Le soleil était à son zénith, emplissant l’air d’une douce et agréable chaleur. L’air était en permanence balayé par une brise qui soufflait au pied de la montagne. Non loin, une forêt dense s’étendait jusqu’à l’horizon, sa lisière percée par une rivière d’eau cristalline. Sur la cime des arbres, quelques oiseaux chantaient leur bonheur à tue tête, accompagnés par le clapotis du courant d’eau, comme pour remercier le ciel de ce beau temps.
Soudain, un bruit similaire à un coup de tonnerre brisa l’harmonie du lieu, stoppant l’orchestre des volatiles qui s’envolèrent dans la panique.
« Je crois que je viens de gâcher le tableau… »
Non loin de la rivière était apparu un unicorne plutôt massif, et surtout épuisé. Le sac à ses sabots était ce qui avait déclenché le bruit, le son de l’impact amplifié par la résonance des falaises.
Après une visualisation rapide du terrain, l’équidé remarqua un renfoncement dans la paroi rocheuse près d’un plan d’eau ; il saisit sa charge par les dents pour la traîner dans cette direction, et constata qu’il s’agissait d’une entrée de grotte. Voilà qui fera un parfait petit gîte pour se reposer.
Une fois sur place, il se posa et fouilla dans ses affaires. Par lévitation, de petits objets sortaient par grappes du sac, tous de couleurs différentes, pour aller se poser non loin de leur propriétaire, bientôt suivis de pinceaux. Quand le tas de récipients fut devenu assez conséquent, l’unicorne y jeta un air agacé après avoir interrompu l’inspection du sac. Quelle idée de se balader avec une telle quantité de ce type de matériel en pleine nature ?
Enfin, il trouva ce qu’il cherchait : un sandwich composé de tranches de pain, de salade, de miel et d’œuf. Sans attendre, il y mordit à pleines dents, savoura chaque bouchée comme si c’était la dernière. Le miel était ce qu’il préférait, et rien au monde ne lui donnait plus de plaisir en bouche que la pâte sucrée fondant sur son palais.
Un tel délice donnait cependant soif. Il se dirigea donc vers la rivière pour se désaltérer. L’eau était claire, tirant sa source en amont directement de la montagne, il y avait donc peu de risque d’attraper une colique en la consommant. Il s’en prit plusieurs lampées, la fraîcheur du liquide lui faisait un bien fou après toute cette marche, surtout qu’il avait fini sa gourde depuis un long moment.
Il profita de l’occasion pour s’asperger d’eau, et nettoyer ses pattes ; son pelage gris n’était pas salissant, mais il était toujours plus agréable de sentir l’air frais sur sa peau sans qu’il soit bloqué par une couche de poussière. Son crin n’allait pas être en reste, ainsi, plutôt que de simplement se passer de l’eau sur tout le corps, il plongea directement dans la rivière avant de mettre en position de planche. Sa longue crinière noire zébrée de mèches argent et cuivre s’étala à la surface de l’eau, formant un halo autour de sa tête. Il fit quelques mouvements de va-et-vient avec ses pattes, touchant par moments son flanc, frappé d’une marque de beauté formant un pinceau croisant le fer avec un buste de poney en pierre.
Son talent pour l’art du dessin, et plus particulièrement de la peinture, fut découvert très tôt, mais aussi étrange que cela puisse paraître, ce fut bien plus long en ce qui concernait sa marque.
Depuis tout petit, Drawlife gribouille et esquisse toutes sortes de choses, en général ce qui lui attire l’attention, tel qu’un beau paysage, une scène amusante ou le portrait d’une personne marquante. Plus il grandissait, plus ses traits étaient sûrs, ses couleurs bien posées, ses goûts changeants, mais plus ses envies de dessins devenaient compulsives.
D’un naturel rêveur, ces égarements étaient souvent accompagnés d’un griffonnage. Même à l’école, ses dessins envahissaient les marges de ses notes, une manie qui lui avait valu plusieurs réprimandes de la part de ses professeurs. Mais ces derniers l’avaient rapidement laissé faire, constatant qu’il restait studieux malgré tout.
