L’élément de la démence
Par Brocco
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« L’élément de la démence » contient plusieurs passages assez sombres et violents qui pourraient choquer les plus jeunes.
Ce récit se base sur l’univers décrit dans la fan fiction « Pony War Chronicles, écrite par Iron Pony Maiden et prend lieu après la fin de cette dernière. Par conséquent « L’élément de la démence » contient de nombreux spoilers qui gâcheront sans doute la découverte de Pony War Chronicles à ceux qui ne l’ont pas encore lu. Une lecture préalable de la production de Iron Pony Maiden est donc conseillée.
L'ensemble des recueils de Pony War Chronicles est disponible ici : https://docs.google.com/document/d/1_5buoBrLj53W6MHU6AwfCkvIg2LlPl04g-CHHFRmEpw/edit?usp=sharing
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Prologue
« J’ai déjà vu plus faste mais on trouve quand même des choses qui méritent d’être ramassées » se disait Greedy Chestnut, le museau plongé dans le tiroir d’un buffet décrépi.
La guerre n’avait pas que des conséquences négatives pour tout le monde. Face à l’arrivée des combats, la majorité des poneys prenaient la fuite et le faisaient le plus souvent sans prendre le temps d’emmener leurs affaires avec eux. Ouvrant ainsi une manne de choix pour les pillards comme Greedy et Stick, son acolyte de toujours. Durant les dernières années, ils avaient ainsi accumulé un sacré butin, agissant tels des charognards, dépeçant les villes désertées par l’approche de la guerre. Une activité lucrative mais pas sans danger, et nombre de leurs compagnons avaient passé la patte à gauche lors de telles opérations. Pour tout dire, de leur bande originelle, ils étaient désormais les seuls survivants.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et la guerre était désormais terminée. Equestria était maintenant en pleine reconstruction et les viviers s’amenuisaient. Ne restaient plus que les zones jugées auparavant trop dangereuses ou bien celles évitées en raison d’un passé trop chargé en horreurs. Cela rétrécissait donc fortement les possibilités et la concurrence était rude pour s’arroger les dernières parts du gâteau. Les rixes étaient ainsi fréquentes et Greedy n’avait aucune envie de finir bêtement abattu dans une querelle aussi près de la fin. Pas après avoir autant travaillé à se créer une retraite au soleil. Avec Stick, la décision avait alors été simple : une dernière opération là où tous avaient le plus peur d’approcher, là où tout avait commencé une quinzaine d’années plus tôt et ensuite ils allaient pouvoir prendre un long repos bien mérité. Avec toutes les absurdes histoires de fantômes qui courraient sur ce lieu, la proximité d’une forêt maudite et simplement en raison du symbole qu’il représentait, ils étaient sûrs que personne n’avait encore eu le courage de « visiter » ce village.
Ils étaient arrivés après la tombée de la nuit. Même si la possibilité d’y croiser des concurrents était nulle, ils ne souhaitaient pas prendre le risque de se faire remarquer. Trop de choses étaient en jeu pour tout gâcher stupidement par un excès de confiance. Les deux pillards en étaient désormais à leur cinquième maison et le butin était pour le moment très satisfaisant. Comme ils l’avaient prévu, personne n’était apparemment revenu en ce lieu depuis des années. Ou du moins ils ne s’étaient pas intéressés aux richesses que l’on pouvait y trouver. Greedy s’occupait en ce moment du rez-de-chaussée pendant que Stick fouillait l’étage.
Le voleur se redressa soudainement, les oreilles tendues. Une voix venait d’apparaître dans la nuit :
“My name is Pinkie Pie and I am here to say. I'm gonna make you smile and I will brighten up your day”
« Stick ? » lança Greedy en direction de l’escalier dans une voix éraillée qui se voulait murmurante. « Est-ce que cet imbécile a mis en marche un gramophone ? » se demanda-t-il. Rien ne semblait vivre à des kilomètres à la ronde mais ce n’est pas pour autant qu’il ne fallait pas être discret.
“'Cause I love to make you smile, smile, smile, yes I do. It fills my heart with sunshine all the while, yes it does”
Non ce n’était pas ça. Le son semblait se déplacer mais restait pourtant difficilement localisable. Merde… au final, ils n’étaient pas seuls ici ?
Soudain des coups sourds se firent entendre et le poney, tendu, sursauta. Était-ce une percussion venue soutenir la mélodie ? Cette dernière n’arrêtait d’ailleurs pas de se déplacer, s’approchant et s’éloignant d’une façon apparemment aléatoire. Mais le pillard remarqua vite que les battements ne suivaient en aucun cas le rythme de la chanson. Pour tout dire ils ne suivaient même pas un tempo précis. Aucun percussionniste ne pouvait être aussi mauvais, se dit fugacement le poney, même volontairement. De plus, Greedy remarqua très vite que le son de ces coups ne se mouvait pas non plus dans l’espace et qu’ils semblaient même provenir de l’étage du dessus.
« Sticky ? » lança-t-il à nouveau, plus fort, alors qu’il montait les escaliers. Aucune réponse ne vint, si ce n’était toujours cette chanson :
“It's true some days are dark and lonely and maybe you feel sad but Pinkie will be there to show you that it isn't that bad”
Il arriva enfin dans la pièce d’où provenaient ces étranges battements et Greedy comprit immédiatement d’où venait ce son : Sticky était à terre dans le coin opposé à l’entrée, secoué de violentes convulsions.
« Bordel Sticky ! » lâcha son compagnon et s’élançant vers lui. Rendu à son niveau, il s’agenouilla et prit le poney dans ses pattes afin d’essayer de le calmer. Sticky n’avait pourtant jamais été soumis à ce genre de troubles. Mais il ne fallut pas longtemps à Greedy pour comprendre la raison de ce mal.
“'Cause I love to see you beam, beam, beam, yes I do. Tell me what more can I say to make you see, that I do”
Sticky avait la gorge grande ouverte et un bouillon sanglant s’y échappait à grands flots. Ses joues avaient aussi été déchirées en un rictus grotesque. Son regard rencontra celui de Greedy, rempli d’une terreur folle. « Bordel Sticky, me lâche pas ! » hurla son compagnon, pris lui aussi de panique. « Bordel non… Pas ici… Pas maintenant » pensait-il alors qu’il tentait tout ce qu’il pouvait pour arrêter l’hémorragie. Alors les convulsions cessèrent soudainement et le regard de Sticky se calma avant que ses paupières ne se ferment. Greedy venait de perdre son dernier ami.
“Come on every pony smile, smile, smile. Fill my heart up with sunshine, sunshine. All I really need's a smile, smile, smile. From these happy friends of mine”
« Saloperie, viens te battre ! Arrête de te cacher ! » hurla le pillard en se relevant, tournant sur lui-même, toujours incapable d’identifier la localisation du son.
“Yes the perfect gift for me is a smile as wide as a mile to make me happy as can be”
« Approche ! Allez ! Montre ce que tu vaux espèce de lâche ! » cria-t-il alors qu’il empoignait le fusil sanglé dans son dos. Le son semblait désormais s’approcher, se faisant de plus en plus fort. Le morceau en lui-même semblait atteindre son paroxysme, répétant le même mot dans un crescendo :
“Smile, smile, smile, smile, smile”
Le sang battait dans les tempes de Greedy, le fusil levé vers la porte, prêt à accueillir le meurtrier de Stick.
“Come on and smile”
Le son était désormais tout proche. Il – ou elle ? Cette voix était manifestement féminine – allait payer. Oh oui, qu’importe le sexe de ce poney, la vengeance de Greedy allait être terrible.
“Come on and smile”
Sur ce dernier mot apparut soudainement et de nulle part un masque blanc, sans expression, remplissant le champ de vision du pillard.
Et un hurlement déchira la nuit.
I
Celestia balayait du regard le vaste territoire d’Equestria, perchée sur le balcon jouxtant la salle du trône et dominant son Empire. La guerre était désormais terminée et la reconstruction du royaume commençait. Suite à leur débarquement, les zèbres avaient réussi à pénétrer sur plusieurs kilomètres dans la terre des poneys mais une série de contre-attaques avait réussi à les repousser au bord de la mer. Cependant, mis ainsi dos au mur et engoncés dans d’excellentes positions défensives, le peuple du sud s’était montré pugnace et une guerre de position commençait à prendre forme. Afin de sortir de l’impasse et d’éviter de nouveaux massacres insensés, Celestia avait choisi l’option du chantage : soit les zèbres repartaient dans leurs terres et leurs morts leur étaient rendus, soient ces derniers étaient incinérés sur le sol d’Equestria et leurs âmes ne trouveraient jamais le repos. L’impératrice avait parfaitement conscience de la rudesse de cette offre mais elle ne s’était jamais remise des attaques aux gaz perpétrées par sa sœur des années auparavant et ne voulait jamais voir cette chose se renouveler. Et cette stratégie avait été gagnante.
Les zèbres étaient repartis avec leurs morts, mettant un terme à la guerre. Afin de limiter les tensions, Celestia n’avait même posée aucune condition quant à la remise de Shining Armor et de l’ensemble des anciens citoyens d’Equestria revenus combattre avec les zèbres. S’ils voulaient partir, qu’ils le fassent et l’alicorne n’avait aucune envie de les en empêcher. Même si certains de ses généraux remettaient sans cesse le sujet sur le tapis, elle refusait aussi d’envisager de porter la guerre dans les pays du sud en représailles pour leur attaque. Elle avait démontré à toutes les autres races que les poneys étaient un peuple capable de se défendre avec âpreté tout en montrant qu’ils savaient aussi limiter leurs ardeurs bellicistes. Cela devrait être suffisant pour refroidir les désirs expansionnistes des pays voisins mais aussi éviter l’apparition de pensées paranoïaques chez leurs dirigeants.
Au niveau de la sécurité intérieure, les choses s’étaient aussi fortement calmées. Les Impardonneurs s’étaient apparemment dissous suite à la disparition d’Applejack. Quant aux anciens partisans de Luna, ils avaient globalement perdus l’envie de combattre à la mort de leur chef et les rares poches de résistance restantes avaient vite été mises à pas. La clé de cette paix rapide avant sans doute été le décret de pardon passé par Celestia : tous les partisans de Luna pouvaient à nouveau être intégrés dans l’Empire sans aucune représailles à leur encontre à partir du moment où ils reconnaissaient publiquement leur erreur et prêtaient allégeance à l’Impératrice. Cette politique s’était montrée très efficace et expliquait sans doute la faible résistance de lunariens. Tous étaient lassés des combats et aspiraient désormais à la paix.
Bien entendu, Twilight Sparkle aurait sans doute désapprouvée cette décision et se serait arrangée pour que des « accidents » arrivent à leurs anciens ennemis, et l’alicorne sourit à cette pensée. Mais sa disciple n’était plus et ce sourire s’effaça alors que la douleur revenait dans le cœur de l’Impératrice. Qui l’avait assassiné, elle n’en savait rien mais elle soupçonnait fortement des lunariens qui s’étaient infiltrés dans le château afin de soutenir leur princesse alors qu’elle se lançait dans son dernier combat. L’expansion de « rumeurs » sur les actes de la Licorne Suprême, en réalité des faits réels que la propagande de l’Empire travaillait à étouffer, soutenait l’hypothèse d’agents ennemis qui auraient réussi à se trouver au plus près des secrets du château de Canterlot. Ainsi Twilight aurait été la responsable du massacre de Ponyville – et par conséquent responsable de la guerre qui s’ensuivit – et n’aurait pas hésitée à torturer celles qui avaient été ses plus proches amis. De telles rumeurs ne pouvaient que rouvrir des plaies encore trop fraîches et Celestia le refusait. Il était désormais temps de passer à autre chose, de se tourner vers l’avenir et de reconstruire le pays.
Il fallait faire donc table rase du passée, faire disparaître les éléments gênants et effacer de l’Histoire le souvenir de ceux qui symbolisaient le mieux la souffrance de ces dernières années, au moins le temps que les blessures cicatrisent. Et sa disciple étaient une de ces figures à oublier. Le cœur de l’alicorne se serra, prise de remords face à cet acte qui revenait à renier celle qui avait été sa plus fidèle partisane et sa plus proche amie durant une quinzaine d’années. Mais Twilight avait été parfaitement consciente de ce que son rôle impliquait. C’était à elle de prendre la responsabilité des toutes les décisions brutales et radicales nécessaires à la bonne marche du royaume afin de laisser l’Impératrice immaculée. Et cela avait fonctionné. Pour tous les poneys, la Licorne Suprême était l’instigatrice de toutes ces horreurs, pas l’Impératrice.
Mais Twilight n’en aurait eu cure, Celestia le savait. La licorne violette ne cherchait ni l’amour du peuple ni les oripeaux de la gloire. Elle ne désirait qu’à servir son mentor et à se montrer digne de son amour. Et cela, elle l’avait parfaitement réussi. Qu’importe ce que les autres pensaient de celle qui avait symbolisée l’élément de la magie, elle resterait à jamais dans le cœur de l’alicorne. Le visage de Celestia, crispé pendant que ces pensées sombres l’agitaient, fini par se détendre pour prendre un air déterminé. Certaines choses devaient être faites.
