Chapitre 27 : Pacte et libération

Trois jours plus tard

[Lumen]

Je me traîne lentement jusqu'à mon lit, chez moi, me vautrant dessus à bout de force... enfin soulagé de mon propre poids.

Plus de fièvre sans fin, plus de douleur, plus de malaise, plus rien... La paix.

Mais... les souvenirs de ma rencontre avec Célestia me hantent douloureusement encore.

* * *

Je lui faisais face dans une des pièces du château de Twilight, seulement nous deux, après qu’elle ait examiné mon travail pendant deux longues heures, me poussant à attendre debout et immobile jusqu'à ce qu'elle soit satisfaite.

Elle faisait traîner les choses en longueur.

« Vous avez vu non ? J'ai tenu mes engagements, reconstruit comme c'était avant et prêt à l’ouverture », avais-je commencé, ayant hâte qu’on en termine enfin.

Le simple fait de me tenir debout était un calvaire, j'étais à presque quarante-deux de fièvre, mon corps brûlait et hurlait, mais je luttais pour ne rien laisser paraître à aucun moment.

« J'ai vu cela oui. » Elle parlait avec un ton froid, presque condescendant.

« Alors, qu'est-ce que vous attendez ? Enlevez-le moi. »

« Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi, Lumen », a-t-elle répliqué sèchement, immobile et les ailes déployées.

« Tss... Enlevez-le moi, s'il vous plaît Princesse. »

« Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne chose a faire... »

À ce moment, j'ai cru avoir mal entendu.

« Que... qu'est-ce que ça veut dire ? »

« Clairement ce que je viens de déclarer. Il semble impossible de savoir qui est le vrai Lumen, est-ce que c'était celui que Twilight et ses amies ont trouvé dans le cratère ? Celui que j'ai vu à notre première rencontre ? Celui du tournoi de ma sœur ? Celui qui était enchaîné dans la salle du trône avant qu'il ne reçoive sa punition ? Ou celui qui s'est acquitté pendant trois mois d'une tâche difficile, seul ? »

Pendant qu'elle parlait, je serrais les poings de plus en plus fort, le sang me montait à la tête et mon cœur donnait plus l’impression d’être un tambour qu'autre chose. J'ai gardé le silence alors qu'elle continuait son monologue.

« Tu es bien trop instable, Lumen. Tantôt tu protèges ce qui t’entoure –ce qui est louable– mais d’autre part tu détruis des vies pour le faire. Parfois également tu agresses ton entourage et menace leur vie pour ensuite te lamenter sur ta solitude et le poids de tes crimes. Je ne peux pas te faire confiance et je ne tiens pas à prendre de risque avec toi. De ce fait, je m’interroge sur le principe de te libérer de ta pénitence ou non. »

Intérieurement... j'avais l’impression de mourir en réalisant ce qui semblait se promettre à moi.

« J'ai... j'ai rempli ma part de notre contrat ! J'ai fait ce qu'on m'a demandé sans broncher, refusant toute forme d'aide qu'on a voulu m'apporter quand on était témoin de mes difficultés. J'ai tout fait sans accepter d'aide extérieur d'aucune sorte ! Tenez votre parole et retirez moi cette saloperie de collier ! »

« Ce n'est pas un collier, mais une amulette », avait-elle dit, impassible.

Le choc fut si violent que j'ai eu l’impression qu'une bombe avait éclaté en moi, faisant taire toutes les sensations provoquées par la malédiction. « Vous... vous n'avez jamais eu l'intention de me libérer, c'est ça ? » avais-je dit d'une voix absente.

Elle avait relevé le menton, me regardant de haut, pas de sourire, aucune expression visible. « Je protège mes petits poneys des dangers. Je ferai tout ce qu'il y a à faire si nécessaire et si cela implique de mentir à un meurtrier sanguinaire et récidiviste... qu'il en soit ainsi. »

Cette fois, mes jambes m'avaient lâché et je me suis effondré devant elle, la frustration et la déception était si amère que je retenais difficilement mes larmes. Levant les bras au ciel, j'ai hurlé de toutes mes force et j'ai abattu mes poings se couvrant de mon pouvoir pour s'écraser sur le sol, fracturant et fissurant toute la petite salle dans laquelle nous avions notre entrevue, faisant probablement ressentir le choc dans une bonne partie du château alors que des fragments de cristal étaient projetés autour de nous et le bruit de l'impact faisant écho dans tout l'édifice.

Un garde était entré et appelait sa Princesse, qui s'est tenue immobile alors que je craquais devant elle. « NOUS AVIONS UN PACTE VOUS ET MOI !!! » avais-je crié de toute ma voix.

