Petit poney chaleureux,
Quand tu descendras des cieux,
Avec tes jouets en gros,
N’oublie pas mes petits sabots.
Chanson traditionnelle de la Veillée Chaleureuse.
Un halo vert entoura la trappe d’accès au grenier qui s’ouvrit en grinçant. Passant d’abord la tête par l'interstice, puis son corps tout entier, Lyra Heartstrings se dit qu’elle devrait huiler les gonds un de ces jours. Tout en sachant très bien qu’elle ne le ferait jamais.
La licorne avait une fâcheuse tendance à procrastiner.
Et ce n’était pas le temps qui la pousserait à s’agiter : Ponyville était recouverte d’un épais manteau blanc qui donnait plus envie de se calfeutrer devant la cheminée que de faire autre chose.
Lyra leva le museau, cherchant la lampe des yeux. Elle l’aperçut, se dressa sur ses pattes arrière pour saisir le cordon en gueule, et tira. La réaction fut immédiate et l’étincelle enflamma le gaz. Lyra plissa les yeux alors qu’elle réglait l’intensité de la flamme. Elle voulait voir devant elle, mais mettre le feu au grenier de Bonbon n’était pas vraiment dans ses idées.
C’était d’ailleurs pour la terrestre – ou à cause d’elle, ça dépendait comment on considérait la chose –, que Lyra se retrouvait à fouiner dans les combles. Pour les Veillées Chaleureuses, Bonbon tenait absolument à mettre une petite statuette sur le fronton de la fenêtre. Une tradition familiale.
Sauf que chaque année, au Nettoyage d’Hiver, elle rangeait la statuette dans le grenier qui était dans un fatras pas possible et quelques mois plus tard, il fallait la ressortir.
Lyra avait plusieurs fois proposé à Bonbon de laisser toujours la statuette à la fenêtre, ou au moins de la garder à portée de sabot, mais sa compagne avait été inflexible. Les traditions, c’étaient les traditions.
La licorne était moins difficile pour les coutumes de la Veillée. Les décorations, les cadeaux, passer du temps avec ceux qu’elle aimait, ça lui suffisait amplement. Sans oublier les friandises de Bonbon qui étaient un plus. Un gros et énorme plus.
Même au grenier, Lyra pouvait sentir l’odeur du sucre des douceurs que Bonbon préparait en ce moment même dans son atelier. Chaque année à cette date-là, elle fabriquait une nouvelle friandise. La confiserie ne se retrouverait jamais sur l’étal de la boutique de la terrestre. C’était quelque chose qu’elle réservait exclusivement à elle-même et à Lyra. La licorne soupçonnait quelquefois sa maîtresse de passer toute l’année à réfléchir à ce qu’elle fabriquerait pour la Veillée.
Et Lyra avait beau essayer de deviner, d’émettre des hypothèses, de recouper des informations, à chaque fois, Bonbon la surprenait totalement. La confiserie était à chaque fois nouvelle, belle, originale et délicieuse.
Lyra ne savait pas comment la terrestre faisait. Elle qui savait à peine faire quelque chose de plus compliqué que des pâtes au foin râpé... et encore, quand elle ne faisait pas brûler l’eau.
La licorne trotta jusqu’au fond du grenier, courbant la tête quand elle passa sous les poutres. C’était bien le problème quand on avait un appendice sur le crâne. Un peu d'inattention et ça se fichait partout. Lyra se demandait si les pégases avaient les mêmes soucis avec leurs ailes. Sans doute que non. Au moins eux, ils pouvaient les replier.
La lumière de la lampe projetait assez loin, ce qui dispensait la jument de se servir de sa corne. Elle n’avait jamais été une grande mordue de magie de toute façon. Quand elle devait faire quelque chose de précis, là bien sûr elle se servait de ce que la Nature lui avait donné. Mais dans la grande majorité, Lyra préférait tout faire aux sabots.
Elle voyait aussi ça comme une forme de respect par rapport à Bonbon. Sa compagne était une terrestre qui ne maîtrisait pas la magie, et qui ne volait pas.
Lyra pensait que cela aurait été insultant de sa part de lui rappeler qu’elle était née sans corne.
