Chapitre 22 - Contre-Jeu

"Crois-tu sincèrement que ce genre de poneys existe encore aujourd'hui ?"

"Il n'y a pas que du bon ou du mauvais en chacun... Tu devrais t'en souvenir, grande sœur."

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Side faisait les cent pas dans sa tente, encore une fois, cherchant une solution. Il fallait qu'elle marche pour réfléchir correctement, c'était presque indispensable. Tout n'allait pas comme prévu. Bien sûr, que l'Empire Solaire perde autant de troupes, au point de s'en retrouver à un stade ou la Nouvelle République Lunarienne pouvait bien prendre le dessus, était une très bonne chose en soit. La pseudo-égalité des armées était idéale pour encore plus brouiller la guerre et finir les trois factions. Il restait environ dix mille soldats à l'Empire, huit mille à la Nouvelle République, et cinq mille presque tout pile à l'Armée de Discord.

D'après ses informations, chacune des trois factions accélérait son recrutement, pour tenter de prendre le dessus.

Mais le plan de la jument rose foncé capotait, et cela ne lui plaisait pas. D'abord l'attaque de Canterlot qui avait été un massacre à sens unique. Ensuite, ses deux mille soldats qu'elle avait menés à l'abattoir comme elle l'avait prévu, mais cette alliance entre Screwball et la Nouvelle République ne présageait rien de bon, même si elle n'avait duré que le temps d'une bataille.

Même si pour l'instant, tout jouait en sa faveur, elle aurait préféré que les choses se passent selon son plan, au lieu de se retrouver avec cette situation qui lui donnait l'impression de mal voir venir les choses et de ne plus rien contrôler.

Elle continuait toujours sa méthode de désinformation qui semblait bien payer, et elle sentait que chaque faction qu'elle renseignait commençait à avoir des doutes sur sa fiabilité. Si tant est qu'il fût possible pour Screwball d'avoir plus de doutes sur Side qu'elle n'en avait déjà.

Et avec ça, Screwball repartait au nord pour se mettre en retrait. Elle était vraiment trop imprévisible.

"Générale," fit un soldat en entrant dans la tête, saluant respectueusement la jument à la crinière noire qui arrêta de tourner en rond, regardant l'arrivant. "Screwball demande à vous voir."

"Je te suggère de ne plus jamais oublier son titre lorsque tu parles d'elle. On dit « Sa majesté Screwball »." répliqua Side d'un ton glacial, avant d'ajouter dans ses pensées : "Quand on parle du Timberwolf..."

"V-Veuillez me pardonner," s'excusa le soldat.

"Ça ira comme ça," fit la jument d'un air exaspérée, secouant un sabot nonchalant. "Du vent."

Le soldat s'exécuta et sortit de la tente en inclinant la tête.

Elle finissait presque par aimer ce rôle de générale froide et dur. Mais cette convocation soudaine pouvait signifier deux, et seulement deux, choses : elle avait été découverte, ou bien Screwball avait de nouveaux plans.

La première option pouvait être écartée. Side avait eu confirmation grâce à la bataille de Canterlot que Screwball possédait un plan. Au début, la jument avait cru que la pouliche lui avait menti, afin que Side transmette des informations à l'Empire Solaire pour que Screwball ait le champ libre. Mais elle avait dit la vérité, Screwball avait vraiment un plan. Donc Side n'était pas encore soupçonnée, du moins pas assez pour que la pouliche en tire avantage.

Dans cette situation, il avait été préférable à Side de ne rien faire par conséquent. Si l'Empire Solaire s'était replié, la pouliche aurait eu des doutes quant à la provenance des informations, et cela serait retombé sur Side.

La jument soupira de fatigue, les journées commençaient à être longues, il lui fallait penser à tout un tas de choses, de possibilités, et son stress ne faisait qu'empirer depuis que son plan se révélait bancal.

Elle enfila son armure légère grise, symbole de son rang au sein de l'armée. Le métal froid dissimula ce corps rose foncé et cette cutie mark représentant une cape noire comme la nuit avec deux capuches se faisant face. Seules les pattes n'étaient pas entièrement recouvertes, ainsi que son visage et sa longue crinière noire. Au milieu du gris de son casque et du noir de son crin, ses yeux bleu marine semblaient comme deux océans isolés dans le vide.

