Chapitre 4
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Lorsque Rainbow Dash se réveilla, tout était blanc. Le lit, le plafond, les murs, le paysage par la fenêtre…
Attends voir… Le paysage ?
Soudain paniquée, Rainbow bondit du lit et, ignorant la vague de douleur qui se diffusa du haut de son crâne au bas de son dos, se jeta contre la fenêtre.
De la neige. De la neige partout, qui recouvrait Ponyville d’une épaisse couche ouatée et qui continuait de tomber à flocons drus. La pégase roula des yeux affolés. De la neige ? Combien de temps avait-elle dormi ?
— Rainbow, tu vas mieux ? Je me suis vraiment fait du souci, tu sais…
— Fluttershy ? Quel jour sommes-nous? Pourquoi est-ce qu’il neige ? Et mes blessures ? Ne me cache rien, Fluttershy !
Rainbow Dash se tordit le cou pour examiner son dos. Elle était couverte de bandages, sur sa croupe, ses flancs, son encolure… Autour de ses ailes… La pégase manqua une respiration. Ses ailes. Le dragon lui avait brûlé les ailes.
— Il a commencé à neiger aussitôt après qu’Harlock a blessé le dragon, expliqua Fluttershy. Ça n’arrête pas depuis deux jours.
Seulement deux jours. C’était rassurant, en un sens. Au moins n’avait-elle pas été inconsciente trop longtemps.
— Twilight cherche une solution, poursuivait Fluttershy. J’espère qu’elle trouvera vite. Les animaux ne sont pas encore préparés à affronter l’hiver ! J’en héberge autant que possible chez moi, mais…
Rainbow Dash ne l’écoutait plus. La pégase tournait sur elle-même tout en essayant vainement d’agiter ses ailes. La douleur l’obligea à renoncer. Malgré les pansements, les pommades et les soins que les médecins lui avaient nécessairement prodigués, tout son dos la brûlait atrocement avec la même intensité que lorsqu’elle avait été touchée par les flammes du dragon, comme si deux jours ne venaient pas de s’écouler.
Comme si le feu se nourrissait toujours de sa chair.
———————
— Bon sang, je ne trouve rien ! Aucun livre ne fait référence à un dysfonctionnement des saisons aussi important où que ce soit en Equestria !
Coincé entre le canapé et une table basse, Harlock replia ses jambes dans une énième tentative infructueuse pour trouver une position plus confortable (le mobilier poney n’était définitivement pas conçu pour sa taille) tandis qu’il observait d’un air sceptique Twilight se démener pour dénicher une information utile dans sa bibliothèque. Non pas qu’il dénigre la démarche, mais les quelques centaines de livres de la licorne n’étaient pas comparables aux milliards de données emmagasinées dans l’ordinateur de l’Arcadia. Si Twilight voulait avoir de la matière à exploiter, peut-être devrait-elle d’abord lui fournir de quoi contacter son vaisseau.
… Même si les bases de données de l’Arcadia devaient en fin de compte contenir peu d’informations sur les dragons géants et les dérèglements climatiques d’une planète de poneys, songea Harlock.
Il soupira.
— C’est juste une intuition, mais je pense que les dragons, la neige et moi sommes liés d’une manière ou d’une autre, lança-t-il à Twilight. Et que dans ce cas, il faut chercher quel a été l’événement commun déclencheur.
La licorne leva les yeux de son livre.
— Comment votre atterrissage aurait-il pu faire apparaître à la fois un double dragon et une vague de froid ? demanda-t-elle.
— Je n’ai pas dit que j’avais provoqué l’arrivée de ces dragons, rétorqua Harlock, mais que les phénomènes sont peut-être liés.
Le capitaine haussa les épaules.
— Et à mon avis, mon vaisseau pourrait nous aider à trouver des solutions, ajouta-t-il.
— Je ne sais pas comment appeler vos amis, coupa Twilight. Nous en avons déjà parlé, et de toute façon ce n’est pas ma priorité pour le moment.
Oui, évidemment. Depuis deux jours, Harlock avait eu l’occasion de confirmer qu’aucun poney de la petite ville dans laquelle il avait échoué n’avait entendu parler de radio, d’apprendre qu’à Canterlot, il existait des scientifiques renommés qui pourraient peut-être l’aider (quoi que puisse être « Canterlot », d’ailleurs), et de constater que la couche de neige qui s’épaississait d’heure en heure l’empêchait d’envisager tout déplacement, que ce soit vers Canterlot ou plus simplement vers son spacewolf.