II
Brown Bumper n’aimait pas cette mission. Elle tranchait trop avait ce qu’il avait vécu ces derniers mois, qui avaient été les meilleurs depuis plusieurs années. Si la guerre lui avait pleinement permis d’exprimer ses talents d’artificiers, sa cutie mark en forme d’explosion témoignant de son expertise dans ce domaine, il était las de provoquer la mort de ses congénères. La moindre déflagration le rendant toujours extatique mais il trouvait ça bien plus agréable maintenant que cela n’entraînait plus une pluie composée majoritairement de morceaux de poneys. Et tous les membres de son unité partageaient ce sentiment. Car contrairement aux préjugés couramment entretenus, cette spécialité n’était pas un bon vivier pour les fous furieux. Le manque de patience et de contrôle qu’entraînaient les pulsions sanguinaires finissaient invariablement par avoir raison d’eux, sautant avec leurs propres créations. Ainsi, une sorte de sélection s’effectuait naturellement, ne conservant que des experts vivant certes pour la destruction mais étrangement peu pour le meurtre.
La fin des combats avait donc été un véritable soulagement pour Brown et sa bande. Ses talents étaient désormais tournés vers la reconstruction, aussi étrange que cela pouvait paraître pour un observateur extérieur. Il y avait pourtant tellement de champs de mine à détruire ou de décombres instables à raser pour pouvoir refaire vivre une ville. Pour pouvoir reconstruire, il fallait le plus souvent détruire. L’artificier était ainsi profondément heureux de sentir enfin utile au-delà du sens militaire du terme. C'est-à-dire au-delà de son efficacité à provoquer la mort de ses congénères. Et cela expliquait en parti son manque de goût pour cette mission : ce n’était ici que de la destruction pure et cela ne lui rappelait que trop la guerre.
Toutefois, une fois arrivé sur son objectif, il n’avait que trop bien compris la raison de leur présence. L’atmosphère de cette ville était plus que malsaine et toute son équipe s’y sentait profondément opprimée. L’aspect le plus dérangeant était la disposition des nombreux cadavres présents dans l’ensemble de la zone, tous figés dans une attitude de fête et renforçant ainsi leur aspect macabre. C’était d’ailleurs profondément étrange car cela allait à l’encontre de ce qu’ils savaient de cette ville. On aurait dit que la mort était venue prendre tous ces poneys en même temps, déboulant sans crier gare et réalisant sa tâche en un battement de cils. Or, si Brown Bumper était certain d’une chose, c’est que les fanatiques de l’église de Celestia et les servants de feu Twilight Sparkle n’avaient pas pour habitude de faire les choses proprement. Quelque chose n’allait pas ici, ils en étaient persuadés. Tous souhaitaient donc quitter cette ville le plus tôt possible tout autant qu’ils désiraient impatiemment la faire disparaître de la surface d’Equestria. Mais en raison de la minutie qu’imposait leur métier, ils ne pouvaient pour autant forcer la cadence sans mettre leur vie en danger. En résultait une atmosphère de frustration qui terminait de rendre cette mission encore plus exécrable.
Brown Bumper était désormais en train de tirer les fils reliant les détonateurs aux explosifs conventionnels et incendiaires situés au rez-de-chaussée de ce qui avait été sans doute auparavant une adorable maison colorée mais qui n’était désormais plus qu’une vieille bâtisse pourrie.
« C’est bon de ton côté Tek ? » cria-t-il à l’encontre de son équipier resté dans le bâtiment.
Il ne reçu aucune réponse.
« Tek ? » tenta-t-il à nouveau.
Et toujours aucune réponse. Merde, ce n’était pourtant pas son genre à tirer au flanc. Brown rentra alors dans la bâtisse afin de le chercher mais la parcouru entièrement sans y trouver personne.
« Est-ce quelqu’un ici à vu Tek ? » lança-t-il dans sa radio à destination des différents binômes répartis dans l’ensemble de la ville.
Toujours aucune réponse. Le poney retenta trois fois ses appels mais l’appareil restait désespérément muet. « Ca ne sent pas bon… » se dit-il en empoignant le fusil attaché dans son dos. En raison des pillards qui rôdaient souvent dans les ruines, ce genre de précautions était nécessaire. Toutefois, ils arrivaient en général à s’arranger à l’amiable, laissant les voleurs terminer leur besogne pendant qu’ils installaient les explosifs. Mais il était toujours possible de tomber sur une bande de fous furieux sans foi ni lois.
Ainsi, soit ces compagnons lui faisaient une sale blague, soit quelque chose de plus grave était en train de se produire. Brown se mit donc à parcourir les ruines, le fusil levé, à la recherche d’une réponse à ce mystère.
III
Pinkie…
« Je vous demande pardon votre altesse ? » Celestia sursauta en entendant l’interrogation de son conseiller. Elle avait apparemment parlé à voix haute.
« Excusez moi mon cher mais nous allons devoir écourter notre entretien, je viens à l’instant de me rappeler d’un problème qu’il m’est urgent de traiter » répondit l’Impératrice en orientant subtilement le poney vers la sortie. Celui-ci sembla surpris du soudain changement d’attitude de l’alicorne mais n’essaya pas de s’y opposer. C’était de toute façon une très mauvaise idée.
Une fois seule, elle retourna à ses réflexions. Un très mauvais pressentiment lui était soudainement apparu et refusait de la lâcher.
Pinkie… murmura-t-elle à nouveau.
Elle avait toujours eue quelques craintes envers les potentialités de certaines des porteuses des Eléments de l’Harmonie. Peur que mises dans de mauvaises mains ou dans une situation tendue, elles aient des conséquences désastreuses. Les ravages causés par le Sonic Rainnuke de Rainbow Dash illustraient parfaitement ces sentiments mais pourtant ni le pégase, ni Twilight Sparkle et son énorme potentiel magique n’étaient les principales causes d’inquiétudes de Celestia. Non, ses peurs se concentraient essentiellement, et étrangement, sur une pouliche rose perpétuellement rigolarde.
Pinkie Pie n’était pourtant qu’un simple poney terrestre mais il fallait admettre qu’elle faisait preuve de capacités étranges et uniques, comme si elle arrivait à se détacher des lois régissant ce monde. Cependant, ceci n’était avant la guerre qu’un moyen pour celle qui personnifiait à l’époque l’élément du rire de mettre un sourire sur le visage de ses congénères, Celestia y compris, et personne n’y faisait trop attention. « C’est du Pinkie tout craché », répétait-on souvent et on passait à autre chose. Pourtant l’alicorne ressentait toujours un certain malaise au sujet de la pouliche rose. Ses capacités ne correspondaient à rien de ce qu’elle connaissait et l’inconnu engendre toujours la crainte, même pour un être comme elle.
Ce sentiment était renforcé pour l’instabilité mentale que Celestia pouvait voir chez Pinkie, ressenti confirmé ensuite par Twilight. Si la pouliche était le plus clair de son temps joyeuse, le moindre doute sur la sincérité de ses amies pouvait la plonger dans une profonde dépression et à la limite de la schizophrénie. La bonne humeur permanente de Pinkie Pie apparaissait donc comme un rempart contre les recoins les plus sombre de son être, expliquant son caractère parfois forcé. Cette attitude semblait être une fuite en avant pour éviter d’être rattrapée par ses tourments intérieurs.
La crainte de Celestia était donc qu’un élément traumatisant finisse par provoquer l’effondrement de la psyché de la pouliche rose, la faisant retourner ses étranges capacités contre ses amies. Elle avait ainsi été rassurée d’apprendre que lors du massacre de Ponyville, Pinkie s’était enfuie dans les tréfonds de la forêt Everfree. Non que l’alicorne craignait qu’elle ne suive Luna dans sa guerre – comment un poney qui voulait sans cesse rassembler tous les poneys dans une gigantesque fête aurait pu se liguer contre quelqu’un ? – mais plutôt que dans un accès de rage désespérée, elle se mette à massacrer tous ceux qu’elle croiserait, indifférente aux camps dans lesquels ceux-ci se trouvaient.
Le retour de Fluttershy bien des années plus tard avait ravivé ses craintes, à plus forte raison que selon son récit, l’élément du rire semblait avoir définitivement sombré dans la folie. Cependant elle ne semblait pas vouloir quitter les ruines de Ponyville et c’était mieux ainsi.
Et lorsque avait été pris la décision de raser le village où la guerre avait commencé, ses conseillers l’avaient convaincu que Pinkie Pie n’était en rien une menace. En quoi une pouliche folle vivant seule au milieu de ruines et jouant avec des cadavres depuis plus d’un an pouvait être d’un quelconque danger ? Elle était même sans doute morte depuis longtemps. Et Celestia avait acquiescé. Est-ce que son désir de faire table rase du passé, elle qui souffrait tant du deuil de sa sœur et de sa disciple, avait obscurci son jugement ? Il n’en restait pas moins que l’alicorne avait désormais un pressentiment terrible et dans son corps se répandait la peur d’avoir envoyé certains de ces sujets à la mort en raison de son inadvertance et de son égoïsme.
Toute à ses pensées, elle se dirigea vers la station radio du château. A son entrée, toutes les têtes se tournèrent vers elle, une expression de surprise sur chaque visage, puis tous se prosternèrent dans un signe de respect et d’admiration envers leur impératrice. Celestia s’approcha alors d’un jeune opérateur radio qui semblait prêt à défaillir face à l’approche de l’alicorne.
« Bonjour mon fidèle sujet. Peux-tu me renseigner sur les communications passées ces derniers jours avec nos unités en action ? » lui demanda doucement l’Impératrice.
« T… Tout de suite » lui répondit le poney dans un bégaiement trahissant un stress qui aurait pu faire sourire Celestia si elle n’avait pas été tellement inquiète. Celui-ci se leva pour aller chercher dans les documents mis en commun au centre de la pièce et revint avec un classeur dans les pattes.
« Quelle information vous intéresse votre majesté ? » lui demanda-t-il.
« Quels contacts avez-vous eu avec l’unité de démolition n°42 ? » répondit l’alicorne. L’opérateur radio tourna alors fébrilement plusieurs pages puis fini par trouver l’information qu’elle cherchait :
« Dernier et seul contact avec eux il y a quatre jours, pour nous signifier leur arrivée sur le site –mention confidentielle- et le début des travaux de démolition ».
« Est-il normal de ne pas avoir eu de contact depuis ? » interrogea l’alicorne.
« Non votre majesté, cette mission devait prendre tout au plus deux jours et l’unité aurait due nous recontacter, qu’elle soit terminée ou qu’ils aient besoin d’un délai. »
Celestia frissonna à l’écoute de cette réponse. Ses craintes devenaient de plus en plus fondées.
« Est-il possible de les appeler ? » demanda-t-elle, essayant de masquer au mieux l’inquiétude dans sa voix.
« Pas de problème votre majesté » lui répondit l’opérateur avant de se mettre au travail.
« Unité de démolition 42, ici Trône, répondez… » Le poney attendit une réponse durant 30 secondes et, en l’absence de celle-ci, recommença : « Unité de démolition 42, ici Trône, répondez… Unité de démolition 42, ici Trône, répondez… ». Toujours aucune réponse. Le nœud dans le ventre de Celestia se contracta à nouveau. L’opérateur lâcha alors son casque et se tourna vers elle.
« Désolé nous n’avons aucune réponse, c’est étrange. Voulez-vous que j’essaye de les contacter régulièrement ? Peut être que nous finirons par les avoir. » proposa-t-il.
« Oui, s’il vous plaît » lui répondit Celestia. « Et veuillez appeler l’Etat Major, dites leur que j’ai à leur parler ».
IV
Cette route n’avait pas été conçue pour les camions et depuis l’invention de ces véhicules, personne n’avait essayé de la mettre aux normes, le sergent Stormhammer en était certain. Les violents cahots qui agitaient sans cesse les deux machines transportant son escouade en étaient la preuve et cela n’aidait pas à arranger l’ambiance maussade qui régnait entre eux. Non que la vingtaine de poneys ne possédaient aucune affinités, des années de guerre passées ensemble vous soudent comme jamais. Mais une atmosphère de fin pesait sur eux. La démobilisation approchait.
Equestria n’était plus en conflit ouvert avec quiconque. Le maintien d’une force armée d’importance n’avait donc plus de raison d’être. D’ici peu, ils auront tous à faire le choix entre retourner à la vie civile ou continuer dans le métier des armes. Et Stormhammer savait très bien que de nombreux soldats n’attendaient que ça pour partir, y compris dans son unité. Son regard se tourna alors vers Pinhead, la sniper du régiment. Cette pouliche à la robe crème et marron foncé s’était engagée il y a des années pour défendre son pays contre les lunariens et avait démontrée de fabuleuses capacités pour le tir de précision. Il s’agissait d’un allié précieux que le sergent allait regretter de perdre. Car elle rongeait son frein en attendant l’ordre de démobilisation, c’était une certitude. Pinhead était aussi mère de deux enfants et était lasse de les voir grandir sans elle. Il lui était aussi de plus en plus difficile pour elle de leur expliquer que son travail était de causer la mort d’autres poneys maintenant que la paix était revenue. Elle ne souhaitait donc qu’une chose : retourner auprès de sa famille et en finir avec les combats. Et Stormhammer ne pouvait en aucun cas lui en vouloir. Tout comme il ne pouvait avoir aucun grief envers tous les autres soldats qui se trouvaient dans la même situation qu’elle. Mais pour cela, encore fallait-il encore avoir une famille…
Il tourna son regard vers Old Chimney, le doyen de l’escouade qui somnolait, apparemment insensible aux cahots, sa mitrailleuse et son fusil à pompe d’appoint entre les pattes. Il était le plus fidèle compagnon du sergent, un poney présent depuis les débuts de la guerre, un vétéran comme il en restait peu. Mais le conflit lui avait prélevé un lourd tribut. Sa femme et sa fille étaient mortes dans les combats de Canterlot, le village de ses parents avait été ravagé dans des conditions obscures et ses frères avaient péri dans les tranchées. Quel intérêt avait-il alors à quitter les armes ? Pour aller où ? Pour retrouver qui ? Stormhammer se sentit pris de pitié pour son compagnon qui n’avait désormais plus d’autres frères et soeurs que ses compagnons de guerre. Et trop nombreux étaient les poneys dans la même situation. Ceux qui refuseront de quitter la dernière famille qui leur restait.
