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Ragnarök

Une fiction écrite par Nochixtlan.

Dernières paroles: le Crépuscule d'un Monde

Nous y sommes.

La fin d’un cycle, et le début d’un nouveau.

La fin du début, le dénouement tragique d’une épopée n’aboutissant à rien d’autre qu’à une nouvelle histoire placée sous le signe de la domination du plus fort.

C’est la fin d’une légende, et la continuation d’une autre, dont la fin n’est pas encore écrite.

« Légende » signifie « qui mérite d’être lu ». Je crois que c’est le terme approprié pour désigner ce qui va suivre.

Lisez, et portez mon souvenir, pour que la légende demeure, et écrivez la bonne fin.

Tout s’est passé tellement vite depuis que j’ai quitté mon foyer. On m’a relaté tant d’évènements, dont on sait au final si peu de choses… Je vais tout de même m’atteler à la tâche de les retracer dans le moindre détail, en me basant sur tout mon savoir et mes expériences, et en essayant de respecter l’ordre chronologique des choses.

Il y a déjà plusieurs semaines, quelques jours après mon départ d’Equestria et alors que j’arpentais déjà les landes enneigées de Wulfangar, les griffons dépêchèrent des diplomates en Equestria, alarmés par une de leurs récentes observations : au large de leur île, ils avaient aperçu une armada complète descendre de la partie Est du continent vers le Sud, une flotte dont les fanions arboraient la tête de loup de la royauté de Wulfangar.

Equestria envoya en réponse une demande de renforts aux griffons, cherchant à se préparer contre l’attaque qui risquait de survenir dans les semaines suivantes, comptant sur les hybrides ailés pour emporter la victoire vers les cieux, comme pendant la guerre des Mille Chandelles.

Le temps passa, et aucun signe des loups ni de leur flotte ne parvint aux rivages équestriens. Les griffons aperçurent une partie de la flotte retourner vers le Nord, et obtinrent la confirmation que les princes se trouvaient à bord.

Dès lors, l’imminence d’une attaque coordonnée, à la fois par le Nord et par le Sud, était devenue évidente. Les princesses savaient qu’il serait impossible de gérer les batailles sur les deux fronts si l’armée d’Equestria, encore mal entraînée, devait se scinder en deux parties. Cela ne ferait qu’accélérer l’invasion des barbares du Nord. Elles en appelèrent donc à leurs autres alliés, les Principautés Zèbres, dans l’espoir d’obtenir suffisamment de renforts avec le concours des griffons.

Les deux factions répondirent à l’appel, les griffons par appât du gain, sachant qu’on ne pourrait rien leur refuser tant leur présence en tant que tueurs de loups était vitale, les zèbres pour un motif bien plus subtil.

Les Rayés savaient pertinemment que la reprise des hostilités entre les carnivores du Nord et Equestria leur serait tout sauf profitable. Si les carnivores du Nord se remontaient contre ceux qui les avaient longtemps auparavant chassés de leurs terres, il y avait de bonnes chances pour que la nouvelle remonte loin au Sud, et que les prédateurs de la savane et du désert se décident à imiter ceux des terres glacées. Et les carnivores du Sud sont autrement plus redoutables que les loups.

De leur côté, et je pus m’en rendre compte par moi-même, les loups s’étaient chargés de répandre la nouvelle de leur croisade pour récupérer leur ancienne terre, et cherchaient à acquérir tout le soutien disponible, afin de transformer une armée déjà terrifiante en véritable rouleau compresseur. Ils dépêchèrent des demandes d’alliances vers les lointains rivages du Dragon à l’Est, ainsi que les montagnes de Zebrica. Bien que les deux factions aient refusé de déplacer leurs propres troupes, j’aperçus des mercenaires hyènes venus de la savane, ainsi que quelques machines de guerre, probablement achetées à prix d’or, aux mécanismes complètes et manœuvrées par de petites créatures masquées que je soupçonne d’être des renards.

Swift Quill, mon compagnon de voyage depuis le début de ma folle entreprise, a eu le temps d’effectuer de nombreux croquis des machines orientales, grâce auxquels notre ingénieur Gemstone Ink est actuellement en train de plancher sur des répliques améliorées, que nous pourrons mobiliser sur les champs de bataille. Pour ma part, je ne pus qu’admirer les hyènes sur le champ de bataille. Elles se battaient avec la férocité de cinq loups, avec la force de trois, et leur seule apparence, couvertes d’ossements et de crânes pris aux ennemis qu’elles avaient abattus et dévorés, suffisait à inspirer la peur chez quiconque se trouvait en face d’elles. Pire encore, je ne me rappelle aucune bataille contre les loups flanqués de ces horribles chiens de guerre dont la nuit suivante avait été paisible, sans que ces charognards ne soient revenus glousser et faire résonner l’immonde craquement d’os brisés sur le champ de bataille.

Dans le Sud, les nouvelles ne parvinrent aux oreilles des princesses, et donc aux miennes, que longtemps après leur occurrence, à des heures qui s’avérèrent rapidement terribles.

C’est en interrogeant des prisonniers Changelings, surpris pendant des tentatives de vol d’informations ou d’assassinats, que l’on apprit la destruction de leur Ruche et l’asservissement de leur peuple par les princes de Wulfangar.

Ils étaient descendus jusqu’aux Désolations, et avaient massacré les Changelings jusqu’à ce que la Reine Chrysalis elle-même les implore de cesser le carnage et ne se rende à eux. Depuis, les Changelings étaient non seulement devenu des espions et des assassins, mais également une efficace diversion.

Partout en Equestria, sabotages, meurtres et vols d’informations affolaient à la fois l’armée et les états-majors, mais également la population. Chacun se sentait épié et craignait de sentir une dague s’enfoncer dans sa nuque sitôt qu’il avait le dos tourné.

Pendant cette période d’angoisse, on apprit le meurtre de Time Splitter, l’ingénieur qui était à l’origine du générateur de portails qui avait failli causer la perte d’Equestria deux ans auparavant, ainsi que la destruction de sa machine et la disparition de ses plans. Le laboratoire abritant l’ingénieur et ses plans avait été incendié, et on y retrouva, en plus de celui de l’ingénieur, le cadavre calciné d’un Changeling. Cependant, bien que la machine fut placée dans un endroit secret et étroitement surveillé, sa destruction et l’absence de tout marque d’effraction laissa planer le doute quant à l’identité du saboteur, et accentua encore la tension dans le royaume.

Les têtes pensantes d’Equestria étaient en émoi, et personne ne savait comment se débarrasser de cette menace. De véritables chasses aux sorcières furent organisées, des Changelings arrêtés et exécutés par dizaines, mais cela ne suffit pas à endiguer la vague d’espionnage et d’assassinat qui couvrait le pays.

La découverte la plus terrible fut sans doute celle qui survint après une tentative d’assassinat visant Celestia elle-même. Luna, par pur hasard, parvint à intercepter la Reine Chrysalis qui avait revêtu son apparence, et à la mettre en fuite après un bref duel magique. La fugitive disparut totalement, et on ne la retrouva qu’au matin.

Crucifiée au sommet des portes du château.

Personne, aucun poney ne revendiqua le meurtre, et il n’en fallut pas plus pour qu’une véritable psychose ne remplace l’angoisse.

La rumeur qui disait que quelque chose surveillait les espions et les assassins eux-même se répandit comme une traînée de poudre.

Le rythme des assassinats finit par baisser, au fur et à mesure que toujours plus de Changelings étaient capturés, mais la quantité de preuves diminuait également, et les coupables étaient de plus en plus insaisissables.

A Wulfangar, les choses n’étaient pas vraiment plus reluisantes. La plupart des soldats stationnés à la frontière évoquaient avec crainte une Harpie, un griffon aussi insaisissable et mortel que la foudre et qui s’attaquait aux villages fortifiés et aux armées en marche. Le monstre traversait le pays d’Est en Ouest, et tous craignaient que le tour arrive.

Le soir, dans les tavernes, on pouvait entendre les plaintes des agents du Guet de nuit qui craignaient de reprendre leur service. Certains parlaient de la Harpie, de l’attaque nocturne des villages côtiers de l’Est, d’autres affirmaient avoir vu des choses remuer dans l’ombre, des yeux brillants les scruter, et que tout disparaissait lorsqu’ils s’approchaient pour arrêter le maraudeur. Beaucoup croyaient que les fantômes de leurs ancêtres désapprouvaient la guerre et revenaient les hanter.