C’est d’ailleurs cette manie dévorante de dessiner couplée avec son flanc vierge qui avait attisé la curiosité de ses camarades de classe, mais aussi du reste de son entourage. Comment était-il possible qu’aucune marque ne soit apparue alors que son don était évident, même pour l’unicorne ?
La réponse fut en partie révélée lors de ses années à l’école supérieure générale de Canassa. Drawlife ne possède que de vagues souvenirs de cette époque, mais il a quand même été marqué par certains des élèves de cette classe. Il y avait principalement Seacube, poney terrestre très intelligent et dont la sympathie en avait rapidement fait un ami pour Drawlife. C’est d’ailleurs grâce à lui que l’unicorne platine avait appris à ne plus faire attention aux moqueries de ses camarades, et principalement ceux de Spitshark et Lavyscale, deux pégases inséparables mais turbulentes, peu appréciées des professeurs notamment. Il y en avait d’autres, comme le farceur Jacolt ou la belle Blow Passion ; tous contribuaient à donner une ambiance agréable et inoubliable.
Son flanc nu de toute marque malgré son âge avait suscité beaucoup de moqueries en ce temps-là, même si beaucoup avaient considéré son talent artistique avec beaucoup d’admiration. Cela avait amené son lot de bons et de mauvais moments. L’unicorne avait appris à vivre avec, et il était même parvenu à se faire à l’idée d’être un flanc vierge pendant encore longtemps.
C’est pourtant cette année-là que sa marque était apparue. Seacube avait été le premier à l’avoir vue, découvert dans la salle d’art plastique, après s’être inquiété de son absence à deux cours d'affilés. Il avait passé plusieurs minutes à inspecter tous les étages et les salles vides, inquiet pour son ami, et ce furent finalement des bruits d’objet brisé et des cris de colère qui l’avaient mené là où se cachait Drawlife. Le poney bleu pensait connaître l’unicorne, mais ce qu’il avait vu dans l’atelier lui avait offert un tout autre aspect du tempérament de son ami.
La pièce avait été plongée dans l’obscurité, tout juste éclairée par des traits de lumière qui filtraient à travers les stores fermés. Il y voyait suffisamment pour remarquer l’état chaotique de l’endroit : tables renversées, murs et papiers souillés de différents produits colorants, outils de dessins jonchant le sol. Drawlife avait été au milieu de ce carnage, la lueur émanant de sa corne éclairant son museau d’une façon dérangeante, tout en maintenant en suspension plusieurs pinceaux. Seacube avait pu voir que de ses yeux remplis de haine coulait un flot de larmes, ce qui l’avait fortement perturbé, l’étalon gris sachant d’habitude rester serein en toutes circonstances.
De ce fait, il avait failli ne pas voir sa marque de beauté, tant attendue.
Seacube avait pris l’initiative de s’approcher pour le féliciter, mais à peine Drawlife avait remarqué sa présence qu’il s’était fait violemment repousser par magie à l’extérieur de la salle et claqué la porte au museau. Troublé par cette réaction, il avait observé l’intérieur par la baie vitrée côtoyant la porte. Il avait eu le temps de remarquer une toile encore intacte représentant quelqu’un, mais sans pouvoir l’identifier, le sabot de Drawlife étant passé au travers entre-temps. L’unicorne avait ensuite semblé se calmer, laissant une dernière larme couler de sa joue avant de l’essuyer.
La dernière qu’il ne verrait plus.
Depuis ce jour, Drawlife était devenu différent. Alors qu’au cours de l’année, Seacube était parvenue à rendre l’unicorne plus enjoué et social, il affichait désormais une mine neutre, il ne souriait plus ni ne faisait la moue, sa bouche demeurant parfaitement horizontale. Il avait juste l’air de ne plus rien ressentir, ni joie, ni peine, comme si tout ce qu’il se passait autour de lui importait peu. Cela en inquiétait certains et en indifférait d’autres, mais personne n’en comprenait les raisons. Mais son changement de comportement n’avait pas fait autant de curieux que la signification de sa marque de beauté.
