Les portes s'ouvrirent lentement, dévoilant peu à peu les trésors enfermés dans ces murs. Des briques vieilles de plusieurs millénaires, qui n'avaient pas perdu de leur blancheur éclatante, supportaient envers et contre tout la bâtisse majestueuse, lui faisant traverser des dynasties, des guerres, des attaques magiques et chaotiques, des coups d'états, et lui permettant, à travers les âges, d'abriter les puissants du royaumes.
Le Château de Canterlot, le centre du monde, lieu où s'étaient joué la majorité des pièces ayant pour acteurs les grands décideurs d'Equestria et d'au-delà, et résidence depuis leur ascension au trônes des Princesses Alicornes.
Luna s'arrêta quelques seconde sur le palier, observant les décorations qu'elle n'avait pas pu voir pendant plus de treize ans. C'était toujours aussi magnifique, comme si la bataille qui avait fait rage dans cette ville il y avait quelques mois à peine n'avait eu aucune incidence sur la manière dont ce château était aménagé. A quelques détails près, cependant, qu'un œil non-averti ne saurait déceler. Les symboles représentant la lune, quelque soit la manière, avaient disparus. Seuls subsistaient les marques de l'Empire solaire, les allégories à l'Alicorne d'ivoire, et, parfois, discrètement, une allusion aux Licornes du Soleils, gardiennes de cet endroit.
La mâchoire de Luna se serra légèrement. Ce n'était pas d'être mise à l'écart de cet endroit qui la peinait, le contraire l'aurait étonné, sinon. Mais elle ne pouvait pas s'empêcher de considérer cela comme une désacralisation du travail qu'avaient abattu les deux sœurs à leur arrivée ici. C'était discret, à peine remarquable, mais alors que les ouvriers de l'époque commençaient à redéfinir la décoration pour les deux nouvelles princesses, celles-ci avaient subtilement placé quelques remarques qui, pour un profane, ne signifiaient rien.
Mais pour Luna et sa sœur, c'était un témoignage. Un souvenir. Un moyen de ne pas perdre la mémoire.
De se souvenir de la Chute des Alicornes.
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La chaleur des flammes lui prenait à la gorge, et l'étouffait. Partout autour d'elle, elle ne voyait que panique, pleurs, bâtiments en feu, et corps sanglants. Et elle pleurait, pleurait toutes les larmes de son petit corps, en hurlant sans pouvoir couvrir les cris de souffrances omniprésents. Elle appelait, ne sachant pas quoi faire d'autre, n'osant pas se déplacer, ne voulant pas regarder les morts ou les vivants, priant dans son cœur que quelqu'un lui réponde.
-MAMAAAAN !
Soudain, les lueurs des flammes devinrent moins agressives, et la petite alicorne ouvrit les yeux. Devant elle se dressait une ombre, immense, les ailes déployées et la corne grésillant d'arcs magiques. Mais le plus inquiétant dans cette ombre était son sourire. Un sourire mauvais, malsain, garni de longues canines pointues, et accompagné d'yeux fous qui observaient la petite comme pris d'un appétit féroce. La langue de l'ombre sorti de sa bouche et passa sur ses lèvres, puis il baissa la tête, pointant sa corne chargée vers la poitrine de l'enfant.
Luna hurla :
-MAMAAAAAAAAN !
Soudain, il y eut un éclair aveuglant, qui obligea la petite à fermer les yeux. Après quelques secondes, ne ressentant rien, elle osa en rouvrir un, pour voir l'ombre, l'air interloqué. Elle baissa les yeux vers sa poitrine, traversée par un immense trou fumant. Il releva le regard vers quelque chose derrière Luna, puis s'effondra à terre.
La petite, tremblante, n'arrivait plus à détacher son regard du corps de feu l'Oncle Mercurio, jusqu'à ce qu'elle ressente la pression d'une patte sur son épaule, et une voix douce qui lui souffla :
-Ça va, Lu' ?
Luna se retourna pour voir sa sœur, l'air inquiet sous sa mèche rose pâle. L'adolescente blanche replaça ses crins raides derrière son oreille pour que la petite puisse voir ses deux yeux. Luna sentit des larmes perler au coin de ses paupières, et se jeta sur sa sœur pour étreindre ses pattes le plus fort qu'elle le pouvait, les pleurs chauds coulant sur ses joues.
-TIAAAAAAAA !
Celestia s'assit, et rendit son étreinte à la pouliche, lui caressant sa crinière bleue ébouriffée, et lui murmurant des mots rassurants, à peine audible dans le vacarme de cette apocalypse, mais la voix douce de l'adolescente parvint à calmer un peu la frayeur de la petite. Au bout de quelques minutes, Celestia se dégagea de l'étreinte de Luna, et se releva.
-Allez, Lu, il faut qu'on s'en aille.
La petite n'osait pas se relever.
-Tia, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tonton Mer' il était pas normal ? Pourquoi tout le monde est méchant ? Où est mam...
-Lu, on a pas le temps. Je t'expliquerais tout quand on sera à l'abri.
-On va où ?
-Maman m'a dit d'aller dans une crypte. Elle a dit qu'on trouverai quelque chose pour que tout rentre dans l'ordre.
-Elle est où maman ?
Luna vit la mâchoire de Celestia se serrer, et l'alicorne blanche prit une grande inspiration. Elle lutta pour ne pas laisser voir ses larmes, et se tourna vers la petite, un sourire peu convaincu au visage.
-Maman... Elle...
Face aux yeux ronds de la petite, pleins d'incompréhension, Celestia hésita.
-Elle... Nous rejoindra plus tard. Allez, viens.
Elle commença à s'éloigner au trot, et Luna la suivit dans le Chaos.
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Les Alicornes étaient des êtres puissants. Trop puissants. Depuis des millénaires, dans leur autarcie et leur suffisance, ils en étaient venus à être à la limite de basculer dans la mégalomanie, et la soif de pouvoir. Une goutte d'eau pouvait suffire à faire déborder le vase.
Cette goutte d'eau avait prit le nom de Discord.
Mais chacune des Alicornes voulait le pouvoir sur ce monde et, au final, aucune ne l'obtint. Seuls deux licornes ailées se sont échappées de ce carnage. Et la mère des deux sœurs n'en faisait pas partie. Il avait fallu longtemps, très longtemps, avant que l'alicorne bleue n'accepte l'idée qu'elle ne reverrait jamais sa génitrice.
Oh, qu'elle en avait voulu à Celestia ! Elle lui avait caché cette vérité, elle avait entretenu un espoir inutile, jusqu'à ce que Luna réalise. Mais ce fut de courte durée. Le véritable fautif, lui, avait tourné ses serres et ses griffes vers le royaume des poneys unifiés. Et le sentiment de vengeance était né et avait grandit dans les entrailles de la jument de la nuit au fur et à mesure des années qui la séparaient de l'âge adulte. Et elles avaient désormais un moyen de le vaincre, de le réduire à néant : Les Eléments de l'Harmonie.
Enfin, le croyait-elle.
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-C'est tout ?
Luna fulminait de rage. Elle ne pouvait pas détacher son regard de cette statue, qui semblait se moquer des deux juments, dressée comme si elle entonnait une sérénade -ce qui était vrai, par ailleurs. Discord avait commencé à chanter au moment où les Eléments l'avaient frappé. Pas une once de peur sur son visage, juste une ultime et éternelle moquerie.
L'alicorne bleue frappa plusieurs fois de rage sur le sol. C'était injuste ! Il n'était pas mort, elle était sûr de ce fait, elle pouvait encore ressentir une sourde chape de chaos provenir de la statue. Pas de quoi rendre le monde fou comme ces dernières décennies, non. Mais assez pour savoir que cet enfoiré était encore vivant.
-C'est normal, fit Celestia d'une voix calme à ses côtés. L'Harmonie ne tue pas. Pas avant que l'heure ne soit venue. Si Discord est encore là après l'attaque, c'est qu'il a encore un rôle à jouer.
-Rien à foutre ! hurla la plus jeune. Je n'ai pas attendu toutes ces années pour le voir à la limite du triomphe dans un jardin ! Il mérite cent fois de mourir !
-Luna, calme-toi...
-Il a foutu ce monde en l'air !
-Luna, s'il te...
-Il a détruit les Alicornes !
-Lu'...
-IL A TUÉ MAMAN !
Luna ne parvenait plus à contenir ses larmes. Rage, tristesse, manque, et maintenant cette frustration d'une vengeance inassouvie... Elle avait donné toutes ces années aux Eléments, pour les maîtriser, laisser de côté ses passions pour comprendre l'Honnêteté et la Loyauté dans leur forme la plus pure. Mais à présent, elle réclamait son dû. Discord devait mourir, maintenant !
-LUNA !
Surprise par le ton soudainement sévère de sa sœur, l'alicorne tourna son regard vers elle, et vit qu'elle lui montrait la statue. A sa grande horreur, Luna vit qu'une fissure était apparue sur son torse.
-Lu', reprit Celestia d'une voix plus douce. S'il te plait. Laisse la vengeance en-dehors de tout ça. Discord est vaincu, et il ne fera plus de mal, tant que nous resterons liées aux Eléments. Ne les met pas en doute juste parce que tu ne veux pas une autre issue que la mort.
-Mais Tia...
Celestia s'approcha de Luna, s'assit à côté d'elle et la prit dans ses pattes, sa crinière éthérée couleur pastel flottant autour de leurs visages.
-Je sais, Lu', je sais...
Luna hésita un moment, puis rendit son étreinte à sa grande sœur. Elle jeta un coup d’œil à la statue, et nota que la fissure avait disparue. Alors, elle soupira, et se laissa aller contre Celestia. Tant pis pour la vengeance pure et dure. Ça devrait faire l'affaire.
-Lu' ?
-Quoi ?
-Et si on enlevait ces armures, maintenant ?
Luna ne put s'empêcher de laisser passer un petit rire, rapidement reprit par sa sœur, et finalement, les deux alicornes laissèrent s'échapper toutes les tensions de ces dernières années dans une manifestation très bruyante de leur joie. Celestia avait toujours eu horreur de son armure qui lui donnait un sentiment de claustrophobie. Les deux sœurs illuminèrent leur cornes, et les plaques de métal protectrices disparurent dans une douce lueur, laissant les juments nues.
-Lu', fit Celestia après un long silence. Est-ce qu'on peut se promettre une chose ?
-Oui, quoi ?
L'alicorne blanche hésita un instant, cherchant ses mots.
-Tu sais, ces armes et ces armures... Elles... Elles...
-Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Luna d'un air inquiet en voyant le regard de sa sœur.
Celestia prit une inspiration, et dit :
-Ce sont des armures alicornes. Elle font partie de nous. On est nées avec la capacité de les invoquer, et elle nous vont parfaitement...
-Mais...?
-Elles...
Celestia déglutit.
-Elles me rappellent trop... Ce jour-là...
Luna fronça des sourcils. La capacité innée des alicornes à générer des protections presque parfaites et des armes capables de tout vaincre lui avait toujours paru comme une bénédiction, un moyen de se venger. Elle ne les avait jamais vu comme autre chose que des outils.
-Jusque-là, je me suis dit qu'on pouvait en avoir besoin contre Discord, mais même ça, c'est inutile. Maintenant que nous avons les Eléments, tout ce à quoi ces choses peuvent servir, c'est...
Sa mâchoire se serra.
-... Tuer des alicornes.
Luna restait interdite. Elle n'avait jamais vu les choses sous cet angle. Effectivement, la seule chose qui pouvait passer l'armure magique d'une alicorne était l'arme d'une autre alicorne, et le jour de la Chute, tous les habitants avaient invoqué les deux, annulant les avantages de l'une et de l'autre, pour finalement en arriver à cette tragédie.
-Je veux qu'on se promette quelque chose, Lu'.
-Parle.
-On ne doit plus jamais les invoquer. Quelque soient les circonstances, quelques soient les raisons. Nous sommes les créatures les plus puissantes du monde, désormais. Nous n'en avons plus besoin. Alors, je veux qu'on se donne comme règle de ne plus jamais les sortir. D'accord ?
Luna hésita un instant, puis acquiesça.
-Promis. Plus jamais les armes et armures alicornes. Ça sera notre Règle.
Celestia sourit.
-Oui. Notre Règle...
-Ahem.
Les deux juments se retournèrent vivement, pour voir un terrestre habillé en costume complet, l'encolure très droite, un petit nœud papillon sur le cou, et une fine moustache entretenue. Celui-ci se courba, et dit :
-Veuillez me pardonner pour interrompre ainsi votre discussion, mais j'ai le devoir de vous prévenir que le Commandant Suprême Tramonstane, le Chancelier Strawberry et le Roi Aurum vous attendent dans la salle du trône du château.
Les alicornes se regardèrent, interloquées.
-Si je ne m'abuse, continua le terrestre, le sujet de la réunion traitera de votre accession au trône d'Equestria, alors je ne saurais que vous suggérer de vous préparer mentalement.
La mâchoire de Celestia se décrocha, rapidement suivie de celle de Luna.
-Attendez, fit l'aînée, quoi ?
-Et bien oui. Récemment, vous avez fédéré les résistants au règne de Discord en montrant des capacités de dirigeante certaines. Plus encore, vous venez de réduire à l'état de décoration de jardin ledit Discord. Vous vous attendiez à autre chose?
-Mais... Nous ne sommes pas faites pour être reines! s'alarma Luna.
Un léger sourire passa sur le visage du terrestre.
-Honte sur moi, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Wind Freeze, et je suis le majordome du Château de Canterlot. Comprenez par-là que je sers quiconque est assis sur le trône de la chambre principale.
Wind Freeze jeta un coup d’œil à la statue.
-Peu importe mon dégoût dudit personnage. Ce qui implique également qu'incessamment sous peu, je serais à votre service.
-Nous ne voulons pas de serviteurs !
-Cela n'est même pas à discuter, votre future majesté. Ma famille sert le château depuis sa construction, et le servira jusqu'à sa destruction. Que vous montiez sur le trône ou non, que vous en descendiez ou non.
Il se racla la gorge.
-A présent que les présentations sont faites, j'en reviens à mon idée principale : des rois et des reines, ma famille en a vu depuis des siècles. Des tyrans, des bons, des justes, des naïfs, nous pourrions voir un être digne de s’asseoir sur un trône d'un unique coup d’œil.
Son sourire se fit plus chaleureux.
-Et il m'a fallu beaucoup moins que cela pour voir que vous êtes faites pour siéger à la tête du royaume unifié.
Puis, brusquement, il sorti un crayon et un carnet de sa veste.
-Ce qui m'amène à la seule question qui mérite d'être posée en cet instant : le matin, vos œufs, les désirez-vous brouillés ou au plat ?
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Dans l'encadrement de la porte apparut un poney terrestre au poil gris clair, et une moustache gigantesque qui, couplés avec ses sourcils broussailleux, donnait l'impression que le poney n'avait pas d'yeux, ou du moins ne voyait rien. Ce qui était faux, bien sûr. Le terrestre considéra un instant la Princesse et son escorte, puis dit :
-Je m'occupe de la suite, messieurs-dame. Vous pouvez disposer. Ordre de la Princesse Celestia.
Les soldats hésitèrent, mais à travers ses épais sourcils, le poney leur lança un regard qui n'admettait aucune discussion, et les Impériaux, mal assurés, firent demi-tour, laissant seuls l'alicorne et le terrestre. Celui-ci observa minutieusement Luna, et s'agenouilla.
-C'est un plaisir de vous revoir enfin, Princesse.
-Un plaisir partagé, Hay Fried. Vous m'avez manqué.
-Que devrais-je dire, en ce cas ? dit l'autre en se relevant. Cette maison manque sincèrement d'ombre depuis votre départ... précipité.
Il soupira et continua :
-Je vous demande de me pardonner, mais malgré mes protestations, mademoiselle Sparkle a refusé de garder votre chambre en l'état.
-Ne vous en faites pas, Hay Fried. Je...
L'air de la Princesse s'assombrit.
-Je ne compte pas rester.
Le terrestre resta impassible, puis se retourna, et commença à marcher dans le hall d'entrée du château. Luna le suivit, dans le silence entrecoupé des échos des sabots dans l'immense salle, sans prononcer un mot. Puis, Hay Fried fini par s'arrêter en haut des escaliers.
-Je...
Il se retourna lentement.
-Je mentirais en disant que je ne suis pas déçu de vous deux, ni peiné par ce que vous projetez de faire.
-Hay Fried...
-Non, mademoiselle. Je ne veux pas entendre d'excuses ou d'explications. Ce que vous avez fait pendant ces treize dernières années m'est insupportable. Notre famille sert ce château depuis des millénaires, infailliblement, et nous en avons vu, des tyrans, des monstres et des fous. Mais ce n'est pas cela qui me chagrine, oh que non.
La moustache du poney recueilli une larme.
-C'est de voir deux sœurs qui s'adoraient plus que tout au monde en venir à la décision de s'entre-tuer.
Il passa un sabot à ses yeux pour en chasser une nouvelle larme, et continua.
-Je suis le majordome de ces murs depuis près de cinquante ans, mademoiselle. Pas une nuit durant votre exil je n'ai vu votre sœur faire autre chose que de regarder le ciel jusqu'à tomber de fatigue, les larmes aux yeux. J'ai vu votre retour, votre majesté, j'ai vu le bonheur dans les yeux de mademoiselle Celestia et dans les vôtres. Je vous ai vu redevenir la princesse que vous étiez il y a mille ans, régénérer la magie que vous aviez perdu jusqu'à ce que votre crinière redevienne une nuit permanente. Je vous ai vu régner côte-à-côte en vous partageant jour et nuit. J'ai vu dans ce château venir les six porteuses d'éléments, le capitaine Shining Armor, la princesse Cadence, et j'ai participé au mariage.
Il secoua la tête.
-Mais quelle mouche vous a donc piqué ce jour-là pour que vous sombriez ainsi ?
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-Ah, nous n'avons jamais autant dansé !
Luna finit de monter les escaliers menant au balcon, et avança pour rejoindre sa sœur assise devant la barrière. Elle se posa à côté d'elle, un immense sourire aux lèvres, reprenant doucement sa respiration. A cet instant, elle se reprocha de ne pas avoir ramené une boisson avec elle. La montée des marches avait été plus exténuante que prévue.
-Nous sommes heureuse que tout cela ait bien fini, continua-t-elle. Je suis navrée que nous n'ayons pas pu...
-Luna, s'il te plaît, nous sommes entre nous, fit doucement Celestia, continuant de regarder droit devant elle.
L'alicorne bleu nuit se pinça les lèvres, et baissa la tête.
-Je n'ai pas encore l'habitude, dit-elle. C'est compliqué de changer une mœurs que nous avons passé tant de temps à apprendre.
-C'est le prix de l'immortalité, Luna. Il faut sans cesse s'adapter à l'époque présente.
La plus jeune des sœurs fronça des sourcils et leva les yeux vers son aînée.
-Quelque chose ne va pas, Celestia ? Tu sembles morose...
La Princesse blanche ne répondit pas tout de suite, continuant de fixer droit devant elle, tellement longtemps que Luna ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil dans cette direction pour voir ce qu'il y avait. Mais ce n'était que la lande d'Equestria plongée dans une nuit étoilée dans laquelle Luna avait mis tout son cœur pour accompagner le départ des deux amants. Rien de particulier à voir, en somme.
-Lu'...
Luna dressa les oreilles. Cela faisait longtemps que Celestia ne l'avait pas appelée par son surnom d'enfance, et ce même lorsqu'elle était revenue de son « cauchemar » avec son apparence juvénile.
-Tia ?
-Est-ce que tu penses que...
Celestia s'interrompit, les mots mourant entre ses lèvres sans que Luna ne puisse les comprendre.
-Ma sœur ?
-Je...
Mais l'alicorne blanche n'arrivait pas à le dire. Luna posa un sabot sur l'épaule de son aînée, et Celestia frotta sa joue contre lui. Ses yeux mélangeait une profonde tristesse et une certaine peur.
-Tu te souviens lorsqu'on a rencontré le Commandant, le Chancelier et le Roi ?
Une vague de souvenir remonta dans l'esprit de l'alicorne de la Nuit, vieux de plus d'un millénaire. La Princesse se senti d'un coup très vielle, mais elle acquiesça à la question de sa sœur. Celestia continua :
-« Nous savons que nous vous demandons beaucoup, mais vous incarnez la victoire sur l'esprit du Chaos, et par votre aspect, vous pouvez représenter les trois races réunies. Equestria a besoin d'être unifiée définitivement pour ne pas retomber dans l'anarchie. »
-Insérer ici un commentaire fleuri de Tramonstane sur la mère de Discord, dit Luna.
Les deux alicornes rirent au souvenir du pégase au langage imagé, puis Celestia reprit :
-« Nous vous apprendrons tout ce qu'il faut savoir, mais sachez que les objectifs d'un bon souverain peuvent se résumer à deux mots : prospérité, protection. »
L'alicorne blanche secoua la tête.
-Après t'avoir bannie, les autres puissances de ce monde m'ont suffisamment crainte pour ne pas s'en prendre à Equestria. Nous étions déjà les gardiennes du jour et de la nuit, mais à présent, j'étais seule, et griffons, dragons, zèbres, tous ont cru que j'avais la puissance de nous deux réunies. J'ai pu alors me concentrer sur la « prospérité », faisant d'Equestria une terre riche et où il était agréable de vivre. J'ai passé des traités avec la plupart des autres races, et j'ai tout misé sur l'entente et l'amitié entre les peuples. Je ne voulais plus avoir à me battre comme ça avait été le cas avec toi...
-Et tu as magnifiquement réussi, dit Luna en caressant l'épaule de sa sœur.
-Mais à présent, tout ce que j'ai bâti depuis un millénaire est en train de prendre une autre route. J'ai l'impression que...
Une fois de plus, les mots moururent dans sa gorge. Ses yeux semblaient perdus, son esprit enfermé dans de sombres pensées. Un silence passa, dans lequel résonna les échos de la fête qui continuait en contrebas.
Finalement, Celestia continua :
-J'ai l'impression qu'on ne nous respecte plus.
Luna pencha la tête sur le côté, intriguée.
-Que veux-tu dire ?
-Nous sommes toujours les gardiennes du jour et de la nuit, même si nous ne sommes plus reliées aux Eléments. Nous sommes toujours les princesses d'Equestria. Et pourtant, j'entends des rumeurs venant des Clans griffons, qui considèrent les poneys comme des créatures passives et peu dangereuses. Les jeunes dragons se moquent de nous sous le regard bienveillant de leurs parents dont certains ont pourtant connu l'Ère du Chaos...
Celestia soupira.
-J'ai été enlevée par Nightmare Moon. Discord a brisé sa prison de pierre. Nous ne sommes plus liées aux Eléments, qui se sont trouvés de nouvelles porteuses, et la nouvelle s'est répandue. Certains considèrent maintenant Equestria comme une contrée de mollassons et de poneys inoffensifs. Et aujourd'hui, quelqu'un a fait ce que beaucoup rêvent de faire depuis longtemps...
Luna retira doucement son sabot de l'épaule de sa sœur, les oreilles dressées.
-Chrysalis a attaqué Canterlot. Personne n'avait osé faire cela depuis des millénaires. Elle a craché sur des siècles de paix et de travail pour construire l'harmonie sur ces terres, et s'en est pris directement à nous. À nous, Luna. Pas à une ville moins importante, uniquement constituée de poneys. Elle savait que nous étions là, elle s'est même arrangée pour que l'on sache qu'un danger nous guettait. Nous étions présentes, nous étions vigilantes...
Celestia baissa la tête.
-Et pourtant, elle nous a piétiné comme si nous étions des enfants sans pouvoir.
-Elle avait aspiré tout l'amour de Shining pour Cadence, Tia ! Tu sais à quel point la passion entre ces deux-là est puissante. De plus, elle nous a pris en traître, et a réussi à bloquer Twilight et ses amies sur la route les menant aux Eléments. Si elles avaient pu y parvenir...
-Alors elles auraient pu la vaincre.
Luna pencha la tête sur le côté, ne comprenant pas pourquoi sa sœur avait accentué le « elles ».
-Exactement. En quoi cela te chagrine ?
Celestia leva les yeux vers le disque rond de la lune.
-Le devoir d'une Princesse est de protéger son peuple. Or, aujourd'hui, je me suis fait maîtrisée par une personne que je n'avais jamais considéré comme une réelle menace. Twilight et ses amies, Cadence et Shining, eux, avaient la puissance nécessaire pour vaincre Chrysalis. Mais pas moi.
Elle tourna alors la tête pour regarder Luna dans les yeux.
-Je suis devenue faible, Lu'. Je n'arrive plus à protéger mon peuple. Je...
Ses yeux commencèrent à s'humidifier, le reflet de la lune se brouillant sur leur surface.
-J'ai peur, Luna. Nightmare Moon, Discord, Chrysalis, je ne suis plus capable de repousser les ennemis d'Equestria.
Elle baissa alors la tête, et des larmes frappèrent le sol.
-J'ai peur... d'être totalement impuissante...
Luna s'approcha d'elle, et la prit dans ses pattes, la serra le plus fort qu'elle le pouvait contre elle. Celestia se laissa aller à l'étreinte, reposant sa tête sur l'épaule de sa petite sœur.
-Tia, fit celle-ci. Tu te souviens de la discussion que nous avons eu, peu après mon retour ? Il est temps, désormais. Tu as gouverné de façon magistrale pendant des millénaires, et même si je n'ai pas pu t'aider pendant longtemps, je ne peux qu'admirer ton travail. Mais je pense qu'il est venu le temps de passer le sabot. Dès que je suis redevenue moi-même, tu m'a parlé de Twilight et de ses exploits. Tu me disais, et je suis désormais totalement d'accord, qu'elle avait les épaules et la tête pour s’asseoir sur le trône. Mettons-la à l'épreuve. Terminons ce que tu as commencé en la prenant sous ton aile. Laissons le monde à cette génération, et terminons-en avec ce règne immortel qui nous pèse à toute les deux. Prenons notre retraite. Tu l'as largement méritée.
Les deux alicornes restèrent encore quelques minutes l'une dans les pattes de l'autre, puis Celestia commença à se dégager.
-Tu as raison. Il est temps de commencer à mettre Twilight à l'épreuve.
Luna sourit.
-Mais entre-temps, continua Celestia, je veux être sûre qu'il n'arrivera rien au royaume. Je ferais en sorte qu'une telle attaque ne puisse plus se reproduire. Et j'aurais besoin de ton aide, pour cela, Luna.
La Princesse de la Nuit se pinça les lèvres.
-Soit. Je t'apporterais mon aide, ma sœur. Mais qu'as-tu en tête ?
-Presque rien. Je veux juste que les autres races se souviennent de ce qui les as toujours empêché de nous attaquer. Qu'il y a à la tête de ce pays deux alicornes capables de contrôler le jour et la nuit.
-Tu veux qu'on altère le temps des cycles ?
-Non. Cela punirais les poneys autant que les autres. Je pense qu'il nous faudrait une approche plus psychologique. Que l'on se souvienne de notre présence.
Celestia contempla la lune quelques secondes, puis se leva, et rentra.
-Je vais y réfléchir.
-Soit. Dors, ma sœur, le sommeil porte conseil. On en discutera demain.
-Bonne nuit, Luna.
-Bonne nuit, Tia.
---
Luna baissa la tête.
-La peur, Hay Fried. Tout simplement la peur.
Le terrestre secoua négativement la tête.
-Si je tenais cette fichue reine changeline...
-Non, Hay Fried. Les choses auraient dû se passer autrement. J'aurais dû arrêter ma sœur dans son envie de réformer les lois pour raffermir sa position. Nous aurions dû faire de Twilight Sparkle une véritable Princesse, pas un monstre fanatique. Qui sait ? Dans ce monde si différent de celui d'il y a plusieurs millénaires, Discord n'a pas eu le même impact. Comme s'il était plus faible. Peut-être...
