Personne ne s'était intéressé à elle parce qu'il était impossible de prêter attention à ce genre de rebuts de la société pendant plus de quelques secondes sans perdre toute dignité et toute forme de réputation.
Elle s'appelait Céliste. "Je voulais l'appeler Célestia, en honneur à la reine solaire, mais comme je ne voulais pas qu'on la confonde avec la princesse, je l'ai appelée Céliste", expliquait son père. Père, qui se demandait bien comment avait-il pu engendrer cette "chose" qui était censée tenir la moitié de son patrimoine génétique.
Les tiques ne la piquaient pas, la pluie refusait de lui tomber dessus, et la seule fois où elle croisa un timberwolf, il l'a dédaigna pour une proie plus hygiénique.
Des centaines de kilos répartis n'importe comment le long d'une colonne vertébrale tordue, une démarche d'éléphant de mer qui se demande ce qu'il fout hors de l'eau, une crinière noire parsemée d'amas de pellicules qui collait à son dos, une odeur de crasse qui provoquait systématiquement des haut-le-coeur, et une expression de poulain défoncé au speedbowl artisanal hissaient Céliste au rang de crime visuel de catégorie internationale.
Quand la nature s'emploie à faire de la merde, ça rigole pas.
Céliste était "domestique et gérante de l'aménagement septique du palais", comme elle aimait le revendiquer à tout le monde, et à tue-tête de sa voix nasillarde tout en gloussant de fierté devant le nombre de mots qui définissaient sa fonction : le pire étant qu'elle ne comprenait pas le tiers du quart du sens de ses mots. Domestique et gérante de l'aménagement septique du palais, ça veut dire qu'elle récure les chiottes de Canterlot et que de temps à autres, elle va chercher un seau de produits chimiques quand y'en a plus sur son chariot rouillé. "Et un bidon anti-bactérie, un !", claironnait-elle, seule, la nuit, dans le silence marbré de ses chiottes puantes, afin de se donner un peu d'espoir et d'entrain.
Trente ans, elle avait. " Et toutes ses dents" avait-elle dit un jour à Scab Vag, une vieille jument chargée de la cuisine, qui ne sut quoi répondre devant le cauchemar dentaire que lui exhibait Céliste. "Y'en a même en trop", pensa la pauvre servante avant d'aller vomir par la fenêtre la plus proche.
Trente ans dont quinze à nettoyer les chiottes d'une aristocratie équine qui lui chiait allégrement et littéralement sur les sabots.
Trente ans et pas un seul témoignage de tendresse. Y'avait bien Broof Wings, le fils de Clay Mane l'éternel et increvable caporal de la garde, qui l'avait embrassée derrière le stand de "la pêche aux pommes" de la kermesse du village, mais il était mort le soir même en s'évanouissant dans sa propre mare de vomi, 4 grammes dans le sang. "Fallait au moins ça pour qu'il te galoche sans te gerber à la gueule" lui avait dit Clay Mane, à l'enterrement. "Il avait déjà vomi en m'embrassant" a t-elle répondu naïvement. Le premier étalon qui s'intéressait vaguement à elle. Sûrement le dernier aussi.
Trente ans. A faire préparer du foin de sous-qualité, le bouffer en vitesse pour ne pas être en retard au boulot, à côté de son chat obèse qui en était à sa troisième tentative de suicide par indigestion de croquettes périmées. Trente putains d'années à dire "vaut mieux être seule que mal accompagnée", à pleurer comme la merde qu'elle était deux minutes après et à regarder bêtement des films d'amour, en couinant de désespoir comme un clébard en pleine castration sans anesthésie. Trente ans qu'elle a pas vu passer et qui lui ont filés entre les sabots, Céliste, parce que t'as jamais pensé à rien, sauf peut-être à ton taux grimpant de cholestérol.
Mais aujourd'hui, tu penses à Fisting Road, l'étalon mignon en salopette qui s'occupe des livraisons de pommes à Canterlot. Il t'a invitée à diner, chez lui, ce soir, à 20 heures. T'es toute légère, toute pétillante. Tu sors du placard ta belle robe de soirée mauve, la contrefaçon d'une création de la boutique Carrousel, celle que t'as acheté avec les chèques cadeaux offerts par la princesse Célestia à tous ses domestiques pour Noël.
Tu te maquilles avec tout le soin dont tu es capable : un petit coup de crayon pour souligner ton regard tombant et dépressif, une touche de rouge à lèvres Kiqo (on dirait que tes lèvres sont gercées), un petit pschit du parfum légué par ta mère pour tenter de mettre en valeur le peu de féminité que tu as, et on est parti.
Tu sors de chez toi en chantonnant de ta voix stridente, tu souris de toutes tes dents jaunes cernées de rouge, et tu tentes même de trotter, avant d'être rattrapé par le poids ton arrière-train luisant de sueur et par ta malformation cardiaque. Tu fermes la porte à clé, inutile car elle est crochetable avec une épingle à cheveux et défoncable par une pouliche anorexique.
Mais tu verrouilles quand même quatre fois, pour être sûr qu'elle est bien fermée, au cas où tu ne rentres pas cette nuit, au cas où Road te proposes de rester dormir.
Mais nan. Tu dormiras pas chez Fisting, parce qu'en t'engageant dans l'escalier qui descend de ton appartement de service, tu glisses sur les marches humides et tu plonges dans les douves de Canterlot. Eh ouais poupée, sauf que tu sais pas nager, et donc tu te noies comme une truie obèse embourbée dans de la mélasse. Une flaque de produits cosmétiques se formera même autour de toi pendant que tu te débattras vainement en criant à l'aide.
Sans compter que ton cadavre pourrira un petit temps dans les douves du château, parce que ton corps gorgé d'eau était trop lourd pour être hissé sur la berge. Et même quand une compagnie d'étalons vint pour t'évacuer, ton corps cédera sous la pression de la corde, et se retrouva séparé en plusieurs morceaux répandant un liquide jaunâtre et des viscères putréfiées dans l'eau. Ouais, même les poissons carnassiers n'ont pas voulu de toi.
Putain, Céliste, même mourir proprement était trop dur pour toi ?
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Bravo
@kmeleon -> On va dire ça comme ça, hein.