J'ai ouvert les yeux en me demandant ce que je faisais ici. Bien sûr, ces lieux ne m'étaient en rien inconnus. Je reconnaissais bien le lit rose, de la même couleur que ma fourrure. Je le savais, ça n'était pas mon lit, mais celui de ma sœur. Elle était juste en face de moi, en train de dormir d'un sabot ferme.
Nous étions sœurs jumelles, nous nous sentions parfois obligées d'être l'une auprès de l'autre, comme si nous perdions tout repère quand l'une d'entre nous se retrouvait seule. Habituellement, c’était elle qui me rejoignait dans ma chambre pendant la nuit, mais il m'arrivait parfois de le faire, même si c'était plus rare. Néanmoins, je ne me rappelais pas avoir quitté ma chambre cette nuit.
Je passai mon sabot rose le long de sa robe bleue avant de le faire glisser sur sa crinière du même rose que ma patte. Elle ouvrit aussitôt les yeux, me fixant durement, comme si je venais de la couper au beau milieu de l'un de ses rêves.
« Bonjour Lotus, tu as bien dormi ? »
Elle ne me répondit rien et se contenta de hocher la tête.
De nous deux, c’était elle qui avait toujours eu le réveil difficile. Elle se redressa lentement du lit et fit un tour de la pièce, comme si elle la découvrait pour la première fois de sa vie. Je lui souris.
« Tu sembles perdue, tu as encore besoin de dormir ? »
Elle secoua la tête.
Bien sûr qu'elle n'allait pas se recoucher. C'était elle qui gérait la partie financière du spa, elle savait ce que ça nous coûtait de fermer toute une journée à l'improviste, ça ne nous aidait pas.
Je me levai à mon tour et quittai lentement la chambre. Avant de partir, j'entendis un bruit sourd quand Lotus se retint à sa grande armoire pour éviter de trébucher. Elle émit un petit gémissement, mais se reprit aussitôt en me regardant comme si de rien n'était. J'en connaissais une qui s'était levée du mauvais sabot.
Pendant que je prenais mon petit-déjeuner, je ne la vis pas une seule fois. C'était une heure après avoir quitté la chambre que je la vis descendre pour venir dans l'arrière-boutique, là où était notre petit espace personnel.
« J'espère que la journée sera tranquille », dis-je en vidant mon bol de lait. «Combien avons-nous de rendez-vous ?
— Je ne sais pas », dit-elle d'une voix si faible que je faillis ne pas l'entendre.
C'était étrange. Nous avions comme rituel de prendre le petit-déjeuner ensemble pendant que Lotus prenait toujours le carnet des réservations pour voir ce qui nous attendait pour la journée.
« Où as-tu mis le carnet ? »
Elle me répondit la même réponse que tout à l'heure, avec toujours cette faible voix. Je me demandai si elle n'était pas malade.
Je l'invitai à prendre place à table pour prendre son petit-déjeuner et m'en allai à la salle d'attente, là où une porte menait à notre bureau. Celui-ci n'était pas bien grand. Seule Lotus y passait quelques heures sur la semaine quand elle s'occupait de la paperasse. Je lui donnais cette responsabilité avec plaisir, tout ce qui était d'ordre administratif ou financier me donnait des boutons encore plus vite qu'une crème hydratante non naturelle.
Le carnet reposait sur le bureau, en l'ouvrant à la date d'aujourd'hui, je vis que nous n'avions que deux rendez-vous. Un pour des soins du corps pour toute l'après-midi, et un autre à deux heures pour un massage tonifiant. Ça ne faisait vraiment pas beaucoup de monde. Même si j'espérais voir des clients arriver sans réservation, on était bien en-dessous de notre quota.
Peut-être que la situation actuelle expliquait l'état de Lotus, elle aurait peur de la faillite ? Bien que nous ne roulions pas sur l'or, nous étions toujours parvenue à garder la tête hors de l'eau. Elle avait toujours réussi à garder les comptes à niveau pour que nous n'ayons jamais à nous inquiéter.
