La nuée rouge et or dansait avec lenteur dans le noir, floue et lointaine. Par moment, elle se ramassait sur elle-même pour former un disque, qui se dissolvait aussitôt. Il semblait à Maxime qu’il lui aurait suffi de tendre le bras pour plonger la main dans l’amas coloré, mais quelque chose qu’il ne voyait pas l’empêchait de bouger. Un chat brun-jaune aux côtes saillantes et au regard mauvais se frottait avec insistance contre ses chevilles. Lorsque Max tenta de le repousser, un paire d’ailes de cuir se déploya dans le dos de l’animal, qui s’éleva jusqu’à lui en crachant. Derrière le félin, le nuage tournoyait comme une auréole. Avec un rugissement démoniaque, le chat ouvrit une bouche grande comme celle d’un requin et goba l’humain tout entier. La dernière chose que Maxime vit fut le cercle écarlate, dans lequel le rouge et le jaune se liaient comme le yin et le yang. L’instant d’après, il ouvrit les yeux.
En général, dans pareille circonstance, la migraine le frappait avec la force d’un boulet de canon à la seconde même où il ouvrait les paupières. Il les referma aussitôt, anticipant le choc, mais il n’eut à subir que l’assaut d’un mal de crâne plutôt moyen, qui ne lui arracha qu’une légère grimace. Il attendit un moment, paupières closes, que le reste le frappe, mais rien ne vint. Sa gorge, d’habitude sèche comme le Sahara, le faisait elle aussi nettement moins souffrir qu’à l’ordinaire. Yeux toujours fermés, il sonda le reste de son organisme à la recherche d’autres symptômes, mais les signes de gueule de bois étaient tous bien moins alarmants que d’habitude en pareil matin. Étonné mais satisfait, Maxime sourit, détendu. Il faisait déjà jour, mais la seule lumière qui arrivait à lui était une lumière atténuée, douce, filtrée de tout ce qui pouvait la rendre agressive. Le lit dans lequel il était couché était particulièrement confortable. Les draps, légers et soyeux, l'enveloppaient dans une tiédeur cotonneuse de laquelle il aurait été bien désagréable de devoir s'extraire. Il n’avait aucune idée d’où il pouvait se trouver ni de comment il y était arrivé, mais il était bien décidé à en profiter encore un peu. Il lui semblait entendre, quelque part près de lui, un faible tintement éthéré qui lui apaisait l'ouïe. Paupières toujours closes, il laissa ses jambes s’étirer sous les draps. Il pensait pouvoir les étendre jusqu’à atteindre le bord du lit, mais à mi-chemin son genou toucha quelque chose. Quelque chose couvert de pelage. Quelque chose de chaud. Quelque chose de vivant.
Dans un éclair d’adrénaline, Maxime ouvrit les yeux, tous les nerfs en alerte. Il reconnut les appartements de Luna, ainsi que l’étrange baldaquin en forme de croissant qui ornait le lit de la princesse, au dessus de lui. Sur la table à côté, les cadavres des bouteilles qu’ils avaient vidées ensemble gisaient encore. Un frisson à lui glacer le sang lui parcourut l’échine. La bouche tordue dans un cri muet, il tourna lentement le regard vers l’autre côté du lit.
L’alicorne bleue, douillettement installée dans les draps, sommeillait toujours, immobile, détendue. Maxime, envahi par la panique, s’interdit de faire le moindre geste. Alors que les pensées les plus incongrues lui envahissaient l’esprit, la migraine revint à la charge, rapidement suivie par tous les autres maux de la gueule de bois. Pris d’une brusque nausée, il sortit des draps aussi délicatement que possible, en veillant bien à ne pas toucher un seul des poils de l’alicorne. Ses chaussures à la main, il se dirigeait à pas de loup vers la sortie quand il aperçut, postée en haut d’un meuble, quelque chose qui lui glaça à nouveau le sang. Dans ce qui restait d’ombre au sommet de l’armoire, les iris brillants d’un batponey étincelaient. Midnight Shadow sourit. Maxime, au bord de la crise, lui adressa le regard le plus haineux dont il était capable, accompagné d’un index menaçant. Le rictus de la garde s’élargit. Maxime plia le doigt vers lui pour lui faire signe de s’approcher. Avec une lenteur lascive, elle se pencha par dessus le bord de l’armoire, son visage à quelques dizaines de centimètres du sien. Les yeux dans les yeux, Maxime se désigna lui-même, puis Luna, puis Midnight, avant de se sceller les lèvres puis de se passer le pouce sur la gorge. Le rictus de la ponette chauve-souris se radoucit. Max la fixa avec rage encore quelque secondes avant de reprendre sa route silencieuse vers la porte, rompue seulement par les craquements de ses os, sous le regard brillant de la ponette ailée.
