Les vibrations de la cage d'ascenseur berçaient doucement la licorne, et son cœur se soulevait un peu à cause de la vitesse de l'engin, qui descendait les étages à grande vitesse, en témoignait les chiffres qui défilaient sur l'afficheur. Partie d'un des niveaux les plus hauts, elle devait se rendre presque au plus profond de la gigantesque structure, et malgré la rapidité de l'élévateur, le voyage était long. A peine moins d'une minute, soit largement le temps pour son esprit en mal de distraction pour vagabonder parmi des souvenirs lointains, mais étrangement d'actualité. Une journée de son enfance, passée dans une fête foraine itinérante entre manèges et stands de jeu. Mais la particularité de cette foire, c'était ses organisateurs, des singes. Il n'y avait pas de singe sur cette planète. Alors, au vue des merveilles que semblaient offrir le reste de l'univers, la pouliche s'était donné un objectif tout simple : un jour, elle irait dans l'espace.
L'ascenseur ralentit, dépassant le niveau zéro, et finit par s'arrêter complètement. Au moment où les portes s'ouvrirent, une voix féminine douce, presque séductrice, annonça : « Niveau moins trois : Baie d'amarrage militaire ». La licorne fit un pas hors de la cage, son regard fixé droit devant elle, et un sourire apparu sur son visage.
En face d'elle s'étendait un vaste hangar où se trouvaient amarrés à de grandes passerelles des vaisseaux de tailles et de formes diverses, en acier, en composite ou taillé dans d'autres matériaux plus ou moins communs. Mais le regard de la ponette se perdait au-delà, à travers la forme évanescente du champ de force qui délimitait la fin de la baie, et qui lui permettait de voir l'immensité du vide spatial.
Depuis ce hangar situé sur le flanc de la superstructure qu'on connaissait sous la dénomination de vaisseau-mère Milkytheus, Minty Hooves se dit qu'elle avait enfin réalisé son rêve.
Un chariot passant devant ses yeux la tira brutalement de sa rêverie, et elle se mit à regarder autour d'elle. Plus d'une centaine de créatures plus ou moins équestres se trouvaient ici, la plupart chargeant ou déchargeant des colis. Soudain, un griffon à l'air pressé passa à côté d'elle, ses plumes frôlant son visage, et il partit avec l'ascenseur, laissant la licorne et son paquetage sur le carreau. Secouant la tête, elle tira un papier de la poche de sa veste blanche par télékinésie et l'apporta devant ses yeux, puis chercha parmi les numéros de quai celui qui correspondait. Elle le trouva plus loin vers la gauche, et se mit en route, esquivant sur sa route toutes les personnes pressées, les dockers, les soldats, les administrateurs et autres personnages de la faune de cette baie qui courraient dans tous les sens sans faire attention à ce qui se trouvait devant eux.
Elle parvint enfin en vue du quai numéro trois, et commença à apercevoir le vaisseau qui y était amarré, une frégate toute en longueur, à la peinture aussi noire que l'espace, et dont le nom était écrit en lettre blanche mais trop petit pour qu'elle puisse le lire à cette distance. Elle s'en désintéressa, et se mit à chercher des yeux aux alentour du bâtiment. Elle finit par trouver ce qu'elle cherchait, en la personne d'un pégase âgé, à la robe bleue-grise et la courte crinière blanche coiffée en brosse, et habillé d'un uniforme bleu marine dans lequel il se tenait bien droit, avec toute la prestance qui était dû à son grade. Ce faisant, il était obligé de baisser la tête pour parler au terrestre avachi devant lui, mal rasé, une patte posée sur une palette remplie de caisses et le regard blasé qui roulait souvent des yeux. A côté du pégase en uniforme se tenait une licorne à la crinière brune rassemblée en chignon, la robe beige claire cachée en grande partie sous son uniforme rouge vif et qui semblait, contrairement au calme affiché par le pégase, sur le point de faire éclater un scandale. Minty s'approcha doucement, tendant l'oreille :
-Meh, j'veux bien m'sieur, tout c'que vous voulez, n'empêche que moi, on m'a dit d'amener ces trucs ici. Tenez, c'est sur ma fiche.
-J’entends bien, répondit le pégase, cependant, je le répète, nous n'avons pas commandé ces caisses.
-Ouais mais moi, j'ai des comptes à rendre, m'sieur, et j'ai pas toute la journée.
-Mais nous non plus ! explosa la licorne. Et nous n'avons pas de temps à perdre avec un chargement égaré venant d'on-ne-sait-où !
-N'a tous nos p'tit problème, m'dame. Moi j'perds mon salaire avec vos conneries.
-Notre mission est un tout petit peu plus importante que votre salaire.
-Vot' mission nourris pas mes gosses, m'dame, alors je vous laisse c'te chargement et vous voyez ça avec mes supérieurs.
-Mais puisque nous n'avons pas le temps ! tempêta la licorne. Vous...
Elle fut interrompue dans sa phrase par un sabot levé du vieux pégase.
-Second Strict Order, je vous demande de vous tempérer. S'énerver ne nous sortira pas de cette situation.
-Mais je...
L'étalon tourna sa tête vers elle, et la licorne resta muette un instant, avant de baisser la tête.
-Oui mon commandant.
-Bien. Quand à vous, monsieur, laissez ça ici puisque c'est votre travail, mais si dans un quart d'heure, cette palette n'a pas disparue, je contacte votre chef pour signaler votre ingérence dans des affaires militaire.
-Quoi ? Qu'est-ce que vous racontez ?
-Pour vos enfants, je vous suggère de vous dépêcher. L'heure tourne, monsieur Lazy Beaver.
-Mais j'suis censé faire quoi pour cette palette ?
-Soyez imaginatif. Vous avez bien un collègue ou deux qui ne font rien à cette heure.
Et, sur ce, il se détourna de l'ouvrier, accompagné de la licorne. Le terrestre resta bouche bée quelques secondes, puis pris un air mauvais et s'en alla en maugréant. Cependant, Minty ne s'attarda pas sur lui, car le pégase l'avait remarqué, et l'observait avec un air curieux. L'autre licorne s'en aperçu, et fronça des sourcils.
-Vous nous écoutiez ? dit-elle d'un ton accusateur.
Surprise par l'animosité de la jument, Minty resta interdite une seconde, mais le pégase s'interposa et lui dit d'une voix calme :
-Docteur Minty Hooves, je présume ?
La licorne à la robe argent porta un sabot à sa tempe, et dit :
-Oui commandant. On m'a affecté au poste de médecin de bord sur votre navire.
L'autre ponette détailla Minty, sa robe, sa crinière turquoise claire rassemblée en une queue de cheval, mais surtout son uniforme blanc sur lequel était cousu une croix rouge. Son visage prit immédiatement un air plus serein. Le pégase continua :
-Veuillez excuser la méfiance de miss Order, mais vous comprendrez bien vite cette paranoïa. Vous avez ce que j'ai demandé ?
-Oui, monsieur.
Minty tira alors un petit carton d'une de ses poches, sur lequel était marqué un mot de passe, et le tendit au pégase. Celui-ci tendit la patte pour le prendre, mais au moment où son sabot allait le toucher, Minty décocha un trait d'énergie et vaporisa le message. L'étalon eut un grand sourire.
-Bien, on vous a donc mis au courant du petit rituel d'entrée.
-Oui, monsieur. Même si j'avoue ne pas très bien comprendre.
-Pourquoi on vous a remis un message avec un mot de code, en vous demandant expressément de le détruire sous mes yeux une fois que je vous l'aurais demandé ?
-Oui, monsieur.
-Et bien, disons que vous vous soyez fait capturé par un espion ennemi, qui aurait décidé de prendre votre place. Il vous aurait fouillé, aurait trouvé le carton, et qu'aurait-il fait ?
-Il... Euh... Il se serait présenté à vous ?
-Oui. Et ?
-Il... Vous aurait dit le mot de passe ?
-Ou m'aurait donné le carton, sans toutefois savoir qu'il fallait le détruire. Et s'il avait choisi l'une de ces deux solutions, nous l'aurions repéré et mis hors d'état de nuire. Puis nous serions partis à votre recherche, bien entendu.
-Ah ! Je crois que je comprends.
-Vous êtes au courant de nos activités ?
-Oui, monsieur.
-Mais en comprenez-vous toute la portée ?