« C'est moi qui t'ai posé cette amulette autour du cou, je me réserve donc le droit de te l'enlever quand j’estimerai que tu l'auras suffisamment supporter. » Elle parlais avec un calme glacial, ni surprise ou gênée d'aucune manière de ma réaction et de ma destruction.

« C'est... injuste », ai-je dis, toujours à genoux. Célestia avait alors ordonné aux gardes de sortir et de ne plus nous déranger.

« Je protège mes poneys du danger, tu ne me laisses pas le choix. »

« Vous n’êtes pas digne d’être une monarque ! » avais-je craché d'une voix pleine de venin.

« Tu es à des millénaires de pouvoir me juger, Lumen. Tu ne veux simplement pas comprendre car tu es égoïste. Tu as sans doute manipulé les gens autour de toi pour t'attirer leur sympathie malgré ce que tu as fait, y compris mon ancienne élève adorée et ses amies. Ça ne marche simplement pas avec moi. Voilà pourquoi tu es frustré, n'est-ce pas ? Tu es déçu que ton plan n'ait pas marché comme tu l’espérais ? »

Bizarrement, je me suis mis à rire aux éclats… À partir dans un fou rire incontrôlable.

J'ai dû péter un plomb à un moment quand elle m'a parlé.

Les minutes ont passé avant que je ne retrouve mon calme... Plus amère que jamais alors que je luttais pour me remettre debout, ignorant les protestations de mon corps.

« Détrompez-vous... je vous juge autant que j'en ai envie, vous n'avez aucune parole. Vous ne pouvez même pas imaginer ce que c'est que de porter ce machin et par-dessus tout vous imaginez le pire de moi et supposez que je manipule, que je mens et que je trompe mon entourage pour arriver à mes fins, sans la moindre preuve. Vous êtes comme tous les autres, aveugle, ignorante et hypocrite. »

Je m'étais retourné, marchant lentement et difficilement vers la sortie tout en continuant de parler : « Vous vous trompez… Mais ça n'a plus aucune importance... Je prendrai des potions pour me soulager, je demanderai de l'aide si c'est nécessaire et pendant ces longs mois d'agonie, je ferai de mon mieux pour arrêter les miens s'ils reviennent, pour protéger ce qui m'est cher. Ce n'est pas votre breloque qui va-m'en empêcher. »

« Je n'ai pas dit que j'avais l’intention de te laisser te balader en liberté, Lumen. Tu es trop dangereux. »

Sans me retourner, et prêt à me battre s'il le fallait, j'ai répondu sans réfléchir le moins du monde : « Alors... il vous faudra me tuer, Princesse... Car j'ai bien l'intention de protéger ce à quoi je me suis attaché malgré moi, de toutes mes forces. Je suis prêt à tout donner pour ceux dont j'ai eu le courage d'appeler une seule fois... mes amies. Et si j'y suis obligé... je me battrais même contre vous. »

J'ai alors tourné la tête dans la direction de la Princesse. Je ne cherchais pas à l'intimider d'un regard, j'ai plutôt souvenir d'avoir eu un visage neutre... résolu, les paupières à demi-ouvertes, les épaules basses, faible. Mais chacun de mes mots était lourd, marqué en lettres de feu dans mon esprit. Rien n'aurait su m'arrêter à ce moment précis je crois, pas même une jument ailée, arrogante et manipulatrice comme elle.

J'en étais si convaincu, pourtant il est clair que même dans cent ans je n'aurais aucune chance de l'inquiéter ne serait-ce qu'un peu... C'est une déesse non d'un chien !

« Pourquoi être prêt à aller jusque-là ? » m'avait-elle demandé.

« Parce-que... ça en vaut la peine. C'est ce que je pense... du fond du cœur. »

J'ai alors ouvert la porte et parlé plus fort pour être sûr qu'elle m’entende : « Je vous maudit, Princesse. Si un jour ce monde est en danger... croyez-moi moi sur parole... vous serez la seule que je laisserais mourir et avec plaisir en plus. Ce monde se porterait sans doute mieux sans quelqu'un qui ne tient pas ses engagements comme vous... Vous ne valez pas mieux que ceux de mon espèce, aussi votre perte sera sans le moindre doute une bénédiction pour votre peuple. »

« GARDES ! »

Le crissement métallique m'avait alors donné des frissons. Les deux pégases gardant la porte se sont rués sur moi et ont placé la lame de leur lance sur ma gorge, ne me laissant aucune ouverture pour lutter tandis que Célestia s’approchait de moi lentement, me fusillant du regard.

J’étais allé bien trop loin cette fois.

J'ai vu alors la lueur dorée de sa corne naître et gagner en intensité et avec elle... mes derniers instants.