-Peut-être qu'il n'y aurait pas eu de guerre, mademoiselle, mais il y en a eu une.
Hay Fried soupira.
-J'aurais aimé que tout se passe différemment. Et j'aimerais que cela soit encore possible. Que vous entriez dans la salle du trône, que vous discutiez avec votre sœur, que vous vous aperceviez de votre bêtise, et que vous vous réconciliez. Serait-ce trop demander que de voir la paix revenir entre deux sœurs que j'aime plus que tout ?
Luna soutint le regard du majordome, la mâchoire serrée.
-Trop de poneys sont morts, Hay Fried. Que ce soit ma sœur ou moi, l'une d'entre nous doit payer pour avoir fait subir tout cela à ce pays. Et s'il s'avérait que ce soit Celestia, alors je m'exilerais, et laisserais ce pays se remettre dans le droit chemin par lui-même.
-La fuite n'est pas une solution, Princesse. Depuis treize ans, vous vous battez pour abattre votre sœur, et vous pensez qu'une fois que vous y seriez parvenue, vous pourriez disparaître ainsi ? Non. Si vous parvenez à vaincre votre sœur, alors il vous faudra prendre vos responsabilité en sabot. Vous l'avez dit vous-même, trop de poneys sont morts. Et près de la moitié d'entre eux le sont parce qu'ils veulent vous voir la tête de ce pays.
Ils se remirent à marcher, le long d'un gigantesque couloir gardé tout le long par des soldats en armure d'or, restant stoïques et immobiles au passage du majordome et de l'alicorne. Finalement, au bout de quelques minutes de silence, ils arrivèrent en face d'une porte atteignant presque le plafond du couloir. Hay Fried se plaça sur le côté.
-Vous pouvez encore partir, Princesse, et m'épargner un deuil éternel.
Luna considéra le terrestre, puis ferma les yeux. Elle sentit, au fond d'elle, une boule d'énergie qu'elle avait mise sous clé, abandonnée depuis longtemps. Avec amertume, elle débloqua cette énergie qui envahit soudainement son corps, la forçant à expirer tout l'air de ses poumons. Ses yeux se mirent à briller, alors qu'une chape de magie noire sorti des pores de sa peau pour l'envelopper. Elle sentit une chaleur bienfaisante alors que la fumée se resserra sur elle, et se mit à peser plus lourdement sur ses épaules, son dos, et finalement, sa tête. Puis les frissons procurés par la magie cessèrent, et devant elle apparut une magnifique lame ouvragée, totalement noire comme de l'obsidienne, aussi longue que l'alicorne était grande, et Luna l'attrapa par télékinésie.
Elle tourna alors son regard vers Hay Fried, qui secoua la tête une fois de plus.
-Vous êtes magnifique. Terriblement magnifique.
Engoncée dans son armure d'alicorne, son arme à ses côtés, Luna inspira, et concentra sa magie dans sa corne, puis la relâcha en se concentrant comme elle le faisait tout les soirs il y avait treize ans, et bien avant. Elle ressentit la masse de l'astre, qu'elle s'évertua à déplacer, sentant qu'il dépassait l'horizon, et montait, montait, jusqu'à ce qu'elle ressente à sa surface la chaleur du soleil. Elle rouvrit les yeux.
Par les fenêtres, la lumière avait presque disparu, comme s'il faisait nuit en plein jour.
La porte s'ouvrit alors sans grincement dans un halo doré, révélant, assise sur le trône à l'autre bout de la salle, la majestueuse Celestia, sa corne luisante, qui fixait l'alicorne bleue d'un regard sans émotion.
Dehors, l'éclipse solaire annonçait l'ultime combat d'Equestria.
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S'il n'était pas à côté de cette foutue Licorne, Crimson Brush aurait applaudi. Les yeux rivés au ciel, observant l'énorme disque noir que bordait une couronne d'or et de lumière, plongeant le monde dans une nuit en plein jour. Pas longtemps, car le poney tenait à sa vue. Mais, quel ajout de choix, donnant au paysage des allures d'apocalypse.
Il baissa la tête. Désormais, on voyait le feu sortir de la bouche des canons, et les tanks avaient allumé leurs phares de sorte à ne pas écraser leurs alliés. C'était un spectacle de son et lumière, dans cette nuit prématurée. Dans les deux camps, les blindés s'affrontaient sans merci, dominant le champ de bataille occupé jusque-là par l'infanterie désormais surpassée. Mais les équidés à pied ne s'avouaient pas inutiles. Ils continuaient de lutter pour assurer à leurs alliés de fer des avantages, plaçant des explosifs lorsqu'ils réussissaient à s'approcher suffisamment, posant des mines ou, parfois, grimpant sur les monstres d'acier pour les vider d'une grenade dans l'écoutille.
Des deux côtés, la magie frappait de plein fouet pour compenser l'apport de la technologie. Les shamans zèbres se défendaient bien. Ils maîtrisaient une magie bien différente de celle des licornes, non pas basée sur leurs propres capacités mais sur la manipulation des éléments qui les entouraient. La tempête de sable n'avait été qu'un avant-goût de leur vraie puissance, et désormais, c'était la nature entière qui se retournait contre les soldats de l'Empire. Bourrasques aveuglantes, sable mouvant, tremblements de terre miniatures... Crimson avait vu un char se disloquer devant un vieux zèbres qui se tenait en bipède, les pattes antérieures écartées et lançant des imprécations en une langue étrange.
Mais outre la nature, ils corrompaient aussi les esprits. Les Impériaux étaient passés à côté de la catastrophe lorsqu'un char de l'Empire s'était soudainement arrêté, et sa tourelle avait pivoté vers le véhicule du général.
Heureusement, Planes Walker, la Licorne du Soleil accompagnant Brush, avait réagit rapidement, et le canon du traître s'était tordu. L'obus avait explosé à l'intérieur, et le tank peu après. C'était là l'avantage des licornes et de leurs homologues en tenue de cuir. Ils étaient plus prompts à réagir, et si leur magie avait des effets moins dévastateurs, ils n'en restaient pas moins extrêmement dangereux.
Brush détourna son regard vers la Licorne du Soleil qui l'accompagnait. Longue crinière blanche et raide, des yeux verts perçants contrastant avec sa robe grise, et une spécialité dans la manipulation de l'air, grâce à laquelle il avait plié le canon de l'ennemi sur le point de tirer. Un soldat bien utile, et une magie très puissante. Il était chargé de la protection du général, malgré sa réluctance à entrer dans le véhicule blindé. Lorsque Brush rentrait à l'abri, la Licorne restait sur la tourelle et s'entourait d'une petite tornade qui déviait les balles.
Walker s'aperçut que le terrestre l'observait.
-La Sorcière nous a joué un tour à sa manière, dit-il.
-Je n'ai jamais cru à sa mort. Surtout depuis la trahison de Nicholaus, commenta Crimson.
Il se mit à sourire.
-Je ne serais pas surpris qu'il se passe des choses intéressantes à Canterlot.
-Que voulez-vous dire ?
-Rien... Pensées de soldats.
La Licorne ne poussa pas plus loin ses investigations. C'était ce que Brush aimait chez lui. Sa mission était de le protéger, et il n'allait pas plus loin.
La bataille s'était équilibrée. Les zèbres ne s'était pas attendu à un tel retour de la part de l'Empire. C'était un pari de la part du général. Ailleurs se déroulait un autre débarquement, qui ne subirait pas une telle opposition. Mais ici se trouvait le Haut-Roi zèbre, et si Crimson parvenait à le tuer, la victoire serait presque assurée. Du moins, c'est ce que prévoyait Sparkle, qui était plus au fait question politique. Pour Crimson, c'était arrêter l'une des deux lignes qui devaient encercler Le Haras, et ainsi permettre une défense plus aisée de la ville. S'ils arrêtaient les zèbres ici, c'était terminé, il n'y aurait plus d'invasion.
Et le général devait se l'avouer, il avait son petit objectif personnel en tête. Prendre lui-même la vie du Haut-Roi, si la possibilité lui en était offerte. Il avait déjà fait cela, il y avait bien longtemps. Il avait pris un groupe de diplomate en embuscade, et il s'était trouvé que le Roi de l'époque en faisait parti. On avait étouffé l'affaire, et on avait « puni » Brush. Ce qui ne l'avait pas empêché de revenir sur le devant de la scène quelques années plus tard. Le poney se plaisait à penser que les Licornes n'y étaient pas pour rien. Cet Empire était corrompu jusqu'à la moelle.
Et c'était tant mieux.
-Rider, amenez-nous plus près. Je veux pouvoir les frapper avec un sabre.
Le pilote ne commenta pas, et enclencha les gaz pour lancer le blindé à l'attaque. Les balles se remirent à frapper les plaques d'acier, et Brush rentra à l'intérieur et ferma la trappe derrière lui. Au-dehors, Walker avait déployé sa barrière aérienne et surveillait le champ de bataille. Soudain, un projectile frappa sa tornade, se dirigeant vers son visage, mais l'évita de peu, et se mit à tourner à toute vitesse autour de la licorne. Le magicien repéra l'origine du tir, sous la forme d'un zèbre qui baissait son arme, soudainement moins rassuré. La Licorne croisa son regard, puis la balle quitta son tourbillon de vent et frappa à toute vitesse l'équidé rayé en plein front. Celui-ci s'écroula dans la terre piétinée à en devenir de la boue, sans un cri.
A l'intérieur du véhicule, Crimson calibrait sa visée verdâtre sur un blindé arborant le symbole des Royaumes Zèbres, récupérant des réflexes qu'il avait peu utilisé ces derniers mois. Il aboya un ordre, et le canonnier enclencha le tir, qui se répercuta dans tout l'habitacle. La fumée masqua un temps l'optique par lequel le général observait le champ de bataille, mais moins d'une seconde après le tir, une grande lumière fit saturer les capteurs de son viseur.
Bien. Il n'avait pas perdu le sabot. Un large sourire s'élargit sur son visage et des frissons de plaisir lui parcoururent le dos. Il était chez lui.
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-AAAAAAAH !
Fleur-de-Lys s'agrippait à l'encolure de Kal'Ek, incapable de le laisser aller tant la douleur la crispait. Celui-ci essayait de l'allonger sur la paillasse de l'infirmerie improvisée, mais étant donné la façon dont il l'avait porté, sur son dos, ses pattes antérieurs autour de son encolure, il ne pouvait pas la poser sans la mettre sur le dos, là où se situait sa blessure. Et malheureusement, ils n'avaient pas de cette substance qu'utilisaient les combattants poneys qui annulait la douleur.
Aidé par un infirmier qui s'était précipité à son encontre, ils parvinrent à allonger la licorne sur le flanc, alors que celle-ci faisait ce qu'elle pouvait pour se retenir de hurler sa douleur. Mais dès qu'elle semblait arriver à calmer sa respiration, c'était comme si une image s'imposait à elle, et son cri de souffrance se muait en cri de terreur. Le touazèbre avait vu le cadavre fraîchement décapité d'un soldat solaire à côté du corps de sa camarade. Elle devait être traumatisée.
Ces foutus poneys... Ils leur étaient tombé dessus sans prévenir, au moment où les zèbres pensaient pouvoir se regrouper après le débarquement. C'était comme si la terre s'était soulevée sous leurs sabots, alors que tous les canons des blindés avaient fait feu presque en même temps. Les pertes avaient été très lourdes.
Puis étaient venue l'infanterie, et les combats avaient fait rage. Mais...
Kal'Ek serra les dents au souvenir de ces créatures. Il avait beau savoir que ce n'était qu'un produit qu'ils s'injectaient, voir des soldats dont les membres avaient volé en éclat, d'autres transpercés par des dizaines de balles, continuer de courir et de se battre comme si de rien n'était, c'était pire que tout ce qu'il pouvait imaginer.
A un moment, il avait presque tranché la tête d'un ennemi d'un coup de sabre. De son cou sortait des gerbes de sang qui éclaboussaient tous les êtres aux alentours. Mais il avait continué de tirer sans discontinuer, jusqu'à ce que la mort le rattrape. Kal'Ek avait manqué de perdre une patte à ce moment-là. D'ailleurs, il ne la sentait plus, et il baissa les yeux vers elle. Une dizaine de trous ensanglantés la constellait, et il évitait soigneusement de s'appuyer dessus. C'était en reculant qu'ils s'étaient aperçu, avec K'Sea, que Fleur était introuvable.
Ils l'avaient retrouvée, gravement blessée, au fond de la dernière tranchée, et le touazèbre l'avait immédiatement placée sur son dos pour la transporter là où de toute façon il allait, à l'infirmerie. Avec sa patte en charpie, ça avait été un calvaire, et K'Sea, encore indemne, était restée pour défendre les tranchées.
L'endroit était rempli de zèbres la plupart agonisants. Un rayé ne battait pas en retraite à moins de devoir ramper, et pourtant ils manquaient clairement de place ici, et d'autres places de soin avaient été installés dans les bunkers, plus loin. L'endroit sentait le sang de façon écœurante. Le touazèbre vit alors passer un soldat poussant une brouette, dans laquelle étaient entassé quatre corps sans vie. Il sortit de la salle, prit un tournant et disparut.
Un médecin était penché sur Fleur, et s'employait à lui retirer la balle qu'elle avait dans le dos. La jument s'était évanouie, incapable de le supporter. Le zèbre espérait juste qu'elle se réveillerait un jour. Il jeta un nouveau regard à la ronde, et se dirigea vers la sortie, mais le médecin le retint :
-Attendez ! On doit examiner votre patte !
A ce moment, un pégase entra, portant sur son dos un zèbre dont la mâchoire inférieure avait disparu, et qui gargouillait alors que le sang l'empêchait de crier. Kal'Ek sortit dans l'obscurité sans un mot.
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La terre trembla contre son torse, et des projections lui atterrirent sur le dos. Une fois le choc passé, Big Macintosh se releva, se secouant un coup pour se débarrasser des mottes qui le recouvraient, et reprit sa course.
Il avait perdu de vue Eliah il y avait un certain temps maintenant, et ne pouvait plus qu'espérer que le Haut-Roi était en sécurité, même s'il en doutait. Le zèbre avait bien fait comprendre au géant rouge que sa place était à la pointe de l'assaut, et mettait un point d'honneur à le montrer dans ses actes. Toutefois, il était bon combattant, à la fois au tir et au corps-à-corps, et Hashin était une bonne assurance-vie. Mais est-ce que cela suffirait face à un char d'assaut ?
L'assassin lui avait montré que oui, en réussissant à placer une grenade à un des points faibles d'un véhicule, proche de la réserve de carburant, le détruisant dans une gerbe de flamme. Malgré tout, Big Mac était inquiet.
Une rafale frappa à ses sabots, et il se concentra sur l'instant présent. Eliah devrait se débrouiller, car Big Mac avait bien l'intention de survivre à cette bataille, à cette guerre, et de foutre une trempe à sa sœur dès qu'il la verrait. Il souffla par les naseaux, et se dirigea vers un char zèbre non loin, qui roulait vers les lignes ennemies en protégeant une unité de rayés baissé derrière la masse de métal. Le chef d'unité le vit s'approcher, avisa son grade et salua.
-Capitaine. Sergent Pa'Kui au rapport. Vous nous rejoignez ? Vos soldats sont-ils morts ?
-Perdus d'vue, dit-il avant de montrer sa radio, détruite par une balle perdue qui avait également transpercé l'épaule du poney sans que celui-ci ne semble y prêter attention. J'ai b'soin d'une vue d'ensemble.
Sur ces parole, il bondit sur la carlingue du char, et monta sur la tourelle, frappant au passage sur la trappe d'accès selon un rythme précis pour que les occupants du véhicule ne paniquent pas, puis jeta un coup d’œil à la ronde. L'éclipse n'aidait pas au repérage, mais dans l'ensemble, la ligne de front s'était stabilisée, et les tanks étaient pour la plupart statiques le temps de tirer, puis s'éloignaient pour rejoindre un autre point de la bataille et éviter d'être pris pour cible. Beaucoup d'épaves en flamme jonchaient l'herbe, servant de couvertures pour les unités à patte qui répondaient coup pour coup aux attaques adverses. Parfois, un projectile de feu et d'acier sortait des épaves pour terminer sa route dans une explosion alors que les roquettes frappaient les blindés ou se perdaient dans la nature. Certains soldats expérimentés tentaient de viser les tranchées, espérant que le projectile touche l'une des parois et sème la mort dans l'étroit passage. Les snipers zèbres repéraient ces dangers, et mettaient tous leur talent dans des tirs qui se devaient d'être parfaits, sinon quoi c'était la vie de leurs camarades qui était menacée.
Soudain, le poney rouge vit des blindés ennemis tenter une percée sur le flanc droit. Une colonne de cinq véhicules accompagnée par le mouvement à peine perceptible de l'infanterie fonçait sur les lignes des zèbres, avec à leur tête un char affublé d'une étrange tornade sur la tourelle. En face, les étrangers comptaient peu de véhicules encore en état de marche, et commençaient à reculer.
La tourelle sur laquelle était juchée Big Macintosh trembla sous la force d'un tir, et manqua de le faire trébucher. Il sauta au sol et se dirigea vers l'unité qui s'était mise en position couvert et tirait sur l'ennemi.
-Faut aller sur l'flanc droit, dit-il.
-Bien reçu, acquiesça le sergent Pa'Kui. Et tant que j'y pense, Voici ce qui devrait vous remettre dans la danse.
Sur ce, le zèbre fit un signe de tête à un de ses soldats, qui lança sa radio au terrestre. Celui-ci l'attrapa, le remercia d'un signe de tête, puis régla l'engin et se mit à recevoir des appels :
-« ...anc droit. Je répète, As de Pique repéré sur le flanc droit ! »
-« Bien reçu. »
-« On se fait enfoncer, Des renforts sont demandés ! »
-« Très bien. Escouade de commandement, on fonce sur le flanc droit. »
-« Quelqu'un a des nouvelles du capitaine Macintosh ? »
-'Suis là, dit l'intéressé.
Un petit silence suivit sa déclaration, puis la voix reconnaissable malgré les grésillements du Haut-Roi se fit entendre :
-« Big Macintosh ! Je commençais à m'inquiéter ! Faites votre rapport, que s'est-il passé ? »
-Deux tanks et une radio H.S. On s'dirige vers le flanc droit avec l'unité du sergent Pa'Kui.
-« Bien reçu. Nous nous y dirigeons également. Crimson Brush s'y trouve en ce moment ! »
-'kay. Terminé.
Big Macintosh se débarrassa des restes de son ancienne radio, et accrocha la nouvelle. Le sergent et son unité étaient toujours en train de se battre, mais le leader attendait les ordres.
-Alors ? Quels sont les ordres ?
-Comme prévu. On r'joint El... Le Haut-Roi sur l'flanc droit et on démonte c'qu'on y trouve.
-Les soldats R'Sie et Tek'El ont des armes antichar.
-Bien. On y va.
Sur ce, les zèbres quittèrent leurs postes de tir, et s'élancèrent à la suite de Big Macintosh.
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-A COUVERT !
K'Sea se baissa dès que l'ordre fut lancé, et moins d'une seconde après, elle sentit un souffle d'air au-dessus d'elle, suivit d'une explosion plus loin vers la mer. Le tir avait raté, mais de peu. Sans perdre un instant, elle se releva et se remit à tirer sur les poneys qui se dirigeaient vers elle. Malheureusement, elle ne pouvait rien faire contre les cinq chars dont les projecteurs éblouissaient les zèbres retranchés. Ni elle, ni personne, d'ailleurs. Les rares tanks alliés restant avaient battu en retraite et tentaient de se regrouper un peu plus loin, mais il continuaient d'être harcelés par la colonne ennemie, les obligeant à s'éloigner plus encore et laisser les troupes au sol sans défense. Le véhicule de commandement ennemi, notamment, était terrible. Chacun de ses coups mettait au but, et les tirs qui l'atteignaient... ne lui faisaient tout bonnement rien. Les obus explosaient avant d'atteindre le blindage, et le souffle enflammé l'enveloppait sans pour autant rougir le métal.
Il semblait à la zébrelle qu'il y avait quelque chose d'étrange dessus, sûrement la cause de cette étrange magie, mais elle ne parvenait pas à voir clairement ce qui se passait, à cause de l'obscurité et de l'éblouissement. Elle se mit à maudire la lune qui s'était mise à cacher le soleil juste à ce moment. Les débarqués n'étaient pas préparés pour un affrontement de nuit.
L'avantage, c'était que les flammes sortant de la bouche des canons des armes permettaient de repérer plus facilement les soldats ennemis, mais comme disait un vieil adage zèbre : « si tu peux voir l'ennemi, il peut te voir aussi ». Les impacts claquaient autour de sa position, mais elle restait debout le plus longtemps possible, ne se mettant à couvert que pour recharger ou si l'ennemi commençait à vraiment ajuster sa visée. Elle ne parvenait pas toujours à savoir si elle touchait quelqu'un, et n'avait aucune idée de comment se déroulait la bataille. Son monde se restreignait à cette tranchée à défendre, les tanks qui approchaient, son arme et les ennemis qui se trouvaient au bout.
-MAGIE !
A ce nouveau cri, K'Sea se mit à chercher autour d'elle la provenance du sort. Ils avaient croisé la route de plusieurs de ces fameuses Licornes du Soleil, et la zébrelle devait l'avouer, ce corps était redoutable au combat. Elle en avait entendu parler quand elle était Djiponi, de leur cruauté et de leur puissance, mais les voir en action était bien plus effrayant. Elles n'avaient aucune pitié, aucune considération pour ceux qui étaient en face ou ceux qui les accompagnaient, et leurs sorts étaient dévastateurs, bien loin du respect de la vie qui animaient les shamans.
Alors quand quelqu'un hurlait qu'une magie était à l’œuvre, le mieux était de se cacher. Mais encore fallait-il savoir d'où l'attaque provenait avant qu'il ne soit trop tard.
Or, il était trop tard. K'Sea repéra enfin le sort, qui était parti du char de tête ennemi et avait craquelé la surface du sol jusqu'à la tranchée. Arrivé là, le mur de l'étroit couloir se fissura, à quelques mètres de la zébrelle qui ne pouvait en détacher les yeux, à la fois terrifiée et intriguée.
Puis le mur explosa.
K'Sea poussa un hurlement alors qu'elle était projetée en arrière sous le choc, et atterrit lourdement sur le sol. Sa tête lui tournait, et elle tenta maladroitement de se remettre debout. Sa vision flouta un moment avant de se rétablir, et elle chercha son fusil, tombé à côté d'elle. Elle le ramassa, et leva la tête vers la zone touchée. Elle jura dans sa langue.
La tranchée avait été coupée en deux, l'explosion avait comblé une partie du couloir. Juste devant elle, elle pouvait voir un autre soldat à moitié enseveli, ne bougeant plus. Elle mit son arme en bandoulière et galopa vers lui, au milieu des autres zèbres qui se remettaient difficilement du choc. Heureusement, l'explosion même semblait avoir fait peu de dégâts parmi les combattants.
K'Sea se pencha sur le blessé, et vit qu'il respirait encore, mais était inconscient. Serrant les dents, elle se mit le tirer et le dégagea petit à petit. Elle vérifia qu'il n'avait pas d'autres blessures, puis commença à le traîner un peu plus loin.
Ce fut à ce moment qu'elle entendit les chenilles, et elle sentit le sol trembler sous ses sabots. Elle leva les yeux vers la motte de terre qui séparait la ligne zèbre en deux, et un frisson de peur lui traversa l'échine. Le char indestructible était là, dominant la tranchée de sa masse de métal, et la zébrelle put enfin voir à quoi était dû sa solidité. De la poussière virevoltait autour du véhicule, portée par des vents qui le recouvraient entièrement, comme un bouclier invisible. Et, sur la tourelle, se trouvait une licorne en uniforme de cuir, la crinière volant au gré de la tornade qui l'entourait.
La tourelle pivota dans l'autre sens, et K'Sea entendit sa mitrailleuse de canon faire feu dans de grands éclats de lumière. Des hurlements de douleur montèrent de l'autre côté de la séparation, et elle entendit, impuissante, des claquements de fusils qui tentaient inutilement de riposter.
Puis le poney juché sur le véhicule se tourna, et considéra son propre côté de la tranchée. Ses yeux flegmes jetaient un regard froid sur les combattants zèbres en contrebas, la plupart leurs armes au sabot, mais n'osant pas tirer devant l'assurance de celui qui venait apparemment sans protection devant eux.
L'échange de regard ne dura pas plus de quelques secondes, mais parurent des heures aux zèbres, qui avaient l'impression d'être transpercés par les iris verts de la Licorne, qui finirent par se fixer sur K'Sea, qui tenait toujours le blessé inconscient, son arme hors de portée. La respiration de la zébrelle se fit plus forte à mesure qu'une sourde panique envahissait ses entrailles. Le cornu ne faisait rien, juste l'observer, mais c'était comme si un démon du Tartare avait posé ses yeux de flamme sur elle, sans qu'elle ne puisse se défendre.
Puis elle entendu du mouvement à côté d'elle. Ses yeux ainsi que ceux de la Licorne se déplacèrent vers l'origine du son, et elle vit un des zèbre qui avait levé son fusil, tremblant, et tentait de le pointer vers l'étalon plus haut. Celui-ci fronça des sourcils, et sa corne s'illumina un peu plus.
Le zèbre hurla, et se mit à tirer, sans discontinuer, sur l'ennemi qui ne fit rien pour se mettre à l'abri. Immédiatement, les autres soldats firent feu, et un déluge de métal se dirigea vers le magicien qui ne bougeait toujours pas, sans pour autant sembler se faire toucher par aucun projectile. Cependant, à mesure qu'il était éclairé par les flammes sortant des armes, K'Sea vit que sa tornade s'était pourvue d'un reflet métallique, et elle comprit. Elle comprit qu'ils étaient impuissants.
La rafale s'atténua rapidement, alors que les percuteurs ne rencontraient plus que du vide et que les chargeurs épuisés étaient éjectés par réflexe. Mais avant que quiconque ne puisse recharger, la Licorne riposta. Elle lança des dizaines de balles qui les massacrèrent sans espoir de réponse, sans un cri, comme frappés par la Faucheuse elle-même. K'Sea n'osait pas détourner les yeux de l'étalon, de peur que briser le lien ténu qui les reliait ne signe son propre arrêt de mort, mais, autour d'elle, elle entendait des gémissements étouffés et des sons sourds de corps chutant.
La Licorne resta un moment immobile, puis chuchota dans sa radio avant de sauter du haut de son perchoir, et atterrit en douceur dans la tranchée, comme s'il était porté par un coussin d'air, puis il se mit à marcher tranquillement vers K'Sea. Derrière lui, la mitrailleuse du char s'était tue, et celui-ci commençait à reculer. Aux tremblements et au son métallique caractéristique des chenilles, la zébrelle devinait que les autres véhicules de la colonne n'étaient pas loin. Mais son attention était toute entière à l'étalon qui avançait tranquillement, poussant le vice jusqu'à faire tomber la tornade qui le protégeait.
Il était à présent très près, et K'Sea pouvait sentir son souffle, aussi calme que s'il était dans une bibliothèque, à l'inverse de celui de la zébrelle, court et saccadé, tombant progressivement dans l'hyperventilation. Ses yeux verts étaient plongés dans ceux, noirs, de K'Sea. Il avança une de ses pattes vers son visage tremblant, et elle sentit son sabot frôler les poils de son museau. Puis il amena sa patte devant ses yeux, lui révélant la goutte d'eau au bout de son fer. Une larme.