Elle sortit de sa tente, se dirigeant vers celle de Screwball, plus loin, vers le centre du camp. D'habitude elle ne portait pas son armure lors de tels déplacements, ce n'était pas son genre et même une armure aussi légère que la sienne la gênait énormément. Mais depuis peu, Screwball exigeait de les porter lorsqu'ils, les généraux, étaient convoqués, sans plus de raisons.

À bien y réfléchir, peu de généraux portaient leurs armures en permanence. Storm ne se privait jamais de l'arborer, cette belle armure dorée. En fait, Side ne l'avait jamais vu sans.

Tree portait la sienne un peu plus souvent depuis son affrontement avec Spike, probablement que ses brûlures auraient été moins graves s'il en avait porté une ce jour-là.

War lui ne portait presque jamais la sienne. Quand on lui demandait pourquoi, il se contentait de dire que c'était comme ça qu'on lui avait appris à se battre.

Screwball n'en portait pas non plus. La seule chose qu'elle arborait en permanence était ce ridicule chapeau à hélice pour enfants. Peut-être faisait-elle ça pour aller avec son apparence ?

Et les autres généraux-en-chef... Side frissonna rien qu'au rappel de ces deux figures. Elle avait vu les deux, et elle espérait bien ne jamais les revoir, surtout que ça ne risquait pas pour celui de la Nouvelle République. Mais une chose était sûre : ces poneys-là n'étaient pas comme les autres quand il s'agissait de combattre, et ils restaient redoutables, avec ou sans armures, mais également avec ou sans armes.

Side entra dans la tente de Screwball. Rien ne s'y trouvait hormis la pouliche, et deux gardes postés autour d'une table recouverte d'un voile posée tout au fond de la tente. Cela étonna quelque peu Side, qui s'attendait à voir les autres généraux ici également. Immédiatement, la possibilité que ce soit la première option, à savoir que son jeu d'espionne ait été découvert, lui vint en tête et elle se tint à l'affût du moindre signe.

Pourtant, la pouliche, qui faisait face à la table voilée une peu plus grande qu'elle, le voile formant par ailleurs d'étranges formes, se retourna vers elle avec un grand sourire, annonçant d'une voix joyeuse :

"Je crois que j'ai quelque chose qui va te plaire Side !"

La jument arqua un sourcil alors que Screwball lui fit signe d'approcher. Side s'avança prudemment, redoutant un quelconque piège. L'avantage d'être en armure, c'est qu'elle possédait également son arme. Si cela tournait mal, elle pouvait tenter d'emporter la pouliche avec elle.

Elle s'approcha jusqu'à être derrière la pouliche, mais celle-ci insista pour que Side vienne plus près. Avec une méfiance dissimulée, elle se plaça à côté de Screwball qui lui sourit, avant de tourner la tête vers la table et de se placer sur le bord le plus long. Prenant appui avec ses pattes avant sur le bord de la table, d'un geste elle souleva le voile qui recouvrait le seul meuble de la tente.

Il n'était pas rare que Screwball se serve de Side comme défouloir, un moyen de s'amuser en taclant de temps en temps la jument sur certains sujets, faisant des sous-entendus. Mais c'était dans le caractère de la pouliche et ne montrait en rien qu'elle soupçonnait Side.

Cependant, ce que la table dévoila fut la dernière chose que Side s'attendait à voir ici. Non, en fait c'était la dernière chose qu'elle avait prévu de voir ici !

Solidement sanglé et bâillonné, Sinuous Path, le frère de Side, était totalement immobilisé sur la table, face à sa sœur.

Cette dernière écarquilla les yeux de surprise face à Sinuous qui se contentait d'afficher une mine dure et déterminée, jouant le rôle de celui qui venait d'être capturé malgré lui.

"On a finalement trouvé d'où venaient les fuites d'informations," annonça Screwball en souriant à Side, comme une pouliche qui se montre fière devant ses parents.

Side tourna brusquement la tête vers la pouliche, semblant se souvenir subitement de son existence. Colère, incompréhension, haine et enfin tristesse. Toutes ces émotions se mélangeaient petit à petit dans la jument.

"Quelques espions étaient restés plus fidèles à lui qu'à toi," continua la pouliche. "Pardonne-moi d'avoir douté de toi."

Side ferma les yeux et rehaussa légèrement son casque, ce qui eut pour effet de laisser tomber une mèche de crinière devant ses yeux, cachant son regard. Il ne fallait pas que Screwball voie ses yeux, ils la trahiraient. Elle reporta son regard voilé sur son frère qui n'avait pas bougé, la regardant dans les yeux.

