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La façade de l'art

Une fiction écrite par LordAngelos.

Chapitre 6 : Le Visage Déformé de la réalité

Devoir déterrer des carottes avec les dents alors que l’on a faim n’est vraiment pas la chose la plus facile que l’on puisse vous demander de faire. Surtout que l’on avait empêché Drawlife d’utiliser sa magie, à cause d’une idiote “tradition terrestre”. C’était bien la peine de naître avec une corne à ce compte là. De ce fait, il était obligé de se servir de ses dents, et le petit goût frais des feuilles qui lui arrivait immanquablement en bouche le suppliait de descendre sa prise jusqu’à la chair croquante et sucrée pour en grignoter un bout. Mais ce n’était certainement pas dans les projets de cette ponette à la crinière orange qui le surveillait constamment, malgré le fait qu’elle récoltait aussi les précieux légumes.

Il avait faim, mais elle ne le savait pas, et elle n’avait pas à le savoir ; hors de question de recevoir de sa pitié. Il devait effectuer des corvées pour cette ponette, et elle n’était pas la première à qui on le confiait pour ce genre de tâche ; ni la dernière d’ailleurs.

En effet, depuis son récent rétablissement, la communauté de Poneyville avait décidé qu’il était temps qu’il rembourse ses vols, et rien de mieux pour cela que des travaux d’intérêt général. La plupart du temps, il s’agissait de s’occuper de cultures dans des jardins ou des petits champs, étant donné que ses principaux larcins concernaient la nourriture, mais il devait de temps en temps adopter le rôle de caissier dans les boutiques utilitaires, car le matériel de peinture, ça ne se cultive pas.

« Ça suffira pour aujourd’hui, tu peux t’en aller ! signala la ponette sable en se passant le sabot sur le front pour évacuer l’excès d’humidité dû à l’effort. Tu feras la même chose demain et on pourra considérer ta dette effacée. »

Drawlife s’essuya à son tour, fit un signe de tête pour confirmer l’accord, et prit la direction de la sortie. Il avait vraiment faim en vérité, mais c’était toujours quand on avait rien pour s’occuper sous le sabot que l’on s’en rendait vraiment compte.

« Attends, tu as oublié cha ! baragouina la ponette bouclée avec un rouleau de parchemin entre les dents. Encore merchi de ton aide en tout cas. »

Ah oui, ce fameux parchemin, ce bout de papier qui assurait que ses tâches avaient bien été remplies. Tâches qui narguaient souvent son palais, ce que son estomac ne manquait pas de lui rappeler par des gargouillements de plus en plus sonores.

L’étalon déroula le parchemin pour vérifier que la case concernant la cueillette de carottes avait bien été cochée, avant de le ranger dans son sac et de se diriger vers sa prochaine destination.

Le chemin jusqu'à son lieu de résidence n'était certes pas long, mais à mi-chemin, de grosses gouttes perlaient à nouveau sur son front, et sa respiration lui semblait plus difficile. On aurait pu mettre ces symptômes sur le compte de la chaleur, mais il en était tout autre. Bien que ses os se soient remis en place, le docteur l’avait prévenu que le traitement qu’il avait subi lui laisserait des séquelles. Dorénavant il boitait, même s’il s’était arrangé pour que ce soit imperceptible à un œil inattentif. Son endurance pour la marche ou le trot en était fortement diminuée, et ce même s’il refusait d’avouer sa fatigue. C’était comme ça à chaque déplacement en ville, il allait bien falloir qu’il s’y habitue.

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Un énorme arbre garni de fenêtres et d’estrades apparut dans son champ de vision. C’était à l’intérieur de son tronc qu’était installée la bibliothèque, seul vrai lieu de culture de tout Poneyville, mais il paraissait curieusement petit au vu de ce qu’il contenait, et jurait affreusement avec l’architecture générale de la ville. Sûrement une excentricité de mauvais goût d’une licorne architecte. C’était pourtant dans cette insulte à l’esthétisme qu’il devait rejoindre sa tutrice afin de prendre son déjeuner rudement réclamé par ses entrailles.

« Je suis rentré, s’exclama-t-il à haute voix après être entré sans frapper, je viens pour le repas.

-  Fait voir la liste » fit une voix autoritaire venant de l’étage supérieur.

A peine avait-il sorti la feuille de son sac qu’elle échappa à son contrôle télékinésique, pour aller virevolter jusqu’à une licorne à la crinière indigo qui venait d'apparaître sur la mezzanine. Elle déroula le parchemin, l’analysa de haut en bas en fronçant les sourcils avant de le ranger sur une étagère parmi d’autres de façon presque mécanique, tournant ensuite le dos à l’étalon pour retourner à ses affaires.

« Ton repas est dans la cuisine, Spike devrait avoir terminé de le préparer. »

Toujours aussi sèche, ce n’était pas gênant en soi mais ça restait surprenant sur le moment. La cuisine était en vue, et une délicieuse odeur en sortait, comme toujours à cette heure-ci. Transporté par son estomac plus que par sa volonté, il faillit ne pas voir la licorne qui était apparue avec un flash entre lui et l’entrée de la cuisine, ce qui lui valut un sursaut en arrière et une croupe douloureuse.

« Et frappe avant d’entrer, lança Twilight telle une mère qui sermonnerait son poulain, je te loge peut-être, mais ce n’est pas une raison d’outrepasser les bonnes manières. »

Se mettre entre un affamé et son repas ne faisait pas partie des bonnes manières non plus. Drawlife se contenta d’un hochement de tête, avant de fuir le regard prune qui le fixait bizarrement.

Depuis que Twilight l’avait pris en charge pour s’assurer qu’il effectuerait bien ses travaux d’intérêt général, ses journées étaient devenues incroyablement routinières. Il devait se lever tôt afin de mener à bien les tâches que lui préparait la bibliothécaire, y passer la journée, ne prenant des pauses que pour manger, et dormir le soir venu. Dans un sens, cela ne dérangeait pas Drawlife. Comme Twilight le surveillait quasi-constamment, il n’avait plus l’occasion de peindre, travailler pour la ville présentait donc au moins l’avantage de l’occuper, de donner un sens à ses journées, de se rendre utile, même si c’était parfois pénible. Seuls les repas apportaient un peu de gaieté à l’ensemble, car si l’assistant de la licorne, un jeune dragon violet, n’était pas des plus bavards à son encontre, il cuisinait admirablement bien, ses plats ayant le mérite de faire oublier les journées de Drawlife le temps de la dégustation.

Toutefois Spike agissait différemment ce jour-ci. L’étalon eut droit au salut habituel, mais le petit reptile fixait continuellement l’unicorne, de la même manière qu’à peu près tous les poneys de cette ville quand il restait trop longtemps au même endroit à rêvasser. Mais aussi inhabituel que cela était, Drawlife avait autre chose en tête, et s’installa donc devant l’assortiment d’assiettes et de couverts disposé sur la table centrale de la pièce. Une des assiettes lui faisait de l’œil, bien garnie de salades de toutes sortes, et il ne résista pas longtemps à l’appel de son estomac.

« Tu comptes faire ça combien de temps ? finit par demander le petit dragon.

-  Faire quoi ? questionna l’étalon surpris de l’entendre parler autrement que pour dire bonjour.

-  Ben ça ! indiqua-t-il en pointant l’assiette de salade aux croûtons que l’étalon avait déjà bien entamé.

-  Manger ? Alors si je comprend bien, je n’ai même plus le droit de manger tranquillement cinq pauvres minutes tant que je n’ai pas remboursé mes dettes ? s’indigna l’étalon en jetant un regard mauvais au dragonnet.

-  Mais non, pas ça ! soupira-t-il en levant ses yeux verts. Je te parle de passer tes journées à faire des corvées et t’arrêter que pour manger et dormir.

-  Bizarre que tu me demandes ça, parce que de ce que j’ai observé, c’est ce que tu fais aussi, non ? » rétorqua Drawlife en toute incrédulité entre deux bouchés.

Spike eut l’air surpris de la remarque, et se gratta la tête d’un air dubitatif en continuant de fixer l’étalon.

« T’as pas tort, avoua-t-il après quelques secondes de réflexion, mais la différence entre toi et moi, c’est que moi j’ai des amis, et que quand j’ai rien à faire je peux leur rendre visite, proposer mon aide ou juste discuter. Alors que toi, j’ai pas l’impression que tu en as beaucoup, des amis.

-  Je ne vois pas où est le problème ? fit remarquer Drawlife en saisissant une assiette de gâteau à la myrtille. Ce n’est pas comme si j’avais vraiment le temps de me faire des amis ; et de toute façon on ne me parle pas beaucoup, si tu ne l’avais pas remarqué.

-  Ben je sais pas, t’es toujours tout seul, tu discutes avec personne, tu sors pas. Ça t’ennuie pas à force ?

-  Non, je me rends utile, c’est tout ce qui m’importe. Pas besoin d’amis pour ça » conclut l’unicorne en avalant la dernière bouchée de son gâteau.

Par réflexe, Spike prit les assiettes afin de les laver, en lui proposant au passage une nouvelle part de gâteau, ce que Drawlife refusa.

Comme ce dernier était un peu en avance, il s’autorisa une petite pause pour soulager ses articulations endolories, s’avachissant sur la table, le museau dans ses pattes entrelacées et ferma les yeux. Il n’y avait que ces moments-là où il était assis au final, la plupart du temps il devait rester debout, ce que ses blessures supportaient assez mal sur le long terme. S’affaler sur une table n’était peut-être pas la meilleure méthode pour résoudre ce problème, mais aller dans sa chambre n’était pas pensable avec Twilight qui rôdait dans les parages. Il avait pris l’habitude de se reposer sur cette table, il n’allait pas se risquer à changer ça.

En parlant de changement, il y avait quelque chose, ou plutôt quelqu'un qui n'était pas comme d'habitude : Spike. Drawlife entendait les entre-chocs des assiettes s’amenuiser par intermittence, ce qui laissait suggérer que le dragon n’accordait pas toute son attention aux disques de céramique. Et effectivement, l’unicorne pouvait voir du coin de l’œil le regard du reptile lui porter une attention particulière. Visiblement, il avait décidé d’en savoir un peu plus sur lui, ce qui était plutôt pour le déplaire.

« Ça va ? Tu as l’air fatigué.

-  Tu es bien bavard aujourd’hui » souffla sèchement Drawlife,la voix à demi étouffée par ses pattes.

Sans faire attention à la remarque, Spike continua de faire sa vaisselle, mais ne semblait pas vouloir lâcher le morceau pour autant.

« Tu sais, tu n’auras bientôt plus de corvées à faire au rythme où tu vas. Même avec ce genre de petite pause, souligna-t-il en haussant les épaules.

-  Je n’en suis pas encore là, donc je préfère ne pas y penser.

-  D’accord, mais quand tu auras fini, tu comptes faire quoi ? insista Spike.

-  C’est gentil de te soucier de moi, mais j’ai le temps, et je ne crois pas que Twilight me lâchera de si tôt.

-  C’est vrai qu’elle t’en veut, concéda le dragon, mais je la connais mieux que toi et je pense pas qu’elle tiendra la cadence, vu qu’elle passe une grosse partie de ses journées à préparer les tiennes.

-  Comment ça ? s’interrogea l’unicorne en relevant la tête, étonné par les propos de l’assistant.

