J'ouvris les yeux au premier mouvement que je sentis. Elle était toujours en train de dormir, allongée sur moi. Le soleil s’était levé, mais je ne savais pas l'heure qu'il était. Peut-être y avait-il des clientes aujourd'hui.
Est-ce qu'elle allait avoir peur ? Où est-ce qu'elle allait encore se mettre à pleurer ? Sûrement. Voudra-t-elle vraiment se mettre au travail aujourd'hui ? Est-ce qu'elle n'aura pas peur que je ne me mette à attaquer ses clientes ? Peut-être qu'elle va appeler la garde ? Peu de chance, après tout, elle avait voulu que je reste dormir avec elle. Est-ce qu'elle était au courant du danger qu'elle encourait avec moi ? Je pouvais faire ce que je voulais de cette jument, en faire mon esclave, ou même en finir tout de suite même si je risquais d’éveiller les soupçons. Mais non, elle devait penser que j'étais une gentille créature prête à prendre la place de sa sœur morte.
Ça ne marche pas comme ça !
Je caressais lentement la ligne de son corps en la sentant peu à peu émerger de son sommeil. Elle ouvrit brusquement les yeux en me serrant très fort, elle redressa la tête rapidement sur moi comme pour se rassurer. Mais lentement, je vis ses lèvres trembler et les larmes se remettre à couler. Dans ce parfum écœurant de tristesse, j'avais senti une odeur ignoble, celle de son cœur qui se brisait.
Je n'allais pas attendre de la voir encore s’apitoyer ainsi, on avait du travail qu'elle le veuille ou non. Je la levais gentiment en l'accompagnant dans chaque mouvement. Une fois debout devant le lit, elle me regardait avec son air de chien battu ce qui avait le don de m'énerver.
Je lui pris le sabot et la fis sortir de la chambre en l'accompagnant. Elle devait avoir aussi faim que moi, mais il fallait d'abord faire quelque chose pour son état. Arrivé dans la salle de bains, je lui lâchais le sabot pour la laisser se diriger d'elle-même vers la douche. Mais encore une fois, elle me regardait avec son air peiné et hagard.
Je l'attrapai brusquement pour la tirer dans la cabine de douche avec moi et tourner les robinets. Elle poussa un cri de surprise, le souffle coupé quand l'eau glacée lui tomba dessus, je réglais aussitôt la température pour que nous soyons plus à l'aise.
Elle restait au beau milieu de la douche, assise. Je ne cachais plus mon agacement, mais elle semblait n'en avoir rien à faire. Nous n'avions pas de temps à perdre, il fallait encore la laver et ensuite prendre un petit-déjeuner.
Je m'activais le plus vite possible pour prendre les shampoings et les savons pour laver la jument rose. Elle ne réagit pas une seule fois pendant que je frottais l'éponge contre son corps, ou que je me mettais à démêler sa crinière. Elle se contentait de me regarder, me dévisageant comme si elle me voyait pour la première fois, comme si je ne ressemblais pas à sa propre jumelle.
À la sortie de la douche, elle eut nettement moins besoin de se faire assister, et c'est d'elle-même qu'elle prit une serviette en train de sécher pour s'essuyer. J'en fis de même avant de l'accompagner au rez-de-chaussée pour prendre un petit-déjeuner.
Pendant qu'elle mettait la table à la vitesse d'un changelin estropié, je m'absentais pour récupérer le carnet des réservations qui était dans le petit bureau. Bien mauvaise journée que celle d'aujourd'hui, qui en plus d'être pénible s'annonçait longue. Cinq clientes pour la journée. Même si je savais que ça ne pouvait qu'aider cette jument à obtenir de quoi la sustenter, j'hésitais à lâcher tout dès à présent et m'enfuir par la porte d'entrée. Mais je ne le pouvais pas...
Arrivée dans la petite cuisine, elle reposa son regard aussitôt sur moi. Mais cette fois, je distinguais autre chose : c'était ce sourire qui fleurissait sur le coin de ses lèvres.