Le soleil était déjà levé depuis au moins une heure, cependant les couloirs de cette partie du château étaient encore déserts. Malgré cela, Maxime rasait les murs, silencieux, scrutant chaque intersection, se figeant au moindre bruit. Sa priorité était de retrouver le chemin de sa propre chambre, puis celui des toilettes et de la salle de bain. Malheureusement, les couloirs de marbre au sol dallé se ressemblaient tous et il ne reconnaissait aucun détail qui aurait pu l’aider à s’orienter. Le couloir qui s’ouvrait devant lui, décoré d'alcôves et de chandeliers, semblait s’étirer sur au moins cent mètres sans en croiser aucun autre. Alors que Maxime, toujours tapis contre le mur, méditait sur la direction à prendre, un léger souffle tiède lui caressa la nuque.
- Alors, perdu ?
Maxime crut qu’il allait faire une attaque. Dans un réflexe fulgurant, il attrapa le chandelier le plus proche, bondit pour faire demi-tour et le brandit par dessus son épaule, prêt à frapper. Quand ses sens brouillés reconnurent celle qui lui faisait face, l’alerte retomba. Avec une moue d’exaspération, il reposa le chandelier à sa place. En face de lui, Célestia sourit, amusée.
- Vous semblez chercher votre chemin, messire Maxime, reprit-elle, riante. Voulez-vous que je vous indique la direction ?
- Non merci, ça ira, grinça Max.
- Cela fait pourtant plusieurs minutes que je vous suis et j’ai l’impression que vous ne savez pas où vous allez, répondit l’alicorne avec un plissement de paupière taquin.
- Je sais très bien où je vais, fit Max en se remettant en route.
- Je crains hélas que non, insista Célestia, de plus en plus amusée. Car, voyez-vous, au bout de ce couloir, ce sont mes appartements.
Maxime s’arrêta, pied encore levé, puis pivota du talon et revint vers Célestia, en veillant bien à ne pas croiser son regard. L’alicorne blanche étincelait.
- Laissez-moi vous guider jusqu’à votre chambre, roucoula-t-elle en lui emboîtant le pas. Nous pourrons en profiter pour bavarder un peu. Je regrette de ne pas vous voir plus souvent à Canterlot, Twilight et vous. Ne pourriez-vous pas rester un peu plus longtemps, cette fois ? J’en serai tellement ravie !
Maxime grinça des dents. Entre sa gueule de bois et ce qu’il avait découvert en se levant, bavarder avec la jument blanche était la dernière de ses priorités. Celle-ci pourtant, loin de s’offusquer du silence dans lequel se murait l’humain, continuait à gazouiller comme un oiseau dans son arbre.
- Je n’ai pas croisé ma sœur Luna, ce matin, fit-elle elle remarquer innocemment. J’ignore ce qu’elle a bien pu faire cette nuit.
Maxime se garda bien de manifester la moindre réaction, malgré la goutte de sueur qui lui roula dans le dos. Le ton de l’alicorne lui paraissait un peu trop béatement naïf pour être parfaitement authentique.
- Toujours est-il que j’ai dû faire se coucher la lune à sa place, continua la jument. Non pas que cela m’empêche de lever le soleil ensuite, mais je préfère éviter tout motif d'inquiétude parmi mes sujets. Vous vous êtes sans doute déjà aperçu que certains d’entre eux pouvaient se montrer légèrement... superstitieux.
