Le Colis perdu

« Aujourd'hui est un grand jour, Cutie Mark Crusaders ! »

La voix d'Applebloom résonnait dans toute la cabane qui nous servait de quartier général. Scootaloo agissait comme si de rien n'était, habituée aux exagérations de notre amie, tandis que je me contentais de fixer cette dernière d'un air curieux. La pégase finit par lui demander avec impatience :

« Arrête de nous faire poireauter et dis-nous en quoi c'est un grand jour ! »

La petite sœur d'Applejack lui lança un regard furieux, avant de lui répondre d'un ton plein de fierté :

« Nous devrions recevoir aujourd'hui un colis de Babs avec les premières photos de notre branche manehattanienne et de ses membres !!

-C'est tout ? C'est nul... Je m'attendais à ce que tu nous annonces leur arrivée imminente.. »

C'était bien le genre de Scootaloo de penser que c'était sans importance. Pour ma part, j'avais beaucoup de mal à retenir mon excitation, car nous allions enfin voir à quoi ressemblait nos deux nouvelles recrues. Applebloom nous en avait déjà parlé d'autres fois grâce à d'autres lettres de sa cousine, mais à part leurs noms, Pink Ribbon et Wingbats, on ne savait pas grand chose d'elles. On ne savait même pas à quoi elles ressemblaient ! Et cette erreur allait enfin être réparée !

Scootaloo secoua la tête avec déception, avant de tourner les sabots pour faire un tour sur sa trottinette. Applebloom essaya de la retenir, mais la pégase avait vite fait son coup. Nous ne fûmes bientôt plus que deux dans la cabane, qui était d'ailleurs en piteux état. Cela n'échappa pas à la petite terrestre qui décida d'y remettre un peu d'ordre. Je commençai à l'aider, mais cette dernière s'arrêta brusquement avant de me demander de lui rendre un petit service.

« Lequel ?

- Tu pourrais prendre le colis pour moi, ste plaît ?

- T'es certaine que je pourrais le retirer ? Lui demandai-je avec crainte.

- Ouais, les précédentes lettres de Babs étaient adressées à nos trois noms, me rassura-t-elle. »

J'acceptai toute joyeuse la tâche qui m'était confiée avant de sortir à mon tour de notre repaire en sifflotant gaiement. J'improvisais une petite mélodie le long de la route qui me semblait moins longue ainsi. A peine avais-je fini de chanter que j'étais déjà arrivée en plein milieu de Ponyville. Il ne me restait plus qu'à trouver le bureau de poste.

Quelques instants plus tard, j'entrais dans le bâtiment, où je patientais pendant de longues minutes en raison d'une grosse file d'attente. Lorsqu' enfin arriva mon tour, il me fallut bondir pour m'accrocher au guichet pour éviter de laisser passer ma chance. Je demandai d'une voix faible s'il y avait un colis au nom des Cutie Marks Crusaders. Après une petite vérification, la jument à la robe crème qui s'occupait de l'accueil s'éloigna un peu d'un air passablement distrait pour apporter le petit paquet enveloppé dans du papier kraft.

« Merci beaucoup » fis-je avant de saisir le paquet avec les dents.

Je me laissai ensuite tomber sur le sol et fis demi-tour. J'avais accompli avec succès la première moitié de la mission donnée par Applebloom. Il ne restait plus qu'à lui apporter en sabots propres. Sauf que cette fois, je ne pouvais plus chanter avec le fil attachant le colis dans les dents. Ce dernier me parut d'ailleurs assez lourd. Pourtant, ce n'était que des photos...

Je quittai bientôt Ponyville, m'engageant sur le chemin menant aux environs de Sweet Apple Acres. J'avais hâte de déballer le paquet aux côtés d'Applebloom et Scootaloo, de voir enfin nos nouvelles camarades. Lorsque soudain...

Je sentis mon sabot cogner contre une racine. Sous le choc, je tombai en avant, mes sabots arrières se décollant du sol. Par réflexe, j'ouvris la bouche pour crier, oubliant ce que je tenais dans celle-ci. Le colis s'envola dans les airs. Je ne vis plus rien ensuite, ma tête ayant durement heurté la terre ferme.

