Pour les poneys d'Equestria, la princesse vivait au palais. Elle régnait depuis son trône et ne s'en éloignait que pour les affaires les plus graves. Ils n'imaginaient pas qu'elle puisse prêter attention à leur petit village, encore moins se mêler à eux sur la terre battue des grandes places ou dans leurs granges, parmi la paille des récoltes. Aussi les visites royales avaient quelque chose d'incroyable, d'unique et d'excitant.
On demandait sans cesse à la maire comment elle avait pu convaincre la princesse Celestia de s'intéresser à la rénovation de l'école campagnarde, toute pimpante et couverte de banderoles, et la vieille jument au pelage céleri riait de cette naïveté.
Quant aux pouliches, écoliers et écolières qui venaient par le chemin avec leurs sacoches, elles n'y comprenaient pas grand-chose sinon qu'il n'y aurait pas cours ce jour-là.
Et ça leur suffisait.
« Vous êtes toute pâle » remarqua la maire de sa voix chevrotante, en s'approchant de la professeure de l'école, madame Nitpick, « ne me dites pas que vous avez veillé toute la nuit ! »
Nitpick se frotta les yeux du sabot et offrit un sourire épuisé.
« Je veux juste que tout soit parfait. » Avoua-t-elle. « C'est égoïste mais… aujourd'hui est mon jour ! Et je veux qu'il soit le plus beau de ma vie ! Après mon mariage bien sûr » glissa-t-elle par prudence.
Puis elle tourna le regard, presque par habitude, du côté des petites qui traversaient les poneys du village réunis devant l'école, le pelage brossé et propret, certains en habits des grands jours, aux côtés des tables et des bouquets. Au milieu de tout cela, les écolières se sentaient presque de trop et se pressaient de passer pour gagner les marches du porche.
Elle nota parmi elles, avec satisfaction, non seulement comment elles avaient soigné leur tenue mais comment Punchline s'était occupé de la mascotte, monsieur Kiwi, et l'emportait sur sa crinière à l'intérieur de l'école.
Après quoi elle se renfrogna, s'excusa auprès de la maire et trotta jusqu'à Ringabell.
« Ringabell, » dit-elle d'une voix un peu sévère, « tu sais que la princesse va venir visiter notre école, n'est-ce pas ? »
La petite pouliche s'arrêta et regarda l'enseignante avec étonnement.
« La princesse doit nous voir sous notre meilleur jour, » affirma Nitpick, « alors je te demanderai de 'ranger' ta sacoche dans ton banc. Par respect. »
La petite pouliche baissa les yeux et dit : « Oui madame Nitpick. »
« Très bien. » Se détendit la professeure. « Et tu seras sage, n'est-ce pas ? Je peux compter sur toi ? »
« Bien sûr. » Dit la petite. « Je serai sage comme une image. »
L'enseignante hocha la tête puis pressa son écolière de monter les marches. La maire rejoignit Nitpick soulagée qui souriait à présent, presque radieuse, comme si les craintes qui ne cessaient de ramper dans tout son corps s'étaient atténuées.
« Ringabell est ma meilleure élève, » glissa-t-elle à la vieille jument, « sage, curieuse, souriante… Vous croyez que la princesse la remarquera ? »
Elles n'eurent pas vraiment le temps de continuer.
Une habitante venait de se poser et annonçait l'arrivée du char céleste, doré et argenté, tiré par quatre gardes et qui serait là d'ici quelques minutes. On se mit à s'agiter, on vérifia les banderoles, on dégagea le chemin de terre devant les piquets peints de blanc et Nitpick alla sonner la petite cloche.
Puis le char apparut, étincelant dans le ciel, et alla se poser sur le chemin, au milieu des habitantes émerveillées. Le char était plus beau qu'on ne le leur avait décrit, les gardes plus superbes encore dans leurs cuirasses, avec les livrées de leurs selles et ces harnais qui les rendaient redoutables. Mais tous les regards étaient pour la princesse Celestia, alors même qu'elle descendait du char, qu'elle posait ses sabots chaussés d'or dans la terre molle du chemin, pour cette princesse de nacre à la crinière boréale. Elle était gracieuse, elle était superbe et elle offrait un sourire aimable et radieux.
