Un grondement agitait la spacieuse salle du tribunal en dépit des efforts de ses occupants pour éviter une telle inconvenance. Le public, un florilège de poneys à l’apparence travaillée et maniérée à l’extrême tant au niveau de la coiffure que des vêtements, avait beau essayer de respecter autant que faire se peut les règles de la bienséance et de chuchoter à un volume convenable, ils se heurtaient malheureusement à des lois physiques contre lesquelles ils ne pouvaient rien.
La première étant celle qui établit que tout poney placé dans une pièce suffisamment vaste, comme par exemple celle où nous nous trouvons actuellement, ne pourra éviter de voir sa moindre parole décuplée par un puissant écho. La seconde arguant quant à elle que lorsque vous conservez ledit poney mais que vous le multipliez par cent, en utilisant un système non breveté qui ne marche malheureusement que dans les théories scientifiques, le brouhaha augmentera quant à lui de façon exponentielle.
Aussi désagréable qu’étaient ces lois de l’acoustique, au moins pouvaient elles providentiellement dédouaner les spectateurs de ce manquement aux règles les plus élémentaires de la courtoisie. Qui plus est, et parce qu’il n’y a pas de petits profits, ce son vrombissant avait aussi pour avantage de participer à l’inconfort de l’accusé qui attendait seul, au premier rang, que vienne son jugement.
Il n’était par ailleurs pas difficile de ressentir dans le ton employé par l’ensemble du public une hostilité certaine envers ce poney isolé. Et dans le cas où ce dernier aurait eu encore un doute sur la haine générale qui lui était vouée, nombreux étaient ceux qui jetaient sur sa nuque un regard aussi hautain que réprobateur.
Parlons-en de cet équidé solitaire. Il avait la posture voûtée typique de ceux qui se retrouvent écrasés par le système judiciaire d’un pays étranger et dont ils ne connaissent par conséquent ni les règles, ni la logique. Son regard trahissait bien ce sentiment mais il s’y dissimulait aussi autre chose, une expression dont il n’avait pas réussi à se détacher depuis son arrivée dans cette cité, il y a de cela près d’un mois. Celui d’une saturation permanente.
Ses yeux dérivaient mollement sur le lieu où serait prononcé sa sentence, admettant le savoir-faire des artisans qui l’avaient construit et aménagé. Il n’y avait pas besoin d’être expert en ébénisterie ou en ferronnerie d’art pour comprendre que cela avait été le fruit d’artistes accomplis. Mais, car il y avait un mais, cette salle illustrait parfaitement ce défaut fondamental qui lui avait sauté aux yeux au moment même où il avait mis les sabots dans cette contrée. Ces poneys en faisaient toujours trop. Beaucoup trop.
Ainsi la moindre surface se devait d’être gravée de motifs complexes et incrustée de diamants, la moindre aspérité se devait d’être sculptée et travaillée à l’extrême et, pour parachever le tout et à partir du moment où c’était possible, il était absolument impérieux d’y nouer un nœud de soie ou de satin. Si ce dernier élément se trouvait par ailleurs être rutilant et d’une couleur particulièrement criarde, on considérait alors que la perfection était atteinte. Du moins jusqu’à ce que l’on trouve comment en faire encore plus.
Une simple poignée de porte devenait ainsi une structure ésotérique privilégiant l’exubérance à la fonctionnalité, ce qui faisait que les portes s’ouvraient et se fermaient généralement très mal en ce pays. Mais apparemment cela importait peu, il ne semblait pas trop déranger les locaux de se retrouver coincé sur le palier de leur appartement tant que ce dernier était somptueux. Il fallait savoir gérer ses priorités.
Le regard de l’accusé se posa alors sur les gardes situés aux différents coins de la salle. Eux plus que tout le reste synthétisaient parfaitement la culture excessive de ce petit morceau de terre. L’œil avisé y verrait une base similaire à celle de la garde royale Equestrienne ou, pour être plus précis, une base similaire que l’on aurait badigeonné de colle et sur laquelle on aurait déversé toutes les breloques, bijoux et autres colifichets possibles et imaginables. Puis, pour parachever le tout, on l’aurait emballé dans un assortiment de rubans perclus de milliers de paillettes.
L’étranger n’avait pu réfréner son sourire la première fois qu’il les avait vu tant l’on aurait dit des décorations pour la veillée chaleureuse à qui l’on aurait greffé des pattes. Bien qu’étant absolument novice en tactique militaire, il était tout de même particulièrement dubitatif quant à leur efficacité guerrière. Il fallait toutefois admettre que ces armures avaient l’avantage de parfaitement dissimuler le poney qui était en dessous. Ne restait alors plus qu’à trouver comment camoufler ce camouflage, ce qui allait sans doute être plus complexe.