Les pas de la jument turquoise la menèrent jusqu'à un amas impressionnant de cartons. Certains avaient des inscriptions, faites au marqueur noir sur les côtés : cuisine, salon, quand ce n’était tout simplement pas bazar divers. Bonbon avait la fâcheuse tendance de ne rien jeter et résultat des courses, le débarras croulait sous l’inutile.
Lyra avait essayé de faire le ménage une fois, profitant de l’absence de la terrestre qui devait se rendre à Canterlot pour un concours de friandises. À son retour, Bonbon avait fait une telle scène que la licorne avait dû cavaler jusqu’à la décharge pour tout récupérer. Pigpen avait été assez aimable pour lui permettre de reprendre les affaires sans que ça lui coûte un bit.
L’étalon sentait peut-être comme la mort mais au moins, il était gentil.
Depuis cet événement, Lyra avait appris à laisser le grenier en l’état. Tant pis pour l’espace qu’elles auraient pu gagner.
“Elles” puisque Lyra vivait sous le toit de Bonbon depuis assez longtemps pour qu’elle considère la maison ponyvilloise comme son foyer. Elle avait bien son propre appartement à Canterlot mais la jument n’y mettait que rarement les sabots. À la limite quand elles avaient à faire à la capitale et qu’elles ne voulaient pas rentrer par le dernier train, Bonbon et elle couchaient au studio. Mais Lyra préférait largement Ponyville.
Parce qu’elles y avaient une maison digne de ce nom, avec de la place, parce que les gens étaient moins coincés de la croupe... et puis c’était le village de Bonbon.
Comment est-ce que Lyra ne pouvait pas l’aimer ?
Lyra chercha du regard. La statuette ne devait pas être loin... ah là voilà, qui dépassait d’une boîte. Elle n’avait qu’à tendre le sabot pour la prendre et... le museau de la jument heurta une toile d’araignée et le fil de soie la fit éternuer. Reculant, elle cogna contre une tour de cartons qui bascula sur elle.
La licorne eut juste le temps de s’entourer d’un bouclier rapide alors que les boîtes lui dégringolaient dessus.
Quand elle rouvrit prudemment les yeux quelques secondes plus tard, elle se dit que c’était pas si mal de se servir de sa corne de temps à autre. La première réaction de la ponette fut de vérifier si la statuette familiale de Bonbon était toujours intacte. Et par la grâce de Celestia, elle l’était.
Lyra préférait encore que tous les combles s’effondrent plutôt que de devoir expliquer à sa compagne que son bibelot fétiche était en miettes.
Autour de la jument turquoise, les cartons étaient dispersés, vomissant leur contenu. Lyra souffla par les naseaux. Génial, du rangement à onze heures du soir, tout ce dont elle avait besoin. Heureusement que quand elle travaillait dans son atelier, rien ne pouvait en tirer Bonbon. Ça laissait assez de marge à la licorne pour réparer ses bêtises.
Lyra leva son bouclier magique et commença à remettre les affaires éparpillées à leur place. Il y avait là des romans écornés, des vieux magazines, quelques poêles à frire...
La licorne rassembla ensuite les cartons dans un coin du grenier, sans tous les empiler les uns sur les autres. Fallait être idiot pour faire deux fois la même erreur.
Le rangement ne prit pas trop de temps à la jument. La volonté d’en finir vite la motivait. En quelques minutes, les dégâts étaient réparés.
Satisfaite, Lyra retourna auprès de la statuette. Allez, elle l’apportait au bord de la fenêtre et elle pouvait redescendre passer la soirée avec Bonbon.
L’ergot de la licorne heurta quelque chose de dur qui la fit grimacer de douleur. Pestant, elle eut le réflexe de ramener sa patte à hauteur des yeux. Elle était sûre d’être bonne pour un bleu. Le seul avantage, c’était qu’avec son pelage ça ne se voyait pas.
La licorne baissa le museau, prête à insulter l’objet contre lequel elle s’était cognée. Lyra avait toujours trouvé que la douleur semblait beaucoup moins vive après.