Nitpick la regarda depuis l'entrée de l'école, nerveusement, sans oser bouger, inquiète de faire la moindre bêtise, tandis que la maire allait saluer Celestia. Elle regarda la vieille jument plaisanter avec la princesse, supposa que c'était normal puis paniqua en voyant l'alicorne venir vers elle. Le regard de la princesse était sur la professeure ; son coeur bondit ; elle débattit avec elle-même, comme elle l'avait fait depuis trois soirs, pour savoir si elle devait faire la révérence.
Celestia s'arrêta au bas des marches, si bien que leurs visages étaient à peu près à même hauteur. Elle lui sourit, enchantée.
« Nitpick, c'est un plaisir de te revoir. » Se réjouit la princesse. « J'aurais dû me douter que tu deviendrais une maîtresse d'école. »
« Hein ? Oh ! » Balbutia la terrestre prise de court. « Oui ! Moi aussi, pour le plaisir, ce l'est aussi, plus ! Moins ! Je veux dire, vous êtes très jolie ce matin… »
Les derniers mots moururent dans le sourire figé et désespéré de Nitpick, mais Celestia se contenta de masquer son petit rire derrière un sabot poli et de reprendre, tranquillement, pour lui demander des nouvelles : ce qu'elle devenait, si elle était heureuse comme professeure, et son calme et sa patience permettaient à la terrestre de répondre alors même qu'elle s'affolait intérieurement, comme sous la pression d'un interrogatoire.
Aussi lâcha-t-elle brusquement : « Et si nous rentrions ? Dans l'école, pour la visite, vous devez être impatiente de découvrir la classe ! »
Celestia sourit aimablement et hocha la tête, au soulagement de Nitpick qui se dépêcha d'ouvrir la porte.
La porte résista, la faute aux écolières agglutinées contre pour écouter et guigner dans l'entrebâillement. Sous l'effort, toutes s'égaillèrent et galopèrent jusqu'à leurs places, si bien que quand la professeure fit entrer Celestia, cette dernière découvrit le lieu trop propre, nettoyé avec frénésie, empli de bouquets de fleurs partout où il y avait de la place et avec un tableau vert pomme dont on avait retiré la craie. Toute la craie.
« Cette école est superbe, » s'enthousiasma la princesse, « mes félicitations ! »
Elle regarda du côté de la cage en verre où la mascotte, monsieur Kiwi, continuait de se rouler dans la paille pour faire disparaître l'odeur du savon. Puis elle remarqua la quarantaine de regards étonnés et émerveillés tournés sur elle.
« Bonjour, » salua-t-elle d'un ton amical, « est-ce que je peux entrer ? »
Quelques élèves hochèrent docilement le museau. Elles regardaient l'alicorne, ses ailes et sa longue corne blanche, et derrière la corne, la couronne d'Equestria. Tout le village savait pour la visite, et pourtant les petites ne réalisaient qu'à présent véritablement que cette haute et noble jument était la dirigeante du royaume, celle qui veillait sur les terres et qui levait le soleil.
La princesse revint à monsieur Kiwi et s'enchanta.
« Vous avez même une mascotte, » se réjouit-elle, « comment s'appelle-t-il ? »
La pouliche la plus proche de la princesse, au dernier rang et comme courbée sur son banc répondit d'une petite voix : « Monsieur Kiwi. »
« Monsieur Kiwi. » La remercia Celestia avec douceur. « Quel nom adorable. »
Et elle alla trotter du côté de la cage, ce qui tira la professeure Nitpick de son nuage. Nitpick avait été étourdie par les félicitations, perdue dans la joie du jour parfait, si bien que détachée du monde elle ne s'était rendue compte de rien et prit peur en sentant Celestia s'éloigner. Elle se précipita pour réparer ça, sans se rendre compte qu'elle coupait le chemin à la princesse, et proposa de la présenter à la classe :
« Je suis sûre que la classe adorera vous entendre, peut-être écouter une histoire ? » Et la terrestre se précipita jusqu'à son bureau, d'un trot bien trop vif, pour en tirer plusieurs ouvrages, le conte chevauchant le livre de maths.
Celestia la suivit paisiblement, avec un bref regard dépité du côté de monsieur Kiwi, puis observa la professeure s'agiter toute seule.
« Si vous avez le temps bien sûr, » se corrigea Nitpick avec crainte, « je comprendrais tout à fait si vous ne vouliez pas. »
« Je serais très heureuse de pouvoir rester un peu plus, » lui assura Celestia.