- Oh, ça va, à d’autres... ronchonna Max, sans se gêner pour l’interrompre.
Célestia, étonnée mais ravie, lui adressa un large sourire.
- Vous êtes bien indulgent avec eux, messire Maxime. Je suis enchantée de vous l’entendre dire.
- Mais non, pas ça ! s’énerva Max. Votre lune et votre soleil, là...
Cette fois, l'expression étonnée de Célestia ne s'accompagna d’aucun sourire.
- Que voulez-vous dire par là ?
- Oh, vous le savez bien, fit-il en fronçant le nez. Ça marche peut-être avec les gogos qui vous servent de sujets, mais pas avec moi.
L’alicorne l’observa attentivement, sourcil levé.
- Dois-je comprendre que vous mettez en doute le pouvoir que ma sœur et moi exerçons sur nos astres ?
- Écoutez, j’ai fait de la physique, je sais ce qui fait bouger le soleil, et c’est pas un cheval qui parle, répliqua Max en brandissant l’index vers le poitrail de la jument. Si vous arrivez à faire gober ces salades aux autres, tant mieux pour vous, mais épargnez-moi ce genre de truc.
- Les choses sont peut-être différentes là d’où vous venez, mais c’est ainsi qu’elles sont ici, déclara la princesse avec douceur.
- Ça va, pas la peine de faire semblant, j’ai compris. Il faut bien que les ploucs se tiennent tranquilles, alors vous leur faites gober vos bobards et tout le monde est content. Je ne peux pas vous en vouloir, ça se fait aussi chez moi ; mais soyez gentille de me l'épargner à moi.
- Je reconnais que la paix et la tranquillité du royaume nécessitent parfois quelques petits… arrangements avec la vérité, avoua Célestia, rictus en coin, mais je vous assure que, dans ce cas-ci, il n’y en aucun.
- Vous vous fatiguez pour rien, je ne suis pas si débile que ça.
- Bien loin de moi cette idée, roucoula Célestia. J’aimerais au contraire pouvoir vous convaincre.
- D’accord, alors prouvez moi que vous le faites bouger, le soleil, répliqua Maxime, doigt en l’air. Faites-le donc se coucher, là, maintenant, tout de suite !
Il pointa le doigt en direction de la fenêtre la plus proche, où trônait l’astre du jour. Célestia battit des cils.
- Nous sommes en plein jour, cela inquiéterait mes sujets.
- La bonne excuse…
- C’en est une, répliqua-t-elle calmement. Luna et moi avons pour mission de lever et coucher nos astres aux heures prévues. Si nous en déviions, cela pourrait créer la panique dans le pays. Pourquoi ne venez-vous pas plutôt assister au coucher de soleil de ce soir en ma compagnie ? Vous pourrez me voir le faire de vos propres yeux.
- C’est que de la mise en scène. Si je danse en rond en haut d’un toit jusqu’à ce que le soleil soit couché, est-ce ça veut dire que c’est moi qui l’ai fait ?
- Cela ne veut pas non plus dire que ce n’est pas vous, le taquina la princesse. Venez donc me rejoindre ce soir, et vous verrez.
Maxime ne put déterminer si elle l’avait fait exprès, mais une des vagues de sa crinière vint alors lui recouvrir le visage, lui bloquant la vue. Le temps qu’il s’en dégage, Célestia s’était déjà éloignée. Il la poignarda du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse à l’angle, puis se mit à son tour en route.
- Le couloir sur votre droite ! lança-t-elle avec éclat.
Avec un grincement de dents, Maxime fit demi-tour et prit la route indiquée, accompagné par le rire clair et cristallin de l’alicorne.
***
- Encore un peu de café, Mlle Sparkle ?
La ponette mauve, corne pointée vers la table, mit quelques secondes à réagir. Avec un clignement de paupières douloureux, elle posa lentement ses cernes sur le serveur, écrasée par la migraine. Sans faire de commentaire, l’étalon tendit la cafetière vers la tasse et la remplit jusqu’au bord. La jeune princesse articula un merci muet et tremblant, puis ferma les yeux de douleur.