-Venir de si loin pour cela...
Puis sa corne s'illumina, et K'Sea sentit une pression autour de son cou. Immédiatement, elle y porta ses sabots, mais elle ne rencontra rien. Elle se fit soulever jusqu'à ce que ses pattes arrière ne touchent plus le sol, et la pression se mit à augmenter. Elle ne parvenait plus à respirer, et déjà son champ de vision s'obscurcissait.
Elle tenta d'avoir une dernière pensée pour ses amis, pour Kal'Ek et Fleur, mais seul son envie de survivre et son regret de mourir comme cela emplissait son esprit. Elle ne voulait pas, mais la Licorne, implacable, ses yeux mi-clos levés vers elle, ne relâchait pas sa prise.
Soudain, K'Sea vit un reflet argenté sur la butte, hors de la tranchée. Cherchant de l'aide, elle tendit sa patte vers la source de cet éclat, derrière lequel une ombre grandit. Le tueur cornu se retourna vivement au moment où l'ombre se jetait sur lui, et eu tout juste le temps de dresser un bouclier aérien, libérant la zébrelle par la même occasion. Elle tomba au sol, et cracha, la gorge en feu, pour rétablir sa respiration. Sa vision tournait, mais elle parvint à voir qu'elle était dominé par un équidé blanc rayé de noir, qui s'interposait entre elle et la Licorne.
Elle cligna des yeux une paire de fois, et parvint à restituer la scène. Sa poitrine s'emplit alors de chaleur quand elle reconnu son ami le touazèbre, sabre en bouche, qui se dressait tel un bouclier et regardait fixement l'assassin ennemi. Celui-ci semblait intrigué, et n'attaquait pas, se contentant de se protéger avec sa tornade. Cependant, il ne paraissait pas plus alerte qu'auparavant, restant toujours bien droit, comme s'il n'était qu'un observateur. Kal'Ek, les muscles tendus, semblait hésiter sur la marche à suivre.
Ce fut à ce moment que K'Sea s'aperçut que la patte du touazèbre tremblait, et qu'elle était toujours rouge du sang qui s'écoulait de ses blessures. L'étalon transpirait et soufflait fort par ses naseaux, luttant contre la douleur qui l'accablait depuis qu'il avait sauté sur la Licorne. Ses dents serrées sur la poignée de son arme, il ne quittait pas des yeux le magicien.
Celui-ci ferma les yeux et secoua la tête de dépit, puis sa corne s'illumina. Kal'Ek bondit, hurlant un cri de guerre entre ses dents, mais la Licorne rouvrit soudainement les yeux, et la poussière se souleva entre les deux combattants, se dirigeant vers la patte blessée du touazèbre. Kal'Ek tenta de retirer son membre du piège, mais la magie fut plus rapide, et l'air fit pression sur les blessures.
K'Sea vit son compagnon se faire attraper au milieu de son saut, et soulevé à quelques centimètres du sol par sa patte blessée. L'étalon luttait contre la souffrance, mais la pression se fit plus forte, et la zébrelle vit avec horreur que le membre était en train de rétrécir, dans un concert de craquement atroce à entendre.
Finalement, Kal'Ek ouvrit la bouche, laissant s'échapper son arme, et hurla. La Licorne balança sa tête sur le côté, et la zèbre suivit le mouvement dans les air pour percuter une des parois de la tranchée. Il tomba lourdement à terre, son corps tremblant, et la corne du magicien s'illumina à nouveau. Le membre blessé du combattant se souleva à nouveau, et se mit à lentement se tordre pour atteindre le dos du zèbre. Kal'Ek haleta et poussa des gémissements, alors que son épaule commençait doucement à lâcher.
K'Sea tâtonna pour retrouver son pistolet, le dégaina, et se mit à viser la Licorne. Elle fit feu à plusieurs reprise, tirant coup sur coup six des sept balles de son chargeur, mais s'arrêta avant de tirer la dernière.
Sans même se retourner, le cornu avait arrêté les six balles, qui se tenaient près de son visage, immobiles, flottant dans les airs. Lentement, il tourna la tête vers K'Sea, qui se mit à pleurer d'impuissance.
C'était donc ça, la puissance des Licornes du Soleil ?
Soudain, le magicien sembla avoir une faiblesse. Sa tornade protectrice disparut d'un coup, et les balles en suspension perdirent de l'altitude. K'Sea ouvrit de grands yeux surpris.
Se pourrait-il qu'il soit à court de magie ?
Sans perdre de temps, elle réajusta sa visée, mais le magicien réagit plus vite, retourna les balles et les projeta vers la zébrelle.
Avant qu'elle n'ait pu tirer, les six balles la traversèrent, lui arrachant la vie sur leur route. Elle retomba au sol, lâchant son arme, et ses poumons se vidèrent une ultime fois.
Walker posa un sabot sur sa tempe, tentant de calmer le tournis qui le prenait. Il avait laissé Brush seul trop longtemps, et commençait à manquer de magie. Ce n'était absolument pas professionnel.
Il baissa les yeux sur le zèbre blessé à ses sabots, qui grognait faiblement. Il n'avait pas pu s'empêcher d'aller voir de plus près ces gens qui avaient traversé un océan pour prendre part à un combat qui n'était pas le leur, et perdre la vie loin de leur famille. Il se reprocha son idiotie, et commença à invoquer un sort pour achever cette pauvre âme.
Ce fut au moment où il sentit le métal froid d'un canon contre sa nuque qu'il se rendit compte d'une autre erreur. Avoir négligé le blessé inconscient que portait la femelle tout-à-l'heure.
-Arrête celle-là.
Walker tenta de lever un bouclier, mais la balle lui traversa le crâne avant que sa corne n'ait pu s'illuminer. Le corps de la Licorne s'effondra sur Kal'Ek qui poussa un gémissement, mais le zèbre survivant dégagea rapidement le touazèbre, et s'affala à ses côtés, poussant un soupir.
-Ça va ?
Kal'Ek se retourna, ignorant la douleur qui voulait l'immobiliser, de sorte à poser ses yeux sur le cadavre de K'Sea, reposant au milieu du charnier qu'était devenu cette section de la tranchée.
Non, ça n'allait pas.
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-Tu te sens bien, A.J. ?
La cow-pony leva les yeux vers Swift Quill qui marchait un peu plus loin devant, et qui s'était retourné vers elle, inquiet. Il faisait ça à peu près toutes les cinq minutes depuis son évanouissement, et ça commençait à la gonfler.
-Oui, Swift. Ça. Va. C't'ait juste un malaise. Continue d'marcher.
La licorne hésita un instant, puis finalement se détourna pour reprendre sa route, sa corne illuminant le chemin à la manière d'une torche. Applejack en profita pour regarder encore un peu autour d'elle.
Les Impardonneurs, ayant regonflés leurs rang depuis l'incident de Ponyville, étaient finalement passés à l'attaque pour leur action finale. Au milieu de leur groupe, soulevée par le sort de télékinésie de quatre licornes, flottait la bombe atomagique, promesse de revanche sur Canterlot et les monstres qui y vivaient. La ponette en était sûre, même Celestia ne pourrait pas résister à l'explosion. Elle le savait, car toutes les licornes présentes pouvaient ressentir l'influence malsaine qui se dégageait de l'objet. Ce truc « puait » la mort au niveau magique, et Swift avait estimé, plan des FlimFlam à l’appui, que la montagne pouvait disparaître en partie si elle venait à exploser. Ça avait d'ailleurs posé de nombreux problèmes, notamment les crises de vomissement des poneys à corne qui s'en approchaient trop près.
Elle leva les yeux au plafond, pour voir les cristaux qui réfléchissaient la maigre lumière qui illuminait la caverne. L'ancienne mine de Canterlot, creusée il y avait des siècles par des licornes avides, et redécouverte il y avait vingt ans par Cadence et Twilight. Ou, plus exactement, par la reine changeline qui y avait enfermé les deux juments. Passer par les catacombes comme l'avait fait les Night-Ops lors de l'ultime bataille était hors de question, car trop surveillées. En revanche, les quelques contacts de Swift dans la ville lui avaient appris que les anciennes cavernes avaient tout bonnement été oubliées.
En même temps, ce n'était pas très étonnant, c'était un véritable labyrinthe, et la seule sortie qui permettait de s'infiltrer à Canterlot était à flanc de montagne, sous une terrasse servant à admirer la vue d'Equestria. Pour un changelin ou une licorne portée par une alicorne, ce n'était pas véritablement un problème, mais pour une force armée, c'était une autre paire de manche. Sans compter que la terrasse était assez fréquentée, donc niveau discrétion, ce n'était pas idéal non plus.
Applejack soupira. En réalité, elle aurait préféré laisser la bombe ici, sous la ville, et faire sauter la montagne, mais Swift craignait que la Princesse soit suffisamment puissante pour contrer l'explosion, ou qu'elle ne se téléporte si l'onde de choc ne la tuait pas immédiatement. Il la tannait depuis un bon moment qu'il fallait mettre la bombe au plus proche de l'alicorne, de « pouvoir la regarder dans le blanc des yeux avant de tout anéantir, quitte à devoir y rester ».
C'était d'ailleurs l'aspect le plus inquiétant de son plan. Il insistait beaucoup sur le fait qu'il fallait rester sur place au moment de l'explosion si c'était nécessaire. Applejack n'avait pas réellement peur de mourir, mais elle ne voulait pas que ça soit inutile. Quelle aurait été l'intérêt d'avoir une bombe avec retardement si c'était pour rester à côté ? Mais surtout...
La cow-pony posa son regard sur le dos de la licorne qui ouvrait la voie. Swift Quill avait un comportement étrange depuis peu, comme s'il ne parvenait plus à contenir son excitation. Applejack était elle aussi heureuse de commencer à voir la fin de ce tunnel sombre dans lequel elle s'était engagée avec les Impardonneurs, mais plus parce que ça lui enlèverait un poids du cœur, assouvirait son envie de vengeance et lui permettrait, peut-être, de tourner la page. Mais Swift, lui, voyait cela comme quelque chose de beaucoup plus grand. Il n'arrêtait pas de leur répéter qu'ils allaient rencontrer leur destin, devenir des héros de légendes, et affronter des déesses. La terrestre aurait bien voulu le recadrer en lui parlant du nombre de fois qu'elle avait parlé aux deux princesses sans qu'il ne lui vienne à l'esprit qu'elles puissent être divines, et voir la tête qu'il aurait tiré quand elle lui aurait dévoilé la réaction de Luna à l'alcool.
Mais comme ses envolées lyriques motivaient les autres et leur enlevait de la tête toute idée de demi-tour, elle l'avait laissé faire. Elle pensait que c'était un moyen de convaincre les indécis, une exagération pour attiser le feu dans leurs esprits. Mais plus le temps passait, plus elle se demandait s'il n'était pas convaincu de ce qu'il disait.
D'ailleurs, chose étrange, tous ici avaient perdu quelqu'un et réclamaient vengeance, c'était d'ailleurs le cœur des Impardonneurs. Mais maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait jamais entendu l'histoire de Swift, et ignorait complètement pourquoi il s'était lancé là-dedans. La seule chose, en réalité, qu'elle savait, c'était qu'il était un artiste dans de nombreuses catégorie, mais n'avait jamais réussi à se faire un nom, et avait vécu une bonne partie de sa vie dans l'anonymat et la pauvreté. Etait-ce là son motif de vengeance, ou avait-il perdu plus ?
Elle s'apprêtait à lui demander, quand il se retourna brusquement.
-Il y a de la lumière là-bas. On s'approche.
-Ah ! Ouais.
-T'es sûre que ça va aller ?
Applejack renâcla, exaspérée, et ne répondit même pas. Elle ne s'évanouirait plus, elle le savait. Elle le savait, parce qu'au fond d'elle, elle ressentait un manque. Un manque terrible. Une chose qui était là auparavant sans qu'elle ne le sache, et dont elle s'apercevait de la présence qu'une fois qu'elle était partie.
Cette chose, c'était les Eléments d'Harmonie.
C'était étrange, d'ailleurs. Applejack avait longtemps cru que les Eléments avaient disparu depuis le début de la guerre, qu'ils avaient quitté leurs hôtes en attendant de trouver de nouveaux porteurs, moins enclins à s’entre-tuer. Mais la mort de Rarity lui avait rappelé qu'elles étaient toujours liées, d'un lien plus profond encore que ce que tout poney pourrait connaître. Elle avait souffert de la mort de Rarity, de celle de Fluttershy...
Mais, alors qu'ils venaient de pénétrer dans les cavernes, elle avait connue un nouveau genre de souffrance. Une torture telle qu'elle avait sombré immédiatement dans l'inconscience, et lorsqu'elle s'était réveillée, des larmes coulaient abondamment sur ses joues, en dépit de sa volonté.
Rainbow Dash était morte. Mais pas n'importe comment. Elle avait été tuée par Twilight. Applejack le savait. Elle ne savait pas comment, sûrement une magie des Eléments dont elle avait eu un avant-goût en ressentant la mort de Rarity et de Fluttershy, mais elle le savait. Et elle en avait souffert comme si elle avait participé à la scène.
Quand elle s'était réveillée, elle avait su. Les Eléments avaient été détruits. Définitivement. Ils ne pouvaient pas supporter que l'un des leur en tue un autre, et avait disparu à jamais. L'Harmonie n'existait tout bonnement plus. L'arme la plus puissante du royaume, le lien entre les six -maintenant trois- ponettes, le symbole de la paix et l'entente en Equestria, tout cela avait été annihilé par une licorne mauve qui les avait renié.
Applejack s'était sentit mal un bon moment après l'incident, paralysant toute l'expédition. Se faire arracher une part de soi-même n'était pas une expérience agréable, cependant...
Cependant, elle y était habituée. Applebloom, Granny Smith, Apple Red, Big Macintosh, elle avait vu sa famille mourir devant ses yeux sans arrêt. Son foyer avait été réduit en cendre. Elle avait même perdu son estime pour elle-même dans les tranchées. Elle s'était damnée en tuant sans distinctions les citoyens de l'Empire Solaire, et avait fait face au pire, même à son ancienne amie devenue folle. Elle avait tout perdu, et les Eléments n'étaient pas ce à quoi elle tenait le plus.
Mais pour la mort de Rainbow Dash, Twilight paierait. Elle mourrait de la même façon que Celestia, Applejack se le jurait. C'était ironique, car c'était la fermière elle-même qui avait tenté la première de tuer son amie ailée, mais plus elle y réfléchissait, moins elle était convaincue qu'elle y serait parvenue, et elle était sûre qu'il en était de même pour Rainbow. Les deux ponettes ne se détestaient pas, et il avait fallu qu'elles s'insultent avant le combat pour se convaincre de charger. Auraient-elles pu porter le coup final ? On ne le saurait jamais, mais Applejack ne pensait pas qu'elle en aurait été capable. Pas à l'époque. Pas avant de perdre sa dernière famille.
Aujourd'hui, peu importait ce qui se dresserait sur son chemin. Elle l'écraserait et continuerait sa route sans se retourner, laissant à ses acolytes le soin de réduire l'adversaire en pulpe.
Plongée dans ses pensées, Applejack avait atteint la source de lumière, une terrasse naturelle qui s'ouvrait dans le flanc de la montagne. Elle fronça les sourcils et le museau. Ça, c'était pas normal. Pas normal du tout.
Equestria était plongée dans la nuit. Mais une nuit noire, sans étoile, comme celles que servait Celestia au monde depuis qu'elle réussissait à lever la lune. Pourtant, ils étaient en plein jour, la cow-pony en était sûre, et l'air consterné de Swift à ses côtés lui prouvait qu'elle n'avait pas complètement perdu la notion du temps. La première pensée qui lui vint à la tête, c'est que l'alicorne blanche avait complètement pété un câble et avait fait tombé la nuit avant l'heure, mais alors qu'elle allait se mettre à pester contre la Folle, Swift pouffa.
Applejack haussa un sourcil, tournant la tête vers la licorne qui tentait de se retenir, mais laissait échapper des petits rires, presque hystérique. Le poète s'avança, toujours secoué de ses crises, et leva la tête au ciel.
-Elle est là...
Et il éclata franchement de rire, pointant son sabot vers le ciel. Applejack, complètement perdue, s'avança à son tour pour le rejoindre et s'asseoir à côté de l'étalon qui commençait à se calmer, puis suivit du regard ce qu'il désignait.
Elle détourna immédiatement les yeux. Une éclipse. La lune était en train de cacher le soleil...
Ses yeux s'écarquillèrent quand elle réalisa ce que ça voulait dire. La lune cachant le soleil. Luna déclarait non seulement qu'elle avait survécu, mais surtout, elle défiait sa sœur.
Donc elle était là, à Canterlot, sûrement en ce moment-même. Swift Quill avait un sourire jusqu'aux oreilles.
-Les engrenages de notre destin se mettent en marche, Applejack. Les deux sœurs qui tyrannisent notre contrée se trouvent au même endroit, prêtes à être anéanties par notre action, par notre puissance ! C'est une chance inespérée de détruire à jamais l'ancien monde, de laisser notre marque dans l'Histoire ! C'est magnifique ! L'Univers lui-même souhaite notre réussite !
Applejack baissa son chapeau sur ses yeux pour éviter l'aveuglement si elle regardait l'éclipse, et surtout pour ne pas rencontrer les yeux fous qu'avait Swift quand il partait dans ses délires de grandeur. Etre un artiste raté lui avait sérieusement ravagé le ciboulot, apparemment. Elle se tourna vers les autres Impardonneurs, et leur lança des ordres :
-Bien. Marcher, Train, allez sécuriser là-haut. Brick, Jumper et Faith, commencez à installer l'matos. Je veux qu'on soit en train de balader c'te bombe dans Canterlot dans dix minutes max. Les licornes, vous pass'rez en première après la bombe. Okay ?
Tout le monde aboya son approbation, et les pégases nommés s'envolèrent pour lancer les préparatifs. Applejack revint alors au bord de la falaise, surplombant les plaines et vallées d'Equestria. Un léger vent faisait frémir sa crinière sous son chapeau, mais elle ne s'en préoccupa pas. Elle prit son fusil à pompe et le posa sur son épaule, songeant que ce monde allait bientôt être enfin débarrassé de la folie qui le rongeait, définitivement.
Soudain, Swift Quill prit un air contrarié.
-Un truc qui va pas, Swift ?
-T'entends pas ?
Applejack tendit l'oreille, mais elle n'entendait que les Impardonneurs qui harnachaient la bombe à un treuil, et rien qui puisse troubler son camarade.
-Nope.
-Des coups de feu. Venant de la ville. C'est diffus mais... Ah !
Il se frotta le front en acquiesçant, comme s'il avait compris quelque chose.
-Forcément. Qui dit Luna dit...
-Lunaires.
La mâchoire de la terrestre se crispa. S'il fallait en plus se coltiner les derniers fanatiques de la cinglée en bleue...
-Mais à en juger par ce que j'entends, ils sont aux prises avec les Solaires. Ça peut nous aider à passer plus facilement, à moins que...
-Que ? tiqua la cow-pony en faisant pivoter ses oreilles.
-Avoir le soutien des Lunaires pendant le combat qu'on ne manquera pas d'avoir pour entrer dans le château ne sera pas de trop. Je pense qu'on peux les amadouer assez facilement.
-Faire alliance avec ces types ?
Applejack fronça du museau.
-Plutôt crever. C'est qu'une bande d'assassins, et d'toute façon, j'pense pas qu'y soient si faciles à retourner. Nan...
Elle regarda la bombe se faire hisser, et balancer dangereusement au-dessus du vide.
-Qu'ils aillent tous au Tartare. Et leur « princesse » en première.
---
Cette sensation...
Black Jack releva la tête, soudainement paniqué, mais des sifflements de balles l'obligèrent à se remettre à terre très rapidement. Cependant, des frissons continuaient à parcourir son échine, alors que son malaise continuait d'augmenter. Qu'est-ce que c'était que cette sensation ? Quelque chose de malsain venait d’apparaître dans l'air, un truc magique d'une telle puissance qu'il n'arrivait pas à le mesurer, mais ce n'était pas bon. Pas bon du tout.
-Flesh !
Le pégase se mit promptement à couvert derrière le rebord de la fontaine qui laissait à présent largement dépasser les crinières des poneys qui se cachaient derrière, pour ceux qui en avaient encore, et se mit à recharger sa mitrailleuse en hurlant pour répondre à la licorne :
-Quoi ?
-On a un problème !
-Sans dec' ? J'avais pas remarqué !
Black Jack lança un juron, et rampa pour rejoindre l'autre étalon qui terminait de tirer sur la culasse de son arme pour l'armer.
-Je déconne pas, Flesh, y'a un truc qui vient d’apparaître et...
-Hey ! Les Cornues se barrent !
L'un des trop rares survivants des Night-Ops avait lancé cette information, et à présent, les autres s'apercevaient qu'il n'y avait plus de projectiles magiques qui leur arrivaient dessus. Flesh fronça les sourcils, intrigué.
-Mais qu'est-ce qu'ils foutent ?
-Ça doit avoir à faire avec mon problème.
-Qu'est-ce qu'y s'passe, bordel ?
-J'en sais rien ! C'est comme si un concentré de magie venait de débarquer, comme ça, d'un coup !
-Et qu'est-ce que ça peut bien me foutre ?
-C'est trop puissant ! J'ai jamais ressenti ça !
Flesh renâcla, exaspéré par le vague de la licorne.
-C'est urgent ?
-J'en sais rien, j'te dis !
-Bordel Jack ! On est en pleine merde, si t'avais pas remarqué !
-Ben, fit un autre Night-Ops, en fait...
Flesh détourna rapidement le regard vers le soldat qui avait parlé, un sourcil levé marquant son incompréhension. Puis il se rendit compte que ses oreilles sifflaient. Et s'il entendait les acouphènes, c'était que...
-Ils ont arrêté de tirer...
Les rebelles restant partagèrent des regards interloqués, et Flesh put alors voir à quel point ils étaient diminués. Derpy, Black Jack, Painless, Shell, River et lui-même. Six, c'était tout. Pas étonnant que les Licornes se soient tirées, et qu'ils aient arrêté de faire feu. Plus la peine de gâcher des munitions.
Cependant, ils avaient réussi. L'éclipse au-dessus d'eux leur avait prouvé que Luna était toujours dans la course, qu'elle continuait le combat. Leur mission à eux touchait à sa fin.
-Y'en a un qui se ramène, dit Green Shell après avoir jeté un coup d’œil par-dessus leur abris.
-Quoi ?
-Une Licorne.
Les soldats d'élite raffermirent leur prise sur leurs armes, paré à contrer un coup fourré d'un des adeptes de Sparkle. Mais la voix de celui-ci résonna à travers la place :
-Déposez les armes ! Vous n'avez plus rien à gagner !
-Viens les chercher ! lança Flesh depuis son couvert.
-Ne soyez pas idiots ! Il n'y a plus ici que des soldats qui défendent leur ville et leurs familles, et vous pouvez être comptés sur les serres d'un dragon ! Cessons le carnage, et rendez-vous !
-Jamais sans combattre !
-N'allez pas mourir pour cette litanie absurde !
-Très amusant, venant d'une Salope du Soleil !
Flesh entendit la Licorne pester au milieu de la place, à quelques dizaines de mètres de son abris.
-Ecoutez, le bain de sang a assez duré ! Vous avez eu ce que vous vouliez ! L'éclipse dans le ciel montre que Luna et Celestia sont en train de se battre. Votre mission est terminée. Tous ceux que vous pourriez tuer maintenant sont des soldats qui n'ont rien demandé à personne !
-Ils se sont engagé de leur plein gré !
-Parce qu'ils veulent protéger les leurs ! Ne soyez pas stupide, vous valez mieux que ça ! Nous pouvons trouver un arrangement !
Le pégase se tourna vers Black Jack.
-Toi, essaye d'en savoir plus sur cette magie bizarre. J'essaie de gagner du temps.
Puis il se leva doucement, faisant d'abord dépasser ses oreilles pour vérifier que des snipers n'étaient pas à l'affût, et son crâne petit à petit. Finalement, il se mit debout, et toisa la Licorne, un peu plus loin, complètement à découvert. L'autre lui rendit son regard, jaugeant le pégase qui se dressait face à lui. Pendant ce temps, Black Jack avait fermé les yeux, et se concentrait sur l'effluve de magie qui le perturbait depuis peu.
Finalement, la Licorne parla :
-C'est toi, le chef de ce groupe ?
-Notre chef est au château, en ce moment, en train de botter la croupe du vôtre.
L'autre étalon fronça des naseaux, mais n'entreprit aucune action offensive. Il ne tenta même pas de s'approcher, alors que Flesh laissait son arme en bandoulière pour chercher une cigarette dans sa veste toujours ouverte, comme pour provoquer ses ennemis, et l'alluma après avoir trouvé son briquet. Il inspira une bouffée, le rougeoiement lui éclairant le visage, puis demanda :
-Bon, à part demander un truc qu'on t'offrira pas, t'as autre chose en stock ? Comme, par exemple, pourquoi tes copines se sont barrées ?
-Et pourquoi je vous le dirais ?
-'Sais pas. C'était pour discuter, vu que c'est ce que t'as l'air de vouloir.
-Je vous offre juste une porte de sortie honorable, sans violence.
-Un peu tard, regarde par terre.
La Licorne soupira, mais s'exécuta pour montrer sa bonne volonté. Le pavement était rougis du sang de ceux qui étaient morts ici, et ils étaient nombreux. La fontaine elle-même avait vu son eau changer de couleur alors que les cadavres des lunaires se vidaient, et dans les espaces entre les pavés coulaient de petites rivières carmines et poisseuses.
Flesh sourit, le tube incandescent entre les dents.
-Et je vois pas en quoi finir collé au mur serait plus honorable que se battre et mourir pour sa princesse. Même toi, tu devrais pouvoir le comprendre.
-Je suis entièrement d'accord.
L'étalon soupira une nouvelle fois.
-Pour être honnête, ce n'est pas pour vous que je fais ça. C'est pour eux.
Il désigna de la tête les soldats solaires à couvert dans les bâtiments aux alentours, qui observaient la scène d'un air anxieux.
-Ça fait un moment qu'il n'y a plus que vous six, mais vous résistez envers et contre tout. Je voulais profiter du fait que mes collègues soient partis pour arrêter les frais, et permettre à ces poneys de rentrer chez eux ce soir, et revoir leurs familles. J'espérais que les lunaires étaient moins bestiaux que ce qu'on nous apprend dans l'Ordre. J'ai eu tort.
-Minute, mon sucre, on a toujours pas repris la castagne.
-Je vois ça, et j'en suis ravi.
Flesh reprit une bouffée de sa cigarette, et la souffla par ses naseaux.
-Sinon, vous pourriez vous barrer et nous foutre la paix.
La Licorne gloussa.
-Dans ce cas, ce serait moi qui serait collé au mur. Après avoir été torturé dans les règles par Miss Sparkle. Très peu pour moi.
-Pas d'pot.
-Dernière chance.
Flesh tira une dernière fois, puis lança sa cigarette par terre.
-Non, sérieux, nous aussi, on a ressenti le truc magique. C'est pour ça que tes copines se sont barrées, hein ?
-Effectivement, concéda la Licorne sans se démonter. Et nous avons considéré que c'était légèrement plus urgent que de s'occuper de votre petit groupe.
-C'est vexant.
-Vous m'en voyez navré. La réponse est toujours non ?
-Considérant les sept tireurs qui me pointent leurs lunettes sur la gueule, je vais pas répondre tout de suite.
-Je répète, vous n'avez aucune chance de vous en sortir, et les seules personnes que vous tuerez sont des pères et des mères de familles. Je conçois votre haine envers mon Ordre, je la comprend en bien des points, mais eux ne méritent pas de subir votre courroux.