« Est-ce que ça va ? » Demandais-je sans réel intérêt.
« Le carnet... au matin... C'était le truc de Lotus. » Elle rabaissa aussitôt la tête, comme gênée de ce qu'elle venait de dire.
Il était déjà bien évidant qu'elle n'allait pas l'oublier de si tôt, et que chaque souvenir d'elle qui se répercutait sur moi était comme une seconde chance pour elle.
La journée s'annonçait longue avec ces trois réservations, toutes placées à la suite des autres. C'était une aubaine pour le spa, certes, je n'en avais que faire de l'avenir de cette entreprise, mais je savais que du point de vue de la terrestre rose, c'était appréciable.
Je pris mon petit-déjeuner à ses côtés. La nourriture n'était pas le meilleur moyen pour me sustenter, mais il répondait à un besoin primaire qui ne requérait aucun sentiment à voler. Je jetais par moment des coups d’œil à la jument rose. Elle ne pouvait pas s'empêcher de me fixer. Je le sentais, si elle le pouvait, elle s’agripperait à moi pour ne jamais me lâcher.
Quelle relation entretenait-elle avec sa sœur ? Elles étaient jumelles et devaient donc avoir un lien très fort entre elles. Mais qu'est-ce qui justifiait que même après avoir compris que sa sœur ne reviendrait pas, elle continue à espérer la revoir à travers l'un des plus puissants monstres d'Equestria et le plus dangereux.
J'hésitais un instant à enlever ce déguisement. Arrêter cette mascarade, et lui faire comprendre une bonne fois pour toutes que ça sœur ne reviendrait jamais. Quelque chose me retenait. C'était dans ses yeux. Au fond d'elle, je pouvais voir le même regard que m'apportaient mes chères enfants. J'étais leur matriarche, leur reine, mais aussi leur mère aimante. Quand ils avaient peur, je les rassurais. Quand ils avaient faim, je les nourrissais. Quand ils voulaient marcher sur les frontières des sous-races qui n'avaient aucune idée de la puissance qui se cachait au fond de la ruche, j'étais là pour les guider. J'étais leur raison de vivre, et leur raison pour mourir. L'image de leur reine était le dernier souvenir qu'ils avaient avant de fermer leurs yeux une dernière fois.
« Est-ce que ça va ? »
Je clignais plusieurs fois des yeux face à la ponette, en réalisant qu'elle venait de me poser une question. Machinalement, je portais un sabot à ma joue en sentant une goutte glisser le long de mon visage.
Son regard était comme les leurs.
Je pris moi-même le flacon d'huile que j'avais demandé à la jument rose pendant que je massais le dos de la maire de ce village. Elle n'arrêtait pas de me parler alors que je n'en avais rien à faire, mais feinter l'intérêt semblait convenir à tout le monde.
« Oh très bien, et qu'avez-vous donc pris comme décision concernant la directive de vos esclaves ? » demandais-je pour qu'elle continue à parler.
« Je vous demande pardon ?
— Euh... le budget, quelle décision avez-vous prise pour le budget de Ponyville cette année ?
— Oh, et bien avec les récents événements qui se sont déroulés à Canterlot, il nous est conseillé de construire une caserne pour nous protéger des nuisibles avec quelques gardes.
— Nuisible ? » Je fus aussitôt arrêté avec le sabot de la ponette rose qui me regardait les sourcils froncés. Je me corrigeai aussitôt. « C'est sûrement la bonne décision à prendre. »
Dix-sept mois. Il m'avait fallu dix-sept mois pour préparer mon assaut sur Canterlot. Dix-sept mois d'attente et de planification pour trouver le bon moment et la bonne manière pour frapper. Canterlot était la capitale de ces mangeurs de foin, la ville la mieux gardée, et le lieu de résidence des trois Alicornes. Si la capitale était tombée, nous aurions gagné. Prendre possession de ce village ne m'aurait pas pris plus d'une matinée et ce n'est pas une poignée de gardes qui m'auraient empêché de piétiner cet endroit.