Mais si elle était comme ça, cela voulait dire que la situation avait empiré à un niveau bien plus sévère. Je retournai aussitôt à la cuisine pour en avoir le cœur net.
« Lotus, je suis ta sœur, je te fais confiance, alors s'il te plaît, ne me cache rien. Est-ce que nous avons des problèmes d'argent ? »
Elle me regardait sans savoir quoi dire. Peu à peu, son regard déborda du mien et se mit à tourner dans la pièce avant de se poser sur ses sabots qui étaient joints sur la table. Elle redressa ensuite la tête vers moi et la secoua. « Non », ajouta-t-elle.
Je n'étais pas convaincu, pas du tout. Mais c'était ma sœur, et je lui faisais entièrement confiance. Si elle me disait que je n'avais pas à m'en faire, alors je devais la croire. Peu importe son état actuel, elle ne me mentirait jamais. Je chassais les derniers doutes de mon esprit avant de me rapprocher d'elle pour la serrer contre moi. Elle resta figée pendant notre étreinte et mit un long moment avant de poser un sabot sur mon dos.
Tu semblais bizarre grande sœur. Tu ne me parlais pas du tout. Tu semblais perdue à chaque pas que tu faisais. Et ça avait été comme ça durant toute la matinée.
J'ai peur pour toi Lotus.
C'est étrange cette sensation, quand on s'inquiète pour quelqu'un. Bien sûr je ne t'ai jamais négligée sœurette, mais je devais avouer qu'en général, c'est toi qui t'occupais de moi. Toi qui veillais à ce que j'aille bien et à ce qu'il ne m'arrive rien de fâcheux. C'était normal après tout, c'était toi la plus grande. Même si tu n'étais plus vieille que de deux minutes, tu avais toujours montré un caractère plus téméraire et sûr de toi. Moi, j'aimais juste être avec toi et j'étais prête à te suivre partout. Par moment, je me demandais même si nous avions réellement le même talent. Tu avais toujours eu envie de créer ce spa où tu pourrais prendre soin des gens, moi, je voulais juste te suivre et faire comme toi. Peut-être que ma Cutie Mark en a fait de même...
Aujourd'hui, je m'inquiète pour toi.
Nous étions en train de procéder au soin du corps pour mademoiselle Roseluck une cliente mensuelle qui adorait passer une après-midi relaxation entre nos sabots. Mais Lotus regardait ailleurs. Comprenant que j'allais devoir me débrouiller seule, je lui en ai demandé le moins possible. Son travail se résumait à me passer les lotions, mais même cela lui semblait difficile. Il lui fallait plusieurs minutes qu'elle passait à lire les étiquettes de chaque produit, et quand elle l'avait trouvé, elle risquait à chaque instant de le faire tomber à terre.
Malheureusement, l'inévitable se produisit, et elle renversa une quantité folle d'huile essentielle sur le dos de notre cliente qui eut aussitôt un sifflement de surprise quand le liquide froid atterrit sur son corps.
« Excusez-nous Mademoiselle Roseluck, ma sœur est un peu fatiguée ces derniers temps. Pour nous faire pardonner, nous vous offrons le massage aux huiles essentielles. »
La jument ne semblait pas être rancunière sur la maladresse. Elle leur adressa même un sourire avant de signaler qu'il n'y avait pas mort de poney.
On sonna à la porte, c'était le rendez-vous de deux heures. Je fis signe de la tête à Lotus d'y aller. Même si elle ne semblait pas dans son assiette, c'était elle qui savait faire les meilleurs massages tonifiants. J'avais toujours du mal pour trouver les nœuds et les points d'appui pour détendre au mieux les muscles.
Mademoiselle Roseluck me posa deux trois questions sur Lotus, s'inquiétant elle-même de son état et se demandant si elle ne couvait pas quelque chose. Il ne fallait surtout pas confirmer une telle supposition. Si elle repartait d'ici avec l'impression que ma sœur était malade, notre réputation allait en pâtir, et les habitants de ponyville fuiraient notre spa comme la peste.