"Pourquoi m'avoir fait venir ?" demanda-t-elle en serrant les dents.

"Eh bien, en tant que chef de notre réseau d'espionnage, je pensais que cette donnée t'intéresserait. Et puis..."

Elle tourna son regard vers l'étalon.

"Je me disais que tu avais un compte à régler avec lui, non ? Après tout, tu es celle qu'il a le plus bernée."

Screwball ponctua sa phrase d'un petit rire. Elle approcha son sabot de la tête de Sinuous. Qu'allait-elle lui faire ? Side avait déjà vu Screwball torturer plusieurs poneys, et ses méthodes pouvaient aller à l'extrême. Mais là, c'était son frère ! Elle ne pouvait pas le laisser se faire tuer ainsi !

"Voyons voir ce qu'il a à te dire," ajouta Screwball, ce qui eut pour effet de rassurer Side.

Elle ôta le bâillon de Sinuous, mais ce dernier ne parla pas pour autant, fixant toujours Side.

"Allons, tu ne dis rien ?" commenta Screwball en touchant du sabot la patte de Sinuous.

Lentement, elle commença à presser la patte. On entendit des craquellements indiquant que l'os était en train de se briser, mais il ne se céda pas. À la place, ce fut Side qui céda, se mettant à hurler :

"Pourquoi tu as fais ça !?"

Screwball s'arrêta dans son geste et relâcha la patte de Sinuous. Ce dernier prit un air méprisant et dit :

"Faire quoi ?"

"Me trahir ! Me désobéir ! Alors que je te faisais confiance !"

Il partit dans un grand rire. Il surjouait. Il le fallait. C'était leur dernier échange, mais il ne fallait pas que Screwball, dont le regard alternait entre eux deux, comprenne le sens caché : celui de deux poneys liés par le sang qui se font leurs adieux.

"Comme si je pouvais obéir à l'ordre que tu m'as donné ! Tu as été trop naïve, ma pauvre. Voilà pourquoi j'ai divulgué les informations de l'Armée de Discord !"

Alors c'était donc ça ? Il voulait porter le chapeau à la place de Side ? Se faire accuser à sa place ? Side dut retenir ses larmes face à cette stupidité touchante de la part de son frère. Oui c'était de la stupidité, elle n'avait pas d'autres mots pour le décrire à cet instant. Elle ne pouvait pas être sauvée. Son plan allait continuer. C'était fini. Il n'était pas censé mourir, il aurait dû survivre. Mais comment le pouvait-il maintenant ? Et plus important :

"Tu aurais dû rester avec les tiens," grommela Side de mécontentement, car elle était effectivement mécontente de l'attitude de son frère malgré ce qu'elle lui avait dit. Il aurait dû rester et guider la résistance. "Cela t'aurait évité de mourir bêtement."

"Oh, ne sois pas si méchante !" intervint brutalement Screwball. "Au final, cela nous a bien arrangés que l'Empire soit au courant de notre attaque. D'ailleurs, je ne sais pas si tu es au courant, mais il fait parti de la résistance !"

Là, c'était pire que tout. Screwball savait.

"Ne comptez pas sur moi pour être là à l'interrogatoire," fit Side.

"Oh mais il n'y en aura pas, je te rassure. Je n'ai pas besoin d'informations sur la résistance, puisqu'elle n'existe plus."

"Qu'entendez-vous par là !?" demanda Sinuous.

"La Nouvelle République s'est occupé de ça juste avant notre petit accord," ricana Screwball. "Et ils ne sont pas du genre à laisser des fuyards."

Side commença à être prise d'indicible tremblements, preuve que l'enchaînement de tous ces événements commençait à être trop pour elle.

"Bref, passons à l'exécution," sourit Screwball en remettant le bâillon de Sinuous.

C'était fini. Il ne pourrait plus rien dire. Pourtant Side avait tant de choses à lui dire. Mais c'était trop tard, et elle ne pourrait pas endurer cette vision de son frère se faisant tuer par cette pouliche. Soit elle dégainait son arme et tentait d'abattre Screwball, soit elle la laissait faire et gardait sa place au sein de l'armée. Elle pouvait avoir l'avantage de la surprise. De plus, un des soldats présent était un espion, prêt à lui prêter sabot fort.