Soulagée, Nitpick s'avança et se mit à présenter la princesse à la classe, ce qui fit soupirer les pouliches. Elles savaient déjà tout cela, elles voulaient voir et entendre la princesse, elles auraient voulu se lever pour toucher le pelage et porter la couronne. Aussi n'écoutèrent-elles pas un mot de ce que leur dit leur professeure.
Celle-ci ne s'en rendit pas compte et toute à sa joie d'être en présence de Celestia elle se détourna pour aller récupérer son livre de contes.
À cet instant, saisissant l'occasion, une pouliche leva le sabot. C'était Ringabell, qui s'était retenue de le faire tout le temps où l'enseignante avait parlé, qui avait sans doute été la seule à l'écouter et qui, à présent, trépignait et gigotait la patte.
Celestia la remarqua et pointa son sabot vers elle :
« Comment tu t'appelles ? » Demanda-t-elle, amicale, mais vraiment amicale, avec le même ton qu'elle employait auprès de la professeure.
Ringabell ne s'en rendit pas compte, mais y gagna en confiance. « Ringabell ! » S'exclama-t-elle un peu fort. Elle s'en voulut et ne sut pas pourquoi elle avait réagi comme dans le préau.
De son côté la terrestre s'était comme hérissée et, le livre entre les dents, elle regardait l'échange se faire. Ce n'était pas de l'inquiétude, plutôt de la jalousie, la princesse prêtant attention à une autre qu'elle. Nitpick calculait déjà l'instant où elle pourrait s'interposer pour donner le livre à la princesse et se surprenait à détester l'écolière et son flot de questions.
« Ringabell, c'est un joli nom. » Constata la princesse, avant d'ajouter, curieuse, « tu avais une question ? »
« Oui, » s'enhardit la pouliche, « c'est vrai que vous avez le droit de vie et de mort sur nos crinières ? »
L'idée fit sourire la princesse, et se tendre Nitpick.
« Non, aucun poney n'a ce droit et aucun poney ne l'aura jamais. »
Mais déjà Ringabell agitait à nouveau la patte, ce qui fit grogner ses camarades autour d'elle. La princesse lui fit signe de parler.
« C'est vrai que vous avez mille ans ? »
« Un peu plus en fait. » Nota Celestia avec amusement. « Je parie que tu as d'autres questions ? »
Toute la classe soupira, enseignante incluse, alors même que la pouliche s'excitait depuis son banc et s'empressait de répondre :
« Maman dit que c'est vous qui envoyez les cigognes pour porter les bébés, mais c'est faux tout ça pas vrai ? »
« Bien sûr. » Réagit la princesse d'Equestria. Il y eut presque quelque chose d'outré dans sa voix. « Ce ne sont que des histoires. »
« Alors comment ils naissent les bébés ? »
« Ringabell ! » Céda Nitpick en lâchant son livre.
L'enseignante n'en revenait pas qu'une de ses élèves ait eu l'audace de poser cette question à la princesse solaire. La pouliche elle-même y songea un bref instant et sentit qu'elle avait fait une bêtise, mais se convainc qu'elle voulait savoir et le reste de la classe, se réveillant soudain, dressa l'oreille. Ils se moqueraient sans fin de Ringabell « qui croyait aux cigognes ».
Celestia s'avança d'un pas céleste en direction de Ringabell, le regard englobant la classe, doux et aimable, alors qu'elle répondait :
« Les bébés naissent dans les choux. Le chou cherche ce qu'il y a de meilleur dans la terre et l'accumule en son coeur… »
Un poids de déception s'abattit sur la pouliche qui entendit les premiers gloussements autour d'elle, alors même que la princesse lui rabâchait les mêmes histoires que les adultes inventaient pour ne pas avoir à répondre. Elle était déçue, parce qu'elle savait que c'était faux, puis elle se sentit trahie comme par une amie à qui elle se serait confiée, à qui elle aurait fait confiance. Alors la petite, coupant Celestia, se mit à bouder :
« C'est n'importe quoi. » Affirma-t-elle, et Nitpick s'empourpra en la voyant couper la parole à la princesse Celestia. « Les bébés ne naissent pas dans les choux. »
Celestia s'arrêta, surprise, presque choquée, et se renfrogna. Pour la classe, pour l'enseignante, pour la petite foule dehors qui essayait de guigner aux fenêtres, ce froncement ne signifiait pas grand-chose, juste du mécontentement qui venait assombrir la journée parfaite de Nitpick.