-Peut-être, mais j'ai pas envie de me rendre.
-Alors, quelle alternative nous reste-t-il ?
-On pourrait vous aider.
Flesh se retourna, aussi surpris que la Licorne, pour voir que Black Jack s'était levé à son tour, la corne brillant de mille feux et un reflet étrange au fond des yeux. Il rejoint le pégase, et lui glissa à l'oreille.
-J'ai localisé la source. C'est un concentré de magie comme j'en ai jamais vu. Une bombe, mais, genre, plus de mille fois plus puissante que les bombes conventionnelles.
-Tu te fous de moi ?
La licorne hocha négativement la tête.
-Merde ! fit Flesh. Je pensais qu'on avait enterré ce truc.
-Pardon ?
-Une vieille histoire. Ça craint un max.
-Surtout, ça pourrait tuer une alicorne d'un coup. Pas étonnant que les Licornes se soient toutes mobilisées.
-Je me sens quelque peu délaissé.
Les deux étalons se tournèrent vers la Licorne, qui les observait patiemment.
-Vous parliez de « nous aider » ?
-La source de magie. Elle menace nos deux princesses. J'ai besoin de savoir tout ce que vous savez sur la raison de sa présence ici.
-Je sais bien le danger que représente cette source. Mais je ne vois toujours pas comment vous pourriez nous « aider ». Notre Ordre se débrouillera très bien.
-Ce truc est une bombe, intervint Flesh, qui était planquée à Ponyville. Si elle est là aujourd'hui, c'est que des gens sont allés la chercher, parce qu'ils savaient ce qu'elle était là, et qu'il la voulait.
-Oh merde, cracha le magicien à ses côtés. Applejack. Ce sont les Impardonneurs, pas vrai ?
La Licorne semblait légèrement plus inquiète.
-Oui... Que savez-vous sur cette bombe ?
-Si Applejack l'a, continua Black Jack, c'est qu'elle veut s'en servir pour tuer les princesses. Avec votre cavalerie de Licorne, elle va la faire exploser si elle sent qu'elle ne peut plus s'en sortir.
-Nous ne la laisserons pas faire !
-Oh oui, fit sarcastiquement Flesh. Vous l'avez tellement bien arrêté jusque là...
La Licorne resta muette devant l'affront, et Black Jack continua.
-Arrêtez l'assaut, ne lui donnez pas une raison de tout faire sauter. On est une équipe spécialisée dans l'infiltration, on peut l'arrêter. Je peux désamorcer la bombe, j'en suis sûr. Laissez-nous vous aider !
-Je ne peux pas ! Et vous êtes des ennemis !
Cependant, il ne semblait plus aussi sûr de lui. Black Jack fit un pas vers lui.
-Ce sont nos deux princesses qui sont en danger. Si Applejack fait exploser cette bombe, tout est fini. Plus d'Empire Solaire, plus de République Lunaire. Juste un cratère. Faites-nous confiance !
-Je... Je ne peux pas !
Ce fut au tour de Flesh de s'avancer. Il marcha droit vers la Licorne, et s'arrêta si proche qu'il pouvait sentir son souffle sur son museau. Puis il murmura.
-C'est à toi de choisir, Licorne du Soleil. Soit t'appelles tes copines pour arrêter l'assaut, et on stoppe Applejack, ensuite vous pourrez nous massacrer comme vous le voulez. Soit tu tentes de nous arrêter, on riposte, tout finit dans un bain de sang, mais c'est pas grave, parce que la ville va disparaître juste après.
Il porta son sabot à son pistolet, tira la culasse pour engager une balle dans le canon, et mit l'arme dans la patte du poney en face de lui, pointée vers son propre torse dénudé.
-La balle est dans ton camp. Ou tu risques le mur, ou ta princesse meurt.
La Licorne planta ses yeux dans les siens, jaugeant le pégase. Il enfonça légèrement l'arme dans les poils de Flesh, le sabot contracté sur la détente. Puis il dit :
-Vous allez vraiment y arriver ?
-On a ouvert les portes de Canterlot y'a quelques mois, dit Flesh en souriant.
La Licorne resta sans bouger un moment, puis baissa son arme, et alluma sa radio.
-Maiden ? Ici Light. Annulez l'assaut sur les terroristes.
-*Pardon ?*
-D'après une source, ils pourraient détruire Canterlot et tuer la Déesse s'ils sont sans issue. Annulez l'assaut.
-*Ça va pas être simple de convaincre la hiérarchie. T'es sûr de ta source ?*
La Licorne leva les yeux vers Flesh et Black Jack.
-J'ai confiance.
-*Bon, je transmets. Terminé.*
L'autre coupa la communication. L'étalon en manteau de cuir fit un signe de tête pour demander aux Night-Ops de partir, puis se détourna, et ordonna aux soldats solaire de laisser les poneys en paix.
Les six survivants s'éloignèrent sans perdre de temps, suivant Black Jack qui utilisait sa magie pour repérer la bombe et les Impardonneurs. Soudain, la radio de la Licorne grésilla.
-*On a commencé l'encerclement, on va les bloquer dans un bâtiment proche du château. Mais les supérieurs veulent savoir ce que tu prévois de faire.*
-Une équipe de spécialistes est en route. Ils s'occuperont de les neutraliser.
-*T'as une voix bizarre. Comment ça se passe avec les lunaires ?*
Light resta silencieux un moment, puis répondit.
-Le problème est réglé. Maiden ?
-*Ouais ?*
-J'aime notre Déesse.
-*Euh... Oui, moi aussi... Mais d'où...*
Light écrasa sa radio avec sa magie, coupant son acolyte dans sa phrase. Puis il retira toutes ses insignes avec sa télékinésie, et les mit devant lui, flottant dans les airs. Il ferma les yeux, et concentra sa force.
Il entendit des bruits de cassure, puis rouvrit les yeux. Toutes ses insignes étaient brisées en deux. Il les lâcha au sol, se détourna, et marcha, lentement, vers la sortie de la ville.
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Elle est en danger !
Il faut que je l'aide !
Elle hurle !
DASH !
Spitfire se réveilla en sursaut, et poussa un gémissement alors qu'une douleur lui déchira la cuisse. Elle tourna la tête vers ses pattes postérieures, pour voir une flaque de sang s'étendre sur le plancher de la chambre, jusqu'à sous le lit défoncé contre lequel elle était reposée. Serrant les dents, elle releva son buste, et déchira le bas de sa veste pour en récupérer un long morceau de tissus, dont elle se servit pour faire un garrot. Sa tête lui tournait, lui indiquant que la bataille, la fatigue et le manque de sang la rattrapaient. Mais elle devait bouger.
Dehors, tout était calme. Elle n'entendait plus un son, en tout cas, pas immédiatement à l'extérieur. Les acouphènes qui lui vrillaient les tympans l'empêchaient d'entendre plus loin, mais de toute façon, ça ne l'intéressait pas. Sa cuisse saignait beaucoup moins, à présent, mais il faudrait qu'elle trouve de quoi se soigner avant de perdre sa patte.
Avec ses membres antérieurs, elle commença à ramper jusqu'au trou fait dans le mur, par elle-même, un peu plus tôt. Un peu, ou beaucoup, d'ailleurs ? Elle n'avait aucune idée de combien de temps elle était restée évanouie, et dehors, il faisait noir. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'avant de perdre connaissance, Rainbow Dash était en danger. Le plancher craquait sous elle, et ses sabots arrière raclaient contre le bois poli. Elle allait lentement, trop à son goût, mais la souffrance générale de son corps l'empêchait d'aller plus vite. Elle ne faisait pas attention à la pièce dans laquelle elle se trouvait, concentrée sur l'ouverture devant elle.
Il faisait nuit, dehors. Cela voudrait dire qu'elle était restée aussi longtemps dans les pommes ? Non, on serait venu chercher son corps, et on l'aurait abattue. Ou alors... Ou alors, par un quelconque miracle, Luna avait gagné. Un lunaire vicieux aurait assassiné Celestia, et l'autre bleue avait levé la lune pour fêter ça.
Peu importait, en fait. Elle était toujours en vie, blessée, et avait envie de sortir de là pour savoir comment s'en sortait... S'en était sortie Dash.
Cependant, Spitfire avait un nœud dans l'estomac. Si Dash s'en était tirée, si elle avait survécu... Elle serait venu la récupérer. Et la dernière fois que la pégase jaune l'avait vue, elle était évanouie, à la merci de Sparkle.
Encore un effort...
Son sabot atteint le bord du trou, et elle s'en servit pour se tirer sur le rebord. La rue était calme, personne ne se trouvait là et rien ne bougeait. Il n'y avait même pas un garde aux portes, du moins, pour ce qu'elle pouvait en voir dans cette obscurité. Elle leva les yeux aux ciel, et les détourna immédiatement. Une éclipse. Pourquoi une foutue éclipse ?
Enfin, au moins, on était encore pendant la jour...
Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur, et elle porta un sabot à sa bouche. Là, au milieu de la rue...
Ignorant la douleur, elle déploya ses ailes, et bascula dans le vide, se servant de ses appendices pour ralentir sa chute. Au moment où elle percuta le sol, elle fit une roulade pour éviter de se briser les os, et resta une seconde à terre pour récupérer. Puis, forçant sur ses pattes, elle se mit debout, ses membres tremblants, et marcha, pas après pas, vers la forme ombreuse qui se trouvait en face d'elle. A mesure qu'elle s'approchait, les couleurs commençaient à devenir plus claires, les positions également. Spitfire croisait parfois le corps d'un pégase, d'une licorne en uniforme noir ou d'un poney en treillis, mais elle n'avait d'yeux que pour ce qui se trouvait au milieu de la rue. Ses yeux la démangeaient, s'humidifiaient, quelque chose qu'elle n'avait pas connu depuis bien longtemps, et son cœur se serrait à chaque pas en avant, sans pour autant qu'elle ne s'arrête.
Puis elle finit par l'atteindre, la dominant de toute sa hauteur. Elle observa son visage, ses yeux vitreux aux iris magnifiques, sa bouche légèrement ouverte couverte de sang, et sa crinière en bataille, dont les couleurs arc-en-ciel s'éparpillaient autour de sa tête.
Les yeux de Spitfire descendirent le long de son corps, et s'arrêtèrent à sa poitrine, là où dépassait la garde d'une épée, celle-là même que Rainbow avait juré de planter dans le cœur de Twilight Sparkle. Comme une blague cruelle.
L'ancienne capitaine des Wonderbolts leva un sabot vers le visage de l'Elément de la Loyauté, et la caressa doucement, comme une amante. Elle déplaça quelques mèches qui lui barraient le front, puis lui ferma les yeux, ainsi que la bouche. Elle baissa sa tête, et lui embrassa le front.
Puis elle se tourna vers la garde de l'épée, qu'elle prit en bouche, et tira dessus de toute ses forces, ignorant la douleur qui lui traversait le corps. L'arme refusa tout d'abord de bouger, puis la résistance se fit moindre alors qu'elle se désancrait de la pierre de la rue. Elle donna un dernier coup de museau, et la lame rougeoyante de sang s'arracha du corps sans vie.
Le sabre en bouche, dont quelques gouttelettes pourpres s'échappaient pour tomber jusqu'au sol, Spitfire se tourna vers le Château de Canterlot. De sa veste, elle sortit une petite seringue dont elle injecta le contenu dans sa patte, puis déploya ses ailes.
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Dans la salle, immense et vide, même le son des sabots étouffés par le gigantesque tapis rouge était audible, et semblait résonner sur les murs couleur d'albâtre. Tout autour, des vitraux éclairés par des centaines de bougies témoignaient des haut faits du royaume et de ses héros. Étonnamment, Luna remarqua que leur victoire sur Discord était toujours présente, et qu'elle-même s'y trouvait encore. De même, la chute de l'Empire de Cristal, dans un coin reculée de la salle, montrait les deux alicornes triomphantes, côte-à-côte, plongeant le terrible Roi Sombra dans les profondeurs des glaces éternelles du nord. Luna se mordit la lèvre au souvenir de cet épisode. Ça n'avait jamais été une victoire. Ils avaient perdu les poneys de cristal dans la tourmente, et tout ce qui leur était resté était une menace du retour de la licorne folle, un territoire à jamais plongé dans le froid, et une petite créature rose faite d'amour.
En face de l'alicorne bleue, assise sur son trône surplombant la salle, Celestia ne prononçait pas un mot. Avec sa magie, elle ferma la porte, laissant Hay Fried à l'extérieur. Il ne restait plus qu'elles deux, seules.
Finalement, Celestia soupira, et baissa la tête.
-Je vois que tu as brisé notre Règle. Pour la seconde fois.
L'alicorne blanche ferma les yeux et serra la mâchoire, puis se reprit :
-Non. Je ne peux pas te blâmer pour ce qu'a fait Nightmare Moon. Ce n'était pas toi.
-Ta petite protégée ne semble pas de cet avis, répondit la Princesse de la Nuit.
-Twilight...
Celestia détourna le regard, vers la fenêtre donnant sur la ville.
-Tu l'as ressenti, toi aussi. La disparition des Eléments.
-Oui. Pardonne-moi si je ne m'étonne pas du fait que ce soit la faute de Twilight.
-Tu ne la connais pas assez pour la juger. C'est un concours de circonstances qui l'ont amené à commettre cet acte.
-Elle avait le choix.
Luna avança de quelques pas en direction du trône.
-Nous avons toujours le choix.
-Mais faisons-nous pour autant le bon à chaque fois ?
Celestia tourna la tête et plongea ses yeux dans ceux de Luna.
-Tu avais le choix. Me rejoindre, rester dans l'ombre, ou me trahir. Vois où nous en sommes aujourd'hui.
-Tu avais le choix, faire confiance aux Eléments, à Cadence, à Twilight, ou créer ton empire, terroriser les autres races, et jouer aux dieux. Comme Discord. Comme Sombra. Comme Eux.
-J'ai fait ce que j'avais à faire pour protéger mon peuple !
-Belle réussite !
Les deux sœurs restèrent silencieuses un moment, se toisant à travers la distance qui les séparait. Puis Celestia leva les yeux au plafond en soupirant :
-Comment en sommes-nous arrivées là ? A devoir nous battre car aucune d'entre nous n'admet avoir tort ?
-Peut-être parce qu'aucune d'entre nous n'a réellement tort.
L'alicorne blanche baissa la tête, curieuse. Luna continua :
-Je connais tes raisons, Celestia. Je sais que tu as peur pour notre peuple, et que tu veux être capable de le protéger. Mais tes méthodes sont abominables, et cela depuis les événements du mariage. Quel droit avais-tu de changer le programme scolaire pour te glorifier ? Pourquoi voulais-tu faire de notre armée une force capable d'annihiler les autres races ? Pourquoi laisser ces églises prospérer sans agir ?
-Je pourrais aussi t'assaillir de questions : pourquoi avoir voulu faire sécession ? Pourquoi détruire des infrastructures mineures et tuer des poneys dans l'exercice de leur devoir, au lieu de m'affronter seule-à-seule comme aujourd'hui ? Pourquoi te lancer dans une guerre civile ?
Les deux alicornes se regardèrent un moment dans les yeux, et répondirent en même temps :
-Parce que c'est ce qui me semblait juste.
Le silence suivit cette déclaration. Luna contemplait sa sœur, hésitant sur la marche à suivre. Toutes ces années, elle avait imaginé sa sœur en tyran, entourée de gardes, peut-être avec des atours plus fournis qu'auparavant, mais non. Elle était identique à la dernière fois qu'elle l'avait vue, portant uniquement sa plaque pectorale et sa couronne. Simple, comme l'ancienne Celestia, et dans ses yeux, il n'y avait ni la haine, ni le cynisme ou la volonté de pouvoir auxquels c'était attendu Luna. Non. Juste de la peine, de la fatigue, de l'inquiétude.
Avait-elle vraiment tant changé ?
-Sommes-nous si différentes, au final ? demanda l'alicorne blanche.
-Bien sûr que oui.
-En es-tu réellement sûre ?
Le regard de Celestia se détourna vers les vitraux :
-Nos méthodes divergent, nos points de vue également. Tu veux créer une république, j'ai mis en place un Empire. Tu te bats pour la liberté, je veux faire régner l'ordre. Mais que voulons-nous ? La paix, la sécurité pour nos sujets, protéger notre peuple contre ce que nous pensons être l'ennemi. Mais nous faisons toute deux les mauvais choix. J'ai voulu forger les poneys contre leur nature, tu les as exhorté à se révolter. J'ai laissé les Licornes du Soleil prospérer, tu as validé des assassinats et ces terribles gaz. Et au final, nous n'avons jamais atteint notre but, au contraire, nous avons plongé le monde dans le chaos.
-Ce n'est pas comparable.
-Luna, je sais que j'ai l'air d'un monstre à tes yeux...
Celestia se leva, et commença à descendre les escaliers menant à son trône.
-Mais je n'ai jamais voulu tout cela. Une guerre civile était contraire à ce que je voulais. J'ai voulu l'arrêter.
-Pourquoi n'as-tu pas tout simplement lâché l'affaire, dans ce cas ?
-Tu connais la réponse à cette question, car tu as la même.
-Comment ça ?
-Pourquoi n'as-tu pas lâché l'affaire ? Tu avais perdu, tu as demandé à tes troupes de baisser les armes, mais tu n'as pas arrêté le combat pour autant. Tu viens même de te rendre, et pourtant, je te retrouve à ma porte en arme et armure.
-Il faut croire que je suis têtue.
Celestia continuait de s'approcher, et les muscles de Luna se tendaient, prêt à contrer n'importe quel coup fourré de la chef de l'Empire.
-Tu crois que tout ce que tu fais, que tout ce que tu as dû faire contraire à ta morale, était nécessaire. Tu refuses d'abandonner parce que tu as la conviction de faire quelque chose de juste, de te diriger vers une porte de sortie. J'ai la même conviction, Luna. Crois-le ou non, j'aime notre peuple, j'aime Equestria, et je n'ai jamais voulu lui faire de mal. Et je pense que toi non plus.
-Alors, explique-moi comment on en est arrivé là, Celestia.
-Je n'en sais rien, avoua la jument blanche. Toutes ces années, j'ai cherché ce qui avait pu provoqué cette folie. Discord est mort, Sombra est toujours enfoui dans sa glace, les changelins sont partis en Arabie Selloulite, nos grands ennemis ont disparus, il n'y a personne pour nous manipuler comme des marionnettes, pour faire en sorte que les poneys se battent entre eux pour des raisons obscures. Il n'y a aucune cause extérieure.
-La cause vient alors forcément de l'intérieur.
-Tu penses à moi, n'est-ce pas ?
-A qui d'autre ?
-Je n'ai pas déclenché cette guerre, Luna. Je ne me le serais jamais permis.
-Alors, qui a mis ces fanatiques à Ponyville ? Tout ce que je voulais, à ce moment-là, c'était créer une terre d'asile pour les poneys voulant fuir l'Empire et ses règles, pas initier une guerre civile. C'est toi qui a ordonné le massacre !
-Non, Luna. J'ignorais même où tu étais partie avant de recevoir la nouvelle.
-Alors quoi ? C'est juste un coup du destin ? Une coïncidence ? Un dieu qui s'amuse avec nous parce qu'il s'ennuyait de nous voir pacifiques ?
-Je ne sais pas, Luna. Et il est désormais trop tard pour le découvrir. Nous sommes au pinacle de cet affrontement. Des millions d'êtres vivants ont les yeux rivés sur le ciel, attendant de voir qui, de la Lune ou du Soleil, va redescendre ou va rester en l'air. L'une d'entre nous sortira de cette pièce victorieuse, l'autre...
-Sera tuée.
Celestia garda le silence un moment. Elle était désormais juste en face de Luna, la dominant de sa taille, son regard plongé dans celui de la princesse de la nuit. Puis, finalement, elle s'assit, et déclara :
-Je ne veux pas te tuer, Luna.
-Etonnant, je n'ai pas eu cette impression jusque-là.
-J'ai fait mon possible pour que l'on te capture vivante. Je n'ai jamais voulu te faire de mal...
-Mais tuer mes compagnons ne t'as jamais posé de problème.
-Comment peux-tu dire ça, Luna ? Tout ce que je viens de dire n'a-t-il donc aucune valeur à tes yeux ? Je n'ai jamais voulu de cette guerre, de ces morts, de ce ciel couleur sang !
-Mais c'est arrivé, Celestia, et tu dois en assumer la responsabilité !
-Et je le fais. Depuis qu'on nous a mis sur ce trône, j'assume chaque chose qui se déroule dans notre royaume, chaque perte, chaque défaite. Mais je ne voulais aucun mal à mon peuple. Je ne te voulais aucun mal !
-Pourtant, c'est toi qui a tiré la première. Tu as tenté de me tuer, Celestia.
-Je...
La réponse de Celestia lui resta coincée dans la gorge, et Luna continua :
-Et n'ose même pas prétendre le contraire. Cette-nuit là, quand j'ai fait irruption dans ta chambre après avoir appris l'existence de l'Edit des Alicornes. Tu m'as regardé droit dans les yeux, et tu as tenté de me tuer !
-Je... J'étais...
-Sais-tu ce que ça m'a fait ? demanda Luna, la voix se brisant légèrement. Peux-tu seulement imaginer ce que j'ai ressenti quand ma propre sœur a tenté de me tuer juste parce que j'avais critiqué ses choix ? De la peine que j'ai ressentie alors que je m'enfuyais, et que je prenais la décision de faire sécession ? J'ai fait ce choix car je pensais qu'il m'éviterait de devoir te confronter, que je pouvais demander son avis au peuple poney, qu'il choisisse entre ton « Empire » et un nouveau système politique dont ils seraient les seuls maîtres. Peux-tu imaginer l'horreur de voir ces poneys être massacrés sous tes yeux juste pour t'avoir écouté ? Des innocents, des enfants même, assassinés sans distinctions, par leurs voisins, leurs frères et leurs parents ! Et penser que tout cela était de la faute de ma sœur !
Des larmes coulaient sur les joues de Luna, alors qu'elle continuait :
-Cette sœur qui m'a été enlevée pendant mille ans. Cette sœur que je ne me suis jamais pardonné d'avoir trahie en devenant Nightmare Moon. Cette sœur que je chérissais plus que tout, et aux côtés de qui je voulais passer le reste de ma trop longue vie. Nous aurions pu tout arrêter, Celestia ! Nous aurions pu prendre notre retraite et laisser la nouvelle génération prendre les choses en sabot ! Mais il a fallu que tu ais eu peur ! Il a fallu que Chrysalis réussisse son coup, et que tu bascules dans la folie !
Luna serra la mâchoire, luttant contre ses émotions :
-Ce n'est pas de voir le pays s'entre-déchirer qui me peine. Lors de notre règne, nous avons vu des horreurs sans noms, et j'ai toujours été la plus résistante à ces choses. Non, c'était de penser que tu étais derrière chaque attaque, chaque tentative d'assassinat. C'était de penser que l'Empire, c'était ton œuvre ! Que je me battais contre toi !
Elle s'assit, et posa un sabot sur son visage dans une tentative de contrôler ses larmes.
-S'il s'était agi des dragons, des griffons, des changelins, même des zèbres, j'aurais combattu sans hésiter. Mais non, c'était toi. L'ennemi était ma sœur, ma seule famille. Chaque seconde de ces treize années de guerre a été une souffrance sans nom, et j'ai dû me marteler que tu avais changé, que tu n'étais plus la même, me convaincre que tu avais succombé à la même tentation qu'eux.
Elle releva les yeux vers Celestia.
-Alors comment veux-tu que je te crois quand tu dis que tu ne voulais pas cela ? Que tu ne voulais pas me tuer ?
-Lu...
L'alicorne blanche s'était mise à pleurer à son tour. Elle leva un sabot vers le visage de sa sœur, et lui caressa doucement la joue.
-Tout ce que je voulais, dis Luna, c'était retrouver ma sœur.
-Je suis là, Lu.
Celestia passa ses sabots autour des épaules de Luna, et la rapprocha d'elle. L'alicorne bleue se laissa porter, et elle s'enlacèrent, se serrant mutuellement. Leurs sanglots résonnaient dans la salle vide, sous le regard des personnages représentés sur les vitraux.
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A l'extérieur, Nicholaus renifla de dégoût. Il décolla son oreille de la porte, se releva, enjamba le corps de Hay Fried dont la gorge grande ouverte laissait échapper un flot de sang encore chaud, et traversa le couloir vide du château, un air déçu sur le visage. Levant les yeux au plafond, il se demanda où il allait bien pouvoir se diriger, quand il entendit des sons venant d'une des salles à côté desquelles il passait. Il ouvrit et jeta un œil à l'intérieur, et un sourire malsain apparut sur son visage.
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Après un moment, les deux sœurs, ayant calmé leurs sanglots, s'écartèrent doucement. Luna s'essuya les yeux, et murmura :
-Partons.
-Pardon ?
Celestia ouvrit des yeux ronds de surprise, et Luna se reprit :
-Fuyons. Partons loin, là où on ira pas nous chercher. Laissons les poneys vivre par eux-mêmes, sans nous, et prenons notre retraite.
-Tu veux les abandonner ?
-Nous avons toutes les deux tout donné pour eux. Nous avons toujours tenté de les protéger, et finalement, nous sommes allés trop loin. Nous n'avons pas su nous arrêter à temps. Sans nous, sans leurs symboles, le combat s'arrêtera de lui-même.
-Non, Luna. Je ne peux pas abandonner notre peuple. Pas maintenant.
-Tia, s'il-te-plaît...
-Ce n'est pas que je ne veux pas, Lu. Mais...
La corne de Celestia brilla, et les bougies qui éclairaient la salle s'éteignirent, la plongeant dans le noir, avec pour seule exception le halo de magie de l'alicorne. Puis d'autres lumières apparurent, venant de cristaux cachés dans toute la pièce, et ceux-ci projetèrent des rayons au centre de la pièce, formant petit à petit des images mouvantes, des projections holographiques. Luna reconnu la côte Equestrienne, avec ses plages, et, dessus, des milliers de petites formes équines, séparés en deux camps.
-Qu'est-ce que...
-Cela se passe en ce moment-même. Les zèbres ont débarqué ce matin, et affrontent Crimson Brush à quelques kilomètres de Le Haras.
L'image se brouilla, et un environnement similaire de plage pris la place de la bataille. Il y avait également beaucoup de zèbres sur celle-ci, mais ils étaient statiques et ne semblaient pas se battre.
-Apparemment, le front dirigé par Shining Armor est terminé, et les zèbres ont gagné.
-Shining Armor est là ?
-Oui. Les réfugiés des Royaumes Zèbres ont participé à l'invasion, et Shining en fait partie. Mais...
L'image revint à la bataille initiale, dont la violence arrivait à transparaître malgré le manque de son et la vue de hauteur.
-... le général Brush s'est mis en tête de tuer Eliah, l'actuel Haut-Roi. Et s'il y parvient, le moral des troupes zèbres sera sûrement suffisamment brisé pour arrêter net l'invasion. Sans compter que les dissensions internes vont détruire l'unité de l'armée.
-Mais tu pourrais l'arrêter.
-Non. En réalité, j'ai toujours pensé qu'il y était pour quelque chose dans la déclaration de guerre.
-Quoi ?
-Il a capturé Blueblood au moment-même où la guerre était déclarée, révéla Celestia en rétablissant l'éclairage initial de la pièce, et malgré ce que m'a dit Twilight, je n'ai jamais vu une preuve qu'il y ait réellement eu une conspiration. De plus, Brush n'a jamais caché son envie de reprendre les armes.
-Pourquoi l'as-tu gardé dans tes rangs, dans ce cas ?