Lotus allait très bien, elle devait juste passer une mauvaise passe. J'étais juste inquiète qu'elle ne me dise rien, on était jumelles après tout, je ne lui cachais jamais rien, pourquoi n'était-ce pas réciproque ?
Un cri de douleur me fit sursauter. Je quittai précipitamment ma cliente en me répandant en excuses et en me dirigeant vers nos salons privés là où nous offrions des soins particuliers. Mon cœur manqua un battement quand je vis la jument debout sur la table de massage, complètement paralysée.
« Lotus, qu'est-ce que tu as fait ? » lui demandai-je alors qu'elle restait à côté de la jument à la regarder.
« Oh ne vous en faites pas ma chère, votre sœur vient de me décoincer une vertèbre, désolée si j'ai crié, c'est juste que je ne m’attendais pas à ça. » La vieille jument verte se recoucha sur la table de massage. Je me rapprochai de Lotus pour l'éloigner et pouvoir lui parler discrètement.
« Va t'occuper de Mademoiselle Roseluck. Tu as juste à terminer le massage et la laisser se reposer avec les onguents pendant une petite heure, tu te sens capable de faire ça ? »
Elle hocha simplement la tête avant de s'en aller.
« Très bien madame Granny Smith, vous êtes prêtes pour votre massage tonifiant ?
— Allez-y ma grande, faites juste attention à mes os fragiles. »
La journée avait été éreintante. Bien sûr nous n'avions pas eu énormément de clients, mais le stress causé par Lotus était permanent et épuisant. Nous avions eu une nouvelle cliente vers la fin de l'après-midi. Bien qu'elle ne demandait qu'un masque revitalisant, j'ai dû vérifier à deux fois les produits que Lotus me donnait, évitant ainsi de lui faire fondre le poil du visage avec de l'eau de javel.
Qu'est-ce que je pouvais faire ?
Nous sommes deux à gérer ce SPA, mais actuellement, j'ai l'impression d'être seule, de devoir travailler pour deux, et en plus, devoir rattraper tes erreurs. Quand est-ce que tu iras mieux grande sœur ? J'ai envie de me reposer sur toi...
On pourrait prendre une remplaçante. Quelqu'un qui m'aiderait pendant que tu restes dans ton bureau pour t'occuper des papiers. Ça nous permettrait d'avoir une troisième personne pour plus tard, quelqu'un de disponible quand on voudrait prendre un jour de congé, ou que nous ne sommes pas toutes les deux ici.
Lotus était parti dans sa chambre, pendant que je m'occupais du souper. Quelqu'un vint sonner à la porte, à cette heure, le spa était fermé, donc ça ne pouvait être que lui. Je pris une grande inspiration et comptai jusqu'à dix avant d'ouvrir la porte. La licorne rousse à la crinière verte me regardait avec un sourire en coin. Monsieur Blower était notre créancier, notre propriétaire en quelque sorte, et surtout, il avait la fâcheuse tendance à se prendre pour notre patron.
« Bonsoir monsieur Blower, je dois dire que je ne m'attendais pas à vous voir à une heure aussi tardive.
— Pourquoi ça ? Vous n'avez jamais pensé ouvrir votre spa vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? C'est un concept qui s'est déjà vendu à Manehattan. Soin revitalisant pour dormir, masque de nuit, fraîche pour le lendemain. N'importe quoi est bon pour amener les juments ménagères à flâner dans un endroit pareil. » Il n'y connaissait rien. Il ne savait parler que la langue de l'argent, pour lui, chaque chose avait un prix, non un but. « Je suis venu suite à votre dernier rapport de gestion. Il semblerait que vous n’atteigniez pas le nombre de clients dont nous avions convenu.
— Et alors, les autres mois étaient corrects, ça doit pouvoir compenser.
— Correct est un bien grand mot, suffisant aurait été mieux choisi », dit-il en passant son sabot sur le col de son veston.