-  On voit que tu la connais pas, elle et ses listes ! railla le dragonnet en descendant de son tabouret pour aller ranger les assiettes. Elle est tellement obsédée avec ça qu’elle planifie ses listes avec d’autres listes, juste parce qu’elle déteste tout faire sans préparation. »

Une fois les assiettes empilées dans leur placard, Spike retira ses gants puis exhiba sa main droite, recouverte d’un bandage serré au niveau de l’articulation qui semblait légèrement enflée, le tout sous les yeux étonnés de l’étalon gris.

« Ça lui prend un temps dingue, et ça me coûte parfois un poignet. Et si tu savais le nombre de poneys auxquels elle rend visite pour te trouver des trucs à faire … »



La révélation dépassait Drawlife. Autant il concevait que l’on puisse ne pas vraiment aimer quelqu’un, de même qu’il pouvait concevoir la licorne lui faisant des listes pour s’assurer qu’il n’oublie rien, mais savoir qu’elle perdait ses journées, juste pour s’assurer qu’il ne fasse pas autres chose que ses corvées était assez surprenant. Après tout, en temps normal, lorsque l’on n’apprécie pas quelqu’un, on n’utilise pas tout son temps utile pour le lui faire savoir. Sur le coup, Drawlife ne savait pas s’il devait en rire ou avoir pitié d’elle.

« Et pourquoi elle perd son temps avec moi si elle me déteste à ce point ? demanda-t-il par curiosité.

-  Et bien je suis pas sûr … dit Spike en haussant des épaules.

-  Dis toujours » l’encouragea l’unicorne en faisant un signe du sabot pour l’intimer de continuer.

Sa crête verte droite, ses yeux réptiliens analysèrent toute la pièce, et plus particulièrement la porte qui menait à la salle principale, sûrement pour s’assurer que personne ne les entendrait. Il fit signe de la main pour que l’étalon s’approche afin de pouvoir lui murmurer à l’oreille, avec une étincelle malicieuse dans le regard.

« Si tu veux mon avis, je crois qu’au contraire elle …

-  SPI-I-I-IKE ! » hurla Twilight depuis l’autre bout de la maison.

L’appel tonitruant de la licorne mauve eut pour effet de faire sursauter le dragonnet, qui par la même occasion cracha un jet nerveux de flammes vertes sur la tête de l’étalon. Même si ce n’était visiblement pas des flammes ordinaires, Drawlife sentit le coté gauche de son visage monter en température et poussa un gémissement de douleur, plus dû au sabot ramené trop rapidement sur son visage par réflexe qu’à une éventuelle brûlure.

« Mince désolé, je l’ai pas fait exprès ! s’excusa en catastrophe Spike tout en tendant un mouchoir à sa victime. Vraiment désolé, ça m’arrive pas souvent pourtant !

-  Laisse tomber, va plutôt voir ce qu’elle te veut » dit Drawlife d’un ton las en saisissant le mouchoir.

Le petit dragon hésita encore quelques secondes avant qu’un second appel plus impatient ne lui fasse prendre une décision rapide. Drawlife lui emboîta le pas, mais pour se diriger vers la salle de bain afin de constater les dégâts.

Le miroir présent n’était pas très grand, mais le peu qu’il y voyait avait suffi à le faire sursauter. Le poney qui lui faisait face n’avait vraiment rien d’engageant, son œil jaune ressortant d’une façon plutôt malsaine du coté noirci de sa tête, et ses quelques mèches colorées se fondaient maintenant à merveille avec son crin ébène. Déjà qu’il ne se trouvait pas très beau en temps normal, là c’était carrément repoussant.

Cependant, cette bipolarité entre son pelage argent et celui pleine de suie lui rappela ses conflits internes ravivés plus tôt par la discussion avec Spike. Il ne voulait pas l’admettre, mais le dragonnet avait raison ; on aura beau étirer au maximum sa peine, au bout d’un moment cela finirait, pour une raison ou une autre. Qu’allait-il donc faire une fois que tout cela cesserait? Rester à Poneyville ? Pour vivre avec des poneys qu’il avait parasité, et à proximité d’autres qui le détestaient ? Non, vivre partiellement avec Twilight était déjà assez pénible, étendre ce calvaire à une ville entière était impensable. Quoi d’autre alors ? Fuir tout simplement ? Et ainsi reproduire tous les événements de ces derniers mois dans une autre ville ? Ridicule. Même mieux : pathétique.

« C’est Spike qui t’a fait ça ? fit doucement une voix à la porte.

-  Ça quoi ? » baragouina Drawlife, reprenant maladroitement le cours de la réalité.

Sorti brusquement de ses réflexions, il analysa son environnement pour remettre les choses en place. Il était devant un miroir, et dedans se trouvait un poney au visage à moitié noirci. S’il s’agissait de lui dans ce miroir, cela indiquait qu’il n’avait encore rien fait pour se débarrasser de son maquillage improvisé.

« Oh ça ? Ce n’est rien, ça va partir tout seul »  assura-t-il en se passant le mouchoir que lui avait fourni le dragonnet sur la figure.

En effet, les poils noircis étaient partis, tellement bien qu’à la place il ne restait que de la peau, laissant une marque rosée bien voyante. Plus discret que du noir, certes, moins effrayant, mais plus ridicule, ça oui.

« Laisse, ça repoussera assez vite, tenta Twilight en constatant la mine atterrée de l’unicorne, je venais juste te prévenir que j’ai changé ton emploi du temps pour aujourd’hui. »

L’étalon haussa simplement les épaules, peu concerné par la nature de son prochain travail. La seule chose qui le préoccupait à l’instant était l’état de son visage, qu’il continuait à masser d’un œil absent.

« Ça sera au Sweet Apples Acres, continua la licorne, et comme c’est eux que tu as principalement volé, tu iras là bas les trois prochains jours. Carrot Top attendra son tour.

-  Pour ce que ça me change, répondit simplement l’unicorne sans quitter le miroir des yeux.

-  Et je vais t’accompagner.

- Tu sais, je commence à connaître la ville, je peux y aller tout seul, lança Drawlife en continuant d’analyser en profondeur les dégâts causés par Spike.

-  Ne ramène pas tout à toi ! rétorqua-t-elle sur un ton plus dur. Il y a un nouvel arrivant en ville, et comme il désirait apparemment travailler à la ferme, il y a de fortes chances que je le trouve là bas.

-  Lui aussi il dessine des portraits pour que tu t’intéresses à lui ? »

Sans crier gare, Twilight saisit l’oreille glabre de l’unicorne avec sa magie pour planter son regard assassin dans le sien. Drawlife déglutit. Voilà pourquoi il ne parlait pas beaucoup en temps normal, il avait la sale manie de provoquer les autres sans réellement s’en rendre compte, et c’était particulièrement vrai avec la bibliothécaire.

« Ce n’est pas parce que tu manges et dors sous mon toit que je vais t’autoriser à me parler sur ce ton ! expliqua-t-elle en maintenant en place un Drawlife qui tentait de rester impassible, la larme à l’œil alors que son oreille le faisait souffrir. Le maire m’a demandé de régler quelques histoires administratives à son sujet pour qu’il s’intègre pleinement à la ville, rien de plus. Maintenant tu m’accompagnes et tu ne poses plus de questions idiotes de ce genre. »

Le lobe encore douloureux, il suivit la bibliothécaire sans dire un mot, de peur de lancer une autre pique involontaire qui risquait de lui coûter plus qu’une insensibilité passagère de l’oreille. Avant de franchir la porte, Twilight enfila un sac sur son dos, en y incluant au passage une liste ne contenant qu’une case. Bizarre de faire une liste pour une unique tache, mais vu son attachement pour ces bouts de papier dont lui avait parlé Spike, cela devait être normal.

Son prochain travail allait donc se faire à la ferme de pommes. Le fait de devoir travailler dans un environnement connu allait sûrement adoucir la tâche, surtout qu’il avait déjà expérimenté le ramassage de pommes qui s’avérait beaucoup moins éreintant que de cultiver des champs de blé.

Pendant la marche, Drawlife ressassa ses projets d’avenir incertains, et un rapprochement entre la ferme des Apple et celle de sa famille lui apparut d’un coup. A vrai dire, cela faisait longtemps que Drawlife n’avait pas repensé à sa ferme natale, depuis son arrivée à Poneyville pour être plus exact. Et avec cette nouvelle pensée en tête, une idée suivit naturellement. Si ni loger à Ponyville, ni fuir n’était une solution, qu’est ce qui l’empêcherait de retourner à Canassa ? Après tout, même si son père le rejetait, au moins il serait dans une ville qu’il connaissait, et aurait plus d’options que dans ce trou perdu où il ne s’était fait que des ennemis.

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L’odeur sucrée des pommes flottant dans l’air indiqua à son esprit vagabond qu’il était arrivé à bon port. Tout du moins, Twilight et lui parcouraient un des chemins qui devait serpenter dans tout le verger pour mener à la ferme. Le panorama était à couper le souffle, car peu importe où il posait son regard, c’était des pommiers à perte de vue. Combien étaient-ils au fait pour les récoltes ? Il allait bientôt le savoir, le toit d’une grange pointant sa silhouette au travers du feuillage des arbres.

Plus habitué à contempler la ferme depuis les champs, il fut assez surpris de voir que le complexe était beaucoup moins élaboré qu’il ne l’aurait imaginé une fois sur place, en comparaison avec la ferme de son père tout du moins. Hormis une simple grange fusionnée avec une maison, il n’y avait rien de plus que des petites étables disséminées aux alentours.

Mais ce qui l’étonna le plus furent les deux étalons rouges près de l’entrée de la grange, visiblement en pleine discussion. Il avait déjà vu à plusieurs reprises celui à la crinière dorée et au collier de trait, vu qu’il travaillait à cette ferme, mais l’autre, un peu plus grand et à la crinière brune, qui bien que de dos, lui était étrangement familier. Il fallut que lui et Twilight se rapprochent afin de les saluer pour que l’étalon en question se retourne, montrant ainsi un visage aussi stupéfait que celui de Drawlife.

En bonne observatrice, la bibliothécaire ne manqua pas de remarquer l’échange de regards surpris entre Drawlife et le possible nouvel arrivant à Ponyville.

« Vous avez l’air de vous connaître, je me trompe ? demanda la licorne en haussant un sourcil.

-  Eh bien même si je ne m’attendais pas à le voir ici un jour, oui, je le connais ! confirma l’unicorne en s’approchant du poney écarlate. C’est mon grand frère. »

Ce dernier ne bougeait pas, visiblement encore sous le choc de la rencontre, tout comme Twilight. Drawlife remarqua qu’il tremblait légèrement, mais cela ne l’inquiéta pas outre mesure.

« Qu’est ce que tu fais ici Stronghoof ? Il s’est passé quelque chose à la ferme ? »

Cette fois ci ce fut le dénommé Stronghoof qui s’approcha d’un pas lent. Quelque chose n’avait pas l’air d’aller cependant. Même si les sabots de l’étalon étaient larges, ils frappaient durement le sol, comme s’il était crispé, et son regard indiquait qu’il n’était pas particulièrement heureux de voir un membre de sa famille.

« C’est à moi que tu demandes ça ? gronda l’étalon rouge de sa voix grave, dominant à présent son frère de toute sa hauteur, sa grande carrure musclée faisant passer pour un nain l’unicorne platine. Tu oses demander des nouvelles de notre ferme, toi, après t’être barré comme un malpropre et un lâche ?

