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Ragnarök

Une fiction écrite par Nochixtlan.

Chapitre 1 : l'Appel des Glaces

Le temps fuit et jamais ne revient, tel les glaces qui fondent et s’évaporent sitôt caressées par le premier rayon de soleil printanier.

L’Eclipse commençait à rejoindre le champ des souvenirs, pour n’être plus qu’une trace passée de l’Histoire.

L’Eclipse était le nom qui avait été donné par on-ne-savait qui à la brève mais violente crise qui avait touché Canterlot, deux avant les présents évènements, lorsque Discord était apparu telle une divinité infernale à la tête d’une armée nées des ténèbres et nourries par le péché.

Pendant un bref moment, la puissance chaotique du draconequus avait occulté le Soleil et la Lune, et était passé proche de leur destruction. C’avait été une véritable Eclipse des deux astres lumineux.

Toutefois, l’Ordre avait prévalu, et l’esprit du Chaos et de la Désharmonie avait vite été enfermé de nouveau dans sa prison minérale, puis reclus sur ordre des Princesses Celestia et Luna dans un endroit connu d’elles seules et protégées par de puissants enchantements qu’elles entretenaient elles-mêmes.

L’incursion de Discord et la bataille qui s’était ensuivi avaient été si brèves que la majorité d’Equestria n’apprit que bien plus tard ce qu’il s’était produit lors de cette nuit fatidique, alors que les rues de Canterlot avaient déjà été nettoyées des squelettes colossaux des démons, que les bâtiments avaient été mis à neufs et les morts honorés depuis longtemps. Certaines des provinces les plus reculées d’Equestria ne surent pour certaines jamais que Canterlot avait affronté une véritable armée d’invasion, et même si elle avait triomphé, heureux demeuraient les ignorants. Les Princesses avaient pris soin d’étouffer l’affaire autant que possible, afin de ne soulever aucune question qui eût pu être gênante parmi la population.

Le calme était donc revenu en Equestria, et tout semblait normal, la vie reprenant tranquillement son cours à la ville comme à la campagne.

A l’heure à laquelle se déroulaient les évènements qui suivront, deux années après l’Eclipse, Ponyville semblait en paix, la brise fraîche venue du Nord hâtait le pas des badauds, glacés jusqu’aux os par la morsure du vent. L’hiver approchait, et une fervent activité agitait les rues, causées par les départs vers des destinations plus chaudes et les derniers préparatifs pour affronter le froid hivernal.

Rarity frissonna sous son manteau de fourrure. D’ordinaire le froid ne lui causait nulle gêne, mais le vent était d’une autre trempe, et rien ne pouvait la protéger de sa morsure glacée qui traversait les couches de vêtement comme si elles n’existaient pas, que ce soit l’épais manteau ou le foulard noir qu’elle portait au cou.

Elle jeta un bref coup d’œil à Loki, qui marchait à côté d’elle. Il ne portait rien d’autre que la veste de velours noir qu’elle avait elle-même cousue pour lui, et elle doutait même que le vêtement ait eu pour le coyote une autre utilité que l’apparat. Il semblait parfaitement à l’aise au milieu du vent glacé. Mais comment pouvait-il le supporter, puisque même la fourrure que Rarity portait sur son dos, pourtant plus épaisse que celle du canidé, ne parvenait pas à lui tenir chaud ?

Lui-même prétendait être né pour vivre dans le froid, que son sang était plus chaud que celui des poneys et qu’il supportait par conséquent mieux le froid. La brise gelée ne le gênait pas, du fait qu’il la sentait à peine.

La licorne, elle, pensait simplement qu’il était fou à lier.

Et depuis plus de deux ans qu’elle le connaissait, ce sentiment n’avait fait que se confirmer, et par déteindre sur elle. Petit à petit, elle était devenue aussi folle que lui.