« Vous avez votre argent, alors qu'est-ce qui ne vous va pas ?
— Bien sûr, j'ai l'argent du loyer, mais pas du prêt.
— Vous aviez dit qu'on pouvait régler ça comme on le souhaitait, qu'il n'y avait pas de minimum à payer.
— Non, c'est vrai, mais il y a tout de même un délai. Et si celui-ci ne se voit pas respecté, je serai forcé de vous expulser.
— Autre chose à dire ? » demandai-je sans plus aucune politesse.
« Oui, faites-vous des soins revigorants pour la crinière ? » dit-il en enlevant son haut de forme pour se gratter le cuir chevelu.
« Non, mais il y a un vendeur de perruques au bout de la rue ! » Je ne lui laissai pas le temps de me répondre quoi que ce soit que je fis claquer la porte entre nous.
Je détestais ce type, Lotus encore plus. Pas une seule semaine ne se passait sans que nous ayons une visite impromptue de ce malappris. Lotus ne me mentait pas. Cette histoire de prêt remontait à bien longtemps et chaque mois, nous cotisions une certaine somme pour qu'il nous fiche la paix.
De retour dans ma cuisine, ma frustration grandit un peu plus encore quand je vis mon repas carboniser au four.
Une fois à table, toute forme d'appétit s'était volatilisée de mon estomac. De toute façon, je ne ressentais plus le goût de la nourriture sur ma langue depuis quelques jours maintenant. Habituellement, Lotus avait toujours un œil sur moi et me demandai régulièrement si je mangeais assez. Ce que je pensais au début comme une marque d'attention était en réalité un piège rusé destiné à me faire prendre du poids. De nous deux, j'étais la plus maigre. Oh que de deux kilos tout au plus, mais pour Lotus, c'était deux kilos qu'elle devait s'empresser de perdre... ou de me faire prendre. Quand je regardai ma grande sœur, elle ne faisait même pas attention à moi, se contentant de manger la courgette farcie à la carotte brûlée sans même m'adresser un regard.
« Qu'est-ce qui ne va pas Lotus ? »
La jument m'adressa aussitôt de l'attention. Je poursuivis
« Si je t'ai dit quelque chose qui ne va pas, je m'en excuse, si j'ai fait quelque chose qui t'a causé du tort, je m'en excuse, mais s'il te plaît, arrête de m'ignorer Lotus, je veux retrouver ma soeur. »
Elle vida ce qu'elle avait en bouche silencieusement avant qu'un léger sourire ne tente de se former aux commissures de ses lèvres.
« Tout va bien. »
Je ne sus rien dire de plus, non Lotus, tu mentais. Non, ça n'allait pas bien.
Elle ne me regardait que rarement, elle semblait tout le temps la tête dans les nuages. Ce que j'avais pris pour une maladie n'en était rien, cela faisait une semaine qu'elle était comme ça et aucun signe n’indiquait une infection ou une fatigue.
Peut-être qu'elle souffrait d'une dépression...
Comment pouvait-on guérir ça ? Je travaillais dans un spa, pas dans un cabinet de psychologue. Mais cela me donna néanmoins une idée.
Quand nous nous disputions toutes les deux, pour nous réconcilier, nous nous offrions l'une l'autre une après-midi au spa en tant que cliente. Une journée relaxation ne pouvait que faire du bien à Lotus et peut-être que ça lui donnerait envie de me parler. De toute façon, aujourd'hui était notre journée de repos et à part rester dans sa chambre, elle ne semblait pas si occupée que ça.
Je l'appelai depuis l'étage du dessous. Mes oreilles roses se dressèrent quand j'entendis un pas lourd descendre les escaliers. Pourvu que mon plan fonctionne.
« Tu vas bien Lotus, ça te dirait une journée relaxation entre sœurs ? »
La jument me dévisagea un sourcil levé.