-Euh... Que voulez-vous dire ?
Pour toute réponse, le pégase leva les yeux vers les lettres formant le nom du vaisseau, et demanda :
-Savez-vous à quoi correspond le nom de ce navire, miss Hooves ?
Minty leva rapidement les yeux, et répondit :
-Le Casparus ? Et bien... Je suppose qu'il fait référence à la mer de nuage de Caspar, sur Equestria Zéro.
-Et à la célèbre bataille qui s'y est déroulée.
-Mais, sans vouloir vous offenser... Il me semble que c'est une bataille que nous avions perdue, non ? Contre les Draconequus.
-Exactement. Notre flotte a été presque anéantie, ce jour-là, et nous sommes passé à un crin de perdre notre monde d'origine. Et savez-vous pourquoi ?
-Parce que les Draconequus nous ont attaqué par surprise, et en nombre supérieur ?
Le pégase se pinça les lèvres, et secoua la tête.
-Est-ce donc là ce que l'on apprend en cours d'histoire ? Non, non non. En réalité, nous savions très bien que les Draconequus nous attaqueraient là, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre flotte les attendait. Quand à la prétendue supériorité numérique...
Il soupira.
-Il ne s'agissait en fait que d'un seul vaisseau. Non, nous avions tout pour nous : le terrain était parfait, l'ennemi en sous-nombre, nous savions qu'ils allaient attaquer à cet endroit. Mais une seule chose nous manquait.
Il ferma les yeux, comme s'il se remémorait un souvenir.
-L'information. A l'époque, nous n'avions aucune idée de ce qu'étaient les Draconequus, et ne savions rien de leurs technologie. Nous n'avons été attaqué que par un vaisseau, dont le nom fait encore frémir de terreur les commandant de l'univers entier. Le Discorde, cela vous dit-il quelque chose ?
-Le célèbre vaisseau pirate ? Celui dont on raconte qu'il a semé le chaos sur une planète entière ?
-Et cette légende est malheureusement véridique, je l'ai vu à l’œuvre de mes propres yeux. Mais nous ne savions pas ce qui venait à notre rencontre, et nous l'avons pris à la légère. Il a fallu que les Princesses elle-même participent à la contre-attaque aux côté des réserves pour que nous puissions le repousser, et les pertes ont été lourdes. Si nous avions su avant ce qui allait nous tomber dessus, nous aurions choisi une tout autre stratégie.
Il désigna alors son vaisseau.
-Tel est le but du Casparus, et de son équipage. S'infiltrer au plus profond des lignes ennemies, recueillir un maximum d'information sur ce que nos troupes risquent d'affronter, et revenir avec suffisamment de morceau pour raconter ce que nous avons appris. Et si l'ennemi n'a même pas eu vent de notre présence, c'est encore mieux. Tout cela pour éviter de nouvelles catastrophes comme celle de la mer de Caspar. J'espère que vous comprenez à présent dans quoi vous vous engagez.
-Oui, commandant, acquiesça la licorne.
-Bien. Alors, avant de vous faire monter à bord, quelques règles pratiques : premièrement, je suis parfaitement au courant de mon genre et de mon grade, il est donc inutile de ponctuer vos phrase de « monsieur » ou de « commandant ». Je ne vous demande pas de m'appeler par mon prénom, mais nous gagnerions du temps en restant léger sur ce point. Deuxièmement, l'équipage du Casparus est constitué de quatre-vingt personnes chacune spécialisé dans un domaine, et chacun à toute autorité dans celui-ci. Autrement dit, si pour sauver la vie d'un soldat, vous devez me donner un ordre, gueulez-le moi à la figure et laissez tomber le grade. Et enfin, troisième et dernière règle, la plus importante.
Il planta son regard jaune dans celui de Minty, la faisant soudainement se sentir toute petite.
-Personne, je dis bien personne, n'est autorisé à mourir sous mon commandement, que ce soit de son fait ou de celui d'un autre. Nous serons quatre-vingt dans ce vaisseau quand il décollera, et peu importe l'état dans lequel il se posera dans deux mois, qu'il soit flambant neuf ou troué comme les pattes d'un Changelin, nous seront quatre-vingt à en descendre. Est-ce clair ?
Minty porta immédiatement le sabot à sa tempe, et tonna :
-Oui, Commandant !
-Bien. J'ai encore quelques formalités à régler avant le décollage, donc c'est mon second, mademoiselle Strict Order, qui vous fera la visite et vous montrera vos quartier. Profitez de votre temps libre pour prendre possession de l'infirmerie, car il s'agira de votre royaume dans lequel vous serez la maîtresse le temps de votre service parmi nous. Mademoiselle Hooves...
Le pégase salua.
-Bienvenue sur le Casparus.
Avec un sourire, Minty lui rendit son salut, et suivit l'autre licorne qui commençait déjà à se diriger vers le sas. La porte était fermée, et le second Order mit son œil devant un scanner, qui confirma d'une voix artificielle son identité, et enclencha l'ouverture. La licorne se tourna vers Minty, puis son regard porta plus loin, vers le pégase. Puis elle revint à Minty.
-Je crois qu'il vous aime bien. Et vous lui avez permis de raconter son histoire favorite.
-La flotte Equestrienne a vraiment été détruite par un seul vaisseau ? Ça paraît assez incroyable.
-Vous savez, s'il y a bien une personne que vous pouvez croire au sujet du déroulement réel cette bataille, c'est bien le commandant Battle Law.
Elles pénétrèrent dans le sas qui se referma derrière elles.
-Car c'est l'un des trois seuls survivants de ce massacre.
La porte s'ouvrit, et Strict Order invita Minty à entrer.
-... et voilà votre domaine exclusif : l'infirmerie. Normalement, les seuls poneys que vous verrez passer sont ceux qui ont mal digéré leur repas ou ceux qui veulent se faire dorloter par une jolie ponette en uniforme blanc. Ah ! Oui, et nous avons un membre d'équipage qui a un membre bionique, donc il a besoin de soins spéciaux, mais vous avez de toute façon la liste de l'équipage et des problèmes de santé éventuels qu'ils pourraient présenter. Le docteur Blüt, votre prédécesseur, vous a également laissé une note avec l'inventaire. Vous trouverez normalement tout ce dont nous pourrions avoir besoin, mais n'hésitez pas à nous signaler s'il vous manque quelque chose. Et avant le décollage, si possible.
Minty s'arrêta pour jeter un coup d'oeil autour d'elle dans la salle blanche, de taille moyenne, dans laquelle étaient installés trois lits et le matériel médical d'un côté, et une grande étagère de l'autre sur laquelle était posé derrières des vitres cadenassés tout un tas de produits et médicaments. Au fond, elle pouvait voir un autre sas ouvert derrière lequel se trouvait un bureau bien rangé, ainsi, visible seulement en partie de son point de vue, un module de régénération, un détail qui lui fit hausser un sourcil. Pour qu'un vaisseau aussi petit contienne une telle technologie, il devait avoir une grande importance. Le discours du commandant lui revint en tête, notamment le passage sur la mort des membres d'équipages.
« Personne n'est autorisé à mourir sous mon commandement, que ce soit de son fait ou de celui d'un autre ». En clair, les actes d'héroïsmes étaient interdit, et si un poney lui arrivait entre les pattes, elle devait tout faire pour le sauver à tout prix. Aussi aimable qu'il paraissait être, Minty sentait que le vieux pégase ne lui pardonnerait pas la perte d'un soldat.
-Bien, je vais vous laisser, fit Strict Order, faisant légèrement sursauter la licorne grisâtre. Après le décollage, quand la totalité de l'équipage sera présent, nous pourrons faire des présentations plus formelles.
-Au fait, j'imagine qu'il y a une raison à ce fait, mais je ne connais pas les détails de la mission.
Le second Order esquissa un sourire.
-Pour être honnête, moi non plus. Seul le commandant est au courant de tout les détails, pour éviter les fuites. Il m'a juste demandé de recruter l'équipage en fonction des spécialités demandées. Juste qu'il s'agit d'une mission d'infiltration, et qu'elle durera deux mois. Vous en savez à présent autant que moi.
Puis elle se détourna.
-Mais ne vous en faite pas, le commandant fera un briefing une fois en vol. Je dois vous laisser, maintenant. On se revoit tout à l'heure. Oh, et au fait... Désolée pour ma méfiance, tout à l'heure.
