Chapitre 7 : Désastre

Cela faisait des mois que nous naviguions. Les abordages menés par le capitaine Fortune avaient permis aux pirates d'amasser une belle quantité de richesse. A l'échelle d'un poney, tout du moins. Il fallait partager entre les dizaines de marins qui étaient présents à bord, sans oublier de racheter des vivres et des munitions. Une fois les cales du Sea Devil remplies, le capitaine avait décidé de prendre le chemin du port de Hook bay. Il était temps de retourner à terre. La plupart de mes compagnons s'en réjouissaient d’avance. Ils pourraient festoyer dans les tavernes de la ville des hors-la-loi, manger et boire à leur soif et oublier le régime sévère qu'imposait un voyage en bateau. Moi, je me réjouissais pour une toute autre raison : J'allais bientôt revoir Windy. Cela m'aurait donné des ailes si je n'étais pas déjà un pégase. En quelques jours, j'allais pouvoir poser sabot à terre et retourner la voir... Mais le sort en décida autrement.

Un matin, nous avons vu de la fumée sur l’horizon. Un gros panache de fumée qui s'élevait au loin, noir, de mauvaise augure. Cela ne correspondait à aucune terre connue du capitaine. Intrigué, comme le reste de l'équipage, il a décidé de changer de cap, afin de voir de quoi il s'agissait. Je le vis bientôt sortir sa longue vue pour essayer d’apercevoir l'origine du panache. Ce qu'il vit le choqua profondément. Je ne savais pas encore de quoi il parlait, mais il refusa de dire quoi que ce soit avant que nous ne soyons arrivés.

C'était un navire en perdition. Les restes de ce qui devait être jadis un fier trois mats, était en train de disparaître sous les flots. Il avait explosé depuis l'intérieur, sans doute les réserves de poudre qui avaient pris feu, arrachant ainsi les parties avant et arrière. La carcasse, qui continuait à flotter, fumait encore du tragique événement. Et tout autour, des débris de bois flottaient, des morceaux de voile et de cordage… et des corps. Les corps mutilés de marins sans vie, qui partaient à la dérive, à la surface de l'océan. C'était tout simplement atroce. Tous ces cadavres mutilés… cette odeur de chair brûlée… J'eus envie de rendre mon dernier repas. Mais j'essayais, tant bien que mal, de garder le contenu de mon estomac face à ce désastre. Le capitaine aussi, était sous le choc. Il se tourna vers un des pégases de son équipage…

- Jack Pot, prends quelques pégases avec toi et va voir si vous trouvez des survivants.

- Oui capitaine.

Le matelot s'exécuta, et s'envola quelques minutes après avec trois compagnons. A côté, je pouvais entendre les autres pirates discuter :

- Vous vous rendez compte ? Pulvérisé !

- Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

- Cela faisait tellement longtemps qu'il naviguait…

- Un accident ? Vous croyez ?

- Non. Sûrement pas. Regardez. Les mats sont brisés net, les cordages sont arrachés, il y a des marques de grappins sur le bastingage, et les corps, qui flottent, ces blessures ont été faites par des armes. Non. Ce navire a été abordé.

Ils étaient au courant de quelque chose que j'ignorais. Curieux, je me tournai vers Scramble Punch, le licorne jaune, le seul pirate en qui j'avais à-peu-près confiance avec Fortune. J'hésitais à aller vers le capitaine. Ce dernier semblait troublé…

- Vous connaissez Ce bateau ? Lui demande-je.

- Malheureusement, oui : c'est le « Night Wander ». Le navire de Golden Necklace.

- Necklace ?

- Oui. Il était le second de Fortunate Sea, avant qu'ils ne s'emparent de ce navire.

Ce fut à mon tour d'être sous le choc. La réaction de Fortune était compréhensible : voir disparaître ainsi le navire de son ami devait être terrible. Mais avant tout, ce navire appartenait au père de Windy. Je commençais à trembler pour elle. J'observais l'épave de la frégate (une frégate de cinquième rang, un navire militaire de taille moyenne), une boule au ventre.

Les pégases ne tardèrent pas à revenir. Jack Pot se dirigea vers le capitaine, l'air grave.

- Nous n'avons rien trouvé. Si il y a eu des survivants, ils ont dû être emportés par les flots.

- Et Golden ?

- C'est tout ce que nous avons trouvé.

Ornate Prize, un des pégases, tendit alors quelque chose au capitaine. Un chapeau. Un tricorne marron, détrempé, tailladé, taché par endroit de sang, laissant aisément deviner ce qui avait dû arriver à son propriétaire.