Je me relevai ensuite en frottant ma tête endolorie. Je n'avais même pas regardé où je mettais les sabots. J'avais honte de mon étourderie. Me rappelant subitement de ce que j'étais censée faire, je regardais dans tous les sens à la recherche de l'objet que je devais livrer. Cependant, je ne le vis nulle part. Je l'avais envoyé si loin que ça ?

Mes yeux s'arrêtèrent alors avec horreur sur une mare à proximité de moi. Le colis de Babs et de ses amies avait fini dans la mare ! Je sautai dans celle-ci, cherchant le paquet avec désespoir. Mais la mare était quand même assez profonde et mes efforts étaient inutiles. Mais je refusais d'abandonner. Applebloom comptait sur moi !

Je me rendis néanmoins à l'évidence : je ne retrouverais jamais le paquet avec mes capacités. Je doutais fort en effet que mon talent consiste à retrouver des objets perdus dans une eau boueuse. Et surtout, je pensais que le paquet était fichu. En même temps que je réalisai cela, mes yeux s'embuèrent peu à peu. J'éclatai peu après en sanglots.

Comment j'allais expliquer cela à mon amie ? Je me voyais mal lui raconter que ma maladresse m'avait fait perdre le colis qu'elle m'avait chargé de lui amener. Elle le prendrait sûrement très mal et ne me confierait plus de tâches importantes. Ou pire, elle m'exclurait des Cutie Marks Crusaders ! Ou pire encore, elle ne me parlerait plus du tout !

Que faire alors ? Une idée me traversa alors la tête : et si je décidai de lui mentir ? Si je lui racontais des histoires, je serais sûrement capable d'échapper à la punition qu'elle me réserverait. Mais est-ce que je ne trahissais pas sa confiance en lui mentant délibérément ? Cela demandait réflexion et je ne gagnais rien à rester aussi proche du lieu de ma bévue.

Je séchais donc mes larmes à l'aide de mes sabots avant de me lever à nouveau, les membres tremblotants sous l'effet de ma peur. Je marchais avec difficulté, chaque pas semblant systématiquement suivi d'un autre en arrière.

Je craignais la confrontation avec mon amie. Je ne savais pas encore ce que j'allais bien pouvoir lui raconter. Je réfléchissais donc sur le chemin me conduisant à la cabane des Cutie Marks Crusaders. Cet endroit qui me paraissait si accueillant quelques heures plus tôt paraissait s'être changé dans mon esprit en un lieu cauchemardesque, qui signerait la fin de mon amitié avec Scootaloo, Applebloom et Babs Seed, et m'empêcherait de faire la connaissance de Pink Ribbon et Wingbats.

Je me ressaisis, pensant que cela ne servait à rien de penser maintenant à l'avenir et que je ferais mieux de songer à ce que j'allais dire ou ne pas dire à mon amie. J'envisageai pour commencer la possibilité du mensonge. Si le pot aux roses n'était pas découvert, cela me permettrait de passer entre les mailles du filet.

Bon, qu'est-ce que je pourrais donc raconter à Applebloom ? La première idée qui me vint à l'esprit fut de lui révéler que le bureau de poste n'avait pas encore reçu le colis. J'écartais bien vite cette possibilité, car il me semblait que les employés listaient les paquets reçus. Connaissant Applebloom, elle se rendrait chaque jour au bureau pour vérifier s'il était arrivé. Et au bout d'un moment, elle finirait par demander des explications. Et on les lui donnerait ! J'ose à peine imaginer sa réaction et les ennuis qu'il m'arriverait...

Bref, j'écartais cette idée, ainsi que toute autre entraînant une responsabilité des employés de la poste. Quelques questions bien placées suffisaient à faire voler en éclats cette tentative de mensonges. Il fallait donc quelque chose de plus consistant...

L'idée suivante que j'eus fut d'inventer une histoire rocambolesque relativement proche de ce qui était arrivé dans les faits avec pour seul changement la disparition de maladresse. Par exemple, je pouvais expliquer que j'avais dû passer pour une raison ou une autre par un chemin plus escarpé que d'habitude et que j'avais glissé à mon plus grand malheur.

Je me dis également en imaginant cette petite histoire qu'elle semblerait plus vraisemblable si j'apparaissais devant Applebloom blessée. L'inconvénient, c'est que je ne m'étais pas vraiment fait mal au cours de ma chute. Il faudrait donc que je me blesse volontairement.