-Parce que c'est ce que le monde est devenu. As-tu déjà vu les nouveau-nés de ces dernières années ?
Luna haussa un sourcil, et hocha négativement la tête.
-Ils sont plus sombres. De plus en plus de Marques sont liées à la violence et au combat, et de moins en moins de poneys ont connu les temps de paix, et sont habitués à vivre dans un monde violent. Les mentalités ont changé, et l'Equestria que j'ai passé des millénaires à bâtir s'est effondré.
-Alors...
-Même si je capitulais, que je laissais les clés du royaume à Cadence, ou même à toi, l'opposition serait trop forte. Les Licornes du Soleil, l'armée, les fanatiques... J'ai créé tout cela, et je suis la seule à pouvoir les contrôler.
-Celestia...
-Mais tu pourrais m'aider, Lu ! Nous pourrions faire la paix, régner ensemble comme avant, et rétablir l'ordre ! Faire en sorte de retrouver l'Equestria d'avant-guerre, et alors, nous pourrions prendre notre retraite. Si nous faisons preuve d'unité, peut-être que les esprits s'échaufferont moins. Nous pourrions faire à nouveau la paix avec les zèbres et les autres races...
-Mais ça ne se fera pas immédiatement.
-Non. Peut-être cela nous prendra-t-il des siècles. Mais nous devons être patientes. Ce royaume s'est construit au fil des millénaires, et s'il en faut un de plus pour le remettre sur le droit chemin, alors nous le prendrons.
-Et alors tout recommencera.
-Non, Lu. Nous avons commis une erreur une fois, nous ne la ferons plus.
-C'est faux.
Luna plongea son regard dans celui de Celestia.
-Les alicornes ont déjà commis l'erreur de se prendre pour des dieux, et résultat, il ne reste plus que nous deux. Mais cela t'a-t-il empêché de décréter l'Edit, qui nous déclarait officiellement déesses ? Cela t'a-t-il dissuadé de laisser l'Eglise Solaire et les Licornes prospérer ?
-Il n'y a rien de comparable...
-C'est tout-à-fait comparable, Celestia.
Luna se releva.
-J'ai été Nightmare Moon. Je sais ce qu'est le désir de pouvoir. J'ai souvent été tentée ces dernières années, et c'est pour cela que j'ai toujours voulu qu'on cesse de m'appeler « princesse ». C'est la raison qui nous a poussé à ne pas être déclarées reines. Ne pas succomber à la tentation, pour ne pas devenir ces monstres sans âme !
-Ne me compare pas à eux, ni à Nightmare Moon ! se défendit Celestia en se relevant à son tour. Je ne recherche pas le pouvoir, juste à protéger mon peuple !
-Alors met le déguisement de Mare-Do-Well et va dans la rue pour aider les citoyens ! Mais cesse de t'accrocher à ce trône comme si personne ne pouvait te remplacer !
-Mais PERSONNE ne peut me remplacer !
Celestia ouvrit des yeux ronds, et posa le sabot sur sa bouche, surprise d'avoir hurlé cette dernière phrase. Luna ferma les yeux.
-Celestia, je t'en supplie, une dernière fois : partons loin d'ici, et laissons les poneys se gouverner par eux-mêmes.
-Je ne peux pas, Luna. Je ne peux pas les abandonner.
-Tu leur fais plus de mal en t'accrochant au trône.
-Je fais ce qui doit être fait pour les protéger !
Luna toisa sa sœur un moment, puis prit une inspiration.
-« Faire ce qui doit être fait »... A chaque fois que j'ai entendu cette phrase, le peuple souffrait plus encore, pour des résultats médiocres. J'ai ordonné d'innombrables assassinats parce que ça devait être fait, et j'en ai toujours eu le point sur la conscience. J'ai autorisé l'utilisation des gaz dans les tranchées parce que ça devait être fait, et des milliers de poneys sont morts en quelques jours à peine.
Elle ferma les yeux.
-J'ai créé la rébellion lunaire parce que je pensais que ça devait être fait, et treize ans de guerre ont corrompu notre royaume. Peut-on vraiment prétendre que de pareilles horreurs soient nécessaires au nom du plus grand bien ? Combien de temps devra s'écouler, combien devront souffrir avant que la lumière n'apparaisse au bout du tunnel ?
-Laisser les poneys seuls en l'état n'est pas la solution.
Luna rouvrit les yeux, et les plongea dans ceux de sa sœur :
-Je ne peux pas te laisser sur le trône, Celestia.
-Rejoins-moi, Luna. S'il le faut, tu seras là pour me contrôler si je me perd.
-Très bien. Commençons tout de suite : ordonne à Brush de rendre les armes, et à tes Licornes d'arrêter les combats dans Canterlot.
-Je...
Celestia hésita un instant.
-Je ne peux pas faire ça.
-Pourquoi ?
-Si nous rendons les armes devant les zèbres, alors les autres peuples penseront que nous sommes...
-NON !
Luna frappa le sol si fort qu'il se fissura.
-Non ! Les autres peuples ne penseront pas que nous sommes faibles ! Ils penseront que nous avons enfin cessé cette folie ! Ils penseront que les poneys sont enfin sorti de leur cercle de violence !
-Tu ne comprends pas, Luna...
-Ce que je comprends, c'est que tu refuses toujours de laisser le contrôle à quelqu'un d'autre. Tu n'arrives pas à voir ce que tes actions entraînent !
-Et qui pourrais prendre ma place ? Twilight, qui est devenu complètement folle au point de tuer une de ses anciennes amies ? Cadence, qui s'est cachée pendant treize ans ? Brush, le militaire qui veut faire la guerre au monde entier ? Toi, qui refuse toujours ton rôle de leader depuis le début de cette guerre ?
-Je ne refuse pas mon rôle...
-Tu as voulu créer une république ! Tu n'as jamais été d'accord avec ce terme « lunaire » qu'on accolait systématiquement à tes partisans ! Sans parler de ce que tu as dit à Hay Fried juste avant d'entrer dans cette salle ! Tu m'as même demander de fuir avec toi !
-Parce que je pense que le rôle de gouvernant ne nous revient plus !
-Alors tu veux laisser ce pays sans leader, livré à lui-même ?
-Les poneys savent ce qui est le mieux pour eux !
-Non, ils ne le savent pas ! Ouvre les yeux, Luna, ils ont même demandé aux deux seules survivantes alicornes de gouverner à leur place après l'ère du Chaos !
-Toi, ouvre les yeux, notre règne les a conduit à s'entre-tuer ! Ils nous suivent aveuglément quelque soient nos ordres, sans jamais nous questionner ! Vois où ça nous a mené ! Tu te prends pour une déesse !
-Et tu te prends pour celle qui sauvera ce monde ! J'ai toujours voulu protéger notre peuple de toutes les menaces, et toi, tu n'as voulu que le protéger de moi, sans voir les dangers venant d'ailleurs ! Sais-tu tout ce que j'ai dû faire pour éviter qu'un autre pays ne profite de notre guerre civile pour fondre sur nous ? Nous sommes des poneys, Luna ! Nous ne sommes pas naturellement armés pour nous défendre !
Les deux alicornes se tenaient l'une en face de l'autre, campées sur leurs pattes, se toisant mutuellement, toute trace de compassion ayant disparu de leurs yeux. Puis la corne de Celestia s'alluma :
-C'est cela que tu veux, Luna ? Et bien soit !
Un halo de lumière l'enveloppa, éblouissant un moment la jument de nuit, qui en profita pour envelopper son épée d'une lueur magique et la tirer de son fourreau. En face d'elle, la lumière commença à s'estomper, et Celestia réapparut à ses yeux, recouverte d'une armure en or ouvragée, et supportant avec sa magie une hallebarde dont la pointe était une lame affûtée. Luna ramena son épée plus près d'elle, et pris une posture de garde.
Elle s'observèrent un moment, les yeux rivés l'une sur l'autre, guettant qui ferait le premier mouvement. L'esprit de Luna était en pleine tourmente, son devoir entrant en conflit avec ses sentiments envers sa sœur. La même tempête faisait rage chez Celestia, mais aucune ne laissait transparaître leurs doutes, leur regard affichant une détermination qui ne connaîtrait aucune faille.
Puis, comme si un signal avait été donné, elle se jetèrent l'une sur l'autre.
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La troupe se déplaçait en silence, guettant tout signe de mouvement des gardes. Mais assez étonnamment, ils n'en avaient pas croisé depuis leur entrée dans le château. Windvision s'était attendu à ce que la sécurité soit renforcée, vu que Twilight savait qu'ils viendraient, mais il n'y avait personne. A peine quelques servants nettoyant les couloirs et les garnitures.
Les infiltrés étaient inquiets. Ils n'avaient aucune nouvelle ni de Luna, ni des autres, et l'ambiance du château ne les aidait pas à se sentir mieux. C'était trop facile, trop vide... Ça puait le piège. Et pour ajouter au malaise, Bet Bit, la licorne du groupe, avait ressenti une grande présence magique en provenance de la ville. Ça ne pouvait pas être une bonne nouvelle.
Ils avançaient rapidement, se dirigeant vers la salle du trône où ne manqueraient pas de se trouver les alicornes, se fiant à leur instinct et aux souvenirs de Moonface, qui avait eu l'occasion d'être reçu au château longtemps avant que la guerre ne commence. Malheureusement, il connaissait la route depuis l'entrée, pas depuis quelques obscurs souterrains, et les couloirs avaient vite tendance à se ressembler.
Soudain, il entendirent un tremblement venir de plus loin dans le bâtiment. Bit lança un sort de détection, et déglutit :
-Ça y est.
-Quoi ? demanda Gap Scatter.
-Deux sources de magie, surpuissantes, côte-à-côtes.
Les lunaires restèrent un instant silencieux, puis Windvision pressa le pas :
-On a pas de temps à perdre.
Les infiltrés s'élancèrent à travers les corridors, ne faisant plus attention à être discrets, suivant les sources détectées par Bet Bit. Ils croisèrent quelques serviteurs effrayés, autant par leur présence que par les tremblements de plus en plus fréquents, preuve de la violence du combat que menaient les deux leaders. L'esprit de Windvision était en pleine ébullition, et une question s'imposa à elle : devant une telle puissance, qu'est-ce qu'eux pouvaient bien faire ? Supporter moralement Luna en criant des encouragements à côté ? Tenter de tuer Celestia eux-mêmes ? Il ne fallait pas être une lumière pour imaginer qu'à l'heure actuelle, ils ne feraient sûrement pas le poids. Ils aviseraient, et pourraient au moins s'arranger pour qu'il n'y ait personne d'autre qui vienne perturber le combat.
Les pensées de la ponette divergèrent vers Nicholaus. Il était clairement parti pour voir le duel, mais que voulait-il y faire ? Juste regarder comme un spectateur pervers du destin d'Equestria ? Ou tuer les deux alicornes quand elles seraient affaiblies ? Du peu qu'en avait compris la jument, l'esprit de Nicholaus se focalisait toujours sur un but en particulier, et il faisait tout pour l'accomplir. Mais l'officialisation de la mort de Shadow avait annulé son dernier objectif, et Windvision craignait que sa prochaine cible soit ce qu'il y avait de plus gros dans le secteur, d'autant qu'il ne semblait pas s'embarrasser d'allégeance.
Quelque part, la terrestre était contente de faire partie de ce groupe. S'ils tombaient sur Nicholaus en train de comploter un de ses plans tordus, elle ne le louperait pas. Cette fois, elle n'aurait aucune hésitation.
Quelque soit son futur, le monde se porterait bien mieux sans un monstre pareil à sa surface.
Ils arrivèrent à un couloir dépourvu de porte hormis une grande ouverture à double battants, aux portes montant jusqu'au plafond dont l'une était entrouverte. Les infiltrés s'apprêtaient à continuer leur route sans y faire attention, mais Gap leur fit signe de s'arrêter, et d'écouter. A l'intérieur, ils entendaient une voix, oscillant entre chuchotement et hurlement, déblatérant des propos qu'ils ne saisissaient pas encore. Mais le timbre ne laissait aucun doute. Les soldats préparèrent leurs armes, et se mirent en position autour de l'entrée.
Windvision avança doucement, et ouvrit la porte du bout de son fusil, prête à faire feu, alors que les éclats de voix devenaient plus audibles :
-... Non... Pas ma faute !... ainbow... as moi...
Elle fit un signe de tête, et les cinq poneys firent irruption dans la pièce. C'était une grande bibliothèque dotée d'une mezzanine, dont les murs étaient recouverts d'étagères et de livres dont certains étaient tombés au sol. Juste en face d'eux, ils voyaient Nicholaus, de dos, tranquillement assis, regardant plus vers le fond. Il se retourna, et leur fit signe de silence avec un regard contrarié, comme un spectateur de cinéma dérangé dans son activité, avant de reprendre son observation.
Au fond se trouvait Twilight Sparkle, de dos également, qui entretenait un feu en y lançant ce qui ressemblait à des lettres parcheminées. Elle avait des gestes saccadés, tantôt lent, puis qui jetaient les bouts de parchemins comme s'ils brûlaient. Des spasmes traversaient son corps, alors qu'elle se mettait à parler sans cohérence. Puis, d'un coup, elle tourna son visage vers la droite, l'air paniquée :
-Non, c'est pas ma faute ! Pas ma faute ! Elle n'a pas reculé ! Elle aurait pu s'enfuir ! C'est sa faute, pas la mienne !
Soudain, elle regarda vers la gauche, montrant la partie brûlée de son visage, et sa voix prit un air étrange, un ton fou, alors qu'un sourire malsain apparaissait sur son visage :
-C'était ton amie, Twilight ! Ton amie ! Tu l'as trahie ! Trahie !
Elle pivota à nouveau :
-Non ! C'est elle qui a trahi ! Elle n'était plus fidèle à Celestia !
-Et à cause de qui, Twilight ? C'est ta faute si Rarity est morte !
-Non ! C'est faux ! C'est ce... Cet assassin qui l'a tué !
-Elle était déjà morte ! Morte ! Tu l'as torturée, Twilight ! Tu l'as brisée, Twilight !
-Je ne l'ai pas tué !
-C'est de ta faute, ta faute, si elle a demandé à mourir !
-Non ! C'est pas ma faute !
Windvision avança de quelques pas, hallucinée par la scène surréaliste qui se passait devant ses yeux. Elle arriva au niveau de Nicholaus, qui affichait un sourire satisfait, profitant apparemment pleinement du combat intérieur de la Licorne Suprême.
-Tu les as toutes tuées ! continua la Twilight folle. Toutes ! Tu as tué Rainbow ! Tu as tué Rarity ! Tu as tué Fluttershy !
-Non ! Non ! C'est... C'est lui ! C'est lui qui l'a tuée !
-C'est toi l'as poussée au suicide, Twilight ! C'est toi qui lui as retiré l'envie de vivre !
-Mais je ne l'ai pas tuée ! C'est pas moi !
-Tu as tué Fluttershy ! Tu as tué Applejack !
-Non !
-C'est de ta faute si sa famille a été assassinée ! C'était ton ordre, Twilight ! Tu l'as détruite, bousillé son esprit !
-Mais elle n'est pas morte !
-Et Pinkie Pie ! Elle est folle à cause de toi aussi !
-Non ! C'est pas vrai !
-C'est toi qui as donné l'ordre à Ponyville, Twilight !
-Non ! Je leur ais juste...
-Demandé de tuer tout le monde ! Tout le monde !
-NON ! Je voulais arrêter Luna ! Je voulais qu'ils arrêtent tous ceux qui l'écouteraient !
-« Par tous les moyens nécessaires », Twilight ! Tu t'attendais à quoi ? Qu'ils fassent du chocolat chaud ?
-Je leur ais pas demander de les tuer !
-Tu les as formatés, Twilight ! Tu savais ce qui arriverait !
-Non !
Les spectateurs étaient bouche bée devant ces révélations. Et pendant qu'elle sombrait de plus en plus, Sparkle continuait de lancer des lettres dans le feu, les deux partis dans son esprit devenant de plus en plus virulent à chaque parchemin en train de brûler. Moonface s'avança, et murmura :
-Quelqu'un m'explique ce qu'il se passe ?
-On dirait que les Eléments d'Harmonie ne sont pas contents.
Les infiltrés se tournèrent vers Nicholaus, qui continuait d'observer la scène.
-Je crois qu'on arrive à la partie la plus intéressante.
-C'est toi qui as déclenché la guerre ! accusant Twilight la brûlée.
-NON ! NONONONONON ! Je voulais pas ! C'était pas moi ! C'est leur faute ! C'est eux qui ont massacré tout le monde ! Je voulais pas !
La licorne mauve tomba à court de lettres à lancer, et son sabot trembla violemment. Puis elle hurla, se dressant sur ses pattes arrières, et prit sa tête entre ses membres antérieurs. Lentement, elle se tourna vers les spectateurs de sa folie, mais ses yeux ne les voyait pas, tournant dans tous les sens, incapables de se fixer sur quoi que ce soit. Elle semblait souffrir atrocement, et de sa corne jaillissait des étincelles qui mirent le feu à certains des livres adjacents. Le feu central lui-même se répandait, alors que la magicienne ne le contrôlait plus, et, prudemment, les infiltrés reculèrent, craignant l'incendie qui se propageait rapidement à toute la bibliothèque.
Seul Nicholaus restait immobile, toujours à contempler la jument qui s'était mise à arracher son uniforme, l'insultant et s'insultant elle-même. Puis l'étalon noir et blanc se leva, chercha dans sa veste et en tira un couteau papillon, qu'il fit jouer entre ses sabots, en s'approchant lentement de la folle.
Soudain, les poneys entendirent un bruit de vitre cassée, et levèrent les yeux vers la mezzanine. Là, sur le balcon, ils purent voir la robe jaune de la tristement célèbre Spitfire, troublée par la chaleur de plus en plus élevée de la pièce, un sabre à lame curieusement rouge fermement tenu dans son sabot. Celle-ci baissa les yeux vers les deux licornes toutes proches l'une de l'autre, et nota les intentions de Nicholaus.
-Non !
Elle se jeta en avant, et atterrit lourdement entre les deux poneys cornus. Elle croisa une seconde le regard de Nicholaus, le soutenant sans ciller, puis elle se retourna d'un coup, et plongea sa lame jusqu'à la garde dans la poitrine de Twilight Sparkle.
Celle-ci hoqueta, et baissa les yeux pour voir le sang s'écouler autour de l'arme. La bouche toujours ouverte, elle releva la tête, croisant le regard chargé de haine de la pégase. Du bout des lèvres, elle murmura :
-Rainbow...
Puis la licorne bascula en arrière, dans le tas de parchemins en train de brûler. Elle poussa un hurlement de douleur, qui s'étrangla rapidement, avant de s'éteindre définitivement. Spitfire regarda le corps se consumer sans montrer aucune émotion, mais à l'intérieur, elle jubilait d'avoir vengé la pégase cyan.
Soudain, elle se sentit agrippée par l'arrière par des sabots puissants, et une patte lui passa sous le museau, un éclat réfléchissant les flammes au bout. Puis le couteau de Nicholaus commença à lui entailler le cou à partir du côté gauche, lui causant une douleur qui la fit hurler. Elle prit la patte meurtrière dans ses sabots, et la maintint, l'empêchant de continuer à l'égorger. L'étalon luttait avec force pour continuer son œuvre macabre, et Spitfire tenta de lui donner des coups avec ses pattes arrières, sans effet autre que celui de la faire souffrir car la lame continuait de l'entailler à chaque mouvement.
Spitfire faiblissait rapidement, à cause de ses blessures, du combat précédent et de la chaleur suffocante dans cette bibliothèque presque entièrement en flamme à présent. Elle sentait le sang lui couler sur la fourrure, et il lui semblait qu'elle allait finalement mourir.
Puis il y eut la détonation, et Nicholaus hurla en s'écartant. Spitfire porta immédiatement un sabot à sa blessure pour empêcher le liquide vital de s'échapper, et leva la tête vers son opposant. La licorne noire et blanche s'écartait en boitant, et trouva refuge derrière un bureau pour se protéger de l'entrée. Il se tenait l'épaule, un masque de rage sur le visage, et fouilla dans sa veste pour tirer un pistolet. D'autres détonations venant de la porte se firent entendre, frappant le couvert de l'ancien général solaire, et l'empêchant de se relever pour riposter. Son regard croisa celui de Spitfire, la haine et le meurtre transparaissant à travers ses pupilles, et l'ancienne Wonderbolt, décolla avant qu'il ne l'aligne. Elle fonça à travers les flammes vers l'origine des détonations, et passa la porte avant de s'écraser au sol.
Windvision jeta un coup d’œil à la pégase jaune, puis à l'intérieur de la pièce en flamme, et hurla à ses compagnons de reculer. Elle referma ensuite la porte, et ordonna à Bet Bit de sceller la serrure, ce que la licorne fit immédiatement grâce à sa magie.
A l'intérieur, Nicholaus, aveuglé par la chaleur, parvint néanmoins à voir que l'issue avait été bloquée. En rage, il s'élança à travers la pièce en feu jusqu'aux escaliers, monta à la mezzanine, et se jeta dans le vide à travers la fenêtre.
Spitfire tenta de se relever, mais sa tête lui tourna et elle s'effondra sur le sol, impuissante. Sa vision commençait à se troubler, mais elle pouvait voir les autres, les lunaires, l'observer. Ils parlaient, mais elle ne parvenait plus à les comprendre. Elle ferma les yeux, et se prépara à rejoindre Rainbow Dash.
Puis elle sentit quelque chose contre sa blessure, et grimaça de douleur. Elle rouvrit les yeux, et vit que l'un des poneys était sur elle, des objets ressemblant à du matériel médical en sabot, et s'affairait sur son cou. Elle parvint à marmonner :
-Z'êtes pas rancuniers...
Windvision s'avança, et lui dit :
-On verra plus tard pour vous juger. Pour l'instant, ne bougez pas.
Spitfire leva les yeux vers elle, puis les ferma, s'abandonnant à l'inconscience. La terrestre verte se tourna vers Faith Trust, le médecin du groupe, qui hocha la tête pour lui dire qu'elle allait s'en tirer. Windvision soupira, et tourna la tête vers la porte de la bibliothèque de Twilight. Moonface s'approcha d'elle.
-C'est terminé.
-Pas tant que je n'aurais pas vu son corps, dit la terrestre entre ses dents.
-Wind'...
-Je changerais pas d'avis.
Bet Bit s'avança à son tour.
-N'empêche... Vous y croyez, vous ? Sparkle à l'origine de toute cette merde ?
-Hum... fit Moonface avec un air dubitatif. Va savoir. Peut-être qu'elle s'en voulait juste à mort et que la folie l'a fait délirer en rejetant toute la faute sur elle.
-Enfin, soupira la licorne. Elle est morte, maintenant.
-Ouaip. Une bonne chose de faite.
-On fait quoi maintenant ? Wind' ?
La terrestre restait immobile, le regard toujours fixé sur la porte, comme si son talent allait lui permettre de voir à travers. Elle s'en voulait de l'avoir raté, que les flammes l'aient empêché de le tuer d'une seule balle. Shadow devait s'en retourner dans sa tombe. C'était de la paranoïa, mais tant qu'elle ne verrait pas son cadavre, elle ne serait pas tranquille.
Et s'il n'y avait pas de cadavre, s'il était toujours vivant...
Le bâtiment trembla à nouveau. Windvision leva les yeux au plafond.
-Bit, tu penses vraiment qu'on a une chance de peser dans la balance ?
-Quoi, du combat ?
La licorne réfléchit un moment, puis dit :
-Pour être honnête, pour le moment, non. Peut-être quand elles seront fatiguées, on pourrait en profiter...
La terrestre verte s'assit, songeuse, et tourna son regard derrière elle, sur le corps affaibli de Spitfire.
-Luna nous en voudrait si on se mêlait de son duel, même pour la sauver. Non. Moon, Bit et Scatter, allez garder la porte de la salle du trône, pour au moins empêcher que les solaires le fassent. Je reste ici avec Trust et Spitfire.
-Je pourrais me débrouiller tout seul, se défendit le médecin.
Moonface leva les yeux vers Windvision.
-C'est pas pour toi qu'elle reste...
-Et... commença Bet Bit sur un ton hésitant.
Tous les lunaires se tournèrent vers elle.
-On fait quoi si... Luna... Enfin...
Windvision prit un temps pour réfléchir, et déclara :
-Fuyez. Si Luna perd... Elle ne se laissera pas capturer. Fuyez.
Les soldats s'entre-regardèrent, mal à l'aise.
-Des objections ?
Un silence passa, puis Moonface porta son sabot à la tempe.
-Aucune, chef.
-Alors allez-y.
Les trois poneys acquiescèrent, et tournèrent les ergots pour s'enfoncer plus loin dans le château. Moonface, cependant, lança un dernier regard en arrière, pour voir Windvision se poster à nouveau devant la porte, le visage dur.
Windvision observait l'entrée de la bibliothèque, plongée dans ses pensées. Le feu finirait par s'éteindre, il n'avait rien pour se propager au-delà de cette pièce, et alors, elle entrerait pour vérifier si le corps de Nicholaus s'y trouvait.
Sinon...
Elle le traquerait, le suivant telle une ombre, jusqu'à son dernier souffle.
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Shining Armor prit une grande inspiration, les yeux balayant la plage qui s'étendait devant lui. Il avait passé une bonne partie de sa vie dans l'armée. Il savait ce qui l'attendait, il avait été entraîné à supporter tout ce qu'il pourrait être amené à rencontrer. On lui avait montré comment se battre contre des griffons. Il connaissait les points faibles dans la cuirasse des dragons. Il savait faire la part entre confiance et méfiance envers ses camarades pour éviter une invasion changeline. Bon, pour ce dernier point, il y avait des failles dans son entraînement, mais il était prêt à se battre contre des créatures qui ressemblaient aux siens.
Il était prêt à tout, mais ce qu'il avait devant les yeux aurait choqué même les anciens pégases. Il ne laissait rien paraître de ses émotions, car un leader, un général et un prince devait montrer l'exemple à ses troupes, mais c'était sa première véritable bataille, et il n'avait jamais imaginé une telle violence possible en Equestria.
Etait-ce là le quotidien qu'avaient subi les poneys pendant treize ans ? Un champ de mort s'étendant sur plus d'un kilomètre, le sable rougi n'arrivant même plus à absorber le sang, l'écume de la mer teintée de nuances de pourpre, et tous ces cadavres...
Il avait entendu dire que certains soldats trouvaient qu'il y avait quelque chose de poétique dans les restes d'un champ de bataille. Une espèce d'art morbide qui contrastait avec la brutalité qui l'avait engendré.
Ces types devraient être enfermés.
Les zèbres étaient aussi choqués que lui, et eux n'avaient pas à faire semblant de tenir le coup. Certains pleuraient leurs morts, d'autres restaient tête baissées à côté d'un membre de leur famille en priant leurs dieux, d'autres encore cherchaient parmi les corps leurs frères d'âme disparu afin de veiller que leur dépouille revienne en terre sacrée. Les shamans parcouraient la plage en lançant des imprécations d'une voix rauque, aidant les esprits à trouver le chemin vers l'après-vie et apaisant les éléments.
Shining avait été impressionné par ces vieux zèbres. Leur puissance était sans égale à part peut-être les princesses, et les magiciens Equestriens avaient dû être très surpris. Ils avaient déchaînés les éléments, ralentissant l'ennemi de leurs bourrasques, retournant des chars dans des explosions de sable, manipulant même les boules de feu que leur envoyaient les licornes pour les renvoyer à l'expéditeur. Beaucoup étaient morts, tués par balle ou s'étant épuisés jusqu'à leur dernier souffle, mais leur aide avait été sans prix.