C’était un coffre. Un petit coffre de voyage, dont la peinture s’écaillait et qui semblait en bien mauvais état. La jument turquoise se demandait à qui il pouvait bien appartenir. Elle ne se souvenait pas que Bonbon ait jamais possédé un meuble pareil.
La licorne fit pivoter le coffre jusqu’à ce que sa porte bombée soit bien en face d’elle. Sur un morceau de bois dont on avait gratté la peinture, elle put lire, inscrit par un sabot malhabile.
Propriété très privée de Mademoiselle Lyra Art Hort Heasrts... de Lyra. Pas touche !
Elle ouvrit la bouche de stupéfaction. Ça alors !
Mais c’était son coffre à elle, à l’époque où elle n’était qu’une petite pouliche.
La licorne était sûre qu’elle l’avait perdu quand elle avait dû vider la maison de ses parents, après leur mort. Bonbon avait dû se débrouiller pour remettre la patte dessus.
Elle se surprit à frissonner en passant le sabot sur le bois, sans savoir si c’était de nostalgie, d’excitation ou autre chose.
Elle leva le loquet d’un coup de patte et fit basculer la porte du coffre.
Son enfance était là. Sous la forme de jouets, de cahiers, ou de petits objets. Lyra tendit la patte et la plongea dans le contenu du coffre et dans ses souvenirs.
Elle retrouva des dessins dont elle était sûrement très fière à l’époque mais qui maintenant, lui semblaient aussi obscurs qu’un tableau d’art contemporain.
Elle resta bloquée cinq minutes sur un gribouillis avant de réaliser qu’elle le tenait à l’envers. Si ce n’était qu’une fois retourné, il avait l’air encore moins compréhensible.
Des coquillages, souvenirs de la première fois où elle était allée à la mer avec ses parents. Elle porta une des coquilles à son museau, ferma les yeux et aspira profondément. On sentait encore l’odeur de l’iode. Elle en amena une seconde à son oreille et gardant toujours les yeux clos, se retrouva à Horseshoe Bay quelques instants.
Le soleil qui tapait sur son pelage, sa mère qui lui courait derrière pour lui lancer un sort de protection solaire, son père qui lisait le journal étendu sur sa serviette, sirotant un soda au foin.
Prise dans sa rêverie, elle modela même un château de sable invisible quelques secondes.
Lyra rouvrit les yeux, sourit, et reposa les coquillages dans le coffre.
Elle continua à fouiller.
Une pomme de pin desséchée, une poupée de chiffon, et...
Mais bien sûr.
Elle ne pouvait pas être ailleurs.
La licorne l’entoura d’un halo vert et la fit doucement léviter jusqu’à elle. Le bois était cassé et plusieurs fils étaient brisés. Elle effleura les cordes survivantes qui produisirent un son proche du gémissement, comme si l’instrument était blessé.
Lyra ne put s'empêcher de penser que la blessure avait été réciproque.
_Sabots sur l'instrument mademoiselle Heartstrings ! aboya le professeur.
Lyra releva les yeux vers l’imposant étalon, massant son petit sabot douloureux.
_Mais ça fait mal monsieur... se défendit la pouliche à la crinière couleur menthe.
_Mademoiselle Von Clef y arrive très bien elle ! objecta le poney d’un ton implacable en pointant de la patte une pouliche grise de l’âge de Lyra, qui juchée sur un tabouret, faisait courir un archet sur un immense violoncelle. Suivez son exemple.
Lyra voulut répondre qu’Octavia n’avait pas à utiliser directement ses sabots, elle, mais elle savait que répliquer au professeur n’aurait fait que le mettre plus en colère.
L’étalon corrigea la position des sabots de Lyra sur l'instrument.
_Et par-dessus tout, de la concentration mademoiselle Heartstrings. Un, deux, trois !
Lyra déglutit et bougea ses sabots du mieux qu’elle le put. Mais les cordes lui donnaient l’impression de lui brûler les pattes, et de lui réduire le sabot en sang. Elle s’appliquait pourtant. Elle essayait vraiment de suivre la mesure du professeur, elle se donnait du mal.
Mais elle n’arrivait pas à tenir le rythme. D’ici quelques secondes, elle allait...
