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Bronify

Une fiction écrite par Vuld.

Bronify - 2. Au pas

Le vingt-et un avril à trois heures, un micro-blitz avait réduit l'Europe au silence.

Berlin perdit le contact avec Besançon, et ce fut comme si face au portail la brigade n'existait plus. Mais plus encore, Berlin perdit le contact avec Stockholm et Stockholm avec sa base sud de Ronneby, où se trouvaient le régiment Skaraborg et les chasseurs du F17 « Lulea », soit plus de la moitié de l'armée suédoise. Faute de communications, la totalité des dispositifs militaires du continent se retrouvaient paralysés et à la merci de l'assaillant.

Au premier coup de tocsin nous n'avions pas perdu que nos radios mais aussi nos optiques : les viseurs, les thermiques, même les jumelles se brouillaient et se couvraient d'une brume rouge sombre infecte. Ce fut le plus dur pour les gars de la Dôle qui, depuis leur poste, ne pouvaient plus observer ce qu'ils ne pouvaient de toute manière plus rapporter à quiconque, et coupés de tout les explorateurs se retrouvèrent comme chacun, perdus, incapables de savoir quoi faire.

Enfin nous perdions la tête. Sans les premières consignes Lesniew, probable qu'on serait tous morts.

Karlstein courait alors avec ses hommes quand le tocsin sonna et les jeta à terre. Je ne sais pas si elle aurait pu attaquer les poneys et sauver son blindé, sur le chemin des Rannaux, mais si elle l'avait fait elle se serait effondrée au beau milieu des frondeurs, et leur simple présence aurait achevé de porter les nerfs à vif et de les brûler. Ils étaient sept, et quand elle fut capable de se relever, encore tiraillée par les spasmes, ils n'étaient plus que quatre. La lueur du portail lui avait caché celles des corps embrasés. Le lance-roquettes de sa propre équipe était inconscient -- un très jeune gars, presque un enfant, me dira Hassel -- si bien qu'elle le souleva et le porta pour continuer de fuir.

Plutôt que de continuer par les maisons elle fonça droit dans le champ et surgit en plein découvert, trébucha encore dans les sillons de terre avec son corps endolori. Derrière elle les chevauchées avaient envoyé leurs pégases à sa poursuite et ces derniers, prudents parmi les maisons, avaient leurs auras brûlantes dans les jardins mêmes qu'elle venait de quitter.

La sergente se releva, muette, continua dans le champ sans même plus savoir où elle allait, et derrière ses hommes les gardes surgirent, avec leurs cuirasses de cauchemar, sombres et furieuses.

Une roquette les accueillit.

Hassel s'était redéployé en hâte sur le chemin de la Dauphine. Sa première mitrailleuse, en haut du chemin, s'installait tout juste à la lucarne tandis que sa seconde, accompagnée d'un Panzerfaust -- le lance-roquettes -- s'était emparée d'une large bâtisse presque à l'angle des deux rues, et de là avait vu surgir Vlody puis les pégases.

Et parce que Sven Hassel aimait faire courir ses hommes, le blindé et quatre hommes se trouvaient dans le chemin lui-même, à mi-hauteur, à garder leurs arrières.

Avant même que la mitrailleuse ne puisse tirer à son tour, les pégases s'enfuyaient. Hassel à côté voulut braquer ses jumelles sur les soldats en fuite, mais elles étaient « foutues ». Et sans radio non plus, il regarda les hommes courir dans le champ sans l'apercevoir, en ligne droite, et il ne comprit pas pourquoi ils ne venaient pas se mettre à l'abri vers lui.

Sven leur cria depuis la fenêtre : « Qu'est-ce que vous fichez ! Par ici ! » La nuit était alors à peu près muette, à part de brèves rumeurs du côté des Rannaux et de Chavannes, si bien que sa voix porta sans peine. La poignée de soldats dans le champ s'immobilisèrent, puis se dirigèrent enfin vers lui.

À ce stade les frondeurs de Purple Heart en étaient à la poursuite, à traquer les humains qui se débandaient. Depuis le bois des Portes, ce dernier tentait à nouveau de traverser les champs jusqu'à Commugny, et si Hassel avait tenu sa position il aurait pu l'accueillir à nouveau : mais le sergent s'était redéployé et Purple Heart galopait déjà à moins de cent mètres des maisons. Avec lui deux chevauchées, la troisième étant restée dans les bois, tant pour le garder que parce que le terrestre ne voulait plus les exposer au feu dévastateur des humains.

Depuis les Rannaux, Pettygrew entendit la roquette exploser et sut qu'il y avait encore des humains là-bas. Elle craignit pour Purple Heart et, prenant deux chevauchées, alors même que tout n'était pas fini sur le chemin, elle partit à sa rencontre. De même, deux chevauchées venaient toujours du sud et remontaient la route de la Divonne, ralenties par un découvert que les poneys, craintifs, avaient mis un temps à franchir.

Vingt-quatre poneys allaient assaillir le groupe de Hassel de trois côtés.

Il en était parfaitement conscient, ou conscient du moins que sa position était intenable, mais sur le moment tout ce dont le sergent se souciait était de faire rentrer Vlody et ses survivants, d'étendre le jeune soldat sur le canapé et de voir la sergente sous le choc, qui ne semblait plus réfléchir ni rien comprendre, et lui demander en vain si d'autres soldats allaient venir.

Sa mitrailleure -- je me rappelle juste qu'elle s'appelait Vera quelque chose -- lui cria que les poneys revenaient. C'était Pettygrew qui surgissait alors dans le champ, accueillie aussitôt par le feu croisé et repoussée à l'instant.

Tout disait à Hassel de décrocher, mais il voulait croire que d'autres soldats allaient venir.

Ce n'était pas juste le besoin de sauver les gars avec qui il avait passé tant de temps, ceux de la section un, le refus de voir ces visages familiers s'évanouir dans le combat. C'était aussi qu'il y avait là-bas une section complète, alors qu'il n'avait que son groupe, et que si toute une section s'était faite écraser alors ses propres chances étaient quasiment nulles.

À nouveau il tenta de contacter Chavannes par radio, mais la friture l'en découragea dans la seconde. Il me dit avoir, sur le moment, désiré plus que tout pouvoir boire quelque chose, n'importe quoi, tant il avait soif, et il croyait que s'il ne buvait pas il allait s'évanouir.

Est-ce que Chavannes existait seulement encore.

Comme tout le monde, il avait cru que les poneys allaient profiter de cette faiblesse soudaine pour attaquer et briser la ligne. Mais les poneys n'avaient pas la moindre idée de ce qui se passait en face. Ils entendaient sonner la cloche dans la nuit, à grands coups, et ils savaient que leur princesse était arrivée. Mais ils étaient également persuadés que des hordes d'humains les enserraient de tous les côtés et qu'une poignée suffisait à les repousser. En fait, les poneys n'étaient plus en état de lancer le moindre combat, et Purple Heart épuisait ses dernières forces à Commugny. Plus encore, le déploiement de leur colonne allait les empêcher d'exploiter le moindre avantage avant longtemps.

Je vais vous l'expliquer, tiens.

Vous vous rappelez comment Faircount, depuis le mont Mussy, avait demandé des pierres de vie ? Celles-ci étaient alors transportées par l'équivalent de notre logistique, composée de volontaires que la princesse ne voulait pas risquer au combat. Elle les avait donc placés en queue de la colonne, tout à l'arrière, si bien que les poneys étaient pour ainsi dire « à court de munitions » et ne seraient pas réapprovisionnés avant au moins une heure.

On m'a raconté une anecdote à ce sujet, mais j'y viendrai en temps voulu.

À Commugny, Hassel se savait encerclé et surpassé en nombre, et il ne voyait toujours pas venir de nouveaux soldats. Les coups de cloche le rendaient fou. Sans radio, ses propres hommes étaient isolés et il craignait que sa mitrailleuse au nord ne soit assaillie, lui coupant sa voie de retraite par le champ.

Soudain, un cri éclata depuis le chemin, venant de son blindé. « Poneys ! » C'étaient les chevauchées du sud qui remontaient le chemin de Barrauraz et que les soldats avaient repéré. Les poneys l'entendirent aussi et se jetèrent à travers les haies, à couvert. Pettygrew l'entendit à son tour alors même qu'elle progressait à couvert pour gagner la maison de Hassel. Enfin, Purple Heart crut l'entendre et, traversant le village désert, il se redirigea dans cette direction, si bien qu'il redescendit au lieu de foncer droit sur la mitrailleuse isolée que Hassel craignait tant de perdre. Les auras colorées fulminaient entre les maisons, brèves et fugaces, et les soldats les voyaient évoluer vers eux, bientôt, de tous les côtés.

Pendant deux, trois minutes peut-être, les gardes lunaires progressèrent lentement et de toutes parts, et les humains les laissèrent s'approcher.

« Préparez-vous à décrocher. » Glissa Hassel aux soldats autour de lui, avant de revenir à Vlody pour tenter de la remettre d'aplomb, mais la sergente ne réagissait pas. Aux premiers coups de feu il se précipita pour aider à la défense du bâtiment cerné.

Le blindé dans le chemin démarra en trombe pour se dégager, après que sa mitrailleuse ait cloué sur place une chevauchée. Purple Heart surgit au-dessus, sur la Dauphine, mais fut à son tour accueilli par la mitrailleuse nichée au nord qui l'avait laissé s'avancer jusque-là et qui, depuis le premier étage, avait une vue dégagée sur tout son groupe. Le pégase parvint à s'échapper avec la plupart de ses gardes, puis se retourna depuis son couvert et se figea en voyant trois poneys gisant toujours, avec des cris plaintifs, entre l'herbe et le goudron. Leurs halos semblaient misérables.

Il aurait voulu sortir et leur porter secours, mais savait ce qu'était un appât. Et il regarda du côté d'où étaient venus les tirs, sans pouvoir voir les monstres qu'il n'arrivait pas à combattre.

Pettygrew au sud, pressée par les tirs, lança l'assaut. À la tête de huit poneys, elle galopa à travers les maisons et les haies jusqu'à l'angle du bâtiment où se retranchaient les humains. Ces derniers l'attendaient et lui jetèrent trois grenades qui la firent décamper. À peine remise, elle entendit le grondement vif du canon humain secouer la nuit à même pas trente mètres : le blindé clouait sur place la progression des chevauchées qui se brisèrent en deux, l'une remontant au nord et tombant sur Purple Heart, l'autre au sud et rejoignant Pettygrew. Forte de douze poneys, sans se soucier de l'épuisement, la pégase relança l'assaut du bâtiment.

Trois pégases prirent les airs pour gagner les fenêtres et le toit tandis que les autres poneys, en deux axes, prenaient les deux côtés du bâtiment.

Pettygrew elle-même s'envola pour la lucarne qui, de son côté, semblait ouverte. Elle vola droit devant, sans réaliser que c'était là que la mitrailleuse s'était repositionnée, et la garde se retrouva soudain en plein dans le feu des humains, sous les yeux de la mitrailleure et de Hassel. La mitrailleure tira, Hassel se retourna et braqua son fusil sur la pégase déjà sonnée et qui, coupée dans son élan, allait s'effondrer. Il tira à son tour une unique rafale avant qu'elle n'aille rouler le long des tuiles et des panneaux solaires, en bas dans la cour. Une balle, il l'avait vu nettement, avait taillé dans l'aile membraneuse de la jument. Ce souvenir s'imprima en lui, le pelage d'un gris sombre, les yeux fauves mi-clos de douleur, la queue longue et pleine de mèches qui vola dans les airs tandis que l'aura embrasée s'évanouissait.

« Sur le toit » S'exclama Hassel avant de se précipiter par la lucarne.

Il surgit sur les tuiles, se dégageait encore quand un second pégase, alerté par les tirs, vint au secours de sa cheffe. Le sergent tira, rata le pégase qui s'enfuit. Il sortit alors suivi de sa mitrailleure alors même qu'aux angles du bâtiment les soldats repoussaient l'attaque à coups de fusils et de grenades. Les gardes, sonnés et épouvantés par les explosions, se replièrent à nouveau.