Son frère ou Equestria ? Le choix fut pris, tout comme son frère avait pris le sien. Elle tourna les sabots et commença à partir.

"Allons Side, ce poney t'as fait du mal, tu pourrais au moins rester."

"Je n'ai pas que ça à faire de regarder la mort de cette chose. La résistance est tombée, je dois informer mes espions de se concentrer sur autre chose de plus..."

"Siiide," murmura la voix de Screwball dans son dos. "Serais-tu en train de partir sans me demander mon avis ?"

Le ton était horrible, presque démoniaque, et Side stoppa net son mouvement, un frisson parcourant son échine. La peur qui transita en elle à l'audition de cette voix fut telle qu'elle eut comme l'impression que sa vie allait prendre fin dans quelques instants. Des gouttes de sueur perlèrent sur son front, coulant le long de sa mèche, tombant au sol.

Elle se retourna et dit d'une voix tremblante :

"Veuillez m'excuser majesté. Revoir Sinuous m'a légèrement bouleversée, et je n'ai pas accordé assez d'attention à ce que je faisais."

"Tu es excusée," reprit Screwball d'un ton léger, se hissant sur la table. "Maintenant, regarde bien."

Elle se positionna en face de Sinuous, sa tête à quelques centimètres de la sienne, les yeux dans les yeux. Sinuous la défiait du regard, et elle se contentait de sourire face à tant de témérité et à l'exécution prochaine.

"Tu sais, j'ai beaucoup apprécié te traquer," fit-elle en tapotant un peu de son sabot sur la table.

Un craquement sourd indiqua que le tibia de Sinuous venait de se briser. Side eut un spasme de colère, mais son frère se contenta de serrer son bâillon aussi fort qu'il le pouvait.

"Quand j'ai appris que l'Empire Solaire t'avait aussi banni comme traître, j'ai trouvé ça plutôt amusant," continua-t-elle d'un ton léger tout en donnant un nouveau coup qui rompit le deuxième tibia du poney qui tint bon.

"Oh, on ne veut pas crier ?" fit-elle avec une fausse tristesse tout en lui cassant la patte avant. "Allez, crie un peu, sinon je te briserai chaque côte une à une."

La deuxième patte avant fut brisée, et en même temps trois côtes et une vertèbre. Sinuous ne put s'empêcher de hurler dans son bâillon. Side se raidit. Qu'est-ce qui l'empêchait actuellement d'agir ? Elle avait toutes ses chances. Elle n'avait plus rien à perdre. Non ! Il fallait qu'elle pense encore de manière rationnelle. Il restait encore la résistance, même si le QG avait été attaqué, il restait la partie nord avec Spike. Elle avait encore son rôle à jouer dans cette guerre, et ce jusqu'au bout. Autant profiter de l'alibi que Sinuous lui donnait. C'est ce qu'elle essayait de se convaincre, mais subrepticement, sa tête penchait légèrement vers son épée.

"Hé ben voila !" se réjouit Screwball.

Elle se pencha et chuchota à l'oreille de Sinuous, de manière à ce que Side ne l'entende pas :

"J'ai trouvé ça intéressant que tu sois dans la résistance. Comme ta chère sœur, Side."

Sinuous écarquilla les yeux. Mais la pouliche continua avec un tout petit rire :

"Ton plan n'a servi à rien, elle mourra de toute façon. Mais pas ici, pas ce soir, et pas de mon sabot."

Elle replaça sa tête en face de lui. Il voulut hurler, qu'au moins sa sœur se rende compte que quelque chose n'allait pas, à défaut de pouvoir lui crier clairement. Mais déjà la pouliche donna un dernier coup de sabot, qui eut pour effet de compresser le crâne de Sinuous, le tuant sur le coup.

Elle resta quelques secondes face à cette tête aux orifices dégoulinant de sang, puis elle rit. Elle rit à gorge déployée. Derrière elle, Side serra les dents à se les casser. Elle n'avait rien pu faire. Rien.

Le soldat espion, qui avait entendu les chuchotements de Screwball, regarda Side dans les yeux et cligna deux fois des yeux, suivit d'un petit coup de sabot sur le sol. Un code, qui avait à la base été mis en place par Sinuous, qui lui indiquait que sa couverture avait été compromise. Elle n'y prêta pas attention dans sa tentative de contenir sa rage.