Alors que nous cheminions vers Tepatitlan, après avoir fait un détour aussi large que possible pour éviter Dreyrheim par le Sud-Ouest, nous fîmes une rencontre inattendue.

Dans le ciel nocturne, pour une fois dépourvu des étincelantes aurores boréales, la lueur des flammes du feu de camp s’étaient soudain reflétées sur une surface miroitante, comme du verre iridescent qui flottait dans le ciel, et se déplaçait lentement vers nous.

Devant cette apparition surnaturelle, Frost avait saisi son arme, et s’était apprêtée à recevoir un potentiel agresseur ; Quill et moi nous sommes simplement préparés au combat, espérant que le poids du nombre suffirait.

Mais il ne nous fallut guère de temps pour nous rendre compte que nous n’avions rien à craindre. Alors que la silhouette s’approchait, nous pûmes distinguer deux magnifiques ailes de papillon étincelantes comme des diamants, qui battaient doucement l’air pour porter un poney à la robe d’une blancheur immaculée et à la crinière couleur prune.

Rarity, ma tendre épouse, était venue me chercher.

Alors que je la serrais dans mes bras, ses ailes s’évanouissant brusquement à l’approche du feu, je respirais son parfum, que je crus avoir oublié.

Je fus à la fois comblé de joie de la revoir, et terriblement mis à mal par sa venue. Elle n’avait aucune idée du danger auquel elle s’exposait. Elle disait qu’elle était venue me prévenir que Wulfangar se préparait à la guerre, croyant me l’apprendre, et surtout pour me convaincre de rentrer chez nous et de nous mettre en sécurité.

Au terme d’une longue discussion, puisque je refusais d’abandonner alors que je touchais au but, elle résolut de nous accompagner, ne pouvant de toute façon espérer rentrer seule.

Elle m’en a voulu de ne pas l’avoir écouté. Les femmes nous en veulent toujours de ne pas les écouter.

Mais je m’en veux encore aujourd’hui.

Deux jours plus tard, les ennuis commencèrent pour nous.

Une patrouille de loups de Dröttinheim, la cité des Seigneurs, nous intercepta dans notre périple. La présence de trois poneys accompagnés d’un coyote fut une raison suffisante pour nous arrêter et nous traîner de force au palais du jarl, le seigneur local, probablement pour y être exécutés en tant qu’espions.

Nous étions trop faibles par rapport à des loups, et ils étaient deux contre chacun d’entre nous. Leurs lances pointées vers nous suffirent à nous dissuader d’actes de résistance héroïques.

Alors que cinq loups en uniforme et livrée blanche nous encerclaient et nous tenaient en joue, le sixième, probablement le chef au vu de son armure un peu plus élaborée, s’était mis à humer l’air, remontant une piste que j’étais incapable de détecter. Il tourna autour de Rarity, continuant à chercher la source de l’odeur. Pourtant, comme nous tous, elle s’était roulée dans la neige pour justement masquer toute trace olfactive de notre passage.

Alors qu’il passait une seconde fois derrière elle, le museau arrêté près de ses pattes arrières, elle lui décocha une violente ruade en plein visage.

Le loup arrêta ses troupes qui allait se jeter sur elle d’un geste, et la récompensa de son assurance par un coup de griffe au visage, qui lui laissa quatre sillons dentelés sur la joue droite.

Je ne connus jamais vraiment la raison de ce geste, bien que j’aie aujourd’hui un doute. Je décidai alors d’oublier cet épisode et de ne pas l’interroger par la suite. Elle avait déjà suffisamment payé pour éviter qu’on le lui rappelle.

Nous fûmes traînés à travers la ville jusqu’au palais du Seigneur Vandr. Au gré de notre avancée, je pus entrapercevoir plusieurs ponettes, recluses dans des ruelles sombres et sales, la crinière emmêlée, la fourrure galeuse, et le visage creusé. Derrière certaines, je pouvais distinguer une petite masse de poils qui nous jetait un regard inquiet avec de grands yeux. Les deux s’effaçaient comme des ombres chaque fois qu’un loup aventurait son regard dans leur direction. Bien que ce détail eût attiré mon attention, je n’en fis pas grand cas. Des problèmes plus importants demandaient à être résolus.

Nous fûmes littéralement jetés devant Vandr, au beau milieu de sa salle du trône au murs couverts de tentures élaborées quoique défraîchies, encombrée de bibelots anciens et d’une architecture ridiculement baroque compte-tenu de la générale simplicité du mode de vie nordique. L’ensemble respirait la décadence à pleins poumons, et n’était pas sans rappeler les résidences palatines habitées par les empereurs romains des péplums de ma jeunesse.

Le jarl nous fit jeter aux cachots, Quill et moi, et, après l’examen minutieux du connaisseur, décida que Frost et Rarity devraient être emmenées à la « chambre rouge ».

Plus tard, j’appris que les seigneurs de Dröttinheim entretenaient depuis plusieurs générations un harem personnel, composé tout aussi bien de louves que de coyotes et de ponettes et même quelques zèbres, la décadence avancée des dirigeants de la cité leur octroyant un goût prononcé pour les saveurs « exotiques ».

Je ne puis, encore maintenant, me départir de l’idée que les malheureuses qui vivaient dans les ruelles sombres et crasseuse de Dröttinheim étaient d’anciennes maîtresses répudiées, jetées à la rue avec leurs bâtards.

Pendant la nuit, un hurlement d’alarme retentit, suivi rapidement par de nombreux autres, ainsi que des cris de guerre et du fracas des armes.

Quill et moi, alors que nous observions avec intérêt la réaction du garde de la prison, sens aux aguets et épée aux crocs, vîmes quelque chose briller dans le noir. Un instant plus tard, le loup s’effondrait, une dague dans la nuque, révélant derrière lui une paire d’yeux bleus étincelants à la pupille fendue.

L’ombre nous lança le trousseau de clés qui pendait à la ceinture du garde et, avec un accent presque « russe », nous ordonna de reprendre la route.

Peu après, alors que nous nous étions extirpé de notre cellule et que les clés commençaient à circuler entre les cellules, nous quittâmes précipitamment les cachots et cherchèrent la sortie du palais.

Courant à travers un immense couloir dont un mur était percé de nombreuses fenêtres en ogive, nous vîmes planer dans le ciel rougi de sang par le crépuscule une silhouette noire, qui plongea et disparut de notre vue derrière un bâtiment.

Le palais était totalement désert, la quasi-totalité de la garde ainsi que le jarl lui-même s’étant rués au-dehors pour se battre.

Nous retrouvâmes totalement par hasard Rarity et Frost, flanquées d’une trentaine de femelles de toutes espèces, qui cherchaient comme nous la sortie. Elles étaient saines et sauves.

Profitant du chaos et de l’absence de la plupart des gardes, nous nous frayâmes un chemin à travers la foule des habitants qui tentaient de fuir, et ne nous arrêtâmes de courir seulement lorsque la silhouette rougie par le feu des incendies de Dröttinheim commença à nous paraître indistincte.

Méditant sur ces étranges évènements, cherchant un lien entre notre sauveteur félin, l’apparition de ce qui n’était probablement rien d’autre que la fameuse Harpie et notre libération, nous reprîmes la route vers l’Ouest, espérant enfin obtenir les réponses que je demandais et mettre ainsi un terme à notre dangereux périple.

Quelle fut ma déception, en découvrant la cité.

Les loups grouillaient partout.

Les coyotes demeuraient la population la plus importante de la cité, mais le Guet était composé principalement de loups, c’étaient des loups qui observèrent nos quatre silhouettes encapuchonnées à l’entrée de la cité, et encore des loups qui gardaient le fortin du seigneur local, Tenoqual. Les loups achetaient, vendaient, surveillaient… Et les coyotes vaquaient à leurs occupations le plus naturellement du monde.

En traversant un marché en quête de bruits de rue et de rumeurs, nous comprîmes que les gens de Tepatitlan ne portaient pas les étrangers dans leurs cœurs, et les loups en faisaient partie. On entendait les coyotes maudire à voix basse les poneys et leur satanée guerre, qui arrachait les derniers soldats à leur foyer, alors qu’ils se remettaient tout juste de l’annexion de la cité au territoire de Wulfangar. Nous vîmes, placardées sur les murs, plusieurs affiches, signées de la patte du Seigneur Tenoqual, qui clamaient que les loups et les coyotes étaient des alliés, et qu’il fallait réserver aux loups l’accueil et le respect dus à des invités en toutes circonstances.