Doing.
Une fausse note. Lyra baissa le museau alors que le professeur gonflait ses poumons d’air, prêt à foudroyer une nouvelle fois la pouliche sur place. Ce fut à ce moment précis que toutes les lumières de la salle de cours s’éteignirent en même temps.
Les poneys levèrent la tête vers les ampoules éteintes.
_C’est un coup de Vinyl ça, commenta un poulain brun à la crinière blanche en quittant des yeux sa partition de piano. Elle a encore fait sauter les plombs.
_Merci de votre sollicitude monsieur Horseshoepin vous savez à quel point elle nous est précieuse, lâcha froidement le professeur en s’éloignant d’un pas rapide de ses élèves. Cinq minutes de pause. Mademoiselle Scratch ! l’entendit-on rugir une fois la porte passée.
Tous les poulains poussèrent un soupir commun de soulagement une fois le professeur sorti. Ce n’était sans doute pas très gentil pour Vinyl, mais au moins, chaque minute que le professeur passerait à crier sur elle, il ne le ferait pas sur eux.
Lyra laissa tomber l'objet au sol et se remit à masser son sabot. Des larmes perlaient au coin de ses yeux.
De colère, elle donna un petit coup de patte à l’instrument qui alla traîner jusqu’au pied du violoncelle d’Octavia.
La terrestre sauta au bas de son tabouret, prit l’objet en gueule et le rapporta à Lyra.
_Le professeur va te tuer s’il voit comme tu traites ton instrument, Lyra, lui dit gentiment la ponette en le déposant aux sabots de la licorne. Faut que tu sois soigneuse.
_Tu parles, répondit la pouliche en sanglotant. Ça sert à quoi que je prenne soin d’un instrument qui me fait mal ? demanda-t-elle en exhibant son sabot meurtri.
_C’est une histoire de respect mutuel, lui assura Octavia, posant un sabot amical sur son épaule. Tu dois apprendre à le connaître, à lui montrer du respect... de l’amour aussi.
_Pff, dit Lyra en se détournant de la terrestre. Facile pour toi. T’as pas à te ruiner les sabots sur les cordes.
_Je te signale que tenir un archet, ça abîme aussi la patte, répondit une Octavia visiblement blessée. D’ailleurs, si tu utilisais un peu plus tes sabots dans la vie de tous les jours, peut-être que t’aurais moins de mal...
_Du calme les filles, intervint le poulain de derrière son piano. Vous allez pas vous disputer. Lyra, c’est pas parce qu’Octy a pas à toucher directement la corde qu’elle n’a pas du mal. Et toi Octavia, je te rappelle que le professeur interdit la magie en cours. Alors que Lyra soit une licorne ou pas, ça n’a aucune importance ici. On est tous égaux.
_Certains plus que d’autres, Frédéric, commenta Lyra en reprenant son instrument en sabot pendant qu’Octavia regagnait son tabouret.
Quelques secondes plus tard, le courant revenait dans la salle. Le professeur ne fut pas long à revenir lui aussi, accompagné de la coupable.
Vinyl gardait la tête basse et les lèvres closes alors que le professeur marchait dans la salle, lui faisant de cruelles reproches.
Mais la jeune licorne blanche fit un clin d’œil à Lyra en passant devant elle. La pouliche turquoise répondit par un sourire.
Elle s’entendait bien avec Vinyl. Peut-être parce qu’elles étaient toutes les deux licornes, peut-être aussi que le caractère explosif de Vinyl s’accordait bien à la personnalité joueuse de Lyra. Octavia et Frédéric n’étaient pas de mauvais camarades mais ils étaient si... coincés quelquefois. Lyra ne préférait pas imaginer ce que ça donnerait quand ils grandiraient.
_Bien, annonça le professeur en se remettant au centre de la pièce. Nous allons reprendre. Et comme grâce à mademoiselle Scratch, vous avez eu cinq minutes de pause, je suppose que personne ne trouvera rien à redire à déborder de cinq minutes aujourd’hui ?
Les cinq minutes devinrent rapidement une heure.
Et c’est exténués que les poulains furent libérés par leur professeur.