Cependant, Screwball s'arrêta de rire et tourna lentement son regard vers le soldat en question. Il tentait d'afficher un regard neutre et formel, mais la pouliche avait repéré son mouvement. Elle regarda tour à tour le soldat, puis Side qui avait toujours le regard caché par son crin. Avec un grand sourire, la pouliche descendit calmement de la table où gisait le cadavre de Sinuous, et s'approcha du garde.

Une fois devant celui-ci, elle lui fit signe d'approcher la tête. Celui-ci obtempéra en baissa la tête, l'approchant à hauteur de celle de Screwball.

Elle lui souleva délicatement le menton d'un sabot avant de, à la grande surprise du soldat, l'embrasser doucement.

Mais ce baiser n'avait rien d'agréable. Le garde commença à hurler, ses cris étouffés par le baiser de Screwball. Il avait l'impression que ses organes fondaient un peu plus à chaque seconde, et c'était sans doute le cas. Il chercha à se débattre, mais il était comme paralysé, incapable de s'en sortir, impuissant face à elle.

Après dix secondes de hurlements interminables, la pouliche détacha légèrement ses lèvres de celles du soldat. Ce dernier s'effondra au sol, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte et fumante. Mort.

Screwball resta un moment dans la même position, toujours le sabot levé. Elle inspira lentement, profondément et calmement, semblant ailleurs, les yeux légèrement révulsés et secoués de spasmes, avant de dire :

"Le prochain à faire du bruit subira la même chose."

Les deux seuls autres poneys encore vivants dans la salle, à savoir Side et le soldat, restèrent immobiles et muets comme des tombes.

La rage de la jument était indescriptible. Elle voulait tuer cette pouliche, la faire hurler de douleur, venger son frère et ce soldat qui avait été tué sans qu'elle ne sache pourquoi, et elle ne pouvait rien faire ! La seule chose qui la maintenait encore à la réalité était la douleur que provoquait le saignement intérieur de sa joue qu'elle s'était mordue volontairement pour ne pas céder à ses pulsions. Mais son esprit restait embrumé par la colère, sinon elle aurait compris pourquoi Screwball avait tué ce soldat : parce qu'il avait tenté de prévenir Side.

Screwball resta un moment à se délecter de ce qu'elle venait de faire. Jamais elle n'aurait pu prévoir autant de bons événements pour cette soirée. L'arrivée de cet idiot de Sinuous pour tenter de sauver sa sœur était encore mieux que tout ce qu'elle pouvait espérer. Ce désespoir dans les yeux de Sinuous quand elle lui avait annoncé que son sacrifice était vain. La haine et la souffrance de Side qu'elle pouvait ressentir même en lui tournant le dos, tout cela apportait à Screwball un intense plaisir. Et elle n'avait pas encore fini.

Elle fit volte-face et s'approcha de Side, semblant dans un état second, les yeux dans le vague. Elle s'assit devant la jument qui ne baissa même pas le regard, toujours fixé sur le corps de son frère.

Screwball leva une patte et la posa doucement sur le torse en armure de Side. Instantanément, l'armure se fissura et éclata en mille morceaux. Casque, plastron, jambières, tout fut réduit en poussière en un instant. Le temps que Side réussisse à comprendre la réalité de cet instant, et qu'elle devait pour l'instant abandonner sa rage car quelque chose d'imprévu s'était produit, Screwball lançait déjà en dodelinant légèrement de la tête :

"Alooors ? Ça fait quoi de voir sa seule famille mourir sous ses yeux ?"

La pouliche gloussa, portant ses deux sabots à sa bouche, puis elle tomba sur le dos, riant aux larmes.

Side fronça les sourcils, comprenant immédiatement. Elle savait. Screwball le savait. Peut-être même qu'elle l'avait toujours su. Cette saloperie l'avait forcée à regarder la mort de son propre frère pour le simple plaisir de la voir souffrir ! Instinctivement, n'ayant plus aucune arme sous le sabot, Side leva ses pattes pour les abattre sur la pouliche, mais un éclair vert l'aveugla temporairement et elle se retrouva avec une épée sous la gorge, et une corne sur sa joue.

À sa droite, Storm, épée en bouche, qui la regardait avec toute la haine qu'il accordait aux traîtres, et à sa gauche, Tree, corne braquée sur elle, qui avait un petit sourire en coin, attendant ce moment depuis longtemps.

"Pas de ça, traîtresse !" grommela le général pégase, renforçant l'appui de son épée contre sa gorge.