L'étalon avait également été soufflé par ses camarades poneys. Beaucoup étaient d'anciens lunaires, des vétérans ayant fui pendant la débâcle, et voulant se racheter, ou juste reprendre le combat. Ils avaient connu la guerre, savaient à quoi s'attendre, et s'étaient battus avec la même férocité qu'à l'époque. Ça en avait été effrayant, de voir comment, en une décennie, le peuple le plus pacifique du monde était devenu sauvage et violent.
L'ennemi n'avait pas été en reste. Shining était triste pour eux. La plupart se battait par conviction de protéger leur pays contre un envahisseur, l'esprit lavé par vingt ans de propagande et galvanisée par le fait que l'assassinat avait été organisé par un traître. Néanmoins, le soldat ne comprenait pas pourquoi il aurait visé Fleur-de-Lys, et non pas Eliah comme le déclarait les périodiques. Les licornes étaient alliées, et s'il avait voulu prendre la place de sa tante, il aurait eu besoin de l'appui des zèbres. Ça ne tenait pas debout.
Il leva les yeux au ciel obscurcit par une éclipse, et ses pensées divergèrent. Le combat final était en marche, et de son issue dépendrait le destin du monde entier. Si Luna gagnait, la guerre entre Equestria et les Royaumes stopperait aussitôt. Cette idée rendait Shining Armor mal à l'aise, car cela voulait dire que tous ces morts n'auraient servis à rien, et la méfiance qu'auraient les Equestriens envers les zèbres ne ferait que s'accentuer. De plus, servir de diversion ne plaisait pas à la licorne. Mais d'un autre côté, si Celestia devait vaincre, la situation serait encore pire. Il n'y aurait personne d'assez puissant pour la stopper, même pas Cadence, car malgré tout l'amour qu'il portait à l'alicorne, il savait que sa capacité de combat était dérisoire, seule tout du moins. Et si la princesse du Soleil décidait de se rendre au combat elle-même, les zèbres en souffriraient.
Peut-être est-ce que cela motiverait les autres races, mais des deux solutions, Shining préférait encore s'excuser auprès du peuple poney d'avoir tué ses citoyens en ignorant que quelques heures après la situation serait réglée, plutôt que devoir espérer une coalition mondiale contre Celestia.
Il entendit des pas derrière lui, et pivota la tête pour voir Rainfall le rejoindre sur son promontoire. Le vétéran se posta à côté de lui et s'assit, observant le champ de bataille avec un air indéchiffrable.
-Si cela peut vous soulager d'une quelconque façon, c'est l'une des batailles les plus violentes auxquelles j'ai participé. Et vous vous en êtes sorti comme un véritable prince.
-C'est métaphorique ?
-Non. J'aurais donné cher pour avoir un général de votre trempe à la tête de notre armée, dans le temps.
-Et pourtant, lorsque je vois tout ça...
Il serra la mâchoire et déglutit. Rainfall acquiesça silencieusement.
-Vous ne seriez pas poney si vous ne ressentiez rien devant cette horreur, mon prince. J'en ai connu, des généraux ne faisant aucun cas de la vie qui disparaît sur un champ de bataille. Ce sont des monstres.
-Je ne sais pas comment vous avez pu endurer des choses pareilles tout ce temps.
-C'est triste à dire, fit Rainfall en haussant les épaules, mais on s'y habitue.
-Comment peut-on s'habituer à ça ?
-Il le faut, si on veut garder un semblant de santé mentale. On trouve des échappatoires.
-Quelle est la vôtre ?
-Je pense à ceux qui sont sous mon commandement. Si je plie, ils risquent de tomber avec moi, alors je tiens.
Shining ferma les yeux. Il faudrait qu'il se trouve une raison de tenir, lui aussi. Et une lui venait naturellement à l'esprit. L'image de sa femme s'imposa à lui, et son malaise s'apaisa un peu. Elle était restée de l'autre côté de l'océan, et si les zèbres échouaient sur ces côtes, elle serait en danger.
Il allait tenir le coup, et traverser cette épreuve. Pour ne pas qu'elle ait à le faire.
-Vous avez des nouvelles de l'autre front ? demanda le soldat à ses côtés.
-Pas depuis le début de l'éclipse. Les communications à longue portée sont coupées, et je commence à être inquiet.
-Si nous avons pu passer, je pense que des zèbres galvanisés par la présence de leur Haut-Roi y arriveront aussi.
-Ce n'est pas aussi simple. Les derniers rapports disent que l'ennemi a reçu des renforts.
-Ah ?
-Menés par Crimson Brush.
-Ah...
Rainfall siffla entre ses dents.
-Mais s'inquiéter ne nous servirait à rien, continua le prince licorne. Il faut continuer à avancer. Quand serons-nous prêts à repartir ?
-Immédiatement, et ce serait mieux. Moins nous laisserons de temps aux solaires pour se remettre de la bataille, mieux ce sera.
-Alors mettons-nous en route. En espérant qu'Eliah s'en sorte.
-A vrai dire, maintenant que j'y pense, j'ai confiance.
-Vraiment ?
-Oui...
Le terrestre eut un sourire.
-Après tout, le Géant Rouge se trouve là-bas aussi....
---
Big Macintosh chargea le soldat en face de lui, qui se figea au milieu du rechargement de son arme, comme fasciné par la masse rouge qui fonçait vers lui. Quelque part dans son esprit, deux considérations luttaient : d'un côté, il était heureux, car il n'allait peut-être pas mourir, et serait hors de combat pour le reste de la bataille. De l'autre, ça allait faire très, très, très mal.
Et ça ne loupa pas. L'impact était comparable à se prendre un rocher en pleine avalanche, et il sentit plusieurs de ses côtes craquer, ses poumons se vider, et fut projeté plusieurs mètres en arrière. Il percuta lourdement sur le sol et fit un petit rebond avant de s'immobiliser complètement. Les deux parts de son cerveaux souriaient : il était vivant, mais il dégustait. Déjà, les brumes de l'inconscience envahissaient son champ de vision, et il se laissa porter, espérant qu'il se réveillerait quand tout serait fini.
Le terrestre rouge ne perdit pas de temps à se préoccuper de sa récente victime, et déjà il tournait rapidement la tête de droite à gauche pour repérer d'autres ennemis. Mais le combat était déjà terminé, et l'embuscade formée par les solaires n'avait fait que leur faire perdre du temps. Mais c'était déjà suffisant. Le regard du géant se porta plus loin devant lui, et les flammes créées par les canons des chars illuminèrent la nuit artificielle, rapidement suivies par le tonnerre des détonations. Eliah était quelque par là-bas, et il aurait besoin d'aide.
Son escouade se reforma rapidement autour de lui, et ils se remirent en route, galopant parallèlement aux tranchées, heureusement ignorés par les tirs ennemis. Le champ de bataille commençait à s'essouffler, et dans chaque camp, on sentait la fin venir. L'assaut des solaires avait perdu de son impact, et désormais, les véhicules se contentaient de rester hors de portée des armes zèbres et de pilonner les tranchées. Seuls les cinq blindés menés par Crimson Brush faisaient exception, et était en train de réduire à néant toutes les forces d'invasion qui se trouvaient sur le flanc. Le général maniait son escadron avec brio, on devait bien lui reconnaître ça, et aucun des chars zèbres ne se risquait à s'approcher. En fait, à part les soldats déjà présents sur place et l'escouade d'Eliah, il n'y avait personne pour les arrêter.
Ça allait changer avec l'arrivée de l'étalon et de ses équipiers, mais il fallait faire vite. Des rapports indiquaient que l'infanterie solaire se regroupait déjà pour profiter de la percée, et si rien n'était fait, ils allaient perdre le maigre avantage qu'ils avaient. Heureusement, l'éclipse les couvrait, et ils faisaient profil bas pour éviter d'être pris à parti comme ils venaient de l'être.
Encore une centaine de mètres, et ils seraient à portée, mais le poney géant ordonna à ses alliés de ralentir le pas. A cause du manque de magie des zèbres, les lance-roquettes avaient une portée bien moindre à celle à laquelle était habituée Big Mac, et si les tanks les voyaient trop tôt, ils se feraient exploser sans la moindre chance de survie.
Il voyait les chars tirer devant lui, la lumière devenant de plus en plus vive à mesure qu'il se rapprochait. Ils tiraient sur des carcasses et des épaves situés plus en avant dans le champs de bataille, d'où provenaient d'autres flammes, celles d'Eliah et de ses compagnons, qui s'étaient mis à couvert, et subissaient un tir de suppression à la fois des tourelles et des mitrailleuses des véhicules. Ceux-ci avançaient vers eux, lentement mais implacablement, leur laissant peu d'opportunité de riposter.
Encore une cinquantaine de mètres...
Soudain, Big Mac cru apercevoir une silhouette, non loin des tanks, mais celle-ci disparut aussitôt, le faisant douter sur son existence. Puis le poney eut un sourire en coin, et il hurla à ses compagnons de se mettre au sol. Les zèbres s'exécutèrent sans poser de question, et l'équipe se mit à ramper. Les secondes se déroulaient sans que rien ne se passe, et le géant rouge se demanda s'il avait bien vu.
Puis une explosion rugit au milieu de l'escadron de blindés, et l'équipe de Big Mac s'arrêta pour se plaquer encore plus à terre. Le capitaine leva la tête, et vit que l'un des véhicules n'était plus qu'un tas de ferraille en flamme. Et, s'enfuyant du lieu de l'explosion, il vit la silhouette courir en zigzag jusqu'à sortir de la zone de lumière. Hashin, le protecteur d'Eliah, et un assassin foutrement efficace. La panique des conducteurs de chars se ressentait déjà, alors qu'il manœuvraient anarchiquement, loin de la coordination qu'ils affichaient jusque-là, les tourelles pivotant pour chercher sans le trouver celui qui avait détruit l'un des leurs.
Big Mac rugit alors un ordre, et R'Sie et Tek'El, les deux soldats antichars de l'escouade, se levèrent, avancèrent jusqu'à dépasser l'Equestrien, et apprêtèrent leurs armes. Ils prirent quelques secondes pour viser, la lumière des flammes les illuminant révélant leur position, et déjà, l'une des tourelles vit sa mitrailleuse tirer vers eux. Mais il ne cillèrent pas, restant dans leur position malgré les impacts qui se rapprochaient dangereusement d'eux. Puis R'Sie lança un décompte.
Trois. Deux. Un.
Les deux zèbres tirèrent au même moment, et les missiles foncèrent dans la nuit, lançant une longue traînée de lumière dans leur sillage, vers le blindé le plus proche. Ils percutèrent le véhicule, l'un explosant dans le mécanisme des chenilles qui volèrent en éclat sous la force de la charge. Quand à l'autre, il atteint le réservoir, la pointe creusant légèrement le blindage renforcé, avant d'activer l'explosif. Celui-ci projeta les éclats avec force, dont un perça le blindage dans un flot d'étincelle qui embrasa le carburant.
Le véhicule explosa à son tour, dans un torrent de flamme qui aveugla les servants de la mitrailleuse qui tirait sur les zèbres un court instant. Big Mac hurla alors à son escouade de charger, et tous s'élancèrent dans un cri de guerre retentissant. Les tirs ennemis reprenaient déjà, et sur les trois tanks restants, deux les prenaient pour cible désormais. R'Sie et Tek'El restèrent en arrière, rechargeant rapidement leurs armes, et les cinq autres soldats galopaient, sans hésiter, alors que les tirs fusaient autours d'eux, sifflant à leurs oreilles.
Puis, l'écoutille d'un des deux tanks leur tirant dessus s'ouvrit, et Crimson Brush en sortit, observant la bataille de ses propres yeux. Il vit l'escouade chargeant dans leur direction, mais son regard porta bien vite sur les deux qui étaient plus en arrière, immobiles. Il voyait mal en raison de l'obscurité et des flammes venant des deux carcasses autour de lui, mais il reconnut les armes qu'ils avaient dans leurs sabots. Il redescendit à l'intérieur du véhicule, fermant la trappe derrière lui, et se mit au viseur du canon principal.
La détonation tonna comme un coup de tonnerre, et le passage de l'obus fit trembler l'air au dessus des cinq soldats en pleine course. Puis ce fut l'explosion. Big Mac regarda en arrière, ralentissant légèrement, la mâchoire serrée. A la place des deux spécialistes antichars, il n'y avait plus désormais qu'un cratère fumant.
Mais il n'avait pas le temps de les pleurer. Les tirs se faisaient plus précis, et l'un des zèbres se fit toucher à l'une de ses pattes, trébucha et roula sur le sol. Il tenta de se relever, mais une rafale éclata tout autour de lui, les impacts se rapprochant rapidement jusqu'à l'atteindre, et son corps se fit transpercer par des balles de gros calibre sans qu'il ne puisse pousser un cri.
Soudain, un autre hurlement se fit entendre, un cri joint d'une dizaine de personnes en même temps. Big Mac tourna la tête vers l'endroit où s'étaient réfugiés Eliah et son escouade, et vit que la troupe de zèbres avait suivi son exemple, et chargeaient les véhicules. Les généraux avaient tendance à sous-estimer l'infanterie contre les blindés, surtout lors des batailles en plein air, mais une grenade bien placée et la maniabilité des êtres de chair pouvait surpasser les forteresses mouvantes pour peu qu'ils arrivaient à s'approcher assez près, chose rendue possible avec l'arrivée de l'éclipse.
Et désormais, les zèbres savaient dans lequel des trois tanks se trouvait Crimson Brush.
Big Mac reprit sa course, malgré la douleur qui parcourait ses pattes. Il commençait à fatiguer, et l'adrénaline ne changeait rien, les courses répétées et les heures de combats finissaient par avoir raison de sa résistance. Cependant, tout comme ses camarades, il ne lâchait pas l'affaire. Pas maintenant, pas si près du but. Le poney avait vu suffisamment de bataille pour voir quand une était sur le point de se terminer, et l'offensive solaire ne tenait plus qu'à cette percée. S'ils mettaient Crimson et ses tanks hors-jeu avant que l'infanterie ennemie ne reprenne les tranchées, la victoire était à portée. Alors il courrait.
Et le canon du tank de Brush se baissa, les suivant comme un œil maléfique et meurtrier. Big Mac jeta un coup d'oeil à la formation des soldats qui l'accompagnaient. Ils étaient tous suffisamment écartés. C'était juste une question de chance...
Brush fit feu à nouveau, et l'obus éclata au milieu des zèbres qui chargeaient. Trois disparurent dans l'explosion de terre et de flamme qui en résultat, et tous les autres furent jeté à terre sous la force de l'impact, mais ils se relevèrent rapidement. Le général pesta, plus pour la forme que pour autre chose. Voir des soldats braver ce que la guerre a fait de plus mortel comme machinerie le fascinait à chaque fois, et c'était quelque chose qu'il n'avait vu presque exclusivement chez les lunaires ou les soldats de l'Empire motivés par une Licorne. Et c'était encore mieux quand leur fol espoir était détruit en même temps que leur fragile corps.
Soudain, il entendit des bruits sur la carlingue répercutés dans l'habitacle, qu'il reconnut immédiatement, une des terreurs des chefs de chars. Des sabots. Quelqu'un était sur son véhicule.
Sans perdre un instant, il se leva pour ouvrir la trappe de la tourelle tout en dégainant son arme, sortit le haut de son corps, et regarda vers l'arrière. Il y vit un zèbre, enroulés dans des capes qui dansaient autour de lui, lui donnant dans le mélange entre ombre et lumière dansante une allure de spectre, et qui l'observait, le visage fermé, et une grenade au sabot. Immédiatement, le général pointa son arme dans sa direction, et fit feu. Mais le zèbre réagit avec la vitesse d'un éclair, et se jeta au sol tout en lançant la grenade vers le visage de Brush. Celui-ci, pour se protéger, mis ses sabot en croix, et sentit le petit objet le toucher avec force.
Avant d'entendre des bruits métalliques venant de sous lui. Il baissa les yeux vers l'intérieur du blindé, et vit, là où il était normalement assis, le petit explosif vert dégoupillé. Il poussa un juron, et se hissa rapidement hors de la tourelle, juste à temps pour ne pas être pris dans l'explosion. Mais le véhicule trembla sous le choc, puis explosa quand les fragments de la grenades touchèrent les munitions. La tourelle se souleva, et projeta le poney droit vers l'un des derniers tanks en activité de l'escadron. Brush percuta lourdement le sol en poussant un grognement, et une douleur sourde qui lui parcourait chaque membre lui interdisait tout mouvement.
Intérieurement, il insultait de tous les noms l'enflure de zèbre qui avait lancé la grenade, ainsi que la chance inouïe dont il avait fait preuve. Il rouvrit les yeux, encore nauséeux à cause du choc, et les leva vers la carcasse qui était encore il y avait quelques instants son véhicule de commandement. Il pesta, et tenta de se relever, mais ses pattes tremblaient et il retomba au sol.
-Bord...
Soudain, son ouïe se focalisa sur un son en particulier. Un bruit de roulement de chenille particulièrement perçant. Il tourna sa tête vers l'origine du bruit, juste derrière lui. Et ses yeux s'écarquillèrent d'horreur. L'un des deux véhicules survivants se déplaçait rapidement, comme pour fuir le combat, mais pire encore, se déplaçait vers lui. Faisant fi de sa douleur, il se redressa sur ses pattes avants, et tenta de se traîner hors de la trajectoire du blindé en fuite. Il entendait le son des chenilles de plus en plus fort, comme une métaphore du carrosse de la Mort, et le pic d'adrénaline ainsi que la panique lui faisait oublier sa douleur.
Puis le char le rattrapa, et il hurla.
Il avait réussi à se décaler suffisamment pour ne pas se faire écraser. Enfin, pas complètement. Il sentait les os de ses pattes postérieures craquer sous les tonnes de métal, sa chair s'écraser et se déchirer, et l'intense douleur qui le poussait à s'arracher la gorge dans un cri. Enfin, les souffrances furent trop fortes pour qu'il ne les supporte, et il s'évanouit.
Quand il rouvrit les yeux, l'éclipse était toujours présente, et non-loin de lui, les flammes des véhicules détruits dansaient toujours. Il n'avait pas dû rester inconscient bien longtemps.
Puis son regard porta immédiatement autour de lui, et il grogna :
-Et merde...
-Z'avez perdu, Crimson Brush, dit Big Macintosh.
Encerclant le blessé se trouvaient une bonne dizaine de zèbres et le poney rouge. Le général reconnut le spectre qui avait mis son offensive à mal, et à ses côtés, un zèbre un peu plus orné que les autres. D'instinct, il porta son sabot à sa ceinture d'arme, sachant pourtant que c'était inutile. Le spectre le lui confirma, en lui montrant que les rayés l'avaient désarmé pendant qu'il était ailleurs.
Le solaire eut un sourire en coin.
-Le Haut-Roi, je suppose ? demanda-t-il en pointant du menton le zèbre orné.
-Vous avez bien deviné. Vous êtes le commandant de cette armée.
Crimson Brush ne put s'empêcher de pouffer. Les zèbres et leurs rimes. C'était un truc qui le faisait toujours marrer.
-Sont-ce nos coutumes révérés A l'origine de votre hilarité ?
-Ouaip.
-Z'êtes fini, Crimson Brush, intervint Big Macintosh. Vos soldats ont battu en r'traite, et nos renforts sont en ch'min.
-Quand à vous, vous êtes notre prisonnier, continua Eliah. A moins qu'à cause de vos blessures vous ne trépassiez.
-Alors laissez-moi crever. Notre Princesse n'a rien à foutre des types incapables de renvoyer les rayés dans leurs pays. Sans parler de Sparkle.
-Croyez-moi quand je vous dis Que nous ne comptons pas rester dans votre pays. Sitôt la guerre terminée Nous...
Eliah s'interrompit quand Crimson Brush pouffa à nouveau. Il avait un grand sourire au lèvres, et porta son sabot à sa bouche comme s'il voulait s'empêcher de rire, ce qu'il ne parvenait pas à faire. Ses gloussements s'amplifièrent, et il éclata de rire, régulièrement interrompu par des crises de douleurs, toujours pour reprendre de plus belle :
-Ahahahah... « la guerre terminée » ! Ah !
Il leva les yeux vers le Haut-Roi, qui avait le visage fermé.
-Mais c'est qu'il est sérieux, en plus !
-Je ne comprend pas cette fois-ci Ce qui vous pousse à rire ainsi.
-Vous pensez réellement que la guerre aura une fin ?
Il reposa la tête au sol, son regard perdu dans le ciel.
-Si les guerres pouvaient finir, nous ne serions pas là aujourd'hui.
-On est ici pour met'fin à tout ça, fit Big Mac.
-Non. Vous êtes ici parce que des gens comme moi l'ont voulu.
Les zèbres s'échangèrent des regards perplexes, tandis que Brush continuait :
-Pourquoi vous êtes là ? Vous pensez que c'est votre choix ? Ça fait des mois que j'ai envie d'une nouvelle guerre. Vous imaginez même pas ce que j'ai dû faire pour faire en sorte que la masse l'accepte.
Il planta ensuite son regard dans celui du Haut-Roi.
-Y'aura toujours des types comme moi qui voudront faire la guerre. Ça fait partie de notre vie. On peut pas faire sans. Vous allez libérer Equestria, des gens voudront pas, vous allez vous battre, on va vous renvoyer dans votre désert et vous suivre, on va perdre, vous allez nous suivre, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on s'emmerde de jouer au yo-yo. Vous pouvez pas arrêter la guerre. Ça fait treize ans qu'y en a qui essaient. Et pourtant, même après la fin d'une guerre, il y en a une autre. C'est un serpent qui se mort la queue.
-Vous mentez ! Les poneys Sont un peuple voulant vivre en paix !
-Je suis un poney. Et tu peux mettre ta paix dans ta croupe.
Hashin sortit une dague de sous ses capes, mais Eliah le stoppa d'un geste du sabot. L'étalon n'en avait de toute façon plus pour très longtemps.
-Tiens, ça me rappelle un truc, de voir tous ces rayés...
Le visage du général se fendit d'un sourire inquiétant.
-Ça remonte à loin, en plus... Mais ça fait parti des bons souvenirs...
-Si vous voulez dévoiler une information, Faites-le, assez de déviations !
-Vous vous souvenez des diplomates envoyés y'a quelques années ? C'est moi qui les ai tués !
Les yeux d'Eliah s'écarquillèrent.
-Mon frère...
En un éclair, le Haut-Roi se jeta sur le poney à terre.
-C'est toi qui a tué mon frère ?
-Peut-être, j'ai pas noté les noms.
Eliah avait le regard planté dans celui de Brush, y cherchant la moindre trace de mensonge. Mais le visage de celui-ci ne montrait que du bonheur, un sourire insupportable s'étirant jusqu'aux oreilles. Les muscles du Haut-Roi étaient tendus, sur le point de frapper le blessé.
-Et tu sais c'est quoi le plus beau, petit roi ?
Brush étira le cou, et chuchota à l'oreille du zèbre.
-On m'a récompensé, pour ça !
Le sabot d'Eliah partit immédiatement, cueillant le museau du général, qui éclata à nouveau de rire. Alors le zèbre le frappa à nouveau, puis encore, et encore, un cri de rage montant depuis sa gorge, se mêlant à la joie malsaine du poney malmené. Puis, soudainement, la patte d'Eliah fut retenue, et il leva les yeux vers le gêneur, pour voir Hashin, toujours silencieux, le regard peiné, mais lui demandant en silence de ne pas laisser le solaire gagner cette bataille. La tension dans le corps du Haut-Roi retomba, et il se releva, jetant un regard chargé de haine au mourant.
-Allons-y. Laissons-le crever ici.
Il se retourna, et marcha vers les lignes zèbres qui étaient en train de rassembler les blessés, pendant que les shamans entonnaient des chants pour accompagner l'âme des morts dans l'au-delà. Les autres le suivirent rapidement, et pas l'un d'entre eux ne jeta un regard au général ennemi, qui continuait de glousser, le museau en sang. Seul Big Macintosh restait, toisant le poney à l'agonie. Brush leva les yeux vers lui, et dit :
-Maintenant, il ne reculera plus... Et la guerre n'en sera que plus longue.
-Tu t'rends compte que si Luna gagne, ton plan est foiré ?
-J'en doute. Demande à ta sœur.
Le visage du géant rouge perdit son flegme, pour afficher un masque de colère. Il se cabra pendant que le solaire hurlait de rire.
Puis il écrasa ses sabots le plus fort qu'il le pouvait sur le visage de Crimson Brush, dont la tête éclata, mettant fin à son insupportable rire.
Contemplant le sang qui lui maculait les sabots, Big Macintosh réalisait très bien qu'il avait laissé le général gagner. Mais ses pensées divergèrent rapidement, vers une cow-pony orange que la colère avait poussé trop loin.
Et alors que la fièvre du combat commençait à retomber, elle fut remplacé par le chagrin et la peine.
A.J.
---
-Qu'est-ce qu'ils foutent ?
Applejack écarta deux lattes des stores vénitiens, et jeta un coup d’œil prudent à l'extérieur. Toujours aucun mouvement. Elle s'écarta rapidement de la fenêtre, au cas où un sniper l'aurait repérée, des doutes pleins la tête. Les Impardonneurs avaient été coincés là sur leur chemin pour aller au château, qui était d'ailleurs visible au bout de la rue. Si près du but, et pourtant...
Mais le plus étrange, c'est que les solaires n'avaient fait que les coincer. Ils ne tentaient pas un assaut, ils n'avait même pas essayé de leur demander de se rendre. Est-ce que c'était la puissance de la bombe qui les retenaient ? Peut-être qu'ils l'avait senti, et se méfiaient de sa puissance destructrice. Mais dans ce cas, ils auraient au moins parlementé...
Ça sentait pas bon, pas bon du tout, et Applejack hésitait sur la marche à suivre.
-Ils essayent de gagner du temps, répondit Swift Quill. Ils cherchent une solution, peut-être même sont-ils en train d'aider leur alicorne à gagner son combat. Ils estiment peut-être que nous sommes moins importants que la survie de leur Princesse.
-Dans c'cas, on va les décevoir ! Quill, tu penses que la bombe pourrait les avoir à cette distance ?
-Je suis pas un expert en théorie magique, A.J. Mais je penses que les alicornes seraient atomisées où que se trouve la bombe à Canterlot. Cependant, je crains qu'elles n'aient le temps de réagir et de s'enfuir si nous ne sommes pas assez proches.
-Où en sont les autres ? Ils trouvent un passage ?
-Il n'y a pas un bâtiment qui n'a pas de cornes luminescentes à ses fenêtres. On dirait que toutes les Licornes du Soleil présentes à Canterlot se sont donné rendez-vous ici.
-Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
-A part la faire exploser maintenant, je ne trouve pas vraiment d'alternative.
Ça semblait effectivement la seule solution, Applejack devait bien l'admettre. Mais l'idée de mourir sans être sûre que son plan ait marché ne l'enchantait pas. L'idée de mourir tout court non plus, d'ailleurs. Il fallait trouver un moyen de passer à travers les lignes de Licornes, quitte à activer la bombe et s'enfuir ensuite. Si ce plan foirait, elle aurait au moins la chance de pouvoir réessayer.
Swift Quill non plus ne semblait plus tenir en place. Lui qui s'était donné pour objectif de détruire les alicornes ne supportait pas d'être aussi près du but sans pouvoir rien faire. Il lorgnait souvent du côté de la bombe, dans un coin de la pièce, et paraissait prêt à se jeter dessus pour faire tout sauter. La cow-pony n'avait pas la moindre idée de ce que les Princesses lui avaient fait, mais ça devait être sérieux.