Mais une pégase avait pu s'introduire et, gagnant la pièce où Hassel s'était trouvé l'instant d'avant, elle n'y vit personne, redescendit et tomba sur le salon, face à Vlody et au soldat étendu sur le canapé.

Vlody était désarmée.

Vlody regarda la garde lunaire d'un regard effrayé, avant de hurler de terreur. La pégase recula d'un pas, décontenancée, alors même que le jeune soldat sur le canapé se réveillait en sursaut, vit la jument, saisit le fusil posé à ses côtés et la visa. Et la jument, comme figée, ne se rendit compte que trop tard du fusil braqué sur elle. Le soldat tira au coup par coup, se leva, continua de tirer en s'avançant pas à pas sur la cuirasse à terre et tira toujours jusqu'à ce que le canon se taise.

Vous savez, il aurait suffi d'une foulée pour que cette pégase fonde sur les deux soldats et les taille à coups de sabots. Ça s'était joué à vraiment rien.

Pour la troisième fois, les gardes attaquèrent. Et les hommes alertés par les tirs à l'intérieur se retrouvèrent pris de court, si bien qu'en un instant la défense s'effondra. Les poneys surgirent par les fenêtres et, repoussés un instant par les balles, gagnèrent enfin la mêlée qu'ils désiraient tant. Hassel entendit des hurlements, pesta et jugea la hauteur du toit dans la cour, facilement quatre ou cinq mètres. Après cet instant d'hésitation, il sauta. Il me jura alors que le plus douloureux ne fut pas ses genoux au choc mais le poids de son gilet lui écrasant les épaules.

Il se trouvait à l'angle sud. Une licorne se tourna face à lui, aux côtés de la pégase qu'il venait d'abattre -- Pettygrew, inerte -- et affolée cette licorne lui tira dessus.

Ouais.

La licorne tira un laser qui s'évanouit sur le gilet de Hassel sans qu'il n'arrive seulement à le sentir. Hassel braqua son fusil et vit le bouclier violacé se former entre lui et la garde. Il tira une rafale qui la fit s'effondrer. Derrière lui sa mitrailleure l'avait suivi, s'abattit au sol où elle roula et cria de douleur. Soudain, les poneys surgirent de tous les côtés.

Un poney passa la fenêtre à même pas trois mètres du sergent. Deux autres gardes revenaient de l'autre angle pour le charger. Un de plus surgit depuis la cour. Cerné, à quelques instants de se faire écraser, Sven m'admit n'avoir plus été capable de réfléchir. Sa tête bourdonnait, mais il arrivait encore à penser à une chose : « Perdu pour perdu. » Il tira une grenade et la jeta à ses pieds. Puis il se rendit compte avec désarroi que c'était une grenade fumigène.

Le terrestre était sur lui, le jeta à terre et visa son cou. Hassel bousculé se défendit avec ses bras et le sabot le frappa au bras gauche, juste sous le poignet. Il me décrivit une douleur horrible, comme si la moitié de son corps avait soudain entré en ébullition. Puis la grenade fumigène cracha son flot de fumée blanche et les poneys hennirent et crièrent avant de se replier.

Cette fois, se fut sa mitrailleure qui lui jura, alors que lui-même avait été trop occupé à souffrir, avoir entendu les cris des poneys, en bon allemand, hurler : « Gaz ! Gaz ! »

Mais quand Vera lui avait dit ça, Hassel ne sut pas dire ce qui l'avait le plus surpris, que les poneys sachent ce qu'était le gaz ou que les poneys parlent allemand.

Et non, les poneys ne parlaient pas allemand.

La mitrailleure souleva Hassel et le tira à l'intérieur, jusqu'au salon où il trouva la pégase à terre et cinq hommes, Vlody comprise. Le canon du blindé CV90 cracha à nouveau et le blindé roula encore pour se dégager, presque à hauteur de la maison désormais, à quelques mètres d'entrer dans le champ. Ils entendirent hurler : « On doit dégager ! » Et tous se tournèrent vers Hassel. Le sergent n'hésita plus, ordonna le repli et ce cri se répéta dans la nuit, repli, repli.

Tandis qu'ils s'enfuyaient dans le champ, portant leurs blessés, les poneys tiraient les leurs à distance. Pettygrew se réveilla dans les jardins, sentit ses membres endoloris mais parvint à les bouger et se redressa bientôt, secouée, avant de retenir un cri de douleur. Elle regarda son aile qui pendait sur le côté, voulut la soulever, la toucha du sabot et gémit. L'aile resta pendante contre terre. À cet instant arrivaient les renforts des Rannaux, deux autres chevauchées tandis que la dernière continuait la traque des humains cachés dans les maisons ou qui fuyaient à travers champs. Elle considéra tous ces renforts, une vingtaine de poneys, et les étalons et les juments couchés dans l'herbe ou assis, essoufflés et tremblants.

Malgré quoi elle ordonna la poursuite et voulut s'élancer elle-même avant qu'on ne la retienne, son aile l'empêchant de se battre. Une demi-douzaine de poneys partirent à la poursuite de Hassel.

Ce dernier avait gagné le champ et, flanqué de son blindé, progressait sous le couvert de la mitrailleuse au nord quand il entendit tonner les mortiers.

Durant tout le temps qu'avait duré le premier combat de Commugny, Pumley avait réuni ce qui lui restait d'artilleurs, et décidé de poursuivre la mission de tir ordonnée par Hussami, malgré l'absence de radio. Il avait alors constaté, désemparé, que les ordinateurs de bord ne fonctionnaient plus. Les mortiers de cent vingt étaient automatisés, du chargement jusqu'à la visée, mais si le chargeur fonctionnait toujours et que les véhicules pouvaient rouler, tous les écrans étaient brouillés, si bien qu'il ne pouvait plus calculer les tirs. Pumley avait alors tiré son bloc-notes et passé tout ce temps à tenter, malgré le mal de crâne lancinant, à calculer à la main la distance et les courbes pour un tir simultané.

À cela il fallait ajouter qu'il avait perdu cinq hommes, si bien qu'il dut demander l'aide des gars de la recce', la patrouille d'explorateurs qui l'avait suivi à Mijoux, pour manoeuvrer les pièces. Enfin ils rentrèrent les données manuellement et braquèrent les mortiers sur le mont Mussy, où se trouvaient toujours les voltigeurs.

Un tir simultané signifie que tous les obus tombent en même temps, dans les dix secondes. Pumley fit tirer dix-huit coups par pièce, en l'espace d'une minute, et ces coups sourds dans les collines battirent jusqu'en plaine, aux voltigeurs et à Sauverny où ils firent dresser la tête aux poneys.

Puis les obus s'écrasèrent sur le mont.

Difficile, une fois encore, de dire quelle avait pu être l'efficacité du feu, mais le mont Mussy se couvrit de déflagrations. Freyard, depuis Gex, avait pu voir les obus ronger d'abord la crête avant de se disperser un peu plus et battre sur les flancs, arrachant les arbres et les déracinant, et faisant trembler le sol dans un roulement tonitruant.

De même, le sergent Bleunven qui avait pris le commandement de la troisième section en route pour Gex et qui, avec les trois blindés restants, traversait la Divonne, derrière le mont, parla dans son rapport d'un roulement d'abord intense au sud et qui s'était étendu sur le long de la crête avant de cesser. Puis il avait parlé de petites colonnes de fumée noires dans la nuit, qui avait fini par s'estomper. Jusqu'alors la troisième section avait été persuadée que l'ennemi allait fondre du mont sur eux, mais avec ce tir Bleunven était confiant que l'ennemi avait plutôt battu en retraite, ou qu'il ne bougerait plus. Il continua sa progression pour renforcer Gex, même s'il se demandait s'il restait quoi que ce soit à renforcer là-bas.

Les canons de son convoi étaient alors braqués sur la colline, malgré les optiques défectueuses. Un peu comme nous à Pontarlier, les soldats ne voulaient pas ouvrir la trappe. Ils discernaient ce qu'ils pouvaient et se suivaient tant bien que mal.

Ils étaient sur la route de Gex, passé le village, à longer les bois au bas des pentes quand le tireur à bord du blindé de Mastac -- second de la colonne, et qui avait dû prendre le blindé d'Aguilar, ses hommes refusant de retourner dans le sien -- repéra des flammes parmi les arbres, vers le haut de la crête.

Ils étaient alors au pied de la colline et si le portail s'élevait démesurément dans le ciel, sa lueur bleutée formait ici une ombre épaisse qui semblait tout réduire aux ténèbres. Les arbres sur la pente n'étaient plus qu'une masse noire. Aussi les auras des pierres de vie, filtrant entre les feuillages, malgré la brume rouge des optiques, étaient apparentes. Le tireur était certain de ce qu'il avait vu : la sergente Mastac ordonna d'arrêter le véhicule. Derrière elle le blindé de Kossowski fit de même et Bleunven, en se rendant compte qu'on s'arrêtait derrière, se mit également à l'arrêt. Puis les trois blindés firent silence, comme à chaque halte, et les soldats attendaient la seconde où leur sergent leur ordonnerait de se jeter dehors pour le combat. Sans le bruit de moteur, sans les rumeurs de la route, toute la troupe retomba dans le silence.

La nuit était pleine d'autres rumeurs. La cloche sonnait encore, bien audible malgré la colline. Un coup, puis deux secondes, un coup. Ils arrivaient aussi à entendre le grésillement des appareils à bord, le frottement des habits. Puis, à leur surprise, ils entendirent les gémissements.

Des gémissements qui s'élevaient du mont Mussy, pitoyables.

Bleunven avait la responsabilité de la section. Ils étaient restés immobile dix, vingt secondes, et déjà il avait l'impression que les enfers allaient lui tomber dessus. Il donna l'ordre de sortir, fit surgir ses hommes dans l'air frais de la nuit et les autres véhicules suivirent le mouvement. Mastac courut à sa rencontre lui montrer les lueurs infimes dans les arbres, mais si vives quand elles perçaient entre les feuilles.

« Ils sont là haut, vers la pointe sud. » Observa la sergente. « Tu crois qu'on peut les emporter ? »

D'après son propre rapport, Bleunven avait objecté : « On doit renforcer Freyard. »

« Au diable Freyard, on peut prendre Mussy ! »

C'était à peu près ce que les deux sergents avaient pu se dire, là, au milieu de la nuit, tandis que le son de cloche se répercutait. Ils pouvaient entendre les gémissements portés jusqu'à eux, comme si le vent avait soufflé, mais il n'y avait plus de vent depuis des mois. Bleunven finit par se ranger à l'avis de Mastac.

Son plan était de grimper la pointe nord du mont Mussy avec ses hommes, tandis que les blindés iraient se réfugier à Vesancy, un petit hameau près de Gex, à l'écart de la route, d'où les canons pourraient braquer la pointe sud. De là les blindés aviseraient, ou bien retourner sur la route le récupérer, ou bien rouler sur Gex rejoindre Freyard. Le commandement des blindés seuls passa au soldat Fontana et ceux-ci se remirent en route tandis que la vingtaine d'hommes, dans leurs uniformes sombres, capuche sur la tête, masque au visage, commençaient à gravir la pente.

Tandis qu'ils grimpaient par le nord, les poneys approchaient par le sud.

Coup sur coup les deux corps de lanciers avaient surgi du portail, ceux de Marvel les premiers et aussitôt ils avaient découvert les poneys de Strongheart, des dizaines de blessés dans l'herbe des champs, sous la pâleur bleutée et les flammeroles. Marvel n'avait pas hésité alors et ses gardes se mirent au travail.