-Il n'y a pas de mal.
La licorne en uniforme rouge sourit, puis la porte de l'infirmerie coulissa derrière elle, laissant Minty seule dans la pièce silencieuse. Elle se mit alors en quête de la fameuse liste laissée par son prédécesseur, et trouva une tablette numérique en veille posée sur le bureau. Elle l'alluma, et vit qu'un fichier texte était déjà ouvert, contenant le message de bienvenue du précédant médecin de bord, ainsi que la liste des fournitures et des conseils pratiques, dont les identifiants de la tablette. Elle posa alors son sac sur le bureau, et retourna dans la salle de soin, et fouilla des yeux à travers les vitrines pour vérifier la correspondance avec les produits bien présents, tout en se remémorant ce dont elle avait besoin. Après un petit quart d'heure, elle avait terminé son inspection, et elle constata avec satisfaction que rien ne manquait ou devait être commandé. De son côté, elle était prête au décollage.
Elle poussa un profond soupir, faisant un nouveau tour de salle du regard. Voilà donc où elle passerait la majeure partie de ses deux prochains mois -et même plus, si elle devait être affectée de manière permanente au bâtiment. Enfin, elle avait bien entendu le droit de se promener dans le vaisseau, et elle se dit qu'elle pourrait peut-être en profiter pour faire connaissance avec le reste de l'équipage en attendant le décollage, d'autant qu'elle devait aller poser son sac dans ses quartiers.
Elle revint donc à son bureau, pris son paquetage, et ressortit de l'infirmerie. Celle-ci se trouvait à l'étage des quartiers, elle se dirigea donc au fond de celui-ci, où les cabines étaient située. La petite salle était tout juste assez grande pour les quatre lits et les casiers, et Minty posa ses affaires sur l'un des lits du bas, ouvrit son sac, et commença à tout ranger dans son casier. Il y avait peu d'affaires personnelles, juste quelques vêtements et surtout des livres. Elle en eut finit rapidement, ferma son casier sans le verrouiller -de toute façon, il n'y avait rien à voler- et s'apprêta à sortir quand la porte coulissa, et quelqu'un entra sans regarder, lui rentrant violemment dedans.
-Oups ! Pardon, fit une voix d'étalon.
-Il n'y a pas de mal, fit Minty en portant son sabot à son museau. Je sortais.
-Oui, désolé, fit le pégase qui se tenait devant elle, en se rangeant sur le côté pour la laisser passer.
La licorne le dépassa, mais elle sentait le regard du poney poser sur elle. Elle ferma les yeux avec un air exaspéré, priant les divinités du cosmos pour qu'elle ne soit pas obligée de partager la chambre avec un soldat en mal de pouliche, quand elle entendit derrière elle :
-Minty ?
Surprise que le poney connaisse son nom, elle se retourna, et constata la même surprise sur le visage de l'étalon, un pégase de couleur bleu pâle qui ne portait pas d'uniforme, aux yeux dorés perçants et à la crinière blonde coiffée, et mal rasé. Elle ne le reconnu pas tout de suite, cherchant sur ce visage une marque qui raviverait d'éventuels souvenirs, quand la lumière se fit dans son esprit.
-Ah ! Jumper ?
-C'est quoi c'temps de réaction ? fit l'étalon, l'air mi-amusé, mi-vexé. J'ai été aussi insignifiant dans ta carrière que tu ne te souviens plus de moi ?
-Non, désolé, c'est juste... Tu t'es laissé poussé la crinière ?
-Ouais, dit-il en louchant sur une de ses mèches. La coupe militaire, ça m'a rapidement gonflé. Et c'est pas évident pour draguer.
Puis il redescendit son regard sur la pouliche.
-Alors c'est toi notre nouveau médecin de bord ? T'as arrêté de couper les gens à la scie au moins ?
-C'était pas ma faute ! Et je ne l'ai pas coupé, ça l'a à peine éraflé ! s'emporta la licorne.
-Je sais, je sais, fit Jumper avec un sourire. Je te taquinais.
-Tu sais que j'aime pas qu'on me rappelle cet épisode, fit Minty avec une moue.
-Oui. C'est pour ça que je le fais.
La licorne roula des yeux en soupirant, puis tenta de changer de sujet :
-Alors toi aussi, tu es sur cette mission ?
-Ouais ! Tu trouves pas ça excitant ? Se plonger en plein cœur des lignes ennemies, se faire tout petit pour pas être repéré, faire du rase-motte pour éviter les radars pendant que nos gars jouent au espions sur le sol...
-Pour être franche...
Minty détourna les yeux.
-J'avais surtout demandé une mutation pour être sur des missions plus tranquilles. Pas être obligée de travailler dans des salles remplies de mourants.
-Ah ? Pourquoi ?
Le regard de la licorne se perdit dans le vague, elle poussa un profond soupir, et dit :
-J'étais sur Démentia.
Le pégase entrouvrit la bouche, puis se ravisa.
-Ah. Désolé.
-Pas grave.
-T'inquiète pas. Law connaît son boulot, et moi aussi. On devrait s'en sortir sans même être repéré.
Minty tiqua.
-Mais alors, c'est toi le...
-Le pilote ! Et ouais ! J'ai enfin réalisé mon rêve ! J'ai mon propre vaisseau qui m'obéit au fer et à l’œil ! Et avec Law comme commandant, j'ai même carte blanche sur la façon de faire. Il me pointe juste un endroit où aller, et le reste, c'est bibi qui décide !
Jumper frappa du sabot sur le sol.
-En plus, le Casparus, c'est le rêve de tout pilote. Il réagit au quart de tour et j'ai rarement vu plus rapide. Sans parler de son camoufleur thermique.
-Camoufleur thermique ?
-Et ouais. Un genre de bouclier qu'on déploie dans les zones à risque, qui bloque la chaleur à l'intérieur et nous rend indétectable avec les capteurs thermiques. En gros, avec ça et le propulseur silencieux, le seul moyen de nous voir, c'est de jeter un coup d’œil par le hublot. Et je sais pas si tu as vu, mais on a pas la peinture la plus repérable dans l'espace.
Son sourire s'élargit.
-En gros, on active ça, et je suis aux commandes d'un vaisseau fantôme. La première mission que j'ai faite, on est même passés au milieu d'une flotte entière de Sauriens, et ils ont rien vu. Bon, le générateur atomagique a fait la gueule après, mais cette tension... C'était le sabot.
Minty sourit devant l'air excité de son ancien camarade, qu'elle avait rencontré peu après son recrutement, et avec qui elle avait fait ses classes. A l'époque, c'était le premier qu'elle avait pu véritablement appeler « son ami », et il avait rapidement brisé les appréhensions de la licorne par rapport à l'armée. Il avait été son partenaire privilégié pendant la première année, mais Minty avait été plus attirée par la formation offerte à la suite de cet engagement, qui lui avait ouvert les portes de la médecine et lui avait permis de servir à bord du Milkythéus. Eye Jumper, lui, avait été fasciné dès son plus jeune âge par les vaisseaux spatiaux, et ils avaient rapidement perdu contact. Ce qui n'était pas étonnant, surtout si le pégase était dans les services d'espionnage.
-Et tu es sur le Casparus depuis quand ? demanda la licorne.
-Ça fait quatre missions, soit environs un an et demi. C'est rare que le Casparus part pour aussi peu de temps, généralement ça se compte par cinq ou six mois, mais vu qu'il n'y a plus de guerre depuis... Enfin, depuis la guerre de Démentia, je pense que ça sera juste une petite observation vite fait.
Il eut un sourire compatissant.
-Donc je pense pas qu'on doive faire face à beaucoup d'opposition.
-J'espère...
Les deux poneys restèrent silencieux un moment, puis Jumper regarda derrière lui.
-T'as déjà choisi ta couchette ?
-Euh, oui, celle en bas à droite.
-Okay, ben je vais aller à gauche, alors. Il paraît que je remue beaucoup en dormant. Allez, je te laisse maintenant. Et passe me voir au poste de pilotage si tu t'ennuies. Order est agréable à regarder, mais au niveau de la discussion, c'est pas ce qui se fait de mieux.
Il se retourna, et eut un frisson dans le dos.
-Brr, ça m'apprendra à tenter de draguer une supérieure, tiens.