Quoique... La terrestre n'avait jamais ressentit de la colère venant de Quill. Maintenant qu'elle y repensait, il ne s'était même jamais énervé. Depuis le début de leur quête, il oscillait entre le curieux, le joyeux, l'inspiré et parfois le meurtrier psychotique, mais ce qui le motivait n'était pas la colère. Or, s'il n'y avait pas de colère, y avait-il vraiment de la vengeance ?
Depuis qu'ils avaient traversé les tunnels, cette question minait Applejack, au point qu'elle s'était mise à repenser aux moindres faits et gestes de Swift depuis la création des Impardonneurs. C'était lui qui l'avait poussé à créer un groupe dont les motivations étaient basées sur la perte d'êtres chers et le besoin de revanche. Tous ici avaient été spoliés par l'Empire ou la prétendue République, Applejack la première. Mais Swift, lui, parlait très peu de son passé. Il n'était tourné que vers l'avenir, se lançait toujours dans des discours grandiloquents sur le destin et sur le fait qu'ils étaient des messagers chargés de libérer le monde des prétendues divinités. Des chasseurs de dieux.
Et plus le temps passait, moins Applejack était convaincue que Swift soit un vrai Impardonneur. Quel but suivait-il ?
Il était grand temps de le confronter.
-Swift ?
-Oui, A.J. ?
-Pourquoi t'as rejoint les Impardonneurs ?
Un des sourcils de la licorne se souleva :
-Rejoint ? Aurais-tu des problèmes de mémoire ? On les a créés ensemble !
-Ouaip, mais pourquoi ?
-Pour... Je sais pas... Se venger ? Tu sais, ne pas pardonner, tout le discours habituel ?
-Joue pas à ça avec moi, Swift. De quoi tu veux t'venger ?
L'étalon fronça des sourcils :
-A.J., est-ce que par hasard, tu douterais de moi ?
-Répond à la question, Swift.
-Putain, ça me fait mal ! dit l'autre, l'air choqué. Après tout ce que j'ai fait pour notre cause, tu doutes de ma fidélité ?
-Nope, j’doute de tes motivations. Et j'aimerais savoir pourquoi j'me suis embarquée dans une route qui m'a fait tuer autant de monde !
-La voie de la vengeance, Applejack ! Chacune de nos actions étaient un pas vers l'ultime combat, celui qui libèrerait nos âmes ! La gare de Hoofington, la bibliothèque de Trottingham, les frères FlimFlam, Ponyville... Tout cela nous a mené ici et maintenant, à la croisée des destins, sous cette éclipse qui...
-Swift... Ta gueule !
Le poète s'interrompit, la bouche entrouverte.
-Applejack...
-Swift, bordel, j'te d'mande pas grand-chose ! Juste de m'dire, au nom de tout Equestria, POURQUOI tu t'es lancé là-d'dans !
Un silence s'installa entre les deux poneys, qui s'observèrent à travers la pièce. Puis, finalement, l'étalon soupira :
-Regarde moi, Applejack. Avant la guerre, je n'étais rien. Tant de grands artistes existaient, des musiciens de talents comme Octavia, des créateurs comme Hoity-Toity, des peintres tels que Palette Swap ou Drawlife, des poètes et des romanciers... Et au milieu de tout ça, Swift Quill, celui qui était condamné à lutter pour avoir sa pitance, parce qu'incapable de se fixer dans un art particulier. J'étais loin d'être mauvais, mais je n'étais pas un expert, et pour cela, on m'a rejeté.
Il se mis à marcher de long en large dans la pièce, l'air de plus en plus énervé :
-La guerre n'a rien arrangé ! Les artistes de renom, suivant leur idéologie, se planquaient, ou luttaient d'un côté ou de l'autre. Chez les solaires, l'art est devenu une arme de guerre, un instrument de la propagande. Impossible de se faire un nom si on ne glorifiait pas Celestia, les Licornes du Soleil y veillait. Chez les lunaires, c'était encore pire, l'art n'existait même pas ! C'était juste une bande de chiens enragés qui ne vivaient que pour le combat, et alors que je pensais pouvoir créer en toute liberté, j'ai même été enrôlé dans leur armée !
Il frappa le sol du sabot :
-J'étais condamné à rester un grand rien ! J'ai voyagé partout en Equestria et même au-delà, chaque chose que j'ai vu m'inspirait, mais personne ne me donnait le crédit que je méritais ! Puis il y eut la bataille de Canterlot ! Une magnifique œuvre de destruction, et ce qui aurait dû signer la fin de la guerre. Mais pour quoi ? Pour une victoire de l'Empire ? Pour que les siècles à venir soient brimés par l'ego d'une pouffiasse couronnée ?
Il leva alors les yeux et planta son regard dans celui d'Applejack :
-C'est alors que je t'ai vue. Ça faisait un moment que je te suivais, Applejack. En réalité, j'ai sûrement fait mes plus belles créations après t'avoir observé sur le champ de bataille. Une véritable déesse guerrière, une créature n'étant que colère et peine... Après la bataille, tu avais toujours cette envie d'en découdre, de venger tes pertes, plus encore après la perte de ton frère. Je me suis alors dit que c'était ma porte de sortie. La possibilité de créer quelque chose d'encore plus grand ! Quelque chose qui aille au-delà de l'art, au-delà du monde même ! J'allais créer une héroïne de saga, dont la légende serait encore contée dans des siècles ! Applejack, celle qui mettrait à bas l'Empire Solaire, qui libérerait Equestria, et qui détruirait les dieux eux-mêmes !
-Donc... Tu t'es juste servi de moi ?
Le visage de la cow-pony s'assombrit, mais Swift Quill se défendit :
-Non ! Non, Applejack ! Je t'ai aidée ! Tu ne comprends pas ? Regarde autour de toi ! Regarde le ciel ! Regarde les journaux ! Aujourd'hui, toutes les pièces s'emboîtent, toutes les routes se croisent. Crois-tu que ce soit le fruit du hasard ? Non! C'est notre destin, c'est ton destin, A.J. ! Aujourd'hui, toutes les forces du mondes sont passées à l'action ! Les zèbres ont déclaré la guerre et ne vont pas tarder à attaquer, et en ce moment-même, les cieux nous montrent qu'un duel au sommet se déroule entre les deux déesses qui dirigeaient ce monde ! Les partisans de la Lune affrontent ceux du Soleil, les autres races bougent enfin pour changer les choses, et nous, nous sommes là, au milieu de la tourmente !
Son regard se faisait de plus en plus fou, à mesure qu'il plongeait dans son délire qu'il semblait retenir depuis des mois :
-Je regarde le ciel et vois dans la nuit,
Une petite lumière qui grandit et qui luit.
Est-ce enfin cet appel tant redouté par ces gens ?
L'âge du Ragnarök, le combat de la Fin des Temps ?
-C'est ton destin d'abattre les Dieux, Applejack ! Et le mien de te mettre sur la voie ! Ton nom est déjà sur toutes les lèvres, comme l'incarnation de la vengeance, de la colère sourde que chacun possède au fond de lui et qui ne demande qu'à éclater, mais trop timide pour se révolter contre l'autorité ! Tu es Applejack des Impardonneurs, et bientôt, tu seras révérée comme l'Héroïne que tu es !
Il s'approcha de la jument, un grand sourire aux lèvres :
-Je ne t'ai pas trahie, Applejack. Je ne t'ai pas utilisée, je ne t'ai pas manipulée. Je t'ai montré le chemin. C'était ça, mon destin, ma voie. Je ne devais pas créer de l'art. Je devais créer la muse ! Lorsque la poussière retombera, et que le monde sera enfin en paix, ce ne sera que chansons, romans, peintures, sculptures à ta gloire ! Applejack et ses Impardonneurs !
-J'ai pas envie d'ça, Swift.
L'étalon perdit son sourire.
-Quoi ?
-J'ai pas envie qu'on m'chante, ou qu'on m'peigne, ou j'sais pas quoi. J'avais juste envie d'une vie tranquille dans ma ferme, avec ma p'tite sœur, mon grand frère, ma grand-mère, mes amies, p't'être plus tard un étalon et quelques marmots. J'voulais Sweet Apple Acres, pas d'venir une espèce de guerrière meurtrière.
-Mais c'est de ça que sont fait les meill...
-Non, Swift, ta gueule ! Moi j'voulais une vie paisible. Et on m'a tout enlevé. J'avais plus qu'mon frère, et il est mort, tué par ma meilleure amie. Et après, alors qu'j'avais la possibilité d'laisser tout ça derrière moi, t'es arrivé, avec tes idées et ton blabla, et j'ai r'commencé à tuer. Beaucoup, plus, sans vraiment réfléchir. J'avais l'impression d'avancer, j'avais l'impression qu'j'arrivais enfin à venger ma famille. Et là, t'es en train d'me dire que tout ça, j'l'ai fait parc'que t'es un putain d'illuminé !
-Applejack...
Swift avait l'air démoli par les paroles de la cow-pony.
-On a fait tout ça parc'que t'étais pas foutu d'assumer de pas être connu. J'me suis laissé embarqué là-d'dans parc'que j'pensais que t'étais comme moi, mais en fait, tu veux te venger de rien.
Elle s'approcha de lui, si près que Swift ne voyait plus que ses yeux, et que les bords de son stetson décalait son propre chapeau haut-de-forme.
-T'as jamais été un Impardonneur. Juste un foutu psychopathe.
La licorne resta bouche bée un instant, puis ferma lentement la bouche. Il s'assit, et baissa la tête.
-Si c'est ce que tu penses, Applejack, alors, quel qu'il soit, je me soumet à ton jugement. C'est vrai que je n'ai pas de réel motif de vengeance, à part celui d'une société qui m'a été injuste. Mais n'oublie pas. Je vous ais mené jusque là. J'ai créé les Impardonneurs, même si je n'en suis pas un. Je t'ai guidé jusqu'aux frères FlimFlam, et jusqu'à la bombe. Et quelque soit le châtiment que tu m'infligeras, n'oublie pas ce que tu es venue faire ici. La clé de ta vengeance se trouve ici, dans le coin de cette pièce. Que tu crois à ton destin ou non n'importe pas. Tu peux venger ta famille ici et maintenant. Celestia est ici. Luna est ici. Sparkle est ici. Qui sait encore qui se trouve dans cette ville ? En détruisant Canterlot, C'est toute la famille Apple qui sera vengée. Je ne suis pas un Impardonneur, mais toi, tu en es le leader. N'oublie jamais. Ne pardonne jamais.
Il releva les yeux.
-Même pas moi.
Applejack considéra l'étalon en face d'elle, soumis, totalement à sa merci. Tuer Swift Quill ? L'idée la séduisait. Combien de personnes avait-elle tué à cause de lui ? Combien de personnes tuerait-elle encore ? Sa quête de vengeance semblait ne pas avoir de fin, et lui l'avait foutu en plein dedans, en la manipulant de A à Z pour remplir ses propres objectifs.
Mais en avait-elle le droit ? Après tout, c'était sa vengeance. Quill pensait peut-être l'avoir manipulé, mais elle avait grandement participé au projet. Rien ne lui disait qu'elle n'aurait pas fait la même chose de sa propre initiative. Laisser la colère et le chagrin la guider dans une destruction aveugle... En fin de compte, la licorne l'avait effectivement guidée. Il avait dirigé son envie de tuer de façon à remplir des objectifs précis, et avait fait avancer sa cause. Sans lui, même pas sûr qu'elle aurait eu l'idée de chercher les FlimFlam, et jamais, jamais, elle n'aurait pu revenir à Canterlot avec une arme capable d'anéantir Celestia.
Le tuer, ou le remercier ? Aucune solution ne plaisait vraiment à Applejack. Et puis, une autre idée lui vint en tête...
Puisqu'il tenait tant à son « sacrifice ultime », pourquoi est-ce qu'il ne resterait pas pour activer la bombe, pendant que les Impardonneurs s'enfuyaient sains et saufs ? Restait à trouver comment partir du bâtiment sans prob...
Une explosion suivie de hurlements de douleur interrompit ses pensées. Elle se jeta immédiatement à côté de la fenêtre, là où était posé son fusil, tandis que Swift se relevait vivement, dégainant son revolver en visant vers la porte.
-Merde ! Ils sont passés à l'attaque ?
Applejack regarda à nouveau à travers les stores. Dans la rue, pourtant, rien ne bougeait. Pire encore, les quelques soldats et Licornes qu'elle pouvait voir semblaient perplexes, sortant imprudemment la tête de leurs couverts pour voir ce qui se passait. Quoi que ce soit qui les ait attaqué, même les solaires ignoraient ce que c'était.
La réponse lui parut alors évidente.
-Les gars de Luna... marmonna-t-elle.
-Quoi ?
-Les types de Luna. Ils étaient au courant pour la bombe. Ils ont dû la repérer !
-Alors on a pas de temps à perdre !
Les combats à l'étage inférieur s'intensifiaient, et elle entendit les râles d'agonie des Impardonneurs. S'ils devaient faire face aux mecs formés par Stalker, qui les avaient pris par surprise en plus, ce n'était qu'une question de temps avant qu'ils soient tous massacrés. Ils avaient la rage et une certaine notion de la bagarre, mais ils ne faisaient clairement pas le poids contre des assassins surentraînés.
Swift avait raison. Peut importe les discours, la trahison, ou même sa propre survie. Si elle voulait avoir une chance de tuer Celestia et Luna d'un coup, elle devait le faire maintenant !
Elle fonça vers l'autre côté de la chambre, dépassant Swift, mais au même moment, elle aperçut du coin de l’œil un poney noir dans l'encadrement de la porte. Elle s'arrêta en plein élan, et le visa avec son fusil, qu'elle lui déchargea dessus. L'autre se jeta à couvert à l'extérieur de la pièce, et Swift prit le relais pour maintenir le lunaire en respect, pendant qu'Applejack arrivait en face de la bombe.
Arrivée là, elle savait qu'elle n'avait plus le choix. Elle devait faire vite. Elle leva le sabot, et...
-APPLEJACK !
La cow-pony se figea en plein geste. Cette voix...
Elle se retourna, et vit, à l'entrée de la pièce, une personne qu'elle n'aurait jamais imaginé revoir dans de telles circonstances. Swift était en train de recharger, ce qui l'avait empêcher de la tuer immédiatement.
-Derpy ?
Le silence s'installa dans la maison, alors que la licorne finissait se remettre le barillet de son arme en place, mais face à la réaction de son leader, il ne tira pas. Plus personne ne bougeait entre Swift, Applejack, la pégase et le poney noir qui devait toujours se cacher. La cow-pony entendit alors des bruits sourds de sabots qui remontaient l'escalier, et une voix d'étalon qui demandait, inquiet :
-Qu'est-ce qu'y s'passe ? Jack, ils ont activé la bombe ?
Derpy se décala pour voir le nouveau venu, hors du champ de vision d'Applejack, et lui fit signe de ne pas bouger, avant de se retourner pour donner le même ordre à son autre camarade. Puis elle fit face à la jument orange, ses yeux semblant à la fois l'observer et surveiller Swift, qui tenait toujours son arme devant lui.
Puis la pégase pris la bandoulière de son arme, un sniper, et la passa au-dessus de sa tête, avant de jeter l'arme devant elle. Elle dégaina ensuite son pistolet, et fit de même. Enfin, elle leva les ailes, montrant qu'elle n'avait aucune autre arme cachée.
-Applejack, s'il te plaît...
Malgré le fait qu'elle portait une tenue de combat, son visage n'avait pas ce ton dur, froid qu'arboraient les soldats. Au contraire, elle semblait la supplier du regard.
-Qu'est-ce qu'tu fous là, Derpy ? J'pensais qu't'avais renoncé aux armes ! J't'ai jamais vu en porter !
-Je... Je voulais faire ce qu'il me semblait juste. S'il te plaît, Applejack, ne fais pas ça !
L'ancienne fermière se rappela soudainement de ce qu'elle voulait faire initialement, et tourna son visage vers la bombe, puis revint à Derpy, avec un air plus dur.
-C'est terminé, Derpy. Je vais mettre fin à toutes ces conneries.
-Mais des innocents vont mourir !
-Personne n'est innocent !
-Même pas les enfants ?
Applejack entrouvrit la bouche, mais ne trouva pas de quoi répondre. Derpy continua :
-Je sais ce que tu veux, Applejack. Mais en activant cette bombe, tu ne vas pas que tuer les alicornes. Tu vas détruire une ville ! Des étalons, des juments, des poulains !
-C'est le prix à payer pour me venger !
-Je sais que tu es en colère, Applejack. Mais penses à tous ceux que tu as tué ! Eux aussi, avaient des familles, des amis...
-Je n'ai pas d'leçon à r'cevoir d'une jument qui a r'prit les armes ! Et toi ? Tu penses à ceux qu'tu tues ?
-Tout le temps.
La pégase déglutit, et baissa les yeux.
-C'est encore pire, parce qu'à chaque fois, je pense à Dinky. Je sais ce que tu ressens, Applejack. Moi aussi, j'ai perdu ma famille. C'est même moi qui l'ai tuée !
Elle releva la tête, et planta tant bien que mal son regard dans celui d'Applejack :
-Mais jamais, jamais, ça ne m'a donné le droit de vie ou de mort sur les autres ! Moi aussi, j'ai voulu venger Dinky ! J'ai voulu reporter la faute sur Luna, sur Celestia, sur la guerre, sur moi... J'aurais voulu que quelqu'un paie. J'aurais voulu me tuer pour me punir. Mais parce qu'on a perdu quelqu'un ne veut pas dire qu'on doit faire perdre aux autres aussi ! La guerre a prit à tout le monde. On a tous perdu quelque chose, quelqu'un. Mais il faut que ça s'arrête !
-Derpy...
Applejack serra la mâchoire.
-Quelqu'un doit payer ! J'peux pas rester sans rien faire !
-Il y a de meilleurs moyens. Tuer aveuglément des innocents ne les fera pas revenir, Applejack. Et tu ne te sentiras pas mieux pour autant. Regarde ! Tu es obligée d'aller jusqu'à détruire une ville ! Et si tu survivais, tu te sentirais mieux ?
-Au moins, ma famille serait vengée !
-Et qu'en penseraient-ils ?
La terrestre écarquilla les yeux. Ce qu'ils en penseraient ?
-Pense à Granny Smith. Pense à Applebloom. Tu crois qu'elles voulaient que tu ailles aussi loin ? Même Big Mac pensait que tu en faisais trop pendant la guerre. Tu es en colère, mais si tu ne fais rien pour la contrôler, tu feras beaucoup de mal pour rien.
-Mais... Ils sont morts...
-Je sais, Applejack, dit Derpy en s'approchant. Mais il y a toujours les vivants pour t'aider.
Applejack ne savait plus quoi penser. Un tourbillon d'émotion avait envahi son esprit, et elle ne parvenait pas à décider de quoi faire. Jusque là, elle n'avait vu que par le prisme de la vengeance, celui que lui avait présenté Swift Quill. Mais Derpy, cette Derpy qui avait toujours été gentille, qui délivrait le courrier pour apporter un peu de lumière dans l'enfer de la guerre, et qui passait beaucoup de temps avec Applejack qui n'en recevait pas, lui montrait autre chose.
Elle lui montrait qu'elle avait fait quelque chose d'horrible. Et si Applebloom avait vu tout ça...
Applejack déglutit avec difficulté, ses yeux la démangeant atrocement. Le souvenir de sa petite sœur, jusque là troublé par son envie de la venger, lui donnait envie de fondre en larmes. Elle n'arrivait qu'à l'imaginer terrifiée, tremblante, l'observant comme si elle était un monstre.
Et elle voulait détruire une ville entière ? Comment pourrait-elle se présenter à sa famille dans l'au-delà après ça ? Etait-ce vraiment...
Une détonation, puis le silence. Le silence lorsque la tempe de Derpy éclata, dans une gerbe de sang, de cervelle et d'os, au milieu de laquelle surgissait une balle. Le silence lorsque ses yeux roulèrent dans leurs orbite, et que son corps s'affaissait. Le silence lorsqu'Applejack hurla le nom de la pégase, se jetant sur elle pour l'empêcher de tomber. Le silence lorsque Swift Quill se retourna pour tirer sur les étalons qui tentaient d'entrer, les obligeant à se remettre à couvert sans qu'ils ne puissent agir. Toujours le silence lorsqu'il se baissa pour ramasser le pistolet de Derpy, et qu'il se dressait sur ses pattes arrière, le pistolet pointé vers la porte, et son revolver visant la cow-pony.
Puis il parla :
-Ça suffit, Applejack. Tu as une mission. On ne peut plus reculer.
La terrestre leva la tête vers lui, des larmes coulant sur ses joues, et elle lui hurla, pleine de rage :
-QU'EST-CE QUE T'AS FOUTU, BORDEL ?
-Mon devoir. Elle était en train de t'amadouer. Je dois te rappeler qu'on est à quelques minutes d'êtres tous exécutés ?
-C'ETAIT MON AMIE !
-Non ! s'énerva-t-il. JE suis ton ami. ELLE était une ennemie, une corruptrice, envoyée pour t'empêcher d'accomplir ta mission ! J'étais prêt à me soumettre à ton jugement, car je savais que tu allais accomplir ton destin ! Mais là, je ne pouvais pas rester sans réagir !
-Elle... Elle me montrait la vérité ! Bordel, Swift !
-La seule vérité est celle qui restera dans l'Histoire, Applejack ! Celle qui dira que tu as tué une déesse, grâce à moi ! Alors maintenant, déclenche cette bombe, qu'on en finisse une bonne fois pour toute !
-Va. Te faire. Foutre ! Jamais j’appuierais. JAMAIS !
Swift l'observa quelques seconde en silence, puis soupira :
-Tu détruiras les déesses, Applejack. C'est ce que l'Histoire retiendra. Que tu l'ais vraiment fait, ou pas.
Puis il appuya sur la détente. Il y eut une nouvelle détonation, et le souffle d'Applejack se coupa. Une intense douleur lui monta au niveau du torse, et le monde pris des airs étranges. Les sons étaient étouffés, les images, comme ralenties, floues. Elle n'arrivait plus à respirer. Elle n'entendait même plus son cœur battre. En fait, elle ne sentait même plus son cœur, juste une souffrance atroce à la place.
Autours d'elle, elle vit le poète juste à côté de la bombe, qui donna un coup dessus. Immédiatement, il y eut un sifflement. Les deux étalons entrèrent dans la pièce en forçant le passage, malgré les tirs de Swift. En tête se trouvait un pégase marron, qui se prit la plupart des balles, et pourtant, il trouva la force de se jeter sur Swift, et de le plaquer au sol avant de le rouer de coups. L'autre, une licorne noire, fonça vers la bombe, paniqué.
Puis ce fut le flou total, et enfin le noir. De ses yeux inertes, des larmes coulèrent, et elle soupira une dernière fois.
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Flesh était en train de littéralement exploser la figure de cette saloperie de licorne, ponctuant chaque coup d'insultes qui tenaient autant de l'intellect inférieur de sa victime que de son absence de permission de lui tirer dessus. Heureusement, le pégase s'était fait un shoot au booster avant l'assaut, et il n'avait pas perdu de ses capacités, néanmoins, Black Jack doutait qu'il tiendrait bien longtemps.
Ce qui ne ferait aucune différence de toute façon, s'il n'arrivait pas très vite à désamorcer cet engin. Et il devait bien l'avouer, il n'y arriverait pas. Autant la bombe inerte n'aurait pas été un problème à être neutralisée, autant là, quelques secondes avant l'explosion, rien n'était possible.
Il fallait la déplacer. La mettre là où elle ne pourrait pas faire de mal. Mais où ? Les capacités du magicien étaient vastes, mais il était fatigué, et il n'arrivait de toute façon pas à trouver un endroit où une explosion de cette ampleur, avec les retombées magiques, ne serait pas désastreuse.
C'est alors qu'une idée lui traversa la tête. Une idée stupide. Impossible à réaliser avec ses capacités magique propre.
Mais peut-être avec celles de la bombe...
Tentant le tout pour le tout, l'étalon se pencha en avant, et dans un cri, planta de toutes ses forces sa corne dans l'engin. Immédiatement, un flux si énorme de magie s'écoula dans son corps qu'il hurla de douleur, et pouvait littéralement sentir ses organes êtres consumés par cette puissance. Il ne prit pas de temps à réfléchir, et forma dans son esprit l'image de l'endroit où il voulait être, ignorant les cris de surprises des deux poneys à côté de lui.
Puis la lumière s'éteignit, les sons se turent, plus rien n'existait. Black Jack retira sa corne de l'engin sur le point d'exploser, et leva les yeux au ciel avec ses dernières forces.
Et il trouva qu'Equestria était très belle, vue d'ici...
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Un œil de ténèbres, cerclé de lumière, dont la pupille était formée d'un point éclatant qui s'évanouit presque aussitôt. C'était la vision fugace qu'avait eu Luna lorsque son regard s'était porté sur l'éclipse, au moment-même où l'étrange pression magique qui lui avait serré le cœur jusque-là s'était évanouie. Mais elle n'avait pas le temps de s'attarder dessus. Déjà, Celestia revenait à l'attaque, bondissant à travers la salle en s'aidant de ses ailes, et fondait sur elle, sa lance tenue vers le bas. L'alicorne bleue roula sur elle même dans le raclement de son armure contre le sol, évitant de peu la lame meurtrière. Elle donna un coup d'épée en aveugle pour faire reculer son assaillant, et se donner le temps de se remettre sur ses sabots.
Tenant par magie son arme devant elle, Luna porta machinalement son sabot à son épaule gauche, et sentit le sang s'écouler sur ses poils. C'était une blessure douloureuse, mais elle faisait de son mieux pour l'ignorer, et prendre une posture stable en attendant la prochaine attaque.
Celestia se tenait devant elle, à une certaine distance, sa lance pointée vers sa petite sœur, mais sur son visage se lisait une certaine incompréhension, un doute, alors qu'elle déployait ses ailes pour se préparer à une autre charge. Luna maintint sa position, raffermissant son sort télékinétique autour de sa lame, et préparant un bouclier à relâcher pour contrer l'alicorne blanche. Mais celle-ci, au lieu de charger au corps-à-corps, projeta son hallebarde vers Luna à une vitesse folle, et la jument de nuit prise au dépourvu tenta de parer, ne réussissant qu'à légèrement dévier la course du projectile, et se jeta sur le côté pour éviter d'être blessée. Celestia en profita pour charger véritablement, corne en avant, à une allure augmentée par la magie, et Luna abandonna l'idée d'utiliser son arme pour contre-attaquer. Au lieu de cela, elle lança son sort protecteur, qui se déploya autour d'elle. L'alicorne blanche le percuta de plein fouet, et le brisa presque instantanément, mais cela donna le temps à sa sœur de donner un coup d'aile pour éviter la corne meurtrière. Au lieu de cela, ce fut l'épaule en armure dorée qui percuta la jument bleue, lui coupant le souffle un instant et l'envoyant voler à l'autre bout de la pièce, où elle impacta lourdement le mur, brisant la pierre et une partie du vitrail au-dessus d'elle, l'obligeant à se protéger des éclats coupants.
Celestia récupéra son arme, et mis le sabot sur celle de Luna, qui était restée là où elle se trouvait. Un halo doré enveloppa la lame noire, qui se souleva jusqu'aux yeux du leader de l'Empire Solaire. Celle-ci la considéra un instant, observant avec intérêt les marques écrites dans un langage oublié.
-Luna...
L’intéressée se releva péniblement, évitant de se concentrer sur les coupures que le vitrail en miette lui avait procuré, et fit face à son adversaire.
-J'ai l'impression que tu ne te bats pas réellement... Comme si tu te retenais...
Celestia cessa de regarder l'épée, et fixa sa sœur à l'autre bout de la salle :
-Tu n'aurais pas pitié de moi, j'espère ?