Et elle continuait de me regarder. Je le sentais, elle se retenait encore de pleurer par moment. Elle était maladroite, distraite, incapable de bien faire les choses. Le seul moment où elle m'a semblé être vivante, c'est quand elle m'avait retenu de dévorer cette dirigeante incapable. À la place de ça, je me retrouvais à caresser le ventre de ces animaux. Ils me dégoûtaient tellement.
Excepté peut-être celle qui était rose bonbon. Dans ses yeux, je voyais toujours ce signe tellement propre à mes enfants : incapable de vivre sans moi, ne voulant pas imaginer la vie une seule seconde sans leur matriarche.
Je massais vigoureusement les épaules de la ponette marron avec mes sabots bleus. Un long gémissement vint m'irriter au plus haut point quand elle se laissa aller dans son confort. Ne pouvaient-ils pas s'extasier en silence ? C'était extrêmement gênant pour moi, et mes naseaux bouchés par ce bonheur m'empêchaient de me concentrer pleinement sur le bonbon rose. Car il n'y a que pour elle que je faisais ça, ou plutôt pour sa sœur.
On avait à peine terminé avec la première cliente que la seconde arrivait déjà. Je le voyais, même si elle me disait le contraire, mais elle voulait plus que tout que la journée se termine. Elle était à bout de nerfs, elle venait à peine de comprendre que sa sœur avait disparu et avait été remplacée par un monstre. Elle espérait plus que tout que ce monstre lui soit amical, mais je n'arrivais pas à franchir la barrière qui séparait nos deux espèces, et je n'en avais pas spécialement envie. Mon devoir s'arrêtait là. Mille questions devaient lui brûler les lèvres, mais elle ne pouvait pas se résigner à me les poser maintenant, pas avec tout ce travail.
Mais pendant que nous nous occupions du jacuzzi avec notre nouvelle cliente, je sentis aussitôt l'odeur écœurante quand elle craqua intérieurement. Je lui jetais rapidement un coup d'œil pour la voir un sabot devant la bouche, les yeux humides. Sa respiration accélérait.
Ces animaux n'avaient aucun courage selon moi. Toujours prêt à se plaindre et à se cacher sous les pattes de leur mère, mais ce bonbon rose avait l'étrange don de me surprendre. Elle ne flanchait pas. Son travail avait besoin d'elle, et elle faisait passer ses besoins en second plan. C'était donc d'un pas ferme qu'elle me rejoignit pour limer les sabots de la licorne Colgate. Celle-ci gardait les yeux fermés et donc, ne pouvait pas voir les sabots tremblants de ma sœur.
Je souhaitais de tout cœur qu'elle tienne le coup, qu'elle arrive à surmonter cette crise qui serait ainsi la preuve qu'elle pouvait surmonter tout cela. Je sentais toute la douleur qu'elle ressentait et je lui jetais des regards réconfortants pour lui donner le courage de se battre. Je ne m'attachais pas à elle, je voulais juste savoir de quoi elle était capable.
Son odeur s'alourdissait de seconde en seconde, il fallait vraiment être aveugle pour ne pas voir qu'elle souffrait, pas besoin d'être un changelin. Heureusement que notre cliente était à moitié endormie quand la jument rose s'enfuit en larme à l'étage.
« Je reviens dans quelque instant mademoiselle Colgate, prenez le temps de vous détendre. » dis-je d'une manière plus que professionnelle avant de me mettre à la suite de la fuyarde.
Une fois à l'étage, je n’eus pas à chercher longtemps avant de la trouver. En effet, ses sentiments sentaient à l'autre bout du spa. Allongée sur son lit, elle se laissait aller bruyamment à ses pleurs. Je refermais aussitôt la porte derrière moi pour un peu plus de discrétion. En m’asseyant sur son lit, je la ramenais vers moi de sorte que son visage repose contre mon torse.