-  Barré comme un malpropre. Tu ne crois pas que tu exagères ? rabroua Drawlife, peu affecté par la fébrilité qui parasitait les paroles de son fraternel. Tout le monde se fichait bien de moi là-bas, je ne crois pas avoir manqué à grand monde après mon départ.

-  Et qu’est ce que tu en sais, crétin ?

-  Je le sais, c’est tout. Et je te prierais de me parler autrement, je ne suis plus le poulain que tu pouvais martyriser auparavant ! » coupa l’étalon gris.

Son frère avait toujours été fort. Très fort. C’était lui la plupart du temps qui cassait les bûches pour faire du bois de cheminée, à sabots nus. Drawlife se souvenait des craquements que cela produisait, et cela se rapprochait étonnamment de celui que venait de faire sa mâchoire après le coup monstrueux que lui avait envoyé son frère, qui combiné à l’inattendu du geste, l’envoya faire un bond en arrière de trois bons mètres.

Avant même que l’unicorne n’ait fini sa glissade sur la terre, Stronghoof s’était déjà positionné sur lui pour le clouer au sol, et ainsi pouvoir poursuivre librement ce qui s’apparentait dangereusement à un tabassage en règle.

« T’en sais rien du tout ! Et l’esprit de famille t’en fait quoi ? T’as réfléchi une seconde à ce que ça nous ferait ? hurla l’énorme poney rouge en assénant entre chaque phrase ses sabots sur le visage de son frère tel des briques, sa respiration rendue bruyante par la rage qu’il déployait dans ses muscles.

-  Quelle famille ? cracha Drawlife malgré la douleur qui envahissait sa mâchoire. Vous me traitiez tous comme un sale déchet ; il y a juste maman qui était normal avec moi ! »

Le coup qui suivit ses paroles fut encore plus violent que les précédents, manquant de sonner Drawlife. Un goût métallique s’était invité entre ses dents ; dents dont certaines s’étaient libérées de leurs attaches avec un léger craquement : son agresseur était littéralement en train de lui briser la mâchoire ! Malgré sa tête qui commençait à tourner, l’unicorne para maladroitement les pattes avant de son frère avec les siennes. La pression qu’il exerçait ne trahissait pas la puissance de ses muscles, et l’instant de répit occasionné permit à Drawlife de voir des larmes couler en flot continu des yeux fous de Stronghoof.

« Ne – parle – plus – jamais – d’elle – en – face – de – moiii ! » vociféra le poney écarlate entre ses dents, mettant tout son poids sur les défenses de sa victime.

Big Macintosh, qui était resté stupéfait devant la violence fulgurante du débat finit par venir en aide à l’unicorne, pendant que Twilight était partie chercher l’aide d’Applejack, trop incertaine quand à une utilisation sûre de la magie dans ce cas de figure. Malgré la grande force du fermier Apple, celle de Stronghoof combinée à sa rage l’était encore plus, si bien qu’il ne parvenait qu’a retenir l’inévitable marteau d’os qui menaçant de fracasser pour de bon le museau de l’unicorne.

« C’est ton frère, non ? articula avec peine Big Macintosh sous l’effort occasionné. Qu’est c’qu’il a fait pour qu’tu l’frappes à sang comm’ ça ?

-  A cause de lui, ma mère est morte ! » hurla l’étalon en se débattant de l’entrave du fermier.

« Morte ? »

Ses tympans sifflaient encore suite aux coups enragés, mais Drawlife avait parfaitement saisi le sens des mots de son frère. Le choc de la nouvelle lui fit lâcher la tension qu’il exerçait sur ses pattes, ce qui laissa une ouverture à Stronghoof pour lui coller un ultime coup droit dans l’œil gauche, avant de se faire éjecter de sa position par une ponette blonde qui venait de le percuter à pleine vitesse sur le flanc. Malgré la rudesse du procédé, Applejack avait réussi là où son massif frère avait échoué.

« J’peut savoir c’qui c’passe ici ? gronda-t-elle, essoufflée. Chez moi les combats c’est dans une arène d’rodéo, pas ailleurs !

-  Désolé, répondit Stronghoof entre deux hoquets suite au choc dans ses côtes,

-  Désolé ? T’es juste désolé !? s’étouffa Applejack, outrée. T’étais limite en train d’le tabasser à mort j’te signale ! C’est comme ça qu’on traite sa famille chez vous ?

-  Juste retour des choses après ce qu’il a fait à ma mère, et encore, ce que je lui faisait c’est trop peu par rapport à ce qu’il mérite ! se défendit l’étalon sans se démonter.

-  Tu pourrais au moins nous expliquer en quoi il est fautif du décès de votre mère ? » demanda Twilight, encore un peu choquée par les événements.

Afin d’éviter de nouveaux échanges physiques, les Apple se postèrent entre le musculeux poney et Drawlife, lui-même surveillé par la licorne violette. Il n’y avait cependant pas grand-chose à craindre de sa part, car même après que Twilight ait arrêté ses saignements au visage, l’unicorne restait comme tétanisé, fixant le sol avec les yeux grands ouverts, respirant juste assez pour assurer qu’il soit bien vivant. Malgré son antipathie envers l’étalon, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter de son état, surtout mental : revoir son frère qu’il n’avait pas dû voir depuis très longtemps pour se faire rouer de coups et apprendre par la même occasion la mort de sa mère, ça n’était sûrement pas évident à encaisser.

Mais pouvait-on vraiment lui mettre la responsabilité du décès de sa mère sur le dos ? Comme l’expliquait Stronghoof, elle avait très mal pris la nouvelle du départ improvisé de Drawlife, accusant le mari et les fils de cette prise de décision. Au fur et à mesure, elle s’était enfermée dans une déprime qui la rendait de plus en plus acerbe envers les autres, impactant la bonne tenue de la ferme dont elle était la principale gérante, l’associabilité de son mari le privant des capacités à gérer financièrement la ferme.

Puis elle avait fini par s’auto-culpabiliser, s’isolant de plus en plus fréquemment, parfois des journées entière, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée inanimée sur son lit, le visage figé dans une expression de chagrin et la table de chevet recouverte de boites de médicaments antidépresseurs.

« Draw, tu peux confirmer c’que ton frère a dit ? demanda la fermière blonde sur un ton de reproche. T’as vraiment quitté ta famille, comme ça ? Sans rien dire ? Alors que visiblement ta mère tenait à toi ? »

Drawlife ne répondit pas, toujours obnubilé par une chose imaginaire au sol qui semblait le terrifier. Twilight le secoua légèrement pour lui faire reprendre ses esprits, mais face à l’absence de réaction de l’étalon, elle ne put qu’hausser les épaules, confuse et inquiète.

« Bon heu … on règlera c’t’histoire plus tard, hésita la fermière en voyant tout le monde regarder Drawlife d’un air perplexe. Frérot, tu peux montrer à l’artiste la section qu’il va occuper pour aujourd’hui s’teu plait ?

-  Yee-up ! »

Tentant d’oublier ce qu’il venait se passer, chacun reprit les activités prévues de la journée, Big Macintosh traînant presque Drawlife vers les arbres fruitiers, Twilight profitant du moment pour questionner Stronghoof sur ses capacités et sur la raison de sa venue à Ponyville. Elle put ainsi apprendre que leur ferme avait fait faillite peu de temps après la perte de leur mère, et que leur père, ayant perdu son travail et la jument qu’il aimait, avait à son tour sombré dans l’alcoolisme et la déprime. Ne voulant pas finir comme son père, Stronghoof avait cherché un emploi à sa mesure, mais aucun ne lui convenait à Canassa. De ville en ville, il avait fini par tomber sur des produits venant de Sweet Apples Acres, et étant la ferme la plus proche de sa position, il avait saisi sa chance.

Applejack était quelque peu réticente à engager quelqu’un ne faisant pas partie de la famille, en particulier un inconnu nouvellement arrivé en ville, et surtout après la scène à laquelle elle avait brièvement assisté. Mais elle ne pouvait nier que la ferme avait souvent un peu de mal à suivre la cadence lors des grandes saisons. Un peu d’aide n’était donc pas de refus, au grand soulagement de l’étalon rouge.

« Twilight, tu crois qu’c’est une bonne idée pour demain ? demanda la fermière blonde alors que la bibliothécaire s’apprêtait à prendre congé.

-  Je ne sais pas, avoua la licorne mauve en regardant vers le verger, j’espère juste qu’il va tenter d’oublier tout ça et ne fera pas de crise.

-  Quand c’est la famille, c’n’est jamais simple d’oublier, et c’est encore moins simple quand c’est c’genre de journée, expliqua Applejack d’un ton grave.

-  Pourvu que tu te trompes Applejack.

-  J’aimerai aussi, croit moi Twilight. »

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« Sérieusement, qu’est ce que je fous ici ? »

Reprenant une habitude qu’il avait abandonné, Drawlife se campa sur ses pattes avant pour frapper le tronc du pommier auquel il tournait le dos afin d’en faire tomber les pommes.

« J’ai fui ma ville natale pour ne plus qu’on me regarde en me jugeant » pensa-t-il à l’instant précis du choc de ses sabots sur l’écorce.

Il ramassa les pommes ainsi tombées, les disposa sans précautions dans un grand panier, avant de se mettre en position devant un autre arbre pour lui faire subir le même traitement.

« Et qu’est ce que j’ai récolté moi dans tout ça ? »

Il banda les muscles de ses pattes arrière pour frapper à nouveau. Lorsque le coup partit, l’écorce s’émietta là où il y avaient eu contact avec les sabots de l’étalon.

« Que des merdes ! »

« J’ai failli crever deux fois ! »

« J’ai du abandonner ce que j’aimais faire ! »

Drawlife continua son œuvre de récolte, mais au fur et à mesure, chaque arbre qui subissait sa ruade gardait une marque de plus en plus visible, l’écorce étant parfois complètement pulvérisée à certains endroits.

« Je me suis mis à dos une ville entière ! »

« Celle que je croyais aimer m’a rejeté ! »

Plus l’unicorne frappait, et plus sa frustration grimpait, chaque coup qu’il portait, chaque vibration que cela engendrait dans ses pattes venait attiser la haine qu’il vouait à tout ce qui l’entourait. Sa colère se ressentait de façon évidente dans ses ruades, toujours plus violentes, mais contrairement à ce qu’il pensait, frapper dans de stupides troncs n’aidait pas à calmer son esprit, au contraire.

« Tout aurait pu mieux se passer. »

Cela faisait trop longtemps qu’il restait tranquille, trop longtemps qu’il maintenait une apparence désinvolte et calme. Toutes ces corvées, toutes plus agaçantes les unes que les autres, il les avait faites en espérant par la suite repartir de zéro, retourner chez lui et effacer ces derniers mois d’horreurs.

« Et il a fallu que mon abruti de frère débarque pour me dire que j’ai tout fait foirer, une fois de plus ! »

Non, aucun moyen de reprendre le contrôle avec cette pensée en tête, tout ce que son corps lui autorisait de faire, c’était de frapper, n’importe quoi, et mieux valait ces pommiers qu’autre chose, pour le moment.

Mais sa concentration déjà fragile fut perturbée par un craquement qui ne venait pas de l’arbre qu’il s’apprêtait à martyriser, et, emporté par son élan, il manqua l’écorce tout en perdant l’équilibre, se vautrant à plat ventre, percutant le sol avec sa mâchoire encore douloureuse avec un gémissement retenu.