_À demain, déclara-t-il en guise d’au revoir. Et n’oubliez pas, concentration, concentration, concentration ! Il n’y a pas d’autre moyen de progresser.
Les élèves répondirent un “oui professeur” à l'unisson et descendirent l’escalier de la salle de cours. Les doubles portes du bâtiment étaient grandes ouvertes et les poulains accueillirent l’air frais avec plaisir.
Au dehors, la Princesse Celestia était en train de coucher le soleil, et l’astre noyait tout dans une superbe lueur orangée.
Les élèves étaient attendus par leurs parents au pied du grand escalier d’accès. Lyra retrouva son père qui lui demanda si le cours s’était bien passé.
La licorne se borna à un “ça va”, signe qu’elle n’avait pas envie d’en parler.
Elle fit un signe du sabot à Frédéric qui repartait dans le fiacre familial, et à Octavia et Vinyl qui allaient probablement jouer quelque part. La licorne se demandait ce que Vinyl trouvait à Octavia. Encore une fois, ce n’était pas que la terrestre était méchante mais Lyra ne comprenait pas comment son attitude froide pouvait coller avec le caractère imprévisible de Vinyl. Mais c’était peut-être ça le truc. Elles se complétaient.
Le père de Lyra prit le sac de la licorne en gueule pour soulager sa fille de son poids pendant qu’ils rentraient à la maison. Les deux licornes cheminaient tranquillement dans la lumière du soir, laissant l’Institut de Musique de Canterlot derrière eux.
Lyra n’aimait pas le bâtiment, ses grandes colonnes, sa façade de pierre, ses salles de cours qui sentaient la poussière. Elle n’aimait pas la musique.
Lyra avait plusieurs fois tenté d’en parler à son père, mais elle s’était heurtée à un mur. Une Heartstrings devait apprendre à jouer à l’Institut. Et peu importait si le dernier musicien de la famille remontait au grand-père.
On ne discutait pas avec les traditions.
Elle retenterait sa chance au dîner. Il devait bien y avoir un moyen d’échapper à la musique.
Les Heartstrings vivaient dans un confortable appartement, situé sur les hauteurs de Canterlot. Il aurait fallu toute une vie de travail à ses parents pour payer le loyer mensuel, mais les Heartstrings bénéficiaient d’un traitement de faveur de la part de la princesse Celestia. Lyra n’avait jamais vraiment su ce qu’ils avaient fait pour l’alicorne, mais le palais se chargeait de payer le plus gros du loyer, ramenant le bail à un prix tout à fait raisonnable.
Des éclats de rire parvinrent à Lyra et son père, de derrière la porte de leur appartement. Il y avait la voix de sa mère et une autre, féminine aussi qui semblait familière.
Le père de la licorne pâlit et poussa doucement la porte d’entrée. Lyra passa la première.
Dans le salon, confortablement installée devant une tasse de thé et bavassant avec la mère de Lyra, se trouvait la princesse Celestia en personne.
La jeune licorne pâlit. Elle avait déjà vu la Princesse, que ce soit dans les journaux ou quelques fêtes mais jamais chez elle ! Pas d’aussi près !
Pourtant, la souveraine se comportait incroyablement normalement. Elle avait l’air d’être aussi à son aise qu’un hiponey dans l’eau.
_Votre Majesté, balbutia le père de Lyra en s’inclinant et en faisant un signe à sa fille pour qu’elle l’imite. Je ne savais pas que vous nous feriez l’honneur de...
_C’est entièrement ma faute, s’excusa Celestia en coupant gentiment la licorne. Le récital auquel nous devions nous rendre ce soir a été annulé au dernier moment, et nous nous sommes retrouvées avec la soirée de libre. Je me suis souvenue de l’invitation à dîner de votre femme, et je me suis dit que c’était le moment idéal de mettre ça sur sabot. À moins que ça ne vous dérange, bien sûr ?
_Nonnonononon, répondit le père de Lyra, nous sommes ravis de vous avoir à dîner votre Majesté. Mais... nous ? répéta-t-il, intrigué par les mots de l’alicorne.
_Ma pupille est venue avec moi. Twilight ? Viens dire bonjour à monsieur Heartstrings.