Suffisamment pour se laisser prendre au plus attrayant des pièges, s’était-elle dit le jour où la bête à fourrure s’était inclinée devant elle en lui offrant un anneau serti d’un saphir éclatant, tiré d’un endroit dont elle ne saurait jamais rien et payé d’une manière tout aussi mystérieuse.

Ce jour là, la folie s’était totalement emparée de la styliste, et quelques semaines plus tard, Celestia les liait tous deux pour le restant de leurs jours.

C’était il y avait un peu plus de deux mois.

Deux mois qu’ils avaient passé dans une ambiance étrange et des sentiments mitigés.

Depuis longtemps déjà, Rarity avait senti chez Loki une certaine langueur de quitter Ponyville, de quitter le nid douillet qu’ils tentaient de construire tous les deux, et elle savait qu’un jour, il n’y tiendrait plus, et partirait. Il était torturé par des questions qui le hantaient sans cesse, et elle savait qu’il ne pourrait pas le supporter longtemps.

Pourtant, elle avait tenté de faire comme si de rien n’était, essayant de lui faire oublier ses inquiétudes et ses doutes, en vain. Il avait traîné ces chaînes pendant plus d’une année, et leur mariage n’avait strictement rien changé dans le fond, même si, en apparence, le coyote était parfaitement heureux. Et ce malheur caché affectait la licorne à son tour, et leur bonheur à tous les deux était devenu une façade.

Pour ces raisons, ils affrontaient le froid naissant et la bise sur les quais de la gare de Ponyville, dans le silence anxieux de l’attente du train qui emmènerait Loki loin de sa bien-aimée.

- Tu es toujours certain que je ne peux pas t’accompagner ? osa Rarity pour rompre le silence tendu.

- Absolument, répondit le coyote à mi-voix, tournant vers elle son œil unique, dernier vestige des épreuves qu’ils avaient tous deux traversé depuis leur rencontre. Celestia nous a mis en garde, reprit-il plus fermement, tu as bien trop à perdre là-bas.

- Je maintiens que je perds beaucoup plus en restant ici, répondit la styliste d’un ton acerbe.

- Ne fais pas l’enfant. Plus de gens tiennent à toi qu’à moi. Tu as ta famille et tes amis ici, alors que tu es ma seule véritable attache. Personne ne se souciera de mon absence.

- Pour l’instant tu es le seul à ne pas vouloir voir les choses en face. Tu as des amis, Loki, même si ça te paraît incroyable. C’est toi qui ne t’en juge pas digne. Et je te rappelle que tu as également une femme qui refuse de te voir partir. As-tu seulement idée d’à quel point cela va être dur pour nous tous ?

- On en a déjà parlé. Je ne le fais pas de gaieté de cœur, mais je dois partir. Ca me rendra complètement fou si je ne le fais pas.

- Et tu préfère me rendre folle, dans ce cas ? grinça Rarity en haussant légèrement le ton. Folle à force de t’attendre, alors que je ne sais ni quand tu vas revenir, ni si tu reviendras seulement un jour ?

La lèvre inférieure de la licorne commença à trembler nerveusement, et des larmes cristallines perlaient au coin de ses yeux.

- Et si tu ne reviens pas ? Comment le saurai-je ? Qu’est-ce que je ferai ?

Loki ne répondit pas, préférant reporter son regard sur l’horizon, priant pour que le train arrive rapidement et mette fin à cette douloureuse discussion.

- Loki, nous sommes mariés depuis si peu de temps… « Ensemble dans le calme et la tempête », tu te souviens ? C’étaient nos vœux.

- Tu l’as déjà dit.

- Et je le redis, puisque tu n’as pas l’air de comprendre ce que ça signifie.

- Peut-être que je ne veux pas comprendre. Je ne veux pas te mettre en danger, quoi que j’ai pu dire ou faire. Je préfère te savoir saine et sauve ici plutôt qu’avec moi et en danger. On a déjà trop tenté le diable, je ne veux pas recommencer.