Minty ne put s'empêcher un sourire amusé, puis la porte se referma sur l'étalon qui s'envolait pour la couchette du dessus. La jument resta un moment immobile, puis se dirigea vers l'infirmerie à nouveau. Sur la route, elle entendit sa tablette émettre un petit son indiquant qu'elle avait reçu un message et le sortit donc de sa veste, mais avant d'avoir pu le lire, la voix de Strict Order parla par les haut-parleurs disséminés dans le vaisseau.
-Bien, à présent que tout le monde est à bord et que les formalités administratives sont réglées, nous pouvons enfin nous préparer à partir. Alors tout le monde à son poste, nous devons être parés au décollage dans cinq minutes. Eye Jumper, vous êtes attendu sur le pont de commandement.
Puis le micro se coupa. Minty baissa les yeux sur sa tablette, et vit que le message contenait la liste de tous les membres d'équipages et les informations qui lui étaient utiles. Elle en fit une copie rapidement accessible, puis rangea l'appareil. Elle allait se remettre en route quand elle fut dépassée par une tornade bleue, et réussi à peine à reconnaître son ami qui cavalait jusqu'aux escalier qui menait à l'étage supérieur.
La licorne continua tout de même sa route, passant non loin du mess où elle vit un singe qui portait des ustensiles en maugréant, et finit par atteindre la salle de soin. Elle s'assit derrière son bureau, alluma son ordinateur, et commença à potasser sa liste alors que la structure se mettait à vibrer à mesure que les moteurs chauffaient, annonçant le décollage imminent.
Intérieurement, la petite pouliche qu'elle était autrefois sautait de joie comme lors de son premier voyage spatial.
Minty s'étira les pattes et fit rouler ses épaules, chassant la torpeur qui s'était installée au fur et à mesure des heures qu'elle avait passé sur son ordinateur. Elle cligna des yeux plusieurs fois, et se leva. La porte de son bureau coulissa, et elle pénétra dans l'infirmerie. Elle se dirigea vers le premier lit, où dormait paisiblement un terrestre. Elle l'observa un instant pour vérifier que tout allait bien, puis continua sa route pour sortir de la salle. Manque de chance, l'un des soldats avait fait une syncope lors du saut. Ça arrivait, certains ne supportaient pas le passage par les trous de ver. Minty avait dû faire un check-up de la plupart des membres de l'équipage, et avait distribué des aspirines à presque tout le monde. Heureusement, les réserves de ce type de médicament étaient toujours vastes sur les vaisseaux, notamment à cause des effets des sauts.
Mais pour l'heure, il n'y avait rien à signaler. Il n'était pas encore en territoire ennemi, et Jumper maintenait un rythme de croisière soutenu. A priori, ils atteindraient les enclaves sauriennes au cours du prochain jour-cycle.
Les poneys n'étaient pas en guerre contre les Sauriens à l'heure actuelle, mais la nature belliqueuse de cette race inquiétait les autorité Equestriennes, notamment au sortir de la guerre de Démentia. Ils avaient peur que les reptiles ne profite de la faiblesse des équidés pour lancer un nouveau raid, et le chef de guerre Garöoukk était connu pour son audace et son opportunisme. Une simple mission d'observation donc pour le Casparus, pour déterminer si oui ou non, il y avait matière à s'inquiéter et si des mesures devaient être prises. A l'heure actuelle, Jumper le guidait vers une planète de la frontière, reconnue pour être un repère de pirates en tout genre, et ainsi les agents qui seraient déployés au sol pourraient se fondre dans la masse hétéroclite et commencer à enquêter. La suite, Minty n'en connaissait pas tous les détails, mais en gros, ils allaient s'enfoncer de plus en plus loin, et surveiller d'autres chefs de guerre.
Pas d'engagement, pas de combat, juste de l'observation. La licorne sentait un poids s'alléger dans sa poitrine. Elle n'était pas un esprit faible, bien au contraire, mais ce peu de ceux qui ont été débarqués sur Démentia en sont revenu sans être choqués. Elle ferma les yeux, et s'obligea à oublier. C'était terminé, à présent.
Elle jeta un coup d'oeil à l'horloge de bord, qui indiquait qu'il était quatre heure douze. Il n'y avait à priori aucune urgence qui nécessitait sa présence, et elle se mit à marcher dans le vaisseau. Elle croisa quelques membres de l'équipage qui la saluèrent, et elle leur rendit leur salut. La plupart étaient des vétérans du Casparus ayant déjà servit sous les ordres de Battle Law de nombreuses fois et dont la place sur le vaisseau était presque assurée, d'autres des nouveaux venus au même titre que l'infirmière. Le pégase avait un fonctionnement étrange pour le choix de son équipage. Celui-ci n'était pas fixe, et le commandant dressait pour chaque mission une liste des spécialités qu'il estimait indispensable pour la réussite de leur entreprise, et Strict Order se chargeait de trouver les profils qui correspondaient. Il y avait bien sûr des postes qui revenaient à chaque fois, comme le chef, le médecin de bord ou le maitre artilleur, ce qui faisait que certains servaient plusieurs fois comme s'ils étaient membre permanent. C'était apparemment le cas du prédécesseur de Minty, qui avait finalement laissé sa place pour palier au manque de docteurs sur le Milkythéus à la suite de la guerre.
Ainsi donc, le maître artilleur, responsable des canonniers et du bon fonctionnement des armes du navire, était sur le Casparus depuis sa création, sept ans plus tôt, et était l'un de ceux qui le connaissait le mieux. De plus, il était très aimable, et était ravi de partager sa connaissance du vaisseau avec l'infirmière.
Celle-ci descendit donc d'un étage, où se trouvaient les salles des machines et quelques pièces de rangement, ainsi que les noyaux d'énergie et la salle de réglage des canons. Elle entra dans cette dernière, et y trouva un griffon penché sur un écran, plongé dans une intense réflexion. Il se grattait de dessous du bec avec sa griffe droite, dont les bruits de frottement des pistons et les roulements des moteurs étaient audible malgré les vibrations ambiante dues à la proximité de la salle des machines. Le volatile s'était fait arraché la patte il y avait quelques années de cela, et portait depuis ce membre bionique, ce qui lui valait une attention toute particulière du médecin. Cependant, il semblait ne pas avoir entendu la licorne, et celle-ci tenta de se faire remarquer :
-Hum... Garr... ?
Mais le griffon l'interrompu de sa patte levée.
-Attendez, je suis en plein calibrage, là.
Minty se tut, selon la règle qui voulait qu'un spécialiste était le maître sur son domaine, et elle regarda le griffon continuer de fixer son écran, et il tourna délicatement un bouton, d'abord dans un sens, puis il grogna et le tourna dans l'autre. Toujours pas satisfait, il revint un peu en arrière, puis, finalement, dans un mouvement d'humeur, il donna un violent coup de patte dans le panneau, et un sourire apparu sur son bec.
-Aaaah, ben voilà !
Finalement, il se retourna vers Minty, et lui fit un salut sommaire.
-Docteur, vous vous ennuyez tellement là-haut qu'il faut que vous veniez embêter un vieux griffon ?
-Ne jouez pas au jeune vieux avec moi, Garry, je connais parfaitement votre âge et votre état de santé.
-Petite voyeuse, répondit l'emplumé avec un sourire amusé.
Il désigna d'un mouvement de tête le panneau de commande.
-Désolé d'avoir été rude, mais ce genre de truc, c'est assez délicat à régler.
Minty prit un air dubitatif.
-J'ai vu ça.
-La pichenette fait partit des méthodes standards de réglage, vous savez ? C'est dans les manuels.
-Certes.
-On sort ?
Minty se décala de l'entrée, et le griffon la dépassa, puis elle le suivit. Il remonta à l'étage des quartiers de l'équipage, se dirigea vers le mess où il s'assit, et l'infirmière s'assit en face de lui.
-Bien, que me vaut l'honneur de votre visite ? demanda le griffon.
-Rien de bien méchant. Je voulais juste vous voir et vérifier l'état de votre patte.
-Vous savez, fit Garry en posant son membre bionique sur la table, vous n'êtes pas obligée de faire un check-up tous les jours non plus. A moins que ce soit juste une excuse pour me voir ?
-On va dire ça, dit Minty en souriant. Mais c'est surtout pour vous demander un conseil.
