Le soleil du matin brillait sur Poneyville, inondant la bourgade de ses rayons bienfaisants. La lumière entrait à flots par les fenêtres du château et illuminait les couloirs de l’étage, teintée de bleu et de violet. Au bout du corridor qui longeait les chambres, la porte de Maxime venait de s’ouvrir. Avec un grognement de mauvaise humeur, il tira la tenture, replongeant le couloir dans la pénombre.
Il avait très mal dormi, comme à chaque fois depuis qu’il était revenu de l’Empire. D’un pas traînant, il descendit l’escalier et prit le chemin de la salle à manger, prêt à défouler sa hargne sur sa crêpe du matin, mais la pièce était déserte. La table n’avait même pas été dressée et la cuisine était plongée dans l'obscurité, comme si personne ne s’était donné la peine de préparer quoi que ce fut. Perplexe, Maxime jeta un oeil à la pendule. D’habitude, Spike se levait aux aurores pour préparer son petit déjeuner à Twilight, et la table restait dressée jusqu’à ce que Maxime émerge à son tour, deux ou trois heures plus tard. Le petit dragon avait-il fait la grasse matinée, ou bien Twilight et lui étaient-ils sortis sans l’avertir ? C’était peu probable. Après avoir une dernière fois fait le tour de la pièce, Maxime mit ses mains en porte-voix.
- Eho, il y a quelqu’un ?
Le seul son qui lui revint fut l’écho de sa propre voix. Mis à part le chant des oiseaux dehors, le château était entièrement silencieux. Ce ne fut qu’en descendant vers la salle aux trônes que Maxime entendit enfin un bruit venu d’en bas. Lèvres pincées, il prit la direction du labo souterrain. Quand il arriva au bas des marches, il les pinça encore plus fort.
Depuis leur retour de l’Empire, le miroir et ses morceaux étaient restés entreposés au sous-sol. Twilight avait passé des jours entiers à la recherche d’un moyen de le réparer, en vain. Aucun des sorts qu’elle avait essayés n’avait eu le moindre effet. Le miroir et ses fragments, au lieu de réagir à sa magie, semblaient l’absorber comme une éponge. Maxime, de son côté, n’avait pas manifesté le moindre intérêt dans l’opération. Même si la ponette mauve trouvait un moyen de réparer le portail, il était hors de question pour lui de s’en servir pour retourner dans son monde, puisqu’il se retrouverait à nouveau transformé en poney une fois de l’autre côté. À ses yeux, tout cela n’était qu’une perte de temps. Pire, même : il était convaincu que c’était la présence du miroir dans le château qui lui faisait passer de mauvaises nuits, et aucune des remarques de Twilight sur les effets de l’alcool sur la qualité du sommeil n’avait pu lui faire changer d’avis.
La jeune princesse, quand à elle, continuait malgré tout à tester avec assiduité tous les sorts sur lesquels elle pouvait mettre le sabot, dans l’espoir de pouvoir reconstituer la glace et lui rendre ses pouvoirs. Les tables installées le long des murs de la cave croulaient sous les livres, les rouleaux et les feuilles de note. Vu les cernes qui ornaient les yeux de la ponette, elle avait passé une bonne partie de la nuit là. Dans un coin de la pièce, Spike ronflait, endormi sur un tas de papiers froissés. Il fallut que Maxime claque du pied au sol pour que l’alicorne se rende compte de sa présence.
- C’est l’heure du petit dej’, déclara Maxime en la faisant sursauter.
Twilight écarquilla les yeux et les tourna vers l’horloge.
- Quoi, déjà ?
- T’as quand même pas passé toute la nuit ici ? grinça Max et désignant le miroir.
- Il faut que je trouve un moyen de le réparer, l’ignora-t-elle.
- Je crois que tu ferais mieux d’aller pioncer.
La ponette s’arrêta quelques secondes pour réfléchir. Elle posa le regard sur les livres empilés en désordre sur les tables, puis à nouveau sur le miroir.
- Il va falloir que j’aille à Canterlot pour consulter la bibliothèque et demander conseil à la princesse. Rien de ce que je connais ne fonctionne, mais peut-être qu’elle pourra nous aider.
- Nous aider ?