Je m'arrêtais un instant pour réfléchir à cela. Il y avait bien une petite pente non loin de là... si je m'y jetais la tête la première, je serais sûrement en mesure de donner du poids à mes bobards. Et avec un peu de chance, je me ferais suffisamment mal pour aller à l'hôpital. Comme ça, j'esquiverais l'entrevue avec Applebloom et celle-ci serait si inquiète qu'elle ne penserait même plus au colis.

Je me mis en marche en direction de la pente, plutôt fière de mon idée. Après tout, je devrais juste souffrir un peu physiquement pour esquiver des problèmes bien plus graves. J'arrivais peu après devant la pente et regardais en contrebas. Ça irait, elle n'était pas très grande.

« Bon, je respire un grand coup, et je me lance... » pensai-je à haute-voix.

Je reculai pour prendre de l'élan avant de courir en avant tout en fermant les yeux. Toutefois, la chute et même la douleur ne vint pas. Je m'étais arrêtée par réflexe sur le rebord. Je poussai un soupir et recommença ma maneuvre une fois. Deux fois. Trois fois. Sans succès. J'abandonnai à ma cinquième tentative.

J'avais peur de me faire mal, même si c'était pour me sortir du pétrin dans lequel je m'étais fourrée. C'était bête et idiot de se l'avouer, mais j'avais peur. Et dans le feu de l'action, je n'avais pas réalisé à quel point mon idée était ridicule et saugrenue. Et puis... même si la pente ne paraissait pas très dangereuse, je ne savais pas à quel point j'aurais pu me blesser.

Me voilà donc revenue au point de départ. Furieuse contre moi-même je me roulais dans l'herbe grasse. J'avais beau me triturer la tête dans tous les sens, je ne voyais pas comment j'allais me sortir d'affaire. Toutes les solutions que j'imaginais pouvaient très mal se terminer !

La journée pendant ce temps suivait son brin de chemin inlassablement. Mine de rien, Applebloom allait finir par s'inquiéter. La moindre des choses serait de lui fournir une explication rapidement. Par dépit, je me relevai avec ma robe blanche recouverte de traces de terre et de brins d'herbes et me remis une nouvelle fois en route...

Le restant du trajet fut parsemé de visions qui me terrifiaient : j'imaginais Applebloom et même Scootaloo me faire subir toute une pelletée de châtiments partout où j'allais : à l'école, à Ponyville, et même chez moi...

Je finis par voir se dessiner devant moi la cabane. J'admis à cet instant que le QG des Cutie Marks Crusaders paraissait aussi paisible qu'à l'ordinaire. Je me faisais des idées en imaginant que même la cabane me serait hostile. Oui, c'était ridicule ! Pourtant, je savais que ce qui m'attendais à l'intérieur ne serait pas une partie de plaisir.

Je déglutis, des larmes restant coincées dans mes yeux, avant de monter sur la passerelle. Une fois parvenue devant la porte, je sentis un frisson parcourir tout mon corps. J'approchais mon sabot afin de pousser la porte... doucement... tout doucement...

La porte s'ouvrit et j'entrai dans la cabane. Il était temps pour moi de voir ce qui allait vraiment se produire après avoir imaginé tout ce qu'il était possible d'imaginer. Applebloom avait fini de remettre en ordre notre repaire qui était aussi resplendissant qu'au premier jour. Cette dernière se frotta la tête en poussant un soupir de soulagement. Elle se retourna, seulement pour me voir dans un état pareil. Dans un premier temps, elle me fit des yeux ronds avant de me demander :

« Ben, qu'est-ce qui t'es arrivé ? J'pensais pas que c'était si dur d'aller chercher un colis à la poste...

-Euh.... c'est-à-dire... bredouillai-je. »

Vu mon apparence actuelle, le mieux aurait été de dire à mon amie le mensonge que j'avais mis au point lorsque je voulais me jeter dans le vide. Pourtant, ce ne fut pas ce bobard qui sortit de ma bouche :

« En revenant, j'ai trébuché sur une racine sur la route. Du coup, j'ai laissé échapper le colis de Babs qui est tombé dans une mare. Je suis désolée... »

Je baissai la tête en prononçant cette dernière phrase, n'osant affronter le regard d'Applebloom. J'entendis ses sabots se rapprocher de moi. L'un d'eux me toucha et me fit lever la tête, me permettant d'observer la réaction de la sœur d'Applejack. Elle n'était pas furieuse, contrairement à ce que je pensais, seulement triste :

« C'est qu'un accident. T'y peux rien si le paquet est tombé là précisément. J'pense que tu t'es faite pas mal de films sur la route, j'me trompe ?