Garry haussa un sourcil.
-Lequel ?
-Le commandant m'a invité à dîner dans sa cabine ce soir, j'ai accepté, mais maintenant, je n'ai aucune idée de comment je dois me présenter.
-Vous avez une robe de soirée dans votre paquetage ?
-Quoi ? Non.
-Et bien vous êtes foutue. Il va vous jeter dans le vide spatial.
Garry avait gardé une tête sérieuse en disant cela, et Minty resta un instant dans le doute, puis fit une grimace en roulant des yeux, arrachant un sourire au griffon.
-Vous pensez vraiment que le commandant va vous faire une scène si vous vous ramenez n'importe comment dans sa cabine ? Nous sommes sur un navire de guerre, c'est à peine si la plupart d'entre nous ont ramené un uniforme de rechange ! Si vous avez des vêtements autres que votre blouse d'infirmière, mettez-les, arrangez votre coiffure si vraiment vous tenez à marquer l'aspect exceptionnel de l’événement, et je pense qu'il sera content comme ça.
-Ça arrive souvent qu'il invite des gens à dîner là-haut ?
-A chaque fois qu'un nouvel élément féminin est recruté. Le commandant est un vrai gentleman un peu vieux jeu. Et ne vous inquiétez pas, il ne vous draguera pas.
Minty eut l'air surprise.
-Hein ? Non, je ne pensais pas que...
-Que quoi ?
-Enfin... Je veux dire... Que quelqu'un tente de... Me séduire ici, fit-elle, les joues rougissant légèrement.
Garry eut à nouveau un sourire amusé.
-Vraiment ? Vous devriez vous y préparer un peu plus sérieusement, alors.
-Comment ça ?
-Alors, voyons : d'une vous êtes jeune et jolie, deux, vous êtes quatre-vingt-dix pour cent du temps en tenue d'infirmière, trois il y a peu d'éléments féminins sur ce navire et les autres n'ont pas pour métier de dorloter les malades. Il suffit de regarder autour de vous, Minty, vous faites tourner les regards plus que de raison.
Le rouge continuait de monter aux joues de la pégase.
-Il n'y a qu'à voir Eye, continua le griffon. D'ailleurs, à ce propos, vous sortiez ensemble pendant vos classes ?
-Hein ? Non !
-A la façon qu'il a de vous regarder, j'aurais juré que oui.
Minty se retrouva muette devant ces affirmations. Jumper ?
-Vous savez, les relations entre membres de l'équipage sont déconseillés, mais pas interdites. Sans compter que nous sommes tous des marins et des agents secrets, alors nous avons une notion de l'attachement très laxiste.
Il se mit à tapoter la table avec ses griffes en métal.
-Enfin, ce que j'essaie de vous dire, c'est que si à un moment, vous avez envie d'assouvir des besoins, ce qui est tout à fait naturel, du moment que ça ne détruit pas l'esprit de camaraderie, le commandant n'y verra rien à redire.
-Mais... Je... Je ne suis pas comme ça !
-Je le sais bien, Minty. Je vous met juste au courant de la façon dont ça se passe sur un vaisseau comme le Casparus. Les deux seules règles sont : pas de jalousies, pas de commérages.
La licorne baissa les yeux, les joues toujours en feu, intégrant doucement ce que venait de lui dire le griffon. Celui-ci sembla intrigué.
-Cette discussion vous gêne, Minty ?
-Non, non, c'est juste que... Je ne m'y attendais pas.
-Il va falloir vous habituer. Nous sommes sur un vaisseau rempli de soldats. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre que les deux sujets de discussion principaux entre deux phases d'alertes, c'est la fesse droite et la fesse gauche.
Minty laissa échapper un rire gêné, puis se reprit, tentant de se maîtriser.
-Désolée, je n'ai pas l'habitude d'être le sujet de ce genre de conversation.
-Vraiment ?
Garry se pencha sur la table, plantant ses yeux dans ceux de la licorne.
-Et bien vous êtes très jolie, Minty, et je casserais moi-même la figure à celui qui dirait le contraire.
Le rouge remonta immédiatement aux joues de la ponette.
-On... On peut parler d'autre chose ?
Le griffon eut un sourire en coin.
-Bien sûr. Revenons donc au sujet principal : votre dîner dans la cabine du commandant.
-Oui.
-Je crois que tout à été dis. Restez vous-même, il ne fait cela que pour renforcer les liens avec l'équipage. De toute façon, tant que vous ne faites rien qui n'entrave la mission du Casparus, il vous approuvera toujours quoi que vous fassiez.
Minty hocha la tête, et un silence s'installa entre les deux membres de l'équipage, entrecoupé des vibrations du vaisseau et surtout des bruits de vaisselle venant de la cuisine non loin. Le chef, un singe barbu très grossier, était en train d'insulter ses assistants qui, selon lui, « mettaient un bordel pas possible dans sa cuisine ». Son regard passa par-dessus l'épaule de Garry, et se perdit à travers un hublot qui donnait sur l'espace. Malgré la vitesse hallucinante à laquelle avançait le véhicule, rien ne bougeait dehors, comme s'ils étaient à l'arrêt. Garry suivit son regard et se retourna, observant ce que voyait la pouliche. Il sourit, puis se leva.
-Bien, j'espère que ce que je vous ai dit vous a rassuré pour ce soir. Je vais retourner à mes devoirs, et il me semble que vous avez un malade à chouchouter.
Minty sourit.
-Il dort, et pour être franche, il n'a pas vraiment besoin de moi. Mais vous avez raison, je dois retourner à mon poste.
-C'était un plaisir de vous voir, Minty. Et ne paniquez pas.
-J'en prends note.
Là-dessus, la licorne se leva, et se dirigea vers l'infirmerie non-loin. Elle entra dans la salle, pour y trouver le soldat relevé sur son lit, les yeux fixés au plafond. Quand la porte coulissa, il tourna la tête vers l'infirmière, et lui fit un vague salut. Minty le lui rendit, et s'approcha pour l'ausculter.
-Il s'est passé quoi, au juste ? demanda-t-il.
-Rien de bien méchant, vous avez fait une syncope lors du saut. Vous êtes resté évanoui une bonne journée.
-Et merde. J'ai loupé le briefing !
-Tout est là, le rassura la licorne en lui montrant une tablette. On pénètre les enclaves saurienne dans la matinée de demain, vous avez le temps de vous remettre à jour.
-Rien à signaler ?
-Non, vous êtes parfaitement apte au service. Je vais juste vous donner des cachets pour éviter les nausées, et vous devriez pouvoir sortir immédiatement.
Le terrestre acquiesça, puis se leva, dévoilant une longue cicatrice le long de sa patte postérieure gauche. D'après les notes qu'avaient reçu Minty, il s'agissait d'une vieille blessure de son enfance sur un monde encore sauvage. Elle donna ses médicaments à Brick Wall, et celui-ci repartit en la remerciant. Mais au moment où la porte se refermait, la licorne aurait juré qu'il lui avait jeté un dernier coup d'oeil en biais. Elle secoua la tête. Elle se faisait des idées, à cause du discours de Garry.
Mais qu'est-ce qu'il avait voulu dire au juste à propos d'Eye Jumper ? Cette question lui trotta dans la tête pendant le reste de l'après-midi. Elle n'avait pas vu le pégase depuis des années, et le connaissant, toujours à vouloir charmer les pouliches dans les bars où il allait faire la fête lors de ses permissions, il avait dû l'oublier pendant ce temps-là. Après tout, elle ne l'avait pas forcément marqué pendant leur service ensemble, en tout cas, rien de sentimental. Minty n'était pas exactement ce qui se faisait de plus féminin à l'époque, et avait un professionnalisme qui en refroidissait plus d'un. C'était d'ailleurs étrange qu'elle et Jumper se soient entendus si bien, car, à l'habitude des prétendants pilotes, le pégase était un soldat turbulent qui supportait mal l'autorité, soit l'inverse de la licorne. Lui aimait fréquenter les bars et boîtes de nuit dès qu'il avait des permissions, elle préférait se concentrer sur ses futures études. Lui était fainéant et se débrouillait pour faire le moins de corvées possible, elle obéissait à tous les ordres sans discuter. Et pourtant, il fallait l'avouer, ils avaient formé une équipe du tonnerre. Lors des exercices en binômes, c'était souvent eux qui s'en étaient sortis le mieux.