Il tourna la tête vers sa compagne, et planta son regard ambré dans les yeux bleu glace de la licorne.

- J’ai peur que si je t’emmène, il t’arrive quelque chose et que je sois impuissant à te protéger. J’avais déjà peur sur Terre, alors que je connaissais le terrain, imagine ce que je ressens vis-à-vis du Nord. Sans vouloir te vexer, tu n’es ni aussi rapide ni aussi agile qu’un coyote, et je ne pourrais pas te préserver de tous les dangers. Mieux vaut que tu reste ici.

- Je vois le genre. Une faible jument n’a pas sa place aux côtés des guerriers.

- Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit.

- C’est exactement ce que tu viens d’expliquer, pourtant.

- Je ne… Ecoute, tu es un Elément d’Harmonie. Tu as des responsabilités. Qu’arriverait-il si tu venais à disparaître ? Il ne s’agit plus de toi ou moi, mais d’Equestria tout entière. Qu’est-ce qu’il convient de faire, à ton avis ?

Rarity détourna le regard, et laissa planer un silence. Loki continuait à la regarder avec inquiétude.

- Ecoute, Rarity, je ne veux pas me battre, pas maintenant. C’est idiot, soupira-t-il.

Le silence se prolongea.

- J’ai peur, Loki, dit-elle au bout d’un instant. J’ai peur de te voir partir pour ne plus revenir, et ce quoi que tu dises. Et je ne cesserai jamais de m’inquiéter tant que tu ne seras pas rentré. C’est le propre d’une épouse, non ?

- Si, bien sûr. Et c’est pour ça que je ne veux pas que tu viennes. Je me sentirais coupable de te faire prendre des risques pour quelque chose qui ne te concerne pas directement. Moi aussi j’ai peur, et j’irai mieux en sachant que tu es là, et que tout va bien.

Un sifflement caractéristique retentit dans l’air. Le train entrait en gare.

Rarity releva les yeux.

- Promets- moi que tu rentreras vite.

- C’est promis. Et que mon âme aille au Tartare si je mens.

Il approcha son visage de celui de Rarity, et ils échangèrent un long baiser, comme si c’était le dernier.

Alors que ses yeux étaient toujours fermés, il sentit quelque chose s’enrouler autour de son cou et se serrer légèrement, écrasant la fourrure contre sa peau.

- Pour que tu penses à ta promesse, expliqua Rarity à mi-voix.

Elle cala son front contre celui du coyote, et ils fermèrent les yeux un instant, alors que le crissement assourdissant des freins de la locomotive emplissait l’air. Ils ne décollèrent pas l’un de l’autre tant que le contrôleur n’eut pas invité les passagers du véhicule à en descendre, préférant échanger encore un dernier moment de tendresse, avant une séparation d’une durée encore incertaine.

La locomotive siffla une nouvelle fois, annonçant le départ imminent. Loki jeta un dernier regard attristé à sa femme, avant de poser à son tour les pattes dans l’habitacle dont l’ouverture lui faisait face.

Les portes se fermèrent derrière lui, et il se retourna, collant son museau au carreau, tentant de retrouver Rarity parmi la foule de poneys venus comme elle saluer le départ d’un proche.

La locomotive siffla, et les roues se remirent en marche.

Loki tenta de maintenir le contact visuel avec Rarity aussi longtemps que possible, effaçant la buée que son souffle déposait sur le verre d’un revers de patte tout en faisant un timide signe à la licorne, mais elle fut bientôt perdue dans la mer de corps et de sabots, totalement indiscernable.

Le cœur serré, le coyote entreprit de chercher une place dans les voitures bondées, prenant garde à ce que le sac qu’il portait sur son dos n’aille pas heurter la tête d’un passager assoupi.

Il finit par trouver deux places libres en face d’un étalon licorne à la robe brune endormi lui aussi, et jeta son sac sur la première avant de se placer sur la seconde, à côté de la fenêtre, en face de l’autre voyageur.