Cette fois, le capitaine Semblait oublier le monde qui l'entourait. Il prit le tricorne entre ses sabots, sans savoir comment réagir. Sur le pont, c'était soudain un silence de mort. Personne ne cherchait à interrompre le capitaine dans ce moment solennel.

Fortune soupira, posa le chapeau sur un canon proche, qui se trouvait sur le pont, se tourna vers l'épave, et retira son bicorne, le maintenant contre son poitrail avec son sabot de bois. Il voulait rendre un dernier hommage à ce bateau et à son équipage avant qu'il ne disparaisse sous les flots. Par respect, tout le monde à bord garda le silence. Par respect, je décidai d'en faire autant.

- Golden Necklace était un grand capitaine, et chaque poney de son équipage, faisait partie des meilleurs qu'il m'ait été donné de rencontrer. Tous vaillants et courageux… Et maintenant, ils s'en retournent à l'océan. Comme les pirates qu'ils étaient.

Fortune resta silencieux une minute de plus, à regarder l'épave s'enfoncer peu à peu, avant de remettre son bicorne. Il n'y avait plus rien à faire, sinon reprendre notre route.

- Retournez à vos postes, ordonna-t-il. On remet le cap sur Hook bay.

L'équipage s’exécuta. Moi qui les prenais pour des brigands sans cœur au départ, je les voyais à présent, affectés par la disparition de cet autre navire. Tout comme moi. Le capitaine, lui, s'en retournait vers sa cabine. Je pus l'entendre murmurer :

- Comment je vais annoncer ça à Windy ?

Si cette pensée m'avait déjà rempli de tristesse, cette phrase prononcée par le capitaine acheva de me briser le cœur. Windy attendait encore, chez elle, que son père rentre… un père qu'elle ne reverra jamais…

C'est avec le cœur lourd que j'ai repris mes occupations de mousse. Les autres ne comprenaient pas tous pourquoi j'étais aussi affecté, mais la plupart me laissaient en paix. Même Gristle, le second, préférait éviter de me pousser à la tâche. Je lui en étais reconnaissant.

Windy… Pourquoi avait-il fallu que ça lui arrive ? Elle était la bonté incarnée, un îlot de bonté au milieu d'un océan de brutalité. Elle ne méritait pas ça… Je commençais à comprendre que vivre dans un monde de pirate impliquait des sacrifices.

Pendant le trajet du retour, j'essayais d'imaginer ce que je pouvais faire, ce que je pouvais dire pour la réconforter, pour l'aider dans cette période douloureuse… mais le jour de notre arrivée, un frisson me parcourut l'échine.

Il y avait à nouveau de la fumée à l'horizon. Mais cette fois, elle venait de droit devant nous.

Hook Bay !

Windy !

Cette fois, c'est la panique qui me donnait un sursaut d'énergie. Je galopais, volais, dans tous les sens autour du bateau pour apporter autant d'aide que possible, donnant tout pour essayer d'augmenter notre vitesse. Les ordres étaient devenus inutiles. Je m'associais aux autres pirates pour resserrer les voiles, tirant sur les cordages, jusqu'à saigner des gencives, et presque me briser les cervicales. Gristle dût même me supplier d’arrêter avant que je ne me fasse plus de mal. Mais peu m'importait. Je voulais arriver au plus vite au port pirate.

Au soir, nous arrivions dans la baie. Le spectacle me laissait sans voix.

Le port était rempli des épaves de bateaux détruits, les pontons, les maisons, avaient été ravagées. Celles qui n'avaient pas été détruites par les boulets de canon étaient encore en train de brûler, réduites en cendres. Dans chaque rue, d'autres cadavres gisaient, vidés de leur sang, abandonnés là, pour les laisser mourir.

C'était un véritable carnage.

Je n'attendis pas que les pirates aient fini de mettre la chaloupe à l'eau, et m’envolais directement en direction de la ville en ruine, envahi par la peur de ce que j'allais découvrir. Personne ne fit rien pour m’arrêter.

Le spectacle était encore plus atroce vu de près. Il y avait encore cette odeur de sang, de chair brûlée et de cendre m’envahissait les naseaux, le sol était poisseux du sang des victimes, qui y avait coulé à flot. Je voyais des cadavres… Parfois des morceaux de cadavres. Et ces derniers m’écœuraient plus que les précédents. Poneys, juments, griffons, chiens à diamant… peu importe leur gabarit, tous avaient été décimés. Je priais Celestia, Luna, et toutes les alicornes et divinités que je connaissais pour qu'il reste quelque chose.