Ce que représentait le pinceau était une évidence pour tout le monde, mais le buste de pierre restait un mystère. La marque de Drawlife était devenue un des grands sujets de conversation, et presque tous cherchaient à comprendre pourquoi elle n’était apparue que maintenant, alors qu’au final tout le monde connaissait son don depuis plusieurs années. De ces interrogations étaient nées des spéculations farfelues, certains soutenant que Drawlife avait acquis un don pour la sculpture, ce qui lui avait valu plusieurs fois de se retrouver avec un morceau de granit sur son bureau et des yeux rivées sur lui, comme pour attendre un événement incroyable. D’autres ironisaient en disant que le buste représentait le cœur de pierre qu’il était devenu. Il y avait sûrement un soupçon de vérité là-dedans…
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Une goutte d’eau vint s‘écraser sur le museau de l’étalon, suivie rapidement par ses petites sœurs. Drawlife reprit ses esprits, constatant que son dos baignait encore dans la rivière, légèrement bercé par les remous de l’eau causés par la bourrasque naissante. En se relevant il remarqua que le soleil s’approchait de l’horizon, signe que l’astre de Luna allait bientôt faire son office. Perdu dans ses souvenirs, son introspection devait avoir duré plusieurs heures ; c’était devenu une habitude.
Ce qui l’était moins en revanche étaient ces nuages de pluie, étant donné qu’il ne pouvait voir aucune habitation aussi loin que sa vue le permettait, aucun pégase n’aurait pu créer cet orage. Mais quelque soit l'origine de ce phénomène climatique, cela n’empêcha pas un éclair de claquer à une dizaine de mètres dans un grand flash sonore, incitant l’unicorne à se réfugier sous la grotte dans laquelle il s’était fort heureusement installé plus tôt.
Coincé sur place et n’ayant pas sommeil suite à sa sieste involontaire, il ne put qu’observer le spectacle, impuissant. La pluie s’était intensifiée, se transformant en tempête, mais laissait toutefois une bonne visibilité sur une grande distance, éclairé par moment d’éclairs d’un bleu étincelant. Les nuages noirs de suie étaient parcourus d’arcs électriques à un rythme régulier, créant de brèves impulsions similaires à des spasmes. Les arbres quant à eux dansaient sous la puissance du vent, leurs feuillages adoptant une teinte satinée grâce à la pluie, reflétant ainsi la lumière apportée par la foudre.
Tout petit, Drawlife avait toujours été fasciné par les nuits d’orages, mais cela le laissant maintenant de marbre. Il eu un regard sur son matériel de dessin étalé dans un coin de la grotte, et après quelques secondes de réflexions, les approcha par magie avant de démarrer un dessin par plusieurs traits sinueux, sans vrai conviction.
Même s’il n’en tirait pas de réel plaisir, ça restait une belle nuit, cela valait le coup d’en garder un souvenir.
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Drawlife étira son corps et se remit péniblement sur ses sabots. Il avait fini par s’assoupir quelques heures après le début de la tempête, bercé par la mélodie que créaient les impacts de pluie sur la paroi rocheuse, accompagné d’un léger écho dû à la résonance de la grotte. Seulement même la meilleure mélopée d’Equestria ne pouvait rendre agréable une nuit sur un sol dur. Encore courbaturé, il rangea son carnet à dessin, constatant au passage qu’il avait tout de même fini le crayonné de la scène.
Histoire de se réveiller une bonne fois, non pas sans s’éblouir du soleil matinal, l’unicorne alla piquer une tête dans la rivière, le niveau de cette dernière ayant étonnement augmenté grâce à la pluie torrentielle de cette nuit. Après s’être séché, il prit un autre de ses sandwichs pour finaliser son émergence, et se rendit compte alors qu’il entamait ses dernières réserves de nourritures. Il allait falloir se ravitailler.
La forêt qui s’étendait à sa vue lui semblait une bonne solution. Semblant dense et luxuriante, il y avait fort à parier qu’il trouverait de quoi se sustenter en cherchant un peu. Vérifiant une dernière fois qu’il n’avait rien oublié, Drawlife passa son sac sur son dos et entama sa marche.