« S'il te plaît grande sœur, une journée avec juste toi et moi. Tu ne le regretteras pas. »
Elle hocha la tête, ce qui me fit tirer un sourire jusqu'aux yeux sans que je puisse me retenir. J'avais ma chance, et c'est sans retenue que je lui attrapai le sabot pour la guider vers les tables de massage du salon privé. J'avais déjà tout prévu : la pièce était plongée dans la pénombre et n'était éclairée que par quelques bougies placées de façon éparse dans la pièce. En plus de ça, j'avais allumé la radio qui passait l'une des musiques que Lotus aimait le plus ; Angie des Hoof Stones.
Elle semblait tout de même tendue et ne savait toujours pas quoi faire. Je lui fis un signe léger du sabot pour lui indiquer de s’allonger sur la table, ce qu'elle fit en silence.
Je commençai par un masque de beauté. Elle me dévisageait sans trop savoir ce que j'étais en train de faire. Je défis son bandeau pour libérer sa crinière et pour dégager au mieux son visage. J'étalai ensuite la crème rajeunissante sur son pelage bleue avec un pinceau dans la bouche. Sa respiration était lente, mais bruyante. Quand je pris les tranches de concombre, elle ouvrit la bouche pensant certainement que c'était pour manger. Je gloussai en les lui déposant sur les paupières, j'étais sûre que sous le masque de crème, elle était en train de rougir.
Je fis un massage à l'huile le long de son torse, on faisait ça pour aider à la respiration et dégager la première zone qui emmagasinait le stress. Je passai ensuite mes sabots le long de ses pattes et sur la base de ses sabots. Elle retira son membre droit quand je passai le mien sur sa base, Lotus était chatouilleuse de nature, mais habituellement, c'était à ses pattes postérieures, et non les antérieures.
Je reproduisis les mêmes mouvements sur son dos quand elle fut retournée. Je ne pus m'empêcher un sourire victorieux quand je l'entendis pousser un soupir équivalent à un ronronnement.
Vint enfin le temps des questions. Je me posai juste au côté de Lotus qui était toujours allongée les yeux fermés et le corps détendu. Elle avait l'air paisible, allant même me faire hésiter à poursuivre mes intentions. Elle était calme, elle semblait heureuse. J'avais l'impression de retrouver ma sœur.
« Tu vas bien Lotus ? »
Elle ouvrit les yeux brusquement pour me dévisager, me donnant l'impression de lui avoir brisé son instant de paix. Je regrettai aussitôt mes paroles et étais prête à faire silence pour calmer la situation, mais elle répondit tout de même.
« Oui Aloe, et toi, est-ce que tu vas bien ?
— Euh... oui, bien sûr, je vais bien.
— Ah d'accord, et est-ce que tu es heureuse, Aloe ?
— O-oui, je suis heureuse.
— C'est bien, Aloe, c'est tout ce qui compte pour moi.
— Merci sœurette, je vais te laisser te reposer maintenant. »
Je montai légèrement le volume de la musique et quittai la pièce en silence.
Je ne comprenais plus rien. Je m'inquiétais pour ma grande sœur, et elle venait tout à coup de prendre les devants en m'indiquant cette même inquiétude qu'elle éprouvait pour moi. Que m'arrivait-il, était-ce moi qui étais différente ? Ce rôle de meneuse ne me seyait pas le moins du monde. Je voulais me reposer sur ma sœur, faire en sorte qu'elle reprenne tout en sabot. Et tout à coup, d'elle-même, elle avait repris son devoir. Je souhaitais tant que la situation perdure.
Chaque soir, avant d'aller dormir, je l'accompagnais jusqu'à sa chambre pour lui souhaiter la bonne nuit. Un autre rituel qu'on avait habitude de faire. Mais comme chaque soir depuis une semaine maintenant, je m'attardais devant sa chambre pour la surveiller.
Depuis le trou de la serrure, je pouvais facilement voir la grande fenêtre en hublot qui était percée par la lumière de la lune ascendante. Juste en face, assise sur le tapis, Lotus, immobile, en train de regarder le paysage nocturne.