Voir ainsi ce peuple, qui avait été le mien, intégré et asservi par les loups, me troubla profondément. La situation ne devait pas avoir changé si rapidement. A quelle époque remontait donc cette régression que j’avais effectuée, deux ans plus tôt, dans laquelle les signes d’une guerre déjà ancienne opposant loups et coyotes étaient évidents ? Depuis quand mes frères devaient-ils courber l’échine en voyant passer l’un de ces monstres à fourrure dans la rue ?

Continuant notre route à travers le marché, accablé de déception, je fis une rencontre néanmoins étonnante et cruciale.

Devant un étal couvert de petites sculptures en bois, dont je ne parvins ni à deviner le sujet représenté ni l’utilité exacte, un autre coyote encapuchonné semblait danser sur place, balaçant son corps relativement discrètement d’un côté à l’autre comme s’il suivait un rythme que personne d’autre que lui ne pouvait entendre avec la précision d’un métronome, tandis que le marchand qui lui faisait face emballait sa nouvelle acquisition dans un pan de cuir.

Les étrangers encapuchonnés ne manquaient pas sur le marché, surtout depuis notre apparition. Mais aucun de ces anonymes ne portait sur lui des peintures semblables trait pour trait à celles que je m’étais vu effectuer durant ma régression.

C’est Quill qui avait repéré les peintures, alors que l’individu tendait quelques pièces d’or au marchand. Et, alors qu’il s’avançait dans notre direction pour remonter la foule de badauds vers la sortie de la ville, je pus apercevoir ses pattes couvertes de lignes et de cercles rouges dont le dessin m’était bien connu.

Je jouai un moment des coudes puis, une fois arrivé à sa hauteur, l’interpellait en lui posant une patte sur l’épaule.

Sous son capuchon, son visage était couvert de ces mêmes peintures dont j’avais le souvenir. Ses yeux dorés me regardaient avec un étonnement non dissimulé, qui se mua en air inquisiteur alors qu’il se tournait tout entier vers moi pour mieux me détailler.

Je suis certain qu’à cet instant, nos deux visages arboraient la même expression. Celle de l’étonnement ajouté à une intense réflexion, le cerveau ne pouvant se départir d’une violente impression de déjà-vu sans pour autant être capable d’effectuer une identification correcte.

Nous étions figés, le regard plongé l’un dans l’autre, essayant d’interpréter ces étranges sensations de souvenir qui nous assaillaient.

L’autre parla le premier, à grande vitesse et libérant un flot ininterrompu d’incohérences, s’adressant aussi bien à moi qu’à lui-même, sans jamais cesser de se balancer en suivant son rythme hypnotique. Il ne cessa de demander si j’étais bien « Lui », sans que je puisse répondre.

Mais puisqu’il semblait me connaître, je jouai le tout pour le tout et lui demandai si le nom « Nochixtlan » éveillait quelque chose dans sa mémoire.

A ces mots, son visage s’était éclairé, et ses oreilles se redressèrent si vivement que je vis son capuchon faire un bond sur sa tête. Il m’enjoignit de le suivre le plus discrètement possible, ce qui était déjà assez compliqué, et ne cessa de jeter des regards en tous sens jusqu’à ce que nous soyons tous, coyotes et poneys, sortis de l’enceinte de la ville sans encombres apparentes.

Le coyote, nommé Ihuian, nous tint en haleine deux jours durant, sans jamais nous révéler notre destination exacte, assurant que tout serait clair une fois arrivés. Cependant, ma confiance en lui était très limitée, ainsi que celle de mes autres compagnons, et nous le lui faisions sentir.

Lors du second jour de marche, nous pénétrâmes dans une forêt immense et visiblement très ancienne, la canopée filtrant encore les rayons du soleil déjà rares après leur traversée des nuages pour plonger le sol dans une obscurité relative. Mais Ihuian semblait savoir ce qu’il faisait, ce qui me parut assez étrange venant de quelqu’un qui ne pouvait s’empêcher de frapper la terre comme s’il s’agissait d’un tambour sitôt qu’il était au repos et ne savait plus quoi faire.

Enfin, le terme de mon voyage se révélait à moi.

Ihuian nous avait conduit à son village, caché au plus profond des bois, et qu’il présenta comme le dernier bastion du peuple coyote libre.

Pour ma part, il était exactement tel que je l’aurais imaginé.

Pas de constructions en pierre, quid des architectures compliquées, rien que des tentes décorées de motifs géométriques du même style que celles d’ont j’avais le souvenir, le tout organisé autour de feux de camps disposés en cercle, avec au centre une vaste clairière.

Là, dans ce village appelé Ahmana, pas de loups, pas de poneys, rien que des coyotes. Des petits jouaient en courant entre les arbres, ou étaient rassemblés autour des plus anciens et les écoutaient raconter les anciennes légendes.

Je notai que tout le monde préférait éviter de croiser le regard d’Ihuian, ou alors avec méfiance. J’appris plus tard sans surprise qu’on le surnommait Ihuian le Fou, sans grande surprise.

Le Fou me mena devant le chef du village, un grand coyote nommé Xihotl, secondé par plusieurs shamans d’un âge avancés. Ils m’étudièrent tout à tour un moment, m’examinant sous tous les angles, tentant de sonder jusqu’à mon âme à travers mes yeux, tout en me posant un grand nombre de questions, tantôt sur moi-même, tantôt sur des sujets n’ayant pas grand-chose à voir, souvent sur ma réaction face à différents types de situations. Après quelques minutes de débat en conseil fermé, ils conclurent que je correspondais bel et bien au souvenir qu’ils avaient de Nochixtlan, semblant confirmer mes doutes.

Alors que l’on montrait les tentes qui seraient assignées à mes compagnons, les shamans et Xihotl m’entraînèrent à l’écart, et entreprirent de me rappeler ma précédente existence en ce monde, telle qu’elle s’était déroulée avant ma « renaissance » sur Terre.

Aujourd’hui, j’ai pris pleine conscience du rôle qui m’incombe et du poids que je porte sur mes épaules, même si en l’entendant de la bouche de Xihotl et de ses seconds, j’ai eu beaucoup de mal à réaliser.

Ils me rapportèrent ce qui était devenu une légende, ma légende, et je vais la raconter ici à nouveau, afin que tous sachent qui je suis.

Afin que je me rappelle ce que je suis.

La légende débute par les évènement que je ne connais que trop bien, le massacre du clan Traque-Loup par un détachement de Dreyrheim mené par Garm Ecorche-Cœur lui-même, le jarl de la cité, un Warg –une race de loups géants- et le frère du haut-roi Fenrir.

Le clan Traque-Loup, me dirent les shamans, avaient reçu ce nom pour avoir été au premier plan d’une guérilla contre Garm avant sa destruction, espérant, à terme, parvenir à le tuer ou à faire en sorte de le destituer, ce qui aurait été bénéfique à la fois pour les loups et les coyotes, tant la cruauté et la soif de sang du seigneur était infinie.

Après le massacre, je parvins à m’enfuir vers l’Ouest, d’où je commençai à chercher assistance, relatant à chacun le massacre sans-pitié de mon clan par le seigneur warg. Au début, alors que les clans coyotes vivaient dans un équilibre relativement précaire avec les grandes cités des loups, nombre de mes congénères refusèrent de m’écouter ou de m’aider. Mais l'Ecorche-Cœur demeurait insatiable, et plusieurs villages de la région se rappelèrent ma visite, ainsi que mon expérience relative du combat contre les loups.

A l’époque, les coyotes n’étaient pas un peuple guerrier, ils se contentaient simplement de survivre, guidés par les chefs et les shamans. Mais pour survivre aux descentes régulières de Garm, c’était d’un stratège dont ils avaient besoin.

Petit à petit, alors que je prodiguais mes conseils à différents chefs et assistais à toujours plus de combats, certains, de villages plus éloignés, commencèrent à venir en personne me trouver pour que je les aide à préparer un minimum leurs défenses.

Ainsi, avec mes souvenirs de chaque attaque et mon talent de tacticien grandissant, nous parvenions à repousser toujours plus d’attaques. Les loups étaient toujours plus nombreux en face, et Garm apparaissait de plus en plus souvent. Sa soif de sang, de victoire et même de revanche le poussa à porter le combat toujours plus loin, et nous étions repoussés d’autant, craignant de perdre des guerriers.