Reposant sa tête contre la vitre, il laissa défiler le paysage, regardant les silhouettes brouillées par la vitesse des derniers bâtiments de Ponyville disparaître, et poussa un long soupir.

C’était fait, il était parti.

Etrangement, il avait le sentiment d’avoir commis une erreur. Pourtant, tout était logique et tombait sous le sens, il avait pris la bonne décision d’abandonner Rarity.

Abandonner ? Non, ce n’était pas le bon terme. Il reviendrait.

Et pourtant, c’était bel et bien le sentiment qu’il avait.

Mais pourquoi ? Et pourquoi les paroles de son épouse tournaient et retournaient-elles dans le cerveau du coyote ? Pourquoi tout son être lui hurlait de descendre de ce train et d’aller la rejoindre ?

Il faisait ce qui devait être fait, il le savait, alors pourquoi ces sentiments contraires ?

Ca n’avait aucun sens. S’il la quittait, c’était également pour son bien. Depuis des mois il tournait en rond dans la Boutique du Carrousel, et il savait que Rarity souffrait de le voir ainsi.

Il avait espéré qu’entrer dans la vie active de Ponyville lui occuperait l’esprit, mais il n’avait pu que dénicher un job d’intérimaire pour le compte de la mairie, et souffrait de trop de temps libre pour être réellement occupé à autre chose qu’à ses pensées et ses questions. Et pendant ce temps libre, Rarity était la plupart du temps indisponible, occupée à travailler chaque jour sur des commandes toujours plus conséquentes et exigeantes.

Alors il réfléchissait. Et plus il réfléchissait, plus il se posait de questions.

Quand il avait rencontré les princesses Celestia et Luna, après que les six héroïnes aient finalement défait Discord avec son infime concours, les souveraines s’étaient adressées à lui en l’appelant « Nochixtlan ». Un nom qui lui était familier, bien qu’il ne l’eût jamais entendu auparavant, et qui semblait remuer de lointains souvenirs qu’il ne parvenait pas à appréhender.

Mais plus étrange encore était le fait que les princesses l’aient reconnu, assurant avec véhémence que c’était bien lui qu’elles avaient rencontré quelques semaines auparavant, même si à l’époque il avait semblé un peu plus âgé et avait encore ses deux yeux.

Et quelles circonstances de rencontre ! Elles lui avaient expliqué qu’il avait été traîné devant Celestia en tant que prisonnier, attendant le jugement de la princesse du Soleil quand à son sort.

Il était jugé pour violation du traité que les poneys, les loups et les coyotes avaient signé plusieurs milliers d’années auparavant, et qui interdisait aux carnivores de pénétrer sur le territoire des poneys sous peine d’emprisonnement à vie.

Et tout ceci alors que lui-même, ainsi que sept autres personnes auraient pu le jurer, était en train d’arpenter une Terre qu’il ne reconnaissait plus, alors qu’elle l’avait vu grandir durant vingt et une années. Dans un autre monde qu’Equestria.

Twilight Sparkle avait tenté d’expliquer cela à l’aide d’une théorie de relativité du temps, arguant que le temps sur Terre s’écoulait plus vite qu’à Equestria lors de l’évolution parallèle des deux mondes. Mais cela ne pouvait pas être prouvé.

Et les princesses étaient certaines que c’était le même coyote que Luna avait désigné comme cobaye pour tester une nouvelle machine récemment mise au point que celui qui était apparu à Equestria peu après le retour de Discord, et qui avait aidé à sa défaite.

Et cette machine, comme chacun l’avait déjà compris, avait été à l’origine de l’Eclipse, ouvrant un portail entre la Terre et Equestria, qui avait une fois envoyé Nochixtlan dans un monde, où Discord le suivit quelques temps plus tard, emportant avec lui les sic héroïnes venues le défier et l’empêcher de nuire.