Harlock savait qu’il n’avait qu’à attendre, qu’il pouvait compter sur Tochiro pour ne pas le laisser tomber, mais il détestait se sentir impuissant. Sans oublier que le dragon dont il avait endommagé l’aile pouvait reparaître et attaquer à tout instant.
…
Frustré, le capitaine déplia à nouveau ses jambes, renversa un tabouret au passage, puis tenta de s’étirer. Son bras gauche le tiraillait (les séquelles des brûlures qu’il avait récoltées), et il avait l’impression que tout son corps était ankylosé. La faute à ces foutues maisons trop petites, c’était sûr. Et au manque d’action.
Il grogna.
— Avec le matériel adéquat, je peux monter une expédition avec des poneys volontaires afin de récupérer des pièces sur l’épave de mon appareil, avança-t-il tout en sachant pertinemment quelle serait la réponse.
— Au milieu d’Everfree ? Avec cette tempête ? C’est bien trop dangereux ! Vous risquez de vous perdre, de mourir de froid, d’être dévorés, de…
Ils avaient déjà eu cette conversation (Harlock alternait entre ce sujet-ci et la priorisation des recherches de Twilight, à vrai dire). Le capitaine n’avait pas renoncé à convaincre Twilight même si, in petto, il admettait que revenir à la charge en boucle ne suffirait pas à faire changer la licorne d’avis.
Il s’apprêtait à insister malgré tout lorsque la porte de la bibliothèque s’ouvrit sur la licorne blanche nommée Rarity, hors d’haleine.
— Twilight ! Twilight, viens vite, c’est… C’est Rainbow Dash !
———————
Chaud. Trop chaud. Tout son corps était en feu.
Rainbow Dash courait dans un monde de douleur, hanté de silhouettes floues et de cris distordus.
— Dash !
Rainbow Dash courait faute de réussir à s’envoler, elle courait alors qu’elle aurait voulu hurler, et la morsure de la neige ne suffisait pas à éteindre le brasier qui la consumait.
— Dash, arrête ! Calme-toi !
La pégase rua lorsqu’on tenta de la retenir, galopa droit vers une congère, trébucha, roula de côté. Les flammes… Les flammes étaient partout. Il fallait fuir et elle ne pouvait s’échapper.
Elle gémit.
— Dash, on va te ramener à l’hôpital. Tu dois te calmer.
— Rainbow… S’il te plaît…
Ces voix. Elle les connaissait. Celles de ses amies. Twilight, Fluttershy. Elle devait… Elle…
Rainbow Dash trembla. Un long frisson parcourut son échine, descendit, remonta, se dispersa en milliers d’aiguilles. Elle brûlait.
Elle devait fuir.
Puisant dans ses dernières forces, la pégase agita ses ailes et, d’un battement désordonné, parvint à s’élever de quelques centimètres.
Une poigne de fer la retint par une patte arrière et la ramena fermement au sol.
— Holà jeune fille, reste avec nous.
Rainbow Dash se cabra pour se dégager, mais les efforts qu’elle avait fournis eurent raison de sa volonté.
Elle s’évanouit.
———————
Twilight ruminait de sombres pensées tandis qu’elle suivait Harlock, profitant du chemin que celui-ci ouvrait dans la neige épaisse. L’humain tenait contre lui une Rainbow Dash inconsciente depuis qu’il l’avait empêchée de s’envoler, et ignorait ostensiblement le regard désapprobateur que lui adressait Applejack.
Les reproches muets de la terrestre lui étaient également destinés, constata Twilight sans qu’elle ne puisse déterminer si Applejack n’appréciait pas le fait qu’Harlock ait été le plus prompt à réagir et qu’il porte Rainbow alors que l’une d’entre elles aurait pu s’en charger, ou si elle désapprouvait la confiance que Twilight accordait à l’humain. Ces deux derniers jours, Applejack avait plusieurs fois évoqué l’idée qu’elles feraient mieux de laisser Harlock se débrouiller seul et que même si elles l’aidaient, elles n’avaient rien à attendre de sa part en retour. Twilight espérait toujours le contraire, mais le comportement d’Harlock (quelque part entre l’arrogance et l’attentisme blasé) mettait l’optimisme de la licorne à rude épreuve. L’humain posait beaucoup de questions, Twilight partageait ses connaissances avec plaisir, et au bilan elle était forcée d’admettre que la réciproque était loin d’être vraie.