Pendant ce temps, la rumeur d’une troupe de coyotes qui menait la vie dure aux loups de Dreyrheim faisait son chemin en Wulfangar. Les coyotes y voyaient un espoir de se défendre contre leurs voisins, et de ne plus vivre cachés et reclus en espérant ne pas importuner les loups. Les loups, eux, virent pour la plupart une menace. Certains seigneurs firent l’erreur de tenter d’affirmer leur contrôle sur les populations de coyotes dispersées sur leur domaine avec des piqûres de rappel, mais cela ne servit qu’à emplir les coyotes de rancœur et d’un sentiment de révolte, les incitant d’autant plus à rejoindre ma rébellion.

Au bout de quelques années, je fus à la tête d’une véritable armée, multipliant les opérations de guérilla dans toute la partie Ouest du pays, cherchant à faire comprendre aux loups que nous, les coyotes, étions un peuple libre et avec lequel il fallait toujours compter.

Il y avait toutefois un revers à la médaille : plus la rumeur de mes victoires se répandait, plus j’attirais l’attention des grands seigneurs loups, et les armées lancées à ma rencontre avaient de plus en plus souvent un objectif d’annihilation de mes forces. Nous dûmes alors commencer à éviter la plupart des combats, nous repliant toujours plus loin vers les bois et les régions inhospitalières. Je me battais pour mon peuple, je ne pouvais pas décemment risquer la vie de mes guerriers dans des batailles perdues d’avance.

On dit qu’un jour, je partis avec quelques-uns de mes plus proches généraux, dont Xihotl faisait alors partie, au cœur de la forêt, à l’endroit où se dresse maintenant Ahmana. Lorsque j’en ressortis, je prétendis avoir découvert un nouveau pouvoir.

Dès lors, mes tactiques changèrent radicalement, et mon objectif également. Au lieu de protéger mon peuple, je décidai de mettre en danger celui des loups. Je faisais preuve de toujours plus d’audace, les engageant là où ils ne s’y attendaient pas, n’hésitant que rarement lorsqu’il fallait sacrifier de la chair à canon pour occuper les troupes ennemies le temps de les prendre à revers pour les rayer de la carte. Je parvenais même à éliminer des armées supérieures en nombre.

Malheureusement, l’audace avait un prix. Même si je me servais aussi souvent que possible de prisonniers loups pour essuyer les tirs et les charges meurtrières la plupart du temps, je perdais toujours plus de guerriers dans des manœuvres de plus en plus risquées, parvenant systématiquement à arracher la victoire. Je n’éprouvais plus aucune pitié, envers mes ennemis comme mes alliés.

Un jour, que l’on rebaptisa le « Jour du Feu », je décidai d’attaquer une village fortifié très proche de Dröttinheim, à la tombée de la nuit. J’avais la volonté de définir un exemple.

On raconte que ce jour-là, je ne donnais qu’un seul ordre.

« Brûlez tout. »

Aucun habitant du village n’en sortit vivant, alors que mes troupes étaient postées à toutes les sorties et abattaient tous ceux qui tentaient d’échapper au brasier.

Dès lors, les loups se rappelèrent de moi sous le nom de Stonhart, « Cœur de Pierre », surnom que j’adoptai immédiatement.

Cette dernière attaque fut ma plus grande erreur. Menacer ainsi Dröttinheim, le cœur historique de l’empire des loups, suffit à faire se déplacer l’armée de Nordstarn, à savoir Fenrir et ses Wargs.

Wulfangar entier décida de me combattre non plus séparément, mais comme une seule immense armée, coordonnant les attaques et les mouvements de troupes, dans l’espoir d’en finir enfin avec cette maudite épine dans leur flanc.

Mes défaites s’enchaînaient rapidement, et je livrai mon dernier combat encerclé par les armées de Dreyrheim, Dröttinheim, Nordstarn, Myrkedra et Jörmundheim.

Inutile de dire que je fus anéanti.

Le lieu de ma défaite fut immortalisé sous le nom de Tepatitlan, et les rescapés du massacre durent fuir et se cacher dans les forêts de tout le territoire pour échapper à la chasse aux sorcières menée contre moi. Nul ne sut alors ce que j’étais devenu, et personne ne s’en inquiétait. Au lieu de libérer le peuple coyote, je l’avais mené au bord de l’extinction.

Pourtant, il en demeurait quelques uns qui croyaient en moi et mes compétences de meneur d’hommes. Xihotl était de ceux-là. Il avait conduit plusieurs rescapés au cœur de la forêt et avait doné Ahmana, le Dernier Village des coyotes libres.

La suite des évènements est connue du seul pays d’Equestria.

Troublé par ce récit, qui non seulement répondait à mes plus profondes interrogations mais en plus m’apportait de nouvelles informations sur mon ancien « moi » et mes agissements passés, c’est presque sans y penser que j’accédai à la demande de Xihotl pour reprendre ma place dans le village, suivant ses enseignements militaires ainsi qu’une « mise à niveau » sur le plan shamanique.

Tous ces gens avaient besoin de moi, n’avait cessé de me répéter le général. Ils voulaient vivre au grand jour, cesser de se cacher comme des parias. Ils n’étaient pas plus libre maintenant qu’il y a cinquante ans ou même plus longtemps encore. Le seul espoir d’atteindre cet idéal, c’était moi.

Ils avaient besoin de Nochixtlan. De Stonhart. Mais je n’étais ni l’un ni l’autre, pouvais-je réellement quelque chose ?

Qu’importe. Il était de mon devoir d’essayer. Je le devais à mon peuple.

J’insistai tout de même auprès de mes compagnons équins pour rester quelque temps à Ahmana, arguant que je désirais en savoir plus sur la façon dont vivait mon peuple, et perpétuer cet héritage une fois rentré à Equestria. Ils hésitèrent longuement, me rappelant que la guerre était à nos portes, et qu’elle finirait par trouver Ahmana également.

Toutefois, devant mon insistance, ils finirent par céder tous les trois.

Nous passâmes alors une semaine au sein du nouveau clan Traque-Loup, rebaptisé ainsi par Xihotl en mon honneur. Bien que cette quasi-déification de ma personne m’avait mis mal à l’aise au début, j’avais fini par m’y habituer, veillant toutefois à faire preuve d’un maximum d’humilité.

Même si j’avais été parfaitement accepté par les coyotes comme l’un d’entre eux, ils continuaient à se méfier des poneys. Ils étaient parfaitement au courant des tensions entre Equestria et Wulfangar, et je sentais qu’ils craignaient que mes compagnons soient mes espions. Le seul crédit qu’ils leur accordaient étaient d’ailleurs le fait qu’ils m’aient accompagné jusqu’ici.

Durant cette semaine, entre les classes militaires et shamaniques, je pus enfin passer quelques moments agréables avec mon épouse. Je décelai toutefois chez elle une étrange tension à mon égard, comme si elle tentait de réfréner des envies ou des pulsions intérieures en ma présence. Elle s’absentait également parfois de manière inexpliquée, avant de reparaître un peu plus tard, prétendant que tout allait bien. Chaque fois que je lui demandais si elle allait bien, elle éludait la question, s’énervant même parfois pour un rien.

Pour un peu, on aurait juré qu’elle était enceinte.

J’avais rapidement chassé cette idée de mon esprit. Elle ne se serait jamais aventuré si loin et se serait mise autant en danger si elle attendait un enfant.

Et d’ailleurs, qui aurait été le père ? Les unions entre canidés et équidés étaient forcément stériles, et je lui faisais suffisamment confiance pour ne pas avoir profité de mon absence.

Au fil de mes longues heures d’entraînement, je me découvrais des talents de tacticiens et des facultés de compréhension de stratégies parfois complexes que je ne me connaissais pas, et que j’interprétais plus comme des souvenirs que de réelles compréhensions. Je progressais également rapidement dans mon apprentissage shamanique, entre rituels d’introspection multiples et danses complexes censées accroître ma concentration et me faire accéder plus vite à un état de transe.

Bientôt, l’assemblée des shamans conclut que j’étais prêt à recommencer le rituel que j’avais déjà effectué longtemps auparavant, et tout le clan fut rassemblé dans la clairière centrale.

Un véritable bûcher fut dressé au milieu de celle-ci au coucher du soleil, et, à la nuit tombée, le rituel commença.