En quelques minutes, j'étais arrivé à la taverne de Windy. La porte avait été enfoncée, arrachée de ses gonds, avait atteri sur un plancher noirci, alors que les vitres, soufflées par une explosion, couvraient à présent le sol de la ruelle, réduites en morceaux.

- Windy ! Est-ce que tu es là ? Est-ce que tu m'entends ? Windy !

Aucune réponse. J'entrais dans le bâtiment, terrifié à l'idée de ce que je pouvais y trouver.

L'intérieur était dans un état pire qu'il ne l'avait jamais été. Les meubles avaient été pulvérisés, en partie carbonisés, l'air empestait la chair brûlée et la poudre à canon, chargé d'une fumée qui piquait les yeux et la gorge. Les corps de nombreux pirates jonchaient également le sol de l'auberge, presque méconnaissables, tant ils avaient souffert de l'explosion qui avait eu lieu ici. Mais aucun d'eux n'était celui de Windy.

Je me suis précipité vers l'arrière-boutique. Ceux qui étaient venus avaient emporté tout ce qu'ils pouvaient trouver d'intéressant, les placards avaient été vidés, même le comptoir avait été pillé de ses bouteilles. Il ne restait rien…

Je n'avais pas retrouvé Windy. Partagé entre l’effroi et le dépit, je ressortis du bâtiment en ruine. J'ai fouillé les bâtisses environnantes, mais c'était toujours le même résultat. La jeune licorne restait introuvable.

Paniqué, je suis revenu vers les docks en ruines, où les pirates venaient de débarquer. Le capitaine Fortune se trouvait parmi eux. Lui, comme ses compagnons, restait sans voix face à ce macabre spectacle. Il lui fallut quelques instants pour réaliser que je venais de me poser à proximité. Il se tourna alors dans ma direction.

- Jolly ?

- Elle n'était pas là… nulle part ! Il n'y a plus personne ! Ils sont tous morts…

Je ne pus retenir mes larmes. Tant de chaos… de destruction… de mort… et Windy, qui restait introuvable… c'en était trop, trop pour un jeune pégase comme moi. Je m'assis alors là, sur le sol poisseux, comme privé de ma force mentale.

- Comment ça a pu arriver ? Demandais-je d'une voix plaintive ? Qui ? Comment ? Pourquoi ?

Aucun d'eux ne répondit. Personne ne le pouvait. Fortune s'approcha de moi, essayant de poser un sabot réconfortant sur mon épaule. C'était tout ce qu'il pouvait faire, face à cette situation.

Soudain, une plainte rauque retentit depuis des décombres proches, nous faisant tous sursauter. Il y avait quelque chose… Quelqu'un à proximité. Fortune et les autres pirates se précipitèrent dans sa direction. Je les suivis quelques secondes après…

C’était encore pire que tout ce que j'avais vu jusque-là. C'était un terrestre, bleu nuit, éventré, une partie de ses entrailles à l'extérieur de son corps, gisant sur le sol dans une mare de sang… pourtant, il continuait de vivre. Je ne sais toujours pas comment j'ai fait pour garder le contenu de mon estomac face à ça. Certains appelleraient ça un miracle, qu'il ait survécu aussi longtemps, moi, j’appelle cela une vraie malédiction.

Je m'éloignais de quelques pas, rendu malade par la dure réalité qui se présentait à moi, tandis que Fortune s'approchait du blessé. Il lui releva la tête, son sabot dans le sien, essayant de le soutenir alors qu'il reprenait conscience.

- Enfin… Vous… Non, Trop tard… Vous n'auriez pas dû venir… Marmonna le pirate agonisant.

- Que s'est-il passé ? Lui demanda Fortune, direct mais évitant malgré-tout de le brusquer.

- Nous… Nous avons été attaqués… Ils étaient partout… Des créatures du Tartare, Qui tuaient tout le monde…

- D'où est-ce qu'ils venaient ? S'il te plaît, dit nous.

- Il… Il y avait des bateaux… Plein de bateaux… Une vraie flotte… Il y en avait un, devant les autres… Il avait un pavillon rouge… et beaucoup avaient ce pavillon à côté du leur…

Le pavillon rouge. Celui qui signifie pas de cartier. Celui où personne ne doit survivre à une attaque.

- … Ils ont débarqué… repit le mourant. Des griffons, des chiens à diamant, assoiffés de sang… Sans menace, ni avertissement, ils sont venus pour massacrer tout le monde…

Le malheureux s’arrêta, peinant à respirer. Il n'y avait malheureusement rien à faire pour l'aider. Il allait mourir, et rien ne pouvait l’en empêcher.

- Ils ont tout emporté… tout…

- Qui étaient-ils ?