« J’peux savoir c’que tu fais ? »

Redressant péniblement la tête pour déterminer la nature du bruit étranger, Drawlife constata qu’il avait été causé par Big Macintosh. L’étalon carmin était débout face à lui, impassible, lui tendant un sabot pour l’aider à se relever.

« Je ramasse des pommes, ça ne se voit pas ? » maugréa l’unicorne en se redressant seul, peu enclin à montrer une quelconque faiblesse au fermier.

Le poney rouge regarda un peu autour de lui avant de reporter son attention sur Drawlife, l’air incrédule.

« J’te ferais remarquer qu’ça fait une bonn’ dizaine de pommiers qu’tu laisses les fruits sur place.

-  La belle affaire, j’aurai qu’à les ramasser plus tard.

-  Comm’ tu veux, rétorqua Macintosh en haussant une épaule, mais contrôle toi un peu, les pommiers ça aime moyen des trous pareils dans leur tronc. »

Visiblement, même un simple échange verbal ne pouvait calmer Drawlife, d’autant plus que le détachement de son interlocuteur l’exaspérait. Et pour couronner le tout, sa mâchoire le lançait dès qu’il articulait un mot. Plutôt que de répondre, il préféra continuer son travail, mais au moment où il allait percuter l’écorce, ses sabot rencontrèrent ceux de Big Macintosh, arrêtant net son mouvement.

« Je peux savoir pourquoi tu m’empêches de travailler ? siffla l’unicorne en se dirigeant vers un autre pommier.

-  Tu allais encore abîmer un d’nos arbres, expliqua-t-il en pointant un des impacts causés par Drawlife.

-  Tu ne m’en voudras pas de ne pas pleurer sur leur sort.

-  Nope, je n’t’en veux pas » fit simplement le fermier en changeant la position de son brin de blé en bouche.

Drawlife frémissa d’indignation ; comment ce poney pouvait-il autant garder son sang-froid alors qu’il était en train de lui avouer de but en blanc que détruire ses arbres était le cadet de ses soucis ?

« Dans ce cas je continue.

-  Nope.

-  Pardon ? s’étonna l’unicorne.

-  J’préfère que tu sorte d’ma propriété. »

Drawlife n’en croyait pas ses oreilles. La demande était vraiment tentante, tant est que ça lui permettait de ne plus avoir affaire au fermier, mais surtout de quitter ce verger qui lui rappelait trop le début de ses ennuis. Le problème était qu’il n’avait pas vraiment le choix, surtout qu’il n’avait rien d’autre à faire de sa journée d’après Twilight.

« Je ne peux pas, refusa finalement l’étalon en soupirant, Twilight m’a assigné à votre ferme, et il y a peu de chances qu’elle accepte que je manque à mes obligations.

-  Ça n’me concerne pas, contrairement à la santé d’mes arbres.

-  T’avais pas dit que tu m’en voudrais pas si j'abîme tes arbres ?

-  Sort.

-  A cause de quoi alors ? persista Drawlife, incrédule face à l’étalon qui restait toujours de marbre. C’est parce que je ne ramasse pas les pommes au fur et à mesure ?

-  Sort ! répéta Big Macintosh un peu plus impatient.

-  C’est parce que j’ai peint ta sœur et que ça ne te plaît pas c’est ça ? tenta-t-il sur un ton provocateur.

-  DEHORS ! »

Cette fois ci le fermier était sorti de ses gonds. La puissance de sa voix avait été telle qu’elle résonnait encore, et l’unicorne crut même remarquer des fissures dans la terre là où le sabot du terrestre s’était abattu. Il n’avait pas vraiment d’autre choix que d’obéir : il était mieux placé que quiconque pour savoir que les poneys calmes pouvaient être de vrais monstres si on les provoquait trop longtemps, et après la rixe avec son frère, il n’était pas en état de retenter l’expérience avec un étalon mieux bâti que lui. De plus, au vue des tremblements qui animaient le fermier, il ne manquait pas grand-chose pour qu’il lui saute dessus de la même façon que son frère.

Faire des allusions à sa sœur n’avait peut être pas été une bonne idée.

Par chance, Twilight n’était plus devant la ferme, ce qui lui permit de quitter l’endroit sans avoir à réitérer ses techniques de discrétion qui lui avait values d’être dans sa situation actuelle. Mais dans un sens, il aurait peut être mieux valu qu’il la croise, car maintenant qu’il s’était fait virer de son travail, il n’avait rien à faire.

Était-ce vraiment un mal au fond ? Après tout, quoi qu’il fasse, cela ne satisfaisait jamais personne, n’est ce pas ? Et quand bien même il pensait bien faire, cela finissait toujours par lui retomber dessus d’une manière fort peu agréable. Non, au final c’était mieux qu’il ne fasse rien, hormis marcher pour donner l’illusion d’être actif.

Mais même simplement marcher lui semblait pénible. Les événements au Sweet Apples Acres l’avaient ravagé, son corps lui faisait mal, et ses pattes anciennement dans le plâtre le lançaient à nouveau, perturbant sa démarche. Encore un peu et on aurait pu le croire sorti d’un bar après une dispute d’ivrognes.

Étrangement, déambuler au hasard dans les rues de Poneyville l’aidait mieux à se calmer que frapper dans des troncs. Se concentrer à souffrir en silence devait sûrement y aider, même si tout ce qu’il souhaitait pour le moment, c’était oublier l’auteur de ces douleurs et les nouvelles qu’il avait apporté. Il fallait qu’il pense à autre chose. D’instinct, il leva les yeux au ciel.

Les pégases avaient bien travaillé aujourd’hui, trop bien peut être. Drawlife n’aimait pas les cieux complètement dégagés, cette couleur azur omniprésente était vraiment aggressive à l’œil, le seul point focal était le soleil impossible à maintenir du regard. Quelques petits nuages correctement éparpillés auraient suffi à égayer la voûte céleste, et par la même occasion permettraient par moment de camoufler l’implacable astre de Celestia qui abattait ses rayons brûlants sur son corps meurti. Non, ce n’était pas dans le ciel qu’il trouvera son calme.

Une grande ombre vint cependant envahir son champ de vision, sûrement un arbre ou une maison de grande taille. Naturellement, il alla s’y mettre à l’abri ; il ne savait pas depuis combien de temps il avait quitté la ferme, mais ses sabots ne le soutenaient déjà plus et il fallait qu’il fasse une pause. Il espérait juste que son immobilité n’allait pas attirer à nouveau ses pensées négatives. Son esprit devait s’évader, penser à n’importe quoi, mais pas à ce qui l’avait amené ici.

Comme pour répondre à son besoin, un son particulier lui arriva aux tympans, bien distinct du léger brouhaha habituel des petites villes. Le son était roulant, apaisant, et pas inconnu. Daignant lever la tête pour en repérer l’origine, il constata qu’il s’agissait du ronronnement d’un chat en train de se lover près d’un l’arbre, une sorte de souris de tissu multicolore dans les pattes. A en juger par son affreuse houppette maintenue par un nœud mauve, il devait s’agir d’une femelle. Heureusement qu’il y avait ce joli collier de la même teinte incrusté de joyaux pour rattraper l’ensemble.

Drawlife aimait bien les chats, pas vraiment parce qu’il les trouvait mignon ou quelques inepties de ce genre, mais plutôt parce que dans le fond il les idéalisait. Libre d’action, pas d’obligations sociales, aucune responsabilité autre que se nourrir et dormir, et une faculté à s’amuser avec n’importe quoi. C’était un peu le crédo de tout animal sauvage, mais les félins avaient ce petit plus, cette grâce et cette souplesse dans leurs mouvements, cette agilité avec laquelle ils pouvaient explorer le monde qui les entourait, c’était fascinant à voir. Être un poney civilisé, c’était être enfermé dans une société avec des règles et des mentalités qui entravaient souvent l’imagination et la créativité, et plus encore quand, comme Drawlife, on peignait un peu tout ce que l’on voyait sans penser aux conséquences.

Bien décidé à s’occuper l’esprit, l’unicorne s’approcha doucement de la chatte afin de tenter de l’apprivoiser. Dompter un animal était assez grisant, un petit défi qui se rapprochait assez de celui qu’était dompter un modèle de dessin, car si on parvenait à s’approprier son sujet, on pouvait en faire des choses assez formidables que l’on n’aurait pas cru possible au premier abord.

Le félin ne fit pas attention à lui en premier lieu, mais une fois qu’il fut assez près, sa présence parut l’effrayer, et il se mit en position d’attaque, le dos rond et les poils gonflés comme le font ces êtres pour intimider leurs ennemis. En y repensant, avec l’apparence qu’il devait se coltiner depuis ce midi, avec la moitié du visage glabre et des ecchymoses certainement bien voyantes, il n’était sûrement pas très attirant.

Pour la rassurer, Drawlife se coucha, la tête bien calée entre ses pattes avant afin que ses yeux soient en dessous du niveau de ceux de la chatte, et fixa non pas ses rétines mais son collier, afin de ne pas la provoquer. Après quelques secondes d’hésitation, elle finit par baisser sa garde et par s’approcher à son tour, une patte après l’autre, les oreilles en alerte, jaugeant l’étalon de ses petits yeux ; ce n’était pas le moment de faire un geste brusque, car sinon, soit elle fuirait, soit elle viendrait parachever le début d’art abstrait qui lui servait de tête.

Finalement, après un dernier moment de suspens, la joue blanche de la chatte se frotta presque amoureusement contre celle de l’unicorne. Drawlife sentit la chaleur du félin se transmettre à sa joue, leurs duvets respectifs créant un feulement tout juste camouflé par un ronronnement. C’était agréable.

Jugeant qu’il avait réussi son défi, il se redressa lentement, essuya la crasse de son sabot accumulée à la ferme du mieux qu’il put dans une touffe d’herbe, et tenta ensuite de lui caresser le dos. Encore un peu rebelle, elle échappa tel un serpent au sabot, ne manquant pas de faire parcourir avec dédain toute la longueur de sa queue sur la patte de l’unicorne, et fila se lover contre son flanc, rare zone molle encore accessible sans avoir à escalader l’étalon.

Drawlife tenta une nouvelle approche en la grattant doucement derrière l’oreille, et comme il s’y attendait, elle apprécia particulièrement le geste, pivotant la tête dans différentes positions pour mieux profiter de l’attention de l’unicorne. Il était décidément bien plus simple de s’entendre avec des animaux domestiques qu’avec d’autres poneys, la plupart égocentriques ou aux réactions trop imprévisibles pour qu’il soit agréable de rester en leur compagnie.

« Et bien, si je ne l’avais pas vu, je n’y aurais pas cru ! »

Drawlife sursauta, une fois de plus dérangé dans ses pensées, mais parvint à garder la maîtrise de son sabot pour ne pas effrayer la chatte blanche. La tonalité particulière de la voix derrière lui ne lui donnait aucun mal à identifier la ponette à laquelle elle appartenait.

« Depuis combien de temps tu m’observes Rarity ? demanda Drawlife d’une voix monocorde, sans se retourner.

-  Depuis un petit moment déjà, répondit-elle avec un petit rire, je reviens tout juste de la carrière de diamant. Je n’en avais plus en réserve, et il m’en fallait d’urgence pour une commande.