Elle y était presque pourtant, à deux sabots de rester forte et digne. Mais peut-être qu'on ne pouvait pas défaire ces animaux de leur nature si faible.
« Pourquoi ? » Elle avait demandé ça entre deux pleurs. Je ne savais pas si je devais répondre, mais je me forçais à le faire.
« On ne peut pas décider de ce genre de chose. C'est un mauvais tour du destin...
— Non... Pourquoi restes-tu avec moi ? Pourquoi fais-tu semblant comme ça ? » Cette question était bien plus lourde que la première, je ne sus rien dire sur le coup, mais après un moment de réflexion je pus lui répondre :
« Je m’appelle Chrysalis. Avec l'aide de mon armée, j'ai attaqué la Capital d'Equestria il y a encore moins d'un mois de ça. Nous avons échoué et nous nous sommes retrouvés éparpillés au loin de Canterlot. Tu m'as trouvé avec ta sœur alors que je pensais finir mes jours dans le froid et la douleur. J'ai l'apparence d'un monstre, et pourtant, vous vous êtes occupé de moi pour que je survive. Quand les timberwolfs ont attaqué, j'ai vu ta sœur venir à moi pour me défendre. Elle était prête à tout pour me sauver, alors qu'elle ne me connaissait même pas. Je suis une reine, mon espèce possède un code d’honneur très formel et mon devoir m'impose de rembourser ma dette. Je ne pouvais pas faire grand-chose si ce n'est prendre l'apparence de ta sœur, mais mon peuple utilise cette méthode pour atténuer la peine lors de la perte d'un être cher. Je ne sais rien faire de plus. »
Elle s'était calmée et reposait silencieusement contre moi. Je caressais son crin pendant qu'elle passait ses sabots autour de ma taille pour se serrer plus fermement.
« Tu m'as enlevé la mémoire la première fois...
— Oui, je m'excuse que ça n'ait pas marché. Tu t'étais évanouie peu de temps après et donc, j'en ai profité pour remplacer ta sœur et faire comme si... de rien n'était. » Elle gardait un œil ouvert pour observer mon sabot bleu qui passait régulièrement sur sa crinière. « Je ne savais pas si je devais te l'annoncer, ni même comment le faire, alors j'ai simplement décidé de laisser les choses comme elles étaient. Excuse-moi de t'avoir à ce point manipulée.
— Non, ce n'est rien. » murmura-t-elle dans mon giron. « En fait, je voudrais te demander quelque chose. Hypnotise-moi encore ! » Elle s'était redressée pour plonger son regard dans le mien. « Refais-le encore. Fais-moi oublier que tu n'es pas ma sœur pour que je puisse vivre à nouveau avec elle...
— Je ne peux pas faire ça comme cela. » coupais-je directement.
« Ce n'est pas grave, ça nous laissera du temps pour te rendre encore plus identique à ma sœur. Si tu n'as pas réussi à me duper la première fois, c'est uniquement parce que je connaissais les habitudes de ma Lotus, mais pas toi. Si je t'enseigne tout sur elle, tu pourras être sa parfaite réplique et je ne verrais que ma sœur.
— Je ne sais pas trop…
— S'il te plaît, je t'en supplie ! » Cette sotte me serra encore plus. « Tu as dit que tu avais une dette envers moi. Tu es obligée de le faire ! » J’eus l'impression de recevoir un coup de fouet. C'était un ordre ? Ou venais-je juste de recevoir mes propres principes en pleine face ? J'aurais mieux fait de devenir une reine cruelle et sans honneur, j'aurais eu moins d'ennuis.
« Si c'est ce que tu souhaites...
— Merci, mille fois merci. Tu me fais revivre ainsi que ma sœur ! » s'exclama-t-elle en joie, les larmes de bonheur. J'en étais encore plus malade qu'avec sa tristesse. Elle m'abandonna aussitôt pour retourner au soin de notre cliente, me laissant seule pour digérer ce qui venait d'être décidé.