Marvel n'avait rejoint la garde lunaire qu'à six ans, et de ce fait elle n'avait pas d'ombre, ce qui la rendait quelque peu étrangère. Elle avait servi à Canterlot avant qu'Hummingbird ne la remarque et ne lui confie une mission plus au sud, quelques mois avant le blitz. C'étaient ses actions par la suite qui lui avaient valu de finir à la tête d'un corps, et de lanciers évidemment : à peu près l'équivalent de nos pionniers, ceux de la garde chargés de manier les armes de siège, mais comment aurions-nous pu le savoir à l'époque puisque les poneys n'amenaient pas d'arme de siège avec eux. Pas de baliste. Pas de catapulte. Mais les lanciers étaient aussi les bâtisseurs, de la doctrine terrestre, et les guérisseurs également. En voyant les poneys blessés, ils s'étaient empressés auprès d'eux.

Bien sûr, le ravitaillement manquait et Marvel s'en plaignit auprès de la princesse Luna.

Apprenant que le chemin était sûr, elle envoya des poneys au lac récupérer de l'eau, et elle ordonna de planter les piquets. Outre la cuirasse de cauchemar les lanciers portaient alors un fourreau contenant dix piquets, qu'on aurait pris pour des javelots, avec une tête de nacre. Ils se mirent à les planter à intervalles de dix mètres -- Weber les vit faire -- et les têtes de nacre à l'air libre se mirent à brûler comme des torches. Les poneys avaient cru d'abord que c'étaient les mêmes flammeroles qui recouvraient alors les herbes et les buissons, mais Luna les détrompa. Et malgré la frayeur ils continuèrent à les planter.

Puis ils entendirent, très clairement, les tirs venant de Commugny, et le combat qui reprenait là-bas. Sans l'estafette venue leur annoncer le mouvement de Purple Heart, toutes auraient cru ce dernier en péril et Low Marsh s'apprêtait à lui porter secours avec tous ses cataphractes. À la place, leur flanc droit encore plus solide, l'attention de l'expédition se tourna à gauche vers Faircount et le mont Mussy. Ce fut le moment où arriva le second corps, mené par Beautysleep.

Là où Marvel était douce et pleine d'assurance, Beautysleep était l'archétype de la terrestre rustre et bien bâtie, armoire à glace des campagnes, une vraie mule. Garde à trois ans, elle prêtait à la princesse Luna une adoration propre aux champs, faite de mythes, et même si cela faisait mille ans -- ah ah -- que ces coutumes s'étaient perdues, elle avait fait graver sur le col de poitrail de sa cuirasse les trois ordres de la princesse de la nuit. De tête : « sois sans peur, sois sans pitié, sois juste. » Elle était prise pour une fanatique et ne faisait rien pour détromper les rumeurs, si bien que ça avait été un choc quand elle avait refusé de prendre la tête du corps, face à la princesse, et cela après le blitz.

Elle voulait que ce soit Deaf Drum qui les mène au combat, un joli licorne comme Canterlot savait en bâtir, svelte et sportif, et qui finit à Claremare deux jours avant le départ de l'expédition.

En débarquant sur Terre, Beautysleep rêvait de casser de l'humain.

Low Marsh se porta à la rencontre du second corps et des lanciers et trouva la jument solide dans sa cuirasse de cauchemar. Elle voulait que Beautysleep avance sur le bois de Prodon, entre Chavannes et le mont. Elle voulait aussi envoyer une estafette aux voltigeurs pour s'assurer de leur situation.

Beautysleep refusa.

La terrestre, mise au courant de la situation, choisit de prendre tout son corps et, par rangs de quatre, d'avancer « la ville humaine », c'est-à-dire Gex, avant de relever Faircount. Ses troupes étaient fraîches et prêtes au combat. Déjà elle ordonnait aux siens de décharger leurs fourreaux pour les laisser aux poneys de Marvel, avant de former les rangs.

Évidemment, ce n'était pas du goût de Low Marsh. Cette dernière lui répéta d'aller dans les bois et jura que l'attitude de la terrestre menaçait toute l'expédition.

Cette dernière retira son heaume, choquant la cataphracte, et une fois la longue crinière vert-bleu dégagée, après l'avoir secouée sèchement, elle répliqua que la princesse l'avait mise en tête de son corps, et qu'elle ne répondait qu'à cette dernière. Et sous-entendu, elle défiait Low Marsh de retirer son heaume à son tour, ce que cette dernière ne risquait pas de faire. Low Marsh décida donc d'aller trouver la princesse Luna pour forcer le second corps à coopérer.

Dans les rangs des lanciers se trouvait également Heavy Fire, qui sans surprise était pompier de jour. Il raconte dans son journal la traversée du portail, puis le monde humain, « noir et froid ». C'était à ses yeux un second Tartare, encore plus cruel peut-être, et il insistait sur la lourdeur de l'air qui les écrasait. Puis il décrivait la tour de siège du tocsin surplombant l'expédition, et « projetant les espoirs de la princesse Luna » sur cet « immonde », avant de décrire à son tour les blessés dans les champs et leurs gémissements.

Lui et les autres lanciers avaient progressé quelque peu à l'intérieur des champs, se dispersant quelque peu, découvrant les lieux. Ils pensaient devoir planter les piquets à leur tour quand la cheffe de sa chevauchée signala à Heavy Fire que Beautysleep parlait avec la cheffe des cataphractes.

« Ils veulent nous mettre en première ligne. » Disait la terrestre.

À quoi Heavy Fire avait répondu : « Ça ressemble bien à la lieutenante. »

Oubliez qu'il a utilisé le mot de « lieutenant ». Heavy Fire était dans la garde depuis ses quatre ans, et il en avait eu tout juste neuf au moment du blitz. Marié alors -- son ombre du moins -- il imaginait se retirer définitivement à Las Pegasus avec Sandstorm. Avoir des enfants, tout ça. Pris entre deux feux, entre l'expédition et sa femme dans la ville pégase, il était allé jusqu'à demander d'être muté dans la garde solaire. Il était partisan de la paix, et certains le soupçonnaient d'admirer les humains.

Comme quoi.

« On ferait mieux de soigner les blessés avant de les rejoindre. » Avait continué Heavy Fire, d'après son journal. « On est lanciers, pas frondeurs. »

Sa cheffe, Musical Chord, s'était alors renfrognée.

« On n'est pas là depuis trois minutes et déjà tu recommences. » Avait-elle marmonné. « Je croyais qu'on avait mis les choses au clair. »

Le terrestre allait répliquer qu'il n'était pas pacifiste, à l'instant, mais inquiet. Être accueilli par les râles des blessés n'était pas des plus engageants, et les coups de tocsin dans la nuit bleutée du portail avaient aussi quelque chose de prémonitoire.

Mais il se tut. Il n'était pas le seul inquiet. Tout le corps, toute l'expédition, tous les poneys étaient craintifs, avançant la peur au ventre, et il le savait. Il disait tout haut ce qu'ils taisaient, et parler ne ferait que nuire au groupe. Alors le garde Heavy Fire se tut et attendit les ordres.

On vint bientôt leur dire que Beautysleep se disputait, et sa cheffe par curiosité alla voir, laissant sa chevauchée en arrière. Le terrestre en profita pour se détourner et rejoindre les blessés que les lanciers de Marvel traitaient déjà tant qu'ils pouvaient.

« Comment ça se passe ici ? » Demanda-t-il à un licorne à l'oeuvre.

Ce dernier frottait la patte d'une frondeuse.

« On va ramener de l'eau. Cottonhead est parti avec des volontaires. Il y a un lac par là-bas. » Et il pointa du sabot du côté des lumières du petit hameau et, plus loin, des masses sombres du bois Baron.

Le lancier regarda de ce côté-là et, malgré une rangée d'arbres, il parvint à distinguer au loin une silhouette basse et lourde immobile au milieu d'un champ de terre battue. C'était le char de combat de Weber, à l'écart des autres, une tache noire minuscule dans la distance mais trop nette pour que le garde lunaire s'y trompe. Le canon surtout, tourné de côté, lui assura que ce n'était pas qu'un simple buisson.

« Qu'est-ce que c'est ? » Demanda-t-il en pointant le char.

« Des voitures humaines. » Répondit le lancier toujours occupé sur sa blessée. « Eh, tu veux bien lui masser le flanc ? » Et il pointa du sabot le train de la garde.

Ce dernier était recouvert par le caparaçon, le côté de la croupière criblé d'éclats. Heavy Fire passa son sabot cuirassé sur les impacts qui avaient éraflé le métal, et resta comme ébahi. Puis il considéra la cuirasse elle-même et hésita à la retirer.

« C'est bon, on a planté les piquets. » Le rassura le lancier.

Heavy Fire fit jouer l'armure jusqu'à en retirer la plate et la maille, dévoilant le pelage d'automne. Il se mit à masser le flanc, sans songer à la pudeur, frottant avec le fer métallique sur la marque de beauté, une toile d'araignée. Et il reprit :

« Des voitures humaines ? »

« C'est comme des monstres. Il faut casser les pattes, puis les yeux. Elles ont trois canons, avec une précision effrayante, à des distances impossibles. Il y avait une dizaine de voitures. Low Marsh et Faircount y ont mis tous leurs poneys. » Il fit un geste pour désigner tous les blessés étendus : « Voilà le résultat. »

Le terrestre continuait de masser le flanc.

« Dix voitures ont fait ça ?! » S'était-il exclamé. « Mais les rues humaines en sont bondées ! »

« Ouais. » Le lancier hocha sombrement la tête. « Luna sache ce qu'elle fait. »

À mon avis, Heavy Fire avait inventé au moins une partie de cette conversation. À la place du lancier, moi, je me serais frappé le visage : toutes les voitures n'étaient pas armées. Mais c'était son journal, et il n'était pas dénué d'intention. En l'écrivant, le terrestre avait ses propres idées. Alors il donnait son point de vue, et il n'hésitait sans doute pas à romancer.

Mais enfin, on vint le chercher. Low Marsh avait réclamé l'attention de Luna et lui avait exposé la dispute. Beautysleep avait demandé à la princesse qui dirigeait réellement l'expédition.

Les mortiers de Pumley avaient mis fin à la discussion.

Il n'était plus question d'envoyer une simple estafette. En voyant le mont Mussy pilonné, sans même comprendre vraiment ce qu'il s'y passait -- sinon que le feu tombait du ciel -- Low Marsh admit son erreur et pressa le second corps des lanciers en direction de la colline où le feu, aussi soudain, avait cessé, remplacé par les colonnes de fumée noire découpées dans les lueurs bleutées des ténèbres.

Beautysleep revint à ses lanciers et fit former les rangs, en une colonne serrée, et ordonna le trot cadencé en direction de la colline. Ils allaient secourir Faircount et le relever sur le flanc gauche. Les gardes abandonnèrent là leurs fourreaux de piquets, à part une chevauchée. Puisqu'ils allaient relever le corps des voltigeurs, et qu'il pouvait là-bas y avoir des blessés, leur officière voulait se garder cette réserve.

La colonne passa la position des luminaires, longeant les harpes et le marteau de fonte, puis rejoignit une route humaine, goudronnée et « peinte de lignes blanches pour la circulation ». C'était la route qui de Sauverny menait à Divonne. Ils la traversèrent et continuèrent à travers champs, guidés par les lumières des habitations humaines massées au pied des collines.

« À gauche il y avait un tas de loupiotes, à droite aussi, et puis rien au centre, un gros trou noir. On allait dans le trou noir. On passait dans la terre sèche et des herbes basses qui n'arrivaient même pas jusqu'au haut du sabot. On se rapprochait de la colline qui commençait à être une montagne, et où il y avait la fumée noire qui s'élevait. »

Surtout, souligna Heavy Fire -- littéralement, il avait souligné le mot à la plume -- ils se sentaient vulnérables. Leurs auras brûlaient dans la nuit presque noire, si bien qu'ils étaient visibles à des kilomètres, et la formation en colonne serrée n'arrangeait rien. Ils étaient comme un serpent d'acier montant au front, visible pour tous, ne voyant rien, et plus ils s'approchaient et plus ils craignaient pour les voltigeurs.

Depuix Gex, Freyard et ses hommes ne voyaient rien.