Twilight cogita encore quelques secondes puis se tourna vers l’humain, un petit sourire aux lèvres.
- Elle sera très contente de te revoir.
- Qu’elle aille se faire cuire une gaufre, grogna Max. Moi, je ne bouge pas d’ici.
- Après ce que tu as fait à l’Empire, tu espères que je vais encore te laisser seul où que ce soit ?
- Tu fais ce qui te chante, moi je ne vais nulle part.
- Très bien, alors je lui demanderai à elle de venir ici. Je suis sûr qu’elle sera encore plus ravie.
Maxime souffla par le nez et croisa les bras, sourcils froncés. La dernière chose dont il avait envie, c’était de voir la jument blanche débarquer chez eux pour lui tartiner sa bienveillance dessus. Il se radoucit cependant légèrement en se remémorant quelque chose.
- Et l’autre, elle sera à Canterlot aussi ? La bleue ?
Twilight sourit, malicieuse.
***
La grande alicorne resplendissait, lumineuse, aérienne, au bas des marches de son trône. Devant elle, Twilight, des étoiles dans les yeux, nageait en plein bonheur.
- Je suis tellement ravie de te revoir au château, ma chère Twilight, fit la reine du jour de sa voix chantante. Cela faisait si longtemps que tu ne m’avais pas rendu visite.
- Trop longtemps, Princesse, gazouilla la ponette mauve.
- Et je suis également enchantée de vous revoir parmi nous, messire Maxime, déclara l'alicorne en se tournant vers lui.
Maxime, debout en face d’un des vitraux, lui tourna le dos en soufflant par le nez. Devant lui, gravée dans le verre, la même jument blanche lui faisait face, insupportablement sereine et bienveillante. Avec un froncement de sourcils, il plia le genou, décolla de sa semelle le vieux morceau de chewing-gum qui y était incrusté et le colla pile sur le museau de verre de l’alicorne. Derrière lui, Célestia et son ancienne élève avait repris leur conversation. Sans y prêter la moindre attention, il quitta en silence le salle du trône et remonta au hasard un des couloirs adjacents.
Il avait été très mécontent d’apprendre, à son arrivée au château, que Luna s'était absentée pour la journée. Les étoiles de bonheur qui s’étaient allumées dans les yeux de Célestia lorsqu’elle s’était rendue compte de l’intérêt qu’il portait à sa sœur l’avaient dissuadé de poser d’autres questions, si bien qu’il ignorait combien de temps il lui faudrait attendre avant son retour. Il avait brièvement envisagé d’aller tuer le temps dans une taverne en ville, mais la dernière chose dont il avait envie était d’aller se mêler aux snobinards à corne qui peuplaient l’endroit, même les plus saoulards d'entre eux. Par ailleurs, il ignorait s’il y avait le moindre bar dans le quartier. Il regrettait, à présent, que Spike ne soit pas là pour lui servir de guide, comme il l’avait fait à l’Empire. Face au souvenir de leur dernière escapade, le jeune reptile avait préféré rester à Poneyville.
Pour l’heure, l’humain remontait au hasard les couloirs, à la recherche d’occupation. Les corridors de marbre étincelants, aux voûtes boisées et aux sols couverts d’épais tapis, semblaient se croiser sans fin. Sans faire attention aux courtisans et aux gardes qui se retournaient sur son passage, il continua son chemin, jusqu’à enfin atteindre un corridor d’allure différente. Contrairement aux couloirs lumineux et pimpants du reste du château, celui-là baignait dans une lumière bleutée plus sombre et intime. Les couleurs claires laissaient ici place à des tons plus foncés, plus mates, plus froids. Les hauts murs de pierre et les arcs de voûte étaient tout aussi majestueux, mais ils dégageaient quelque chose qui faisait frissonner. Aux coins des murs et des colonnes, d’étranges formes sculptées semblaient scruter le passage des visiteurs, comme des gargouilles à moitié dissimulées. Un croissant de lune argenté était gravé en haut des fenêtres. Maxime jeta un regard derrière lui, puis devant. Personne en vue dans aucune direction. Avec un haussement d’épaule, il s’avança dans le nouveau couloir.
