Délicate

« Je t’en prie, fais comme chez toi. » La licorne blanche remercia son hôte et s’installa sur la chaise. Touillant dans le café que la ponette lui avait servi, elle jetait de rapides coups d’œil à celle-ci ; sa crinière était domptée en une coupe stricte, une queue de poney très lisse sans aucun crin en bataille. Sa chemise blanche à jabot fermé jusqu’au dernier bouton semblait lui compresser la gorge, pourtant, elle n’avait pas l’air de se plaindre. Elle avait le visage recouvert de maquillage. « Ta venue me réjouit au plus haut point, j’espère que le voyage ne t’a pas trop éreinté. » La licorne blanche écoutait les dires de la ponette avec la plus grande curiosité, comme si elle ne l’avait jamais entendue tenir ce genre de discours.

« Je te remercie de me recevoir dans ton nouveau chez toi. Le trajet n’était pas pénible, surtout pour avoir l’occasion de te revoir Pinkie. » La ponette rose tiqua légèrement de l’œil à l’appel de son nom.

« Merci à toi Rarity, mais aurais-tu l’amabilité de m’appeler par mon nom et non par ce surnom saugrenu ? » La licorne eut un hoquet de surprise avant d’acquiescer.

« Excuse-moi Diane.

— Ce n’est pas grave », dit-elle en reprenant un sourire chaleureux, mais ferme. « Et sinon, que me vaut ta venue ? » La licorne amena sa tasse pour prendre une gorgée avant de la reposer et de déclarer :

« Rien de particulier, Twilight nous a envoyé un message il y a quelques jours, on lui manque terriblement depuis qu’elle est à Canterlot. Étant donné que toutes les autres sont débordées, j’ai décidé de lui rendre une visite… et à toi aussi par la même occasion. » La ponette rose posa un sabot sur son menton, un regard sévère.

« La princesse Sparkle ne m’a rien envoyé, j’aurais pourtant été heureuse d’avoir de ses nouvelles.

— Je suis sûre qu’elle voudra bien que tu m’accompagnes. » Diane eut l’air effrayée.

« Oh non non non, il serait fort inconvenable de se présenter à notre princesse sans lui avoir demandé son accord avant.

— Twilight est notre amie Pinkie… » Diane se racla la gorge en entendant ce nom. « Oh excuse-moi, Diane.

— Que la princesse Sparkle soit notre amie ou non, nous ne pouvons pas nous inviter comme ça chez les gens », dit  la jument rose avec un coup ferme sur la table, ce qui fit tinter les tasses. « Excuse-moi, je me suis emportée et négligé mon hospitalité, puis-je te servir un autre café pour me faire pardonner ? » La licorne hocha la tête.

« Volontiers. » La jument rose se leva de chaise, gardant la tête et une posture bien droite et relevée. Elle ne servit pas le café à la gueule, mais avec les sabots, comme tout bon serveur de la capitale. « Tu ne t’ennuies pas ici à Canterlot ?

— Du tout », répondit-elle avec un léger gloussement. « La métropole est très intéressante et chaque jour y est fabuleux. D’ailleurs, j’ai entendu dire que le célèbre Pretty Vuiton a quitté la haute sphère de la mode. » Elle jeta un regard outragé à Rarity. « Tu y crois toi ? Un des célèbres couturiers dont tu t’inspires a décidé de tout laisser tomber, n’est-ce pas malheureux de voir ça ?

— Si, si, affligeant je dirais… » répondit Rarity, à moitié distraire.

« Quelque chose te tracasse ? » interrogea l’hôte inquiète. Rarity ne dit rien, prenant le temps pour choisir ses mots, pour rester la plus diplomate possible. Pour ne pas faire peur à la jument rose.

« Es-tu vraiment bien ici ? » L’inquiétude fit place à un sourire.

« Bien sûr ma chère, on ne peut mieux.

— Et pourquoi es-tu ici ? » Diane écarquilla légèrement les yeux avant de reprendre une attitude neutre.

« J’avais… simplement envie de changer d’air.

— Tu es sûre ?

— Oui ! » affirma-t-elle fermement. Rarity attendit que la tension baisse en touillant à nouveau dans sa tasse, les yeux baissés pour ne pas paraître impolie avec son hôte. Les minutes passèrent et la ponette rose n’avait toujours pas brisé le silence.

« Es-tu sûre… que ça n’a aucun rapport avec Fluttershy ?

— J’ai oublié de te proposer un sucre pour ton café, en souhaites-tu un ?

— Pinkie !

— C’est Diane ! » Elles se fusillèrent du regard aucune ne voulait perdre la face contre l’autre. Rarity devenait désobligeante, mais il fallait parfois se salir un peu. Diane finit par baisser les yeux. Tournant sa cuillère dans sa tasse, elle dit.

« Ce qui est arrivé à Fluttershy est très triste. Je conçois être pointée du sabot de ce qui lui est arrivé. Mais je ne voulais pas que ça se passe comme ça…

— Bien sûr Diane, ce qui est arrivé à Fluttershy est un accident, mais ce sont des choses qui arrivent, il n’y a pas à prendre ce genre de décision extrême.