Ce dernier n'avait subi aucune perte et, regroupé à l'école de la petite ville, sans communications, coupé de tout sinon des rumeurs de tirs et du feu des mortiers, il sentait monter le péril en même temps que la peur. Il avait l'impression d'être dans une histoire d'horreur où l'enfer se serait ouvert sur le monde et où les démons, colorés et équins à l'occasion, allaient surgir pour le dévorer. Aussi au lieu de disperser ses hommes, comme l'avait fait Beffara, il les gardait groupés en un seul endroit, et il campait sur sa position.

Un soldat lui jura avoir entendu le bruit de blindés du côté de Vesancy, près de la colline, et l'idée qu'ils recevaient des renforts calma la troupe.

Mais Freyard était d'avis qu'avec la perte du mont Mussy ils étaient coupés de Spezza, et il y vit plutôt l'imminence d'une attaque.

Les premiers tirs le détrompèrent.

Sous les ordres de Fontana, les blindés de la troisième section parqués à Vesancy, devant la rue du château, parmi les arbres, tous feux éteints et seulement découpés par les pâles lueurs du portail, tirèrent au jugé sur les auras des voltigeurs sur la colline.

Les rafales des canons de trente millimètres déchirèrent la nuit. Elles étaient courtes, brèves, sèches, et à chaque fois elles faisaient gronder le flanc de colline, frémir les arbres. Le feu était inefficace. Ils tiraient à presque mille mètres, sans optiques, depuis l'intérieur des blindés, si bien que « au jugé » était un euphémisme. Mais Fontana voulait préparer le terrain pour l'assaut de Bleunven, tandis que ce dernier, toujours sur les pentes, enrageait en jurant que les tirs allaient alerter l'ennemi de leur approche.

Bien sûr, Fontana s'était attendu à voir les poneys tenter de l'assaillir -- et donc traverser mille mètres sous son feu -- ou, plus raisonnable, de se couvrir sur l'autre flanc de la colline. Mais les lueurs ne semblèrent pas bouger malgré son feu. Le sergent se souciait des munitions. Il ordonna d'attendre avant de reprendre le tir et, depuis le périscope, face au flanc noir du mont Mussy, il essaya de deviner où en était la section.

Du côté de Gex, ce fut presque la mutinerie. « Les gars se battent ! » Avait fait valoir une soldate, et Freyard répétait de tenir la position. Soudain tous les arguments s'étalèrent, à quel point sa position défensive était suicidaire, et il réalisa avoir mis ses hommes en danger.

Le blindé de la section deux descendit donc les rues en direction du mont Mussy, et pour couvrir son flanc face à Sauverny, tandis que dans les champs, aux grondements des canons, Beautysleep faisait presser le pas. Elle s'attendait à tout instant à voir venir une estafette, certaine que Faircount la voyait venir. Les lanciers étaient de plus en plus inquiets et seule la discipline évitait de briser la colonne pour une formation en tirailleurs.

La bataille du mont Mussy reprenait.

Ce fut un des blindés de Fontana qui, depuis Vesancy, à presque deux kilomètres de distance et malgré tous les arbres alignés dans le plat, repéra le premier la colonne des lanciers. Les auras combinées de toutes les couleurs formaient un brasier sinueux et terrible. Le blindé, sans radio, ne pouvait pas prévenir Fontana sans sortir. Au prochain tir la colonne verrait leurs flammes. Alors le commandant de blindé choisit de tirer le premier, fit tourner sa tourelle et se prépara à engager l'ennemi à deux kilomètres de distance.

À cette distance, ils ne voyaient même pas les poneys, juste les auras, et sans optiques vouloir les toucher était juvénile. Mais le blindé estima la distance, estima la hausse et tira deux rafales.

Les poneys avaient alors dépassé le petit hameau de… Moret, Mouret, quelque chose comme ça. Ils étaient au pied de la colline et devant Gex quand trois obus battirent la terre devant eux, à peu de distance, soulevant des gerbes bleutées à hauteur de museau. Puis une seconde rafale tailla l'herbe sur leur droite, assez proche pour que les détonations les secouent. Les poneys brisèrent aussitôt la formation et les chevauchées s'éparpillèrent à travers champs, vers les rangées d'arbres et les talus. Les auras semblèrent s'étouffer au loin et le blindé de la troisième section avec cette impression d'avoir débusqué un monstre, reporta son attention sur la colline. Il avait, en même temps, averti Freyard du danger.

À Gex, les soldats avaient descendu de l'école jusqu'aux Genêts où deux soldats s'embusquèrent. Le portail était alors tout près et les soldats baignaient dans les flammeroles. Depuis leur position ils couvraient cent mètres de terrain nu avant une large bande de bosquets où Beautysleep irait prendre refuge. Le sergent pour sa part prenait position rue de l'Oudar, dans un bâtiment en demi-cercle qui dominait presque autant de terrain face aux bosquets du nord.

Mais ce fut le blindé du groupe, avec quatre hommes à bord et roulant par l'avenue de l'Aigle, qui déboucha à la sortie de l'est en aval de la grande surface et qui vit derrière les talus au loin les feux des lanciers. Avec le rond-point comme repli, le groupe se déploya et s'apprêta à accueillir les poneys.

Ceux-ci se relevaient des tirs d'obus et cherchaient cet ennemi invisible. À deux mille mètres, le blindé parmi les arbres et dans le bleu pâle de la nuit leur échappait complètement.

Mais, selon Heavy Fire, ce ne fut pas ce qui ébranla vraiment la colonne. C'était que les deux rafales avaient manqué leur cible. Et tandis que Beautysleep ordonnait d'avancer, ses gardes se demandaient si on ne venait pas de leur donner un coup de semonce. Si les humains n'avaient pas fait exprès de tirer à côté pour leur dire de ne pas approcher. Et pourquoi, sinon, les humains auraient cessé de tirer. L'impression générale était qu'ils étaient attendus, et c'était exact.

Les lanciers étaient alors au pied du mont Mussy. Ne recevant toujours pas d'estafette, Beautysleep envoya deux chevauchées remonter la pente sud et rejoindre Faircount. Elle en envoya deux autres sécuriser son flanc gauche et avec les six restantes elle avança droit devant elle, ce qui allait l'amener sur la route de Divonne et dans le feu croisé des blindés, à découvert. Les poneys progressèrent au trot, en tirailleurs désormais, par les arbres et dans les champs, si bien que le feu de leurs auras ne cessait de ponctuer entre les arbres celui du portail.

Mais enfin la première chevauchée surgit sur la grande route, large de quatre voies, et aussitôt deux canons de Vesancy et celui de Gex ouvrirent le feu quasi simultanément.

Beautysleep vit disparaître la chevauchée en une à deux secondes, les obus pulvériser le bitume et tailler dans la troupe, envoyant les corps des poneys frapper le sol et y rouler, et soufflant les auras. Les gardes lunaires n'avaient même pas eu le temps de crier. À son tour la terrestre voulut passer la route et, galopant, y précipita sa chevauchée. Les auras faisaient des poneys des cibles rêvées, mais les optiques compliquaient tout. Une rafale balaya Beautysleep, la jument frappant le sol, essoufflée et sonnée, et dans l'instant une seconde rafale battit sur sa cuirasse comme de la grêle. Deux autres poneys s'abattirent à ses côtés, la dernière parvenant à traverser, affolée, et plongeant derrière des ballots entassés près des arbres.

« C'était une ligne rouge » écrivit Heavy Fire.

Leur cheffe à terre, les autres chevauchées prirent l'initiative. Laquelle, bonne question, Heavy Fire dit juste que sa chevauchée partit à « gauche », donc sur Gex, sans même expliquer pourquoi. Sans doute contourner ou attaquer les lumières de la ville humaine. Les blindés de Vesancy tirèrent encore sur eux mais, sans optiques, avec le couvert des arbres et leur mouvement, les obus éclatèrent sur les troncs et sur les sillons.

Quelques secondes plus tard, les tirs éclataient sur le mont Mussy.

Bleunven et ses hommes avaient pressé le pas sur les pentes, sans plus chercher à atteindre la hauteur de la crête, seulement à avancer sur la pointe sud où devaient être les poneys, quand ces derniers leur étaient tombés dessus.

Ils avançaient alors en une ligne courbée -- ceux en amont ralentis par la montée -- deux à deux parmi les bois clairsemés. Ces forêts étaient, avant le blitz, tenues avec soin, nettoyées par le personnel forestier, et depuis lors les flammes froides les avaient conservées à peu près intactes. La nuit était ici la plus forte et dans l'obscurité les auras auraient été immanquables. Les soldats progressaient en silence, ombres parmi les ombres, et fouillaient les espaces entre les troncs ainsi que les feuillages.

Au-devant d'eux, ils entendirent un râle. Les gémissements, jusqu'alors, n'avaient pas cessé, entrecoupés seulement par les tirs des canons, mais ils semblaient lointains et faibles. Soudain, l'ennemi ne devait plus se trouver qu'à une ou deux dizaines de mètres. Ils virent des lueurs et s'approchèrent, sans briser la formation. Mastac, à l'arrière, avec un groupe, assurait la réserve. La ligne atteignait la crête en même temps que Bleunven, au centre du dispositif, distinguait parmi les fourrés la faible aura d'un voltigeur.

Mastac tira depuis la crête et les voltigeurs, tapant leur torse, ravivèrent leurs pierres de vie.

Soudain les bois s'illuminèrent.

La troisième section était au milieu du corps de Faircount. Les gardes, tapis dans les fourrés, surgirent à quelques mètres pour se jeter sur les soldats, au crépitement des fusils et, l'instant d'après, dans le hurlement des mitrailleuses. Bleunven fut bousculé et jeté à terre, tordu de douleur, piétiné par deux fois au passage des pégases. Ces derniers galopaient, bondissaient parfois un instant avant de se poser. Je me doute à présent, en sachant tout le reste, que leurs auras étaient faibles, presque misérables, mais bien suffisantes pour que les soldats les alignent, et seule la mêlée les protégeait vraiment. Malgré les coups reçus, secoué, le sergent se releva et vit sa ligne brisée. Et aussi soudainement, il vit les pégases rompre le combat et battre en retraite, le frôler presque dans leur fuite.

Hébété, secoué, le sergent se laissa rejoindre par ses hommes tandis que la ligne se reformait.

Il venait de perdre trois soldats dans cette embuscade, il en aurait perdu bien plus si ça avait duré mais, en une dizaine de secondes, tout s'était décidé. Les soldats tiraient encore pour tenter de toucher les auras effacées parmi les troncs. En hauteur, du côté de Mastac, la crête était silencieuse. Bleunven voulut savoir ce qu'il en était et la chaîne humaine fit porter sa question jusque là-haut. Mastac vit ainsi un soldat lui poser la question, alors même qu'elle fouillait les bois en quête des pégases en fuite. Son groupe indemne avait repoussé les assaillants mais craignait d'être flanqué.

Sans plus attendre, Bleunven ordonna l'assaut et la section entière, au cri de guerre, s'élança sur les deux cents mètres qu'il restait à prendre du mont Mussy.

Les hommes de Freyard en pointe de Gex tiraient à leur tour sur Heavy Fire et sa chevauchée. Ils pouvaient entendre la « voiture » humaine gronder en roulant sur la route pour s'avancer et empêcher tout passage. En vérité, le blindé voyait les poneys sur la route se relever. Il tira une nouvelle rafale qui en renvoya deux à terre, et Beautysleep ordonna de rester au sol. Ils rampaient pour s'échapper et cela, dans les optiques parasitées, l'équipage avait du mal à le voir.

Mais enfin le second corps de lanciers progressait et gagnait les bosquets face aux Genêts. Ils s'y retrouvèrent à plus d'une dizaine de gardes sur ce flanc inconnu, face au découvert qui restait à traverser. Il y avait bien sûr, entre les deux positions de Freyard, un groupe de maisons et d'arbres où passer, mais les poneys étaient toujours dans la logique de contourner. Ils surgirent donc à découvert, au galop, face à la mitrailleuse qui les attendait. Heavy Fire allait surgir à son tour quand devant lui la chevauchée en pleine course fut soudain taillée par un long tir « qui ne voulait pas cesser ». Les balles fauchèrent les poneys et les firent s'écrouler, se relever, retomber et piétiner. La seconde chevauchée voulut atteindre le bois des Genêts à « droite » mais la mitrailleuse se reporta sur eux et coup sur coup deux poneys s'effondrèrent à vingt ou trente mètres des arbres.