Les flammes ronflantes et gigantesques devant moi, dans mon dos les shamans munis de fifres et Ihuian toujours dansant à son propre rythme, derrière un énorme tambour rituel.

Le rituel commença. Ihuian commença à marteler le tambour en rythme, et je commençai à danser.

Tout devint rapidement flou, et je ne me rappelle pratiquement de rien, si ce n’est du rythme hypnotique des tambours et du chuintement entêtant des fifres tenus par les shamans.

Quand je me suis réveillé le lendemain, je me sentais une envie de dévorer le monde. J’avais également longuement discuté avec Xihotl sur le sujet des prochains mouvements de notre armée, élaborant à l’avance les tactiques qui nous permettraient l’annihilation de l’armée des loups. J’avais confiance en moi et mes capacités, beaucoup plus que la veille.

A plusieurs reprises, Rarity tenta de me prendre à part pour me parler de quelque chose. Mais je n’avais pas le temps. La guerre n’attendait pas.

Après l’avoir repoussée plusieurs fois, elle s’était retirée vers notre tente, furibonde, et accompagnée de Quill et Frost. Quelques heures plus tard, ils quittaient le camp en direction du Nord.

Je ne fis rien pour les retenir. Les shamans m’avaient prévenus qu’ils partiraient à la recherche de Vindbrandr, un ancien artefact qui avait appartenu aux loups et qui pourrait nous offrir la victoire sur le dragon Nidhöggr. Je n’avais aucun intérêt à les empêcher de mener cette mission à bien. Si elle s’avérait couronnée de succès, c’était la colonne vertébrale de l’armée des loups qui serait brisée.

Je me félicitai d’ailleurs de ne pas avoir perdu mon temps à en parler avec eux. Ils avaient l’air de savoir ce qu’il fallait faire, et prendre un peu d’avance ne nous ferait pas de mal.

Je pris donc à nouveau la tête d’une armée, composée des chasseurs d’Ahmana et quelques vétérans des anciennes guerres, et je marchai vers le Sud-Est, accompagné de huit cents coyotes entraînés à nos tactiques de tirailleurs pour la plupart et équipés de macahuitls, d’armures légères et d’atlatls. Tout pour éviter le corps à corps et maintenir une mobilité maximale.

Nous prîmes la direction d’Ultima, espérant remonter la piste de Fenrir depuis la cité fortifiée, qui avait probablement déjà fait les frais de sa horde affamée.

Lorsque nous arrivâmes, comme nous avions pu nous y attendre, la cité avait été ravagée. Les murailles s’étaient écroulées, les bâtiments avaient été réduits en cendres, et des traces de sang maculaient les remparts encore debout et l’herbe alentour. Tout n’était que ruines et désolation.

Au centre de la cité, nous découvrîmes avec horreur un abîme gigantesque, béant comme la gueule d’un démon affamé, et si profond que la lumière ne parvenait pas à éclairer son point le plus bas.

Je décidai de faire halte dans les ruines pour la journée, afin de chercher d’éventuels survivants et de comprendre comment la cité était tombée. Si nous connaissions les méthodes de nos adversaires, nous aurions un avantage considérable sur eux.

Le soir venu, le rapport de mes éclaireurs nous glaça le sang, à Xihotl et moi.

On n’avait trouvé aucun cadavre. Autant dire que les loups ne manqueraient pas de vivres pendant les prochaines semaines.

La seconde patrouille reparut dans des modalités encore plus étranges. C’est depuis le fond de l’abysse que mes soldats nous firent leur rapport. Ils avaient découvert, à plusieurs kilomètres de là, l’entrée récemment élargie d’un réseau de cavernes jonché de cadavres de Chiens à Diamants, et les galeries avaient été creusée directement dans la roche, jusqu’à rejoindre le sous-sol de la cité.

Nul doute que tout cela était l’œuvre de Nidhöggr. Au moins, nous pûmes nous faire une idée de la menace que le dragon représentait.

Mortelle.

Nous reprîmes la route vers le Sud, prédisant le passage de l’armée des loups par le Col des Hurlements afin d’éviter Fort-Cristal. J’espérais pouvoir les cueillir depuis les falaises, ou une fois que l’arrière-garde se serait engouffrée dans la passe et que les manœuvres seraient difficiles.

Cependant, le nouveau rapport de nos éclaireurs sur l’avancée de l’armée de Wulfangar nous interloqua : aucun signe de la présence de Nidhöggr, ni de Fenrir lui-même. Le commandement avait été laissé aux princes jumeaux, ce qui signifiait qu’il y avait une seconde armée, ailleurs, prête à intervenir.

Nous décidâmes de rester en retrait et d’attendre le bon moment pour frapper, gardant toujours un œil ouvert au cas où des renforts arriveraient.

De l’autre côté du col, comme je l’avais prévu, Equestria était venue à la rencontre des loups et tentaient de les maintenir dans le col, espérant leur faire rejoindre les âmes de leurs ancêtres enfermées dans les piliers d’ossements.

La seule idée de toutes ces âmes présentes m’avait empli d’une irrépressible soif de sang. J’avais affreusement hâte de commencer le carnage.

De loin, je pouvais voir les vols de pégases et de griffons qui arrosaient l’ennemi d’une pluie de carreaux, soutenus au sol par un véritable mur de lanciers, renforcés par les sortilèges des licornes.

C’est alors que je donnai mes premiers ordres.

Nos tirailleurs allèrent se placer à portée de tir de l’arrière-garde, qui ne nous attendait visiblement pas, et l’éther se mit à vibrer sous le vrombissement des javelots empoisonnés fendant l’air, et les aiguillons venimeux projetés par les sarbacanes sifflaient de toutes parts. Dès que nos adversaires lancèrent une contre-charge, je profitai de notre rapidité naturelle pour mettre mes tirailleurs à l’abri, répétant la manœuvre à l’envi, lançant de nouvelles charges pour briser les leurs lorsqu’ils s’approchaient trop près.

Chaque charge nous faisait perdre plusieurs guerriers, mais ce n’était rien face à l’hécatombe qui atteignait les loups.

La panique s’empara rapidement d’eux, qui voyaient leurs camarades s’effondrer tout autour d’eux, et la charge que je menai moi-même suffit à briser leur moral. Je ne sais ce qu’ils lurent dans mon regard, mais je sais que j’aurais moi-même pu être effrayé par le hurlement que je poussai alors que nous n’étions qu’à une dizaine de mètres des loups, et qui fut repris par toutes les unités alentours.

Petit à petit, l’arrière-garde commençait à s’émietter. La victoire semblait à portée de main.

Je fus malheureusement privé de cette satisfaction rapidement. De l’autre côté du col, l’armée d'Equestria avait été mise à genoux par Hati et Skoll, et j’appris plus tard que les griffons stationnés à Fort-Cristal étaient arrivés en catastrophe à ce moment pour leur annoncer la présence de Nidhöggr et Fenrir à l’Est, et de la destruction subséquente de Fort-Cristal.

Cela avait été sage de la part des princesses. Elles n’auraient probablement pas pu achever les princes avant d’être prises à revers par le gros de l’armée ennemie.

Nous dûmes alors les imiter et nous retirer vers les bois. Mes hommes étaient déçus de la tournure des évènements, persuadés que notre supériorité tactique nous aurait permis de triompher. La vérité était que nous serions tombés d’épuisement avant d’avoir pu mettre Hati et Skoll en fuite.

Une fois l’armée ennemie à bonne distance et avec une avance de quelques jours, j’imposais à mes troupes une marche forcée en direction d’Aurora, espérant ne pas arriver trop tard.

Lorsque nous entrâmes sur le champ de bataille, sous un ciel nocturne voilé par d’immenses nuées de corbeaux, celle-ci venait de commencer.

Quelle vision d’horreur.

Profitant encore une fois du couvert des bois de pin occupant le flanc Ouest, nous observâmes le déploiement des forces de Wulfangar.

Devant nous, Nidhöggr menait des forces absolument monstrueuses, dont pratiquement aucun soldat ne se tenait sur quatre pattes.

C’était une vision que je n’oublierai jamais.

Les gens de Wulfangar appellent ces créatures des Wyrms.

Les gens de la Terre les surnommaient les « lézards terribles ».