La grande salle à manger était presque vide, désormais, cependant les domestiques avaient eu la délicatesse de laisser sur la table de Twilight tout ce dont elle pouvait avoir besoin pour son petit déjeuner. Pour l’heure toutefois, la seule chose sur laquelle elle pouvait poser le regard sans sentir son estomac remonter était le liquide noir qui emplissait sa tasse. Vu la mélasse dans laquelle baignait son cerveau, il était exclu ne serait-ce que de penser à se servir de sa magie, ce n’est donc qu’au bout de plusieurs essais qu’elle réussit à passer la patte dans l’anse pour la porter, tremblotante et vacillante, jusqu’à ses lèvres. Quand elle la reposa, un vague frisson de soulagement lui parcourut le corps. Du coin de l’œil, elle venait d'apercevoir Maxime surgir du couloir et traverser la pièce dans sa direction. Avec un raclement qui lui perfora le crâne jusqu’au bulbe, il tira le banc d’en face pour s’asseoir devant elle.
- Si tu fais la moindre remarque, je te fais jeter au cachot, parvint-elle à articuler.
Elle s’attendait déjà à une réplique cinglante, mais Maxime semblait à peine la remarquer. Il attrapa distraitement une biscotte puis tourna les yeux vers la fenêtre, pensif.
- Sache que je te tiens pour personnellement responsable de tout ce qui s’est passé hier soir, ajouta Twilight.
- Mhh, d’accord, si tu veux...
Twilight fronça le museau. Le peu de réaction de l’humain l’étonnait. Allait-il vraiment laisser passer cette extraordinaire occasion de lui renvoyer à la figure les sermons qu’elle-même ne manquait jamais de lui adresser en pareille occasion ? Allait-il ignorer cet improbable retournement de situation et la laisser subir son mal en paix, sans même un sourire moqueur ? Elle qui s’était préparée depuis son douloureux réveil à essuyer moqueries et sarcasmes, allait-elle en être dispensée ? C’en était presque vexant.
Le bipède, sa biscotte en main, continuait pourtant à fixer la fenêtre en silence, plongé en pleine réflexion, l’air vaguement contrarié.
- Rassure-moi, tu n’y crois pas, toi, pas vrai ?
- Ne pas croire en quoi ? marmonna Twilight, énervée.
- Que c’est Célestia qui fait bouger le soleil.
Twilight sentit sa migraine repartir à l’assaut. Elle soupira.
- Qu’est-ce que tu racontes encore ? Bien sûr que c’est elle qui le fait.
- Ça va, pas besoin de faire semblant. Tu peux me le dire, tu sais.
- Mais de quoi est-ce que tu parles ?
Avec un grand soupir, Maxime quitta la fenêtre des yeux et se pencha vers elle.
- Écoute, je sais ce que vous faites, susurra-t-il. Vous leur faites gober des histoires pour qu’ils se tiennent tranquilles et qu’ils ne se posent pas trop de questions. C’est classique ça se fait partout. Je comprends, alors arrêter votre numéro avec moi. C’est gonflant !
Twilight, la lèvre pendante, se prit la tête dans les pattes.
- Écoute, tu ne veux pas garder ça pour un autre jour ? Je ne suis pas en état aujourd’hui.
Maxime souffla, agacé. Il laissa son regard se promener dans la salle, où quelques serveurs s’affairaient déjà à préparer les tables pour le repas de midi. Du côté de l’entrée, deux pégases en armure gardaient la porte. Plus loin, dans un des couloirs, un jeune terrestre habillé en page galopait, une lettre à la bouche. Étaient-ils tous assez idiots pour croire ces bobards ? Le doute ne les avait-il jamais effleurés ? Ou alors faisaient-ils tous semblant ? Plus il y pensait, plus les questions le démangeait. Et si, dans ce monde sans queue ni tête, il en allait réellement ainsi ?