“Tant pis, ça en valait la peine”, m'étais-je dit.

Un flash et un cliquetis plus tard, j'ai eu l’impression que quelque chose pesant des tonnes avait été retiré de mes épaules. En ouvrant les paupières, je vis le cœur d'argent empalé devant moi, enveloppé d’une aura dorée et le regard d'acier de la Princesse juste derrière.

« Je fais ça uniquement pour te donner tort, humain... Mais sache deux choses : premièrement, ne manque plus jamais de respect à l'une des Princesses, traite nous avec déférence et humilité si tu ne veux pas que j'agisse à nouveau contre toi. Deuxièmement, si ne serait-ce qu'une seule fois de plus, tu me donnes des raisons de regretter de t'avoir offert une chance, s'il le faut, Lumen... Pour la première fois de ma vie s'il n'y a aucune autre solution, je m'occuperais de toi personnellement, prête à souiller mes sabots comme tu sais si bien le faire toi-même. Ai-je été suffisamment claire ? »

“Quelle blague…” ai-je été tenté de répondre, mais le regard de Célestia n'avait laissé aucun doute sur ses intentions. Alors je me suis mordu la langue et j'ai hoché la tête silencieusement, attendant que les armes de sa garde se retirent enfin, pour partir sans attendre loin de cette jument.

Elle me déteste et le sentiment est réciproque maintenant...

* * *

J'ouvre les yeux, fixant le plafond de ma maison enfin retrouvée après trois mois de torture. Tout le long du chemin du retour, j'ai tellement été tenté de pleurer de soulagement. Mais je me suis retenu... ça va mieux maintenant.

J'ai un an... un an pour tout arranger.

Twilight m'a demandé de profiter de deux semaines de repos complet afin de récupérer un maximum, retrouver mes forces, me remplumer et me refaire une santé, ajoutant qu'elle me donnera après cette période l'opportunité de lui rembourser l'argent qu'elle m’a donné pour subvenir à mes besoins en attendant.

J’espère qu'elle ne m'a pas menti... L'idée de recevoir la charité me répugne vraiment au plus haut point.

Plutôt de penser ainsi... je devrais être reconnaissant... envers elle, envers... tout le monde.

...Parce que... ça en vaut la peine...

Le sommeil me gagne lentement alors que l'adrénaline de la journée relâche enfin son emprise sur moi.

J’étais tombé bas... si bas. Mais malgré ça... elles m’ont soutenu... Elle... m'a sauvé... de ma propre folie.

Je veux les protéger... Je VAIS les protéger, je suis prêt à tout donner pour ça, à tout sacrifier. Parce que je le souhaite sincèrement. Je dois grandir, enfin m'attacher, apprendre et rêver à leurs côtés... Ce n'est pas mon monde, mais je veux profiter de chaque seconde parmi eux, peu m'importe qu'ensuite je n'ai plus rien... Leur souvenir me soutiendra pour ce qu'il me restera à vivre... Voilà pourquoi j'ai enduré tout ça. Voilà pourquoi je dois le plus vite possible récupérer, au cas où d'autres humains viennent avec les mêmes intentions. C'est ce que j'ai décidé à l'instant où je me suis plié face aux Princesses et ma volonté n'a pas changé.

Par pitié, s'il y a des dieux ou autres choses... faites que j'ai pour quelques jours au moins, un sommeil paisible... J'ai vraiment besoin de sommeil.

Ça serait... un super point de départ.

Fluttershy... garde-le... encore un peu...

J'arrive... bientôt… le chercher.

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[Célestia]

Ai-je bien fait ?

Cette question me hante... depuis que je lui ai retiré son fardeau.

Après avoir demandé à mes gardes de me laisser seule un moment, je flâne dans le ciel de Canterlot, essentiellement au-dessus du château et des jardins, le cœur lourd par la solitude dans laquelle je me suis retrouvée... À cause de cet humain, à cause de ce qu'il a fait.

J'ai agi uniquement pour protéger mes petits poneys.

Des larmes naissent aux coins de mes yeux.

En commençant ma descente, je remarque une présence familière sous l'immense saule dans le recoin du jardin où j'ai pris l'habitude d'aller depuis quelque temps.

Luna ?

Elle ne m'a presque plus parlé depuis... La douleur m’étreignant, je prends sur moi d’essayer de me poser derrière elle à quelques mètres.

Essayer encore une fois de lui parler...

« Lulu ? » dis-je, d'une voix plus suppliante que je ne l'aurais voulue.

La crinière éthérée de ma petite sœur s'agite à peine. Tournant ensuite la tête légèrement, elle me regarde d'un œil un instant avant de fixer de nouveau quelque chose devant elle.

