démontrait son savoir-faire, était un membre éminent de cet étrange conflit. En effet, deviner ce à quoi pensait la jument stoïque relevait de l’impossible et elle jouait parfaitement son rôle de générale au sein du Conclave. Et pour cela, Silver la respectait énormément. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle il choisit, quelques années auparavant, de se mettre au service de la violoncelliste.
Malheureusement pour lui, il était sur le point de recevoir une visite fortement désagréable. C’était ce que pensait son visiteur avant de frapper trois coups à la porte.
Silver Song cessa d’écrire et tourna la tête en direction du bruit. Il jeta un coup d’œil à l’horloge rectangulaire qui siégeait au-dessus d’un feu de bois et esquissa un sourire. L’étalon se dirigea vers l’entrée de sa modeste demeure et ouvrit la porte. Devant lui se tenait fièrement une pégase, relativement jeune, avec une longue crinière d’un vert pomme et à la robe à peine plus foncée. Et à côté d’elle, un autre terrestre cramoisi, au visage plus froid et plus âgé, portant un chapeau noir qui recouvrait entièrement sa crinière qui devait être bien courte. Ce dernier sortit une montre à gousset dorée et l’observa durant quelques instants, puis la referma.
—Monsieur Song, fit-il d’une manière peu sympathique, je présume que vous avez parfaitement conscience de qui nous sommes et la raison de notre venue, n’est-il pas ?
Le concerné émit un léger rictus tout en opinant du chef.
—Bien évidemment, baron Needle. Je vous en prie, entrez ! Vous de même, chevalière… ?
—Reina. Reina Chaser, précisa la pégase visiblement heurtée par le fait d’avoir été oubliée si vite.
—Voilà, chevalière Chaser. Mes excuses, je n’ai pas la mémoire facile en ce qui concerne les noms, se justifia maladroitement Silver. Alors, messieurs dames du Concordat, voulez-vous un peu de thé ? Je conçois qu’il soit tard, mais en boire un ne fait jamais de…
—Désolé, monsieur Song, mais je crains fort que nous n’ayons pas le temps, coupa sèchement Clock Needle. Vous allez devoir nous suivre immédiatement.
Le musicien soupira. Il avait pourtant préparé le meilleur thé qu’il pût trouver pour ses invités. Dommage, mais il en comprenait la raison.
—Très bien, très bien… Un kidnapping, est-ce bien cela ? Dans ce cas, je suis d’accord avec vous ; il va falloir se dépêcher !
Le baron acquiesça, puis dirigea son attention vers sa partenaire et lui ordonna :
—Quelqu’un arrive. Deux poneys… Tu te sens capable de t’en charger seule, Reina ?
Elle rendit à son supérieur un sourire confiant et déploya ses ailes.
—En tant que chevalière des Tempêtes, je pense parfaitement être apte à les retenir définitivement.
Clock Needle ne répondit pas et ne fit qu’hocher la tête comme signe d’approbation. Il sortit ensuite de sa poche une espèce de cristal aux éclats violacés et attrapa l’un des sabots de Silver Song. Immédiatement, la pierre se mit à luire vivement et un cercle – où deux pentagrammes se chevauchant s’inscrivaient – apparut en-dessous des deux terrestres, d’une lueur similaire à celle de ce qui semblait être un téléporteur. Un objet dont le musicien avait entendu parler, mais jamais vu de ses propres yeux. Et quelques secondes après, ils disparurent dans un flash éclatant.
Reina Chaser se retourna vers la porte et, sans même prendre la peine de frapper, deux poneys entrèrent avec fracas. La première, portant de drôles de sacoches sur son dos, revêtait un pelage orange et possédait une crinière bleu électrique. Le second, lui, se trouvait être un étalon parfait pour être membre de la Garde de Luna, sa robe et ses crins se mariant très bien avec la noirceur de la nuit. Ces deux pégases étaient vraisemblablement des membres du Conclave Nocturne. Et ils avaient la ferme intention d’en découdre, ça se voyait dans leur regard. La chevalière leur octroya son plus beau sourire, avant de se recouvrir d’une vive aura orangée. Et, d’une façon presque prétentieuse, elle leur dit :
—Désolée, vous arrivez quatre secondes en retard. J’espère que vous vous êtes préparés… car je doute que vous vous en sortiez.
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