Ses pas s’enfonçaient dans le tapis bleu nuit brodé d’argent. Les hautes fenêtres quadrillées de fer semblaient bloquer une partie de la lumière du jour. En y regardant bien, Maxime s'aperçut que les nuages commençaient à couvrit le ciel, masquant à moitié le soleil. Il avait déjà parcouru la moitié du couloir, et pourtant il lui semblait que l’arche de pierre de l’autre côté ne s’était qu’à peine rapprochée. Alors qu’il continuait à avancer, autre chose capta son attention. Il lui semblait avoir senti un mouvement au dessus de sa tête. Il se retint cependant de regarder et continua, l’ouïe en alerte. Sa première impression fut rapidement confirmée : là-haut, près du plafond, quelque chose le suivait en rampant. Sans tourner la tête, il leva les yeux vers la voûte. Les orbites de pierres des sculptures semblaient autant d’yeux braqués sur lui. Pendant une fraction de seconde, il lui sembla voir un reflet doré dans l’une d’elle. Au même moment, un souffle d’air presque imperceptible lui caressa la nuque.
Maxime atteignit finalement l’autre côté. L'arche de pierre au bout du couloir s’ouvrait sur ce qui ressemblait au salon d’un manoir. D’épais tapis couleur d’océan couvraient le sol dallé de gris et de noir. Les murs de pierre bleue, lambrissés d’ébène, étaient décorés d’étendards et de tapisseries aux motifs de lunes et d’étoiles. Entre les meubles d’argent, les hautes fenêtres étaient à demi fermées par d’épaisses tentures. Plusieurs sphères blanchâtres fixées aux murs par des bras de métal noirs diffusaient dans l’endroit une lueur à la fois apaisante et spectrale. Maxime fit le tour de la pièce du regard avec de s’approcher d’une des fenêtres, dos à la pièce. Bras croisés derrière lui, il inspira et leva le menton.
- Eh, le Spiderman du dimanche ! Tu peux te montrer, maintenant. Je sais que tu es là.
Après quelques secondes d'immobilisme, la forme noire dissimulée dans les voûtes se remit en mouvement. Dans un bruissement d’ailes à peine audible, elle atterrit en douceur sur le tapis, juste derrière Maxime, qui se retourna lentement.
Le poney qu’il avait devant lui ne ressemblait à aucun qu'il connaissait. Son corps était à la fois svelte et musclé, son pelage gris cendre, sa crinière mauve pâle. Dans ses iris, dorés comme ceux d’un chat, ses pupilles dessinaient de fines fentes verticales, noires comme de l’encre. Ses oreilles, plus grandes que la normale, se terminaient par un plumeau de poils, à la manière des lynx. Mais le plus surprenant était la paire d’ailes qu’il portait sur le dos. Au lieu d’être plumeuses et duveteuses comme celles des pégases, elles étaient faites d’une large membrane de cuir sombre, tendue sur de longs doigts fins et griffus. La créature, devinant la surprise de l’humain, leva la lèvre pour sourire, dévoilant sa canine. Telle une ombre dans la nuit, telle une brise froide sur l’océan glacial, tel un nuage fugace qui passe avant l’aurore, elle semblait faire partie de la pénombre de la pièce, comme si elle en était issue, comme si elle en était faite. Maxime, impassible, tendit alors le bras et tira sur la corde qui ouvrait les tentures, juste derrière lui. Avec un sifflement aigu, le poney bondit en arrière et détourna le regard pour se protéger de la lumière. L'humain ricana.
- Alors, Dracula en short, on aime pas le soleil ?
Après encore quelques ricanements, il referma les tentures et s’agenouilla vers l’étrange poney couché sur le tapis. Celui-ci se releva, le regard froid, les pupilles contractées. De toute évidence, il s’agissait d’une femelle. Dès qu'elle fut debout, elle montra les dents, ailes étendues, prête à bondir.
- Qui êtes-vous et que faites-vous dans les appartements de ma maîtresse ?! cracha-t-elle, menaçante.
Maxime se redressa, dominant la petite ponette de toute sa hauteur d'homme.
- Relax, le vampire. Je ne fais que visiter.
- Les visites sont interdites ! Sortez d'ici tout de suite !
- Héla, on se calme, menaça Maxime. Je suis avec Twilight Sparkle, je te signale. C'est elle qui m'a fait venir, alors je vais où je veux.