Il était par ailleurs convaincu qu’indirectement ces armures surchargées n’avaient rien fait pour arranger ses affaires. Ainsi, le jour où ils étaient venus le chercher à son domicile pour le placer en état d’arrestation, il n’avait pu réfréner un gloussement au moment où il les vit paraître devant ses yeux. Or, et n’importe quel poney qui aura fait l’erreur de se moquer de ses geôliers vous le dira, ce n’est clairement pas le genre de chose qui joue en votre faveur quand vous avez des ennuis avec la justice.
Pourtant cette histoire avait bien commencé. Après tout, les tendances à l’excès et à la surconsommation des habitants de cette contrée n’étaient-elles pas le rêve de tout marchand ? Et il faut bien dire que ses affaires avaient été florissantes, lui permettant de faire des bénéfices fulgurants en un laps de temps incroyablement court.
Il y avait bien eu quelques indices qui auraient pu lui faire comprendre que son statut était précaire mais seul un natif aurait pu savoir qu’il s’agissait de rappels à l’ordre tout à fait légaux. En Equestria, quelques critiques tout en platitudes et deux-trois remarques respectant toutes les formes de politesse possibles, mais dissimulant de subtiles insultes, n’avaient pas de vraie valeur juridique. Apparemment, ici, si.
En fait, il le réalisait maintenant qu’il était assis sur ce banc, les pattes avant engoncées dans des menottes faites d’or, de rubis et dont les fermoirs maniaquement ouvragés représentaient une licorne dont la crinière formait de larges boucles. Pour parachever le tout, on avait aussi cru bon d’ajouter un petit nœud de satin rouge sur chaque entrave. L’accusé soupira. Même pour les outils répressifs, ils n’avaient pas réussi à s’en empêcher.
Un mouvement se fit alors à sa droite, brisant le fil de ses pensées. Son avocate venait de se placer à côté de lui, un inamovible rictus austère sur son visage. Elle n’avait jamais essayé de cacher son antipathie à l’égard de son client. A vrai dire, elle avait été commis d’office, tirée au sort après que l’ensemble des membres du barreau aient fait part de leur refus de défendre ce poney, et n’avait pas manqué de le lui dire avec une politesse somme toute bien hypocrite.
C’était une jument qui aurait pu être belle si elle avait eu l’idée de défaire ce chignon sévère et de quitter cette expression rigide. Au moins était-elle habillée sobrement, tout du moins si l’on se référait aux critères locaux pour lesquels le Grand Galoping Gala devait au mieux être une soirée pyjama. Un ensemble gris, blanc et noir, simple avec toutefois une broche suffisamment opulente pour justifier une invasion des chiens diamants afin de faire bonne mesure. C’était bien la moindre des choses.
L’instant d’après, un garde prit la parole de sa voix de ténor afin d’annoncer l’arrivée de la juge et le brouhaha cessa instantanément. Le magistrat fit alors son entrée, grimpant sur l’estrade qui dominait la salle, jeta un regard à l’ensemble du public avant de fixer sévèrement et durant un long moment l’accusé mais celui-ci ne remarqua rien.
Il croyait avoir tout vu depuis son arrivée, tout. Et pourtant, ce qu’il avait devant ses yeux dépassait l’imagination. Oh, il y aurait eu sans doute énormément à dire sur la robe du juge, surchargée de plumes criardes et traversée par un entrelacs exagérément complexe de fils d’or et d’argent, mais ce n’était rien face à sa perruque. Le prévenu n’avait aucun de mot pour décrire cette structure, cet étrange agencement fractal qui s’élevait et se maintenant en place en violant visiblement toutes les lois de la gravitation. A croire que ce postiche était un univers à part entière possédant ses propres règles et sa propre physique.
La notion de haut et de bas ne semblait pas y trouver de sens, tout comme ces notions triviales que sont la vitesse et la masse, et sans doute y avait-il dans cet amas capillaire beaucoup plus de dimensions que dans notre univers voir peut-être même aucune. En tout cas, la réponse à la grande question, celle qui définit tout ce qui a été, qui est et qui sera, y était secrètement terrée, l’accusé en était intimement persuadé.
Il lui fallut un long moment pour détacher son regard de cette chose d’outre-univers et quand il retrouva finalement ses esprits le procès semblait avoir débuté depuis longtemps. Par ailleurs, vu les méprisants regards en coin que lui jetait la juge, il était absolument certain que son absence transcendantale, et surtout le long filet de bave qui en avait résulté, allait être un autre élément qui n’était pas parti pour jouer en sa faveur.