De nouveau, Side réagit instinctivement et recula, mais à peine eut-elle fait un pas en arrière qu'elle sentit un lourd métal froid dans sa nuque.

"Un peu tard pour se replier Side," se moqua War qui tenait fermement sa masse d'arme dans la bouche, prêt à briser le cou de la jument.

Elle était piégée, désarmée entre ces trois généraux prêts à l'abattre dans la seconde si elle tentait quoi que ce soit.

Le silence se fit. Uniquement brisé par la pouliche qui ne cessait de rire, se roulant sur le sol, pleurant de rire.

Side montra les dents en un grognement. Elle avait échoué face à cette petite folle qui se moquait d'elle.

Screwball mit plusieurs secondes à calmer son rire et sécher ses larmes. Elle se mit en position assise devant Side et la regarda dans les yeux, souriant toujours avec quelques hoquets de gloussement, la voix déformée par son euphorie.

"Je dois avouer que ça a été drôle de déterminer dans quel camp tu étais. Au début, j'ai pensé à la Nouvelle République puisque cela convenait à ton caractère. Mais après la fuite de Sinuous, j'avais d'ailleurs compris qu'il était ton frère depuis cette fameuse nuit qui a fait jaser les autres soldats quant à votre relation, lorsqu'il a été vu sortant de ta tente au petit matin, et j'ai cru que tu étais avec lui dans l'Empire. Puis j'ai appris l'existence de la résistance, et j'ai eu des doutes, qui ont été confirmés lorsque ton frère a été démasqué comme espion de la résistance par l'Empire."

Tout en parlant, la pouliche s'était calmée. Elle regardait à présent Side avec un air amusé devant sa réaction.

"Alors jamais tu n'as cru à ma loyauté !?" s'énerva Side qui comprenait qu'elle s'était fait avoir depuis le début.

"Pas un seul instant !" se moqua Screwball. "Dès le moment où tu as rejoins l'armée, j'ai su que tu cachais quelque chose. Tout ceci n'a été qu'un jeu pour voir à quel point tu pouvais devenir un jouet amusant. Et je te félicite, ce fut un réel plaisir, et tes interventions furent très profitables à l'armée."

"Espèce de sale petite..." commença Side, mais la pouliche tapota doucement son sabot et la patte arrière de Side se cassa net dans un horrible craquement, faisant se cabrer en arrière la jument, ouvrant la bouche dans un cri de douleur muet.

"Oh Side," s'étonna Screwball avec une fausse tristesse. "La mort de ton frère t'a affectée à ce point pour que ton esprit soit autant affaibli ? D'ordinaire, cela ne marche pas contre toi."

Les généraux se resserrèrent autour de Side. Si elle faisait de nouveau un mouvement brusque comme à l'instant, elle serait abattue immédiatement.

"Que fait-on d'elle ?" demanda la licorne verte avec un petit ricanement.

"Le sort pour les traîtres est la mort," rappela le pégase à la crinière de feu.

Screwball se retourna et s'avança légèrement dans la tente. Les quatre généraux, ou plutôt les trois et l'ancienne, regardaient le cou de Screwball en attente d'une réponse.

Cette dernière porta son sabot à sa bouche et le lécha, il restait un peu de sang de Sinuous qui avait été expulsé lors de la compression de sa boite crânienne. Puis elle dit finalement :

"Laissez-la partir."

Stupeur. Pour les quatre.

"M-Mais, majesté..." commença Storm en s'énervant de cette injustice. "Les traîtres méritent..."

"Essaye seulement de la tuer," interrompit la pouliche d'une voix froide. "Et tu seras considéré comme un traître également."

Le pégase écarquilla les yeux. Il serra son épée dans ses dents pour contenir son envie d'enfoncer sa lame dans la gorge de Side.

"Laissez-la partir," répéta Screwball.

Les trois généraux s'écartèrent immédiatement de Side. Il ne fallait jamais, absolument jamais, forcer Screwball à se répéter. Side put enfin respirer. Elle se massa son cou qui avait été marqué par l'épée de Storm tellement il l'avait pressé fort contre elle.

"Pourquoi ?" demanda Side qui était toujours énervée.

"Ne pose pas de questions inutiles Side. J'ai fini de jouer avec toi. Retourne donc mener les restes de ta résistance, peut-être qu'ils seront un défi intéressant si c'est toi qui les dirige. Va-t'en, tout de suite."