J'étais en colère. Elle se moquait de moi. Elle se servait de moi ! J'avais pris la place de sa sœur parce que je n'osais pas lui dire qui j'étais, mais maintenant qu'elle le savait, elle était prête à me remplacer pour se bercer dans ses illusions. Mon devoir... m'obligeait à le faire.
Je continuais la journée de travail en compagnie d'Aloe qui avait retrouvé du poil de la bête et qui ne pouvait s'empêcher de sourire comme l'un de leur poulain. Je la foudroyais du regard, mais ça lui était sans importance, elle allait retrouver sa sœur après tout.
Nous étions avec notre troisième cliente. Une jument très importante selon Aloe. Elle n'habitait pas dans ce village et venait ici incognito, étrange hasard, puisque moi aussi. Pourtant, je n'avais déjà aucune sympathie pour cette jument, pour aucune autre d’ailleurs, mais celle-là, c'était encore pire. Une certaine Sapphire Shores reine de la pop. Je ne savais pas ce qu'était que de la pop, ni même le goût que ça avait, mais son titre de reine m'avait rapidement interpellé. Je m'étais attendue à voir une alicorne débarquer, une source de puissance capable de faire voler mon déguisement et m'expédier loin de ce village, ou même pire. Mais je revins vite sur terre. Les poneys n'ont pas la chance d'avoir une vraie reine, et celle-ci n'avait ce titre que comme un attribut. Aucune royauté ne coulait dans les veines de cette jument.
Elle avait prévu de passer le reste de l'après-midi pour recevoir de nombreux soins du corps. Pourquoi n'étais-je pas tombé sur deux jumelles spécialisées dans la torture ? À la place de ça, j'étais en train de brosser les crinières de ses animaux avant de les masser et de les entendre ronronner. Ils me donnaient de ces envies de vomir.
Nous préparions le sauna toutes les deux pendant que l'autre « reine » se reposait sur la banquette prévue à cet effet. Je fermais les aérations pendant qu'Aloe éteignait le brasier de bois d'aulne. Maintenant que la fumée était bien présente, il ne nous suffisait plus qu'à surveiller la température et rajouter un peu de vapeur en versant la louche sur le tas de pierre brûlante. Il fallait admettre que j'aimais cet endroit bien plus que les poneys. Je me fis même la promesse que mon prochain royaume aurait un sauna.
Je vis Aloe tremper la louche au niveau des pierres pour produire un nouveau nuage de fumée, mais l'instrument se coinça entre les grosses pierres qui tombèrent hors du bassin quand la jument rose força un peu plus pour dégager sa louche. Une pierre incandescente lui tomba sur la jambe et roula le long de sa patte avant d’atterrir au sol.
La douleur ne mit pas longtemps avant de se faire sentir. Aloe replia aussitôt sa patte sur elle-même quand l'impression de mille aiguilles lui mutilait la jambe. J'accourus aussitôt près d'elle pendant que la soi-disant reine se relevait la tête remplie de vapeur.
« Mais qu'est-ce qui se passe, pourquoi il n'y a plus autant de fumé ? J'ai demandé une séance sauna d'une heure et demie ! » J'ignorais tout bonnement la jument pour voir l'état d'Aloe. Elle avait la larme à l’œil et me regardait en chiens de faïence, comme si elle venait de faire la plus grosse erreur de sa vie.
« Ce n'est pas grave, viens avec moi, on va s’occuper de ça.
— Hey, et moi ? Vous ne pouvez pas me laisser toute seule ! C'est contraire au règlement de sécurité. »
Je me retournais brusquement vers elle avant de produire un sifflement furieux propre aux changelins. Je tenais Aloe à mes côtés et la guidais vers la petite cuisine et son évier. Je la laissais passer sa patte sous l'eau pendant que j'allais chercher de quoi l'aider à faire passer la douleur. Il n'y avait rien de réellement efficace pour les brûlures dans leur boite de premiers secours, rien pour tout dire. Je quittais la cuisine pour aller à nos étagères où on rangeait tous les produits de soin et de beauté.