-  Si c’est si urgent, pourquoi tu restes fichée là au lieu de continuer ton travail ?

-  Cela me parait évident ! s’exclama-t-elle théâtralement, comme elle le faisait lorsqu’elle prenait mal une question. Tu es devant chez moi en train de caresser Opalescence, je suis donc en droit de me demander la raison de ta visite. Et puis, tu avais l’air paisible pour une fois, je ne voulais pas te déranger. »

Après un regard sur sa gauche, il était effectivement vrai qu’il s’était assis à coté du Carrousel. Son esprit avait été tellement subjugué par sa recherche de paix mentale qu’il ne l’avait même pas remarqué ; et n’ayant jamais vu Opalescence auparavant, l’idée qu’elle appartienne à la couturière ne lui était pas venue à l’esprit.

Mais discuter n’était pas dans ses projets, il préféra donc s’éclipser. Il attrapa par magie le jouet en forme de rongeur que la chatte avait laissé devant l’arbre, puis l’agita devant les yeux de sa propriétaire pour attirer son attention ailleurs, ce qu’elle fit si rapidement que cela en aurait été presque vexant. En se levant, il se rendit compte qu’il avait les pattes encore un peu molles, mais heureusement rien qui l’empêchait de partir de cet endroit.

« Laisse tomber, c’est juste un hasard si je suis là, annonça-t-il avant de reprendre sa marche dans une direction opposée à la licorne.

-  Attend ! Je voudrais juste savoir si … OUAHAHAAH ! Par Celestia, mais quelle horreur ! »

Le hurlement de la jument blanche avait manqué de le rendre sourd, même si sa réaction était plutôt prévisible. Connaissant son attachement pour l’apparence et la beauté, admirer le formidable travail collaboratif de Spike et de Stronghoof après s’être postée devant lui devait être un choc des plus traumatisant. Enfin, si elle ne s’était pas évanouie, c’est que ça ne devait pas être si horrible que ça.

« Ce n’est rien, ça s’arrangera avec le temps. Laisse-moi tranquille.

-  Comment peux-tu dire que ce n’est rien, tu es complètement défiguré ! fit la styliste presque affolée, une grimace d’horreur risible au visage. Hors de question que je te laisse partir dans cet état, suis-moi à l’intérieur !

-  Non, sans façon » refusa placidement l’étalon en tentant de contourner Rarity.

Mais celle-ci n’était visiblement pas décidée à l’ignorer. Elle se cabra pour prendre appui avec ses pattes avant sur l’étalon afin de pouvoir le retenir.

« Non-non-non-non tu n’iras nulle part avant que j’ai réparé cette catastrophe qui s’est installée sur ton visage, insista-t-elle en poussant de toutes ses forces sur l’étalon qui ne bougeait pourtant pas d’un sabot, rentre à l’intérieur que je puisse m’occuper de ça.

-  Je t’assure que ce n’est pas nécessaire, déclina une nouvelle fois Drawlife qui s’impatientait.

-  Ne soit pas si borné, voyons.

-  Et c’est moi qui est borné ? rétorqua l’unicorne dans un pic d’énervement. Lâche-moi bon sang, je ne t’ai rien demandé ! »

Par un coup d’épaule brusque, Drawlife bouscula la lady pour forcer le passage. Surprise par une telle réaction à son encontre, elle perdit l’équilibre, ses pattes s’agitant frénétiquement pour trouver un appui qui n’existait pas, tout en poussant des petits cris de détresse, avant de s’étaler de tout son long au sol dans une position peu gracieuse.

L’étalon gris aurait voulu partir au galop afin éviter les représailles, mais ses pattes n’étaient toujours pas suffisamment rétablies pour une telle épreuve.

« Peux-tu me dire ce que je t’ai fait pour mériter un tel traitement ? gémit Rarity en se relevant péniblement. Ce n’est pas moi qui ai enlaidi ton visage. »

Ne pas se retourner, ne pas répondre, continuer de marcher. Elle allait forcément abandonner ses efforts inutiles pour le retenir s’il ne réagissait pas.

«  C’est de cette façon que tu te comportes avec les gens ? En les bousculant puis en les ignorant ? continua la licorne sur un ton de reproche cette fois ci. Je pensais que tu tu valais mieux que ça. J’espérais qu’en tant qu’ami tu serais moins rustre. »

Ami ? Était-elle sérieuse ?

C’était vraiment pénible pour Drawlife. Il ne pouvait pas s’éloigner vite, et il devait en plus subir les délires sur l’amitié d’une licorne collante et bornée. Cela l’énervait au plus haut point, ses pattes commençant à flageoler sous l’effet de la pression. Il essaya de penser à autre chose pour chasser les douleurs qui entravaient son corps et pouvoir accélérer le mouvement. Mais avant qu’il puisse appliquer son idée, il se retrouva avec la crinière violette parfaitement coiffée de la styliste sous le museau, et dut s’arrêter net pour ne pas la bousculer une seconde fois.

« Pousse-toi ! menaça-t-il sans la regarder.

-  Drawlife, arrête-moi ces enfantillages maintenant. Il est évident que tu as besoin d’aide, alors dit moi ce qu’il se passe ! »

Était-elle idiote ou juste inconsciente ? Ne pouvait-elle pas accepter qu’il ne désirait pas de son aide ? Pourquoi perdait-elle son temps avec un poney qu’elle ne connaissait au fond même pas ? Elle était là, à le fixer avec ses grands yeux réprobateurs, semblant le juger comme tous ces autres imbéciles avant elle. Ces yeux, Drawlife les détestait, il les avait vu beaucoup trop de fois, ils l’avaient humilié, méprisé, et il n’en pouvait plus de simplement les ignorer.

Non, cette fois, il n’allait pas les ignorer, il allait les faire disparaître, par la force s’il le fallait. Et tant pis si ça devait lui faire des ennemis supplémentaires. Qu’est ce qu’il avait à perdre de toute façon ? Il avait déjà tout perdu, sa passion tout comme son intérêt à vivre, et on avait même osé lui dire qu’il avait perdu sa mère, par sa faute qui plus est. Ça ne pouvait pas être pire.

« Je vais t’apprendre à me foutre la paix quand je te le dit ! » pesta l’étalon avant de diriger son sabot droit sur la figure de la licorne.

Le corps tout entier de Drawlife tremblait de rage, toute sa haine envers ces horribles yeux était canalisée dans son sabot. Un simple geste et il les faisait disparaître définitivement, de la même manière que dans son cauchemar.

Et pourtant …

Rien. Les yeux de Rarity étaient toujours là, fixes, en train de le défier, postés entre ses deux oreilles fièrement dressées. Son visage immaculé était absent de toutes traces écarlates, qui auraient témoigné du travail accompli par son sabot vengeur. Pourquoi ces yeux étaient-ils toujours ouverts ?

Il jeta un coup d’œil à sa patte grise. Elle était là, suspendue en l’air, les muscles tendus, tremblante comme si elle tentait de traverser un mur invisible. Elle attendait l’ultime impulsion qui lui permettrait d’accomplir son œuvre. Alors pourquoi n’y arrivait-il pas ? Pourquoi l’hésitation l’envahissait-elle tout d’un coup ? Ce n’était pas bien différent de la fois où il avait assommé Pinkie, même si c’était par l’intermédiaire d’un rondin de bois ! C’était pourtant bien sa patte, il l’avait toujours contrôlé comme bon lui semblait.

Il reporta son attention sur Rarity. Ses yeux bleus étaient toujours les mêmes, comme si elle se fichait éperdument du sort qu’il lui réservait. Qui était-elle pour qu’il hésite autant ? Tout ce qu’elle avait fait, c’était le forcer à reprendre l’unique chose pour laquelle il était doué, ne pas perdre ce foutu talent qui lui avait valu sa marque de beauté maudite.

Oui. Ça devait être ça. Ses sabots étaient incapables de lui faire du mal car c’était elle qui les avait aidé à conserver leur raison d’exister. Sans cette faculté à peindre, ils n’étaient bons qu’à transporter la carcasse de l’étalon là où le destin voulait bien le mener. Si sa mère ne leur avait pas donné l’occasion de faire d’une simple toile une oeuvre d’art, Drawlife n’aurait été qu’un poney de ferme sans véritable talent. Et aujourd’hui, il avait laissé sa colère effacer tout l’espoir que sa mère avait apporté à son don. Elle était morte à cause de cette colère.

Et Rarity allait être la suivante.

Sa haine aveugle envers son existence misérable lui avait complètement fait oublier la valeur de cette licorne à ses yeux. Ses sabots, eux, le lui avaient rappelé. Peu importe ce qui pouvait arriver, Rarity serait toujours celle qui avait cru en son don, au même titre que sa mère. Drawlife regarda à nouveau sa patte, toujours prête à frapper, n’attendant qu’un seul ordre. Ça le dégoûtait. Il se la serait arraché s’il avait pu. Il lui fallut encore quelques secondes d’amertume pour finalement la laisser mollement retomber au sol.

« Bon, maintenant que tu es décidé, tu me suis, que je répare ça » soupira-t-elle presque de soulagement tout en désignant la tête de l’étalon du museau.

Encore sous le choc, Drawlife suivit la licorne sans rien dire, la mine basse. Il ne parvenait pas à se sortir de la tête l’horreur qu’il avait failli commettre, cette agression gratuite pour des raisons puériles. Elle, en revanche, ne laissait rien transparaître, sa démarche toujours aussi assurée, son cou bien droit. Il était assez impressionnant pour Drawlife de la voir aussi sûre d’elle alors qu’elle avait manqué de se faire molester il n’y avait même pas une minute.

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Le Carrousel ne faisait pas partie de ses lieux de fréquentation habituels, mais il n’était pas difficile pour l’étalon de constater que rien ne changeait : tout était propre à y manger à même le sol, un léger parfum flottait dans l’air, égayant l’odorat, et chaque chose était à la place qui lui était destinée. Tout, sauf une pouliche licorne que Drawlife avait déjà aperçu en ville, et qui s’était précipitée dans les pattes de son hôte, visiblement très heureuse de la voir.

« Rarity, t’es enfin rentrée ! pialla-t-elle en se blotissant contre la licorne.

-  Oui-oui Sweetie Belle, moi aussi je suis contente de te revoir, s’exclama la couturière en caressant affectueusement la jeune jument du museau, mais fait attention, tu as failli me faire tomber ! Et tiens-toi tranquille s’il te plaît, nous avons un invité.

-  Un invité ? » s’étonna la petite licorne en se penchant sur le coté, afin de voir le poney caché juste derrière.

Drawlife croisa un bref instant le regard jade de Sweetie Belle, avant de retourner à la contemplation du plancher, sans afficher le moindre intérêt pour leur conversation. Rarity put remarquer que la pouliche blanche avait l’air confuse, tout en tirant une expression qui se rapprochait du dégoût.

« Quelque chose ne va pas chérie ? demanda la couturière.

-  Il est moche, déclara-t-elle sans retenue sous le regard effaré de la licorne, j’espère que les goûts c’est pas génétique.

-  Sweetie !

-  Ben quoi ? Tu as vu sa tê-héééé ! »

Avant même qu’elle ait pu finir sa phrase, Sweetie Belle se retrouva les quatre fers en l’air, enveloppée d’un cocon cyan, pour finalement atterrir plus ou moins en douceur à l’opposé de la pièce, rejointe par sa sœur, le regard plein de reproche. Pourtant, elle ne lui cria pas dessus, contrairement à ce que la pouliche aurait cru après le traitement qu’elle venait de subir, mais donnait plutôt l’air d’être soucieuse.