« Où qu'on allait, on tombait sous les tirs. Les humains étaient partout. »

Et Heavy Fire était d'autant plus nerveux qu'il n'y avait pas moyen de contourner encore plus. Plus à « gauche », c'était le portail, si bien qu'à part ce découvert il n'y avait plus rien pour flanquer les humains. À ses yeux comme à ceux des lanciers, il y avait une ligne virtuelle et infranchissable.

Les chevauchées battirent en retraite. Mais déjà Freyard, en entendant les combats du mont Mussy, songeait à attaquer. Il avait pu entendre le crépitement des fusils, il voyait à présent parfaitement les canons des blindés tirer depuis Vesancy et songeait que c'était une section complète là-bas, la seconde section croyait-il, venue le tirer d'embarras. Alors il envoya le soldat chercher les gars aux Genêts tandis que lui-même retournait à son blindé pour monter son propre assaut, repousser les poneys et prendre le mont Mussy depuis le sud.

Dans le même temps Bleunven tirait à nouveau face aux voltigeurs surgis d'un creuset à flanc de colline. À nouveau les hommes surpris se retrouvèrent en mêlée et tirèrent sans s'arrêter de courir sur leurs assaillants, bousculant les poneys qui les bousculaient. Deux pégases franchirent la ligne et coururent encore sur les arrières, poursuivis aussitôt par une équipe -- quatre hommes -- que les ténèbres absorbèrent. Les poneys décrochèrent, laissant un pégase à terre et inerte, sinon son aura. Le sergent ne s'arrêta pas et cria encore et encore de foncer, d'emporter la colline. Il entendit Mastac tirer quelques secondes et la section continua.

Mais déjà les lanciers face à la route et aux Genêts se remettaient de leurs coups et, regroupés, préparaient un nouvel assaut, quand un lancier revenu du mont Mussy les avertit que Faircount avait désespérément besoin d'aide. Beautysleep avait alors réussi à se glisser hors de la route et disposait de trois chevauchées. Elle peinait à tenir debout mais aurait demandé, « combien de chevauchées ? » Et l'estafette, en retour, aurait dit : « Toutes. Le corps entier. »

Dans les faits les voltigeurs lançaient leurs dernières forces, aux côtés des deux chevauchées de lanciers, face aux hommes de la troisième section. Les auras des lanciers semblaient des incendies face à celles étouffées et fragiles des pégases. Les bois s'enflammèrent face aux hommes qui n'attendirent pas pour tirer, s'arrêtant seulement le temps de tirer plusieurs roquettes avant de charger.

Par deux fois les pégases avaient décroché de la crête avant d'atteindre la mêlée, et Mastac était confiante en sa puissance de feu. Aussi quand elle vit surgir les cinq pégases, elle tira à nouveau, comme les deux fois précédentes, et s'attendit à les voir s'enfuir à nouveau. Les pégases continuèrent leur charge, droit sur elle, et deux poneys culbutèrent et s'effondrèrent sous les tirs. Un troisième se cabra, hennit et s'abattit à deux mètres d'elle. Elle voulut reporter son feu sur les deux derniers, les vit déjà effondrés, gémissant à terre, leurs cuirasses criblées et fendues, les pattes grattant l'herbe en vain.

Coup sur coup, deux de ses hommes furent soudain saisis par les flammes froides, et la sergente se retournant vit ces torches humaines hurler, faire quelques pas et s'effondrer à leur tour, alors même que les poneys ne les avaient jamais atteints.

En contrebas les tirs ne cessaient pas. Bleunven faisait partie des victimes. Un soldat se précipita à Mastac pour lui dire de venir en renforts, et elle et ses hommes laissèrent là les poneys à l'agonie pour redescendre la pente et fondre sur les gardes lunaires. Ceux-ci parmi les arbres tombaient et se relevaient sous les tirs, chargeaient les humains et abattaient sur eux leurs sabots, et déjà le feu croisé rendait ces assauts complètement suicidaires. Quand Mastac surgit sur leur flanc, les poneys cherchaient à se replier, portant leurs blessés à l'arrière. Les humains les fauchèrent dans leur fuite, les mitrailleuses taillant leurs pattes, et Mastac ordonna de tirer jusqu'à ce que plus un seul ne se relève.

Quand il ne resta que des râles, elle demanda à un soldat où était Bleunven. Ce soldat, Wolf Klinz, lui dit brièvement qu'elle était désormais aux commandes.

Comme nous tous, Mastac n'était qu'une recrue, sous-officière sans expérience et sans la moindre idée de ce que pouvait être la guerre. Quand elle réalisa que la section était sous ses ordres, qu'il n'y avait plus personne pour la commander elle, la nausée qui l'avait prise depuis le début de l'assaut devint insupportable. Elle s'effondra au sol en hurlant, et les soldats y virent les prémisses aux flammes froides. Klinz ordonna de l'emmener à l'arrière puis demanda s'il restait le moindre sergent encore debout. Kossowski, tout en aval du dispositif, vit ainsi venir un soldat pour lui demander de prendre le commandement.

Kossowski ordonna de continuer l'assaut.

Aux Genêts, deux hommes seuls tenaient tête à douze poneys. Aussi quand le soldat vint leur dire de se préparer à attaquer, ils l'accueillirent avec des moqueries. Non seulement ils n'allaient pas attaquer, mais ils voulaient pouvoir se replier avant que l'ennemi ne se rende compte à quel point ils étaient isolés. Tous trois se rendirent d'accord et abandonnèrent la position.

Dans le même temps, Heavy Fire dans les bois vit venir l'estafette pour leur ordonner de se replier sur Beautysleep -- « elle est encore debout ? » aurait songé le terrestre -- puis sur le mont Mussy. Ce fut comme un soulagement et, ne songeant même pas à ce qui pouvait se passer là-bas, les gardes quittèrent à l'instant les bois.

Hammerhead venait de passer le portail.

Hammerhead, le « destroyer », le tueur de tanks, mais à ce stade ce n'était qu'un licorne à la tête du troisième corps de frondeurs. Lorsqu'il surgit du portail, apportant avec lui la dernière unité combattante de l'expédition, Low Marsh l'informa de la situation et voulut qu'il se porte à l'avant, au bois des Portes donc, pour briser la position humaine.

Mais la princesse Luna intervint et, coupant court, demanda à Hammerhead de l'escorter vers la colline.

Elle parla d'un pressentiment, mais la princesse pouvait entendre mieux que quiconque les gémissements portés par la magie.

Low Marsh se révolta. Il n'était pas question que la princesse de la nuit se risque face aux humains. Mais Luna se moquait de l'avis de sa subordonnée. Elle s'en remit à Hammerhead. Garde depuis moins d'un an, ce dernier était remarquable pour s'attirer des problèmes et pour ne pas cesser de se mêler des affaires de son ombre, si bien que nul ne comprenait pourquoi la princesse Luna le souffrait, et il était très mal vu. Ce fut donc sans surprise qu'il accepta et prit la tête de l'escorte en direction de Gex.

C'était beaucoup trop tard, mais cela personne ne le savait. Du côté de Chavannes, on entendait les combats et Spezzia se sentait impuissant. Il se répétait qu'Aguilar allait tenir. Condumier, revenu avec cinq chars, avait voulu le persuader de se porter au secours de la compagnie de chars, mais le capitaine en avait rejeté l'idée. Commugny tombée, il devait protéger Chavannes coûte que coûte.

Là-dessus arriva le colonel.

Hussami avait abandonné son PC de conduite à Nyon et, à bord d'un tout-terrain de liaison, il s'était rendu à Chavannes accompagné tout juste de trois hommes, dont une radio pour le cas où les communications reprendraient. Il descendit de son véhicule, alla voir Spezzia et lui demanda posément où était Philippot.

Cette question très posée et calme eut le dont de démolir le capitaine.

« Et que comptez-vous faire à présent ? » Demanda Hussami.

« Garder Chavannes, colonel. »

« Pourquoi faire ? »

Et Hussami admit être rongé par le remords d'avoir laissé la situation se dégrader à ce point. À Commugny, il avait perdu une section. Il allait bientôt en perdre une seconde à Gex. Surtout, la compagnie de chars était anéantie. Tout cela, admit-il, était sa faute. La ligne Gex-Founex n'existait plus, ils allaient désormais se replier sur Nyon et défendre le terrain en profondeur.

Spezzia se révolta, refusa d'abandonner Aguilar et, ajouta-t-il, Philippot. Si le premier argument porta, le second fit froncer les sourcils au colonel, et les soldats me jurèrent qu'ils avaient presque vu de la colère sur ce visage affable. Hussami pencha la tête et « suggéra » à Spezzia d'obéir aux ordres. Si les poneys attaquaient, il reculerait, et il ne défendrait plus Chavannes mais le terrain entre Chavannes et Nyon.

Et tandis que les combats continuaient en arrière-fond, à Gex, le colonel marcha jusqu'aux chars de Condumier, alignés sur la route.

Il demanda au lieutenant s'il y avait moyen de secourir Philippot. Les chars n'étaient qu'à huit ou neuf cents mètres, entre les deux bois, et ils auraient pu les voir avec les jumelles. Les poneys tenaient les bois et s'ils se rendaient là-bas, ils seraient piégés à leur tour. De toute manière, ajouta Condumier, ils n'avaient rien pour remorquer les chars.

« Lieutenant, je me fiche des chars. » Nota tranquillement Hussami. « Nous en avons des centaines en stock. Ce sont les hommes qui sont irremplaçables. »

Le colonel allait se retirer quand Condumier, se rappelant d'un détail, lui dit d'aller voir le sergent Hassel, revenu à Chavannes avec Vlody et ses hommes, et qui gardait leur flanc. Ce fut ainsi qu'Hassel vit venir à lui le colonel du bataillon, à pied et escorté d'un seul homme, comme un promeneur nocturne profitant du paysage et ne se souciant pas plus des tirs que des lueurs d'auras dans le village face à eux. Hussami surtout portait le masque détaché, pendant sur le côté, si bien que son visage était visible à tous, et il semblait s'en moquer.

« Sergent Hassel ? » Demanda-t-il en répondant au salut du soldat. « On m'a dit que vous pourriez m'aider à sauver mes chars. »

Hassel ne comprit pas, et Hussami se mit à lui expliquer.

Du côté de Gex, du mont Mussy plus précisément, Kossowski avec deux groupes complets venait d'atteindre la pointe sud et débouchait sur la position de Faircount.

Il y avait là près d'une trentaine de poneys, nichés par groupes de deux ou trois, serrés dans des fosses et recouverts de branchages, épars sur la pente, et qui agonisaient. C'étaient les voltigeurs, tous des pégases, que les soldats eurent un peu de mal à voir : ils n'y avait plus d'auras, plus rien que la faible pâleur au loin du portail, au coin de la colline. Les soldats s'avancèrent parmi ces blessés, regardèrent les poneys et tandis qu'ils passaient, les pégases semblèrent s'agiter, râlant, luttant, leurs yeux rendus fous, avant de cesser complètement. Kossowski en vit un, l'oeil fixé sur lui, se révulser et la tête retomber sans force.

Puis il vit le pelage se décolorer, blanchir dans l'obscurité, comme des taches maladives.

Un soldat donna l'alerte.

Beautysleep arrivait avec quatre chevauchées, et derrière elle les trois autres où se trouvait Heavy Fire. Kossowski se porta à leur rencontre et vit sur la pente sud, dénudée d'arbres, le blindé où Karlstein était toujours inconsciente.

« On tient la position ! » Ordonna Kossowski.