Comme pour confirmer ses observations, la forêt s’épaississait à vue d’œil au bout de plusieurs minutes de marche. Chaque mètre que Drawlife parcourrait laissait apparaître des arbres et buissons plus nombreux et plus imposants, coupant petit à petit l’accès aux rayons du soleil. S’il ne s’était pas assuré de l’heure approximative à l’aide de la position du soleil avant de pénétrer la forêt, il aurait cru que la nuit tombait déjà.
Alors que les rayons du soleil ne parvenaient plus à filtrer au travers de la cime des arbres, il fut pris d’un horrible pressentiment. Cela faisait un long moment qu’il trottait, et pas une seule plante comestible n’était en vue, pas même un seul arbre fruitier. On lui avait déjà enseigné que les forêts n’étaient pas systématiquement des vergers sauvages, et donc que l’on n’y trouvait pas forcément quelque chose de consommable. Pourquoi avait-il fallu qu’il tombe sur une forêt stérile ?
D’autant plus qu’avec du recul, il trouvait quelque chose de dérangeant dans ces bois. Il pouvait remarquer des ronces se mêler aux buissons, et quelques arbres visiblement morts étaient apparus, pointant de façon menaçante leurs branches acérées vers le sol. Encore plus inquiétant, une brume s’était installée à mi-hauteur de poney, diminuant fortement la visibilité au sol sur plusieurs mètres, donnant une impression malsaine d’isolement.
Une peur instinctive le saisit. Peu entrain à s’éterniser en ce lieu, il fit volte face… uniquement pour se rendre compte que rien ne lui garantissait de pouvoir réellement rebrousser chemin.
Tout n’était que végétation dense et entremêlée, aucun repère car tous les arbres se ressemblaient, aucun chemin car les buissons poussaient de façon anarchique, et aucune trace de pas qu’il aurait laissée dû au sol sec et rocailleux. Sa gorge se noua, pris de panique, chose qu’il n’avait pas ressentie depuis très longtemps. Tournant la tête frénétiquement en quête d’un indice quelconque pour retrouver sa route, le stress brouillait son sens de l’orientation, et il finit par se rendre compte avec horreur qu’il n’avait pas suivi le cours de l’eau pour le guider.
Jamais il ne s’était aventuré seul dans une forêt, jamais il n’avait voyagé de la sorte sans carte ni indication à suivre. Et avec le ciel camouflé par la verdure, il n’y avait aucun astre apparent pour déterminer sa position. Il était dorénavant cloîtré dans un bois sûrement hostile, livré à lui-même.
Alors qu’il était sur le point de hurler, un bruit inhabituel capta son attention, comme une sorte de gémissement. Même si ce n’était pas ce qu’il attendait, ce fut tout de même suffisant pour atténuer ses craintes car il disposait d’un repère, même minime. Heureusement pour lui, le son n’était pas orphelin, permettant de revoir son cap à chaque fois qu’il l’entendait pour s’en rapprocher.
Drawlife se demandait tout de même ce qui pouvait être à l’origine de ce bruit. La plainte se transforma en chant, ce qui rassurait l’unicorne sur la nature de son propriétaire : il ne se jetait pas dans la gueule d’un prédateur, tout du moins, il ne connaissait pas de prédateur capable d’une telle chose. Mais ses craintes s’envolèrent lorsqu’il trouva le propriétaire de cette voix, un poney au pelage bleu. Le soulagement d’avoir peut-être trouvé de l’aide dissipa l’étrangeté de la présence d’un membre de sa race en ce lieu.
À la tonalité, il s’agissait sûrement d’une jument. Elle était là, lui tournant le dos, enveloppée dans les fourrés jusqu’aux épaules. Drawlife ressentit quelque chose d’étrange, comme une vibration qui détendait tout son être. Le chant à présent parfaitement audible, il ne pouvait s’empêcher de l’apprécier, de se laisser bercer par le son enivrant qu’elle dégageait.