« Oui, pour le moment il est laid, chuchota Rarity, et c’est bien pour cela qu’il est ici. Alors tu serais adorable si tu pouvais éviter d’être aussi franche pendant que je m’occuperai de lui. Non, mieux, il vaudrait mieux que tu ne dises rien et que tu ailles dans ta chambre.

-  Mais qui c’est au juste ? grommela la petite licorne en remettant en place ses boucles roses et violettes.

-  Quelqu’un qui a besoin d’un peu d’attention, trancha Rarity, pensant sa réplique suffisamment claire.

-  Et moi alors ? gémit sa sœur. Depuis ce matin tu me laisses toute seule et je n’ai rien pour m’occuper.

-  Excuses-moi, mais j’ai beaucoup à faire en ce moment ! s’excusa la licorne avec moins d’assurance. Pourquoi tu n’irais pas jouer avec tes amies ?

-  Ben je voudrais bien, mais elles ont dit qu’elles n’avaient pas besoin de moi aujourd’hui. »

Des larmes perlèrent au coin des yeux de sa sœur, ce qui mit Rarity dans l'embarras, lui faisant amèrement regretter de ne pas pouvoir satisfaire le manque d’attention de la pouliche dans l’immédiat. Elle jeta un regard furtif vers Drawlife pour voir s’il ne s’impatientait pas avant de retirer les larmes de la petite jument avec son sabot.

« Écoutes, sa présence n’était pas prévue, et crois-moi, j’aurais très nettement préféré passer du temps avec ma soeur adorée pour me déstresser de mon travail, tenta de rassurer la couturière, mais je ne pouvais vraiment pas le laisser dans cet état, tu comprends ? »

Sweetie Belle fit la moue en détournant le regard, apparemment peu encline à se réjouir de la situation. Rarity regarda une nouvelle fois par-dessus son épaule, craignant que le temps qu’elle prenait pour consoler sa sœur ne donne l’occasion à Drawlife de s’enfuir. Le choix n’était vraiment pas facile pour la licorne, mais le cas de l’étalon était malheureusement beaucoup plus inquiétant, et donc plus urgent, que celui de sa soeur.

« S’il te plaît, on fera ce que tu veut après, c’est promis ! Je t’en prie ! supplia-t-elle à quatre genoux en affichant le sourire le plus implorant qu’elle avant en magasin.

-  D’accord, souffla la pouliche par les naseaux en roulant des yeux, je te laisse avec ton amoureux si c’est ce que tu veux.

-  Sweetie Belle ! Voyons ! couina la licorne en se redressant brusquement, la voix ébranlée, son teint ayant complètement perdu de sa blancheur pour virer au cramoisi.

-  Ça va, je plaisantais, je vais dans ma chambre. »

Sur ces mots, Sweetie Belle trotta mollement vers l’escalier en passant devant Drawlife, non sans lâcher une dernière grimace à sa vue, au grand dam de sa grande soeur.

« Ne fais pas attention à elle, intervint Rarity en pressant sa sœur vers l’étage, laisse-moi plutôt voir ce que je peux faire. »

La licorne disparut quelques instants pour revenir avec des petites fioles et serviettes gravitant autour d’elle. Ses lunettes rouges étaient posée sur son museau, sûrement en avait-elle besoin pour ses travaux de précision. Elle demanda à Drawlife de s'asseoir près d’une table, histoire qu’elle puisse tout avoir à portée de sabot sans recourir systématiquement à la télékinésie.

Elle commença par nettoyer les plaies qui envahissaient son visage. Il le savait, car outre les picotements incessants qui manquaient de le faire gémir comme un poulain, et ceci à chaque fois que sa soigneuse passait le désinfectant, il pouvait observer son reflet grâce aux verres des lunettes de Rarity.

Son état était bien pire qu’il ne l’imaginait, Stronghoof ne l’avait pas raté. Sa tête était asymétrique au possible, il avait un œil boursouflé, des hématomes très voyants dûs à son absence partielle de duvet, et des lésions encore fraîches qui indiquaient là où les fers de son frère l’avaient touché. Du sang avait séché par endroit, que Rarity s’attelait à enlever petit à petit.

Un léger toussotement vint interrompre son auto-contemplation, et Drawlife constata qu’il n’y avait plus uniquement les lunettes de la licorne qui était rouges. Ses joues s’étaient mises à lui brûler, et ce n’était pas du à ses blessures cette fois ci.

Observer son reflet dans des lunettes signifiait immanquablement croiser le regard de leur propriétaire. Se rendant compte de cela, Drawlife baissa rapidement les yeux, gêné d’avoir mis mal à l’aise la licorne en la fixant intensément dans les yeux, même involontairement. Malheureusement, elle était presque collée à lui pour analyser son visage, donc si ce n’était pas le bleu de ses yeux, c’était la blancheur de son corps qui envahissait son champ de vision. Et impossible de tourner le cou, Rarity lui saisissant le menton pour s’assurer qu’il ne bouge pas.

Jamais ses yeux n’avaient été aussi longtemps en présence d’une jument, ni aussi proches, du moins pas en chair et en os. Drawlife n’était vraiment pas à son aise, et ne parvint pas à se retenir de déglutir, mais se consola en se disant que sa soigneuse avait l’heureux avantage de ne pas être désagréable à regarder. Il pouvait voir chaque détail, ses poils brossés à la perfection, ses courbes bien dessinées, sa croupe rebondie mettant en valeur son trio de saphirs, ses jambes d’une longueur et d’une finesse à tomber … Comment avait-il pu ne pas être inspiré face à un corps aussi sublime ?

Attends, il n’était pas en train de la reluquer quand même ?

C’était pourtant bien le cas, son regard voyageait machinalement sur toute la silhouette de la lady, et son corps réagissait de plus en plus fort au spectacle qu’il ne pouvait pas ignorer. Même en fermant les yeux, feintant une douleur pour éviter d’attirer les soupçons, le mal était déjà fait. En pleine cécité, ses autres sens prenaient le relais, et ne tarissaient pas d’éloges sur ce qui se trouvait derrière ses paupières.

Une odeur florale et sucrée avait agréablement remplacé le parfum ambiant de la pièce. Il pouvait entendre la respiration de Rarity, douce et calme, enivrante par le souffle chaud qu’elle dégageait régulièrement sur son visage. Le picotement du désinfectant ne parvenait même plus à camoufler la tendresse avec laquelle Rarity passait le coton sur son visage. Cette avalanche de sensations agréables lui donnait le vertige, l’empêchant de garder une position stable malgré tous ses muscles tendus, en plus d’avoir de plus en plus chaud ; ce qui ne manqua pas d’inquiéter la licorne.

« Tout va bien Drawlife ? Tu es brûlant tout d’un coup » demanda-t-elle après avoir délicatement posé le dos de son sabot sur le front de l’étalon.

« Non-non-non-non pas d’autres contacts physiques ! »

Subitement, Rarity retira sa patte avec un glapissement de surprise, ce qui n’aidait pas à soulager l’étalon.

« C’était quoi ces étincelles ? s’interrogea-t-elle avec inquiétude en posant à nouveau sa patte sur la tête de Drawlife. Tu es sûr que tu te sens bien ?

-  Ou-oui, t-tout va bien ! » bafouilla-t-il, éloignant le sabot de Rarity avec toute la délicatesse que lui permettaient ses tremblements.

Mais que lui arrivait-il ? D’où venaient ces tremblements nerveux ? Pourquoi sa tête était-elle en feu ? Sa gorge s’était complètement asséchée, et sa respiration n’en était que plus pénible. Était-il malade ? Ou même mourant ? C’était ridicule, il n’avait rien avalé ou subi qui justifiait ces symptômes.

« Bon, essaye de rester calme, je vais faire repousser le duvet de ton visage et les quelques crins manquants, déclara la couturière de sa voix suave, tu seras plus présentable après ça. »

Rester calme ?! Mais il ne demandait que ça ! La dernière fois qu’il avait ressenti un tel afflux de stress, c’était entre les griffes de la Lamia, quand elle avait manqué de le broyer. La situation n’était pas la même, alors comment pouvait-il contrôler une chose dont il ne comprenait pas les raisons !

Et si … ?

Une seconde.

C’est tout ce qu’il avait fallu pour commettre ce geste, et tout autant pour le regretter, car cette seconde pouvait être lourde de conséquences. En fait, il ne pouvait pas vraiment se dire qu’il le regrettait. Il ne savait pas pourquoi il avait fait ça, l’urgence du moment ayant laissé l’instinct supplanter la logique, lui faisant faire quelque chose dont il ne se serait pas cru capable. Mais peu importe, il ne pouvait plus faire machine arrière. Il espérait juste que Rarity ne lui en ferait pas toute une histoire.

Cependant, même en se disant cela, Drawlife avait tout le mal du monde à ne pas hurler pendant que ses dents pénétraient la chair molle de sa langue.

Cette affliction était juste immonde, car si à la base il voulait simplement se mordre la langue, il n’était pas parvenu à contenir la force déployée dans sa mâchoire à cause du stress. Et par la même occasion, les séquelles des coups de son frère amplifiaient la douleur engendrée. Il avait l’impression que sa tête entière était prise dans un étau, et la brutalité de la douleur avait failli lui couper la respiration. Mais se retenir de hurler et se concentrer pour ne pas gémir avait suffi à faire taire ce stress qu’il pensait incontrôlable ; et vu la vitesse à laquelle il s’habituait à la souffrance causée par sa mutilation, il espérait que Rarity en aurait bientôt fini pour ne pas avoir à recommencer un tel supplice.

C’était d’ailleurs étrange qu’il ne sentait déjà plus rien. Cela faisait plusieurs secondes qu’il s’était percé la langue, et aucun goût de sang ne lui venait en bouche, aucune insensibilité à l’extrémité de l’appendice, pas même une entaille qu’il était pourtant sûr de s’être fait. Autre fait curieux, toute sa tête lui renvoyait à présent une sensation de chaleur. Mais rien de comparable à celle suffocante qu’il avait ressenti plus tôt, cette fois elle était plus agréable, plus reposante, comme un baume qui lui caresserait affectueusement le visage.

Il rouvrit les yeux, et la première chose qui le frappa fut que sa vue lui paraissait plus bleutée que d’ordinaire. Rarity était devant lui, heureusement plus éloignée, les yeux fermés et paraissait se concentrer sur un sort au vu du halo autour de sa corne. Ce devait être le sort pour faire repousser ses poils, mais alors pourquoi cela semblait guérir aussi sa langue ?

« Voilà c’est terminé, dit-elle fièrement après quelques minutes de concentration silencieuse, normalement tu … oh !

-  Quoi, qu’est ce qu’il y a ? s’inquiéta Drawlife devant la face surprise de la licorne.

-  Rien de dramatique, au contraire, le rassura-t-elle en lui tendant un miroir, c’est juste que je n’aurais jamais pensé qu’un sort aussi simpliste pouvait s’avérer aussi efficace. »

Dans le doute, l’unicorne saisit le miroir, et constata qu’effectivement, le sort avait plus que bien réussi. En plus de ses poils qui avaient parfaitement repoussé, il ne restait plus une trace des coups que lui avait infligé son frère. Il était comme neuf, comme si les événements récents ne s’étaient jamais produits.