Pour le sergent, les choses étaient beaucoup plus simples : il n’avait simplement pas d’autre alternative. Il était longtemps resté ce que l’on appelle un « flanc blanc », un poney sans cutie mark qui n’avait jamais trouvé son talent spécial. Du moins jusqu’à ce que la guerre éclate et qu’il abatte son premier ennemi. Ce jour restera jamais gravé dans sa mémoire aussi bien pour l’intensité des émotions qu’il ressenti que pour leur ambivalence. Découvrir ce pour quoi il était fait après tant d’années d’errements était un bonheur sans nom mais prendre conscience de ce que cela impliquait était aussi source d’une profonde terreur. Néanmoins, ce doute ne perdura pas longtemps et Stormhammer devint vite un soldat d’exception et un leader charismatique. Même si la guerre était finie, il ne se posait aucune question quant à son avenir. Le métier des armes était sa destinée, tout simplement.
Cependant, tout n’était pas qu’une question de cutie mark. Certains poneys qui possédaient pourtant déjà un talent spécial s’étaient totalement épanouis dans les combats, à un tel point qu’ils refuseront à jamais de revenir à leur vie d’avant. Running Scissors était l’un de ceux là. Le poney à la robe blanche et noir était musculeux et un sourire goguenard était perpétuellement posé sur son visage couturé de cicatrices. Qui auraient pu deviner qu’avant la trahison de Luna, il était coiffeur ? La guerre l’avait en tout cas profondément changé. Il avait trouvé sa vocation dans le corps à corps et y avait plongé corps et âme. Mais pour tout dire, il était réellement un combattant exceptionnel et peu nombreux étaient ceux qui auraient pu lui faire face dans un combat singulier. Même les héroïnes Rainbow Dash ou Applejack aurait eu du mal contre lui, Stormhammer en était certain.
Les héroïnes… Un fugace sourire apparu sur son visage. Voila une appellation qu’il n’était plus sage d’utiliser, tout comme faire simplement mention de leurs noms. Il n’était pas né de la dernière pluie et savait très bien ce qui se tramait. Les services de propagande de l’Empire était en ce moment en train de tout mettre en œuvre pour effacer leur souvenir de la mémoire des habitats d’Equestria, et leur mission n’était rien d’autre que l’un des rouages de ce plan. Mais Stormhammer comprenait parfaitement leur logique. Avant la guerre, les porteuses des Eléments de l’Harmonie avaient été un modèle pour eux tous, symboles vivants de ce qui faisait la beauté du peuple des poneys. Mais ce passé ne rendait que plus douloureux les exactions qu’elles avaient commises durant la guerre, face aux autres poneys mais surtout entre elles. Voir une si belle amitié se déchirer dans un tel torrent de haine n’était pas facile à supporter. Et les récentes rumeurs sur les actes de Twilight Sparkle n’arrangeaient pas les choses.
Elles étaient donc un véritable symbole du déchirement qui avait meurtri Equestria, synthétisant à elles seules les horreurs que les poneys s’étaient infligés entre eux. Se rappeler à leur souvenir revenait donc invariablement rouvrir toutes les blessures que la guerre avait engendrées. Et maintenant qu’elle était finie et que le pays se tournait vers l’avenir, Stormhammer comprenait très bien que le gouvernement fasse tout ce qui était en son pouvoir pour éviter au peuple de ressasser les ignominies du passé. Certaines choses devaient être faites mais toutes n’allaient pas être une partie de plaisir.
Abattre l’élément du rire, tu parles d’une mission… Voila ce qui jouait sans doute le plus sur le moral de son escouade, bien avant la fin prochaine de leur unité. Terminer leur aventure ensemble sur une mission aussi dénuée de gloire, le genre dont personne ne se vantera, voila sans doute la principale source de la morosité ambiante. Et cela était d’autant plus dur pour ceux qui avaient eu l’occasion de rencontrer Pinkie Pie avant la guerre. Qu’importe ce qu’elle était devenue, cela n’allait pas être facile, Stormhammer en était certain.
« Sale mission, hein sergent ? ». Il émergea de ses pensées et se tourna vers celui qui avait apparemment compris le sujet de ses réflexions. Spring Frost était encore jeune mais on ne pouvait lui nier une certaine perspicacité. Il était très fort pour comprendre autrui mais avait tendance à en abuser, oubliant souvent de mettre les formes nécessaires pour ne pas vexer ou énerver les autres poneys.
« Je ne dirais pas ça, parfois, certaines choses ne nous enchantent pas mais le boulot doit pourtant bien être fait par quelqu’un. » lui répondit le sergent. Plusieurs soldats, auparavant perdus dans leurs propres pensées, commençaient à suivre leur conversation.
« M’enfin, envoyer une unité d’élite pour dézinguer une vieille pouliche, cela ne vous paraît pas exagéré ? » relança le jeune poney.
« Je te rappelle que nous sommes d’abord en mission de sauvetage. Notre but premier est de retrouver l’escouade de démolition. L’élimination de Pinkie Pie, si elle est encore vivante, est un objectif secondaire ». Stormhammer savait cependant cette réponse inexacte et Spring Frost semblait le comprendre lui aussi.
« Vous me ferez pas croire que nous sommes simplement en mission de sauvetage. Certaines huiles semblent prêts à mettre de gros moyens pour faire disparaître cette pouliche » releva-t-il.
Stormhammer soupira.
« Ne nous faisons pas d’illusion, Pinkie Pie est un symbole que certains de nos supérieurs voudraient voir disparaître, c’est un fait » répondit le sergent.
« Quel symbole ? » s’hasarda à demander un autre des soldats. Le vétéran en allait être bon pour une explication :
« Le symbole d’un passé où tout était plus simple » dit-il d’un ton las. « Et un symbole qui parle aux poneys. Parmi les six porteuses des Eléments de l’Harmonie, elle était celle qui avait le rôle le plus sociable. Nombreux sont les poneys qui ont participé à au moins une des nombreuses fêtes qu’elle donnait avant la guerre. Pour beaucoup d’entre nous, elle n’est donc pas qu’un personnage sur lequel on raconte des histoires mais bien une amie avec laquelle nous avons partagé quelque chose ».
« Si je comprends bien, vous l’avez déjà rencontré » lança Spring Frost et Stormhammer sourit. Il était vraiment malin…
« Oui, avant la guerre, j’ai eu l’occasion de participer à plusieurs de ses fêtes… ». Des souvenirs revinrent au sergent. A cette époque il n’était qu’un flanc blanc soumis à de perpétuelles railleries et les fêtes de Pinkie firent parties des rares moments joyeux de sa vie avant la guerre.
« Etait-elles aussi bien qu’on le dit ? » demanda un soldat, manifestement trop jeune pour pouvoir se souvenir de cette époque. « Je veux dire, on en parle de façon légendaire ».
« Ah ça oui qu’elles étaient bien ! » lança brusquement Old Chimney. « Rien à voir avec ce qui se fait aujourd’hui. L’ambiance n’est plus la même. On dirait que les poneys ne savent plus que boire et s’effondrer, pas faire la fête ». Stormhammer sourit. Son vieux compagnon était expert dans les leçons du type « c’était mieux avant ». Et une expression amusée apparue aussi sur le visage l’ensemble des soldats présents à l’arrière du camion. Cette habitude était souvent sujette à des railleries. Le sergent repris donc la parole avant qu’elles ne commencent à fuser.
« On va dire que ses fêtes étaient différentes. A l’époque, passer du temps avec nos amis nous suffisait. Et c’est en cela qu’elles consistaient. Simplement retrouver les êtres qui nous étaient chers et nous amuser avec eux ».
Un malaise palpable apparu dans le camion. Tous avaient perdu trop de proches durant la guerre pour qu’une telle phrase n’ait aucune conséquence. Stormhammer reprit donc :
« A voir vos têtes, vous comprenez donc ce que Pinkie représente : un bonheur innocent, passé et qui n’existera sans doute plus. Et c’est encore plus simple pour vous qui ne l’avez pas connu. Pour ceux qui l’ont déjà rencontré, ces souvenirs sont bien plus douloureux. » A l’écoute de cette phrase, certains des plus vieux soldats hochèrent doucement la tête. Le sergent savait que eux aussi avaient eu l’occasion de rencontrer Pinkie bien des années plus tôt.
« Imaginez donc la réaction des citoyens de Ponyville si on leur apprend que l’être qui leur a autrefois apporté autant de bonheur a maintenant sombré dans la folie, et apparemment dans la folie meurtrière. » reprit-il. « C’est pour cela que nous devons faire ce travail. Mieux vaut que l’élément du rire ait fuit dans la forêt Everfree au début de la guerre et qu’elle n’en soit jamais ressortie ».
V
Les deux camions s’arrêtèrent à une distance raisonnable de Ponyville afin de ne pas alerter les potentielles menaces qui pourraient s’y trouver. Vingt-quatre poneys en descendirent et se regroupèrent autour de Stormhammer.
« Ecoutez moi tous » lança-t-il d’une voix forte afin que tous l’entendent. « Notre objectif prioritaire est de retrouver l’équipe de démolition et de la mettre en sécurité. S’ils sont encore en vie, nous devons nous concentrer sur leur protection. Si la porteuse de l’élément du rire connue sous le nom de Pinkie Pie est présente sur le site, nous avons ordre de l’abattre ». Une fugace tension se fit sentir dans le ventre du poney à la suite de cette phrase mais n’en laissa rien transparaître. Faire paraître ses remords à son équipe n’était pas une bonne idée. « Enfin, notre dernier objectif est de finir le travail de l’équipe de démolition et de raser Ponyville. Des questions ? Non ? Alors regroupez-vous en équipe et on s’approche en se faisant discret. »
Les soldats se mirent alors en position dans un mouvement fluide et bien rôdé, fruit d’années d’expérience, et se mirent en route, suivant le chemin menant au village. Les alentours témoignaient bien de l’abandon de la zone, prairies et cultures s’étant depuis transformées en friches. Seule la piste était encore relativement ouverte, en grande partie en raison du passage récent des camions de l’équipe qu’ils venaient chercher. L’atmosphère était particulièrement silencieuse mais plus ils approchaient de leur objectif et plus ils avaient l’impression que du son en provenait.
C’était même plus qu’un simple son, c’était de la musique comme ils purent le remarquer en s’avançant. Il s’agissait d’un air de fête très entraînant apparemment joué par une fanfare. L’escouade finit par s’immobiliser et tous se regardèrent de manière interloquée. S’il y avait bien une chose qu’ils ne s’attendaient pas à trouver ici, c’était bien ce genre de sonorité. Certains soldats commencèrent alors à exprimer leurs avis à vois haute : peut être qu’au final l’équipe de démolition avait simplement rencontrée d’autres poneys sur place et étaient restée avec eux pour faire la fête, s’octroyant de petites vacances à l’oeil.
Le sergent aurait apprécié que cela soit vrai. Au final les soldats disparus auraient été retrouvés vivant, ils se seraient pris une petite tape sur les sabots pour leur manque de discipline et aucune trace de Pinkie n’aurait été aperçue, laissant penser qu’elle était morte depuis longtemps. Un scénario idéal, trop idéal. Si la guerre lui avait bien appris une chose, c’est que l’optimisme n’était que source de déception. De plus, qui serait assez malade pour aller faire la fête dans une ville à la réputation aussi macabre que Ponyville ?
Ses craintes s’intensifièrent au fur et à mesure qu’ils avançaient et que la musique se faisait plus distincte. Malgré une mélodie qui se voulait enjouée, le son était étrange. On aurait dit que les instruments étaient mal accordés, donnant à la ritournelle un caractère dissonant particulièrement malsain. De plus, il n’arrivait même pas à identifier quels instruments étaient utilisés. Leur son en lui-même était proche de ce qu’il connaissait mais pourtant avait une spécificité inconnue qu’il n’arrivait pas à clairement définir. Faute de mieux, il ne trouvait que le mot « spongieux ». Il n’avait rien d’autre pour décrire cette musique au caractère étrangement liquide, flasque et légèrement dissonante. La joie que l’on cherchait apparemment à s’en faire dégager n’en devenait alors que plus incongrue et finissait d’instaurer un malaise qui pesa sur toute l’équipe.
Arrivés en bordure du village, ils eurent la confirmation que le son provenait de son cœur. Ils avancèrent le plus discrètement possible jusqu’aux premières maisons et commencèrent à s’enfoncer dans la ville fantôme, regroupés en petites unités se déplaçant en alternance afin de toujours couvrir celles en mouvement. Ils ne trouvèrent au début ni signe de vie, si ce n’était toujours cette fanfare qui résonnait dans les rues, ni cadavres, ce qui était par contre étrange étant donné ce qu’il s’était déroulé ici des années auparavant. Ils arrivèrent alors dans une des rues principales et aperçurent les camions de l’équipe de démolition. Au loin se trouvait une place où de nombreux poneys étaient apparemment rassemblés et où trônait une estrade. C’était manifestement d’ici d’où parvenait la musique.
« Pinhead, va te mettre en position avec Bluepill » ordonna-t-il en désignant une maison qui permettrait à la sniper de couvrir l’ensemble de la rue. La pouliche s’élança, suivi de son compagnon. Bluepill n’était pas l’équipier habituel de Pinhead mais ce dernier s’était récemment blessé en entraînement et ils devaient faire sans. Dans la situation actuelle, un viseur n’était sans doute pas nécessaire mais il était toujours préférable qu’un sniper soit accompagné d’un poney pour protéger ses arrières. Le reste de l’unité alla quant à elle se mettre à couvert derrière les camions de l’équipe de démolition. Stormhammer ordonna alors à deux équipes de deux poneys de partir surveiller leurs flancs, qui s’exécutèrent aussitôt.