Il laissa le premier groupe sur la crête, avec les poneys de Faircount, et descendit avec le second groupe récupérer le blindé et surtout son canon de trente millimètres. Beautysleep lui échappait mais les trois autres chevauchées étaient toujours visibles en aval, dans les champs. Ils gagnèrent le blindé, le virent dévasté et deux soldats seulement. Le premier s'évanouit dans les flammes à leur approche, le second était Karlstein. Un soldat la releva et la tira en arrière alors que deux autres se glissaient dans le blindé pour manoeuvrer la tourelle.

Par trois fois les poneys les avaient attaqué de front. Kossowski s'attendait donc naturellement à ce que ces nouveaux ennemis en fassent de même. Mais Beautysleep avait déjà subi le feu des armes humaines et surtout n'avait aucune raison de foncer. Elle avait vu les humains à la pointe sud et décida de filer par le bas de la colline, au nord, si bien que les blindés de Vesancy tentèrent sans relâche de tirer sur ces auras fugitives mais intenses. Les lanciers atteignirent le bois sous Roches, virent qu'il n'y avait toujours pas d'humains face à eux et remontèrent alors la pente vers la crête. Heavy Fire atteignait à son tour les arbres avant que le canon de trente millimètres ne puisse lui tirer dessus.

Derrière eux Freyard allait avancer, ses hommes réunis sur l'avenue de l'Aigle, quand un tout-terrain Aigle surgit derrière lui, sur la route, et le rejoignit.

C'étaient les explorateurs de Mijoux, ceux qui avaient accompagné les mortiers et qui venaient à présent aux nouvelles. Leur second véhicule était toujours là-bas, en défense. « Donnez-nous une cible » demandaient les explorateurs, au nom de Pumley, et Freyard, considérant le mont Mussy comme déjà pris, demanda de bombarder Sauverny, suivant le plan de Spezzia. Mais il voulait d'abord faire tomber le mont et, considérant ce nouveau renfort, demanda aux explorateurs de l'accompagner dans l'assaut.

Kossowski réalisa, aux tirs des blindés de Vesancy, qu'il se faisait flanquer.

Il laissa une équipe pour garder le char -- ainsi que Karlstein -- et remonta avec le reste pour tenir la crête et surtout déployer ses hommes, le plus vite possible, former deux lignes de profondeur pour repousser les poneys. Il n'avait pas rejoint ses hommes en amont que Beautysleep était déjà en position, prête à assaillir de deux côtés, et tandis qu'elle envoyait une chevauchée continuer sur l'autre flanc de la colline, avec ses trois chevauchées elle donna l'assaut.

Ce qui la pressait surtout, évidemment, était que Faircount aurait dû être là où se trouvaient les humains, et qu'elle ne l'avait pas vu redescendre.

Les humains virent venir la charge, tirèrent et virent les balles comme absorbées par les auras, comme si elles y brûlaient sans atteindre les cuirasses. Ils lancèrent les grenades et se repliaient déjà quand elles explosaient, en une série de déflagrations inégales qui illuminèrent de brefs instants les bois. Face à cette résistance, les lanciers battirent en retraite. Kossowski arriva en renfort et, entendant les blindés de Vesancy gronder toujours pour tailler les renforts des poneys, il jugea la position intenable.

Il se tourna vers un soldat et ordonna : « Achevez les blessés. » Le soldat ne comprit pas.

« Les poneys. » S'agaça Kossowski. « Balancez une grenade dans chaque groupe et faites-les sauter. Ensuite, on se retire. »

« Sergent, sauf votre respect, ce ne serait pas plus intelligent de faire des prisonniers ? »

J'invente un peu, aucune idée de ce qui s'est dit vraiment. Kossowski explique seulement, dans son rapport, qu'il y a eu des réticences. Puis il a expliqué ses raisons.

La position était intenable, ils devaient la quitter, se replier sur Gex. Ils ne pouvaient pas emporter ces blessés et ils ne pouvaient pas les laisser derrière, au risque de les voir soignés et renvoyés au combat. Aussi, ajouta-t-il à son rapport, ce n'étaient pas des humains, et l'objectif de la brigade était justement de tuer les poneys, blessés ou non. Aussi répéta-t-il son ordre et ses hommes se mirent au travail.

Ils n'en eurent pas le temps. Beautysleep réattaquait, sans attendre l'arrivée des renforts, avec quatre chevauchées et de trois côtés. Kossowski à son tour ouvrit le feu sur ces poneys qui se défilaient entre les troncs, les abattant à grands coups, dans des grondements, pour se donner des couverts. Le sergent voyait les ombres s'abattre et les auras s'affoler autour de lui. Mais enfin les lanciers décrochèrent et Kossowski hurla de balancer les grenades pour pouvoir décrocher au plus vite.

Le canon du blindé, sur la pente, se mit à tirer à son tour. Une chevauchée s'était montrée à l'orée, un peu en aval, et s'éclipsèrent sous les obus. En entendant cela, Kossowski pesta et ordonna le repli.

S'il avait eu seulement dix ou vingt secondes de plus, le corps des voltigeurs aurait cessé d'exister.

Mais à cet instant Kossowski songeait surtout à sauver ses hommes. Ils surgirent d'entre les arbres, descendant en deux files sur la pente sud à découvert, en direction du blindé déchenillé. Il lui restait douze hommes, moitié moins qu'au début de l'assaut. Le sergent fut étourdi en le constatant. Il ne se rendrait compte que bien plus tard qu'une équipe avait poursuivi un pégase au nord du mont et n'était toujours pas revenue. Sur le moment, paniqué -- de son propre aveu -- il ordonnait de descendre sur Gex avant que les poneys ne fondent sur eux.

Beautysleep surgit parmi les voltigeurs et s'arrêta d'effroi. Heavy Fire surgit à son tour et découvrit ce qu'il restait du corps de Faircount.

« Ils avaient caché les blessés sous des branches, dans des trous creusés avec les sabots. Il devait bien y avoir tout le corps. Les cuirasses étaient fendues et brisées, le pelage qui aurait dû être bleu nuit était blanc comme de la craie. Les blessés respiraient à peine et étaient aveugles. »

Il ajouta une remarque, comme quoi les humains avaient occupé la position et en étaient partis sans toucher aux blessés, et ce n'était qu'une brève note dans son journal. Sans doute, à cette scène, avait-il trouvé déplacé de suggérer qu'on était gentils.

Mais en même temps, si Beautysleep ne l'avait pas menacé, Kossowski aurait-il donné l'ordre d'achever les blessés ? Il ne l'avait pas fait en arrivant. En fait, aucun soldat n'y avait pensé, tout du long de l'assaut.

La troisième section se repliait sur Gex. Freyard arriva à leur rencontre, en ligne, fit arrêter ses hommes et rejoignit ceux de Kossowski. Il demanda ce qui se passait, où était la première section, bref, tout ce qu'il avait manqué depuis le début des combats. Cependant les blindés arrivaient de Vesancy, leurs obus de trente millimètres quasiment épuisés, et gagnaient la route de Divonne pour récupérer la section. Kossowski, entouré d'hommes et de blindés, fit face au mont Mussy et évalua une dernière fois s'il avait pris la bonne décision.

Il avait pris la bonne décision. Les munitions commençaient à manquer. Ses hommes s'épuisaient. Plus d'une trentaine de poneys occupaient les bois et, cela il ne le savait pas, quarante de plus arrivaient en renfort. S'il était resté, Kossowski aurait subi le sort de Beffara.

Le mont Mussy était définitivement perdu.

Désormais il s'agissait de tenir Gex, mais Freyard balaya cette option. Ils étaient coupés du bataillon et le combat en ville n'était pas mieux que le combat en forêt. Il voulait se replier encore. « Où ? » Demanda Kossowski, et les explorateurs leur apportèrent la réponse. Pumley attendait toujours à Mijoux. Les deux sergents se mirent d'accord pour protéger les mortiers tandis que ceux-ci continueraient leur feu sur le mont Mussy, jusqu'à ce qu'il y ait assez de cratères sur cette fichue colline pour ne pas avoir à creuser de fosse commune.

Le temps manquait. Alors qu'ils se redéployaient sur Gex, la princesse Luna et Hammerhead approchaient du pied de la colline. Une estafette informa la princesse de la situation, et que les lanciers fouillaient le reste des bois. Faircount lui-même était introuvable.

« Lieutenant » demanda Luna à Hammerhead, « attaquez la ville. » Et elle-même, se détachant des frondeurs, ouvrit les ailes pour filer en direction de Mussy.

Elle s'éleva assez pour qu'un des Gépards de Pouzol la saisisse. L'équipage à bord sursauta à ce signal rendu infernal par la friture. Avec leurs appareils brouillés, il leur fut impossible de tirer. Il y eut une sorte de rage frustrée à l'idée que cette unique cible de toute la bataille leur échappait.

Du côté de Chavannes, Hussami allait tenter de secourir la compagnie Dora de Philippot soudain les radios crépitèrent, reprenant vie.

On connaît tous ces mots par coeur :

« L'Europe ne sera pas réduite au silence ! »

J'étais alors toujours à Pontarlier, à me morfondre dans le char, sans lumière, isolé, à écouter Jasmine gémir et Sophia la réconforter. Moi, je veillais sur Lou.

La pire chose à faire, à cet instant, aurait été d'ouvrir la trappe. Aujourd'hui encore je ne comprends pas pourquoi, mais c'aurait été inviter la magie à entrer. Entendu qu'elle était déjà dedans, mais peu importe. Deux blindés d'infanterie étaient en flammes et j'avais vu plusieurs membres d'équipage de ma propre compagnie sortir par les trappes, brûlant vif, s'effondrer au bas des chenilles et se tordre sur la route et dans l'herbe, l'un d'eux plonger dans le lac dont la surface, à cet endroit précis, brûlait encore faiblement. En une demi-heure, sans le moindre ennemi, on avait perdu une trentaine d'hommes, peut-être une quarantaine. On était terrifiés.

La friture à la radio ne cessait pas, les optiques rougies avaient quelque chose d'infâme. J'aurais juré entendre le métal grincer, comme pressé par une force inconnue. Le mal de tête me lançait. Et puis soudain, j'ai entendu la voix de Maxim, à la radio, grésillante, le fameux message : « L'Europe ne sera pas réduite au silence ! »

« Ce matin à deux heures, l'ennemi a franchi le portail. » Continuait-il à tonner. « Les poneys viennent pour se battre, avec leurs armures de petites filles et leurs jolies couleurs, mais la menace est réelle ! Ils se rient de nos balles, ils font tomber nos soldats sous leurs sabots ! Ce sont eux qui ont détruit nos communications ! Mais je sais, Europa, que tu m'entends, et je sais, Europa, que nos soldats se battent toujours, là-bas, au portail ! Et je sais, Europa, que tu vas les soutenir ! Alors ne crains rien, citoyen, mais produis les munitions, assemble les chars, entraîne-toi et garde confiance ! Je te dirai où est l'ennemi, et où nous sommes, et je ne te cacherai rien ! Et toi, soldat ! Entends ma promesse : les renforts arrivent, de Suède, d'Allemagne, de France, d'Autriche et d'Italie ! Un continent vient en renforts ! Vous êtes mille à vous battre, vous serez quatre mille dans une heure, dix mille demain ! Peu importe la peur, la souffrance et la mort, nous y sommes bien trop habitués ! Tu veux fuir ? Où ça ! Nous sommes le rempart de l'humanité ! Alors entends-moi, Europa ! Fais-toi entendre ! Nous tapisserons le sol de bombes, nous les noierons de flammes, nous les écraserons sous le nombre ! Nous en avons les moyens ! Et si tu entends ma voix, c'est que leur magie a échoué ! Alors je sais que tu m'entends, Europa, et je sais que tu vas te battre ! »

Il aurait pu à cet instant nous lire l'histoire du Petit Poucet que l'effet aurait été le même.

Souvent, encore, les gens me demandent comment j'avais vécu le blitz. Même après avoir vécu ces minutes de silence. Mais c'était à peu près ça : l'isolement, complet, l'impression que le monde s'effondre autour de vous, et soudain la voix de Hassmann surgie de nulle part, qui vous ramène à la réalité.