Side regarda le corps de la pouliche qui lui tournait le dos. Elle aurait dû la tuer quand elle le pouvait. Maintenant que sa patte arrière était cassée, elle n'avait aucune chance de l'atteindre avant que les autres n'interviennent. Mais elle fit volte-face, croisant le regard d'un Storm haineux. War s'écarta doucement de son chemin pour la laisser sortir en boitant de la tente, restant méfiant envers la jument bien que désarmée.

Au moment même où elle franchit la toile qui la séparait de l'extérieur, une voix s'éleva de la tente. La voix de Screwball, et elle résonna dans tout le camp, transperçant le crépuscule.

"Soldats. La générale Side Place nous a trahi. Elle est par conséquent renvoyée de l'armée et destituée de tous ses titres. Cependant, je vous ordonne de la laisser sortir du camp sans la tuer ou la blesser gravement. Ce sera tout."

Les regards des dizaines de soldats présents, qui vaquaient alors à diverses occupations de restauration et d'entretien d'équipement, se braquèrent en même temps sur la jument qui venait de sortir de la tente.

Side serra les dents. La sortie s'annonçait difficile.

Un véritable couloir de soldats se forma pour laisser passer Side, qui le remonta de son pas boitant. Tous la huaient, la traitaient de tous les noms, proférant des insultes débordantes d'une imagination qui montrait que certains avaient dû attendre ce moment pendant longtemps.

Screwball avait ordonné qu'elle ne soit pas blessée gravement, et certains comprirent par là que les blessures légères ne seraient pas sanctionnées. Alors ce fut tout d'abord une première pierre lancée sur le flanc de la jument, puis s'ensuivit toute une ribambelle de cailloux, morceaux de bois et autres projectiles, certains lançant même leurs assiettes contenant encore de la nourriture, entachant le pelage rose sombre et la crinière noire de la jument.

Un objet toucha la patte arrière de Side, pile là où l'os avait été brisé. Elle chuta sous le coup, tête la première sur le sol. Elle se releva avec difficulté, tremblante, tentant de retenir ses larmes. C'était fini pour elle, son plan était totalement tombé à l'eau, la résistance avait été anéantie par la Nouvelle République, sa position de contrôle dans l'Armée de Discord compromise, et son frère, ce frère qu'elle avait eu tant de mal à retrouver, était mort sous ses yeux alors qu'elle aurait pu le sauver. Il était mort pour rien.

Elle sortit du long corridor de soldats, et les huées lui parvinrent encore plusieurs dizaines de mètres après.

Elle avança, toujours boitant, vers le nord. Si le QG était tombé, la base au nord devenait, selon ses propres instructions, le nouveau point de ralliement de la résistance. Marchant seule, dans les plaines, la nuit étendant son manteau d'ombre sur Equestria, elle trouva un arbre solitaire. Elle s'assit devant en posa sa tête contre, se relâchant enfin, pleurant à chaudes larmes tout ce qu'elle avait perdu. Ses lamentations résonnèrent pendant plusieurs minutes dans la plaine, s'entendant à des centaines de mètres à la ronde.

Après un long moment, elle releva la tête et s'essuya doucement ses joues et ses yeux d'un sabot, reniflant à de nombreuses reprises. Tout n'était peut-être pas perdu. Il restait un espoir pour Equestria.

Un cadavre atterrit soudainement juste à côté d'elle, comme projeté par une quelconque force. Side sursauta, dirigeant son regard vers le corps. En armure, un soldat de l'Armée de Discord. Un battement d'aile se fit entendre derrière elle, puis une voix masculine monta à quelques mètres dans son dos. Probablement la voix qu'elle avait le moins envie d'entendre en cet instant. Une voix qu'elle avait espéré ne plus jamais entendre. Son poil se hérissa de peur, et ses yeux s'agrandirent.

"Alors maintenant, tu laisses des espions te suivre aussi facilement ?" sourit la voix, se rapprochant clairement d'elle. "Tu as bien régressé, et dire que je plaçais tant d'espoir en toi, ma petite Side adorée."

Le poney était derrière elle, à quelques centimètres à peine, mais elle n'osait se retourner pour le regarder. Doucement, elle sentit des sabots l'enlacer. De gros sabots blancs. Le poney s'était assis derrière elle, et la serra délicatement dans ses pattes.

Comme un père.