« J’ignorais que tu étais capable de faire ça.

-  Une dame se doit de rester impeccable, se targua-t-elle en se passant le sabot dans la crinière pour la faire rebondir, et comme des petits accidents peuvent vite arriver lors de ma toilette, ce tour est bien utile.

-  Et c’était censé faire disparaître les plaies, les bosses et tout le reste aussi ? renchérit Drawlife en faisant attention de ne pas mentionner sa langue.

-  Pas exactement non, avoua la licorne tout aussi étonnée, comme je le disais, j’ignorais que ce sort guérissait aussi ce genre de maux.

-  Des talents cachés hein ? lança-t-il en compliment avec un léger sourire en coin.

-  Mais toi aussi tu en as ! Et ne vas pas me dire le contraire. Par exemple, qui se serait douté que tu te débrouilles aussi bien avec les animaux ?

-  Tu parles, tout le monde peux le faire, maugréa l’unicorne en roulant des yeux.

-  Opalescence n’est pourtant pas une fille facile, rétorqua la licorne bien décidée à faire positiver l’étalon platine, moi même je ne parviens pas toujours à la satisfaire. Est ce que c’est Fluttershy qui t’a appris à faire ça ? »

« Fluttershy ? »

Ce nom …

Il avait interrompu la conversation tel un vinyle que l’on aurait arraché d’un tourne disque. Et tout aussi brusquement, le corps entier de Drawlife se figea, seuls ses yeux furent pris de tremblements. Ses mauvaises pensées avaient trouvé une ouverture, et tentaient à nouveau de l’assaillir. Il avait presque réussi à les chasser, et voilà qu’un simple nom avait déclenché une nouvelle période de torture mentale.

A la réaction de l’unicorne, Rarity se rendit compte de son erreur, et se mit un sabot devant la bouche pour ne rien dire de plus, même s’il était déjà trop tard. Elle ne pensait pas que le sujet était si sensible au coeur de Drawlife, et regrettait d’avoir laissé la légèreté de la conversation l’envoyer sur un thème aussi délicat.

« Pardonne-moi je ne savais pas, balbutia la licorne derrière son sabot, je … je vais te chauffer une tisane, ça va te requinquer … enfin je l’espère. »

Le doute ne la figea pas pour autant, et elle se précipita en cuisine, laissant le champ libre à une silhouette qui rôdait en amont des escaliers.

-----

Sweetie Belle avait épié la scène pendant plusieurs minutes, désireuse de savoir qui était cet individu que Rarity avait pomponné mieux qu’Opal. A la base, elle avait envoyé la pique du poney chéri pour faire râler sa sœur, mais elle commençait à se demander si elle n’avait pas visé juste en fin de compte.

Prudemment, elle descendit les escaliers pour rejoindre l’unicorne gris, priant Celestia pour que sa sœur prenne toujours autant de temps à préparer ses tisanes. Elles étaient certes bonnes, mais il ne fallait pas être pressé avec elle. L’étalon, lui, était toujours immobile comme une statue, malgré le fait qu’on le voyait bien respirer. C’était assez dérangeant à regarder pour une petite pouliche hyperactive.

Elle s’approcha de lui, tentant de faire remarquer sa présence en passant sous le museau de l’étalon. Sans succès. Peu importe les mouvements de tête ou les grimaces qu’elle effectuait, les iris jaunes de l’unicorne restaient toujours statiques. Enfin …

« Tu as fini de te moquer de moi ? »  grogna Drawlife.

Sweetie sursauta sous l’effet de la surprise. Il avait beau ne plus avoir une tête de monstre, avec sa grosse voix, son air méchant et sa grande taille, il restait effrayant pour elle. Mais trop curieuse pour fuir comme la pouliche qu’elle était, elle affronta son regard qui s’était soudainement posé sur elle.

« Heu salut ! Je voulais pas me moquer de toi, s’excusa-t-elle maladroitement, c’est juste que comme tu ne bougeais pas, ça faisait bizarre.

-  Tu me voulais quoi à la base alors ?

-  Ben, comment tu t’appelles déjà ? demanda la pouliche du tac au tac.

-  Drawlife, répondit-il sur un ton blasé.

-  T’es pas d’ici ?

-  Non.

-  Tu fais quoi à Ponyville ?

-  Je regrette d’y être …

-  T’es amoureux de ma sœur ?

-  Tu as fini avec tes questions idiotes ?! » tonna l’étalon gris en frappant la moquette du sabot ; moquette pas suffisamment épaisse pour étouffer entièrement l’impact du sabot.

Second sursaut de la pouliche. La dernière fois qu’elle avait eu de telles sueurs froides, c’était à la nuit du Cauchemar ; sauf que là, celui qui lui faisait peur n’avait pas besoin d’être déguisé. De plus, s’il criait trop fort, il risquait d’alerter sa sœur, ce qu’elle voulait éviter. Mais visiblement repris d’envie de bouder, Drawlife pivota pour sortir la petite jument de sa vue, révélant un détail qui intéressa grandement la pouliche.

« Woaw, elle est super ta marque, elle veut dire quoi ? s’exclama Sweetie Belle en collant presque son museau sur le flanc de l’unicorne.

-  Elle attire les ennuis, comme maintenant, maugréa Drawlife en se traînant légèrement sur le coté afin de garder une certaine distance avec la pouliche.

-  Tu dois être doué en peinture vu le pinceau ! enchaina-t-elle sans faire attention à la remarque de Drawlife, toujours en admiration. Par contre c’est quoi cette tête de poney, tu fait de la sculpture aussi ? Tu sais travailler la pierre ? Ou le bois ? C’est tout gris, ça doit être de la pierre. »

Aucune réponse de sa part hormis un soupir. Alors qu’elle était en train de s’imaginer arborant une marque de beauté d’artiste, et comment elle pourrait s’y prendre pour l’obtenir, un déclic vint frapper Sweetie Belle, lui faisant écarquiller les yeux, comme si une chose capitale lui était revenue à l’esprit.

« Hey, mais tu serais pas ce peintre dont parle tout le temps Rarity ?

-  Je n’en sais rien, souffla Drawlife d’exaspération, agacé d’être martelé de questions.

-  Si si, insista-t-elle de sa petite voix aiguë, même qu’elle a presque tous tes dessins à ce qu’elle m’a dit.

-  Comment ça ? s’étonna l’étalon dont les oreilles s’étaient dressées de curiosité.

-  Viens, je te montre. »

Contente d’avoir éveillé l’intérêt du peintre, elle le conduisit devant une porte située sous l’escalier. Il s’agissait certainement d’un débarras, même si l’appellation était peu appropriée vu le soin avec lequel tout était rangé, classé par type, par couleur et par d’autres critères qui échapperaient à la compréhension d’un non-initié. Il y avait une grande armoire près de l’entrée vers laquelle Sweetie Belle se dirigea pour l’ouvrir. A l’intérieur étaient disposés plusieurs tableaux, rangés de telle manière qu’il n’y ait aucun contact entre eux. Un casier avait même été installé pour recevoir toute une série de feuilles plus petites, que Drawlife semblait reconnaître étant donné l’air étonné qu’il affichait après les avoir étudié à la volée.

« Alors c’est bien toi qui les as dessiné non ? demanda la pouliche.

-  Pourquoi sont-ils là ? coupa Drawlife d’une façon très peu amicale, sans même prendre le temps de répondre à la question de la jeune licorne.

-  Heu … je ne sais pas trop, ma soeur les garde là pour quand elle va les emmener à Canterlot je crois, hasarda Sweetie Belle, prise de court par la réaction peu enjouée de l’étalon au crin noir.

-  Et elle compte en faire quoi au juste ?

-  Ben … peut être pour les vendre, supposa la pouliche de moins en moins sûre d’elle, elle a besoin d’argent en ce moment.

-  Je vois ... »

Voulant reprendre un peu le contrôle de la conversation, Sweetie Belle ouvrit grand la bouche, mais aucun son n'eut le temps d’en sortir quand elle vit sa sœur apparaître derrière la silhouette de l’étalon, un plateau supportant deux tasses en porcelaine flottant à ses cotés. En tant normal, elle aurait enguirlandé la pouliche pour avoir fouillé ses affaires. Ses lèvres étaient d’ailleurs tremblantes, et le plateau tenait mal en place, mais ses yeux en revanche étaient différents ; elle semblait avoir peur, et cela se confirmait par les pas en arrière qu’elle effectua instinctivement lorsque Drawlife pointa son regard vers elle.

« Jolie collection, murmura calmement l’unicorne en se déplacement lentement vers la couturière.

-  Oui, j’ai essayé d’en sauver un maximum, dit Rarity en tentant de garder le sourire, ils sont toujours mieux ici que croupissant au fond d’un trou, n’est ce pas ? »

Léger silence, pendant lequel la licorne reculait toujours devant l’avance inquiétante de Drawlife, les gouttes de sueur coulant le long de son visage trahissaient sa nervosité.

« Au final, tu es aussi hypocrite que les autres, reprit-il en hochant la tête de dépit, je ne sais pas pourquoi je m’imaginait autre chose.

-  Excuses moi ?

-  Tu m’as bien compris ! lança Drawlife en haussant le ton, plongeant son regard furieux dans celui incompréhensif de la licorne. Combien de tableaux tu comptais me faire peindre avant de te décider à les vendre ? Quand t’es venue cette idée lumineuse de me faire travailler à ton compte ?

-  Q-quoi ? M-mais tu n’y es pas du tout, bégaya-t-elle sous la surprise des propos tenus par Drawlife, qu’est ce qui te fait dire des choses pareilles ?

-  La vérité sort toujours de la bouche des poulains, n‘est ce pas ? cita l’étalon avec un sourire fielleux, en jetant un coup d’oeil à Sweetie Belle qui resta bouche bée devant la scène.

-  Voyons Drawlife, ne raconte pas d’idioties ! s’énerva Rarity face aux accusations de l’unicorne. Je ne sais pas ce que t’as dit Sweetie, mais tout ce que je voulais ...

-  Tu voulais quoi ?! vociféra Drawlife de tout ses poumons. Profiter de ma naïveté ?! Pouvoir faire ta fière devant ces snobinards de Canterlot comme si c’était toi qui avait peint ces tableaux ?! Tu n’es pas la première sournoise à me faire le coup ! »

Le fracas de la porcelaine qui se brisait n’avait pas suffit à camoufler le hurlement de l’étalon, et devant autant de médisance de la part de Drawlife, Rarity était complètement désemparée. Ce n’était pas comme à l’extérieur où il avait suffi de le convaincre de la suivre, cette fois-ci il fallait lui ôter une idée de la tête, ce qui demandait bien plus de tact que de simplement tenir sa position. Elle était sur le point de perdre la confiance de Drawlife, et lui de rejeter la seule personne qui ne le considérait pas comme un dérangé ; vu son état actuel, il était très dangereux qu’il ne dispose d’aucun soutien moral.

Mais devoir gérer une saute d’humeur deux fois de suite était trop pour la lady, et ne trouvant pas les mots pour le calmer, sa voix resta à la place complètement paralysée devant l’attitude haineuse de l’étalon gris. Elle faillit pousser un cri paniqué lorsque sa croupe percuta un mur. Toute retraite maintenant interdite, elle ne pouvait que regarder l’unicorne gris, les yeux implorants, les oreilles tombantes, le suppliant mentalement de ne pas lui faire de mal.