D’ici, ils avaient une meilleure vue sur la place bien qu’elle restait encore éloignée. Manifestement, le public massé devant la scène tenait plus du charnier. C’était sans doute sur cette même estrade qui Luna avait tenu son discours sécessionniste et donc ici que la majorité des massacres avaient eu lieu. Il était par contre plus difficile d’identifier ce qui se tenait sur la structure en bois. Stormhammer ne voyait qu’une masse informe ne correspondant à rien de connu. Néanmoins quelque chose bougeait en arrière. Une forme drapée dans une cape noire et au visage apparemment blanc.
« Pinhead, tu es en position ? » demanda le sergent dans sa radio.
« Affirmatif sergent, nous venons d’arriver. La vue est dégagée vers la place » reçu-t-il comme réponse.
« Peux tu me dire ce que tu vois ? »
« Tout de suite chef » répondit-elle et Stormhammer attendit sa réponse. Qui ne venait pas.
« Pinhead ? » relança-t-il mais tout ce qu’il entendait dans la radio étaient de faibles gémissements et une respiration qui tenait manifestement de l’hyperventilation. La proximité de la fanfare ne rendait pas l’écoute aisée.
« Pinhead, que se passe-t-il ? » tenta-t-il à nouveau. Une voix répondit alors mais ce n’était pas celle de la sniper.
« Sergent, je ne comprends pas ce qu’il se passe, Pinhead à l’air d’avoir un problème » lâcha Bluepill à travers la radio. A sa voix, il était apparemment paniqué.
« Un problème ? Comment ça ? » interrogea le sergent, nerveux.
« Je ne sais pas, elle a jetée un coup d’œil dans sa lunette et depuis elle ne bouge plus et ne réponds plus. Elle a l’air totalement tétanisée. J’ai beau faire tout ce que je peux, elle n’a pas l’air de remarquer ma présence. On dirait qu’elle est terrorisée ».
Il entendant toujours, quoique faiblement, la respiration rapide et les gémissements de la pouliche. Ces symptômes ressemblaient à un effondrement nerveux faisait suite à un traumatisme de grande ampleur. C’était courant dans les phases les plus intenses de la guerre mais Pinhead n’avait manifestement fait que regarder dans sa lunette. Qu’avait-elle donc pu voir au centre de la place ?
« Ok, détends toi, reste avec elle et essaye de la calmer » dicta-t-il dans sa radio à l’intention de Bluepill. « On reviendra vous chercher dès que ce sera fini ».
Après avoir reçu la confirmation de l’équipier de la sniper, il jeta un coup d’œil à l’ensemble de son escouade dispersée derrière les camions. Cette situation les rendait tous nerveux, il le voyait très bien. Pinhead était une vétéran, personne ne s’attendait à ce qu’elle craque sans aucune raison apparente. Et pendant ce temps là, la fanfare continuait de jouer.
Stormhammer sortit alors ses jumelles et se pencha à l’extrémité du camion, faisant signe à ses équipiers de ne pas bouger. Il voulait savoir ce que la pouliche avait vu pour tomber dans un état pareil mais préférait être le seul à le faire. Si quelque chose là bas était à même de faire craquer le soldat le plus endurci par sa seule existence, il préférait limiter les risques. Comme il s’y attendait, le public était manifestement composé de cadavres, majoritairement passés à l’état de squelettes bien que certains semblaient étrangement plus récents. Puis son regard se dirigea vers l’estrade.
La forme drapée dans la cape noire était manifestement un poney bien qu’un masque blanc semblable au masque d’Heartless recouvrait son visage. Elle était apparemment le seul être vivant sur cette scène et était aussi la source de la musique. Mais comment un poney seul pouvait-il faire le travail de toute une fanfare ? Cela n’avait aucun sens. Puis son regard se posa sur les instruments et il lui fallu un certain moment pour comprendre ce qu’il était en train d’observer. Au premier coup d’œil, ils ne ressemblaient à rien de connu mais il finit par identifier plusieurs formes familières. Et il ne put s’empêcher de laisser s’échapper un gémissement.
« Storm’ ? » murmura Old Chimney, à couvert à ses côtés, inquiet d’entendre un tel son de la part de son ami. Mais le sergent ne l’entendait pas. Des bribes de l’uniforme de l’unité de démolition… Des sabots… Des cutie marks… Des moitiés de visages dont les yeux étaient encore écarquillés dans un regard rempli de la plus profonde terreur qui soit… Voila les éléments qui permirent à Stormhammer de comprendre de quoi étaient faits ces étranges instruments et il se sentit sur le point de défaillir. Il avait pourtant parcouru de nombreux champs de bataille et pensait avoir vu toutes les formes que pouvait prendre le corps d’un poney brisé. Mais ce qu’il avait en ce moment sous les yeux dépassait l’imaginable et le soutenable. Comment pouvait-on à ce point déformer et outrager la chair ? Comment même était-ce possible de transformer un poney en instrument de musique ? C’était tout bonnement impossible. Et pendant ce temps là, la forme spectrale continuait de faire fonctionner sa fanfare, faisant se gonfler et dégonfler les grotesques structures de chair en une immonde parodie de vie dégénérée. Stormhammer en avait même oublié la musique mais maintenant qu’elle revenait dans son esprit, elle lui était insupportable. Il sentait qu’il commençait à glisser vers la folie, son esprit préférant perdre à tout jamais pied plutôt que d’observer l’infernal concert plus longtemps.
« Storm’ ! » lança Old Chimney plus vertement. Et cette fois le poney réagit, arrachant son regard de ses jumelles. Il remarqua que tous ses soldats l’observaient, visiblement inquiets pour leur chef. « Qu’est ce que tu as vu là bas ? » lui demanda son vieil ami. Stormhammer eut besoin d’un moment pour reprendre ses esprits et répondit dans un souffle « Quelque chose qui ne doit être vu par personne… ». Il avait maintenant parfaitement compris pourquoi Pinhead s’était effondrée ainsi. N’importe quel poney sain d’esprit aurait terminé de la même façon et il se demanda comment il pouvait encore avoir des pensées cohérentes. Il se sentit soudain pris d’inquiétude pour son équipe. Face à l’étrange attitude de leur sergent, certains d’entre eux auraient pu être assez curieux pour essayer de comprendre ce qui se tramait sur l’estrade. Cette crainte lui rendit les idées claires et il se redressa. Ces abominations devaient avant toute chose être détruites. Alors il hurla son ordre :
« Feu à volonté sur la scène ! »
Une note particulièrement fausse, qui aurait pu être comique dans une autre situation, s’échappa de la scène et la musique s’arrêta. Le spectre avait apparemment lui aussi entendu cet ordre. Mais la structure en bois disparut l’instant d’après sous une véritable pluie de projectiles. Tous les poneys situés au centre de la ruelle vidaient les chargeurs de leurs mitrailleuses ou de leurs mitrailleuses lourdes sur l’estrade, la plongeant dans un brouillard rosé mélangeant éclats de bois et morceaux de chair.
« Cessez le feu » hurla Stormhammer maintenant que presque tous avaient vidé leurs chargeurs et qu’il ne restait plus rien d’identifiable sur la scène. A vrai dire, elle avait elle-même fini par s’effondrer. En quelques secondes, tous suivirent son ordre et un silence de mort s’établit dans Ponyville.
« On s’approche » ordonna-t-il alors. L’escouade se mit doucement en marche, les armes toujours braquées vers leur cible. Ils atteignirent le « public » et le traversèrent avec dégoût. Manifestement, les corps avaient été sciemment déplacés et installés ici dans une parodie macabre de fête. Arrivé sur les débris de l’estrade, Stormhammer poussa un soupir de soulagement. Les « instruments » avaient été transformés en une bouillie informe et personne ne pouvait désormais deviner de quoi il aurait pu s’agir. Il trouva aussi la cape noire, percée de nombreux trous, et les restes du masque blanc, réduit en pièces par les projectiles. Mais il n’y avait aucun corps accroché à ses restes. Avait-il vraiment eu un spectre sous les yeux ?
Soudain une voix stridente et hurlant à la limite de la rupture sortit de nulle part : « Comment osez-vous GACHER MA FÊTE ? »
Puis les ruines de la scène volèrent en éclats, dispersant morceaux de bois et bouille sanguinolente alors qu’une forme s’en extrayait violemment avant de foncer sur l’escouade. Le soldat le plus proche fut soudainement coupé en deux. Puis ce fut au tour d’un deuxième de se mettre à hurler alors que le contenu de son ventre se répandait sur le sol. L’apparition bougeait à une vitesse surnaturelle, semblant même disparaître pour réapparaître ensuite dans un angle mort. La panique commença à gagner l’escouade alors que de plus en plus d’entre eux tombaient. Et Stormhammer n’arrivait toujours pas à identifier leur assaillant, tout au plus arrivait-il à voir de fugaces détails : des crins roses et lisses… des yeux bleus aux pupilles rétrécies au maximum… un museau rose clair déformé en un rictus de rage… des ballons bleus et jaunes… « Oh merde » lâcha-t-il dans un souffle. Reprenant ses esprits, il détacha alors une de ses grenades aveuglantes de sa ceinture et hurla « Repli flash, go ! ». Tous ses soldats se couvrirent les yeux alors que la grenade explosa en un flash lumineux d’une intensité aveuglante puis profitèrent de ce court répit pour prendre la fuite.
VI
« Mais c’était quoi ça bon sang ? » hurla Spring Frost.
« Baisse d’un ton par Celestia ! » le tança Stormhammer. Ils s’étaient regroupés dans une baraque en ruine, rejoignant l’un des deux groupes partis couvrir les flancs. La manœuvre d’évasion avait bien fonctionné et ils avaient apparemment semé leur assaillant. Néanmoins il était nécessaire de rester discret s’ils voulaient ne pas à nouveau se faire attaquer par surprise.
« Je déconne pas, c’était quoi cette chose ? Elle nous a massacré ! » reprit l’ancien coiffeur dans un murmure agressif. Sept soldats manquaient en effet à l’appel. Et ils n’avaient même pas réussi à riposter…
« Je pense que nous avons trouvé Pinkie Pie… » répondit Stormhammer dans un murmure, et tous le regardèrent, une expression confondue parcourant leurs visages. Pinkie Pie ? L’élément du rire ? La plus grande fêtarde qui soit transformée en machine à tuer, c’était absurde et plusieurs soldats commencèrent à exprimer cette opinion que presque tous partageaient.
« Je pense que le sergent à raison, j’ai bien crû reconnaître la cutie mark de Pinkie mais j’avais du mal à croire ce qu’avaient vu mes yeux » lâcha Old Chimney. Et tous les poneys se turent alors, digérant lentement cette information.
« Et qu’est ce que l’on fait maintenant ? » murmura doucement un des soldats, rompant le silence.
« On se regroupe, on retrouve Pinkie et on remplit notre mission » lui répondit Stormhammer dans un ton ferme afin de redonner confiance à son équipe. Il était en premier lieu nécessaire de rallier le second groupe parti couvrir le flanc opposé. Le sergent actionna alors sa radio :
« Gally, Sandskin, vous me recevez ? »
« Heureux de vous entendre sergent. Que s’est-il passé ? On était morts d’inquiétude » reçu-t-il comme réponse. Il est vrai qu’il avait tardé à les contacter, abasourdi par les récentes révélations.
« Nous avons trouvé Pinkie Pie et elle bien plus dangereuse que prévu. Nous avons subi de lourdes pertes. Nous devons nous regrouper. Où êtes vous ? »
« Nous sommes dans la boutique « Plumes et canapés », dans la rue principale ».
Stormhammer s’approcha doucement de la fenêtre et regarda dans la rue en restant au maximum à couvert. Le magasin était situé du côté opposé, un peu plus haut, vers les camions de l’équipe de démolition.
« Très bien, je vois la boutique. Restez à couvert. Nous allons nous mettre en mouvement et je vous recontacte quand nous sommes à proximité » reprit-il.
« Nous vous attendons, soyez prudents » répondit le soldat à l’autre bout de la radio.
Gally lâcha le bouton de l’appareil et regarda Sandskin, la confusion se lisant sur le visage de la licorne à la robe brun clair tout comme il devait se lire sur le sien. Pinkie Pie une bête de combat ? Ils avaient du mal à y croire. Et pourtant c’était apparemment très sérieux : certains de leurs camarades y avaient laissé la vie et une autre sa santé mentale. La pouliche ne put réprimer un frisson. Se retrouver séparé du groupe dans ces conditions n’était pas propice à la sérénité. Ils étaient pourtant des vétérans aguerris mais quelque chose semblait les rendre particulièrement nerveux dans cette ville, elle pouvait le sentir tout comme elle pouvait aussi le voir sur le visage de son compagnon. Au moins la musique s’était arrêtée mais le lourd silence qui était tombé depuis la fin des combats n’était pas non plus des plus agréables. Retrouver leurs équipiers allait être bienvenu.
« Va surveiller leur arrivée, moi je vais couvrir les arrières » décréta soudainement Sandskin. Se séparer n’était sans doute pas la meilleure idée soit selon Gally et elle lui fit savoir. « Ne t’inquiètes pas » lui répondit l’étalon « Je vais simplement me poster dans la pièce à côté. Moi aussi je préférerais rester avec toi mais je n’ai aucune envie qu’elle nous tombe dessus par derrière. Quant à toi, mets toi dans un angle afin d’avoir une vue sur l’extérieur mais aussi sur la pièce dans laquelle tu es. » Gally reprit courage en entendant le ton assuré de son compagnon. Il n’était pas un chef de l’envergure du sergent mais n’en savait pas moins diriger ses équipiers.