Twilight, le museau plongé dans le café, grimaça à nouveau quand les pieds du banc raclèrent les dalles. Avant de partir, Maxime l’observa quelques secondes, jusqu’à ce qu’un rictus apparaisse sur ses lèvres.
- Tu t’en es bien sortie, hier soir, dit-il en lui ébouriffant la crinière. Je suis fier de toi.
Twilight le laissa faire, trop patraque pour protester. Elle attendit qu’il soit parti pour passer distraitement son sabot dans ses crins, avant de reprendre sa tasse. Entre les grincements de dents et les grimaces, un petit sourire s’était glissé sur son visage.
***
Les sabots claquaient au sol. Les plaques d’armures cliquetaient les unes contre les autres. À l'extérieur, un clairon sonna. Une dizaine de gardes, plastron étincelant, traversaient la cour au trot, lance à la patte, prêts pour l’exercice.
À l’intérieur, dans le petit salon de la caserne, quelques soldats profitaient de leur heure de pause, loin du tumulte. Autour de la table, plusieurs d’entre eux, solaires et lunaires mêlés, écoutaient distraitement l’étrange personnage installé au centre. En face de lui, Midnight Shadow fronça les sourcils.
- Célestia fait se lever le soleil et Luna fait se lever la lune. Tout le monde le sait.
- Tout le monde le croit !
- Parce que c’est vrai.
- C’est ce qu’on te dit, mais est-ce que tu les as déjà vues le faire de tes propres yeux ?
- Bien sûr que oui, elles le font tous les jours.
- Mais as-tu la moindre preuve que ce sont réellement elles qui les font bouger ? Comment peux-tu être certaine qu’elles ne font pas semblant ?
La ponette chauve-souris cligna des yeux. Le demi-sourire entendu de l’humain lui donnait envie de se gratter la tête. D’autres, cependant, semblaient d’un autre avis.
- Insinueriez-vous que nos princesses nous mentent ? trancha une voix d’étalon, sèche et menaçante.
Maxime ignorait comment fonctionnaient les grades chez les poneys, mais l’armure mauve qu’arborait celui-là indiquait clairement qu’il s’agissait d’un officier. Ce dernier, casque sur la tête, le fusillait du regard. Max, ravi, se pencha vers lui, paupières plissées.
- Peut-être bien. Comment pouvez-vous en être sûr ?
L’étalon, outré, bomba le torse autant qu’il put, le regard noir.
- Écoutez, monsi… enfin, qui que vous soyez. Je vous interdis de remettre en cause les pouvoirs de nos princesses. Elles sont nos souveraines, leurs pouvoirs sont infinis, et elles ne mentent jamais !
- Oh, comme c’est mignon ! se moqua Maxime. Mais dis-moi, si tu en est si sûr que ça, pourquoi est-ce que ça te dérange d’en discuter ? Si tu en étais absolument certain, tu ne devrais rien avoir à craindre, pas vrai ?
L’officier, désarçonné, fit un pas en arrière. De l’autre côté de la table, Midnight Shadow souffla.
- Bon, et même si ce n’était pas le cas, qu’est-ce que ça changerait ?
Maxime se gratta le menton. Il était temps de changer de stratégie. Autour de lui, les autres gardes s’étaient rapprochés, curieux de l’entendre. Il les parcourut du regard, confiant, avant de s’éclaircir la gorge.
- Est-ce que vous connaissez l’histoire du coq qui croyait que c’était lui qui faisait lever le soleil ?
Le silence qui s'ensuivit lui indiqua que non. Il se redressa avant de reprendre.
- Le coq chante tous les matins au moment où le soleil se lève. Comme il se passe la même chose à chaque fois, il finit par croire que c’est parce qu’il chante que le soleil se lève, et tous les autres animaux de la ferme le croient aussi. Sauf qu’un jour, le coq se réveille en retard et, quand l’aurore arrive, il n’est pas là pour chanter. Alors, à votre avis, qu’est-ce qui se passe ?
Les gardes le regardèrent, étonnés, certains se grattant la tête, d’autres le fixant sans rien dire.
