Mon image dans le lac

« Brrr... Qu'il fait froid ... »

Allongé sur le ventre et sur le sol rugueux où je reposais, je venais juste de reprendre connaissance.

Je n'avais pas mal mais je me sentais un peu étourdi. Et j'avais froid, très froid, comme si je sortais tout juste d'un bain tout habillé dans une piscine glacée. Je n'étais plus dans ma chambre, c'était certain. Où étais-je, alors ? Que s'était-il passé ?

Je me redressai péniblement, sentant à peine mes membres engourdis par le gel. Dès que mes yeux finirent de me tourner, je pus distinguer tout autour de moi des murs de pierre d'allure naturelle qui réfléchissaient une lumière bleutée qui semblait émaner d'une source située juste au dessus de moi et qui remontait sur plusieurs dizaines de mètres. Une caverne ? Qu'est ce que je faisais dans une caverne ?

Maintenant à quatre pattes, je remarquai que je me trouvais juste à coté de ce qui semblait être un lac souterrain à l'eau très claire. Cela pouvait expliquer pourquoi j'étais trempé, restait à savoir pourquoi je sortais de ce lac. Et pourquoi j'y étais entré en premier lieu.

Mais d'abord, il fallait me réchauffer. J'étais tout seul ici, je pouvais retirer sans crainte ni pudeur mes vêtements qui capturaient tous les courants d'air glacials. De toute façon, j'avais trop froid pour tergiverser.

« Allez, saleté ! », je venais de m'y reprendre une troisième fois pour attraper mon T-shirt, toujours sans succès. C'était comme si mes mains étaient figées en poings par le gel. Je les portai donc à ma bouche pour souffler dessus. Au lieu de ça, dès que je les vis, je hurlai :

« Aaah ! C'est quoi ça ?! »

Mon cri rebondit des dizaines de fois sur les multitudes de parois de la caverne. Quand il finit enfin par s'estomper, j'étais toujours bouche bée à fixer les choses qui s'agitaient frénétiquement dans ma panique à l'endroit où auraient du se trouver mes mains.

« C'est des … J'ai des ... J'suis un - », je m'interrompis, laissant mon regard remonter mon bras jusqu'à l'épaule, les deux maintenant entièrement recouverts d'une fine couche de poils bleutés et humides. Ma respiration s’accéléra. J'essayais de tourner la tête pour voir le reste de mon corps, sans réellement y parvenir.

La lumière qui se réfléchissait sur le lac attira mon attention. Ravalant ma salive, tremblant de froid et maintenant de peur, je me levai fébrilement et m'avançai sur quatre pattes malhabiles de la surface si parfaitement transparente de l'étang. Après quelques instants d'hésitation, j'y plongeai finalement mon regard et mes yeux s’écarquillèrent :

« Oh ... »

Sans que je ne sache vraiment pourquoi, l'image de ce que j'étais devenu et qui se reflétait dans le lac avait eu pour premier effet de me laisser comme en état de transe et de fascination.

Était-ce parce que le froid qui me menaçait me donnait matière à relativiser ? Était-ce parce que les reflets étincelants à la surface soulignait de façon presque solennelle la silhouette qui était maintenant la mienne ? Était-ce au contraire le dégoût que j'éprouvais envers la créature qui me dévisageait en prétendant être moi ? Ou bien était-ce une réaction de défense de mon organisme en détresse pour m’empêcher de hurler ? Ou même le résultat de l'euphorie apportée par un sentiment enivrant de renaissance ? Peut-être un peu de tout ça, en réalité.

Après tout, on n'est jamais préparé à la réaction qu'on aurait en se retrouvant soudainement changé en un spécimen d'une toute autre espèce. En une créature équestre au regard attendrissant et niais. En un petit cheval bleu.

Je restais le regard rivé sur mon reflet, assis sur mes membres repliés, si absorbé que je ne sentais même plus sur ma robe le froid et le vent qui parcouraient toujours la caverne à travers ses moindres ouvertures, agitant ma crinière colorée d'une étonnante teinte turquoise foncé.

Je ne finis par revenir à la raison qu'après de longues minutes, juste après m'être surpris, sans aucune raison apparente, à approcher mon visage au plus près de la surface et de volontairement produire à destination de ma propre image un timide :

« Hiii … ? »

Je secouai alors la tête en confusion, détachant enfin mon regard de cette obsédante vision. C'était quoi, ça ? Pourquoi avais-je henni comme ça ? Je pouvais pourtant encore parler et je savais que ce n'était qu'un reflet.

C'était comme si j'étais en train d'accepter cette forme. C'était absurde ! Je ne voulais pas être un cheval. Je ne l'avais jamais voulu. Qui l'aurait voulu ? Je commençais à me sentir bizarre. Qu'est ce que cet endroit était en train de me faire ? Il fallait que je sorte d'ici. Et vite.

Revenu à moi, je sentais à nouveau les courants d'air glacés mordre ma peau à travers mon manteau de crin mais au moins, maintenant, j'étais sec et bien déterminé. J'observai plus en détail les alentours et distinguai rapidement une rampe naturelle qui semblait remonter la caverne en se terminant sur une ouverture circulaire dans la roche.

Dressé sur ces quatre pattes, je pris quelques instants pour assurer un peu plus mes pas sur ces sabots avant de me mettre à courir. Dès que je me sentis suffisamment stable, je commençai à galoper avec une étonnante aisance en direction de la rampe.

J'étais assez surpris d'avoir réussi à prendre le coup de la course à quatre pattes aussi rapidement mais encore plus de la vitesse que j'atteignais. Malgré la pente, le manque de pratique et l'engourdissement, j'étais en haut en un clin d’œil. Je m’arrêtai un instant et levai une de mes pattes devant mon visage :

« Wow… c'est… wow... », fis-je, stupéfait et modérément admiratif, avant d'être interrompu par un courant d'air qui m'aveugla et me fit frisonner une énième fois.

Le fait qu'il provenait de l'ouverture confirmait toutefois que j'étais sur le bon chemin. Je repris mon souffle et me remis à courir de toutes mes forces. J’ignorais quel était cet endroit et s'il était vraiment responsable de mon état mais m'en éloigner le plus possible pour échapper à son influence était tout que je pouvais penser faire à ce moment.

M'engouffrant dans l'ouverture, j’espérais atteindre rapidement la sortie, l'air libre et surtout la douce et réconfortante chaleur du soleil.

Bon sang, que j'avais froid …