Elles avaient leur cloche, on avait notre « voix de l'Europe. »

Alors on se fichait bien de ce qu'il racontait. Sur l'instant j'étais excité comme un gosse. Lou s'est réveillé à côté de moi, s'est redressé sur son siège en voulant se masser la tempe avant de se rendre compte que c'était son casque. Il tourna la tête vers moi, puis vers la radio et fit : « C'est Hassmann ? » Comme étourdi encore, avant de s'inquiéter pour le reste de l'équipage.

Enfin, derrière la voix de Maxim on entendit, faible et comme déchirée par les ondes, celle de notre capitaine Stahlmann, qui demandait un rapport de chaque section. Lou répondit pour Kuhn, on était étourdis mais tous indemnes et toujours aptes au combat. Les voix se chevauchaient à la radio, faiblardes et étouffées par le discours de Maxim. Mais cette sorte de miracle se faisait, on arrivait à s'entendre et avec ces communications désastreuses on parvint enfin à se coordonner.

Le blindé de Stahlmann tourna et roula pour se remettre sur la route. Les autres suivirent, peu à peu, et les blindés de la compagnie Berthe suivirent à leur tour. Ils étaient commandés par Markov, mais ce dernier avait succombé et je n'apprenais que plus tard que la lieutenante Maria Lisa (s'il vous plait) Sassano en avait pris le commandement.

Après près d'une demi-heure d'immobilisme, on reprenait la route.

Il fallut encore plusieurs minutes avant que tous les blindés ne soient alignés, la colonne à peu près complète, et je pouvais voir encore à travers mes optiques dégueulasses les deux véhiculse qui ne bougeraient plus. Je me demandais toujours s'il restait quelque chose à secourir devant le portail, mais la question ne se posait pas. On redémarrait, on revivait, on était galvanisés. Je n'avais même plus mal à la tête, juste un sale goût dans la bouche, et j'écoutais les voix crépiter et le discours interminable de Maxim, capable de briser la magie équestre.

Hussami là-bas à Chavannes avait eu la même bonne surprise d'entendre Berlin sur les ondes. Mais sans relais entre Chavannes et Gex, il n'arrivait toujours pas à atteindre Freyard ou la troisième section, encore moins Pumley. Il ne pouvait même pas atteindre le poste d'observation de la Dôle.

Aussi conclut-il que sa situation n'avait pas changé et, revenant à Hassel, il répéta avec lui le plan pour aller secourir les hommes de Philippot.

Le sergent, avec dix hommes, allait gagner les blindés à pied, frapper aux trappes et demander aux gens de sortir, puis allait les raccompagner à Chavannes, couvert à distance par les chars de Condumier.

Tout cela semblait particulièrement suicidaire si Hassel, en revenant à Chavannes, n'avait pas parlé de sa mésaventure avec la grenade fumigène, et bien qu'encore secoué par le combat de Commugny, il se proposait de répéter l'expérience si ça pouvait sauver les gars dans les chars. Son plan était de se barder de toutes les grenades fumigènes disponibles et, si les poneys attaquaient, d'en balancer le plus possible, en espérant que cela les ferait fuir. Sinon, il s'en remettait à Condumier, ou s'ajouterait à la liste des pertes. Spezzia s'opposait au plan parce qu'il était fou et parce que son flanc ne serait plus protégé. Hussami voulait de toute manière que Spezzia en cas d'attaque recule et voulait surtout récupérer ses charistes. Il demanda à Hassel : « Vous pensez pouvoir y arriver ? »

Hassel avoua franchement en douter, mais demanda la permission d'essayer.

Et Hussami, paternel, hocha la tête.

Du côté de Gex, les combats reprenaient. Hammerhead avec ses troupes fraîches remontait le village surpris de ne pas trouver la résistance que l'estafette lui avait promise. Les humains se dérobaient face à lui, après quelques tirs, et leurs « voitures » remontaient la route toujours plus, si bien que les frondeurs progressaient sans peine, par l'avenue des Tilleuls en lacets d'un côté et par la rue des Usiniers droite et dégagée de l'autre.

Mais, arrivé à hauteur de l'école et de son dégagement, Freyard songea aux munitions entreposées dedans et voulut en ravitailler au moins les blindés de Kossowski. Aussi en entreprit-il la défense, et soudain les chevauchées en avant rencontrèrent un feu nourri qui les cloua sur place. Persuadé que c'était la résistance promise, Hammerhead ordonna de contourner, et envoya un garde demander à son second front, aux Usiniers, de se rabattre pour encercler complètement les humains. Kossowski, en le voyant, supporta la situation et ordonna aux explorateurs d'aller tenir le rond-point en amont, avant de positionner ses blindés et ses hommes. Il comprenait à présent ce que voulait dire Freyard sur le combat de ville.

Mais dans les faits, l'école était une position idéale.

Deux chevauchées s'avancèrent à l'est et tombèrent sur le cimetière, couvert depuis une petite maison blanche en son bout par une mitrailleuse, si bien qu'après avoir tenté de galoper entre les pierres tombales ils battirent en retraite. Plus haut un petit champ offrait un second découvert, et deux autres chevauchées remontèrent encore jusqu'à la rue de Paris et une petite pointe de maisons bordant l'avenue des Tilleuls et la voie de retraite. De l'autre côté, à part des maisons, c'était la forêt, et trois chevauchées y progressaient sans mal, jusqu'à border la route en embuscade. Les humains chargeaient encore les obus quand les poneys firent jonction, l'encerclement accompli, après quoi Hammerhead constata qu'il n'y avait nulle part où approcher qui ne soit pas éclairé et sans couvert.

Alors, plutôt que d'attaquer, en voyant l'ennemi retranché, le licorne choisit de rester sur ses positions. Les auras de ses soldats flottaient dans la nuit bleutée, de tous les côtés, si bien que les soldats de Freyard et de la troisième section n'avaient aucun mal à les dénombrer, une bonne quarantaine.

Hammerhead envoya une estafette au mont Mussy, prévenir la princesse et demander à parlementer. Il voulait convaincre les humains de se rendre. Faire des prisonniers.

Mais au mont Mussy la princesse était occupée à rapatrier les blessés au portail. Malgré son calme, Heavy Fire souligna que la princesse elle-même avait été « ébranlée » par le spectacle, ainsi que par les trous d'obus. Faircount restait introuvable, et le serait tant que la nuit durerait. Il y eut des coups de feu plus au nord, sur la crête, où l'équipe humaine avait été surprise par des lanciers. Quand l'estafette arriva, Luna était décidée à abandonner le mont Mussy et ordonna à Hammerhead de se retirer à son tour.

Avec le peu de communications qu'ils avaient, Kossowski appela les explorateurs au rond-point pour demander leur situation. Ils n'étaient pas inquiétés. Kossowski leur dit de ne pas les attendre et de filer à Mijoux dire aux mortiers de matraquer la colline.

Freyard l'avait entendu, ainsi que tous les soldats.

Les deux sergents se retrouvèrent à l'entrée pour discuter de vive voix, et Kossowski résuma leur situation par « si on prend cette route, on est morts. » Il avait eu écho de ce qui s'était passé à Commugny comme aux bois avant la perte des communications, et il ne voulait pas répéter ce désastre à Gex.

Hammerhead vit l'estafette revenir et lui dire de battre en retraite. Ce fut comme un chien de chasse devant lâcher sa proie. Mais plus encore, c'était la curiosité que le rongeait. Là, en face, c'étaient des humains, et tout ce que lui et ses poneys en avaient vu avaient été les flammes aux canons des mitrailleuses. Il aurait voulu en voir un pour de vrai, face à face. Enfin, il obéit aux ordres et se replia.

De son côté Hassel progressait, accroupi, avec sa troupe dispersée, sans lumières et comme des ombres au milieu des champs. Au loin Condumier avait réaligné ses chars et braquait ses canons sur les lisières des deux côtés, prêt à tirer. Hussami, au rond-point, nonchalamment, attendait les résultats.

Hassel ne savait pas s'il avait été repéré.

Il l'était. Les frondeurs avaient vu les silhouettes bouger dans les champs et en avaient informé les cataphractes. Au total et pour défendre de ce côté, Low Marsh disposait de son corps complet, de douze frondeurs de Stronghead du côté de Sauverny ainsi que de quatre frondeurs de Purple Heart, dans les bois, le reste étant à Commugny ou parmi les blessés. En apprenant que les humains approchaient et redéployaient leurs voitures, elle sentit venir l'assaut et, laissant le camp à Marvel, emmena les frondeurs de ce côté-là, si bien qu'il ne restait que les lanciers et les luminaires sur place.

Ce fut dans ces conditions, et alors que la princesse n'était toujours pas revenue, qu'arriva le corps des volontaires, comptant cent poneys de tout Equestria qui portaient la cuirasse des recrues et qui tiraient surtout les nombreux chariots de l'expédition : chargés de tentes, de nourriture, d'orbes, de pierres et de talismans, de piquets, de lances, d'enclumes aux côtés des bandages et des tonneaux de poudre blanche. Ils surgirent en colonne du portail, les chariots deux à deux et tirés péniblement, avec à leur tête la cheffe de ce corps, et je n'ai qu'un nom à vous donner : Applejack.

Les volontaires n'appartenaient pas à la garde lunaire. Un quart de l'expédition était faite de « civils », de simples poneys venus soutenir l'effort et que la princesse voulait garder le plus à l'abri possible, si bien que le ravitaillement n'arrivait qu'à présent, et bien plus tôt que prévu.

Tout ce qui les accueillit fut la nuit froide et les cris des blessés. Marvel était occupée aux soins, ses poneys jetant les seaux d'eau sur les gardes à terre, entre les piquets flamboyants. Aussi ce fut Pristine qui, descendant de la tour, alla accueillir les volontaires. Le tocsin sonnait toujours, ajoutant à l'impression étrange que l'expédition avait été anéantie.

Avant qu'elle n'arrive, Applejack prit les devants, ordonna de décharger les chariots et de monter les tentes. Elle s'approcha d'une lancière et lui demanda où était sa lieutenante, ou la princesse Luna, et Pristine surgit derrière pour lui répondre.

« Qu'est-ce qui se passe ici ?! » Se serait exclamée la fermière. « Où sont tous les poneys ? »

Pristine aurait alors fait un large geste pour englober l'ensemble de l'horizon : « Partout. »

La priorité était de mettre en place un véritable dispensaire, et la terrestre s'y attela. Dans le même temps, Marvel apprenant enfin que les volontaires étaient arrivés, la lancière exigea qu'on lui amène la poudre blanche et d'urgence de nouvelles pierres de vie, par dizaines. Et comme les volontaires étaient déjà occupés avec les tentes, elle envoya ses lanciers les chercher eux-mêmes.

Mais bientôt ce furent les volontaires qui, à mesure que les tentes s'élevaient autour de la tour du tocsin, prirent en charge les soins, transportant les blessés jusque sous les toiles ardentes et les déposant sur des brancards que Weber décrirait plus tard avec étonnement. Marvel se rendit peu à peu compte qu'elle n'était plus nécessaire et, frustrée, elle accepta de regrouper ses poneys pour former la réserve, si Low Marsh venait à avoir besoin d'aide.

Hassel avait alors gagné le petit hameau entre les deux bois, presque une simple ferme, et de là il observait les chars inertes. Il compta cinq blindés, forma des binômes et repartit en avant, ventre à terre, avec des regards vers les orées des bois où il ne cessait de s'imaginer des ombres.

Quand le tocsin avait sonné et que la terreur avait balayé nos positions, les charistes avaient eu le même réflexe que nous à Pontarlier : ouvrir la trappe. Sortir. Respirer. L'impression d'être enfermés dans des cercueils d'acier. Et ici comme là-bas, c'était la dernière chose à faire.