Je revins le plus vite possible près d'elle pour lui enlever le sabot de l'évier.
« Attention, ça va être froid... Ce n'est peut-être pas plus mal ainsi. » Je déposais un peu de crème sur sa patte ce qui la fit aussitôt pousser un léger hoquet de surprise.
« Tu n'aurais pas dû faire ça à madame Sapphire Shores.
— Elle me tapait sur le système. »
Aloe gloussa discrètement pendant que sous la forme de Lotus, je massais sa patte avec la crème.
« C'est vrai qu'elle est insupportable. Ça a beau être l'une de nos clientes importantes, je ne serais pas triste de ne plus la voir.
— Si tu veux, je peux l’hypnotiser pour qu'elle oublie cet incident.
— Non, ne t'embête pas avec ça, elle est déjà partie, je l’ai entendu. Qu'est-ce que tu mets comme produit au fait ?
— De l'aloe vera, c'est très bon contre les brûlures et les peaux abîmées.
— Oui, je sais. Je ne pensais pas que la reine des changeurs s'y connaissait en produit de beauté.
— Reine des changelins. » corrigeais-je sans la moindre colère. « Je ne connais pas vos produits de beauté. Mais à force de vivre des années dans des cavernes et des forêts, on finit par connaître la faune et la flore. » Je la vis acquiescer silencieusement. « Et puis... en tant que reine, je dois aussi prendre soin de mon corps et de ma crinière. » Elle me sourit aussitôt. Un sourire que je lui rendis.
« Pourquoi as-tu attaqué Canterlot ? »
Je ne voulais pas aborder ce sujet.
« Penses-tu que parce que je suis gentille avec toi, je le suis avec tous les poneys. Je suis un monstre, et tu n'es que l’exception qui confirme la règle.
— Si tu avais réussi, ma sœur serait encore en vie. »
Je la dévisageais aussitôt. Que venait-elle de dire ? Je voulus lui reposer la question, mais j'avais bien entendu.
« Si tu avais réussi ton siège contre Canterlot, tu ne serais jamais arrivé dans ces bois. Moi et ma sœur, nous ne serions jamais venues à ton secours. »
La crème avait bien pénétré sa patte, je la déposais silencieusement avant de porter mon regard dans le sien. Elle semblait sûre d'elle. C'était la première fois que je la voyais ainsi.
« Je n'arrive pas à comprendre. Est-ce de l'amour pour ta sœur, ou alors es-tu juste folle et désespérée, au point de souhaiter que tout ton peuple ne sois condamné, ou même de demander à une parfaite inconnue de remplacer ta soeur ? »
Elle baissa la tête en couchant les oreilles, mais je n'avais pas encore fini.
« Tu semblais pourtant forte. Tu ne m'as jamais crainte. Mais au final, je me trompais.
— Facile à dire pour toi. Tu n'as pas perdu ta famille » dit-elle entre ses dents.
Je lui hurlais dessus.
« J'ai tout perdu ! » Mes larmes me montaient aux yeux, je tentais de les refouler dans un long soupir où je me mis à compter jusqu'à dix. Elle n'allait pas me faire pleurer ! « Tu n'es pas la seule à avoir perdu des personnes qui te sont chères... Il faut être fort, tenir debout, se concentrer sur le présent... Mais je vois que cela te dépasse. » Je quittais la pièce pour la laisser avec sa faiblesse.
Tous ces poneys me dégoûtaient. Ils ne savaient que penser à eux, ne voir que leurs problèmes sans jamais se soucier du reste.
Je brûlais ce déguisement qui m'étouffait, me compressait. Chacun de mes pas était animé par ma colère. Il aurait fallu une simple étincelle pour mettre le feu à ce spa et à tout le village. Dans ma chambre, je tournais en rond pendant plusieurs minutes sans pouvoir m'arrêter. J'étais en colère et je n'arrivais pas à me contenir. Ma corne brillait, s’apprêtant à foudroyer le moindre insecte qui s'approcherait de trop près.