Twilight se renfrogna. Et maintenant, Rainbow Dash leur faisait une crise… une crise de quoi, au fait ? Était-ce dû à la fièvre ? À autre chose ? La licorne-médecin lui avait appris que les brûlures cicatrisaient mal. La fièvre retardait-elle la guérison, ou la guérison qui tardait provoquait-elle la fièvre ? Harlock de son côté avait sous-entendu que les flammes qui avaient touché la pégase n’étaient pas ordinaires (une des rares informations qu’il avait daigné partager et qui ne concernait même pas son monde). Le feu du dragon était-il empoisonné ? Existait-il un remède ? Et d’ailleurs, d’où sortait ce dragon ?
— Twilight…
La licorne sursauta. Ils étaient arrivés à l’hôpital de Ponyville sans qu’elle ne s’en aperçoive. Rainbow Dash, allongée sur un brancard et entourée d’une nuée d’infirmiers, disparaissait déjà à l’intérieur. Et si Twilight se fiait à l’expression d’Applejack, ce n’était pas la première fois que la terrestre l’interpellait.
— Tu es revenue parmi nous, Twi ? se moqua gentiment la ponette orange.
— Je réfléchissais, se défendit Twilight. Je dois trouver un moyen de guérir Rainbow Dash, mais il faut aussi que je comprenne d’où vient toute cette neige, ou Equestria risque d’être plongée dans un hiver éternel !
Et elle devait également résoudre le problème des dragons.
— Ou bien vous pouvez commencer par m’aider à appeler mon vaisseau, intervint Harlock d’un ton qui parvenait à être plus froid que l’air ambiant.
Twilight pinça les lèvres. Harlock affirmait que lorsqu’il aurait récupéré son vaisseau, il serait en mesure d’apporter une solution à tout. Les dragons, la neige, les brûlures de Dash, tout ça « avec son vaisseau ». Il avait même ajouté « et bien davantage ». C’était tout juste s’il n’avait pas prétendu pouvoir contrôler le soleil mieux que la princesse Celestia. N’importe quoi.
La technologie humaine était peut-être supérieure à celle d’Equestria, mais cela n’empêchait pas Twilight de faire preuve de sens critique. Qu’Harlock n’aille pas croire qu’elle allait avaler tout ce qu’il racontait pour l’impressionner.
— Arrrh ! Hardi les poneys, vaisseau en perdition ! À l’abordage et pas de quartier !
Twilight fixa Pinkie Pie d’un regard vide. Parfois – souvent –, elle se demandait où se situait la réalité de la ponette rose. Loin d’ici, assurément.
— Yo-ho ! continuait Pinkie. Videz les cales, partageons le butin ! Ce soir, nous trinquerons dans les crânes de nos ennemis !
Harlock haussa un sourcil, sembla sur le point d’ajouter quelque chose, puis reprit finalement son masque impénétrable.
— Euh… Pinkie ?
— Canons à neige, feu à volonté !
Sous les yeux ébahis de ses amies (et sous le regard imperturbable-mais-tout-de-même-un-peu- ébranlé d’Harlock), la ponette rose plongea sous la couche neigeuse, creusa un tunnel improbable, émergea cinq mètres plus loin et lança une volée de boules de neige qu’elle avait dû confectionner dans l’intervalle. Puis elle bondit en criant « yayayaya ! » et fonça vers les trois jeunes Cutie Mark Crusaders qui, en compagnie de Lydia, avaient curieusement décidé d’ériger un poney de neige au beau milieu de la rue.
Ne cherche pas à comprendre, songea Twilight. Ne cherche pas.
Mieux valait concentrer son attention ailleurs. Sur ce chariot volant qui se frayait péniblement un passage à travers les flocons, par exemple.
Une minute.
Ce chariot volant ?
———————
— Princesse Celestia !
Quand Twilight lui avait décrit le système politique d’Equestria et la façon dont la princesse Celestia gouvernait son royaume, Harlock s’était vaguement attendu à voir autre chose qu’un poney, mais en fait non. Ou plutôt si : c’était un cheval. Une jument, pour être exact. Une jument blanche de belle taille, tout à fait normale si l’on exceptait les ailes, la corne effilée, la couronne, la longue crinière diaphane et les couvre-sabots ouvragés en or.
Les poneys s’agenouillèrent (ce qui, dans la neige, donnait des positions assez ridicules). Harlock, après une rapide réflexion, décida qu’un peu de diplomatie serait de bon ton et opta pour une inclinaison de la tête, discrète mais courtoise.
— Princesse Celestia, répéta Twilight. Il ne fallait pas vous déranger, je…
— Twilight, je crains que tu ne mesures pas la gravité de la situation.
