Je m’entends. C’est la première chose qui me marqua, je m’entendais, moi, cette petite voix faible perdue dans le néant. Très vite je sentis mon être s’étendre jusqu’à son apogée. À ma limite quelque chose me recouvrait entièrement. Je n’aimais pas ça, je le détestais même, c’était mouillé, poisseux, et chaud. Je tentais de m’en défaire mais partout où je bougeais mon corps, cette chose était là. J’avais peur, je ne désirais plus ressentir ça.
Je commençais à bouger de manière désordonnée, il me manquait quelque chose et mon corps le voulait, l'exigeant par le seul moyen qu’il connaissait : La douleur. Sans le vouloir, j’ouvris ma gueule, m’emplissant de cette poisse humide qui me dégoûtait. En moi, elle était encore pire que je le pensais, amère et brûlante, je ne désirais que la vomir mais mon corps l’aspirait encore et toujours.
C’en fut trop, je m’élançai droit en avant et ma corne toucha quelque chose, le transperçant dans un bruit de déchirure. L’extérieur, il était frais et sec, j’avais trouvé mon salut. J’écartai cette membrane qui m’emprisonnait, et je m’écoulai violemment sur un sol dur avec cette mélasse dans un bruit écoeurant. J’étais enfin libre.
Tout de suite, je crachai, j’expectorai cette gelé verte qui m’étouffait et je pus enfin respirer. C’était vraiment agréable. Même si l’air lui même avait la même odeur que cette chose qui me retenait, c’était plus ténu, moins dégoûtant. Je souris, presque heureux d’être en vie. Et c’est là qu’ils m’attrapèrent.
Ils me forcèrent à me relever et à me tenir droit. C’est la première fois que je la vis, la ruche, dans toute sa grandeur. ça grouillait de partout, tel un tapis de chitine en mouvement permanent, les plafonds de la grotte étaient saturés de bruissements d’ailes membraneuses alors que l’air baignait d’une brume verdâtre et maladive.
Je vis quelqu’un s’approcher de moi. Il était très différent des autres qui me maintenaient, son ventre était bouffi et de la bave verdâtre visqueuse s’écoulait de sa gueule en permanence comme d’une outre trop pleine. Il releva ma tête et me fixa de longues secondes, jugeant mon corps et mon âme, avant de m’embrasser.
Ce fut comme si sa gueule s’était profondément avancé en moi, régurgitant sans que je ne puisse rien faire cette poisse amère et répugnante qui me baignait tantôt. Il me gava, jusqu’à ce que moi aussi je sois plein, puis me lâcha avant de s’éloigner, dans le but certain de réitérer cette infâme besogne.
J’étais à quatre pattes, une nausée persistante montait en moi mais impossible de tout recracher cette fois ci. Les gardes, impassibles à mon état, me tirèrent jusqu’à l’extérieur. Au moins maintenant je tenais debout tout seul. Je n'allais pas mieux pour autant mais loin de la brume je sentais ma force monter.
Mes deux accompagnants m’abandonnèrent auprès d’autres créatures qui m’étaient étrangement familières à juste titre : Leur corps, leur allure, ils étaient en tout point semblables aux gardes et à moi, à ceci près qu’eux semblaient apaisés, repus. Devant nous, une immense porte était gardée par une créature qui les surplombait de par sa stature intimidante.
« Bonjour mes chers enfants ! cria-t-elle d’une voix de stentor. Je me nomme Chrysalis et je suis votre reine ! »
Je clignai des yeux, surpris par cette apparition subite. Venait-elle de se présenter comme étant ma mère ? Dans ce cas, mes semblables étaient mes frères, mes sœurs, pourtant aucun n’avait cherché à me parler depuis ma naissance.
« Chacun d’entre vous est sorti de son cocon il y a peu de temps, et je m’excuse de vous avoir ainsi brusqué, poursuivit-elle. Jamais je n’aurais accepté de vous faire du mal si la situation n’était pas aussi grave. Or, elle l’est justement. »
La reine Chrysalis marqua une pause durant laquelle sa tête se courba comme preuve de sa sincérité. C’était peut être une impression, pourtant je trouvais que son discours sonnait faux, comme si celui-ci avait été répété des centaines de fois par la dirigeante de cette colonie.