La même scène, pour chaque soir. Je savais qu'elle allait rester là pendant des heures à observer la rue en contrebas et qu'elle n'irait se coucher que très tard le soir. Je le savais pour avoir passé toute une nuit à la regarder.
Je souhaitais tant entrer brusquement dans sa chambre pour la secouer et lui demander ce qu'elle était en train de faire. Mais je m'y interdisais. Nous avions fait une promesse entre jumelles, nous n'entrions jamais dans la chambre de l'autre sans frapper à la porte. C'était la seule règle que nous avions pour tenir un minimum d'intimité entre deux sœurs qui vivaient ensemble et partageaient tout. Qu'est-ce qui pouvait pousser une jument à se comporter comme cela ?
C'était ma sœur, je devais la connaître mieux que quiconque, mais la situation me dépassait. Peut-être était-elle amoureuse ? C'était l'idée la plus logique que j’avais, ça expliquait son manque d'attention et son envie fréquente d'aller se réfugier dans la chambre, le manque de sommeil et le fait qu'elle m'ignorait.
Lotus décida subitement de sortir de sa chambre. Je ne voulais pas qu'elle me voie en train de l'espionner, elle ne me ferait plus confiance. Je retournai rapidement dans ma chambre et laissai la porte entrouverte pour pouvoir entendre ses bruits de sabots depuis l’entrebâille de la porte.
Elle ne s'arrêta pas à la salle de bain comme j'aurais pu le penser. Je commençais à m'inquiéter quand je n'entendis plus le bruit de ses pas après qu'elle fut descendue au rez-de-chaussée. C'était la porte d'entrée que je venais d'entendre claquer ? Je fonçai à ma fenêtre pour voir Lotus en train de se trimballer dans la rue. Oh non, elle devait souffrir d’Alzheimer... ou alors elle allait rejoindre son petit poney secret... quoi qu'il en soit, j'allais en avoir le cœur net !
Il faisait nuit à cette heure dans Ponyville. Je crus d'abord l'avoir perdue avant que je ne l'aperçoive en train de se diriger vers la sortie du village. J’eus l'idée de l'interpeller, mais alors, je ne saurais jamais ce qui se tramait avec elle. Je regrettais néanmoins d'en arriver à espionner ma grande sœur.
Elle marchait en ayant l'air de parfaitement savoir où elle allait. Ça ne pouvait pas être une maladie qui la faisait marcher ainsi... ou alors un sortilège, bien que j'imaginais plus Lotus s'enfuir la nuit pour se réfugier dans les bras d'un poney spécial... mais elle aurait pu m'en parler quand même.
Elle continua de s'éloigner encore de Ponyville en se dirigeant vers la forêt. Où trouvait-elle le courage d'avancer dans ces bois sombres ? Rien que leur aspect lugubre qu'ils donnaient le soir faisait tourner les sabots de n'importe quel habitant. Mais pas elle... et moi non plus. J’irai partout où ma sœur ira !
Dans l'Everfree Forest, je restais à une bonne distance de Lotus tout en ne la perdant pas de vue. Il ne fallait surtout pas que je la perde. Si cela arrivait, je ne la retrouverais pas avant qu'elle ne revienne à la maison et je devais savoir ce qu'elle tramait.
Arrivée dans une clairière, elle marqua une pause. Sans se retourner, elle regarda les environs, comme à la recherche de quelque chose... ou d'un poney très spécial pour elle. Elle continua dans cette large plaine jusqu'à trouver un gros rocher qui trônait au centre de celle-ci. Elle grimpa au-dessus et continua d'inspecter les alentours. Cachée dans les hautes herbes, je pouvais l'observer sans qu'elle ne puisse m'apercevoir.
Elle resta ainsi de très longues minutes. Sans bouger, juste à observer le lointain comme attendant un signe. Personne ne vint. Elle murmurait quelque chose d'une voix tremblante que je ne pouvais entendre, la seule chose que je pus capter, ce fut ses pleurs qu'elle lâcha sans retenue sur sa pierre.
Que pouvais-je faire ?
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