Aucun doute n’était possible. La plupart était bipède, tous étaient couverts d’écailles et, pour beaucoup, d’une sorte de duvet. Ils marchaient la tête haute, portée par un coup en S comme celui d’un oiseau de proie, et leur gueule garnie de dents effilées était contrebalancée à l’arrière par une longue queue rigide.

Les plus petits, des Wyrms des glaces, faisaient deux fois la taille d’un loup, et couraient à vive allure, aussi vite que nous. A leurs pieds brillaient des serres noires comme de l’ébène, et comment oublier celle, en forme de faucille, qui fut autrefois responsable de la perte de mon œil droit ?

Au sein du flot grouillant et piaillant de ces wyrms des glaces avançaient pesamment des créatures bien plus massives, qui alliaient la grâce de l’oiseau et une élégance pratiquement féline dans leur démarche. Leur tête était rehaussée de petites cornes au-dessus des yeux, et leur nuque était ornée d’une collerette qui, une fois dépliée, dévoilait des motifs noirs et jaunes vifs qui leur donnaient l’air de soleils garnis de crocs. Leurs rugissements terrifiants résonnent encore aujourd’hui à mes oreilles.

C’étaient les deux formes que l’on retrouvait le plus souvent au sein de l’armée de Nidhöggr, bien que j’en eus aperçu plusieurs à tête cornue et dont le dos était occupé par une plate-forme de combat sur laquelle plusieurs loups s’affairaient à manœuvrer une baliste.

Ce détachement à lui seul aurait pu triompher d’Equestria. Il n’était guère étonnant que Fort-Cristal lui soit tombé en si peu de temps !

Nidhöggr en lui-même était une vision de cauchemar. Si mes compagnons équins ne revenaient pas rapidement pour le mettre hors d’état de nuire, nous courions au-devant de gros ennuis.

Equestria attendait nerveusement de recevoir l’armée ennemie. Les licornes étaient stationnées sur les remparts, Twilight à leur tête, prêtes à déchaîner leur magie sur les loups en contrebas. Je ne vis aucun signe de la présence des pégases ou des princesses.

Les poneys paraissaient en telle infériorité numérique que c’en était presque ridicule.

Terrés dans les bois, attendant encore le bon moment, nous observâmes le début de la bataille.

Les loups chargèrent. Les licornes ripostèrent de leur magie, alors que les lanciers plaçaient leur pavois entre eux et l’ennemi.

Un rugissement formidable fit trembler la terre. Un autre dragon, d’une stature un peu plus chétive que le monstrueux Nidhöggr, surgit de derrière les murailles, portant sur son dos un howdah chargé de pégases et de balistes.

Il avait un long cou de signe terminée par une gueule épaisse et massive, et son échine était couverte de longues pointes osseuses couleur malachite. Ses écailles avaient la couleur de l’améthyste, son ventre celui du béryl. Comparé au dragon noir, ce dragon était d’une majesté sans pareille.

Nidhöggr lui-même paru surpris par cette apparition, mais se ressaisit rapidement et rugit son défi à l’intention de cet intrus.

Je ne sais pas comment il a pu grandir autant en si peu de temps, mais je sais que ce dragon, c’est Spike, celui que j’ai connu comme étant un dragonneau officiant comme assistant de Twilight à la bibliothèque de Ponyville.

Et c’était un atout décisif dans cette bataille.

Alors que le combat entre les deux monstres faisait rage, et qu’ils piétinaient tout autour d’eux sans distinction aucune, aucun d’entre nous ne bougeait. Nous n’avions aucune ouverture avec le dragon géant et sa horde de notre côté.

C’est alors que quelque chose heurta les branches au-dessus de nous, et dégringola jusqu’au sol, éclaboussant les branches d’un mélange poisseux de sang et de fluides non identifiables.

Un pégase noir à la crinière d’un blanc argenté se trouvait à présent étendu entre les arbres. Je crois que c’était Thunderlane. Ou plutôt, une partie de Thunderlane.

Nous entendîmes plusieurs autres chocs de ce type et, au-dehors, nous assistâmes à un des spectacles les plus dantesques qu’il m’ait été donné de voir.

Dehors, il pleuvait du sang et des pégases. Je crus même distinguer avec horreur un arc-en-ciel tournoyer depuis les cieux et s’écraser sur le sol.

Dans le ciel, des formes gigantesques et semblables à des vouivres traversaient les nuées de pégases comme des requins dans un banc de sardines.

Devant nous, Nidhöggr commençait à avoir l’ascendant sur Spike. Ce dernier s’était depuis longtemps débarrassé de sa plate-forme dorsale, de laquelle les pégases s’étaient depuis longtemps éclipsés. Le dragon noir parvint à jeter son adversaire au sol d’un coup de tête en plein poitrail qui coupa le souffle de Spike, et le titan d’écailles chuta lourdement au sol, sonné pour un moment.

Alors que le dragon de cauchemar ouvrait la gueule pour achever son adversaire, il poussa un rugissement de douleur. De fines traînées rouges étaient brusquement apparues sur son abdomen.

Nous vîmes un pégase tournoyer avec agilité autour du dragon noir, un objet brillant entre les dents. Sa robe était couleur crème, et sa crinière rousse.

Autumn Frost défiait la pire terreur de la Création.

Elle alla se placer devant la gueule béante du monstre, et leva son arme. L’éclat de la Lune se réverbéra sur celle-ci, mais fut également amplifié au point d’en devenir aussi aveuglant qu’un soleil. La bête gigantesque recula de quelque pas en gémissant de douleur, secouant la tête en tous sens pour effacer l’intense brûlure qui affectait ses yeux.

Aucun doute, l’arme qu’elle tenait était magique, et il s’agissait de Vindbrandr.

Elle multiplia les acrobaties et les passes d’armes, espérant éreinter Nidhöggr avant de pouvoir le mettre hors d’état de nuire.

Un cri strident l’interrompit, et elle dut éviter l’assaut d’un des monstres ailés qui fondait sur elle depuis le couvert des nuages.

Un nouveau ballet s’engagea, entre le prédateur et sa proie, Frost essayant désespérément de semer son poursuivant.

Nidhöggr, ayant repris ses esprits, se ramassa sur lui-même, et un grondement sourd commença à rouler dans sa cage thoracique. Autour de lui, les reptiles géants prenaient la fuite, cherchant à tout prix à s’éloigner le plus possible de la bête.

Le reptile ailé rabattit le pégase dans la direction du dragon noir, zigzaguant derrière elle pour l’empêcher de lui fausser compagnie.

Alors qu’elle prenait de l’altitude pour se mettre hors de portée du dragon noir, son poursuivant étendit brusquement les ailes, comme pour freiner, et fit demi-tour.

Elle regarda sous –elle, et vit la gueule du Nidhöggr voler à sa rencontre. Elle se mit hors de portée de quelques vigoureux battements d’aile.

Du moins, le croyait-elle.

Le monstre poussa un hurlement assourdissant, si puissant que des bâtiments entiers s’effondrèrent et que les arbres les plus proches volèrent en éclat.

Le pégase fut frappé de plein fouet par l’onde de choc, et son corps disloqué, les os réduits en pulpe, s’écrasa quelques dizaines de mètres plus loin comme une vulgaire poupée de chiffon.

Son arme, miraculeusement intacte, chut dans l’herbe à une centaine de mètres de ma position.

Avant que Nidhöggr ait pu savourer sa petite victoire, Spike se releva et reprit le combat.

Il parvint à saisir une mâchoire dans chaque patte avant, et lutta contre la pression formidable qu’exerçait le dragon noir pour les maintenir ouverte. Il avança la gueule, de laquelle s’échappait déjà quelques flammèches.

Il vomit un torrent de flammes, qui s’engouffra dans les entrailles de son adversaire. Celui-ci se cabra et rua sous la douleur, si bien qu’il parvint à se libérer de la poigne de Spike. Il tituba vers l’arrière, poussant de pitoyables cris de douleurs, avant de s’effondrer dans un râle d’agonie. La fumée qui sortait de sa gueule accompagnait l’odeur de chair calcinée qui commençait à se répandre sur tout le champ de bataille.

Spike s’appuya sur le corps du monstre, releva la tête vers le ciel, et poussa un rugissement victorieux tout en libérant une colonne de flamme vers les nuages.

Ce simple spectacle fit flancher une bonne partie du flanc Est de l’armée des loups, et bon nombre d’entre eux tourna les talons et s’enfuit vers le Nord, imités par tous les reptiles qui accompagnaient Nidhöggr et n’étaient pas engagés dans un corps-à-corps.