Bien que ceci ait permis d’expliquer l’apparence inhabituelle de Loki pour un coyote terrestre – trop grand, les yeux proportionnellement plus gros, des pattes trop larges et une longévité exceptionnelle en plus d’une aptitude à la parole, cela soulevait de nouvelles interrogations.

Pourquoi s’était-il retrouvé entre les sabots des princesses ? Qu’était-il venu chercher, clandestinement ou non, à Equestria ? Pourquoi ne pas être resté avec ceux de son espèce ?

Loki, lors d’une méditation, avait retrouvé un souvenir qui aurait pu expliquer son départ : il s’était rappelé le massacre intégral de son clan par une meute de loup. Sa femme d’alors avait eu la tête arrachée sous ses yeux, et le chef de clan avait été démembré par les monstres à fourrure à quelques mètres de là. Pourtant, rien n’expliquait la destination de sa fuite. Il aurait pu simplement quitter l’endroit et tenter de se faire accepter par un nouveau clan de coyotes, plutôt que d’émigrer clandestinement en territoire ennemi.

De même, pourquoi les loups avaient-ils attaqué le clan où il officiait comme shaman ? Dans son souvenir, la surprise n’était pas grande lorsqu’il avait entendu le premier hurlement annonçant le carnage. Avait-il provoqué cette attaque ? Avait-il quelque chose à voir avec le changement récent de nom du clan, devenant le clan Traque-Loup ?

Tant de questions, et toutes possédaient leur réponse quelque part dans le Nord. Savoir que la délivrance était à portée de patte était trop tentant pour que le coyote ait pu résister bien longtemps.

Ainsi, il avait pu occuper un temps son temps en recherches, accaparant son esprit à l’accumulation d’informations. Malgré les relations plus que houleuses qu’il entretenait avec Twilight et Spike, il avait passé un temps fou à la bibliothèque de Ponyville, épluchant tous les ouvrages qu’il pouvait sur le Nord.

Malheureusement, les recherches n’étaient pas réellement fructueuses, les informations maigres ou discutables, et concernaient principalement la partie équestrienne des terres glacées, et non celles sous le contrôle des carnivores, auxquels il était rarement fait allusion.

Au moins, il avait appris que le chemin de fer menait à Aurora, la dernière grande ville d’Equestria lorsqu’on montait vers le Nord. Là, il espérait pouvoir trouver de plus amples informations, voire même utiliser la ville comme base pour planifier des expéditions directement en territoire coyote, dans l’espoir d’obtenir, enfin, des réponses à ses aspirations.

Et rentrer aussi vite que possible.

Depuis lors, chaque jour et chaque nuit, il avait langui de quitter Ponyville et son travail miteux qui ne lui permettait même pas d’avoir ne serait-ce que l’impression de ne as vivre au crochet de sa femme.

Quelque chose lui disait qu’au fond de lui, l’aventure lui manquait. L’incertitude du lendemain, vivre au jour le jour sans savoir quoi faire ni où aller, la peur au ventre… Il avait honte de devoir l’admettre, mais tout cela le faisait se sentir vivant.

Et bien qu’il ait vécu des choses terribles, fait face à des horreurs que rares étaient ceux capables d’appréhender pleinement et traversé des épreuves que bon nombre ne vivraient que dans leurs cauchemars, c’est bien au milieu des plaines de cendres et sous les frondaisons obscures que son cœur s’était pour la première fois empli d’amour, et c’était dans les ruines arpentées par des horreurs sans nom d’un hôpital qu’il avait échangé son premier baiser avec Rarity.

Depuis, ils ne s’étaient plus quittés une seule seconde, et il avait goûté avec délice chaque battement de cœur de la licorne près du sien. Dormir à ses côtés pour la protéger, se ruer au-devant du danger en s’assurant qu’elle reste en sécurité…

C’était plaisant, mais totalement déraisonnable. Et c’était pour cela qu’il était parti seul, en la laissant à Ponyville, même contre son for intérieur.