Je sautais sur mon lit en m'allongeant sur le dos. La colère était tellement forte que je n'arrivais pas à me contenir. Il fallait que je me décide : hurler, m'agiter dans tous les côtés, insulter tous ces animaux, détruire ce monde, pleurer.
Je pris la dernière option étant donné qu'elle était celle qui me pesait sur le cœur depuis bien trop longtemps déjà. Cette ponette venait de nous remettre tout ça en pleine face. Elle avait parfaitement frappé au bon endroit pour provoquer la remontée de souvenir bien trop lourd pour nous. Nous n'arrivions plus à tenir, penser au futur n'était pas chose facile, et voiler le passer faisait encore plus mal. Nous étions seuls... j'étais seule.
Ce n'était que le début de la soirée, mais toutes ses émotions m'avaient épuisé. Le sommeil ne tarda pas à se faire ressentir dans tout mon corps et c'est en rabattant les couvertures sur moi que je poussais un soupir mi-triste, mi-épuisée.
Moins d'une heure était passée et déjà j'entendis la porte s'ouvrir. Mes oreilles se dressèrent, à l’affût du moindre bruit. Il n'y avait que des coups de sabot sur le sol quand la jument rose se rapprochait de mon lit.
La chambre était plongée dans la pénombre depuis que j'avais fermé les rideaux m'empêchant de voir pleinement son regard, mais je devinais aisément qu'elle devait avoir les yeux aussi rouges que les miens d'avoir pleuré. Sans réfléchir, je me retournais de sorte à lui présenter mon dos. Je ne voulais plus la voir pour le moment, elle et ses problèmes, ses ennuis, SA vie. Je ne voulais plus l'entendre.
Mais elle semblait ne pas vouloir voir les choses de ce point de vue et leva brusquement les couvertures pour se glisser en dessous. Je n'osais pas bouger, lui montrant ainsi à quel point je l'ignorais, mais elle ne semblait pas affectée. Je me raidis brutalement quand Aloe posa un sabot sur mon épaule en rapprochant son corps du mien. L'inspiration qui suivit, me permit de sentir une odeur encore nouvelle de la part de la jument : de la tristesse, mais cette fois-ci, dirigée sur moi, autrement dit, de la compassion.
J'en ressentais encore quand ils venaient se coucher près de moi, une dernière fois avant de partir. Dans leurs yeux je ne voyais que ça. Ils n'étaient pas en colère, ils ne semblaient même pas tristes. À la place, ils me souriaient chacun à leur tour avant... de se coucher près de moi. C'était un sentiment étrange dans l'idée que j’éprouvais ce sentiment au même moment qu'on l'éprouvait pour moi. J'étais forte après tout, j'étais une reine, une déesse ! Mais quand ils me regardaient, je ne pouvais que leur rendre cette compassion avant de fermer les yeux.
Aloe était une étrange jument. Sa manière d'agir était proche de celle de mes enfants. Elle s'en voulait de ce qu'elle avait dit, et maintenant, elle voulait mon pardon, en silence. Elle allait attendre jusqu'à ce que j'arrive à lui pardonner.
J'aurais tellement voulu être un monstre et la rejeter le plus violemment possible, mais je ne sus que me retourner pour la laisser se serrer contre moi, la changelin et non sa sœur. Elle ne pleurait pas. Il n'y avait plus rien à dire. Je pus tout de même montrer tout mon égoïsme en aspirant discrètement la tristesse hors de son corps. Elle n'était plus à mon goût depuis longtemps, mais il me fallait quelque chose pour passer la nuit, et lui enlever ce fardeau n'allait pas lui faire du mal. Lui faire du mal... je pensais bien que j'en étais devenu incapable. Mon peuple se moquerait bien de moi s'il me voyait.
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