C’était le moment idéal. Je poussai un hurlement de ralliement, repris par mes troupes, et chargeai hors du bois en direction des loups restants, tentant de les prendre de dos pour venir en aide aux poneys mis littéralement au pied du mur.

Je ne sais pas si Spike me reconnut, ou s’il comprit que nous n’étions pas une menace, mais il accompagna notre charge, nous distança même un peu, et ouvrit à la force de la flamme un passage dans les rangs des loups.

Le cours de la bataille pencha dès lors en notre faveur.

Au plus fort des combats, je réussis à me frayer un chemin vers celui qui avait été le point de départ de ma légende.

Garm Ecorche-Cœur parut me reconnaître, et ne fut pas surpris que je le provoque en défi.

Nous avons combattu seul à seul, armé pour ma part de mon fidèle Macahuitl, et pour Garm seulement de ses crocs et de ses griffes.

Le combat paraissait inégal. Et il l’était. Garm faisait près de trois fois ma taille, et j’avais la vitesse pour seul avantage.

Je ne faisais pas le poids contre lui.

Je fus secoué, plaqué au sol, griffé, mordu, mais je tins bon. Malgré mes côtes cassées et une oreille en partie arrachée, je refusai de m’avouer vaincu.

Mais la fatigue me saisissait. Tous mes muscles me faisaient mal. J’avais terriblement froid.

Alors que Garm s’élançait pour un dernier assaut, je résolus de mettre l’honneur du guerrier de côté. Je tenais à ma vengeance, et à ma vie. J’avais une femme qui m’attendait, et un peuple à guider.

Et surtout, je crois qu’à ce moment-là, je voulais l’âme de Garm. Je voulais le voir mourir, et boire son sang, comme il avait bu celui de tant des miens.

N’écoutant que mon instinct, j’envoyai une poignée de terre au visage de Garm qui bondissait pour me broyer la nuque entre ses crocs. Il poussa un grognement de colère et de douleur, et rata sa réception. Alors qu’il se relevait à peine, je levai mon arme et l’abattait sur sa colonne vertébrale.

Je sentis un grincement écœurant remonter le long du mors, et je laissai la lame aux pointes de jade enfoncée dans le dos de mon ennemi.

Il rugissait et hurlait de douleur, m’insultait de toutes les manières possibles, revenant souvent autour de ma lâcheté.

Je me détournai de lui, et retirai l’épée du warg du cadavre d’un poney couleur caramel.

Je revins lui faire face, alors qu’il peinait à ramper sur ses antérieurs, ses pattes arrières refusant de bouger.

Il me lança un regard plein de haine.

Je lançai la lame de droite à gauche.

J’abandonnai Garm là, sifflant de douleur et d’horreur à la vue de sa mâchoire inférieure séparée du reste du corps, et rejoignis mes guerriers. Je luttais contre un instinct bestial et un besoin impérieux de charcuter son corps tant qu’il était vivant et pouvait encore hurler sa douleur, mais je devais montrer l’exemple à mes hommes. Les loups, oreilles basses et queue entre les pattes, se détournèrent de leur chef en évitant soigneusement de croiser son regard, et quittèrent le champ de bataille.

Soudain, la lune et les étoiles du ciel nocturne s’éteignirent, plongeant le monde dans le noir complet. Le bruit des combats cessa rapidement.

Un hurlement terrifiant, le plus effrayant qu’un loup aurait pu pousser, déchira l’air.

La lune se leva à nouveau derrière l’horizon.

Une lune gigantesque, plus grosse que le soleil, et teintée d’un éclat orangé presque diabolique.

Alors les loups firent tous marche arrière, et rentrèrent vers le Nord. En l’espace de quelques minutes, il ne resta sur le champ de bataille que quelques mercenaires hyènes qui cherchaient de bons morceaux dans le charnier qui couvrait la plaine enneigée.

J’entendis la princesse Celestia appeler désespérément le nom de sa sœur.

Quelques heures plus tard, la princesse du soleil s’était évertuée à faire se lever l’astre du jour, mais son éclat ne parvenait pas à éclipser la présence de cette lune maléfique, et même au plus fort de la journée, le ciel semblait en être au crépuscule.

La journée suivante fut consacrée à de multiples cérémonies mortuaires, parmi les poneys, les zèbres, les griffons et les coyotes. Nous rendions l’honneur qui leur était dû à ceux qui étaient tombés à notre place, ceux qui avaient donné leur vie pour un idéal qui, au final, les dépassait.

Une voix au fond de moi me disait que tout ceci n’était qu’une perte de temps, qu’il fallait poursuivre les loups et continuer le combat, mais je savais que de telles cérémonies étaient importantes pour les soldats. Montrer qu’on se souviendrait d’eux s’ils venaient à tomber sur le champ de bataille les rassérénait quant à leur mort prochaine.

Je fis mon possible pour délayer les rituels de passage dans l’autre-monde de mes hommes. Je me devais d’être présent, mais je tenais absolument à assister à la cérémonie équestrienne.

Je voulais savoir qui, parmi ceux que je connaissais, était tombé.

La cérémonie prit place sur le square central d’Aurora, devant la Cathédrale dont les vitraux avaient explosé lorsque Nidhöggr avait poussé son terrible cri. Le bâtiment en lui-même avait été délaissé, le bâtiment ne pouvant en aucun cas accueillir toute l’armée et les citoyens venus se recueillir.

Je rejoignis Spike, qui était parvenu à se glisser à une extrémité de la place pour être au plus prêt de l’estrade sur laquelle se tenaient Celestia, Twilight et plusieurs poneys en bure. Il me laissa m’installer auprès de lui, et nous pûmes nous soutenir mutuellement dans ce moment de douleur.

Sans lui en faire part, je priai pour retrouver Rarity et Quill sain et sauf. Bien que je n’ait au final que mal connu Frost, sa mort m’affectait suffisamment pour que je refuse d’en vivre une autre.

Celestia, secondée par une Twilight agitée de sanglots, entreprit d’enumérer les noms de ceux qui avaient été passé au fil de l’épée depuis le début de la guerre.

J’en reconnus beaucoup trop.

Thunderlane.

Fleetfoot.

Spitfire.

Lyra Heartstrings.

Noteworthy.

Cloud Kicker.

Shoeshine.

Minuette.

Caramel.

Rainbow Dash.

Shining Armor.

Princesse Mi Amore Cadenza.

Princesse Luna.

Au cours de la cérémonie, j’aperçus Quill, seul, qui semblait chercher quelque chose du regard. Dès qu’il me vit, il s’approcha de moi. Je posai une patte sur son épaule, tentant de le réconforter. Je savais qu’il avait nourri quelques sentiments à l’égard de la pégase rousse.

Il préféra éluder la question, ayant lui-même assisté à sa mort.

Malgré mes questions, il ne parvint jamais à m’annoncer la disparition de Rarity. Seuls ses silences purent me l’apprendre.

Je ne cessai dès lors de l’interroger, de plus en plus violemment, jusqu’à ce que j’obtienne des réponses.

Elle avait disparu dans le Nord, dans le Tombeau des Dragons, tirée dans l’ombre par l’un des monstres ailés.

Je fus anéanti. Encore à l’heure actuelle, plusieurs mois après ces évènements, je sens qu’il me manque une partie de moi-même, un vide que rien ni personne ne parviendra à combler.

Et malgré l’évidence, je continue à penser que, peut-être, elle a pu triompher de son adversaire, et qu’elle erre quelque part dans le Nord, seule, et perdue. Et cette idée me torture tout autant.

Je jurai alors de mettre tous les moyens en œuvre pour obtenir la tête de chacun des seigneurs loups du Nord. Et pour cela, je devais joindre mes forces à celles d’Equestria.

La guerre prit un cours nouveau, déjà annoncé par la mort de la princesse Luna.

Depuis, la situation a beaucoup évolué.

Les armées d’Equestria, jointes aux miennes, avons combattu les loups sur les deux fronts : ceux du Nord, menés inlassablement par Skoll et Hati, qui réclamait la tête de Celestia, et ceux du Sud, qui remontaient lentement mais inexorablement vers le Nord.

Nous sommes hélàs encore trop faibles et trop peu nombreux. A chaque affrontement, l’audace de Hati nous pousse à reculer, et Celestia ne nous est d’aucune utilité, engagée en permanence dans un combat contre Skoll pour le contrôle de la Lune.