Ce geste de survie avait été le plus meurtrier près de Sauverny, où Renate Weber toujours enfermée dans son blindé, paralysée par la peur, avait vu un second membre d'équipage brûler sous ses yeux. Elle refusait de bouger, respirait à peine sous son masque, avait l'impression d'étouffer et s'en fichait. Chaque coup de cloche l'enfonçait un peu plus, tonnant dans sa tête aussi bien qu'à travers le métal. Son apathie lui avait évité le pire. Les autres, oubliant même les poneys qui les assaillaient, avaient ouvert la trappe et surgi au ciel nocturne. Philippot avait surgi, hurlant, avait roulé sur la caisse avant et dans l'herbe, faisant fuir les frondeurs. Deux blindés brûlaient encore, leurs flammes se mêlant à celles de l'herbe alentours, et de loin on aurait pu s'y tromper. Le troisième char était celui de Weber. Le quatrième avait tiré encore avec son canon, plusieurs fois, avant de se taire. Et les poneys en étaient restés là.

Du côté des bois, ils n'avaient ouvert les trappes que bien plus tard, après le départ des cataphractes, pour tenter de se « tirer de là ». Puis ils avaient refermé les trappes presque aussitôt, en sentant les maux de tête et le vertige, et la folie rampante. Et ils avaient préféré brûler un à un dans leurs carcasses.

Hassel gagna le blindé de Mölzer et frappa à la trappe, éleva la voix et fit signe par les optiques, mais n'obtint aucune réponse. Il releva la tête pour observer les lisières où les poneys restaient introuvables. Alors, élevant la voix, le sergent ordonna qu'on lui ouvre, sans quoi il ferait sauter la trappe à la grenade.

Mölzer lui ouvrit enfin.

Un à un les équipages acceptaient de sortir. Ils étaient secoués, pas juste par le combat, épuisés physiquement m'expliqua Hassel. Le sergent les fit descendre des chars et leur dit de regagner les maisons puis, de là, de foncer sur Chavannes au pas de course. Il retint encore Mölzer et lui demanda où était le reste de la compagnie.

Cinq à six cents mètres plus en avant, après les bois.

« J'étais censé faire quoi ? » Me demanda-t-il plus tard, abattu.

Et d'apprendre qu'il n'y avait de toute manière plus grand-monde à sauver là-bas ne lui aurait pas remonté le moral. Mais enfin, sur le moment il songea que c'était déjà mieux que rien et, ne voulant pas se risquer plus longtemps, il fit signe à son groupe de décrocher.

Les cataphractes ne bougeaient toujours pas.

Ils n'attendaient pas sur Low Marsh, et si Low Marsh allait les rejoindre ce n'était pas pour attaquer mais pour leur venir en renfort. Si Hassel avait voulu secourir les autres chars, peut-être même qu'il aurait pu -- sans doute pas, mais quand même. Dans les faits, la garde lunaire était complètement à bout de forces.

Ce n'était pas juste les tirs d'obus et les rafales de mitrailleuses qui s'était abattus sur eux comme de la grêle, ni non plus de devoir galoper dans ces cuirasses noires extrêmement lourdes. C'était le monde humain, lui-même, qui pesait terriblement sur leur effort de guerre. Les cataphractes auraient pu encore charger, mais pour une dizaine d'humains c'était s'épuiser en vain, et cela les aurait obligé à se retirer ensuite, laissant la voie libre aux « voitures » humaines. Aussi Low Marsh, en remontant le bois de Prodon, regarda les humains repartir comme Hammerhead à Gex qui devait se retirer sans combattre, avec la même impression d'impuissance que subissait la brigade en face.

Hassel revint ainsi, sans être inquiété, tout étonné et soulagé, jusqu'aux chars de Condumier et au colonel Hussami qui, ravi et surpris comme lui par cette facilité, se rembrunit en apprenant qu'il restait des chars coincés là-bas.

« Les poneys n'ont pas pu rentrer dans les chars, » observa Hussami, « Philippot devrait être à l'abri. Au moins un temps. »

Le colonel ne comptait pas attaquer. Pour lui, la situation ne changeait pas, c'était au mieux un répit et il voulait désormais un maximum d'espace pour pouvoir profiter pleinement du potentiel de ce qu'il lui restait de son bataillon. Il voulait aussi un maximum d'espace pour pouvoir permettre aux chasseurs bombardiers de faire leur travail, une fois qu'ils seraient en place. Le colonel ne doutait pas que, derrière les promesses de Hassmann, il y avait l'envoi de l'escadrille suédoise Lulea.

En somme, il faisait le pari que le temps jouerait en sa faveur.

Il lui restait à rapatrier les équipages de la compagnie de chars et à leur trouver de nouveaux véhicules. Mais avant cela le colonel serra encore la main de Hassel et lui promit que bientôt lui et ses hommes pourraient se reposer.

Dans le même temps, Freyard et Kossowski toujours à Gex se rendirent compte que les poneys n'avaient pas seulement brisé l'encerclement mais s'étaient complètement retirés. Freyard estima que c'était une victoire et voulut tenir le terrain, voire reprendre Mussy. Kossowski se retint de le frapper. Il aurait voulu retourner sur Chavannes, rejoindre le bataillon, mais sentait la route trop périlleuse et ne savait même plus si Chavannes était encore occupée. Alors, à la place, il convainquit Freyard de se replier sur Mijoux, et de là aussi loin qu'il faudrait pour garder le reste de sa section en vie.

« Vous allez laisser les poneys se répandre, Kossowski ? »

Kossowski rapporta ces mots noirs sur blanc dans son rapport, sans un mot de plus, ce qui suffisait à décrire l'état d'esprit. Freyard, comme Spezzia, imaginait un flot continu de poneys qu'il fallait arrêter avant qu'il ne soit trop tard. Kossowski, comme Hussami, considérait que c'était déjà trop tard, que depuis Gex de toute manière ils ne pouvaient rien faire et que si les poneys revenaient, ils ne pourraient pas se défendre. Il allait donc se replier et attendre les renforts.

Ce fut Freyard qui l'emporta, en donnant un compte à rebours. Ils allaient tenir pour laisser Pumley bombarder Sauverny, jusqu'à ce que les poneys reviennent ou que Pumley n'ait plus de munitions.

La princesse Luna revenait alors au camp qui commençait à prendre forme, les tentes s'alignant larges et vastes avec leurs couleurs pourpres ou bleu nuit, les volontaires oeuvrant de tous les côtés, effaçant ceux de la garde qui les défendaient.

Aux côtés de Beautysleep la princesse ramenait plus de quarante blessés à la trentaine déjà sur place, si bien que le dispensaire à peine déployé se trouvait déjà débordé.

Applejack alla trouver Luna, grimaça en voyant les files de blessés portés à dos ou soutenus péniblement et demanda à la princesse ce qui se passait. À ses yeux comme à ceux de nombre de volontaires, cette expédition tournait au massacre. « Pourquoi qu'on utilise pas toutes ces armes, là, les harpes et tout ? » Et elle voulait, avec son corps de cent poneys, se porter à son tour au front, repousser les humains et en finir.

La princesse la regarda d'un air froid.

« Tu parles comme si nous étions en guerre. » Observa-t-elle doucement.

« Et ça ! » S'exclama la jeune terrestre. « Tout ça, vous app'lez ça comment ? »

« Un malentendu. »

Et elle prévint Applejack de ne rien tenter. Cette dernière s'insurgea et battit du sabot. Elle ne comprenait rien à la situation, elle se demandait pourquoi tous les poneys n'étaient pas en train d'attaquer, pourquoi ils se dispersaient, pourquoi ils amenaient des armes si ce n'était pas pour les utiliser.

La princesse ne comptait pas répondre et se détournait déjà quand les obus de mortier tombèrent à nouveau sur le mont Mussy, secouant la nuit de leurs déflagrations.

Les explorateurs étaient revenus vers Pumley et ce dernier, une fois avec ses instructions, rassuré de savoir qu'une section était toujours entre lui et les poneys, avait commandé un premier feu de huit coups sur le mont Mussy -- huit coups par blindé, donc vingt-quatre au total -- puis un feu continu, tant qu'il aurait des munitions, sur Sauverny. Et pour s'en assurer il avait envoyé les explorateurs lui récupérer les munitions du dépôt de Mijoux, « de quoi voir pointer l'aube » sourit-il avant de reprendre ses calculs. Sauverny était tout juste hors de portée de ses canons, mais cela revenait au même, il bombarderait les champs aussi loin que ses obus pourraient aller. Cela ne lui prit qu'une minute à griffonner.

Luna observa le mont Mussy, une fois le feu achevé, les fines colonnes noires s'élevant de la colline désertée -- à part pour un pégase et quatre humains, oubliés de tous.

« Je ne connais pas cette magie. » Admit la princesse.

« J'croyais qu'les humains avaient pas d'magie ? » S'étonna Applejack.

La princesse eut un sourire amusé. « C'est une façon de parler. »

Ironiquement, puisque les champs à l'est avaient été occupés par les blessés, les volontaires avaient monté les tentes à l'ouest de la tour de siège, plus proche des mortiers. Ils plantaient alors les derniers piquets, sécurisant plus de trois cents carré de terrain, du portail en direction de Prodon et Grilly. C'était moins vaste que ça, mais cela formait une grille flamboyante par-dessus les flammeroles habituelles, et tout cet espace était comme illuminé, effaçant même les lumières au loin des villages.

« J'irai voir les humains. » Reprit Luna.

« C'est d'la folie ! » S'exclama encore Applejack.

Non non, je n'invente pas, et si cela vous semble enfantin, au final, à quoi fallait-il s'attendre ? Ça reste, après tout, des poneys.

« Peut-être que ma soeur a raison et qu'ils peuvent être raisonnés. » Elle jeta un regard à Applejack. « Peut-être. »

« Y vont vous tirer d'ssus et vous enfermer et faire des expériences sur vous, ouais ! Z'avez lu les bouquins ? C'est c'qui s'passe à chaque fois ! »

La princesse ne répondit rien.

Pumley avait fait tourner ses mortiers sur Sauverny, prêt à tirer, les obus chargés dans les tubes si bien qu'il n'avait plus qu'à en donner l'ordre. Il songeait à la section restée à Gex, encerclée par les poneys, et il aurait voulu demander aux explorateurs d'y retourner. À défaut, le lieutenant tenta encore de contacter Oyonnax à la radio, en vain évidemment -- si ce n'était pas la distance, c'étaient les collines -- puis Gex ou même Chavannes. Et n'obtenant toujours pas de réponse, après un regard à sa montre, le lieutenant observa le bleu flamboyant du portail.

Pourquoi hésitait-il ?

Il se disait que c'était pour ne pas révéler aux poneys jusqu'à quelle distance il pouvait tirer. Il se disait que peut-être que le bataillon avait déjà poussé jusqu'à Sauverny et qu'il risquait de tirer sur des humains. Il se disait qu'avec un feu continu il suppliait les poneys devenir lui mettre une rouste.

Mais la raison véritable, c'était qu'il ne défendait plus personne.

Il avait tiré par deux fois sur Mussy pour en déloger les poneys, protéger Freyard et Aguilar, repousser l'ennemi. Tirer sur Sauverny, c'était juste… différent. Il soupira et donna l'ordre.

À nouveau les mortiers tonnèrent dans la nuit. Les humains les entendirent, les poneys également. Ils ne s'en soucièrent pas. Ils ne pouvaient pas imaginer, une seule seconde, après avoir été tranquilles si longtemps, que les humains puissent tirer à cette distance. Il était alors presque quatre heures du matin. Près de trois cents poneys étaient massés dans les champs de Sauverny. La princesse Luna, toujours aux côtés d'Applejack, observait les champs et les lumières du côté du mont Mussy. Elle se rendit compte que les sifflements d'obus s'approchaient, écarquilla les yeux et réagit une seconde avant que la première salve ne s'abatte au coeur des tentes, démontant les mâts, crevant la terre et faisant voler les poneys comme des poupées de chiffon. Et tandis qu'elle se retournait pour faire face aux flammes et à la fumée noire, aux cris et à la fuite de ses sujets, elle entendit les canons qui tonnaient toujours et les sifflements.

Depuis mon char, malgré le bruit du moteur et de nos chenilles qui démolissaient l'autoroute, j'aurais juré les entendre. À quatre heures du matin, enfin, nous ripostions.

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