La voix de la jument ailée était douce mais ferme, le reproche était perceptible. Twilight ne s’y trompa d’ailleurs pas.
— Je t’avais donné une formule à étudier, continua Celestia.
— Je suis désolée, je… j’étais tellement impatiente de l’essayer, je n’ai pas vérifié que j’étais capable de la maîtriser et je… j’ai échoué.
La licorne violette bafouillait, les oreilles basses, la mine défaite.
— L’énergie magique était trop dense, il y a eu un éclair, et…
Harlock tiqua. Un éclair ? C’était donc elle qui avait descendu son spacewolf !
— C’est moi qui suis désolée, coupa Celestia. Je t’ai confié une formule bien trop puissante sans prendre la peine de t’avertir des risques que tu encourais.
La princesse eut un sourire empreint à la fois de tristesse et d’une certaine fierté.
— J’aurais dû me souvenir que ma plus brillante élève ne se contenterait pas d’une étude théorique. … Personne n’a jamais contrôlé les dragons planétaires, Twilight. Pas même moi.
Harlock se demandait s’il était opportun qu’il manifeste sa présence de manière plus insistante (tant qu’à être en face de ce qui servait de leader aux autochtones, autant en profiter pour remettre sur le tapis son problème de radio), s’il était plus correct d’attendre un peu, ou s’il craquait nerveusement tout de suite et qu’il partait trucider des dragons géants dans la forêt pour se sevrer de tous ces poneys bariolés, lorsque Celestia se tourna vers lui.
— Je suis navrée de vous accueillir dans de telles circonstances, voyageur. Les visites d’outre-espace sont rares et j’aurais aimé conférer à votre venue toute l’importance qui lui est due, mais…
… mais les dragons géants, tout ça…
Celestia les avait même appelés « dragons planétaires », et à moins qu’il ne s’agisse de folklore pittoresque (avec des poneys on ne pouvait présumer de rien), c’était un nom qui impliquait une dimension davantage spatiale qu’un simple problème de xénozoologie.
Et d’ailleurs, avec l’Arcadia…
Parle de ton problème de radio. Maintenant.
— Hem. Si vous m’aidez à trouver une radio pour contacter mon vaisseau, je peux vous apporter en retour toute l’aide dont vous avez besoin pour régler vos soucis de dragons. … Majesté, ajouta Harlock après avoir croisé le regard outré de Twilight.
Princesse ou pas, il réclamerait tout de même à Celestia une radio comme à tous les autres poneys auxquels il avait parlé et ce jusqu’à ce qu’il en obtienne une, non mais oh !
— Les ondes électromagnétiques sont brouillées sur Equestria, répondit la jument ailée avec un calme royal.
Ah.
D’accord.
Au moins, la réponse était claire (et au moins Celestia semblait-elle plus instruite de l’art de communiquer à distance entre gens civilisés, peut-être allaient-ils pouvoir progresser). Cela expliquait aussi pourquoi le communicateur intégré à sa montre refusait de fonctionner depuis qu’il avait atterri sur cette planète de dingues.
— Dans ce cas, qu’utilisez-vous comme moyen de communication à longue portée ? répliqua-t-il.
Celestia plissa les yeux.
— La magie, répondit-elle. Mais je suppose que ce n’est pas la réponse que vous attendez.
— Pas lorsqu’on évoque les ondes électromagnétiques dans la même conversation, non…
La princesse parut réfléchir aux différentes options qui s’offraient à elle.
— À condition que votre vaisseau soit en portée optique, je peux envoyer un signal lumineux, annonça-t-elle finalement.
Harlock fit un rapide calcul. En deux jours, l’Arcadia avait largement eu le temps de rejoindre l’orbite de cette foutue planète. C’était donc jouable et certainement plus efficace que laisser Tochiro scanner la surface à sa recherche.
— Ça se tente, répondit-il.
— Bien.
Sauf que la neige avait amené les nuages (ou l’inverse). Pour espérer établir une connexion optique, il faudrait attendre une éclaircie. Et puis comment Celestia comptait-elle s’y prendre ? Rien à Ponyville n’était susceptible de lui fournir assez d’énergie !
Celestia le toisa avec hauteur. Harlock se demanda quelle information lui avait échappé.
Puis il recula inconsciemment lorsque la princesse déploya ses ailes, se dressa vers le ciel, s’illumina d’un halo doré et généra une boule éblouissante à la pointe de sa corne.
Le rayon lumineux transperça les nuages.
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