En entendant le nom de Twilight, la ponette leva le sourcil.
- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, méfiante.
- Et si tu m'expliquais d'abord ce que tu es, toi ? proposa Maxime et la pointant du doigt. Parce que c'est pas clair, comme concept.
La jument ailée releva la tête, poitrine gonflée. Elle sourit à nouveau, dévoilant ses dents pointues.
- Je suis un poney chauve-souris, annonça-t-elle avec sérieux et fierté. Je fais partie de la garde personnelle de… Qu’est-ce qui vous fait rire ? s’énerva-t-elle brusquement.
- Un poney chauve-souris ! répéta Maxime en pouffant de rire. C’est le truc le plus débile que j’ai entendu depuis un bail !
- Débile ?! Nous sommes les vigiles dans la nuit, la justice dans les ombres, les gardes du crépuscule ! Nous sommes...
- Mais oui, bien sûr ! l'interrompit Max, hilare. Et ton majordome s’appelle Alfred, c’est ça ?
- Cessez immédiatement de vous moquer ! Vous insultez ma maîtresse !
- Et ton boulot, c'est de jouer les araignées dans le couloir ?
- Je garde l'entrée de ses appartements ! répliqua-t-elle en bombant le torse. J'empêche les intrus dans votre genre de s'y introduire pour l’importuner, ou pire. C'est un honneur, pour nous !
- Pour nous ? Parce qu'il y en a d’autres, des comme toi ?
- Nous sommes nombreux, gronda le chiroptère. Nous formons la garde personnelle de son altesse Luna, princesse lunaire, reine de la nuit, gardienne des rêves et des songes !
- Ah bah tu tombes à pic, justement, fit Maxime. Je la cherche, ta patronne. Tu sais quand elle revient ? J’ai un truc à lui demander.
L’équidé fronça les sourcils, fâchée qu'on parle de sa princesse avec si peu d’égards.
- Ma maîtresse et libre comme le vent, sans attaches, sans entraves. Nul ne peut savoir quand elle part ni quand elle revient. Et d'ailleurs, qu’est-ce qui vous fait croire qu’elle acceptera de vous recevoir ? Je ne vous ai jamais vu et je n’ai jamais entendu parler de vous !
- T’inquiète, on se connaît, elle et moi, lâcha Maxime en faisant le tour de la pièce pour inspecter le mobilier.
- Vous croyez la connaître ? fit la garde d’un air moqueur en venant battre des ailes autour de lui. Vous vous bercez d’illusions. Nul ne peut prétendre savoir qui elle est aussi bien que nous, ses gardes. Elle est notre mère, et nous sommes ses enfants. Nul autre que nous ne pourra jamais pleinement la comprendre, ajouta-t-elle pompeusement.
- Dis-moi, ma grande, tu t’es déjà mis une mine avec elle ? demanda Max en palpant les rideaux.
L’autre s’arrêta un moment, étonnée.
- Euh… non. Mais quel est le rapport ?
- Alors tu ne la connais pas. Le seul moyen de vraiment connaître quelqu’un, c’est de se bourrer la gueule avec lui.
- Et c’est votre cas, peut-être ? se moqua la ponette ailée, sourcils froncés, ses yeux à hauteur des siens.
Pour toute réponse, Maxime se contenta d’un petit sourire. Sans rien ajouter, il quitta le salon et repartit vers le couloir.
- Eh, vous allez me répondre ? appela l’équidé et le suivant à tire d’aile.
- Et sinon, elle revient quand, ta patronne ?
La ponette décida de jeter l'éponge. Elle continua à lui voler après, mais quelques centimètres plus bas.
- Elle revient cette nuit, marmonna-t-elle. Mais elle n’a pas dit à quelle heure.
- Et bien on va aller faire un tour en l’attendant, Vampirella. Tu connais des bars sympas dans le quartier ?
- Quelques-uns, avoua la ponette.
- Parfait. Va chercher tes potes et on y va. C’est quoi, ton nom, d’ailleurs ?
La ponette, voyant là l'occasion de retrouver un peu d'estime, bomba le torse avec fierté.
- Midnight Shadow, annonça-t-elle avec le plus grand sérieux.
Dans le couloir, Maxime éclata à nouveau de rire.
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