— Cette décision est parfaitement réfléchie ! Ce n’est pas une chose que j’ai prise à la légère. C’était un accident, mais j’en suis quand même l’entière responsable. » Sa voix commençait à trembler, elle ferma les yeux pour tenter de cacher ses larmes. Elle se sentait coupable, et c’était bien normal, mais Rarity n’allait pas la blâmer pour autant.

« Souhaiterais-tu qu’on en parle ? » Diane gardait les yeux baissés, incapable d’affronter le regard accusateur de la licorne. Relevant la tête, elle vit que Rarity n’était aucunement en train de l’accabler, tout le contraire.

« Ça partait d’une bonne intention après tout. Une simple surprise, comme j’en avais l’habitude…

— Oui », acquiesça la licorne en voyant la ponette enfin desserrer les lèvres. « Ce n’est pas ta faute au final…

— SI ! » coupa-t-elle en dégageant une mèche de crin qui s’était dérobée de son nœud. « Si je n’avais pas été aussi… insouciante, Fluttershy ne m’en voudrait pas autant.

— Elle ne t’en veut pas, tu sais ? » Diane leva un sourcil. « Sur le coup de l’émotion, elle a pu être brusque avec toi, mais elle ne pensait pas un mot de ce qu’elle a dit. Elle veut te revoir aussi Pinkie.

— C’est Diane ! » répéta-t-elle une énième fois de la journée. « Je ne te crois pas, tu n’étais pas présente quand c’est arrivé… Si j’avais été plus vigilante, ça ne serait pas arrivé.

— Ce qui est fait est fait Diane, on ne peut pas revenir sur le passé, c’est comme ça. Il faut vivre avec ça et continuer comme on l’a toujours fait.

— C’est ce que je fais…

— Non ! » dit la licorne en frappant à son tour sur la table. « Tu te caches ici, à Canterlot. Tu nous laisses sans nouvelles, sans nous dire où tu es. C’est Twilight qui a appris où tu habitais, je suis venue aussi vite que j’ai pu pour te trouver ici, l’air de rien. Es-tu au courant que nous étions toutes très inquiètes ?

— Je m’en excuse, je voulais juste attendre avant de vous donner des nouvelles. Mais je ne partirai pas d’ici !

— Mais puisque je te dis que Fluttershy ne t’en veut pas.

— Ce n’est pas juste pour Fluttershy. » Les larmes lui coulaient le long des joues, dégageant d’autres mèches roses qui étaient tombées de son nœud, elle reprit d’un ton tremblant. « Je n’ai jamais rien pris au sérieux, tout était question pour rire et plaisanterie. Et maintenant, je réalise à quel point j’étais dangereuse pour moi et pour vous.

— Pinkie.

— C’est Diane ! » La licorne se pinça les lèvres pour éviter de hurler.

« Ce n’est pas toi… tout ça », dit-elle en faisant un geste ample de la pièce « Mais regarde-toi voyons ! Tes paroles… ton accoutrement… » La licorne retenait à chaque fois ses dires, ne voulant pas risquer d’être plus désobligeante qu’elle ne l’était déjà. « Nous voulons revoir notre Pinkie.

— Cet accident… Fluttershy... Je ne ferai jamais plus l’ancienne Pinkie.

— Mais c’est elle que nous voulons !

— En voilà assez ! » Diane se leva brusquement de sa chaise avant de se placer de l’autre côté de la pièce et de pointer la sortie à Rarity. « Vous n’avez pas à décider pour les autres ! Je suis désolée, mais je vais vous demander de partir.

— Mais Pinkie… » La ponette rose repointa la sortie, plus fermement cette fois-ci, en fermant les yeux et en relevant le menton bien haut. Rarity, comprenant que la discussion n’était plus possible se leva de sa chaise. Ses tentatives de décrocher un regard de la jument rose furent un échec. Devant la porte, la licorne risqua une dernière parole.

« Tu nous manques… On ne t’abandonnera pas comme ça.

— Bonne journée Miss Rarity. » Et elle ferma la porte sur son invitée.

Elle ne pouvait pas laisser la vaisselle sur la table, il n’était pas convenable d’accueillir des poneys avec du désordre dans la pièce. Levant le plateau sur son dos, elle se dirigea vers la cuisine, mais se prit les sabots dans sa robe et tomba sur le sol sans pouvoir se retenir.

La porcelaine neuve brisée sur le sol, une ponette rose avec un cœur dans le même état leur tenait compagnie. Elle n’arrivait plus à se retenir de pleurer. Même quand elle voulait bien faire les choses, elle arrivait encore à faire des bêtises.

Se relevant maladroitement, elle se retrouva face à son reflet dans le miroir du buffet. Son maquillage bavait sur ses joues, sa chemise ainsi que sa jupe longue était recouverte de café et abîmée à certains endroits. Son nœud avait laissé s'échapper plusieurs mèches de crins. L’hôte de maison avait une tenue inconvenable, et ne ressemblait plus à ce qu’elle se prétendait.

S’accoudant sur le buffet, elle laissait ses larmes couler, imaginant sa vie si elle n’avait pas fait cet accident, le jour où elle a marché sur un papillon.