L’esprit un peu embrumé, il marcha sur une brindille, alertant sa présence à la chanteuse. Et se retourna, lentement, sans aucune surprise dans le geste. À la vue de ses yeux d’un rouge flamboyant, Drawlife ne put s’empêcher d’émettre une interjection peu élégante. Elle sourit en retour. L’étalon ne savait pas pourquoi, mais au plus profond de son être, il était convaincu qu’elle l’attendait.
Toutes ses peurs emmagasinées plus tôt s’estompaient. Complètement rassuré, ses pattes se détendirent tandis qu’elles le conduisaient inexorablement vers cette superbe créature à la magnifique crinière blonde. Il ne contrôlait plus aucun de ses mouvements, mais peu importait, tant qu’il pouvait noyer son esprit dans ces incroyables iris écarlates, encore et toujours. Toute son attention était dirigée vers elle, plus rien d’autre n’existait, il aurait pu passer le reste de ses jours à l’admirer d’envie. Il pouvait même mourir ici, sa vie était dorénavant comblée.
Il crut cependant remarquer que le teint de la ponette changeait, pour adopter une couleur qui se rapprochait du jaune, tout comme sa crinière semblait s’animer pour changer de forme, passant du bouclé à lisse. Étrangement, ces changements lui semblaient très familiers.
Une claque mentale instinctive le réveilla, et il se figea sur place. Drawlife émergea, comme sorti d’un mauvais rêve, en pleine confusion. De la salive coulait de ses lèvres, et son cœur palpitait encore furieusement. Sûrement avait-il sombré dans une sorte de torpeur passionnelle, mais il ne saurait dire ce qui lui avait permis de s’en défaire.
La ponette avait l’air d’avoir remarqué son changement de comportement, et s’était arrêtée de chanter. Maintenant que le son de sa voix n’était plus, Drawlife pouvait pleinement apprécier le comportement de la jument. Elle n’avait pas arrêté de sourire, et forçait même encore plus, passant furtivement sa langue sur ses lèvres. Elle effectua plusieurs mimiques provocatrices, expliquant silencieusement mais de façon très explicite ses intentions envers l’unicorne.
« Désolé, mais je ne suis pas intéressé, lança-t-il par réflexe, préférant couper court aux intentions de la ponette.
- Ssss’il te plaiiit ! » avait-elle prononcé d’une façon suave, et avec un léger sifflement qui lui mis la puce à l’oreille.
Quelque chose chez cette inconnue commençait à le déranger.
« Non vraiment, insista Drawlife, la seule chose qui m’importe pour le moment c’est de sortir de cet endroit.
La ponette se mit à balancer doucement la tête tout en continuant de le fixer tendrement.
« Partir ? Pourquoi partir ? Tu ne veux pas ressster avec moi ? » gémit-elle en faisant la moue. Je peux t’offrir tout ssssce que tu veux.
- Rester avec vous n’est pas dans mes priorités sincèrement, expliqua-t-il en ayant parfaitement saisi le sens de la proposition, je dois d’abord trouver de quoi me nourrir, vu que je vais bientôt me retrouver sans rien à manger. »
Visiblement interloquée par son refus catégorique, elle se raidit. Son air perdit tout aspect de séduction, même son sourire donnait moins envie.
« Qu’est-sssse qui te faire dire qu’il n’y a riiiien à manger issssi ? lui lança-t-elle d’un ton qui se voulait beaucoup moins aguicheur.
- Cela doit bien faire une bonne heure que je n’ai rien repéré de comestible dans ce bourbier ! lui répondit-il simplement. Donc je pense que oui, il n’y a rien à manger ici. »
Même si Drawlife ne laissait rien paraître, cette ponette commençait à l’inquiéter sérieusement. Elle insistait trop à ce qu’il reste auprès d’elle. Maintenant qu’il y pensait, il était vrai qu’il y avait quelque chose d’incohérent en ce qui la concerne : que faisait-elle ici, au milieu de nulle part, visiblement sans nourriture vu que lui-même n’en avait pas trouvée ?
« Oh mais pourtant il y a bien quelque chossse à ssse mettre ssssous la dent pas loin, paaas loin du tout » siffla-t-elle, comme pour répondre à ses pensées.
