Ils sont tous là, à me fixer avec outrage. Et derrière eux, d’autres rebuts plus nombreux encore attendent impatiemment la sentence. Même pour le mariage royal de la princesse Cadence et de Shining Armor, les péquenauds n’étaient pas venus si nombreux pour admirer le spectacle. Quelle cruauté de préférer se délecter du malheur des autres...
Sans vraiment parvenir à dissimuler un rictus de mépris – qu’ils méritent amplement –, je m’efforce de me tenir droit, malgré des heures passées debout, afin de montrer l’exemple au petit peuple. Mais comme pour me décevoir davantage des conditions déplorables de ce procès, l’agitation dans le tribunal s’intensifie. Sans condescendre tourner la tête, je louche néanmoins vers la source du problème, certain d’y trouver un juge excité et effrayé de condamner une personne de mon rang.
Cette fois, j’ai un peu plus de mal à retenir un petit rire. Un seul n’aurait sans doute pas eu le courage après tout. Non, il n’y a pas un juge qui arrive jusqu’à son piédestal à travers une haie d’honneur. Ils sont sept. Sept courageux gaillards du Keep Kingdom Klan : en tunique blanche, portant chacun une cagoule du même tissu qui pointe au-dessus de leurs têtes. Avec leurs visages et leurs cutie marks ainsi voilés, ils ne risquent aucune représaille. Je suppose naturellement que cela prouve qu’ils me craignent. Cela est drôle, car moi, ils ne me font pas du tout peur.
Un des gardes qui me collent au train depuis ce matin comme des courtisanes me pousse brusquement vers ma barre d’accusé. J’encaisse le coup sans perdre mon équilibre – ce qui devait être son but – et m’avance d’un pas digne. J’en profite pour regarder un peu mieux ceux qui sont venus dans l’espoir de me voir perdre la face. Dans un élan de bonté qui me stupéfait moi-même, j’adresse mon plus beau sourire aux quelques juments bien habillées qui en valent la peine ; une pouliche est même si mignonne qu’elle pourrait être ma petite sœur !
C’est une belle journée, et mes sept juges me font enfin face. L’un d’eux s’amuse à taper du marteau pour rétablir le silence, ce dont je lui suis gré. Un autre prend la parole.
« Prince Blueblood…
— Oui ? réponds-je poliment.
— Ne m’interrompez pas, s’il vous plaît. Prince Blueblood, en raison des circonstances dues à votre rang et de la gravité de votre crime, nous serons les juges durant ce procès. De plus, personne n’ayant voulu prendre votre défense, vous serez votre propre avocat. Des questions ? »
Oh ? Alors c’est du “seul contre tous” ? C’est comme cela que s’y prennent les faibles, après tout. Encore une fois, ils prouvent qu’ils me considèrent comme supérieur. J’ai beau savoir qu’ils ont raison, voir l’adversaire se mettre de lui-même à plat ventre est d’un ennui…
« J’en ai bien une.
— Nous vous écoutons.
— Je suis sûr que cela est dû à un malencontreux oubli, mais je n’ai rien eu à boire depuis mon arrivée. Aussi, me serait-il permis d’avoir un rafraîchissement ? »
Et toc. Si un membre de la famille royale se laissait si facilement déstabiliser par le commun, le monde ne tournerait plus rond. Je prends mon temps pour siroter ma limonade, faisant ainsi poireauter mes juges qui ne peuvent rien y changer. L’un d’eux – le numéro 4 – semble cependant trouver le temps long.
« Prince Blueblood ? Vous avez terminé ?
— Mais je vous en prie, commencez donc. »
J’adresse un gentil sourire à ces faces encapuchonnées en guise de bonne foi mais rien ne les ébranle. Numéro 3 reprend :
« Prince Blueblood, nous, membres attitrés du Keep Kingdom Klan, allons vous juger en toute équité sur vos actes de la nuit de mardi à mercredi dernier. »
Maintenant que j’y pense, je ne vois aucune de mes tantes dans le public. Est-ce par honte de voir leur charmant neveu se faire déchoir, ou bien… ? Les voir m’enchante toujours mais il vaut peut-être mieux qu’effectivement elles n’assistent pas à cela. Mais il faut qu’elles sachent. Elles ont un peu trop tendance à oublier leur rang, et le fossé qui nous sépare des autres.