La patte gauche de Luna tremblait, son cœur battait à cent à l'heure, et de manière générale, elle avait beaucoup plus reçu qu'elle n'avait donné. Celestia n'avait pas une seule blessure, et son armure était à peine entaillée ici et là, où Luna avait réussi à placer des coups. Mais ce n'était pas une différence de niveau entre elle deux. Ce n'était pas de la pitié non plus. C'était quelque chose de beaucoup plus personnel...
Celestia baissa l'épée noire, et prit un air plus concernée :
-Non... Non, tu as peur, c'est ça ?
Luna serra la mâchoire. L'alicorne blanche avait deviné. Ce n'avait pas dû être très compliqué, cependant. Ça faisait plus de vingt ans que c'était un problème ont elle n'arrivait pas à se défaire...
-Tu as peur de redevenir Nightmare Moon !
Luna ferma les yeux un instant, s'obligeant à se calmer. Mais ce faisant, elle entendait beaucoup plus clairement cette petite voix, au fond de son esprit, cette voix qu'elle tentait désespérément de faire taire depuis qu'elle était entrée dans cette pièce. Enfin, plus qu'une voix, c'était un flot d'impression, de pulsions, d'envie.
Tuer Celestia. Etre l'unique survivante. Monter sur le trône. Prendre le contrôle d'Equestria.
Plus elle se laissait aller au combat, plus ces sentiments devenaient forts. Ces sensations, trop similaires à celles qui l'avaient conduite à perdre la tête un millénaire plus tôt, la dégoûtaient, l'effrayaient, et alors, elle hésitait. Elle n'osait plus blesser Celestia, de peur que voir son sang ne libère définitivement le monstre qu'elle portait en elle.
Comment sa sœur parvenait-elle à ne pas basculer, quand tant d'alicornes s'étaient laissées emportées ? Peut-être Luna y était-elle plus sensible pour avoir déjà goûté au plaisir et au pouvoir que procurait ce laisser-aller. Mais ce qui était sûr, c'était que cela minait tous ses efforts pour se battre. Et même sa sœur l'avait perçu.
Celle-ci baissa les yeux vers la lame noire, puis la jeta vers sa propriétaire. L'arme tomba au sol dans un bruit de métal contre la pierre, et glissa en tournant jusqu'aux sabots de Luna. La jument baissa la tête, enveloppa l'épée d'une aura bleutée, et la mit en garde devant elle. En face, Celestia se mettait en position de combat également, et lui lança :
-Si tu as peur de te battre, Luna, tu ne pourras pas me vaincre, et tous ceux qui t'ont suivie seront morts pour rien. Je n'ai pas envie de t'abattre sans que tu ne riposte, mais si tes convictions n'arrivent même pas à dépasser ta peur de toi-même, alors tu n'es clairement pas prête pour diriger Equestria dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, et je n'hésiterais pas à mettre fin à ta mascarade !
-Tu n'as toujours pas compris...
Luna avança de quelques pas.
-Je n'ai pas envie de gouverner. Cette politique a montré ses limites, et il est désormais temps que les poneys se dirigent eux-mêmes. Mais cela ne se fera pas sans que tu n'abdiques !
-Je n'abdiquerais pas, Luna. Le seul moyen pour toi d'accomplir ton objectif sera de me tuer. Mais tant que tu auras peur de Nightmare Moon, tu n'y arriveras pas.
-Et toi ? Tu n'as pas peur de sombrer ?
-Non. Je sais que je tiendrais, car j'ai un peuple à protéger, et je n'y parviendrais pas si la soif de pouvoir me corrompt.
-Elle t'as déjà corrompu, Celestia.
-Nous avons déjà eu cette discussion.
Celestia pointa sa sœur avec sa lance.
-Maintenant, Luna, je te donne une dernière chance. Pense à toutes ces années. Pense à tous ceux qui ont combattu en ton nom. Pense à pourquoi tu as participé à cette guerre, pourquoi tu as refusé d'abandonner, pourquoi tu es revenue malgré ton apparente capitulation. Et si tout cela parviens à surpasser ta peur, viens.
La jument bleue fixa son homologue à l'autre bout de la salle. Celestia n'esquissait pas un mouvement. Elle l'invitait toujours à l'attaquer avec son arme, bien campée sur ses pattes, et l'alicorne de nuit ne sentait pas sa magie fluctuer. Alors elle obéit. Elle repensa à Platinum Armor, qui l'avait suivit depuis son retour d'exil. Elle repensa à Shadow Stalker, son âme damnée. Elle repensa à Rarity, qui avait tout donné jusqu'à sa vie, à Applejack, qui avait eu confiance en elle jusqu'à ce qu'elle sombre. Elle repensa à la République Lunaire, son projet, qu'elle avait porté pendant treize ans. Puis, elle repensa Windvision, Derpy, Flesh, Blackjack et les autres, qui l'avaient soutenu car ils croyaient en son retour.
Nightmare Moon n'arriverait pas à surpasser cela. Nightmare Moon voulait le pouvoir, la nuit éternelle. Luna voulait la liberté, et voir son peuple heureux.
Une brume bleue commença à s'échapper de son corps, alors que les énergies magiques déferlaient à travers ses veines, désormais sans restriction. Ses ailes se déployèrent sans qu'elle n'y pense, et la douleur qui parcourait son corps s'estompait petit à petit. Ses sensations devenaient plus précises, sa prise sur son arme, plus ferme, et des réflexes vieux de mille ans se rappelaient à ses muscles.
Au fond de son cœur, pourtant, elle sentait un désir. Une envie. Une pulsion qui lui faisait décaler les yeux vers le trône, puis vers le dehors, toujours plongé dans le noir. Mais ce désir fut écrasé lorsqu'elle se concentra sur la raison pour laquelle elle faisait tout cela. Elle ne se laisserait pas déborder.
Alors, dans une déferlante de magie, son aura explosa, ses yeux s'illuminèrent, et elle chargea à une vitesse folle vers sa sœur, l'arme en avant. Celestia, ayant d'abord esquissé un sourire quand elle avait vu sa sœur dégager tant de volonté de combattre, fut surprise par la vélocité de l'attaque, et eut à peine le temps de mettre en place son hallebarde pour que Luna s'empale dessus. Mais celle-ci, toujours en pleine course, frappa de sa lame la hampe de la lance, créant une ouverture dans la garde de son adversaire dans laquelle elle plongea. Celestia ouvrit prestement les ailes pour éviter le coup, mais fut trop lente.
Une gerbe de sang jaillit dans les airs, et le vitrail de la première défaite de Discord fut recouvert de petites projections écarlates.
Celestia atterrit à côté de son trône, une patte portée à l'endroit où l'encolure faisait une jonction avec son épaule, d'où s'écoulait un flot sanguin que son sabot peinait à endiguer. Elle tenait son arme devant elle en protection, méfiante. Luna tourna la tête vers elle, sa corne encore recouverte du fluide vital de son aînée, qui déjà coulait jusqu'à ses yeux, qu'elle cligna pour éviter de s'aveugler. Elle se remit en garde, prête à charger une nouvelle fois. L'alicorne blanche, elle, se concentra, manipulant sa magie pour en libérer un maximum. Elle n'avait pas prévu de faire ressortir l'instinct combattant de Luna à ce point.
Mais la jument de la nuit ne lui laissa pas l'occasion de rattraper son erreur. D'une nouvelle poussée, elle traversa l'espace qui séparait les deux combattantes, lame en avant, un masque de rage sur le visage. Celestia déploya alors un bouclier autour d'elle mais, avec une certaine ironie, Luna le brisa par sa simple charge avec une extrême facilité. La Princesse du jour déploya ses ailes pour se jeter sur le côté, et éviter la lame mortelle.
Une douleur intense. Celestia percuta le sol l'épaule en premier, et glissa sur quelques mètres, hurlant à s'en déchirer les cordes vocales. Luna baissa les yeux à ses sabots, au pied du trône d'Equestria. Une des magnifiques ailes de l'alicorne blanche se trouvait là, baignant dans le sang de sa maîtresse, comme un trophée de chair et de plumes. La princesse solaire se releva difficilement, les membres tremblants peinant à la supporter. Du liquide écarlate coulait de son moignon ainsi que de son encolure, peignant sa fourrure blanche de lignes rouges qui allaient en s'élargissant. Elle gardait la tête baissée, des larmes glissant le long de ses joues alors qu'elle luttait contre la souffrance que lui infligeaient ses blessures.
Luna descendit lentement les marches menant au trône, son arme baissée mais toujours prête, les yeux fixés sur sa sœur.
-Rends-toi, Celestia. Ne m'oblige pas à te tuer.
-Ja... Jam...
-Je n'hésiterais pas, Celestia. Mais tu as le choix.
L'alicorne blanche releva doucement la tête, jusqu'à croiser le regard lumineux de sa sœur. Elle avança, un pas après l'autre :
-Je... Dois... Protéger...
Elle trébucha, et tomba en avant. Luna continua son chemin, se rapprochant du corps brisé de sa sœur, jusqu'à le dominer de toute sa hauteur. Par télékinésie, elle amena son épée au niveau d'une des jonctions de l'armure de Celestia, pointant vers son cœur.
-Il n'est plus question de savoir si tu gouverneras ou non, Celestia. Il est question de savoir si tu vas vivre ou non. De savoir si la liberté d'Equestria doit se bâtir sur un meurtre fratricide ou sur une vie épargnée. Et je te laisse ce choix.
L'alicorne blanche leva les yeux vers sa consœur bleue, vers son regard qui ne trahissait aucune émotion. Ses sourcils se froncèrent à l'entente des paroles de Luna, et elle souleva un peu sa tête.
-Pas une question...
Elle tenta de se redresser, mais la lame de Luna l'empêcha d'aller trop loin, et la matière magique, affûtée à l'extrême, lui entaillait déjà la peau. Mais elle leva la tête autant qu'elle le pouvait, brisant la dominance de sa sœur.
-C'est...
Luna ressentit soudainement un flot de magie grandissant, et son air sévère se mua en inquiétude devant les événements.
-Mon...
Celestia posa son sabot sur le sol, et commença à se relever, ignorant l'épée qui continuait à s'enfoncer dans son corps, alors qu'un tourbillon de couleur or se formait lentement autour d'elle.
-Peuple...
Luna plongea sa lame plus profondément, voulant tuer Celestia avant que celle-ci ne parvienne à rassembler suffisamment d'énergie. Mais l'épée noire se bloqua, et un halo doré se forma autour de la blessure de l'alicorne, empêchant sa sœur de l'achever. Celestia avait fermé les yeux sous l'effort, et une aura de lumière monta depuis son corps, illuminant la pièce et obligeant Luna à détourner le regard.
Puis la jument blanche ouvrit les yeux, qui s'étaient mis à briller de mille feux, et la magie explosa autour d'elle, propulsant la princesse de la nuit dans les airs. Luna utilisa ses ailes pour pivoter en l'air, et atterrit en douceur de l'autre côté de la pièce, en position défensive. En face d'elle, Celestia se relevait doucement, enveloppée d'un halo d'or et un masque de colère sur le visage. La maîtresse de l'Empire leva la tête, et hurla avec une voix désincarnée :
-JAMAIS JE NE L'ABANDONNERAIS !
Puis sa magie explosa une nouvelle fois, les vents soulevant les tapisseries dont certaines s'arrachèrent sous la puissance déployée. Du moignon d'aile surgirent des lignes jaunes qui dansèrent, s'entremêlant, s'étendant, jusqu'à former un nouveau membre fait uniquement de magie, que Celestia déploya en même temps que son aile réelle. L'air tourbillonnait autour d'elle, et son visage sévère dévisageait Luna. Mais plus que ce déploiement de magie, ce fut certains détails qui inquiétèrent la jument de la nuit.
De sa bouche aux dents serrées par la rage, elle pouvait voir des canines effilées, et à certains endroit, les lignes de lumières avaient parcouru son pelage telles des tatouages, et teintaient ses poils d'une couleur jaune aux relents magiques malsains. Pour protéger son peuple, Celestia était en train de basculer.
Au fond de son cœur, Luna sentait elle aussi l'appel de ses terribles instincts. Comme si la part Nightmare Moon de sa conscience lui murmurait qu'elle ne pourrait pas vaincre sa sœur sans se laisser aller elle aussi. Mais elle réprima ces sentiments, et se campa sur ses pattes, son armes tendue vers son adversaire. Désormais, elle ne pouvait plus reculer. Elle devait abattre Celestia, mais elle le ferait elle-même, pas en laissant sa part sombre s'en charger.
Elle libéra elle aussi sa magie, laissant une partie de son désir de combat s'infiltrer dans ses veines afin de lui donner la force nécessaire pour lutter, et les vents magiques l'entourèrent à son tour. Une chape d'ombre se mêla aux tourbillons, opposée aux particules de lumières venant de Celestia, et les deux énergies se répandirent sur le sol, s'approchant l'une de l'autre dans un lente conquête.
Puis les deux magie entrèrent en contact, et les deux sœurs chargèrent simultanément. Celestia tenait sa lance droit devant elle, pointée vers le cœur de Luna, qui elle avait son épée dans une position plus mixte. Les deux armes se rencontrèrent dans un crissement de métal, alors que Luna déviait la hallebarde de sa sœur du plat de sa lame. Le bord tranchant de l'arme de Celestia lui entailla l'épaule, mais la douleur s'estompa bien vite, et l'alicorne bleue donna un coup de tête pour contrôler son épée, qui donna un coup de taille vers le visage de la princesse blanche. Celle-ci lança un éclair magique dans l'arme, la ralentissant suffisamment pour lui permettre d'esquiver le coup en plongeant la tête, et le coup se perdit dans sa crinière. Cependant, ce faisant, elle passait sous Luna, qui en profita pour frapper violemment avec ses deux pattes avant dans la nuque de son ennemie.
Celestia s'écrasa au sol et glissa sur plusieurs mètres, alors que Luna se réceptionnait et se retournait immédiatement, sa patte blessée tremblante. Mais son adversaire se releva presque aussitôt, et se tourna pour lui faire face à nouveau, sa corne chargée de magie. Celestia se cabra, et frappa le sol de ses deux sabots. La salle entière trembla sous le choc, et les pavés explosaient selon une ligne qui allait droit vers Luna. Celle-ci sauta sur le côté pour éviter d'être touché, alors que le sol explosait avec violence là où elle se trouvait une seconde plus tôt. Elle décocha en même temps un trait d'ombre vers sa sœur pour éviter qu'elle ne l'assaille, mais Celestia intercepta le projectile avec sa lance, qui dissipa la magie, et se remit en position de charge.
Luna eut à peine le temps de se monter sa garde que son adversaire se projetait vers elle, et enchaînait les attaques avec la hallebarde, que la cadette parvenait tant bien que mal à parer. Celestia utilisait la totalité de son arme, que ce soit la lame ou la hampe, et faisait reculer Luna jusqu'au mur derrière elle. Celle-ci sentit l'obstacle avec sa queue, et décocha une ruade dans les pierres. Immédiatement, le vitrail au-dessus explosa, couvrant les deux combattantes de débris de verres et gênant temporairement leur vision. Luna en profita pour faire un saut augmenté de magie une nouvelle fois vers le trône pendant que sa sœur se protégeait des éclats. Finalement, Celestia se retourna une nouvelle fois vers elle.
Les marques de corruptions continuaient à gagner du terrain sur son corps. Celestia savait qu'elle n'en avait plus pour très longtemps avant de basculer définitivement, et de devenir le monstre qu'elle avait toujours réussi à éviter. Déjà, elle ressentait le désir de massacrer Luna, de s'asseoir sur le trône, de prendre le titre d'Impératrice. Elle devait vaincre sa sœur rapidement, avant que tous ses efforts ne soient gâchés. Elle se remit donc en position, et chargea sa corne d'un nouveau sort. Mais cette fois, ce fut Luna qui attaqua la première, et l'alicorne bleue fut sur elle en une simple poussée, la rouant de coups répétés de son épée, qui frappait à droite, à gauche et au-dessus dans une fureur de combattre renouvelée. Des stries noires commençaient déjà à apparaître au niveau de son encolure, preuve qu'elle aussi devait utiliser ses pouvoirs en luttant contre ses instincts destructeurs.
Plus qu'un duel entre deux combattantes, c'était un duel de volonté, un duel entre deux alicornes, luttant à la fois contre leur adversaire et contre elles-mêmes. Les deux se répondaient coup pour coup, chaque impact faisant trembler les vitres sous leur puissance. Parfois, une armes passait les défenses de l'une d'entre elles, et entaillait l'armure jusqu'à pénétrer la chair en-dessous. Aucune n'utilisait plus de sort, car la perte de concentration pouvait signer leur arrêt de mort. Elle ne reculaient pas, tournant l'une autour de l'autre dans un cercle qui ne changeait pas de diamètre au milieu de la salle autrefois lieu de grandes et justes décisions, aujourd'hui arène d'un combat pour le destin du monde.
Luna frappa une nouvelle fois de taille au niveau des pattes de Celestia. Celle-ci ne parvint pas à bloquer l'attaque, et se cabra pour tenter d'esquiver le coup. Malheureusement, la jument de nuit fut trop rapide, et une douleur atroce prit la princesse du Soleil au niveau de son boulet droit. Luna ne lui laissa pas le temps de se reprendre, et profita de sa garde grande ouverte pour plonger sa lame vers son cœur en utilisant toute la force que sa magie lui permettait afin de percer l'armure dorée. Mais Celestia, voyant ce que préparait sa sœur, donna un coup avec sa patte amputée d'un sabot, utilisant la protection pour dévier le coup. L'épée se plongea alors dans son ventre, jusqu'à la garde.
Celestia hoqueta, et une gerbe de sang jaillit de sa bouche pour maculer le visage de Luna. Cependant, elle utilisa ses pattes pour maintenir l'arme noire dans son corps, empêchant l'alicorne bleue de la retirer, et d'un coup de tête, projeta son hallebarde vers elle.
Luna, aveuglée par le sang de son adversaire, ne vit pas l'arme venir, et la lance brisa son armure, et lui traversa le corps.
Le souffle de la princesse de la nuit se coupa, alors qu'une intense douleur la parcourait au niveau de la poitrine. Ses yeux s'écarquillèrent, et perdirent petit à petit leur halo lumineux, pour revenir à leur bleu profond. Elle leva son regard vers celui de Celestia, qui revint lui aussi à la normale alors que les énergie magique se dissipaient.
Puis elle s'affaissa au sol dans un grand raclement de métal contre la pierre. Chaque respiration était pénible, douloureuse, elle sentait son esprit devenir de plus en nébuleux, ses pensées moins précises, et sa vue se brouilla. Ses lèvres bougèrent, tentant de délivrer un dernier message. Elle aperçut plus qu'elle ne vit Celestia se pencher vers elle, les oreilles pointées vers sa bouche.
Luna rendit son dernier soupir.
Celestia cligna des yeux, tendant l'oreille, tentant de capter le moindre signe venant du corps de sa sœur. Mais rien. Elle n'entendait plus rien. Elle tourna la tête, pour pouvoir la voir. Ses yeux vitreux étaient fixes, perdus dans le vide, et plus aucun mouvement ne parcourait son corps.
Luna était morte.
Epuisée par le combat et les blessures, Celestia tomba au sol, à côté du cadavre de sa sœur. Elle se traîna lentement vers elle, laissant derrière elle une rivière de sang qui s'écoulait de son abdomen. Elle s'affaiblissait de seconde en seconde, et la vision de sa mort commençait à s'imposer à son esprit.
Mais cela ne la dérangerait pas, en réalité.
Elle avait tué Luna.
Luna était morte !
Elle s’agrippa au corps sans vie de sa seule famille, et la rapprocha d'elle, la prenant entre ses pattes meurtries dans une dernières étreinte. Elle plongea son museau dans sa crinière bleue qui avait perdu son évanescence, et rougie par la flaque de sang qui s'écoulait sous le cadavre.
Et elle pleura. Son corps fut parcouru de sanglots, et elle laissa s'échapper son chagrin dans les crins de la défunte, la serrant toujours plus fort à chaque seconde. Une aura jaune entoura sa corne ainsi que sa hallebarde, qu'elle retira de Luna avant de la lancer loin dans un coin de la salle du trône, silencieuse à l'exception de l'écho des pleurs sur les pierres millénaires.
C'était le prix à payer. Ça avait toujours été le prix à payer. Celestia avait tenté de repousser l'échéance tant qu'elle le pouvait, de trouver d'autres solutions pour épargner sa sœur, et pouvoir se dire qu'elle était toujours là, quelque part, vivante, avec l'espoir qu'un jour elle voit enfin le monde comme la jument blanche, mais au fond, elle savait que ça ne pouvait se terminer autrement. Luna avait changé, elle avait mûri, mais elle avait toujours été au bout de ses convictions, tenant ses positions sans se rendre. Cela avait conduit à Nightmare Moon. Cela avait conduit à sa mort.
L'esprit de Celestia était nimbé de brume. Elle avait du mal à réfléchir, et vacillait à la limite de l'inconscience, peut-être de la mort. Seules s'imposaient les idées qu'elle avait vaincu, qu'Equestria allait enfin sortir de cette guerre civile et fratricide et que l'Empire pourrait enfin prospérer selon la vision de l'alicorne du Soleil, mais également que le sabot restant de sa dirigeante était couvert du sang de sa sœur et de ses partisans, des poneys d'Equestria eux aussi. Elle avait creusé le chemin de sa victoire dans le sang et les larmes, et y avait laissé une part d'elle-même.
Désormais, elle était la dernière Alicorne de l'ancien royaume. Elle et sa sœur avait tant lutté pour ne pas se laisser détruire comme les leurs, et pourtant, aujourd'hui, Celestia sentait déjà ses blessures se refermer, un frisson lui parcourant l'échine alors que sa part d'ombre glissait sous sa peau, colorant son pelage d'une couleur jaune malsaine, mais elle n'arrivait pas à focaliser ses pensées suffisamment pour lutter. Peut-être était-ce là l'ultime sacrifice qu'elle devait faire pour son peuple. Se sacrifier elle-même pour survivre, et guider les poneys vers un futur plus lumineux.
Une douce chaleur remplit la pièce en même temps que la lumière recommençait à l'inonder. Celestia releva la tête, et la tourna doucement vers les fenêtres. Là-haut dans le ciel, la Lune commençait doucement à descendre, laissant à nouveau la place au jour.
L'alicorne se leva, avec difficulté en raison de sa patte amputée. Elle manipula les énergies magiques, et de son moignon cicatrisé jaillit des filets d'or qui s'entremêlèrent comme pour sa nouvelle aile, et formèrent un sabot de lumière. Elle le posa à terre avec méfiance, mais, constatant l'absence de douleur, se mit à marcher vers la porte. Elle l'ouvrit grâce à sa corne, pour découvrir, juste derrière, le cadavre de Hay Fried, son fidèle majordome et dernier descendant d'une famille qui avait toujours été proche des deux sœurs. Mais pas une larme ne coula, cette fois. La source était tarie, et son cœur s'était endurci. Le temps de trouver les coupables viendrait.
Elle continua sa route en contournant le corps, marchant à travers les couloirs presque désertés. Les quelques servants et gardes qu'elle croisait s'écartait de son chemin en la voyant arriver, et s'inclinait pour lui rendre hommage. Mais lorsqu'elle ne pouvait plus les voir, il levaient les yeux, et un frisson parcourait leur échine. Le corps autrefois pur de la Princesse était désormais d'un mélange étrange entre le blanc originel, le rouge du sang et du combat et un jaune inexplicable qui formait des lignes étranges, et l'une de ses ailes ainsi qu'un de ses sabot n'étaient que lumière pure.
Celestia arriva au grand hall d'entrée. Là se trouvait les gardes royaux, fidèles à leur poste, aux côtés des grandes portes ouvragées de laquelle s'élevait une clameur étouffée. Elle descendit les escaliers un à un, lentement, alors que les rayons de l'astre solaires se déplaçaient pour se mettre de plus en plus à la verticale sous l'effet de son sort millénaire. Enfin, elle arriva sur le sol carrelé et se dirigea vers la porte, et les soldats en armures, devinant ses intentions, utilisèrent leur magie pour ouvrir les battants devant elle.
Elle fut momentanément aveuglé lorsqu'elle mit un sabot à l'extérieur, mais elle entendait une foule se déplacer, parler, parfois crier à quelques distances en face d'elle. Puis, progressivement, les sons se firent moins présents, les paroles s'évanouissaient, et le silence se fit dans la foule. Celestia ferma les yeux pour chasser la persistance rétinienne, et les rouvrit.
Devant elle se tenaient, au bas des escaliers menant au château, toute une partie de la population de Canterlot, et d'autres arrivaient encore. Au fur et à mesure que son regard se baissait, elle voyait de plus en plus d'uniforme de son armée, mélangés aux citoyens innocents, puis formant une ligne de protection, sûrement pour empêcher que les poneys inquiets ne déclenche une émeute. Puis, encore plus proche de sa personne, elle voyait les uniformes de cuir, les broches d'or et les cornes vibrantes de magie de sa police, son clergé et son armée de gardiens, les Licornes du Soleil.
Et haut, très haut dans le ciel comme s'il était midi, se trouvait l'astre du jour, flamboyant comme jamais comme pour fêter la victoire de la lumière sur l'ombre.
Celestia parcourut du regard l'assemblée. Au milieu des Licornes se trouvaient des poneys, la plupart en habits civils, d'autres en uniforme sombre déchiré, couverts de sang et parfois inconscients, attachés et sous la surveillance sans faille d'une des fanatiques. C'était fini. Il n'y avait plus personne pour combattre l'Empire. Les zèbres sur la côte ne seraient qu'un contretemps ennuyeux, et si d'autres races s'en prenaient à Equestria, alors Celestia ne ferait pas de quartier.
Car elle était l'Impératrice du pays des poneys. Elle était leur chef, leur mère, leur déesse, devant les protéger, les nourrir, leur apporter bonheur et prospérité. Elle en avait fait la promesse il y avait bien longtemps, et aujourd'hui, malgré tous ses doutes et ses remords, elle n'avait pas failli.
Elle avait enfin la puissance nécessaire. Elle n'était plus l'alicorne faible, la princesse du château qu'on devait sauver des ennemis du pays. Elle était l'épée et le bouclier de son royaume.
En face d'elle, une Licorne du Soleil s'agenouilla. Puis celles qui étaient à ses côtés aussi. Petit à petit, telle une vague de respect et d'admiration, toute la foule s'inclina pour saluer leur maîtresse, la victorieuse, la protectrice.
Celestia leva les yeux vers le soleil. Désormais, ses rayons ne la brûlaient plus. Il était magnifique, une gigantesque boule de feu et de vie, apportant ses bienfaits sur le monde. Comme elle. Il était le symbole de son Empire, il était une partie d'elle, sa destinée, son maître et son esclave. Il était la lumière qui avait vaincu les ténèbres, et jamais, jamais celles-ci ne devaient plus tomber sur son Empire.
Elle était Celestia, l'Alicorne du Soleil.
Et le jour
Durerait
A jamais !
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(Fluttershy et Luna) j'ai pris beaucoup de plaisir a lire cette fic comme je lisais un bon roman et sa ses rare alors merci pour sa Iron pony Maiden
Le combat final était inévitable mais cela me reste un peu en travers de la gorge. Même si la mort des 5 éléments était très dur, celle de Luna l'est encore plus. Mais bon, cela ne pouvait pas finir sur des réconciliation, cela aurait été trop facile.
Au final un texte de qualité que j'ai aimé et détesté lire.Une fiction incroyable et encore une fois dramatique.
Dans tout les cas, chapeau bas l'artiste.