« D-Drawlife, s-s’il te p-p ... begaya avec difficulté la licorne, se tassant devant l’avance inexorable de l’unicorne.

-  LA FERME ! » coupa énergiquement l’étalon, les muscles complètement tendus par la colère.

Rarity lâcha un hoquet de peur, et craqua, déversant abondamment ses larmes à défaut de pouvoir se défendre. Elle se trouvait pathétique, recroquevillée en boule dans un coin de sa propre maison pendant que l’ombre de celui qu’elle pensait être un ami la recouvrait. Elle se maudissait de ne pas être capable de se maîtriser à un moment aussi critique. Pour la seconde fois, elle attendit le coup de sabot, mais cette fois ci incertaine que quelque chose vienne retenir l’étalon.

« Hey, tu vas parler autrement à ma grande sœur toi ! »

Dans sa confusion, Sweetie Belle s’était interposée entre sa sœur et Drawlife, dressée sur ses deux pattes arrières pour affirmer sa présence. Elle n’avait pas encore tout bien compris, si ce n’est que ce qui se produisait était apparemment de sa faute, mais voir sa soeur dans cet état lui fit réaliser qu’elle n’avait pas l’intention de rester les pattes croisées pendant que ce malotru la faisait pleurer.

Un peu surpris, Drawlife stoppa son avance, puis expira, comme s’il était en apnée depuis le début des hostilités. Sweetie Belle s’étonna de voir son intervention obtenir un résultat aussi rapide qu’efficace, malgré qu’elle ne faisait clairement pas le poids face au monstre qu’était l’unicorne pour elle.

« Tss, elle a raison, concéda l’étalon en relâchant son corps, ça ne sert à rien que je te crie dessus, ou pire. Au final, que ce soit moi ou un autre qui possède ces tableaux ne change rien.

-  Ravie que tu ais compris, exprima faiblement Rarity encore tremblante, je n’avais jamais eu l’intention de …

-  Garde-les, vend-les, brûle-les, je m’en fiche, coupa Drawlife en reprenant son avance, ces choses ne m’ont apporté que des ennuis, et je n’ai pas l’intention d’en refaire de sitôt.

-  Que … ? balbutia la licorne en se plaquant contre le mur auquel elle tournait le dos, les yeux ronds encore humides.

-  Tu pourrais t’écarter s’il te plaît ? Tu es devant la porte. »

Les deux sœurs se retournèrent pour constater qu’elles étaient effectivement devant l’encadrement de la porte d’entrée. Toutes deux regardèrent à nouveau l’étalon, qui toussota d’impatience, puis s’écartèrent aussitôt de son chemin. Ce dernier sortit sans un hochement de tête, refermant magiquement la porte derrière lui pour ne pas avoir à se retourner.

Pas un bruit ne vint briser le silence macabre qui suivit le claquement de la porte, et ce pendant un moment trop long pour ne pas créer un malaise chez Sweetie Belle. Puis, sans dire un mot, Rarity revint vers le milieu de la pièce, là où elle avait laissé tomber ses tasses de tisane. Elle appela magiquement à elle des serviettes et de quoi ramasser les morceaux, et s’affaira silencieusement au nettoyage méticuleux de son sol. Tout ce qu’on entendait à présent étaient les entrechocs des éclats de porcelaine et la respiration des deux licornes, c’était tout juste si l’agitation de la foule à l’extérieur était audible.

« Je peux t’aider ? demanda timidement Sweetie Belle en s’approchant prudemment de sa soeur.

-  Tu étais vraiment obligée de lui montrer ses tableaux, Sweetie ? demanda à son tour la couturière d’une voix lasse, sans se détourner de sa tâche.

-  Je pensais pas à mal, je voulais juste savoir si c’était bien lui celui dont tu parlais tout le temps.

-  Tu aurais pu simplement me le demander, continua la couturière, sans changer de ton.

-  Ben … oui, mais ...

-  Dans ta chambre.

-  Hein ? Pourquoi ...? s’étonna la pouliche.

-  Dans ta chambre, s’il te plaît, répéta la licorne un peu plus énergiquement.

-  Rarityyy … gémit Sweetie Belle, inquiète pour sa sœur.

-  TOUT DE SUITE ! »

C’était au tour de Sweetie Belle de reculer face à un regard plein de colère, et c’est tout aussi déboussolée qu’elle grimpa les marches de l’escalier qui menait à sa chambre à coucher. Même s’il elle n’avait pas encore tout saisi de ce qui s’était passé entre Drawlife et Rarity, elle se sentait honteuse, car comme souvent, elle était à l’origine de la catastrophe, et cela la minait que sa sœur lui en veuille à cause de ça.

Arrivée à l’étage, Sweetie Belle crut entendre des reniflements. Sûrement sa sœur l’avait congédié pour qu’elle puisse pleurer tranquillement. Elle devait accuser le coup de ce qu’elle avait subi, ou alors elle jouait la comédie en dramatisant tout, comme d’habitude.

Ça n’allait pas être aujourd’hui qu’elles allaient faire des activités ensemble, en tout cas.

-----

Tout était prêt, tout était en place. Elle n’avait rien oublié, car elle avait tout revérifié plein de fois. Qui aurait cru qu’elle pouvait être aussi maniaque, alors qu’elle avait fait ce genre de chose des milliers de fois ? En tout cas, elle était fière d’elle, jamais elle n’avait développé cela aussi profondément. Ça allait être nouveau, mais c’était normal, car tout était nouveau maintenant.

Et cette fête allait être nouvelle aussi, et elle allait être réussie, ça c’était sûr.

Elle devait être réussie !

« Pinkie, qu’est ce que tu fais ? fit une voix enfantine derrière la porte. Ça fait une heure que t’es enfermée.

-  Oui-oui les filles, j’arrive ! » répondit la ponette rose en sautillant vers la porte, fraîchement sortie de ses pensées.

Lorsqu’elle l’ouvrit, Pinkie Pie fut éblouie par la lumière qui régnait dans l’autre pièce. Enfin, en réalité, c’était plutôt le fait de sortir d’une pièce sombre après une heure qui lui donnait cette impression de lumière aveuglante. Ça avait été pénible de travailler dans la pénombre, mais personne ne devait voir ce qu’il y avait dans cette pièce, et toutes les fenêtres avaient donc été scellées. Après plusieurs tour sur eux mêmes, ses yeux s’habituèrent à la nouvelle luminosité, puis la ponette verrouilla la fameuse pièce, et fourra discrètement la clé dans sa crinière ; personne n’irait la chercher ici.

« Y’a quoi là dedans ? demanda une petite pégase orange qui était encore en train d’attacher des ballons en hauteur grâce à un escabeau.

-  Je te l’ai dit Scootaloo, c’est une surprise ! piailla la terrestre bouclée en lui adressant un clin d’œil. Et vous ne saurez ce qu’il y a dedans que demain.

-  En tout cas de notre coté on a presque fini, s’exclama une jeune ponette avec un nœud rose attaché à sa crinière rouge, j’espère que Sweetie Belle va aimer !

-  T’inquiètes pas Apple Bloom, je suis sûre qu’elle va aimer, vous êtes ses amies après tout, et vous connaissez ses goûts mieux que moi ! Même si j’avais ma petite idée ... »

La jeune pégase descendit de l’escabeau pendant que Pinkie se perdait à nouveau dans ses pensées, et soupira lorsqu’elle fouilla dans un bac rempli de ballons dégonflés.

« Ouais, enfin elle a pas super bien pris qu’on la lâche aujourd’hui, reprit Scootaloo en se dirigeant vers une bonbonne de gaz pour remplir les baudruches, on a pas intérêt à se rater sur ce coup là.

-  Il n’y a pas de raison, vous avez été super aujourd’hui, sans vous j’aurais jamais fini à temps ! s’exclama la jument en secouant Scootaloo sous sa patte.

-  On a peut-être été super, reprit la petite terrestre en regardant tristement sa croupe, mais c’est pas ça qui va nous valoir une marque de beauté. Et toi Scoot’, tu l’as eu ?

-  Nope, pas mieux, répondit-elle en exposant à son tour son flanc.

-  Soyez pas déçues, peut-être qu’avec encore un peu de temps vous aurez vos marques d’organisatrices de fêtes ! les encouragea Pinkie en se dirigeant vers la sortie. Je vous laisse finir, moi de mon coté, j’ai quelques bricoles à mettre au point. Amusez vous bien ! »

Quelques bricoles oui, elle devait s’assurer que tout se déroule comme elle l’avait prévu ; à commencer par les invités. En fait, une grosse partie de la ville avait été convié à sa fête, mais il y avait quelques poneys dont elle voulait être sûre de la présence.

Et par le plus grand des hasards, à peine avait-elle quitté la pâtisserie qu’une de ses futures invitées apparut à quelques mètres d’elle.

« Twilight ! Hey Twilight ! appella Pinkie en lui faisant signe du sabot. Tu tombes bien, je voulais te voir !

-  Moi aussi j’étais venue te voir, dit la licorne en s’approchant, la mine sombre.

-  Ah, qu’est-ce qu’il y a ? T’en fais une drôle de tête. Rien de grave ? J’espère que ça ne vous empêchera pas de venir demain toi et Drawlife, la fête sera moins amusante sans vous. »

Visiblement, Twilight avait l’air particulièrement gênée, et regardait difficilement son amie dans les yeux, tout en se grattant machinalement la nuque.

« Ben justement, en parlant de lui … il n’est pas rentré ce soir, et je ne l’ai pas encore trouvé. Avec ce qui s’est passé ce midi, je crains qu’il ne soit parti. »

Le sourire déjà faible de Pinkie disparut subitement. Apprendre la disparition de l’étalon gris était une des choses qu’elle redoutait le plus parmi sa liste d’imprévus, et découvrir cela la veille de sa fête ne facilitait pas les choses.

« Quoi ?! Mais c’est pas possible, il est forcément quelque part, il n’a pas pu partir bien loin ! Il ne s’est quand même pas enfui à cause de ma fête ?

-  Il y a peu de chances que ce soit la raison …

-  Qu’est ce qu’on en sais ?! s’alarma la ponette en agitant les pattes. Si ça se trouve, il a mal pris que ce soit pas moi qui l’ai invité personnellement, ou alors ma carte n’était pas assez à son goût. Ou pire ! Il a …

-  Pinkie, calme-toi ! interrompit la licorne mauve en tentant de hausser le ton plus fort que son amie affolée. Il n’est pas au courant de ta fête.

-  Comment ça ? Tu ne lui à pas donné son carton, si ? demanda d’un air très sérieux la terrestre après s’être soudainement calmée.

-  Baah … j’ai pas vraiment eu le temps.

-  Twili-ight, je comptais sur toi ! » gémit la ponette bouclée.

C’est pas bon ! Vraiment pas bon ! Si Drawlife n’était pas là demain, ça voulais dire que tout ce qu’elle avait fait n’aurait servi à rien, et que sa fête serait gâchée, inutile, complètement à coté de la plaque.

Non, sa fête n’allait pas être gâchée. Personne ne fuyait ses fêtes. Elle avait encore toute la nuit pour le retrouver, et quand elle l’aura sous le sabot, il rejoindra sa fête. Il allait participer à sa fête et il allait l’aimer. Elle en était sûre !

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