- Je ne sais pas… Il y avait un capitaine… Je l'ai vu… Un terrible griffon… La fureur et la rage dans ses yeux… Ses serres acérées… J'ai entendu son nom…

- Qui étais-ce ? Qui est le responsable ?

- D-D-Drakkar, Drakkar… le Rouge…

Ce nom ne m'était pas encore familier, ni à aucun autre de mes compagnons. Sans doute à cause du pavillon rouge : tous ceux qui ont dû entendre parler de lui jusque-là avaient sûrement fini de la même manière que ce malheureux. Mort, éventré, voir pire.

- Il n'y a plus rien… Il ne reste plus rien… Hook bay est morte… Partez… Partez… Il n'y a plus rien… Partez…

Ce furent ses derniers mots. Il ferma les yeux, s'endormant, pour ne jamais se réveiller.

Je me remis à pleurer… Tous avaient péri… Windy avait péri… Sans doutes de la même manière… Je ne voulais pas y croire, mais les faits étaient sous mes yeux. Je sentis mon cœur se déchirer dans ma poitrine. Elle avait disparu…

Fortune décida de rester quelque temps. Nous avions assez de réserve pour tenir quelques jours avant de mettre le cap sur le port pirate le plus proche. Il voulait essayer de voir ce qui pouvait être récupéré, et prendre les corps des nombreux pirates, pour les jeter à la mer une fois au large. Ainsi finissaient les pirates : emportés par le font, pour retourner à l'océan, sur lequel ils avaient toujours vécu.

Je ne voulais pas assister à ce spectacle. Je n'en avais plus la force. Fortune m'autorisa à prendre une de ses bouteilles de rhum, me conseillant de me reposer quelque part, pour essayer de me remettre de mes émotions. Je suivis la proposition, mais peu sûr de savoir si j'arriverais à me remettre de la disparition de Windy.

Au soir, Je suis retourné sur cette plage, où nous avions pic-niqué. Cet endroit, jadis radieux, et chaleureux, semblait alors triste et morne, comme si la vie avait définitivement quitté cet endroit. J'entamais ma bouteille, regardant le soleil se coucher à l’horizon, éclairant d'une lumière maladive les épaves à moitié immergées qui décoraient à présent la baie.

Tant de tristesse et de désolation... Tant de douleur...

À Nouveau, je me sentais complètement perdu. La seule chose que j’espérais encore dans ce monde... A quoi je pouvais continuer de m'accrocher... venait de disparaître dans les flammes. J'avais perdu ma raison de vivre, et je me sentais déjà sombrer, à mon tour... Je bus mon rhum à grosses gorgées, essayant de faire passer ces nombreux sentiments. Mais ils refusaient de disparaître, et à chaque lampée, je ne faisais que m'enfoncer un peu plus.

En quelques minutes, j'avais vidé la bouteille. La seule que j'avais, malheureusement. Mais peu habitué à ce niveau d'alcool, je vis rapidement les effets apparaître. Ma tête me tournait, devenait lourde... Je perdais sabot avec la réalité... Je m'endormis là, misérablement, dans le sable humide...

Je me réveillais plusieurs heures plus tard, alors que la nuit allait bientôt toucher à sa fin. J'avais les sabots dans l'eau. Mon état était pire que lors que je me suis endormi. Je souffrais d'une terrible migraine, comme si j'avais une épée plantée dans le crane, mon équilibre n'était toujours pas revenu, et j'avais toujours ce vide, en moi, que l'alcool n'avait pas réussi à combler. Je me sentais vraiment pitoyable...

C'est là, pourtant que je vis apparaître mon ange gardien. Dans l'eau, en face de moi, je vis une forme, apparaître, une tête fuchsia commençait à dépasser de l'eau, avec le visage d'une jument. Je crus d'abord à une hallucination, en la voyant s'approcher, mais ce n'est pas un effet connu de l'alcool. Non, il y avait bien une jument en face de moi…

Avec des nageoires.

Une sirène.

Trop perturbé par mon état et par les récents événements, Je n'arrivais pas à réaliser ce qu'il était en train de se passer sous mes yeux. Une sirène, une vraie sirène venait de sortir de l'eau, à quelques mètres de moi. De la vie, là où elle semblait avoir disparu… Et elle arrivait là, comme un message d'espoir. Je la laissais s'approcher lentement, trop faible physiquement et mentalement pour tenter quoi que ce soit. Elle me regardait, d'un air concerné, ou curieux, je ne saurais trop dire. D'une voix douce, elle prit la parole.

- Tu as l'air d'être une âme en peine. Puis-je t'aider en quelque chose ?