L’audience continua son cours et le prévenu tenta de s’y accrocher mais il se perdit vite dans tout ce jargon qui oscillait sans cesse entre technicité extrême et maniérisme exagéré. Au moins réussit-il à comprendre la stratégie de son avocate, qui consistait à peu de chose près à le présenter comme le dernier des demeurés et, par conséquent, à le rendre irresponsable de ses actes. Ce n’était certes pas ce que l’on pourrait appeler une défense pleine de panache mais si ça lui permettait de sortir libre, l’accusé n’en avait cure. Tout comme il ne souciait guère de la vengeance mesquine qui pouvait aisément se deviner dans le choix de cette tactique, son séjour dans cette contrée ayant transformé son sens du ridicule en un concept particulièrement relatif.
Malheureusement, ses derniers espoirs commencèrent à s’effriter au moment où, appelé à la barre, il prononça ce qui était sans aucun doute la dernière chose à dire en ce lieu. Ainsi, alors que le procureur agitait devant son nez et sous les murmures horrifiés du public la principale pièce à charge, pire, l’arme du crime, le prévenu laissa l’instinct prendre le pas sur le bon sens et lâcha le blasphème ultime, l’outrage suprême, l’imprécation absolue, le sacrilège originel. Bref, le mot de trop.
« Mais enfin… C’est quand même pas si grave. »
Une vague d’effroi et de cris indignés emplit la volumineuse salle d’audience. De nombreuses juments présentes dans le public s’évanouirent alors dans un mouvement fluide, fruit de nombreuses années de répétition, qui suivait impeccablement les règles les plus fondamentales de la bienséance. Les plus chanceuses, celle placées à côté d’un étalon, furent rattrapées selon la gestuelle traditionnelle qu’il convenait de respecter en pareil cas. Malheureusement, la démographie équine étant ce qu’elle est, les mâles n’étaient pas assez nombreux pour faire face à ce flot de défaillance et c’est ainsi que l’on vit se former en plusieurs endroits d’étranges petits tas de ponettes inconscientes, figées dans des poses outrancières.
Il eut d’ailleurs été sans doute préférable que la juge se vit être elle-même prise de vertiges mais, et pour le grand malheur de l’accusé, ce fut tout le contraire. Elle entra dans une rage folle et, approchant son visage au plus près possible de celui de ce dernier, elle s’adressa à lui avec une fureur chtonienne. Toutefois, il ne l’écoutait pas. Ses yeux s’étaient à nouveau perdus dans cette perruque cosmique qui, sous les violents spasmes de colère du magistrat, s’agitait d’une manière à ce point irréelle que la tentation de la toucher du sabot pour s’assurer de son existence concrète dans cette réalité-ci devenait insoutenable.
L’accusé se demanda même durant un moment si ce postiche n’était pas en réalité la cachette de ce démon du chaos légendaire, Discord croyait-il se souvenir, qui avait disparu il y a de cela des siècles. Une telle idée pouvait certes paraître invraisemblable mais, à ce que l’on disait, l’invraisemblable n’était-il justement pas sa nature ? Et puis en y réfléchissant, pouvait-on trouver meilleure cachette que perruque sur le crâne d’un juge dans un territoire lointain? Qui pourrait soupçonner ça ?
Son esprit lui fit alors comprendre que quelque chose autour de lui venait de changer et qu’il serait préférable, pour ne pas dire vital, de retourner vite à la réalité. Très vite. Le magistrat avait en effet terminé sa diatribe et le fixait désormais, tout comme le reste de la salle, dans un silence hostile. Manifestement, ils attendaient une réponse.
L’accusé commença alors à fouiller dans sa mémoire, espérant que son inconscient eut réussi à glaner quelques informations précieuses alors qu’il s’était à nouveau égaré dans cette occulte moumoute. Avec difficulté, il crut parvenir à se souvenir de quelques bribes de phrase, particulièrement « circonstances aggravantes » et « peine capitale », ce qui ne sentait pas bon. Malheureusement, il avait aussi l’étrange certitude d’avoir entendu le terme « pudding », ce qui était un peu plus étrange et sans aucun doute hors contexte.
Est-ce en raison de ce dernier doute, fruit d’une blague potache venue d’un petit conglomérat de neurones taquins, qu’il ne réussit pas à articuler le moindre mot ? Ou bien craignait-il de déclencher à nouveau l’ire de la foule s’il osait s’exprimer honnêtement ? Nous ne le saurons sans doute jamais et le marteau de la juge s’abattit dans un bruit de tonnerre alors que la juge déclama rageusement la sentence dans un nuage de postillons et de bactéries.