La pouliche se plaça à couvert au coin d’une fenêtre et jeta un rapide coup d’œil dehors. Stormhammer ne s’était pas encore mis en mouvement. Sandskin alla quant à lui se placer furtivement dans l’ancienne pièce d’exposition du magasin, remplie de divans pourrissants. Aucun son ne venait troubler cette atmosphère et le ciel commença à prendre une teinte rougeâtre alors que Celestia préparait la venue de la nuit à Equestria. « Si on pouvait lui demander de faire durer le jour plus longtemps » se murmura Gally à elle-même, « je n’ai aucune envie de me retrouver la nuit ici ». Les rayons lumineux du soleil, presque à l’horizontal, commençaient maintenant à gêner sa vue. Le bâtiment où s’étaient réfugiés les autres soldats après l’altercation avec Pinkie était désormais en contre jour mais elle aperçut au loin quelques silhouettes qui se déplaçaient. Ils étaient en route.
« Sandskin, le sergent approche » murmura-t-elle à l’intention de son compagnon. Même si sa voix était ténue, il ne devrait pas avoir de mal à entendre. Après tout, il était dans la pièce juste à côté, connectée par une grande ouverture dans le mur. Mais aucune réponse ne vint. « Sandskin ! » retenta-t-elle à nouveau, d’une voix moins maîtrisée alors que son inquiétude revenait. Mais ici encore, aucun son ne se fit entendre. La pouliche rasa les murs en s’approchant de l’entrée, faisant bien attention à rester hors de vue de l’extérieur tout en continuant à surveiller les autres portes de la pièce. Arrivée à l’ouverture menant à la salle d’exposition, elle y jeta un bref coup d’œil, l’arme levée. Aucun signe apparent de Sandskin, ni de personne d’autre. Elle passa à nouveau la tête dans l’angle, regardant plus en détail la salle maintenant qu’elle n’avait identifiée aucune menace immédiate. Elle ne put alors empêcher un glapissement quand ses yeux se posèrent sur l’espace qui est restée dans son angle mort lors du premier coup d’œil. Un poney était affalé sur l’un des sofas, comme s’il savourait du mieux qu’il pouvait son confort. Sauf qu’il n’avait plus aucune peau sur lui. La dentition entièrement visible sur son visage à nu formait un sourire macabre et le contraste entre l’aspect horrible du cadavre et son apparente détente révulsa Gally. Elle était certaine qu’il n’était pas là lorsqu’ils étaient arrivés dans ce magasin. Par ailleurs, il semblait beaucoup trop frais.
Soudain, elle aperçu un mouvement à l’extrémité de son champ de vision et identifia le pelage couleur sable de son compagnon. « Ah Sandskin » dit-elle soulagée, « où est-ce que tu étais donc… ». Mais elle fut incapable de terminer sa phrase. Quelque chose n’allait pas chez la licorne qui se trouvait dans la pénombre. Sa carrure semblait étonnamment trop petite, à tel point que sa peau et son uniforme formaient d’étranges replis. Celui qu’elle croyait être son compagnon tourna alors brusquement la tête vers elle et le bas de la peau de son visage se balança mollement dans un bruit visqueux. Sa face n’avait aucune expression, comme s’il s’était agit d’un masque. Seuls ses yeux transmettaient quelque émotion mais ils n’étaient pas ceux de Sandskin. Les siens étaient d’un brun foncé alors que ceux là étaient bleus et rétrécis à l’extrême, figés dans un regard plein de folie. Les entrailles de Gally se nouèrent violemment lorsqu’elle comprit enfin ce qu’elle regardait. L’instant d’après, la chose qui cherchait à se faire passer pour son comparse lança un bref son :
« Boo ! »
Un hurlement rempli d’une terreur sans nom émergea soudain du magasin duquel ils s’approchaient et résonna dans tout Ponyville, faisant sursauter toute l’escouade. « Bon sang ! » s’écria Stormhammer en se précipitant vers la boutique alors que ses coéquipiers lui emboîtaient le pas. Il n’était plus le temps pour un déplacement discret et un très mauvais pressentiment lui nouait la gorge. Ils entrèrent violement dans le bâtiment, défonçant plus la porte qu’ils ne l’ouvrirent. « Gally ! Sandskin ! » hurla-t-il en rentrant dans le bâtiment. Il souhaitait à tout prix ne pas avoir perdu de nouveaux hommes. Mais aucun son ne se fit entendre alors qu’ils commencèrent à fouiller. Cependant, il ne leur fallu pas longtemps pour découvrir deux cadavres entièrement écorchés, accolés bras dessus bras dessous dans un sofa, les bouches grandes ouvertes, la mâchoire défoncée, dans une parodie de rire, comme s’ils venaient de se donner la meilleure blague de la soirée. Un cri de rage s’échappa de la gorge du Sergent. Il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’il avait sous les yeux les corps de ses deux soldats, même s’il semblait impossible que l’on puisse écorcher aussi proprement deux poney en aussi peu de temps et en disparaissant sans laisser de trace.
Stormhammer fut alors pris d’une vive inquiétude et porta nerveusement sa radio à sa bouche. « Bluepill, est ce que tu me reçoit ? ». Le sergent avait considéré que le poney et la sniper étaient assez éloignés du centre de la place pour ne pas être menacés par Pinkie mais il n’en était désormais plus certain. « Je vous reçois sergent. Que ce passe-t-il de vôtre côté ? C’était quoi ces hurlements » entendit-il sortir de la radio. La voix de Bluepill était manifestement pleine d’inquiétude. « Je ne vais pas te mentir, on vient de perdre Gally et Sandskin. » Un gémissement se fit entendre dans le combiné à la fin de cette phrase mais Stormhammer ne s’arrêta pas : « Pinkie Pie est une menace bien plus sérieuse que prévu et elle est bien capable de s’en prendre à vous. Alors embarque Pinhead sur ton dos et retourne aux camions le plus vite possible. Prends contact avec Canterlot en utilisant l’émetteur longue distance et informe les de la situation. Puis prépare les véhicules pour un repli. Il n’est pas impossible que l’on te rejoigne sous peu ».
« Mais vous allez encore rester ici chef ? » entendit-il Bluepill répondre.
« Oui. On va aller se déplacer à l’opposée de Ponyville pour attirer Pinkie et te laisser la voie libre. Si on arrive à l’avoir, alors tout ira bien. Par contre si les choses empirent, il vaudra mieux que l’on revienne avec des renforts. Mais assez bavassé. Embarque Pinhead et décampe, vite ! ».
« Bien reçu sergent. Plombez la pour moi et revenez tous entier » lâcha Bluepill en guise de réponse. Il rangea rapidement sa radio et se dirigea vers Pinhead qui n’avait pas bougé d’un pouce depuis son traumatisme. Il plaça sommairement la pouliche toujours en état catatonique sur son dos et sorti à grandes enjambées du bâtiment dans lequel ils étaient cachés, se dirigeant vers le chemin qu’ils avaient pris à l’allée. Même arrivé sous les frondaisons des arbres qui le bordait, il ne ralentit pas la cadence. S’il y avait bien quelque chose dont il pouvait être fier, c’était son endurance. Cependant sa coéquipière lui pesait lourd sur le dos mais il refusait de lever la patte. Elle était désormais incapable de se défendre, ce qui signifiait que sa vie était entièrement entre les mains de Bluepill et ce dernier ferait tout pour la protéger. Ils finirent par arriver à leurs camions, garés en bordure d’une petite clairière. Le poney déposa doucement sa coéquipière à terre et pris un peu de temps pour reprendre son souffle. Puis il se dirigea vers l’émetteur radio longue distance située dans le camion le plus proche afin de prévenir Canterlot de la menace qui rôdait dans Ponyville. Mais peu avant de l’atteindre, un bruit de pas derrière lui le fit s’arrêter.
« Je n’aime pas les poneys qui s’enfuient en douce de mes fêtes » dit une voix aigue chargée de menaces.
VII
Stormhammer et ses hommes se déplaçaient méthodiquement dans les ruines du village, aux aguets de la moindre menace. Mais pour le moment, la pouliche rose n’avait pas daignée réapparaître. Cette absence inquiétait fortement le sergent, espérant qu’ils avaient tout de même réussi à détourner son attention de Bluepill et de Pinhead. Il n’était cependant pas pressé de revoir Pinkie. Ses aptitudes au combat ne correspondaient en rien de ce à quoi ils s’étaient attendus. A vrai dire ils ne s’étaient pas vraiment préparés à cette confrontation. Un poney fou avec une arme pouvait certes être dangereux pour les civils mais face à des combattants aguerris, il n’avait en général aucune chance de porter le moindre coup. Mais l’affrontement qui avait eu lieu dans les ruines de la scène avait été au-delà de l’imaginable. Il ne s’était jamais aussi senti aussi désemparé et vulnérable, même à l’épicentre de cette véritable fournaise qu’est la guerre, dans des corps à corps dont l’intensité restait pourtant encore légendaire chez les vétérans.
Voir ses compagnons tomber de toute part était une chose mais cette sentir cette menace, insaisissable et implacable, et pourtant située à leur proximité immédiate était quelque chose de nouveau pour lui. Il n’arrivait toujours pas à comprendre comment elle avait réussie à rester à ce point dans leurs angles morts et à se déplacer à une telle vitesse. Comme si elle n’avait pas vraiment été la… De même, il lui était inconcevable qu’elle ait pu infliger un tel traitement à Gally et Sandskin en aussi peu de temps. Bordel, il s’était à peine passé une trentaine de seconde entre le hurlement de la pouliche et la découverte de son corps. Comment était-il possible de retirer aussi proprement la peau d’un poney en une trentaine de seconde ? Stormhammer était certain que même les sinistres experts du donjon de Canterlot n’étaient pas capables d’une telle « performance ».
Et la disparition des corps de leurs compagnons tombés sur la place du village parachevait le tout. Après être sortis de la boutique des divans et des plumes, ils s’étaient précipités vers la place centrale, espérant pouvoir porter assistance à de potentiels survivants tout en attirant Pinkie vers eux plutôt que vers les deux poneys qui prenaient la fuite. Mais si les dizaines de cadavres que représentaient le « public » étaient encore apparemment tous présents, il ne restait aucune trace des soldats qui étaient tombés ici. Ou plutôt si, il restait des flaques de sang et parfois quelques viscères là où Pinkie les avaient fauchés mais les corps s’étaient quant à eux évaporés. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase et ses soldats commencèrent à glisser dans la paranoïa. Pour certains, ils étaient tombés en plein milieu d’un piège tendus par des partisans de Luna toujours actifs et désirant se venger de la mort de leur princesse bien aimée. Pour d’autres, Pinkie était devenue un fantôme et hantait désormais Ponyville, abattant sa colère sur tout être vivant qui pénétrerait sur ses terres. Enfin, les plus croyants émettaient l’idée qu’ils avaient pénétré dans un purgatoire visant à les faire payer pour tous les actes qu’ils avaient commis pendant la guerre. Aucune de ces hypothèses n’avait de sens mais que pouvait leur répondre Stormhammer ? Que Pinkie Pie était devenue une combattante surdouée et une experte en guerre psychologique ? Non, il ne trouvait aucune logique dans tout cela.
Au final, le seul moyen de les rallier fut de leur rappeler l’existence de Bluepill et de Pinhead. Qu’importe ce sur quoi ils étaient tombés. La priorité était avant toute chose de permettre aux deux poneys de s’enfuir sain et sauf. Ils n’avaient donc pas le temps de se perdre dans leurs idées farfelues. Il fallait continuer à avancer dans l’espoir d’attirer Pinkie vers eux. Ce rappel fut apparemment efficace et les soldats se calmèrent, préférant garder leurs sombres pensées pour eux. Ils finirent ainsi par arriver sur la place de la bibliothèque, qui avait apparemment été victime d’un incendie. Il n’en restait plus que la base du tronc, sur une hauteur de quelques mètres, morcelée, complètement calcinée et ceinte de nombreux débris. Deux autres camions de l’équipe de déminage étaient garés ici. Apparemment ils s’étaient dispersés dans la ville pour en finir au plus vite. La traque de Pinkie n’avait dû en être que facilitée… L’attention de Stormhammer fut alors captée par les explosifs étrangement disposés au centre et autour de la place. En s’en approchant, il remarqua qu’ils avaient été déterrés, comme s’ils avaient été auparavant dissimulés. Un examen plus minutieux lui rappela la façon dont la guérilla lunarienne établissait ses pièges. Quelqu’un avait donc tendu une embuscade ici.
« Hey Storm’, regarde ça » l’interpella Old Chimney qui était apparemment en train d’examiner un corps calciné empalé sur les restes de la bibliothèque. Stormhammer tourna son regard vers lui et le vétéran lui envoya un objet métallique qu’il rattrapa d’un sabot expert. C’était apparemment le détonateur servant à activer le traquenard de la place. Néanmoins son instigateur n’avait pas eu le temps de l’utiliser, sûrement parce que Pinkie ne lui en avait simplement pas laissée l’occasion. Le sergent prit un sourire narquois en pensant au destin de cet apparent lunarien, observant distraitement certains de ses soldats qui s’affairaient à ouvrir la porte de la bibliothèque. Voila qui permettait au moins d’invalider la théorie d’un piège de la part des partisans de Luna.