- Et bien, hem… le soleil va se lever en retard ? suggéra l’un d’eux.
- Et pourquoi se lèverait-il en retard ? questionna Maxime en le pointant du doigt.
- Parce que… c’est un coq magique ?
- Non, c’est un coq normal. Alors ?
- Mais… le soleil ne peut pas ne pas se lever, quand même ? se demanda un autre.
Le sourire de Maxime s’élargit. Ça marchait.
- Non, il ne peut pas ne pas se lever. Et il va se lever à l’heure prévue, que le coq chante ou pas. Et vous savez pourquoi ? Parce que le coq ne fait rien du tout ! Il chante juste au bon moment, mais ça ne change rien ! Le soleil se lève même s’il ne chante pas, vous pigez ?
La plupart ne semblaient pourtant pas avoir tout saisi. Maxime enchaîna.
- Imaginons que je me mette à chanter tous les matins pile à l’heure du lever de soleil ; est-ce que ça veut dire que c’est parce que je chante qu’il se lève ?
- Mais vous n’êtes pas une alicorne !
- Ni un coq !
- Mais ni une alicorne ni un coq ne peut faire ça ! Ce n’est que de la mise en scène ! Vous ne trouvez pas ça étrange qu’elle ne couche le soleil qu’au moment précis où le soleil est censé se coucher et qu’elle ne le lève qu’au moment précis où il doit se lever, alors qu’elle pourrait le faire n’importe quand ? Vous ne trouvez pas ça suspect ?
- Mais c’est elle, la princesse du jour ! tenta piteusement l’officier, à court d’arguments.
Maxime se leva, dominant le poney acculé, son ombre s’allongeant sur lui. Ils étaient désormais une vingtaine de gardes à l’écouter, tendus, attentifs. L’étalon déglutit.
- Si elle l’est réellement, alors qu’elle le prouve, déclara Max. Qu’elle couche le soleil, là, maintenant, tout de suite. Si elle le fait, alors tu avais raison. Mais si elle ne le fait pas…
Il laissa la phrase en suspens, savourant son effet. Les gardes, pendus à ses lèvres, n’avaient plus besoin que d’un mot pour foncer. Du coin de l’œil, Maxime vit par la fenêtre une des tourelles du château, sur les hauteurs. Il sourit.
***
Le poney qui avait pris la tête du groupe, un gringalet grisâtre à la queue mal taillée, se raclait la gorge, mal à l’aise. Maintenant qu’il y était, il commençait à se demander si c’était réellement une bonne idée. Il jeta un regard vers la trentaine d'autres rassemblés derrière lui, à la recherche de soutien. Devant lui, debout en haut des marches, Célestia le dominait, ailes déployées, écrasante.
- Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris, fit-elle, douce et tranchante à la fois. Pouvez-vous répéter, je vous prie ?
Le pauvre étalon déglutit. Ce qui lui paraissait si limpide quelques minutes plus tôt semblait à présent confus et bancal. Il rassembla son courage avant de reprendre.
- Et bien, hem… Est-ce que vous connaissez l’histoire du coq qui se levait en retard ?
Célestia dut se retenir de ne pas lever les yeux au ciel. À l’autre bout de la pièce, adossé contre une des portes, Maxime se frappa le front.
L’alicorne blanche avait parfaitement compris de quoi il s’agissait, bien entendu. Dès qu’elle avait reconnu l’humain qui accompagnait les gardes, elle avait deviné quelle serait la suite. À sa décharge, elle devait reconnaître qu’il l'impressionnait. En dehors de quelques idiots, elle n’aurait jamais cru qu’il puisse convaincre d’autres personnes. Ou alors cela signifiait-il que tous ses gardes étaient idiots ? Ce n’était pas impossible non plus.
- …et donc, en résumé, nous aimerions que vous nous montriez que vous pouvez le faire n’importe quand, histoire d’être surs. Hem… s’il vous plait.
Célestia attendit patiemment que le garde arrive au bout de son discours, puis le fixa en silence pendant de longues secondes, jusqu’à ce qu’il se mette à trembler.