« Prince Blueblood, vous êtes accusé de diffamation, lynchage et torture sur la voie publique. Afin de considérer ces faits en toute impartialité et établir une sentence en conséquence, nous vous demandons d’expliquer vos gestes.
— Bien. »
Je m’en souviens parfaitement, chaque détail venu assombrir cette nuit claire est resté gravé dans ma rétine.
***
Je rentrais très tard d’une soirée mondaine dans Canterlot, escorté de quelques gardes. C’était une belle nuit. La lune devait être aux trois-quarts et les étoiles se découpaient nettement de la toile nocturne; quelques nuages noirs venaient compléter le tableau. L’air était tiède et je rentrais au palais d’une bonne soirée. C’était définitivement une belle nuit.
Mais il fallut qu’un crève-la-faim m’accostât à hauteur du portail, pleurant qu’il avait une famille à nourrir.
« Dites, vous avez un travail ?
— Euh, oui mais…
— Eh bien travaillez mieux, vous serez mieux payé. »
Il m’énervait. Ils m’énervaient tous, ceux des bas-fonds, à toujours se plaindre pour les mêmes raisons sans essayer de changer quoi que ce fût d’eux-mêmes. Je m’apprêtais à rentrer en le laissant s’apitoyer sur son sort lorsqu’un « Votre Altesse ! » me fit me retourner. Lame au clair, il s’était précipité sur ma royale personne afin de m’assassiner et, si l’un de mes gardes ne s’était interposé, il aurait sûrement réussi son coup. Le fait qu’il eût un couteau prouvant que cette agression était préméditée, je le lui pris et, après avoir ordonné à mes subordonnés de le maintenir et le bâillonner, lui exprimai ma façon de voir les choses. Mon but n’étant bien sûr pas d’occasionner sa mort – je ne suis pas un meurtrier voyons –, je fis en sorte qu’il se repentît dans les larmes et la douleur, après avoir perdu toute dignité. Il me fallait frapper un grand coup afin qu’il ne fût jamais tenté à nouveau de prendre cette voie de violence.
Je retournai donc son arme contre lui et inscrivis dans sa chair la brûlure de ma colère. Mais ses cris n’étaient que pathétisme et suppliques larmoyantes ; il me hurlait sa peur de la mort sous le sabot qui l’étouffait. Sa réaction primitive, née de la danse de la lame dans sa peau et de l’égouttement vermeil qui en résultait, empestait l’affolement, la sueur et le fer. Je m’arrêtai, hypnotisé par le tableau paradoxal auquel je prenais part : le clair de lune, sombre et pur, venait éclairer le spectacle dégoûtant de ce poney poisseux qui semblait d’un coup oublier ses idéaux.
« Votre famille est-elle aussi misérable que vous ? Votre femme vend-elle son corps pour pallier à ce que vous ne pouvez lui apporter ?
— P… pitié…
— Vous allez cesser de gémir ? Il me semblait que vous veniez plaider la cause de votre lamentable famille. Vous ne vous en souciez plus ?
— Je vous en supplie, laissez-moi partir… je ne vous importunerai plus jamais.
— Il me semble vous avoir posé une question.
— Oui, je… mais… »
Il rampait à mes sabots, bredouillant, haletant.
« Je ne peux plus. J’ai essayé, j’ai fait de mon mieux mais ça n’a pas suffi...
— Vous avez donc projeté de m’égorger.
— NON ! Non. Je voulais juste…
— Vous vouliez juste quoi ? »
Je lui décochai un coup dans l’estomac sans tenir compte de ses plaintes.