« Je dis la vérité. » Affirma Celestia.
« Et moi je sais que c'est faux. » Grogna la petite.
Celestia s'approcha et, souriante à nouveau, avec une sorte de mansuétude, s'arrêta juste à côté de la petite pour répondre :
« Tu te souviens de ta naissance, Ringabell ? »
La question surprit la petite, qui secoua la tête. Celestia lui sourit un peu plus, comme pour la réfoncorter, avant de continuer.
« Je me souviens de la mienne. J'étais alors une toute, toute toute toute petite pouliche roulée en boule, toute menue avec mes petits sabots serrés contre mon museau. Le mâchonnement m'a réveillé, puis les feuilles qui me recouvraient ont été broutées une à une et j'ai pu voir mon oncle pour la première fois. »
Les gloussements s'étaient arrêtés, remplacés par une sorte d'incompréhension générale. Les yeux des pouliches, des poulains et de l'enseignante atterrée étaient aussi incrédules que si on leur avait dit que le soleil tournait par lui-même. Punchline, qui avait pourtant la réputation de croire n'importe quoi, semblait dubitative depuis le fond de la classe.
« Tout ça c'est des histoires pour pas avoir à avouer que tu me mens, » se fâcha presque Ringabell, « les bébés peuvent pas naître dans les choux. »
« Et pourquoi ça ? » S'enquit la princesse avec une pointe de retenue.
« Parce qu'un chou c'est petit et même si on est tout petit quand on est petit on n'est pas assez petit pour rentrer dans le chou ! » Affirma la petite d'une traite.
Celestia se mit à rire de bon coeur. « Bien sûr, » confirma-t-elle, « les choux étaient plus grands à l'époque. Pas trop grands, non plus, à peu près la taille de ton banc. C'est comme le blé des champs, autrefois il poussait si haut que les épis touchaient ma corne, et maintenant ils grimpent tout juste jusqu'au poitrail. Si tu vas voir les betteraves de Sweetheart, tu noteras qu'elles ne sont pas toutes de la même taille. »
Pour les petites, qui connaissaient bien la fermière et ses champs de betteraves à sucre, il était naturel que la princesse la connaisse aussi.
Cependant Ringabell se fâchait de plus en plus, presque à en avoir des larmes, pas parce que c'étaient des histoires mais parce que la princesse continuait à lui mentir. Elle aurait juste voulu se taire ou sortir de la classe, mais elle voulait que la princesse s'excuse, et elle ne supportait pas l'idée que même les princesses lui mentent.
« J'ai jamais vu de chou qui fait la taille de mon banc ! »
« Tu n'as jamais vu de zèbre non plus, je me trompe ? » Demanda Celestia d'un ton soucieux, presque désolé, presque suppliant qui désarma la petite. « Tu ne m'avais pas vue avant notre rencontre, mais ça ne veut pas dire que je n'existais pas. »
Puis la princesse se tourna vers le reste de la classe et reprit son pas gracieux entre les bancs.
« Pour qu'un chou puisse être assez grand, il faut que la terre soit très riche. Les choux que vous connaissez sont cultivés dans des jardins, c'est pour ça qu'ils sont tout petits. Les choux où naissent les petites pouliches se trouvaient dans les plaines, là où le sol était le plus riche. »
Elle s'arrêta devant la cage de monsieur Kiwi qui grignotait alors, insouciant, et qui cessa pour se tourner face à l'alicorne. Le lapin hésita, s'approcha et regarda le sabot posé contre le verre.
Puis Celestia se retourna et fit signe à un poulain tout à l'avant de la classe qui, surpris qu'elle ait pu le voir, baissa hâtivement sa patte et mit une seconde avant de poser sa question.
« Mais si on naît dans les choux alors on serait des légumes. »
Cette idée fit rire Celestia. Elle secoua doucement la tête.
« La pouliche naît dans un chou mais n'est pas un légume. La poule naît dans un oeuf mais n'est pas une coquille. Monsieur Kiwi vit dans une cage en verre mais c'est un adorable petit lapin. »
Et ce disant elle frotta son museau contre le verre, comme pour caresser la mascotte dont la tête était penchée devant ce comportement.