C'était d'ailleurs sûrement ce qui avait sauvé Eye de se faire virer. Le fait qu'avec Minty, il devienne très efficace. Mais ce partenariat n'avait rien à voir avec ce que sous-entendait Garry, plus encore, le pégase, pourtant porté sur la chair, n'avait jamais ne serait-ce qu'esquissé un mouvement pour séduire la licorne.
Alors pourquoi ça aurait changé ?
Minty tourna la tête vers un miroir installé dans la salle, et rencontra ses yeux mauves. Les paroles du griffon la plongeait dans le doute. Elle ne s'était jamais vraiment estimée jolie, et de toute façon s'en fichait éperdument. Au contraire des autres pouliches qu'elle avait rencontré en médecine, elle n'était pas taillée pour un magasine de mode, notamment à cause de sa musculature de soldate, qu'elle entretenait, par ailleurs, emploi de médecin de combat oblige (et le fait qu'officiellement, elle ait le grade d'adjudant-chef). Alors qu'elle se fasse dire qu'elle faisait tourner la tête aux poneys de ce navire, plus encore à celui qui avait le moins de raison de se retourner sur son passage, elle avait du mal à y croire.
Une idée saugrenue lui vint à l'esprit. Peut-être que Garry se sentait juste seul, et qu'il avait tenté de la séduire par des moyens détournés, en lui mettant dans la tête cette idée que les aventures sexuelles étaient permises sur le vaisseau. Cette pensée la fit sourire. Elle demanderait peut-être à Jumper si c'était une technique de drague reconnue.
Mais si Garry avait raison et qu'Eye...
Minty porta ses deux sabots aux tempes et poussa un râle d'énervement. C'était franchement pas le moment d'avoir des réflexions d'adolescente en mal d'amour ! Elle était en pleine mission d'espionnage, et devait rester concentrer.
La prochaine fois qu'elle verrait Garry, elle l'engueulerait, tiens.
Là-dessus, elle jeta un coup d'oeil à l'horloge de bord, et vit qu'il était temps de se préparer un minimum. Elle sortit de l'infirmerie, et se dirigea vers sa cabine. A l'intérieur, il n'y avait personne. Tant mieux, se dit-elle. Elle n'avait pas vraiment envie de se justifier sur sa toilette. Elle prit une serviette et se dirigea vers les douches, et fit couler l'eau, juste à la bonne température. Elle ferma les yeux un instant, goûtant au plaisir du liquide qui coulait sur sa fourrure, puis finalement se savonna rapidement. Une fois bien propre, elle retourna à la cabine toujours vide, et choisi parmi les vêtements qu'elle avait ramenés, ce qui limitait énormément le choix. Néanmoins, elle opta pour une chemise ajustée, qu'elle avait pris à tout hasard s'il fallait célébrer quoi que ce soit sur le navire, chose qu'elle avait entendu dire fréquent sur les bâtiments de cette taille. Elle se peigna rapidement, et hésita sur la coiffure qu'elle se ferait. Finalement, elle opta pour une simple et formelle queue de cheval, rangea ses affaires, et se tourna vers la porte. Mais celle-ci s'ouvrit devant elle, et quelqu'un entre, lui rentrant dedans.
Reculant en portant le sabot à son museau, Minty grogna :
-Faudra qu'on perde cette habitude de se rentrer dedans quand j'essaie de sortir de cette cabine...
-Ah, désolé, fit Eye Jumper. J'allais dormir un coup, vu que demain, on commence la partie difficile, et... Et...
Intriguée par l'hésitation de son camarade, Minty leva les yeux, pour le voir la bouche légèrement entrouverte, et les yeux qui parcouraient son corps de haut en bas, surpris. La licorne pencha la tête sur le côté.
-Ça va, Eye ?
L'étalon secoua la tête pour reprendre ses esprits.
-Désolé. Je suis pas habitué à te voir dans autre chose qu'un uniforme réglementaire. Tu vas chez le commandant ?
-Oui. Il m'a invité à dîner.
-Ah...
Le pégase se gratta une patte, comme gêné.
-Eye, t'es sûr que ça va ?
-Oui, non, c'est juste que...
Minty eut un sourire moqueur.
-Tu serais pas jaloux, j'espère ?
-Quoi ? D'un dîner avec le commandant ? Non ! En plus, ça serait... Bizarre...
La licorne ne compris pas ce que voulait dire l'étalon, mais celui-ci continua :
-Un dîner en tête-à-tête avec le commandant ? Non... Sérieux, merci, Minty. Tu m'a foutu cette image dans le crâne !
La licorne s'apprêta à lui demande ce qu'il entendait par-là, mais elle finit par comprendre, et éclata de rire. Il pensait qu'il devait être jaloux qu'elle ait eu une entrevue avec le commandant et pas lui !
Elle continua à s'esclaffer pendant une bonne minute, jusqu'à en avoir mal aux côtes, sous le regard mi-amusé, mi-perplexe d'Eye Jumper. Mais la réaction de l'étalon avait évacué un poids que la licorne portait depuis sa discussion avec Garry. Au moins, c'était clair : Eye ne la voyait que comme une camarade, une amie, rien de plus.
Elle réussit finalement à se maîtriser, et reprit son souffle.
-Ah ! Merci, Eye.
-C'était un plaisir. Même si j'ai pas bien pigé ce que j'ai fait.
-Pas grave, fit la licorne en le dépassant alors qu'il s'écartait. Bon, je file, je vais finir par être en retard.
-Okay. Ah ! Minty ! l'appela le pégase alors qu'elle était sortie.
L'intéressée se retourna.
-Si jamais il te demande si tu veux voir son animal de compagnie, dit non.
-Mais... Pourquoi ?
-Crois-moi. Refuse.
Là-dessus, la porte se referma, laissant à nouveau la licorne seule dans le couloir, et perplexe. Mais elle haussa les épaules, et se dirigea vers l'ascenseur. Elle trouva un interphone non loin, et composa le code de la cabine du commandant.
-Commandant ?
-Oui ? Qu'y a-t-il ?
-C'est Minty Hooves.
-Ah, juste à l'heure ! Montez, je vous attends.
La licorne entra dans la cage, et les portes se refermèrent derrière elle. Elle appuya sur le bouton correspondant, et l'ascenseur monta jusqu'à l'étage réservé au commandant de bord. Minty sortit de la cage, et frappa à la porte, qui s'ouvrit immédiatement. Derrière se trouvait le vieux pégase en tenue de soirée, qui s'inclina en lui souhaitant la bienvenue, et l'invita à entrer.
La cabine était spacieuse, dotée au milieu d'une table de bonne taille sur laquelle étaient déjà posé les couverts et les assiettes ainsi que la nourriture posée au milieu, et plus loin d'un lit double dont les draps n'avaient pas un pliure. Dans un coin se trouvait le bureau sur lequel était rangés de nombreux dossiers ainsi que l'ordinateur à l'écran éteint. Battle Law prit une chaise et l'écarta de la table, invitant la jument à s'asseoir, puis une fois que celle-ci se fut exécutée, il se posta de son propre côté de la table, et avec un mouvement du sabot l'enjoint à se servir. Minty acquiesça, et avec sa corne prit les couvert et les plongea dans la salade qui se trouvait au milieu de la table. De son côté, le vieux pégase l'observait, faisant hésiter la licorne.
Finalement, le pégase se servit à son tour quand la demoiselle eut fini, avec ses pattes, et dit d'un air amusé :
-On aura beau dire, la magie est quand même bien pratique parfois.
-C'est vrai, concéda Minty. Mais les pégase ont bien des avantages, eux aussi.
-Effectivement. Mais que dire alors de ces pauvres terrestres ?
-Je pense qu'ils ont suffisamment d'avantages qui leurs sont propres pour palier au manque de magie ou d'ailes. Ne serait-ce que leur robustesse.
-Oui, dit le pégase en hochant la tête. Quoiqu'il y ait quelques exceptions. Comment va le soldat Wall ?
-Bien, il s'est réveillé et est apte à reprendre le service, répondit la licorne juste avant de prendre une bouchée de salade.
-Très bien.
Le pégase prit une rondelle de tomate surmontée de mozzarella, et après l'avoir avalé, continua :
-J'ai entendu dire que vous vous étiez bien intégrée à l'équipage. C'est une bonne chose.