Pour accompagner ses paroles, elle s’éleva dans les airs. Pas par lévitation, comme aurait pu le faire une licorne particulièrement douée, ni grâce à des ailes qu’elle ne possédait pas. Non, simplement grâce à quelque chose qui était passé inaperçu au travers du fourré, et que Drawlife n’avait encore jamais vu auparavant, et qu’il aurait aimé ne jamais voir.
Dans un bruit peu naturel, pour un poney tout du moins, la ponette se cabra sur ce qui lui servait d’arrière-train : une longue queue aussi large que son bassin, recouverte d’écailles luisantes. Ses pattes avant à présent visibles, il pouvait constater qu’elles ne finissaient non pas par des sabots, mais par des mains graciles munies de griffes à chaque doigt, dont la taille et la longueur ne laissait que peu de doutes quant à leur utilité.
Ainsi dévoilée, la créature approcha doucement son visage de celui de l’unicorne en ondulant lentement son corps, s’extirpant du buisson. L’unicorne aurait bien voulu fuir, comme n’importe quel poney l’aurait fait à sa place devant un tel monstre, mais il en était incapable. Drawlife était mort de trouille, mais au lieu de l’encourager à prendre ses pattes à son cou, cette peur le tétanisa, lui hérissant l’échine d’effroi et lui glaçant le sang.
Immobilisé par cette vision d’horreur, la forme serpentine pouvait tranquillement se lover prêt de son jouet, si près qu’il pouvait sentir le souffle régulier et puant la charogne de sa respiration sur son museau. Tout en douceur, elle glissa un doigt le long du menton de la licorne comme on passerait le bout de son sabot dans la crème glacé pour le goûter. Elle semblait déguster du regard Drawlife, presque frissonnante d’excitation.
« Cette chossse est jusssste sssous mes zzzyeux ! » susurra-t-elle, léchant au passage l’oreille de l’unicorne.
À ce mot, ses rétines formèrent des fentes à la manière de celles d’un reptile.
Ce phénomène tira la sonnette d’alarme qui lui indiquait que son corps était de nouveau valide, juste à temps pour éviter l’énorme gueule garnie de crocs qui s’apprêtait à se refermer sur sa tête. Un claquement sec vint confirmer que la créature avait manqué sa cible, ce dernier n’ayant pas attendu de connaitre le sort qu’elle lui réservait. Se remettant du choc, la créature dirigea son regard assassin vers le fuyard, remuant son corps pour commencer la traque de sa proie.
« Ooooh, je sssens que tu a enviiie de jouer ! » vociféra de plaisir l’hybride.
Pas le temps de réfléchir, il fallait galoper le plus vite possible. Mais dans sa précipitation, il se prit plusieurs fois à trébucher sur une racine, tombant brutalement et raclant le sol qui était loin d’être meuble, tout en renversant une partie du contenu de son sac à chaque fois. Il ramassait tout à la hâte par magie les premières fois, mais l’étalon abandonnait la manœuvre à fur et à mesure de ses chutes, entendant le rire strident de la bête se rapprocher de plus en plus.
Drawlife n’avait pas l’habitude de courir aussi longtemps, et de par la nature de sa poursuivante, capable de zigzaguer entre les troncs sans ralentir grâce à son corps sinueux, il savait que l’avance qu’il avait pris sur elle serait vite perdue. Mais l’instinct de survie supplantait la logique et il continua de galoper comme un dément. Ses articulations lui faisaient mal à force de s’érafler contre le sol rocailleux et les troncs d’arbres, et la sueur perlait sur son front à une vitesse affolante, le forçant à boiter sur trois pattes régulièrement pour enlever ce qui lui voilait la vue.
Au bout de cinq minutes de course effrénée, Il sentit ses forces diminuer, tout autant que la distance qui le séparait de sa prédatrice. À bout, il plongea mollement dans un large bosquet, suffisamment grand pour le dissimuler.