- Vous me demandez donc de rompre l’équilibre millénaire du jour et de la nuit, le cycle céleste qui dirige nos vies, « histoire d’être surs » ?
- Et bien… hem… oui, en quelque sorte.
Derrière le poney en sueur, les autres gardes hochèrent timidement. Maxime tendit le cou, curieux de voir la suite. Célestia n’aurait su dire si la situation l’amusait ou la contrariait. Ce pauvre petit garde lui faisait pitié, et elle n’avait pas envie de causer de troubles en revoyant les autres sans leur donner satisfaction.
- Si j'accepte, retournerez-vous à vos postes ? demanda-t-elle avec douceur.
Tous les gardes approuvèrent. Célestia baissa la tête, avant de la relever, corne brillante. Les gardes, de même que Maxime, ne la quittaient pas des yeux. L’air se mit à vibrer, comme avant un orage. La lumière baissa. De l’autre côté des vitraux, l’astre du jour frémit, avant de plonger vers l’horizon, où il disparut en quelques secondes. Dans la salle désormais plongée dans le noir, les yeux de la princesse brillaient.
- Alors, êtes-vous rassurés ?
Un vague murmure de satisfaction parcourut les poneys. Dans les yeux de l'un d'eux, cependant, une étincelle de crainte s'alluma face aux soudaines ténèbres. Tremblant, il ouvrit la bouche, au bord de la panique.
- Mais… mais il fait nuit en plein jour, maintenant !
Il se mit alors à hurler, aussitôt imité par les autres. Par les portes et les fenêtres, les premiers cris montaient déjà de la ville.
***
Même après que Célestia se soit dépêchée de remettre le soleil en place, la panique avait continué pendant une bonne partie de la journée. Des dépêches avaient dû être envoyées en urgence dans toutes les villes du pays, où l’on criait déjà au retour de Nightmare Moon. Les poneys de la capitale, affolés, ne s’étaient calmés que quand la princesse était apparue sur les remparts du château pour leur assurer que tout allait bien. Il avait fallu attendre le soir pour que l’affolement dans les autres villes retombe et que la situation revienne à la normale, même s’il était certain qu’on en entendrait encore parler longtemps.
L'heure était à présent venue de coucher le soleil pour de bon. Célestia, debout sur le balcon de sa tour, terminait l’immuable rituel. Maxime, avachi sur les coussins, caressait nonchalamment l’étrange oiseau orange et rouge de la princesse, sans quitter le soleil des yeux. Quand le disque de feu eut disparu, l’alicorne se tourna vers lui, un mélange de fierté et de reproche dans le regard. Maxime souffla.
- Je maintiens qu’il doit y avoir une explication rationnelle à tout ça.
- Alors prouvez-le, le taquina-t-elle.
Maxime détourna le regard, grincheux. Célestia rit en silence, avant de s’approcher de sa bibliothèque.
- J’ai quelque chose pour vous. De notre part à Luna et moi.
Le ton de l’alicorne, tout comme l’atmosphère de la pièce, s’était soudain fait beaucoup plus sérieux, comme si le soleil avait emmené avec lui la légèreté qui régnait encore un instant plus tôt. La chambre, baignée par la lumière des chandelles, semblait avoir changé. Célestia elle-même, rayonnante le jour, irradiait à présent d’une aura mystérieuse, coupable, cachotière. Elle prit un des livres par magie, qu’elle présenta à l’humain. Quand ses yeux se posèrent sur le dessin de la couverture, ses poils se dressèrent.
- Il s’agit du symbole que Luna a extrait de votre mémoire hier soir, n’est-ce pas ?
Maxime ne répondit pas. Le soleil jaune et rouge qu’il avait vu en songe était là, devant lui, gravé sur le livre. Avec appréhension, il feuilleta les premières pages, avant de fixer Célestia, mécontent.
- Qu’est-ce que c’est que ça ?
La princesse baissa les yeux.