Il sortit brutalement de ses pensées quand l’un des poneys qui avaient finalement réussi à rentrer dans la librairie commença à hurler et sans même y réfléchir, s’y précipita. D’autres cris vinrent s’ajouter brièvement au premier au fur et à mesure que les autres soldats se rendaient eux aussi à la source de ce bruit. Arrivé dans l’ancien arbre, il vit ses compagnons tétanisés, certains en train de vomir pendant que celui qui avait poussé le premier hurlement n’arrivait plus à s’arrêter. Et ils venaient surtout de retrouver le corps de ses hommes. Ceux-ci avaient été placés dans une sorte de mise en scène macabre, comme s’ils étaient en train de jouer au jeu de « épingle la queue sur le poney », des sourires malsains gravés au couteau dans leurs joues pour certains, la bouche déboîtée en une parodie dégénérée de rire pour d’autres. Gally et Sandskin étaient eux aussi présents. Enfin pas vraiment mais leurs peaux avait apparemment été déposées sur des mannequins d’exposition similaires à ceux utilisés par Rarity pour ses robes. Et un dernier poney avait subit le même traitement que les deux précédents. Il semblait représenter l’image sur laquelle on devait apposer la fausse queue. Sauf que celle-ci avait été réellement arrachée et se trouvait maintenant dans le sabot d’un cadavre aux yeux bandés et à la langue pendante dépassant de sa mâchoire à moitié arrachée. La peau qui « habillait » ce dernier mannequin était celle de Bluepill.
VIII
Le soleil était désormais au niveau de l’horizon et le ciel avait pris une teinte rouge sang, comme s’ils étaient revenus à l’époque où la lune et le soleil se disputaient la place dans la voûte céleste. Le poney qui avait découvert les cadavres ne cessait de hurler et ses compagnons les moins choqués par l’atroce scénette essayèrent de le calmer. Mais Stormahmmer vit une expression dans ses yeux qui ne lui donnait aucun espoir. Son esprit avait atteint les limites de ce qu’il pouvait supporter et s’était effondré sur lui-même. Le même regard devait se lire dans les yeux de Pinhead. Un terrible frisson secoua le combattant alors qu’il repensait à la pouliche. Elle était désormais plus vulnérable qu’un nouveau né. Si Bluepill s’était fait avoir, qu’était-il advenu d’elle ? Voyant ce que le poney fou qui rôdait dans les ruines avait infligé à ses soldats, il ne pouvait imaginer le sort qu’elle avait pu lui réserver. Stormhammer sortit alors de la librairie et revint sur la place, commençant à hurler autour de lui à l’intention de Pinkie.
« Pourquoi Pinkie ? Explique nous au moins pourquoi ? » criait-il la rage au ventre, des larmes de colère au coin des yeux. « Pour quelles raisons infliges-tu cela à ceux que tu essayais de faire rire à tout prix auparavant ? Qu’est tu devenue ? »
Une réponse parvint alors mais le sergent fut incapable d’en déterminer la provenance. Mais ce dont il était absolument certain, c’était qu’il s’agissait de la voix de Pinkie Pie.
« Pourquoi ? C’est VOUS osez me demander POURQUOI ? ». Sa voix était déformée par une intense rage mais c’était tout de même celle du poney qui avait été l’élément du rire.
« VOUS qui venez dans MA ville avec VOS armes, avec VOS bombes, avec VOTRE guerre, vous osez me demander des explications ? ». Le son résonnait dans les ruines, lui prêtant le ton d’un dieu vengeur, et la source semblait se déplacer autour d’eux, parfois extrêmement vite d’un point à un autre, comme si la pouliche venait de traverser la place juste devant leur museau.
« Vous arrivez ici et la première chose que vous faîtes ce n’est ni un bonjour, ni une présentation. Non, vôtre premier réflexe c’est de réduire en miette le Bumpy Swing Orchestra ! Et même eux, avant que je ne leur donne le goût de la musique, ils étaient là pour quoi ? Pour détruire ! Pour DETRUIRE PONYVILLE ! Et je ne parle pas de tous ces irrespectueux poneys qui venaient voler les affaires de mes amies ! Si quelqu’un ici doit demander des explications C’EST. BIEN. MOI ! ».
Le dernier mot fut exprimé dans un hurlement profond, guttural, chargé d’une haine palpable et qui n’avait plus rien de poney. Les soldats s’étaient rassemblés autour de Stormhammer au fur et à mesure du monologue de Pinkie, incrédules maintenant qu’ils entendaient la voix de celle qui les avait tourmentés tout le long de la journée. Ceux qui avaient déjà rencontrés Pinkie étaient les plus abattus. Entendre à nouveau cette voix après 15 ans de silence mais dorénavant chargée d’une colère insondable les affectait plus qu’ils n’auraient pu le penser. Pendant un long moment, ils furent incapables de donner la moindre réponse, essayant de retrouver le calme et faire de l’ordre dans leurs pensées. Et quand Stormhammer se prépara à appeler à nouveau la pouliche, il fut coupé en plein élan par une voix derrière lui.
« Mais qu’est ce que tu racontes espèce de tarée ? Quelle leçon tu as à nous donner ? Tu ne vaux pas mieux que nous ! Tu es même pire que nous ! ». Spring Frost était à l’origine de cette phrase. Le jeune poney reprenait ses mauvaises habitudes à parler sans réfléchir, incapable de se contrôler. Continuer à énerver Pinkie était pourtant la dernière chose à faire jugeait Stormhammer.
« Bon dieu Spring… Tais toi… » marmonna-t-il doucement à l’encontre de son coéquipier. Mais le poney n’en tint pas compte et continuât de plus belle.
« Nous, nous assumons tout ce que nous faisons ! Pour tout te dire même on l’aime ce boulot ! Alors oui, ce n’est pas beau mais c’est ainsi ! Le monde change espèce de dingue, c’est normal ! Alors continue à t’accrocher à ton passé comme une pleureuse pendant que nous suivons la marche de l’Histoire ! Les gamineries c’est fini ! Il est maintenant temps de grandir un peu pauvre folle ! »
« Bon sang Spring ! Ferme ton museau » se prépara à lui lancer sévèrement Stormhammer. Mais avant que la phrase ne put commencer à sortir de sa bouche, un son métallique retentit et une brume rosâtre lui passa devant les yeux alors que la tête de Spring Frost volait dans les airs en direction du centre de la place. Elle n’avait pas encore atteint le sol qu’elle se retrouva dans les sabots d’une pouliche d’un rose sale qui semblait être apparue de nulle part. Elle était maigre, émaciée, le crin terriblement raide. Pinkie… Enfin ils l’avaient tous sous les yeux mais elle ne faisait aucunement attention à eux, trop préoccupée à hurler sur la tête qu’elle était en même temps en train de frapper violemment sur le sol.
« Est-ce que cela te paraît normal à toi qu’une pouliche tue de ses mains une de ses meilleures amies ? Est-ce que c’est la marche de l’histoire que cette même pouliche ordonne de torturer à mort une autre de ses plus précieuses amies ? ». Sa voix était hystérique et ses yeux exorbités, mais ses pupilles étaient rétrécies en de minuscules points vibrants de haine. Des torrents de larmes coulaient de ses yeux ainsi qu’un épais filet de mucus de ses nasaux tandis qu’un filet de bave bouillonnante se formait sur sa lèvre inférieure. On aurait dit que son corps essayait par tous les moyens d’exorciser cette rage qui le faisait trembler violemment. Et la tête de Spring Frost continuait de s’abattre régulièrement sur les pavés dans un son toujours plus spongieux.
« C’est ça la marche de l’histoire ? S’entretuer à grande échelle à cause d’un désaccord ? Créer des armes toujours plus monstrueuses afin de tuer toujours plus de poneys ? Monter les amis entre eux ? Les familles entre elles ? Même les inconnus entre eux ? Combien des poneys as-tu tués sans même avoir pris le temps de les connaître hein ? Dis moi ? Ils étaient quoi pour toi ? Quelque chose à abattre pour ton simple plaisir ou un être comme toi qui aimait rire avec ses amis, qui avait une vie et des rêves ? REPONDS MOI ! ». L’escouade n’osait pas bouger. Elle en était même incapable. Par ses paroles, Pinkie appuyait violemment sur la culpabilité qu’ils essayaient d’enfouir profondément en eux. Et cela faisait mal, très mal…
« Il est là ton plaisir ? » continuait-elle, rythmée par les shplof shplof shplof visqueux que faisait ce qu’il restait de la tête tenue entre ses pattes en heurtant le sol. « Plus de rires ? Plus de fêtes ? Plus de partage ? Simplement la mort et la destruction ? C’est ça ton magnifique futur ? Un monde où l’incarnation même de la bonté préfère s’enlever la vie d’elle-même plutôt que d’avoir à y vivre ? C’est vraiment ça que tu me proposes ? ET C’EST MOI QUE TU VIENS TRAITER DE FOLLE ?! ». L’allusion au sort de Fluttershy fut le point culminant de la douleur qui les frappait tous. Ils ne souhaitaient désormais plus qu’une chose : qu’elle se taise, qu’elle arrête de triturer violemment leurs blessures intimes, qu’elle laisse enfoui ce qu’ils avaient mis tant d’énergie à enterrer au plus profond d’eux même.
Et soudainement elle cessa de hurler. La césure brutale les décontenança tous. Elle observait désormais les yeux plein de larmes l’amas de chair, d’os et de cervelle maintenant impossible à identifier qu’elle tenait toujours dans sa patte, comme si elle se rendait compte pour la première fois de ce qu’elle venait de faire. Et les hurlements recommencèrent. Mais on n’y trouvait cette fois plus aucune colère ni rancœur. Au contraire, ils étaient désormais chargés de la tristesse la plus profonde et du désespoir le plus absolu qui puissent exister. L’on aurait dit que la pouliche, maintenant recroquevillée au sol, avait captée toutes les larmes et toute la détresse qu’avait créée la guerre pour les renvoyer brutes et concentrées au visage des soldats présents devant elles.
Ils commençaient tous à flancher, Stormhammer le savait bien. Lui-même ne le ressentait que trop. Et alors même qu’il se sentait prêt à demander grâce face au discours culpabilisant de la pouliche, l’effet soudain du torrent de désespoir primordiale qui s’en écoulait lui fit comprendre qu’il n’avait encore rien vu. Avoir ainsi sous les yeux l’être qui avait été l’essence même de la joie et du rire il y a 15 ans et sur lequel il semblait s’être dorénavant abattu tout la souffrance du monde était tout bonnement insupportable. Tout son être criait pour la fin de ce tourment, suppliant pour que cette douleur d’une nature et d’une magnitude auparavant inconnues disparaisse à tous jamais. Stormhammer ne comprit alors que trop bien pourquoi les autorités d’Equestria voulait à ce point que l’ancien élément du rire disparaisse. Elle était non seulement dangereuse physiquement mais ce n’était rien à côté de ce qu’elle pouvait infliger au moral de ses congénères. S’ils s’étaient en ce moment trouvés au cœur de Canterlot, la ville se serait effondrée sous le poids du désespoir, il en était certain. Alors il leva lentement son fusil.
IX
Il fallait mettre un terme à tout ça, il y était résolu. Cependant ce n’était pas la sécurité de ses congénères qui le poussait à ces conclusions. Ni même une froide obéissance aux ordres. Non, le seul désir qui motivait maintenant Stormhammer était simplement de mettre fin aux tourments de Pinkie. Il se savait incapable d’estimer la douleur que ressentait la pouliche mais s’il était sûr d’une chose, c’est qu’elle était incomparablement plus intense que ce qu’il ressentait lui même en ce moment. Elle n’avait pas méritée ça. Ce monde n’était plus le sien et ne le serait jamais. Alors la seule chose qu’il était désormais possible de faire était de mettre fin à ses souffrances et de lui permettre de trouver la paix.
Le mouvement de leur chef finit par sortir lentement les poneys de leur torpeur. Le regard encore hagard, ils finirent tous par lever leurs armes et mettre en joue la pouliche. Le temps semblait s’être arrêté. Aucun poney ne semblait se décider à appuyer sur la gâchette pendant que Pinkie continuait de pleurer par terre. Ses sanglots finirent par perdre en intensité et elle releva doucement la tête, les yeux encore embués de larme, découvrant les multiples fusils pointés vers elle. Stormhammer appuya alors sur la gâchette. Mais un instant avant d’accomplir son geste, bien que trop tard pour revenir en arrière, il remarqua que le visage de la pouliche était agité d’étranges tics nerveux. Puis un grondement s’éleva alors que toutes les armes se mirent à tirer.
Pinkie tressauta et se déforma face au déluge de balles. Mais c’est mouvements n’avaient rien à voir avec ceux que causent l’impact d’un projectile. Le corps du poney rose se dilatait, se contractait et s’étirait selon des formes et des angles que la physiologie d’aucun poney n’aurait permis. Stormhammer était même certain que des ouvertures se formaient et disparaissaient fugacement le long de son corps. Et soudain il réalisa. Elle évitait leurs balles ! Comment elle y arrivait il n’en savait rien mais c’était pourtant ce qui était en train de se passer devant leurs yeux. Ce qui était censé être Pinkie Pie s’était maintenant changé en un chaos dont la forme évoluait en permanence mais qui restait désespérément entier. De dépit, le sergent dégoupilla une grenade et l’envoya vers elle. Il voyait mal comment elle pouvait éviter cela.
Mais il se rendit très vite compte de son erreur quand une protubérance indéterminée – sans doute une patte ? – sortit de l’enchevêtrement rosacé bouillonnant pour envoyer valser le projectile droit sur l’un des camions de l’équipe de démolition. « Tous à terre ! » hurla Stormhammer en se jetant au sol. Le véhicule et son contenu hautement dangereux explosèrent, entraînait une réaction en chaîne qui fit détonner les charges posées dans plusieurs des bâtiments situés à proximité. Une pluie de débris s’abattit sur eux, causant plusieurs blessures légères mais le sergent se prit à observer intensément une grosse forme noire qui s’envolait vers eux. Et qui s’écrasa sur Pinkie, qui venait apparemment juste de reprendre sa forme normale, dans un fracassement étrangement mélodieux bien que disharmonique.