Le poney resta toujours sans dire un mot, laissant pacifiquement ce que son cerveau embrumé identifia comme étant deux étranges et rutilants présentoirs à breloques l’entraîner en dehors de la salle. Il cherchait encore à comprendre si sa sentence avait été exprimée en jours, en semaines, en mois, en années ou en siècles. Les chiffres correspondaient difficilement.
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Le tribunal se vida et le public commença à se disperser. Deux d’entre eux, un couple, se dirigèrent vers la statue qui trônait devant sa façade et qui représentait la fabuleuse Dame Rarity le jour où elle fonda cette cité, foulant de son sabot les chiens diamants qui y demeuraient auparavant. Pour l’histoire, certains esprits chagrin avaient d’ailleurs regretté l’absence de Monsieur-Son-Ex-Mari sur ce monument, tant la présence du saurien s’était avérée cruciale lors de la conquête. En effet, comme vous le dirait n’importe quel éminent stratège : « avoir un dragon, c’est quand même de la triche. »
A ces gens-là, on fit poliment comprendre qu’une telle remarque était déplacée. Et de façon tout aussi courtoise, on leur offrit une invitation pour plusieurs semaines de cachot qu’il aurait été fort malséant de refuser. La licorne fondatrice avait beau ne plus être de ce monde depuis des siècles, elle aurait sans doute été fière de savoir que son peuple respectait toujours ses directives quant à la moindre mention de Monsieur-Son-Ex-Mari. Dame Rarity n’avait en effet jamais pu digérer que le dragon la quitte pour aller s’acoquiner avec, je cite, « une catin morne, frigide, sans aucune classe et obsédée par ces stupides cailloux ».
Le lecteur attentif pourrait trouver difficilement concevable qu’une telle grossièreté soit sortie de la bouche d’une jument aussi distinguée mais rassurez-vous, la phrase complète commençait pas « Je ne voudrais pas être médisante mais », ce qui nous prouve bien qu’elle ne pensait pas à mal.
Cependant, nos actuels poneys n’avaient que faire de ces récits poussiéreux, se contentant de retirer leurs chapeaux en hommage à la munificente Lady. Enfin, parler de chapeau était peut être exagéré. Celui du mâle pouvait à la limite encore recevoir cette appellation au contraire du couvre-chef de la femelle, une sorte de filet aux mailles bien trop larges pour avoir une quelconque utilité pratique. Il aurait sans doute été plus juste de le qualifier de protection-contre-les-attaques-surprises-de-pigeons-pris-de-soudaines-velléités-anarchistes mais cela se prêtait mal au contexte. Il faudra en effet attendre encore quelques décennies pour que les tensions croissantes entre poneys et colombidés mènent à ce que l’on nommera « La Tragique Guerre des Gésiers », triste évènement qui vit notamment le décès de la princesse Twilight Sparkle, picorée à mort par une meute de volatiles sanguinaires.
« - C’était quand même quelque chose ce procès… commença l’étalon.
- Tout à fait, et dire que des criminels de la même espèce sont toujours en liberté ! répliqua la jument.
- J’ose espérer que ce jugement mettra du plomb dans la tête de tous ces rustres.
- Une pareille atrocité, comment peut-on ? »
A la pensée de l’acte odieux qui avait valu à l’accusé cette juste condamnation, les deux poneys furent pris d’incontrôlables frissons et restèrent un moment silencieux, encore sous le choc de l’ignominie qui avait été perpétré dans leur ville.
« - Tout de même, à quoi pensait-il ? reprit l’étalon en déglutissant avec difficulté. Mélanger veste en lin kaki, gilet de chanvre couleur prune et foulard de soie ocre ? Cela me dépasse.
- Mais taisez-vous mon cher ! le tança la jument. Il y a des crimes contre la mode qu’il est préférable de taire à jamais ! »
Et pendant ce temps-là, un poney venu d’une contrée lointaine, désormais enfermé dans un cachot aussi richement décoré que bien trop propre pour pouvoir être qualifié de geôle, n’arrivait pas à détourner son esprit des insondables mystères entraperçu dans un amas capillaire synthétique venu d’outre-dimension.
Si vous saviez. Si seulement vous saviez...
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On observera ici un humour classique, mais efficace, basé sur la surenchère.
Sinon, j'ai bien aimé, je note "à lire".
Ensuite l'univers est juste très bien décrit un grand niveau de détails ça met vraiment dans l'ambiance B.C.B.G.
J'ai des chaussures bleu, une veste marron, sous laquelle ce cache un habit jaune et un ... NAN PAS LA TAULE PLUS JAMAIS!!