« Mais c'est stupide ! » Grogna Ringabell. Elle en voulait moins à la princesse à présent qu'elle ne cherchait à prouver qu'elle avait raison. Et elle savait avoir raison. « Pourquoi on naîtrait dans les choux, d'abord ? »
« Pour n'être pas seule à la naissance. » Répondit Celestia sur le ton de l'évidence. « Les poneys aiment les choux, surtout quand ceux-ci sont gros et bien sucrés, alors ils viennent manger le chou, feuille par feuille, et ils trouvent à l'intérieur une petite pouliche ou un petit poulain tout menu et roulé en boule, avec ses petits sabots contre le museau. L'adulte vient de manger un chou bien sucré, il est heureux et enclin à protéger la petite. Et la petite, à la naissance, voit le visage d'un poney souriant. C'est un moment magique qui lie deux poneys pour la vie ! »
La classe regarda la dirigeante d'Equestria énoncer cela comme une certitude, avec joie, et caresser le petit lapin du museau alors qu'elle le gardait posé sur le dessus de son sabot, hors de la cage, et qu'il se laissait faire, tout ronronnant de plaisir.
C'était tellement insensé que les petites ne savaient plus quoi dire. Nitpick, les pattes en coton, regardait faire et essayait de comprendre ce qui se passait. Dans ce temps où la classe restait muette, la professeure se jura d'intervenir, de remettre les choses en ordre et de mettre fin à la visite avant que, songeait-elle avec angoisse, la princesse ne se ridiculise. Elle ne pouvait pas sérieusement croire que ces pouliches se laissaient encore avoir par ces histoires.
Ringabell se répétait en boucle que c'était stupide, que la princesse se moquait d'elle.
Puis, du fond de la classe, avec une petite voix, Punchline demanda : « Mais la mère, elle est où ? »
Celestia prit le temps de reposer monsieur Kiwi dans sa cage avant de se détourner pour répondre, satisfaite :
« Ça n'existait pas encore, à l'époque. Les mères sont apparues plus tard, quand les choux sont venus à manquer. »
« Les choux sont venus à manquer ? » Ne put s'empêcher de demander Ringabell.
« Il y avait de plus en plus de poneys pour manger les choux, et comme ils les mangeaient il y avait de moins en moins de choux. On trouvait toujours moins de petites pouliches, et moins les juments en trouvaient, plus elles les cherchaient. Le désir devint si fort que leur coeur changea et qu'elles se mirent à faire naître les bébés. »
« Comment ? » Insista Ringabell.
« De la même manière qu'un chou, » répondit la princesse, « en accumulant le meilleur qu'elles trouvent dans leur coeur, et le meilleur du meilleur devient une petite pouliche qui se glisse de leur coeur dans le ventre et y dort toute menue, roulée en boule, avec ses petits sabots contre le museau, en attendant que son père l'en fasse sortir. »
Elle revint au-devant de la classe, près du tableau vert pomme et de l'enseignante anéantie qui essaya de retracer dans sa tête comment cette pirouette avait pu être possible. Mais plus encore que cette explication improbable, c'était de voir la princesse si certaine de ce qu'elle affirmait qui laissait l'enseignante sans voix.
Ringabell, elle, était pensive, toujours à essayer de comprendre comment elles étaient passées des choux aux ventres des mamans, et secrètement épatée de donner du crédit à ce que, une poignée de secondes auparavant, elle rejetait catégoriquement.
À sa surprise, le reste de la classe réagit avant elle. Une question timide, puis une autre, et la princesse les accueillit tour à tour pour y répondre :
« Les animaux aussi naissent dans les choux ? »
« Oh non ! » Et elle énuméra : « Les abeilles viennent du miel, les rats viennent des déchets, les grenouilles des nénuphars… »
« Alors c'est l'amour de la maman qui donne vie au bébé ? »
« Oui… et aussi les légumes qu'elle mange. Par exemple le chou, c'est très bon le chou, et la betterave à sucre aussi. »
« Et il n'y a plus de gros chou du tout du tout ? »
« Je n'en ai plus vu depuis longtemps. Il y a trop de poneys maintenant, ils ne peuvent plus pousser assez avant qu'on ne les mange. »
Ringabell intervint à son tour, avec empressement : « Et si le chou est trop grand ? » Elle précisa, au regard étonné de la princesse : « Vous avez dit que le chou ne devait pas être trop gros non plus. Pourquoi ? »
L'alicorne resta songeuse un instant, avant de répondre :
« Si le chou est trop gros, le meilleur n'atteint plus le coeur et reste dans les feuilles, et la pouliche ne peut plus naître. Même si une pouliche y naît, alors les feuilles manquent de sucre et il y en a beaucoup. Les poneys n'en mangent pas assez pour atteindre la petite. Et puis… »
Elle se tut.