- Je ne pense pas. Non, il n'y a rien à faire. Plus rien.

- Tu en es sûr ?

- Regarde par toi-même !

D'un geste brusque, je désignai le port en ruine, ravagé par l'attaque d'une flotte de pirate, me mettant à crier alors que les larmes me revenaient.

- Il ne reste plus rien ! Tout le monde est mort ! Tout le monde…

Je me tus rapidement, emporté par un nouveau flot de larmes. Je voulus me redresser pour m'éloigner, mais je tremblais encore sur mes jambes. Je retombais au même endroit, incapable de me relever. Je restais donc là, à sangloter.

- Tu as donc perdu quelqu'un dans cette ville ? Je suis vraiment désolée. Je comprends ta douleur.

La sirène se hissa sur la plage à l'aide de ses nageoires, pour venir s’allonger à côté de moi. Je n'y fis pratiquement pas attention, lui adressant cependant un regard quand elle se présenta.

- Je m'appelle Marine. Et toi ?

- …Jolly… Jolly Roger.

Je n'en dis pas plus, ne sachant pas quoi rajouter. Marine resta silencieuse plusieurs minutes avant de reprendre la conversation :

- Qui as-tu perdu dans l'attaque de la ville ?

- Une... Une amie... Une licorne...

- Celle qui venait souvent sur cette plage ? Je l'ai souvent aperçue.

- Oui, c'est elle. J'ai regardé partout dans la ville et aux alentours, mais elle n'était nulle part. Fortune a envoyé quelques-uns d'entre nous fouiller la jungle, mais ils n'ont encore rien trouvé.

- Donc, tu ne l'as pas vue ? Tu ne l'as pas vu morte ?

- Non... Mais ces pirates voguaient sous pavillon rouge. Ils n'ont dût épargner personne sur cette île... il n'y a plus que des morts et des mourants.

- En fait, ils ne naviguaient pas tous sous pavillon rouge.

- Comment ça ?

Je me retournai vers la sirène, subitement intéressé.

- J'ai vu le raid. Je les ai vu débarquer... Et certains d'entre eux naviguaient sous pavillon noir. Ils n'ont pas tué tout le monde. Je les ai vu faire des prisonniers, et les ramener avec eux sur leur bateau.

- Vraiment ? Tu a vu Windy ? Elle était avec eux ?

- Je ne sais pas, il y en avait vraiment beaucoup... Mais si tu cherches des survivants, c'est à bord de leurs navires que tu les retrouveras.

- Où sont-ils ? De quel côté sont-ils allés ?

- Jolly, souviens-toi qu'il s'agit d'une véritable flotte. Si tu comptes les délivrer...

- Je suis prêt à prendre le risque.

- Tu es sûr...

- J'irais jusqu'au bout pour la sauver, elle et les autres survivants. Même si je dois le faire seul !

Je ne sais pas vraiment ce qui m'a fait prendre cette décision précipitée... Peut-être l'alcool. Marine me jeta un regard réprobateur, réfléchissant quelques minutes. Finalement, elle céda :

- Il y a un archipel, au nord-est. Les poneys l’appellent l'archipel des naufragés. Personne n'y va jamais normalement, parce qu'elle est trop loin des routes maritimes. Mais depuis quelques temps, un groupe de pirates a commencé à y construire une sorte de forteresse. Les autres sirènes se méfient de cet endroit, à présent. Mais c'est là que mouille la flotte qui a attaqué cette ville.

- Une forteresse ?

- Tu devras être très prudent, si tu décides de t'y rendre. Elle est bien gardée, d'après ce qu'on m'en a dit.

- Je ferai attention. Merci. Merci Marine. Je ne sais vraiment pas ce que...

- Il n'y a pas de problème, Jolly. Tu a l'air de quelqu'un de bien. Essaye juste de faire attention à toi, quand tu te rendras sur l'archipel.

- C'est promis.

Pris d'une énergie nouvelle, je me remis sur mes sabots, et me soulevai pour sortir de l'écume qui s'était agglomérée autour de moi. Une fois debout, je me retournai vers la ville. Je ne pouvais pas encore voler, mais je pouvais au moins galoper. J'adressai un dernier regard à la sirène.

- Merci pour tout.

Puis, emporté par mon excitation, je m'élançais à travers la jungle, trébuchant de temps en temps, mais sans perdre plus de temps. J'avais retrouvé l'espoir. L'espoir de sauver Windy, et les habitants de Hook Bay. Je me sentais soudainement capable d'affronter l'océan lui-même pour y arriver.

Mais ça, ça n'allait être que le début.