-Ce n'est pas très difficile. Il y a un véritable esprit d'équipe qui règne, ici, et la plupart des poneys sont aussi nouveaux que moi. Quand aux anciens, ils ont l'air toujours ravis d'aider.
-Se serrer les coudes est primordial sur des navires de cette taille, surtout lors de missions en loup solitaire. Mais c'est toujours bon de constater que la bonne entente règne. Je devrais remercier plus souvent mademoiselle Order, elle a un museau pour repérer les bonnes personnes. Au fait, j'ai appris que vous connaissiez déjà monsieur Jumper.
-Oui, nous nous sommes engagés presque au même moment, et nous avons fait nos classes ensemble.
-Il ne vient pas de la même planète que vous, pourtant.
-Oui, mais vu le peu de volontaires sur les deux mondes, l'administration a décidé de mélanger les groupes.
-Un coup de chance, alors. J'avoue que j'avais été sceptique au début, lorsque j'ai lu les états de service de notre pilote. Mais il faut avouer qu'il excelle dans son domaine, à condition bien sûr de le laisser faire ses cabrioles quand il le veut.
-Il en fait souvent ?
-Plus que de raison, mais ça amuse l'équipage lors des temps de repos, et ça nous sauve la vie pendant les combats, alors je ne peux même pas le réprimander, répondit le pégase avec une moue qui arracha un sourire à Minty.
-J'ai connu ça.
-Vous étiez proche ?
-Professionnellement, oui. C'était un excellent camarade, mais une fois mon engagement terminé, nous nous sommes perdus de vue.
-C'est souvent le cas. D'ailleurs, à ce propos, j'ai une question à vous poser.
-Oui ?
-Lors de discussion avec l'équipage, il parlait d'un épisode pendant son service, avec une camarade qui aurait eut un incident de chirurgie avec une scie...
Les lèvres de Minty se pincèrent.
-C'était moi, oui. Mais je n'ai jamais coupé ce poney en deux !
-Je m'en doute, sinon vous ne seriez pas là aujourd'hui. Mais je dois avouer que c'était une anecdote amusante.
-Plutôt la honte de ma vie.
-N'ayez pas honte de vos erreurs, mademoiselle Hooves, du moment qu'elles ne portent pas à conséquence. Au moins, vous savez vous servir d'une scie de chirurgien, à présent.
-Oui, mais j'ai toujours une petite appréhension...
Battle Law acquiesça en fermant les yeux, puis les rouvrit en fixant ceux de Minty, et son visage devint un masque de sérieux.
-Pour enchaîner sur les épisodes de votre carrière qui laissent des traces, je vais aborder un sujet pénible, mais qu'il est nécessaire d'exorciser. Je ne tiens pas à ce que notre médecin de bord se retrouve incapable d'agir au pire moment...
Il joignit les deux sabots, et Minty déglutit, appréhendant ce qu'allait dire le vieux pégase. Pour être exact, elle savait très bien de quoi il allait parler, même si elle aurait espéré qu'il n'aborde pas le sujet.
-Je sais très bien pourquoi vous avez demandé une mutation, continua-t-il, et pourquoi vous avez choisi le Casparus et une « simple » mission de reconnaissance. Même si je n'étais pas présent, j'étais à l'arrière des lignes ennemies pour couper leurs lignes d'approvisionnement, je suis au courant du carnage qu'a été la guerre de Démentia et les répercussions psychologiques qu'elle a eut sur beaucoup de ceux qui y ont participé. Et j'aimerais m'assurer que cela n'influe pas sur vos capacités.
-Il n'y a aucune influence, se défendit Minty. Je voulais juste une mission plus posée après avoir vécu ce front, mais je suis parfaitement apte à faire face à des situations similaires s'il le faut !
-Je n'en doute pas, mademoiselle Hooves. Mais je tiens à m'en assurer.
Battle Law plongea alors son regard dans celui de Minty, et lui dit :
-Racontez-moi ce que vous avez vu sur Démentia.
Minty se réveilla en sursaut alors que la porte de l'infirmerie s'ouvrait. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour en chasser le flou, et sa vision forma l'image d'un pégase bleu qu'elle reconnu tout de suite. Eye Jumper portait une tasse de café avec chacune de ses ailes.
-Désolé, je t'ai réveillé ?
-Oui, non... J'aurais pas dû dormir.
-Pas grave, on t'en voudra pas d'essayer de rester en forme.
-Non mais... Je sais pas... Je me sentais pas très bien.
-C'est la tension. Tout le monde se crève plus vite quand on attend sans savoir ce qui va se passer. Tiens, ça va te remonter.
Et là-dessus, il lui tendit une des tasses, que la licorne attrapa par magie. Elle commença à boire avidement, la boisson étant juste à la bonne température. Du coin de l'oeil, elle vit que Jumper buvait sa tasse toujours debout, et elle lui proposa de s'assoir. L'étalon acquiesça, et se posa à côté de la licorne.
-J'ai dormi combien de temps ? demanda Minty.
-J'en sais rien, j'étais pas là. Mais pour te donner une idée, ils sont partis depuis huit heures.
Ça faisait donc deux heures qu'elle dormait. Le Casparus était entré dans les Enclaves à six heure sur l'horloge de bord, et à peine une heure après, il était en approche de Marleïk, la planète-frontière. Jumper avait guidé l'engin jusqu'à faire du rase-motte au-dessus de l'unique océan de cette planète majoritairement désertique, et s'était posé à une centaine de kilomètre du principal spatioport, sans se faire repérer. Ensuite, des agents avaient débarqué, et s'étaient rendus audit spatioport pour récupérer des informations. Depuis, les membres d'équipages resté dans le navire attendaient.
Cette attente était différente de celle des jours précédents. Ils étaient désormais en territoire ennemi sans aucune autorisation, avec quatre poneys au milieu d'une ville remplie de pirate, d'esclavagistes et de sauriens qui, s'ils venaient à se faire repérer, mèneraient les ennemis droit sur le vaisseau. De plus, le Casparus était au sol, à l'arrêt, et si le moindre pépin devait arriver, ils n'auraient sûrement pas le temps de réagir. Et s'il se faisaient avoir, ça équivaudrait à une déclaration de guerre.
Bref, cette fois, les minutes étaient longues, la tension palpable parmi les membres de l'équipage, et Minty avait fini par succomber et s'endormir.
La licorne se frotta les yeux, tentant de chasser les brume du sommeil. La discussion avec le commandant s'était poursuivie jusqu'à assez tard, le vieux pégase tentant de lui soutirer un maximum d'informations et de détails sur ce qu'elle avait vécu et comment elle l'avait ressenti. Minty n'était pas du genre à être marquée par ce genre d’événements, mais il fallait avouer que les scènes qu'elle avait vécu l'avait secouée. Cependant, il en était ressortit qu'elle savait garder la tête froide, et ils avaient terminé le dîner sur une note plus légère.
-Ça va, Minty ?
-Oui. Je pensais juste au dîner d'hier, avec le commandant.
-Comment ça s'est passé ?
-Assez bien. On a parlé de ma carrière, mes projets, mes relations avec l'équipage, des conneries que tu racontais sur moi...
-Oh... J'en ai dit beaucoup ?
-Pas plus que d'habitude.
Jumper sourit, devant le regard faussement accusateur de la licorne.
-Enfin, quand il m'a proposé de voir son animal, j'ai refusé. Il n'a pas compris pourquoi, et moi non plus, en vérité. Mais je t'ai fait confiance.
-C'est gentil.
-Mais j'aimerais savoir quand même pourquoi.
Le pégase se frotta la nuque, un peu embarrassé.
-Tu es toujours phobique des trucs avec plein de pattes ?
Minty frémit, et hocha la tête pour acquiescer.
-Ben, Ouki, c'est un drarïïk, une espèce de gros serpent qui rampe dans son vivarium, et qui aime bien voir les invités du commandant. Très affectueux, pas méchant, mais...
-Mais quoi ?
-Les drarïïk, c'est pas des serpents. On dirait parce qu'ils gardent leurs pattes repliées contre leur corps la plupart du temps, mais des fois, pour aller plus vite ou agripper à leurs victimes, ils les déplient. Et ça a environs cent cinquante pattes, ces saloperies.