« Il y a encore peu de temps, un pays voisin s’est décidé à nous déclarer la guerre et ont sans attendre déclenché leur offensive sur notre ruche. Nous devons les repousser coûte que coûte ! »
Obéissant à un ordre muet de Chrysalis, deux gardes ouvrirent pesamment la porte et un déluge d’explosion vint fracasser mes tympans et mes rétines. Dehors, des centaines de petites tâches multicolores jetaient des éclairs de magie vers le ciel, visant la nuée de créatures volantes qui défendait vaillamment leur reine et leur foyer. Mus par leur instinct, mes frères et sœurs du premier rang s’écartèrent de l’ouverture béante.
« Mes chers sujets, mes enfants, voici vos ennemis ! La plupart d’entre eux maîtrisent la magie et sont capables de vous abattre en plein vol. Ils sont presque invincibles lorsqu’ils combattent ensemble, leur soutien mutuel ne faisant que les rendre plus fort. J’ordonne donc à chacun d’entre vous de foncer droit sur leurs lignes. Semez le trouble en imitant leurs formes, et dévorez leur amour ! »
Ce dernier mot attisa aussitôt l’intérêt de ses sujets, moi excepté, comme si leur instinct reprenait subitement le dessus sur leur peur. “Amour”? Qu’était cet étrange chose qui ne soulevait en moi qu’un léger dégoût ? Un rapide coup d’oeil jeté à mon voisin me confirma son importance, la bave s’accumulant autour de sa gueule. D’ailleurs, malgré le gavage que j’avais subi un peu plus tôt, j’étais également affamé, mais de quoi ?
« Dans quelques secondes, vous allez déployer vos ailes pour la première fois et vous envoler vers votre destin. Dès l’instant où vous quitterez le lieu qui vous a vu naître, vous serez considérés comme de véritables soldats ! Peut être ne reviendrez vous jamais, peut être cette première sortie sera votre dernière, mais oubliez dès maintenant votre personne. Effacez-vous au profit de ceux qui vous ressemblent et votre race, celle des changelins, vaincra ! »
Chrysalis n’eut pas besoin de lancer d’ordre, chacun de ses enfants se précipitait déjà vers le champ de bataille, leurs ailes neuves battant l’air en un bourdon sourd. Mais moi je restai là, je les regardai s’envoler inconsciemment vers leur mort. Et quand les premiers commencèrent à tomber sous le feu magique, carbonisés, quand les premières ailes se déchirèrent sur les lances et que la chitine se brisait sous les sabots furieux, là je compris.
Je la sentais envahir mes frères, je la sentais prendre peu à peu le pas sur leur instinct et emplir l’air. Et je me sentais complet, je me sentais puissant. Assouvir sa faim était tellement… plaisant. Pour la première fois, je goûtais à la peur, et sa saveur sucrée emplissait la moindre parcelle de mon être. Qu’importe que celle-ci viennent de mes frères agonisants, prêt à tout pour fuir la mort.
Notre mère me regardait. Évidemment, j’étais le seul à être resté dans l’entrée. Elle vola jusqu’à moi et se posa. Elle ne me regardait plus avec cet amour bienveillant mais avec une colère à peine voilée.
« Que fais-tu encore ici ? hurla-t-elle. Tu devrais être avec les autres à te battre pour ta ruche, pour ta reine ! »
Je la regardais, je souriais car j’étais heureux, j’étais ivre de cette nouvelle émotion que je buvais et qui, elle, était exquise pour moi. Je me sentais fort, si fort qu’aucun combat n’aurait pu me tuer.
Peu à peu je m’élevais devant elle à mesure qu’elle chutait. Elle vociférait à mon encontre mais je n’en avais que faire, d’elle, de mes frères qui se gavaient, qui me gavaient de cette immondice.
Quand elle comprit enfin ce que j’étais, que sa ruche s'effondrait sous le feu magique, que ses enfants étaient exécutés comme de simples vers, et que la mort n’était plus qu’une lointaine possibilité pour elle, là je goûtai au divin.
Ce jour là les changelins perdirent. Ce jour là les poney perdirent. Seule la peur gagna.
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Effectivement, il a survécu et c'est lui qui a gagné la bataille.
La fin m'a paru confuse dans un premier temps, mais ça fait sens finalement... et j'ai beaucoup aimé... même si j'avoue, c'est allé un peu vite, mais là était le challenge alors je ne peux pas prendre ça en compte.
Bien joué à vous deux @Hotep & @EphelI
En tout cas, perso j'aime cette fic