Il quittait tout ce qu’il chérissait le plus en ce monde pour un avenir incertain et des réponses qui ne viendraient peut-être jamais.

Quelle folie.

Une folie qui devait être faite, se morigéna Loki

- Joli foulard, fit une voix, interrompant le coyote dans ses rêveries.

Il détourna le regard du paysage pour observer la source de la voix.

Le poney qui lui faisait face avait relevé le chapeau de feutre qui lui masquait auparavant les yeux, signifiant qu’il dormait, permettant à Loki d’apercevoir ses yeux couleur noisette.

Toujours aussi avachi que quand Loki s’était installé, il considérait le coyote d’un regard mi-intéressé, mi-amusé, tandis que son vis-à-vis le détaillait rapidement de son œil unique.

En plus de son chapeau, la licorne portait une veste noire à manches courtes. Sa crinière d’un ton brun sombre était aussi emmêlée qu’on pouvait le permettre, le qualificatif « en bataille » n’étant pas à la hauteur pour le décrire. Mais étrangement, ça allait bien au personnage.

Les crins rebiquaient en mèches anarchiques, s’égarant parfois sur le front ou devant les oreilles, donnant un air presque fantaisiste au poney, cet effet renforcé par une petite barbiche ornant son menton.

D’instinct, Loki sut qu’il avait affaire soit à un original, soit à un artiste.

- Merci, répondit le coyote après un moment.

- Cadeau de votre femme ?

- C’est si évident ?

- Oh, vous savez, si je ne l’avais pas vue vous le donner dehors, je n’aurais peut-être pas fait le rapprochement.

- Vous devriez éviter d’observer les gens ainsi, répliqua sèchement Loki. C’est une atteinte à la vie privée.

- C’est parfaitement involontaire. Je me contentais de regarder l’extérieur, et puis je vous ai vu. Il faut dire que vous ne passez pas vraiment inaperçu.

- On me le dit souvent, lâcha le coyote.

La voix de son interlocuteur avait quelque chose de tout à fait étrange. Elle avait des tendances parfois nasillardes, globalement grave, et forçait l’attention. Un phénomène assez étonnant.

- Et où allez-vous ? demanda le poney.

- Aurora, terminus du train.

- Quelle coïncidence ! Moi aussi, fit l’autre en se redressant et en ajustant correctement son couvre-chef. C’est la première fois que vous vous y rendez, j’imagine.

- Tout juste.

- Moi aussi. Et sans être indiscret, pourquoi y allez-vous ?

- Raisons personnelles, et oui c’est indiscret.

Un interlocuteur sympathique, peut-être, mais un peu collant.

- J’essaie juste de lancer la conversation. La route est longue jusque là-bas, m’a-t-on dit. Et vous allez chercher l’aventure, à Aurora ?

- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? fit Loki, un peu surpris.

- Eh bien, comme je l’ai justement remarqué tout à l’heure, ce foulard est un cadeau de votre épouse. Comme il lui appartenait auparavant, j’en déduis que c’est un objet qu’elle vous a laissé pour que vous pensiez à elle, dans le doute de vous voir revenir. Ce n’est pas si difficile à comprendre.

Un interlocuteur clairvoyant et dont il faudrait dorénavant se méfier.

- Et puis-je savoir en quoi ma vie privée vous regarde-t-elle, au vu des cinq minutes depuis lesquelles nous nous connaissons ? dit Loki d’un ton méfiant.

- En rien. C’est juste ce que j’ai déduit de la situation, ne m’en voulez pas. De plus, moi aussi je pars dans le Nord pour de telles raisons.

- Vous m’en direz tant…

- Je suis un artiste, voyez-vous, et comme je vends assez mal à Canterlot, j’ai essayé de trouver l’inspiration ailleurs. Vous avez dû entendre ce qu’il s’y est passé, d’ailleurs ?

- On m’en a parlé.