Elle baissa le regard, frotta un instant son sabot contre le sol et toute la classe attendit qu'elle continue, toute la classe tendue en avant par-dessus leurs bancs. Il leur sembla apercevoir, sous la crinière boréale, comme de la tristesse.
Nitpick était autant effrayée par l'attitude de la princesse que par la crédulité de sa classe. Elle se secoua et décida d'intervenir enfin :
« Je crois qu'il serait temp- »
Elle fut coupée.
La princesse l'avait arrêtée et lui offrait un regard à l'amabilité infinie.
Puis Celestia se tourna vers la classe et reprit, avec un sourire qui cherchait à rassurer :
« Les choux trop gros étaient vraiment rares. Il fallait une terre particulièrement riche. Même les choux de bonne taille n'étaient pas si fréquents. On mangeait des choux tous les jours mais il pouvait s'écouler un an avant d'y trouver une pouliche. »
« Et les cigognes ? » Demanda le poulain au premier rang.
Celestia s'approcha de lui et lui frotta la crinière.
« Aucune cigogne ne viendra t'enlever, tu peux dormir tranquille. »
La princesse venait de s'éloigner vers les bancs quand Nitpick entendit frapper à la fenêtre et nota tous les visages des habitants à demi-cachés comme des poulains et qui lui faisaient signe. Elle ne comprit pas et fut surprise par l'entrée d'un garde qui, en cuirasse dorée, fit sursauter toutes les petites.
Le garde ne broncha pas et Celestia, à petit trot, alla vers lui tout en rassurant les écolières.
« Princesse, Raven vous attend. » Informa le garde.
La princesse hocha la tête et se tourna vers la classe, vers Nitpick particulièrement.
« Je suis navrée, j'aurais vraiment voulu vous lire une histoire mais le palais m'attend. J'espère vous revoir toutes, » glissa-t-elle en jetant un regard à Ringabell, « et n'oubliez pas de bien manger et de finir vos assiettes. »
Puis elle se retira et sans même réfléchir Nitpick se précipita après elle.
La professeure manqua de rouler au bas de marches, s'encoubla seulement, gigota et se retrouva tremblante sur le chemin de terre, face à la princesse qui, arrêtée au milieu de la foule des habitants, revint vers elle avec curiosité.
« Oui, qu'y a-t-il ? » Demanda Celestia avec douceur.
« Princesse, » souffla la terrestre encore sonnée, « je devais juste… je voulais… vous savez que tout ça est faux ? » Et devant le regard interrogateur de l'alicorne : « Que les bébés… que ça ne fonctionne pas comme ça… »
Pour elle il était évident que la princesse le savait, forcément, et le contraire l'effrayait trop pour l'envisager : que la princesse ait perdu la tête.
Celestia continua de la regarder avec une sorte de mansuétude mêlée de curiosité, comme si elle attendait une précision, comme si elle pensait que Nitpick n'avait pas fini de parler. Elle l'encourageait en silence et ignorait les habitants qui, autour d'elles, ne savaient pas de quoi elles pouvaient bien parler, et qui empêchaient par leur présence Nitpick d'élaborer. Alors cette dernière luttait pour trouver comment le formuler sans risquer l'offense :
« Je veux dire… la biologie… l'acte… ce n'est pas… ce sont des histoires pour les enfants. »
Soudain l'expression de Celestia changea, comme une réalisation, et elle offrit à Nitpick un regard désolé, très touchant.
« Oh… Bien sûr. des histoires. Tu as raison, ce n'est pas bien de mentir aux enfants. »
Elle lui dit encore au revoir, salua la maire et prit le temps de le faire pour deux autres poneys dans la foule avant de remonter sur son char qui reprit le chemin de Canterlot, laissant Nitpick craindre que la princesse ne soit sénile.
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