Minty commençait à avoir des sueurs froides tandis qu'elle imaginait la bête.
-Et ça surprend, quand ça déploie d'un coup, comme ça, toutes les...
-Stop !
Minty posa son sabot sur la bouche de Jumper, l'empêchant de continuer sa description.
-Pitié, stop.
-Mgnoké.
Minty retira son sabot, tentant d'oublier les images qui lui traversaient la tête, pleine de pattes et de... pattes. Ça suffisait amplement à la mettre mal à l'aise. Elle pouvait supporter un carnage comme Démentia, elle pouvait garder la tête froide dans une infirmerie dont le sol était rouge de sang, mais les myriapodes, rien à faire, elle ne pouvait pas. Jumper l'observant l'air soucieux.
-En plus, Ouki te saute presque dessus quand il te voit et...
Le pégase se prit un coup de sabot sur le crâne, l'envoyant presque s'éclater la mâchoire sur le bureau, et il se mit à rire devant l'air furieux de Minty, l'air apparemment très content de sa blague. La licorne, elle, hésitait à lui en remettre une deuxième couche.
-C'est. Pas. Drôle ! Tu le sais !
-Perso, je trouve ça marrant.
-Pas moi !
-Bon, okay, j'arrête.
-A la prochaine blague de mauvais goût, je t'interdit de séjour dans l'infirmerie.
-Oh, et j'aurais plus le droit à ma jolie infirmière pour moi tout seul ?
Minty s'apprêta à répondre, mais buta sur le mot « jolie ». D'un coup, les discussions avec Garry lui revinrent en tête, et elle se mit à regarder Jumper d'un air étrange, ce que le pégase repéra, et il haussa un sourcil, surpris par le manque de réponse de la jument.
-Je me répète un peu, mais ça va, Minty ?
-Hein ? Ah, euh, oui. Oui, oui.
-T'as l'air sur la lune. Façon de parler.
-Oui, non, c'est que je pensais à autre chose.
-Ça à l'air d'être grave.
-Non, je...
La licorne s'interrompit, puis prit une inspiration, décidée à tirer tout ça au clair une bonne fois pour toute.
-C'est juste que tu ne m'avais jamais décrite comme « jolie » auparavant.
-Peut-être parce que je ne le pensais pas.
Malgré le peu d'importance qu'elle attachait à son apparence, Minty ne put s'empêcher de se sentir légèrement vexée à cette remarque. Cependant, le pégase en face ne se démontait pas :
-Disons que pendant le service, t'étais pas exactement ce que je côtoyais de plus sexy, et les ponettes que je retrouvais au bar étaient beaucoup plus... « ouvertes ».
-Ouais... Forcément...
La jument soupira, et demanda :
-Mais j'ai pas autant changée pendant tout ce temps ?
-Pour être honnête, pas vraiment. Juste, l'uniforme d'infirmière te va mieux que le treillis, mais à part ça...
-Alors...
La licorne était un peu nerveuse d'évoquer tout ça devant Jumper, mais c'était à peu près la seule référence en la matière qu'elle connaisse. Malgré tout, elle continuait d'hésiter. Jumper semblait curieux.
-Alors quoi ?
-Alors...
Minty n'arrivait pas à formuler sa question. Ce n'était absolument pas son domaine, et elle ne s'y était jamais intéressée. Elle n'avait jamais ressentis le besoin d'être belle, de sortir avec un étalon, ou juste de faire l'amour. Elle était un peu vielle pouliche, mais s'en contentait très bien. Mais depuis qu'elle était sur le Casparus, sa perception d'elle-même avait changé, et elle ne savait plus sur quel sabot danser.
-Non, rien, c'est stupide, finit-elle par lâcher.
-Okay, répondit le pégase.
Il reprit une gorgée de café, et continua :
-Mais pour en revenir au sujet, je sais pas. Je sais pas si c'est l'uniforme, ou quelque chose dans ta coiffure, mais tu es jolie. En tout cas, je te trouve jolie, et crois-moi, je suis pas le seul. Tu te rends pas compte du nombre d'étalon dans l'équipage qui aimerait passer une nuit ou deux avec toi. Et du nombre de plans foireux pour aller à l'infirmerie qu'ils mettent en place. En plus, comme je te connais d'avant, ils me demandent tous des conseils.
-Et tu leur réponds quoi ?
-Que j'ai envie de te garder pour moi tout seul.
Minty ouvrit grand les yeux de surprise, mais se ressaisie rapidement, et replongea son museau dans son café. Elle se répétait qu'il n'était pas sérieux, vu le détachement avec lequel il disait tout ça. Elle se sentait vraiment comme une adolescente puérile, et ça l'énervait un tantinet.
-Tiens, puisqu'on en est à parler de ça, je t'ai jamais demandé, mais t'as un petit copain ?
Minty toussa dans sa tasse sous la surprise, se renversant du café sur le museau, et se nettoya précipitamment.
-Non. Personne, non.
Jumper haussa un sourcil.
-Dis moi au moins que tu en as eu un à un moment...
-Euh... Non.
Jumper fit une moue désapprobatrice.
-Aaaah, Minty, t'as toujours été trop sérieuse. Je savais que j'aurais dû t'emmener à une soirée.
-Et tu sais que j'aurais refusé.
-Je t'aurais forcé.
-Et je t'aurais mis une claque. T'as déjà essayé, je te rappelle.
-Non, je m'en rappelle pas.
-Pas étonnant, t'étais rentré le lendemain à midi et tu ne te souvenais plus de la soirée. Même pas du nom de la pouliche qui t'avais ramenée.
-Aaaaah, oui. C'était marrant.
-Pas vraiment. J'ai passé la matinée à faire les exercices en binôme avec Steel Hunter.
-Tu l'aimais pas ?
-C'était... Pas pareil...
Minty bu une gorgée de café, la dernière, et reposa la tasse.
-T'avais beau être un chieur fini, je préférais quand même faire les exercices avec toi.
-C'est gentil.
Jumper finit sa tasse à son tour, et dit :
-Pour être honnête, si t'avais pas été là, je crois que je me serais barré de l'armée.
-Ah bon ?
-Ouaip, trop de règles à la con et j'ai l'impression que les instructeurs m'aimaient pas beaucoup.
-Ça, c'est clair. Mais j'étais pas la dernière à te gueuler dessus pour que tu suives les ordres, pourtant.
-Oui, mais c'était... toi. La chieuse qui sortait jamais du rang, voir jamais tout court, pas la plus jolie du camp, qui arrêtait pas de m'engueuler, mais va savoir, j'aimais bien.
Minty sentit le rose monter à ses joues, en totale contradiction avec sa raison qui lui disait qu'il venait de l'insulter.
-En fait, tu m'as manqué, Minty.
La jument ouvrit grand les yeux de surprise.
-L'école de pilotage, c'était fun, y'avait plein de mecs et de nanas comme moi, mais... ça manquait de répondant. Il me manquait ma chieuse. Pareil après, quand j'ai enchaîné les services après la formation. Les équipages étaient toujours sympa, mais les commandants qui me gueulaient dessus parce que j'étais pas réglo, ils avaient pas la « Minty-touch ». Le Casparus aussi, c'était de bons moments, mais Order a pas vraiment le même cachet.
-Donc... T'aimes bien quand je te gueule dessus ?
-En quelque sorte... Plutôt, disons que j'aime bien quand c'est toi qui me gueule dessus.
La licorne ne tentait même plus de maîtriser le feu qui lui montait aux joues. Le pégase regarda le fond de sa tasse vide, puis se leva et ramassa celle de Minty, un peu précipitamment.
-Bon, je vais retourner à mon poste. Ils devraient plus tarder à transmettre leur rapport, et je dois être là si on doit dégager. Ça m'a fait plaisir de te parler.
-A... à moi aussi.
Le pégase traversa l'infirmerie vide, jusqu'à la porte qui s'ouvrit automatiquement. Là, il s'arrêta un instant, puis tourna sa tête vers Minty et lui fit un clin d'oeil.
-Je suis content que tu sois là.
Puis il sortit, et la porte se referma. La licorne resta un moment interdite, puis secoua la tête afin d'en chasser le rouge qui avait prit possession de ses joues. Un sourire qu'elle ne pouvait contrôler apparu sur ses lèvres, et elle murmura :
-Moi aussi.
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