- Je n’ai pas été totalement honnête avec vous, messire Maxime. Je sais certaines choses, et j’aurais dû vous les dire plus tôt. Je sais que quelqu’un est venu à votre rencontre, de l’autre côté, dans votre monde. Je sais de qui il s’agit.
En silence, elle passa le sabot sur le symbole du livre, avant de détourner le regard.
- Elle s’appelle Sunset Shimmer. Elle vivait autrefois ici, à Equestria. Elle était mon élève, jusqu’à ce que nous nous disputions. Elle a alors franchi le portail du miroir pour aller vivre dans votre monde, loin d’ici, loin de moi.
Maxime, choqué, ne savait quoi répondre. Il continuait de fixer la couverture du livre, cherchant quoi dire.
- Mais qu’est-ce que ça a à voir avec moi ?
Célestia soupira.
- Je l’ignore, mais si elle vous a contacté c’est qu’elle sait que vous aussi connaissez l’existence d’Equestria et du miroir. Il ne peut y avoir d’autre raison. Peut-être… avait-elle besoin de votre aide. Peut-être… cherche-t-elle à revenir.
La voix de Célestia n’était plus qu’un murmure. En levant les yeux du livre, Maxime crut voir quelque chose briller au coin de son oeil.
- Quoi qu’il en soit, c’est à vous qu’elle a fait appel, c’est donc à vous de le découvrir, continua-t-elle. Grâce à ce livre.
- Ce livre ?
- Elle en possède le jumeau, expliqua Célestia. Tout ce que l’on écrit dans l’un apparaît dans l’autre. Grâce à cela, vous pourrez communiquer avec elle.
Maxime observa encore quelques secondes les pages, avant de refermer l’ouvrage d’un coup sec.
- Et si je n’en ai pas envie ?
Célestia le fixa intensément.
- Personne ne vous y oblige, et nul à part moi n’est au courant. Mais n’oubliez que vous vous êtes vous aussi retrouvé seul dans un monde inconnu, et qu’alors des personnes dévouées ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour vous aider à rentrer chez vous.
Sans rien ajouter, elle se leva et se dirigea vers la porte, prête à le laisser seul, mais juste avant de sortir elle alluma sa corne et ouvrit la table de chevet.
- Ceci est de ma part à moi.
À l'intérieur du meuble, Maxime reconnut une bouteille et un petit verre, décorés d’un ruban Derrière lui, la princesse referma la porte, le laissant seul face au livre. Sur son perchoir, Philomena roucoula. Maxime s’approcha pour la caresser à nouveau, l’esprit étrangement vide. Devant lui, dans les cieux étoilés, la lune continuait sa lente ascension, sereine et majestueuse.
Les chandelles de la chambre royale s’étaient consumées depuis longtemps quand Maxime posa le livre sur la table de nuit de sa propre chambre, avant d’enfin se coucher. Alors qu’il plongeait dans le sommeil, le soleil rouge et or s’illumina, rompant pour un instant les ténèbres du soir.
Très loin de là, dans la chambre en désordre d’une maison humaine, le même symbole s’alluma, quelque part sous une pile de livres. L’espace d’un instant, ses faibles rayons dorés, écrasés par la masse, illuminèrent le visage de la jeune fille qui dormait là. Quand ils s'éteignirent, elle se retourna, grimaçant dans son sommeil. Le chat couché à ses pieds l'observa un moment, tel un sphinx gardien, jusqu'à ce que sa respiration se calme. Il braqua ensuite ses iris jaunes sur le livre, détendu mais attentif. Pendant encore de longues heures, les lampes de ses yeux brillèrent, alertes, jusqu'à la fin de la nuit.
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On ne le saura jamais...
C'était celui de Maxime quand il était dans le monde humain.
Sinon, j'ai éclaté de rire quand le garde a demandé à Celestia si elle voulait entendre "l'histoire du coq qui se levait en retard". Dans les comédies, ce sont les situations ridicules qui m'amusent le plus. J'espère qu'il y en aura d'autres par la suite.
C'est bon, je peux aller me coucher, maintenant. Merci !