Un piano à queue ?
Stormhammer en restait coi. Et toute son équipe se trouvait dans le même état de stupeur. C’était tellement… absurde. On se serait crû dans les spectacles de marionnettes pour poulain où les personnages se prenaient sans cesse des objets improbables sur la figure, pour le plus grand plaisir des jeunes spectateurs. Et en un sens, c’était une mort idéale pour Pinkie. Un vieil adage dit « on meurt comme l’on a vécu » et il semblait correspondre tout à fait à la situation actuelle. Le décalage était tel entre l’horreur de ce qu’il venaient juste de vivre et le grotesque de cette mort qu’ils commencèrent doucement à rire. Puis cela se transforma en une irrésistible hilarité au fur et à mesure que toute la tension accumulée y trouvait un exutoire. La scène était irréelle, presque dégénérée. Ils étaient tous regroupés dans la nuit naissante autour de l’instrument brisé, s’esclaffant à s’en étouffer alors que derrière eux l’incendie se répandait, atteignant les charges contenues dans une nouvelle bâtisse et la faisait exploser.
Mais cette vague d’hilarité fut d’une courte durée, stoppée nette lorsqu’une voix menaçante s’échappa d’en dessous de ce qu’il restait du piano. « Mes vrais amis rient avec moi. Pas DE moi ! ». Voila quelle fut l’unique phrase qui fut prononcée avant que l’instrument ne vole en éclats et que ne s’en dégage violemment le cauchemar qui avait été auparavant Pinkie Pie. Le bref instant de détente qui avait précédé ne rendit que plus brutal le ressac de la terreur qui les envahissait à nouveau, comme si cette dernière s’était patiemment terrée, attendant le moment idéal pour ressurgir. La paralysie momentanée qu’elle leur infligea à tous empêcha les premiers poneys de réagir alors que Pinkie les chargeait en poussant un hurlement qui n’était pas de ce monde, et ils furent fauchés sans même essayer de se défendre.
Mais une fois qu’ils réussirent à reprendre leurs moyens, la contre-attaque n’en fut pas plus brillante pour autant. Stormhammer revécu le même tourment que lors du combat devant les ruines de la scène. Les déplacements de la pouliche étaient incompréhensibles. Passé la surprise du premier affrontement, il arrivait un peu mieux à la suivre des yeux mais il avait toujours le sentiment tenace qu’elle ne se trouvait pas dans la même réalité qu’eux. Pourtant, les coups qu’elle portait avec les deux lames qu’elle semblait avoir sorti de nulle part n’en étaient pas moins réels et ses compagnons tombaient tous les uns après les autres. Ce n’était même plus un corps à corps, c’était un abattoir.
Alors retentit dans la place un rire chargé de démence, mais ce n’était pas celui de Pinkie.
X
Running Scissors était extatique. Qu’importe la mort de ses compagnons, il était en train de vivre le meilleur combat depuis des années. Pinkie Pie était une adversaire fantastique et jamais, même dans ses pensées les plus folles il n’aurait pu imaginer vivre un tel moment. Celui de se retrouver face à un poney digne de son talent.
Car l’étalon se considérait comme un véritable artiste. Les techniques de combat qu’il avait mis au point durant la guerre ne tenaient pas simplement de son habilité notable au corps à corps. Non, il s‘agissait d’un art à part entière. Un ensemble de mouvement dont la perfection aurait été admirée par tous ses adversaires s’ils n’avaient pas été irrémédiablement réduits en pièces à chaque fois qu’il leur en faisait la démonstration.
Mais le revers de la médaille était que peu de poneys étaient capables de tenir plus de quelques secondes face à lui. Inéluctablement, l’ennui finit par le prendre, puis la frustration de ne trouver personne à la hauteur de son génie. Il avait longtemps fantasmé de pouvoir affronter les légendaires Applejack et Rainbow Dash. Cette dernière était cependant censée être dans son camp mais il n’en avait cure. De toute façon, elles avaient disparues. Puis la guerre avait pris fin, parachevant sa frustration en une rage meurtrière qu’il gardait pour le moment contenue.
Alors Pinkie Pie était apparue et jamais il n’aurait crû que cette pouliche allait lui faire miroiter une telle félicité. Dans le meilleur des cas, il s’était attendu à trouver un être fébrile et faible à qui il aurait coupé la gorge en un instant. Mais elle avait fait preuve d’un potentiel surprenant. Lui-même n’arrivait pas à comprendre la façon dont elle se battait mais il était certain que son art était aussi unique que le sien. Tout comme il avait la certitude que ses compagnons n’avaient jamais eu aucune chance face à elle, de la même manière qu’ils n’auraient eu aucune chance contre lui. Et à nouveau, il poussa un rire euphorique, à la limite de la névrose.
Stormhammer observait son compagnon, interdit. Pour l’avoir souvent étudié, il connaissait bien la joie qui le transportait lors des corps à corps les plus violents. Mais la situation ne prêtait pas à rire. Avec Old Chimney, ils étaient les trois derniers survivants de leur escouade. Tous les autres soldats reposaient désormais autour d’eux, parfois en plusieurs morceaux bien que tous réunis dans une même mare de sang. Mais Running Scissors ne semblait pas s’en soucier, ses yeux fiévreux braqués sur Pinkie, un rictus dément qui se voulait être un sourire sur le visage. Le sergent se demanda si lui aussi n’avait pas fini par sombrer à son tour dans la folie meurtrière.
La pouliche s’était quant à elle immédiatement arrêtée lorsque le rire avait retenti, fixant désormais l’ancien coiffeur droit dans les yeux. Son regard avait d’ailleurs perdu l’expression déséquilibrée qu’il avait jusque là arboré en permanence. Pour tout dire, il avait la désagréable impression d’avoir sous les yeux la Pinkie d’il y a 15 ans. Même son crin avait l’air de s’être regonflé. Seules les nombreuses taches de sang et de crasse qui parsemaient sa robe trahissaient le fait qu’ils n’étaient pas revenus dans le temps.
Alors Running Scissors commença à avancer doucement vers la pouliche, une lame dans chaque sabot, sans qu’elle ne réagisse. Puis il commença à frapper.
L’on aurait dit une danse si ce n’avait été l’expression meurtrière dans les yeux de l’étalon. Mais dans ses yeux uniquement. Un sourire innocent traversait maintenant le visage de Pinkie alors qu’elle esquivait chacune des attaques qui lui étaient lancées en poussant des gloussements et des éclats de rire. Elle avait l’air de terriblement s’amuser et à nouveau Stormhammer eut l’impression de revoir la Pinkie Pie d’avant-guerre. A croire que la pouliche n’avait pas conscience de se trouver dans un combat à mort avec l’un des meilleurs experts en corps à corps de tout Equestria. A croire que pour elle ce n’était qu’un jeu innocent.
Pourtant, rien dans l’attitude de Running Scissors ne pouvait laisser planer le doute. Il ne retenait pas ses coups et n’importe quel autre poney aurait déjà succombé sous ses attaques, le sergent en était certain. Pour tout dire, c’était la première fois qu’il voyait un adversaire lui tenir tête aussi longtemps. Et cette résistance inattendue semblait ravir l’étalon au plus au point. Sur son visage s’exprimait une ivresse qu’il n’avait jamais vue auparavant. Jamais quelqu’un ne lui avait à ce point résisté. Jamais un poney n’avait été à ce point digne de son talent.
Cependant Stormhammer sentait un certain malaise poindre en lui. Il avait déjà compris il y a quelques années où résidait l’exceptionnel talent de Running Scissors. L’étalon était capable comme personne de lire votre corps. Qu’importe les leurres que vous essayez de faire avaler à votre adversaire, si votre esprit a prévu d’effectuer un mouvement particulier, alors certains indices –une position, une tension dans certains muscles – paraîtront un instant avant que vous le ne réalisiez. Et Running Scissors était parfaitement capable d’analyser ces signaux, frappant dans l’anticipation de votre prochain mouvement, ne vous laissant aucune possibilité d’esquive. Tel était le secret de son art, face auquel aucun poney ne pouvait faire face. Sauf Pinkie Pie.
Comment la pouliche pouvait éviter aussi facilement des attaques qui auraient eu raison de n’importe quel autre poney ? Il ne comprenait pas. Mais maintenant qu’il avait le temps de l’observer, il essayait tant que possible de déchiffrer ses mouvements, bien qu’il se savait bien en deçà du niveau de l’ancien coiffeur dans ce domaine. Et il finit par comprendre la raison de la longueur de ce combat.
Pinkie ne semblait aucunement respecter les règles anatomiques communes à tous les poneys. Ses déplacements étaient irréels, chacune de ses positions débouchant sur un mouvement qui transgressait toutes les contraintes que devaient pourtant lui infliger sa physiologie. Même pour Running Scissors, elle était impossible à lire.
L’étalon était pourtant toujours en extase. Un tel combat était au-delà de ses espérances les plus fantasques, bien que l’absence de riposte de la part de l’ancien élément du rire l’empêchait d’être pleinement satisfait. Comme si elle avait lu dans ses pensées, la pouliche tendit soudainement une de ses lames à son encontre dans un mouvement surprenant et irréel qu’il lui était impossible d’esquiver.
Un mince filet de sang jaillit et les deux combattants se séparèrent. Running Scissors avait légèrement été entaillé sur la patte antérieure mais rien de dangereux. Toutefois les enjeux avaient désormais changés, Pinkie ne faisait plus que subir, dorénavant elle allait répondre. Et c’est tout ce que l’étalon avait espéré.
Stormhammer observa impuissant les deux poneys se jeter à nouveau l’un sur l’autre, reprenant leur étrange et mortel ballet. Les attaques et les esquives fusaient de chaque côté mais seuls les coups de Pinkie semblaient porter. Toutefois il ne s’agissait que d’éraflures légères, rien qui ne menaçait directement l’étalon. Du moins c’est ce qu’il pensait jusqu’à ce qu’il remarque qu’à chaque nouvelle blessure infligée par Pinkie, les mouvements de Running Scissors devenait moins précis et moins puissant. Et alors il réalisa ce qu’était en train de faire la pouliche. Doucement mais sûrement, elle lui sectionnait chaque tendon un à un, le rendant plus vulnérable à chaque coup. Et au terme d’un combat que ne pouvait avoir qu’une issue, l’étalon finit par se retrouver les bras ballants, essoufflé, difficilement capable de se tenir debout et encore moins de porter une attaque. Le sort était jeté. Pinkie s’approchait doucement de sa victime.
Et l’enlaça après avoir lâchée ses lames au sol. Stormhammer et Old Chimney restèrent stupéfaits devant la conduite de la pouliche. Ils s’étaient attendus à une exécution en bonne et due forme, pas à une marque de tendresse. Pourtant c’était bien de cela qu’il s’agissait. Aucune pulsion meurtrière n’exsudait plus de Pinkie. De son visage se dégageait au contraire une tristesse visible mais contenue dans une expression rassurante, comme celle qu’ils essayaient de prendre lorsqu’ils accompagnaient un compagnon dans ses derniers instants sur le champ de bataille. Running Scissors était quant à lui épuisé mais semblait pourtant parfaitement serein. Il avait perdu et acceptait son sort, sans regrets ni remords. Ce combat avait été fantastique et il était heureux de partir sur une telle apothéose. Il goûtait de plus entièrement le dernier cadeau que lui offrait Pinkie et que presque aucun poney n’avait eu la chance de connaître durant la guerre : la possibilité de quitter ce monde accompagné dans une étreinte tendre et sincère. Alors il ferma doucement les yeux.
Le regard de Pinkie changea subitement, les pupilles se rétrécissant à nouveau et reprenant leur expression folle. Ses bras s’enroulèrent alors autour du torse de l’étalon tels des tentacules, comme s’ils avaient été élastiques. Et d’horribles craquements humides se firent entendre durant un court instant.
XI
Le corps brisé de Running Scissors s’affaissât sur le sol alors que la pouliche le lâchait doucement, une expression étrangement apaisée sur le visage de l’étalon. Old Chimney les tenaient en joue de son fusil à pompe à double canon depuis un petit bout de temps déjà mais il ne s’était pas résolu à risquer de tirer sur son compagnon. Mais désormais plus rien ne le retenait. Cette horreur avait exterminée ses amis, les avait torturés, avait outragé leurs cadavres… Et maintenant il se retrouvait seul, à nouveau. Des larmes de rages perlèrent des yeux du vieux poney. Il avait trop perdu, il était fatigué. Mais le destin semblait s’acharner sur lui, s’amusant à lui retirer tous ceux à qui il s’attachait. Elle devait donc payer pour ça, s’acquitter du meurtre de ses amis. Qu’importe ses impressionnantes capacités d’esquive, face au nuage de plomb que dégageait son arme, elle n’avait aucune chance de passer au travers. Elle était désormais bien trop proche pour pouvoir s’en sortir. Alors il appuya sur la gâchette.
Squee !