-Euh... oui... murmurai-je.

-Ben faut pas, me reprocha Applebloom. J'aurai juste besoin de demander à Babs de faire de nouvelles photos. Bon, j'crois aussi que t'as fait preuve d'un peu de maladresse et vu l'esprit de notre club, j'peux pas laisser cela impuni. Aussi, les membres des Cutie Marks Crusaders vont te donner un gage. »

Elle avait dit cela sur un ton léger qui réchauffa mon cœur. En effet, je m'étais fait des films pour rien. Ce moment touchant fut interrompu par l'arrivée fracassante de Scootaloo et de sa trottinette. La pégase heurta avec violence le mur de la cabane et avait failli me rentrer dedans.

Habituée à ce genre de cascade, elle se remit vite sur ses sabots avant de nous dire :

« Vous auriez pas oublié le paquet, les filles ? »

Applebloom et moi nous regardâmes sans comprendre. Scootaloo nous avait dit plus tôt qu'elle se fichait de ce colis. Pourquoi en parlait-elle maintenant ? Et qu'est-ce qu'on allait bien lui dire à ce sujet ? La pégase nous précéda en sortant un paquet assez finement dissimulé dans son casque de protection. Celui-ci était différent du colis que j'avais égaré. Scootaloo l'agita sous nos yeux ahuris en nous annonçant :

« Cette après-midi, en faisant mes acrobaties à Ponyville, je suis littéralement tombée sur une des employées du bureau de poste qui m'a alors demandé si je connaissais une petite licorne qui ressemblait en tout points à Sweetie Belle. Elle m'a alors donné un colis, en me demandant si je pouvais te le transmettre, car elle se serait trompée en le prenant. J'ai pas tout saisi sur le coup, mais elle aurait pris un paquet qui devait être envoyé à Manehattan. »

Applebloom se frappa alors la tête du sabot, se rappelant soudainement de quelque chose :

« Pour remercier Babs et ses amies, je leur avais envoyé un colis rempli de friandises venant de Sugar Cube Corner. Les deux colis ont pour points communs d'être adressées en premier lieu aux Cutie Marks Crusaders. L'employée a pu être confuse.

- C'est vrai aussi que le paquet me semblait lourd, étrangement... me rappelai-je brusquement. »

A la surprise de Scootaloo, nous éclatâmes de rire. Je riais de bon cœur, contente d'avoir encore le respect de mes amies. Applebloom, toujours pliée en deux me lança alors :

« Par contre, vu que j'avais payé moi-même les bonbons, tu vas avoir un double-gage ! »

La pégase ne comprenait rien à la situation et avait bien du mal à nous faire regagner notre calme. Il fallut qu'elle nous rappelle que nous avions un colis à déballer pour que nous arrêtâmes de rire. Nous nous approchâmes alors de Scootaloo avec un air de curiosité sur nos visages tandis qu'elle déchirait nerveusement l'emballage en papier kraft, laissant apparaître une pile de photos représentant une Babs Seed, plus joyeuse que jamais, accompagnée par une licorne presque aussi rose que Pinkie Pie mais arborant une crinière et une queue plus courte et surtout plus ondulées. Elle portait également des rubans noués tels des papillons au niveau de ses pattes, faisant quasiment oublier qu'elle avait le flanc blanc. La troisième pouliche était une pégase bleu marine aux ailes déjà formées et qui s'en servait pour légèrement narguer ses amies. Là aussi, on pouvait considérer que c'était pour elle un moyen d'oublier un peu son absence de cutie mark.

« Elles ont l'air vraiment sympas, déclara Scootaloo.

- J'ai hâte qu'on puisse les rencontrer, annonçai-je avec un grand sourire.

- Vraiment hâte, renchérit Applebloom. D'ailleurs, je crois que ton premier gage consistera à leur envoyer une photo de toi dans un costume ridicule. »

La sœur d'Applejack me regarda avec une lueur de malice dans les yeux. Enfin, mieux valait ça et avoir encore sa confiance que lui mentir et la perdre. Ce n'était pas si mal finalement.

Je me contentai de rire à nouveau avec mes deux amies....