Il reprit bruyamment son souffle, le cœur battant à tout rompre, puis tenta de se calmer de force lorsqu’il entendit le bruit écœurant des écailles frottant l’une contre l’autre s’approcher. Pendant des secondes qui semblaient s’étirer en minutes, la créature dardait l’air de sa langue fourchue, à l’affût de la moindre odeur suspecte dans les environs. Drawlife avait énormément de mal à ne pas trembler de peur, les pulsations frénétiques de son cœur faisant vibrer sa poitrine à lui en couper la respiration.
Finalement, le silence se fit, brisé uniquement par le bruissement des feuilles, ainsi que le son léger d’un déferlement d’eau. Se remettant difficilement de ses émotions, l’unicorne prit parti de se diriger vers le bruit du courant, afin de rattraper son erreur. Dès son premier pas, il tomba face contre terre, empirant les plaies déjà nombreuses qu’il possédait.
Blasé, il tourna les yeux vers le responsable, et ses rétines se rétrécirent devant leur constat : une énorme queue écailleuse était étalée à ses pattes et commençait à l’entourer, tandis que sa propriétaire le fixait avec gourmandise. Il se sentit soulevé, inexorablement tiré vers la gueule distendu de la jument-serpent. Fermant les yeux et le corps crispé, il attendit le moment fatal, acceptant contre son gré son destin aussi misérable soit-il.
Au moment où il sentait l’haleine fétide de son prédateur, son stress était à son maximum, redoutant le moment où les crocs allaient percer sa chair et l’emmener droit dans l’estomac du monstre. Dans le même temps, il sentit une partie de ses forces diminuer soudainement, suivi d’un cri de douleur perçant. Se risquant à ouvrir un œil, il vit la ponette au corps de serpent gesticuler, les mains sur le visage, desserrant progressivement sa queue.
« Aaaaah ! Mes zzzzyeux ! Pourquoi m’as-tu fait ssssça ?! »
Se demandant ce qu’il s’était passé, Drawlife remarqua une lumière s’estomper juste au-dessus de ses yeux. Par réflexe, et bien qu’il ne s’en était jamais cru capable, il avait émis un flash, suffisant pour faire lâcher prise au monstre.
Sans chercher plus d’explications, il saisit sa chance et détala derechef. Le peu d’énergie qui lui restait devait avoir été pompé pour l’utilisation du sort, car sa vision se troubla dès les premières secondes de sa course, lui faisant courir le risque de se prendre un arbre de plein fouet. Il secoua la tête pour reprendre ses esprits, mais cela ne lui permit pas de contrôler sa course déjà parasitée par l’épuisement, ce qui eut pour effet de lui emmêler les pattes et le propulser en avant à pleine vitesse. Son vol plané lui fit traverser un buisson épineux qui ne manqua pas de lui écorcher le visage, dévoilant un vide une fois de l’autre coté.
Sans pouvoir prendre le temps d’analyser ce qui lui arrivait, Drawlife ne put que hurler d’horreur pendant que la gravité l’attirait vers le fond. De par la profondeur du ravin, l’impact avec l’eau fut extrêmement douloureux, à la limite de lui broyer les os. Il se retrouva alors dans des rapides, ceux-ci l’emportèrent telle une vulgaire poupée de chiffon, le percutant plusieurs fois contre des monticules rocheux éparpillés tout au long du lit. Chaque choc s'enchaînait sans qu’il ait le temps de se remettre du précédent, lui laissant à peine la possibilité de reprendre sa respiration au travers des vagues qui le fouettaient au visage.
Cherchant instinctivement à survivre, Drawlife n’était même pas en mesure de se demander comment il avait pu fuir ses problèmes peut-être bénins pour se retrouver confronté à d’autres particulièrement mortels.
Et alors que le courant se calmait, la fatigue de l’étalon ne lui permit pas d’éviter un dernier rocher barrant son chemin, l’assommant sur le coup et mettant fin à son combat, le laissant évanoui et à la merci de la nature. Celle-ci avait toutefois décidé d’arrêter de jouer avec lui, laissant son corps dériver, accompagné du hurlement strident de la bête serpentiforme rageant d’avoir perdu son déjeuner.
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