Un nuage de cotillons et de serpentins s’échappât des canons de l’arme dans un bruit similaire à celui fait par une langue de belle mère. Les trois poneys restèrent stupéfaits face à cet évènement inattendu, fixant tous leurs regards sur l’étrange fusil, les yeux écarquillés. L’esprit de Old Chimney fonctionnait à toute vitesse. Comment avait-elle pu faire ça ? Comment était-il possible de trafiquer son arme ? Lui qui en prenait tellement soin, la gardant en permanence avec lui et l’entretenant dans une rigueur qui confinait à la maniaquerie, il ne comprenait pas comment cela pouvait arriver. Il ne comprenait pas…
Ses pensées furent brutalement coupées par l’hilarité soudaine de Pinkie. La pouliche était désormais en train de se rouler par terre, des larmes de rire coulant de ses yeux, prise d’une incontrôlable euphorie. Old Chimney la regarda éberlué. L’être pour qui il avait tant de haine venait de disparaître de sa vue. A la place, il retrouvait la Pinkie Pie qui se roulait sur le sol, exactement de la même façon, avec sa fille alors qu’elles venaient toutes les deux de lui faire une bonne farce des années auparavant. A mesure que la scène lui revenait en mémoire, il revit sa femme, puis ses parents et enfin ses frères. Tous, y compris lui-même, riaient ensemble de la bonne plaisanterie, heureux de partager ce moment tous ensemble. Il était revenu à l’époque bénie où ils étaient encore tous réunis, vivant une existence joyeuse et insouciante.
Old Chimney était maintenant perdu dans ses souvenirs, bercé par les rires de la Pinkie du présent. Et il ne remarqua pas quand ses gloussements s’arrêtèrent soudainement, ni quand des yeux bleus aux pupilles rétrécies à l’extrême vinrent remplir l’entièreté de son champ de vision.
Stormhammer fut incapable de comprendre ce que la pouliche fit à son vieux compagnon. Il était d’ailleurs sûr qu’elle-même n’en savait rien. Néanmoins Old Chimney avait instantanément été transformé en un tas de chair inidentifiable quand Pinkie Pie était arrivée à son niveau, sans essayer d’opposer la moindre résistance. Et s’il n’avait pas vu cet événement se dérouler sous ses propres yeux, il aurait incapable d’admettre que le monticule rougeâtre qui se trouvait devant lui avait autrefois été son ami.
Le poney était désormais aux abois, le fusil levé vers la figure folle qui lui faisait face, se préparant à être le prochain sur la liste. Néanmoins, elle ne semblait plus faire attention à lui, le regard dans le vague. Une étrange odeur planait dans l’air et Stormhammer remarqua que d’inconcevables déformations apparaissaient autour de Pinkie, accompagnés de sons inconnus et écoeurants. Il lui semblait que la réalité se froissait et s’étirait autour de la pouliche, voir parfois même se déchirait fugacement dans un bruit immonde, laissant apparaître brièvement un univers sur lequel nul poney ne devrait jamais poser les yeux.
Les turbulences augmentèrent doucement en intensité, attaquant lentement mais sûrement les nerfs du poney. Stormhammer sentait que sa santé mentale était précaire et qu’elle n’allait pas tarder à s’effondrer à son tour. Il mit tous ses efforts dans des techniques de relaxations apprises des années auparavant afin de réussir à se calmer pour pouvoir essayer de remplir sa mission jusqu’à la fin. Lentement, il arriva à se maîtriser bien qu’il savait toujours sa psyché dans une position précaire. De toute façon, il n’avait besoin que de quelques secondes.
Il porta lentement le sabot à une poche de son treillis et en sortit le détonateur du piège installé il y a bien longtemps par le lunarien empalé sur la librairie. Lui et Pinkie étaient en plein dans son air d’effet. C’était la dernière chance qu’il lui restait, bien qu’il ne sera pas là pour en voir le résultat. Mais si Pinkie était aussi capable de résister à une telle déflagration, alors il n’aurait pas pu faire grand-chose d’autre dans tous les cas.
Les chuintements et autres craquements s’apaisèrent peu à peu à mesure que la pouliche semblait réussir à se stabiliser avec le monde réel. Au bout d’un moment, les sons se turent, l’odeur disparut et plus aucune distorsion de l’espace n’était visible autour d’elle. Alors elle tourna doucement les yeux vers Stormhammer.
« Pour ce que ça vaut Pinkie, je suis désolé » lui dit doucement le poney avant d’appuyer sur le bouton du détonateur.
La place et toutes les maisons aux alentours explosèrent violemment à mesure qu’une réaction en chaîne se répandait dans tous les bâtiments qui avaient été auparavant piégées par l’équipe disparue. Les camions atteints par les flammes volèrent à leur tour en éclat, propageant la destruction dans le village. Et ce que les explosifs n’avaient pas détruit, le feu s’en chargea.
Epilogue I
« Ponyville brûle. »
« Répétez Windfall 1 » dit une voix grésillante sortant de la radio que le pégase portait autour du cou. Accompagné de son équipier, il survolait les ruines fumantes qui avaient été auparavant Ponyville. Certains incendies faisaient encore rage ça et là mais la majorité du village n’était plus que cendres.
« Ponyville n’est plus Trône, un incendie semble avoir ravagé la ville. Plus rien ne tient debout » répondit-il dans son micro à l’attention du centre de contrôle.
« Est-ce que vous voyez des survivants ? »
« Négatif. Il semble y avoir des cadavres un peu partout mais pas âme qui vive. La fumée ne rend pas les choses faciles. Vous voulez que l’on descende pour jeter un œil ? »
« Restez en vol Windfall 1. Tant que l’on n’a aucune certitude, il vaut mieux rester hors de portée. Est-ce que vous apercevez certains de nos hommes en bas ? »
Les pégases continuaient de survoler les ruines, tentant de scruter le sol du mieux qu’ils pouvaient mais c’était peine perdue.
« Impossible à dire Trône. Tout à brûlé ici, je n’arrive pas à identifier le moindre corps. » informa le soldat, dépité. Il avait bien peur de ne trouver aucun survivant.
« Pas de trace de Pinkie Pie ? »
« Comme je vous l’ai dit Trône, ce ne sont que des corps calcinés et des ossements en contrebas. Elle pourrait aussi bien être parmi eux que je serais incapable de vous le dire ». Un soupir s’échappa de la radio suivi d’un court moment de silence. Puis la voix grésillante reprit.
« Elargissez le périmètre de recherche, aller jeter un œil sur les alentours du village. »
« Bien reçu ». Et sur cet ordre, les deux pégases commencèrent à tourner autour de Ponyville en des cercles de plus en plus larges, prenant cependant bien soin d’éviter la forêt Everfree. Les environs étaient eux aussi désespérément vides, si ce n’était la nature qui commençait peu à peu à reprendre ses droits. Soudain, alors qu’ils volaient au dessus d’une forêt, ils aperçurent deux camions de l’armée dans une petite clairière. Alors qu’ils s’approchaient des deux véhicules, un étrange son se fit entendre.
« Trône ! Trône ! Ici Windfall 1. Je pense que nous avons trouvé un survivant aux alentours de Ponyville. Permission d’atterrir ? » demanda l’un des pégases dans son micro.
« Allez y Windfall 1 mais soyez prudent. Terminé » reçut-il comme réponse.
Prudemment, les deux soldats se posèrent à proximité des véhicules, les armes levées, et se dirigèrent lentement vers la source de ce curieux bruit.
« Trône ! Nous avons trouvé quelqu’un. Elle est encore vivante ! » s’exclama vivement l’un des deux soldats dans la radio.
« Pas d’autres survivants ? »
« Négatif, il y a personne d’autre ici. »
« Alors embarquez-la et dégagez, vite ». Les pégases sanglèrent rapidement la pouliche dans un harnais. Les ordres du contrôle étaient inutiles. Ils n’avaient aucune envie de rester trop longtemps au sol, à proximité de cet étrange cadavre sans peau paisiblement affalé sur le siège de l’un des camions, les pattes arrière étendues sur le tableau de bord comme s’il faisait une sieste. Ils décollèrent vivement une fois la blessée bien attachée à eux et mirent le cap droit sur Canterlot.
Epilogue II
Celestia observait derrière la vitre la pouliche allongée sur le lit d’hôpital, des bandages couvrant ses joues. Un étalon et deux poulains étaient assis à côté d’elle. Les enfants pleuraient tandis que le père essayait tant bien que mal de cacher ses larmes. Ils ne remarquèrent même pas l’Impératrice qui se trouvait pourtant bien visible dans le couloir. L’alicorne se sentit pris d’une profonde tristesse pour cette famille brisée. Elle était en partie responsable de ce qui leur arrivait.
« Le soldat Pinhead a été retrouvée les joues ouvertes par un objet tranchant à partir de la commissure des lèvres jusqu’à la fin de la mâchoire. Elle a perdue beaucoup de sang mais son pronostic vital n’est pas engagée » l’informa un officier qui se trouvait à ses côtés.
« Et qu’en est-il des séquelles psychologiques ? » lui demanda Celestia.
Le soldat fit la moue mais finit par répondre : « Cas extrême de stress post-traumatique, la plongeant dans un profond état de catatonie. Nous pensons que c’est antérieur aux blessures. Elle ne semble pas avoir essayée de se défendre quand on lui entaillait le visage. Et j’ai bien peur que ce soit permanent. Elle n’est plus qu’une coquille vide. »
L’alicorne se crispa. Les paroles de l’officier manquaient beaucoup trop d’empathie à son goût mais elle se retint de lui faire savoir. Face à son silence, il continua en sortant une petite boîte de sa poche :
« Les pégases ont rapportés plusieurs éléments étranges qu’elle arborait quand ils l’ont retrouvé. »
Celestia en observa le contenu, interloqué.
« Elle avait apparemment ce petit chapeau en carton sur la tête et une langue de belle mère coincée dans la bouche. C’est le son que faisait cet instrument à chaque fois qu’elle expirait qui a permis aux pégases de l’entendre. Plutôt étrange non ? »
Un frisson parcourut l’échine de l’Impératrice. C’était signé.
« A-t-elle pu nous informer sur ce qu’il s’était passé là bas ? » demanda-t-elle.
« Non. Elle est incapable d’exprimer le moindre mot. Tout ce qu’elle fait, c’est répéter faiblement une mélodie. » Sur ces paroles, l’officier siffla doucement la chanson qu’il avait entendu de la bouche de la pouliche brisée. Celestia frémit à son écoute. Cela ressemblait beaucoup trop à la musique jouée des années auparavant par Pinkie Pie pour chasser les parasprites. De nouveaux éléments venaient sans cesse raffermir ses craintes. Comme s’il devinait ses pensées, le soldat reprit alors :
« Ne vous inquiétez pas votre altesse. Nous lui avons envoyé une équipe d’élite et Ponyville a été rasée. En quelles circonstances je ne sais pas mais ça m’étonnerait que la cible ait pu réussir à survivre à ça ».
L’alicorne acquiesça par politesse, loin d’être convaincue. Un très mauvais pressentiment s’installait dans tout son être.
Si Pinkie Pie avait survécue, ils n’allaient de toute façon pas tarder à avoir de ses nouvelles, elle en était certaine.
Epilogue III
Pinkie n’avait que peu de souvenirs de ce qu’il s’était réellement passé à Ponyville. Elle s’était réveillée au milieu des ruines et des incendies, indemne alors que tout avait été réduit en poussière autour d’elle. Une profonde vague de tristesse l’avait envahie en découvrant le destin de la ville qu’elle avait tant aimée mais elle fut étonnamment de courte durée. La pouliche fut elle-même surprise par l’intense détermination qui l’envahissait rapidement. Elle n’était que trop longtemps restée recluse alors que le monde extérieur s’obscurcissait d’avantage. Les poneys qui étaient venus visiter feu Ponyville ces derniers temps en étaient la preuve. Des êtres amers, avides et violents. Ils ne laissaient aucune place au plaisir ni à l’amusement dans leurs vies.
Or elle était l’élément du rire, et c’était son devoir de répandre la bonne humeur sur Equestria. Elle s’était donc mise en route, abandonnant les restes de sa ville chérie derrière elle. Comme elle l’avait prévu, le rire était absent chez les habitants des villages qu’elle traversait. Ils faisaient certes preuve d’une excitation bruyante à son approche, l’accueillant avec leurs étranges fusils à cotillons mais les sourires étaient désespérément absent de leurs visages. Et quand elle réussissait enfin à les faire apparaître, les poneys perdaient toute l’énergie dont ils faisaient auparavant preuve. Ils restaient là, par terre, sans bouger, dans un sourire béat et béant.
Pinkie s’interrogeait sur leur comportement. C’était tout de même très étrange. Mais après tout ne venait-elle pas de passer une quinzaine d’années sans pratiquer l’art délicat de la fête ? Il était normal qu’elle soit un peu rouillée au début mais elle allait finir par reprendre le coup de sabot. Soudain, alors qu’elle réfléchissait à cette problématique sur la place centrale du dernier village qu’elle venait de visiter, une affiche vola vers elle et la pouliche l’arrêta avec sa patte. Un dessin y représentait Celestia mais l’alicorne avait le visage dur, hautain et fermé. Une expression qui forçait à l’obéissance légitimement due à la princesse d’Equestria certes mais qui n’incitait ni au rire ni à la fête. Pinkie regarda autour d’elle et remarqua que la même affiche se trouvait un peu partout dans la localité. Et soudain elle réalisa enfin quelle était la solution à cette énigme.
La pouliche rose partit alors, sautillante et chantonnante, en direction de Canterlot, un grand sourire en travers de la bouche. C’était pourtant si évident. Comment les poneys pouvaient être heureux si leur princesse ne leur montrait pas l’exemple ?
Tout ce que Pinkie avait à faire pour que Equestria retrouve sa joie d’antan, c’était simplement réussir à remettre un sourire sur le visage de Celestia.
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Sinon oui, jette toi sur Pony War Chronicle (récemment remastérisé en plus) sans aucune hésitation ; c'est gros mais c'est bon.