« Était-ce vraiment nécessaire d'en arriver jusque là ? De le pousser aussi loin ? » déclare-t-elle, sans une once d'émotion dans la voix.

« Je... je veux juste protéger nos petits poneys des dangers. »

« Donc tout ce petit manège pour prolonger sa peine était parfaitement involontaire j'imagine ? Et celui fait pour le faire bouillir de rage, tu vas me dire que c’était un “incident malencontreux” ? »

« Une suggestion de Blueblood afin de savoir ce qu'il en était des véritables intentions de l'humain, elle m'a paru sensée, alors je l'ai fait... Tu sais tout aussi bien que moi à quel point il peut être extrêmement dangereux, Luna. »

« Je ne te comprends pas Tia... » elle se retourne et me fait face, le visage dur et le regard froid. « Où est passée la grande sœur douce, compatissante et qui pardonne presque tout avec facilité quelle que soit la gravité de la faute ? »

Je baisse le regard devant le sien, il n'y a que devant elle que j'oserais agir de la sorte, en même temps, je suis si fatiguée de cette solitude.

Qu'elle me crie dessus et toujours mieux que quand elle m'ignore.

« Je te le demande, Célestia : où est-elle ? Discord en a beaucoup fait et tu lui as donné plusieurs fois une chance, après mille ans d’enfermement cela dit. Si Chrysalis revenait demain en demandant pardon, tu serais capable de l'inviter prendre le thé sans hésitation pour discuter d'un traité de paix. Je ne parle même pas de Sombra, je te verrais sans problème l'attraper dans tes sabots et le câliner tendrement en lui demandant de promettre de ne plus jamais faire de bêtise. Pourtant ces derniers mois, je t'ai vue t'acharner sur un humain qui a bien assez souffert comme ça, encore, encore et encore, jusqu'à tout faire pour le briser et justifier son bannissement immédiat ! »

Je n'ai rien à redire... Quelque part, elle n'a pas tort.

« Je t'ai posé une question, Tia ! Où se trouve ma grande sœur ? Celle que j'ai connue depuis toute petite. Et ne dis pas que c'est de la faute de Lumen encore une fois. »

Je finis par craquer en silence, les larmes tombent les unes après les autres en rythme alors que je relève difficilement la tête pour la regarder. « Je voulais juste... protéger notre monde, Lulu. J'ai la terrible impression que ce qui nous arrive nous dépasse d'une certaine manière... Je voulais juste bien faire les choses parce que je vous aime. »

Je finis par cacher mon visage dans mes sabots, pleurant à chaudes larmes.

« Je voulais juste... je voulais juste faire quelque chose... au mieux... pour tout le monde... »

Luna s'approche et m'enlace en silence, je la serre dans mes pattes en réponse sans hésiter, soulagée de pouvoir enfin toucher à nouveau son pelage, sentir sa chaleur et sa présence près de moi. J'ai eu l'impression de l'avoir de nouveau perdu sur la lune depuis une éternité tant le temps m'a paru long et son absence, glacial.

Je lâche un unique gémissement discret pendant notre étreinte, apaisée d'avoir de nouveau ma sœur à mes côtés.

Luna me lâche bien trop tôt à mon goût, mais je ne la retiens pas, me regardant d'un air un peu plus doux mais encore chargé de bien des reproches.

« Tu... veux bien boire une tasse de thé avec moi, petite sœur ? » osé-je lui demandé.

Elle se retourne, déployant ses ailes et me répondant juste avant de s'envoler : « Une autre fois peut-être... Va dans ta chambre dormir et te reposer. Ton sort d'illusion servant à cacher les marques d’effort que tu as dus fournir pour alimenter le pendentif ne trompe pas grand monde avec un minimum de connaissances magiques... Je veillerai à ce que tu aies un sommeil agréable. »

Sur ce, elle disparaît dans le ciel sans attendre de réponse.

Merci Luna...

Je m’exécute sans résister, soulagée d'avoir relâché un sort si simple... Elle a raison, je dois vraiment être à bout de force.

Un coup d’œil en direction de la mare à ma droite me permet de voir mon état véritable : de lourdes poches de cernes noirs sous les yeux, la crinière tombante et lisse sur mon corps et teintée de plus de rose que je n'en ai l'habitude de voir depuis longtemps, le pelage terne, les épaules basses et les ailes traînant au sol plutôt que rabattues contre mes flancs.

La quantité d’énergie que j'ai due fournir pour alimenter suffisamment le pendentif afin qu'il fasse son effet sur cet humain a été colossale.

Elle a raison... j'ai vraiment besoin de repos...