« Vous n’avez pas été fichu de remplir votre devoir, alors vous vouliez juste détrousser une personne royale, comme si cela pouvait régler le problème ? Écoutez-moi bien, sale ordure de miséreux, un poney digne de ce nom, s’il ne satisfait pas sa famille en se donnant à cent pour cent, alors il se donne à deux cent pour cent. Il ne se laisse certainement pas abattre par les aléas de la vie, quelque soit son rang, car il est alors trop faible pour être un vrai poney. »
Je continuais de le rosser afin que chaque parole pénétrât sa chair à chaque coup. Peut-être, peut-être qu’un jour il deviendrait un poney qui n’irait pas se pendre aux basques des gens qui avaient réussi leurs vies. Je savais bien que quelques fous avec le cœur sur le sabot aimaient dilapider leurs fortunes pour tenir celui des pauvres, mais si tous ceux de la haute société faisaient de même, ils nous voleraient sans mérite notre place.
Après un temps qui dut lui paraître interminable et durant lequel aucun de mes gardes n’osa proférer un mot, je le laissai partir – puisqu’il arrivait encore à marcher. J’ordonnai à mes sentinelles de rentrer avant moi pour contempler seul la vision de cet être accablé se fondant dans l’obscurité de la ville. Pendant un long moment, j’écoutais le bruit inégal de ses sabots retentir dans le silence nocturne jusqu’à ce que le calme régnât de nouveau.
***
Je constate avec satisfaction que ce même calme plane à présent dans tout le tribunal. Mes sept juges et les spectateurs semblent retenir leur souffle, captivés comme de juste par mon récit ; sauf qu’ils attendent une suite qui ne viendra pas. La tête haute et les yeux clos, je patiente pendant que les capuches immaculées délibèrent de mon sort. Après maints chuchotements, numéro 1 me fait part de leur verdict.
« Prince Blueblood, votre version des faits concordant avec les témoignages reçus, nous avons établi votre sentence.
— Pour les actes de diffamation, lynchage et torture mentionnés précédemment, continue numéro 2.
— Et en tenant compte de votre statut particulier, enchaîne numéro 3.
— Nous vous condamnons à quinze ans de détention dans le centre pénitencier de Canterlot. »
J’ai entendu dire qu’un poney s’est évadé de ce centre quelques mois auparavant, le tout sans laisser la moindre trace derrière lui, pas même son identité.
Numéro 5 prend la suite de numéro 4.
« Vous aurez un droit de visite variable selon votre comportement, ainsi qu’un accès à la bibliothèque pénitentiaire.
— L’usage de la magie ne vous sera ni autorisé, ni possible. »
Numéro 6 a l’air d’un sacré rabat-joie.
« Je vous conseille de réfléchir à ce que vous avez fait, prince Blueblood. Il serait dommage que ce genre d’évènement se réitère. L’accusé ayant reçu son jugement, la séance est levée ! »
Numéro 7 s’amuse à taper du marteau de bois pour montrer qu’il contrôle la situation puis mes géôliers m’amènent vers ma nouvelle demeure pour ces quinze prochaines années. Je regarde en arrière pour voir ce que font les membres du KKK : ils s’en vont en file indienne, sûrement fiers et soulagés d’avoir pu mener ce procès à bien sans protection ni contestation de ma part. Ils iront bientôt se vanter partout de leur exploit, auront une renommée parmi les leurs puis la population, et n’oseront toujours pas me faire face à ma sortie.
Les regarder partir me fais penser à celui que j’ai laissé filer cette nuit-là, et fait ressurgir ce que je n’ai pas dit. Comme le fait que j’avais déjà vu ce poney commettre des petits larcins sans que l’on parvienne à l’attraper, qu’il savait que ma compagne m’avait quitté la veille et m’avait suivi après avoir vu la scène – pensant que je le prendrais en pitié –, ou encore que j’avais entendu mes gardes me dénoncer.
Je me demande comment le poney qui m’a agressé se porte. Il n’est pas venu, ce que je regrette. Quelque part, j’espère le revoir un jour, devenu un poney honorable.
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