En quelque mois, nous avons perdu Aurora, et Appleloosa et Las Pegasus sont également tombés aux griffes des loups. La seule chose qui les empêche de maintenir le siège sur Ponyville et de l’envahir est la forêt Everfree, protégée par un conclave de shamans zèbres, Zecora à leur tête.

Pire encore : la disparition de deux des six Eléments d’Harmonie liée à la mort de Luna ont abouti à la libération totale de Discord, une fois encore. Cette fois, au lieu de s’atteler à répandre le Chaos, il se montra très au courant de la situation et assura qu’il pouvait nous être d’une grande utilité. Jusqu’à maintenant, il s’est montré très efficace, capable de maintenir des régiments entiers de loups à distance, mais je doute que ça dure. De plus, l’idée de lui être redevable pour son aide, malgré tout inestimable, me répugne totalement.

J’espère seulement que, comme lorsque le contrôle des Eléments est passé des Princesses aux six héroïnes que nous connaissons, les Eléments de la Loyauté et de la Générosité seront transmis à d’autres poneys.

En Wulfangar, nous avons appris que le haut-roi Fenrir avait été assassiné. Le bruit court que Skoll, son propre fils, n’y est pas étranger.

La vérité, obtenue de source sûre, est plus complexe. Alors que d’ordinaire la mort de son général suffit à une armée pour être mise en déroute. Cependant, le cas de Wulfangar est spécial.

Avec Fenrir s’était éteinte sa volonté d’unification des clans, et ainsi une armée unique. A l’heure actuelle, Wulfangar n’est plus qu’une horde de charognards prêts à se battre entre eux pour s’accaparer les restes. L’armée ennemie est divisée, et nous avons peut-être une chance de profiter de cette faiblesse.

Cependant, en contrepartie, les tensions non réfrénées entre les clans nuisent gravement à Tepatitlan, et je crains pour l’avenir des coyotes qui y vivent.

Toutes ces informations, nous les devons principalement à Yasen, un léopard des neiges. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le félin, plus discret qu’une ombre et loyal seulement à celui qui le paiera le plus cher pour un contrat, nous offre régulièrement des renseignements, servant d’intermédiaire entre nous et Vödr, l’ancien conseiller de feu le haut-roi. Les véritables objectifs du léopard, cependant, demeurent un mystère. Pour tout dire, je le soupçonne d’être celui qui nous a libérés, Quill et moi.

Nous comptons également dans notre camp un second allié remarquable : Gaïn, dit la Harpie, le fameux griffon qui semait la terreur à Wulfangar. Nous avons acheté sa loyauté à prix d’or, et tout ce que je sais de lui, c’est qu’il espère se distinguer par des actes guerriers héroïques. Cela dit, je me moque éperdument qu’il parle peu ou que nous le payons cher, tant ses prouesses guerrières nous sont importantes.

Il y a quelques jours, Yasen est revenu de Wulfangar avec un nombre de renseignements inhabituel. Comme d’ordinaire, son retour fut accompagné d’un conseil de guerre, pendant lequel les chefs de faction et leurs généraux débattaient longuement des marches à suivre après avoir écouté les récits du léopard.

Nous étions sept, en plus de Yasen : Celestia et le général Thunder Edge, le seigneur M’falme des zèbres et son conseiller Shauri, le Seigneur-Serre Grendel des griffons en permanence flanqué d’un de ses capitaines, Discord, à tire plus honorifique que réellement pour l’écouter débattre, et enfin Xihotl et moi-même.

Yasen nous relata ainsi l’enterrement du haut-roi, ainsi que la cérémonie de passation du pouvoir à ses deux fils. Il évoqua la situation de Dreyrheim, très instable depuis la disparition de Garm Ecorche-Cœur, deux de ses plus proches suivants s’étant engagés dans une lutte intestine pour prendre le pouvoir sans qu’Hati et Skoll n’aient eu l’idée d’intervenir. Contrairement à leur père, les deux frères semblent totalement dépourvus d’ambitions concernant leur terre natale, n’ayant d’yeux que pour Equestria.

Par ailleurs, une nouvelle flotte a récemment quitté Jörmundheim, et traverse les mers de l’Ouest pour venir renforcer les armées du Sud, et les mercenaires affluent de toutes parts, attirés comme des corbeaux par la curée à venir.

Nous apprîmes que les ruines de Fort-Cristal avaient été totalement investies par les loups, et que ceux-ci projetaient de reconstruire les murailles afin d’asseoir leur contrôle sur les Monts de Cristal. Un projet de forteresse au beau milieu du Col des Hurlements était à l’étude, pour l’instant repoussé, le sujet de la passe de montagne étant tabou depuis des milliers d’années.

Cependant, Vödr ne livra à Yasen aucune nouvelle concernant Tepatitlan. Cependant, le félin nous répéta d’autres paroles du vieux loup, bien plus étranges.

Selon le devin du Nord, l’agitation aurait à nouveau gagné la forêt d’Aevi, d’où Nidhöggr était sorti pour semer le carnage à la demande du roi des loups. La rumeur se répand à travers tout le pays que les wyrms marchent vers le Nord, attirés à nouveau comme lorsque Nidhöggr avait été libéré. Vödr ajouta de manière énigmatique que l’essence du dragon, ses pulsions destructrices, avaient survécu à son corps, et étaient encore à l’œuvre quelque part. Ils sentaient l’appel de leur maître, et retournaient vers lui.

Je me chargeai rapidement de trouver la solution à cette énigme. Red Dragonfly, un spécialiste des dragons, nous a rapporté, à Quill –qui m’assiste dans mes recherches- et à moi une très ancienne légende, dont les textes sont rares et incomplets. Elle concernerait une race supérieure de dragons, dont la puissance aurait été telle que leurs énergies créatrices auraient su leur survivre, sous la forme des êtres vivants que nous connaissons. Quill apporta beaucoup de précisions concernant cette légende, assurant que le Tombeau des Dragons que Frost, Rarity et lui avaient découvert recelait en son sein les restes gigantesques de dragons, et que Nidhöggr apparaissait sur de nombreux bas-reliefs, en figure d’ennemi de la création.

Dragonfly énonça la théorie selon laquelle notre monde serait issu de essences de ces dragons primordiaux. Le soleil, la lune, le vent, les êtres vivants, la terre, la mer, les rêves… Tout aurait une seule et même origine, ce qu’il appelle l’ « Essence Draconique », qui pourrait donc prendre bien des formes ou n’en avoir aucune.

Nidhöggr aurait donc également une essence à l’œuvre dans l’ordre du monde. Mais laquelle ? Comment savoir si, par-delà la mort, il représente une menace ?

… Rarity a-t-elle un lien avec tout ceci ?

J’aimerais retourner dans le Nord pour obtenir des réponses, encore une fois, mais je ne peux pas. Je dois d’abord penser aux combats à venir, et au salut de mon peuple.

Je dois retourner me battre, et interdire à ces loups de continuer leurs déprédations. Il est temps de mettre fin à cette loi qu’ils dictent partout, celle du plus fort.

Au fond, je sens que ce combat est vain. Que je devrais m’enfuir à nouveau, quitter le navire avant qu’il ne sombre. Une voix me dit que les loups sont trop forts et trop nombreux pour être vaincus. Une autre me dit qu’ils doivent payer pour tout ce qu’ils ont fait, et que la terre doit être rougie de leur sang.

J’ai choisi de ne pas écouter la voix du sang, et de suivre celle de la raison. C’est elle qui me pousse à écrire ce journal.

Si cette guerre prend fin un jour, quelle que soit l’issue, que nous demeurions un peuple libre ou que les loups prennent le contrôle de cette terre, je tiens à ce que ma mémoire soit perpétuée, et avec elle celle de nos erreurs, pour ne plus être commise, et celles de ceux qui sont tombés en héros. Je tiens à ce qu’on se souvienne de nous, que ce texte soit une base pour écrire la fin de l’histoire.

Car même si la fin est proche pour Equestria, ce n’est que le début du Crépuscule de notre monde.

C’est le début du Ragnarök, qui ne s’achèvera que lorsque les derniers dieux et les derniers monstres s’éteindront.

Et même lorsque cette ère de sang et de mort s’achèvera, la légende, notre légende, ne s’éteindra pas.

Loki Kengan, dit «Stonhart»

242ème jour du Ragnarök.

 

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