- Eh bien dites vous que même ça, même une telle crise, une véritable manne d’inspiration pour n’importe qui, ne m’a pas permis de peindre une seule œuvre concluante. Alors j’ai essayé le Sud, le désert, les bisons… rien de plus. Maintenant, j’essaie le Nord. Peut-être que la glace marchera mieux que le sable et la rocaille, qui sait.

- Et en quoi est-ce une réelle aventure ? Je peux comprendre que vous deviez vous mettre dans une certaine ambiance pour peindre, mais de là à parler d’aventure…

- Trouver le bon paysage, le parfait sujet, voilà qui demande un esprit d’aventurier. Pour ça, il faut marcher, explorer, arpenter, jusqu’à ce que l’inspiration nous frappe. Et qui sait ce qu’on peut trouver là-haut ? Monts et merveilles, je parie, que personne n’a essayé de rendre dans un tableau. Je serais un précurseur, parce que j’aurais pris des risques qui auraient rebuté n’importe qui d’autre !

- Tout un programme.

- Oui, ce n’est pas de tout repos.

La licorne se tut un moment. Cependant, au vu du personnage, Loki savait que ce n’était que dans l’attente de trouver le mot juste pour repartir de plus belle.

- D’ailleurs, nous pourrions voyager ensemble. Vous m’avez l’air d’être un explorateur, quelqu’un qui ne prendra pas de repos avant d’avoir trouvé ce qu’il cherche. Je suis persuadé que ce serait bénéfique pour nous deux.

- Ca reste à voir. Je ne sais pas vraiment où je vais, ni ce que je cherche, et on ne m’a pas dit que du bien du Nord sauvage. Et si j’avais eu envie de quelqu’un pour voyager avec moi, j’aurais emmené ma femme, ne croyez-vous pas ?

- Justement pas sur ce dernier point. Personne de responsable n’emmène quelqu’un à qui il tient pour partir dans des terres sauvages et inexplorées. Ou du moins, si vous tenez réellement à elle, et visiblement, c’est le cas. Et pour le reste, j’ai de nombreux talents qui peuvent vous être utiles.

- Ainsi qu’un acharnement hors du commun.

- On dit que c’est une de mes qualités.

- C’est discutable.

- Discutons-en, alors.

Loki faillit découvrir les crocs. Cette licorne au verbe sans fin commençait déjà à lui taper sur le système, alors qu’il fallait d’ores et déjà la considérer comme un compagnon de voyage qui, visiblement, ne lâcherait pas l’affaire.

- bon, c’est d’accord, se résigna le coyote. Mais au moindre pas de travers, je vous préviens que je vous plante là ou vous vous trouvez et vous aurez intérêt à ne plus recroiser ma route. Le reste du temps, vous me suivez, et vous ne me retarderez que si je le veux bien, est-ce bien clair ?

- Figurez-vous que même si mon humilité n’est pas des plus apparente, je connais ma place. Je saurai me faire tout petit.

Un artiste, se faire tout petit ? C’était la meilleure depuis que Sweetie Belle avait tenté de chanter une berceuse pour le chat de Rarity, Opalescence, et avait failli perdre une oreille dans l’opération.

- Ainsi soit-il, conclut le canidé. Je m’appelle Loki, fit-il en tendant une patte.

Le poney en face de lui la saisit fermement dans son sabot.

En observant cette étrange créature couverte de fourrure, dont il n’avait rencontré aucun congénère ni même cousin éloigné lors de ses voyages, l’étalon sut d’instinct qu’elle était promise à un destin hors du commun. Son œil unique, dont le jumeau barré d’une cicatrice était couvert par un cache-œil orné d’un soleil-roue de vie stylisé à la manière de ceux que représentaient les bisons du Sud, attestait d’un passé déjà tumultueux, probablement digne des plus grandes légendes, et le futur serait probablement à la hauteur.

Rester avec cette créature était s’assurer une place de choix pour des spectacles que le commun des mortels n’aurait que de rares occasions de voir, il en était certain.

- Quill. Swift Quill, répondit-il.

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