Aux mots de la Princesse, une jeune licorne violette apparut de derrière le sofa. Lyra nota qu’elle ne devait pas beaucoup être plus vieille qu’elle. Sûrement même plus jeune. Sauf qu’elle avait sa cutie mark, elle.
_Bonjour, dit la pouliche d’une petite voix sans quitter sa place.
_Tu as vu Lyra ? s’exclama la mère de la ponette turquoise. Elle a le même âge que toi. Vous pourriez devenir amies...
Lyra fit la moue. Elle s’entendait bien avec Vinyl parce que c’était elle qui l’avait choisie comme amie. Se faire imposer quelqu’un par ses parents, ça ne lui plaisait pas trop.
Et vu le regard de la dénommée Twilight, ça ne semblait pas l’enchanter non plus. Elle se pencha à l’oreille de Celestia et lui chuchota quelque chose.
_Oui bien sûr, lui répondit la Princesse. Tu peux continuer ton livre ma chérie.
La licorne violette redisparut derrière le sofa dans l’instant.
_Twilight a un peu du mal à se faire des camarades, dit Celestia en souriant. J’essaye de l’aider à sortir de sa coquille mais...
Elle étira son sourire, l’air de dire “les enfants”.
Le thé dura encore quelques minutes, puis ils passèrent tous à table.
Lyra nota que l’alicorne donna très aimablement un coup de sabot pour placer les assiettes.
La princesse d’Equestria qui aidait à dresser la table... elle en aurait des choses à raconter à Vinyl !
Le repas se déroula bien. La soupe, assez riche, était délicieuse. La Princesse se révélait être d’une très bonne compagnie et donnait plus l’impression d’être une parente éloignée qu’on recevait de temps à autre avec plaisir, que la monarque de la nation.
Lyra ne savait pas trop quoi penser de la présence de la Princesse. Elle était à la fois contente et gênée.
Contente parce que c’était une sacrée surprise, gênée parce qu’elle ne pouvait quand même pas demander à son père d’arrêter la musique en face de Sa Majesté. Ça allait encore tourner en dispute et Lyra savait qu’il valait mieux faire bonne impression devant l’alicorne. C’était normal.
_Et dis-moi Lyra, demanda la Princesse à la petite licorne qui sursauta quand la monarque s’adressa directement à elle, qu’est-ce que tu fais en dehors de l’école ?
_Lyra est à l’Institut de Musique, répondit sa mère à sa place d’un air très fier.
_Oh, s’exclama Celestia avec un sourire, si jeune ? C’est impressionnant.
Le sujet était sur la table. autant tenter le coup. Avec beaucoup de chance, la Princesse la soutiendrait et ses parents n’oseraient pas parler contre la monarque.
Lyra prit une grande respiration.
_Papa, à propos de la musique, je voulais te dire que...
_Leur professeur est un peu dur, intervint sa mère, coupant la parole à sa fille. Mais je pense qu’il faut quand même un brin d’autorité pour faire apprendre la musique aux enfants.
_Absolument, renchérit le géniteur de Lyra. C’est à la dure qu’on apprend le mieux.
_Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, dit Celestia, toujours souriante. C’est évident qu’il faut se montrer ferme sur certains points. Mais j’ai tendance à penser...
Elle jeta un regard à Twilight, qui dînait en silence, le museau dans sa soupe.
_... que forcer un enfant à faire ce dont il n’a pas envie de faire, c’est inutile. Au pire il se forcera pour vous faire plaisir, mais il oubliera aussi vite.
Lyra reposa sa cuillère dans son assiette en entendant les mots de la Princesse.
C’était la première adulte qui semblait tomber d’accord avec elle.
_Pour les choses vraiment importantes, ce qui est de sa sécurité, de sa santé, il est bien entendu obligatoire d’être implacable. Pour le reste, je suis du genre à penser qu’un peu de souplesse ne fait pas de mal. Mais nous t’avons coupée Lyra, s’excusa Celestia. Que voulais-tu dire à ton père ?
Et maintenant, la Princesse lui rendait la parole en s’excusant... Lyra commençait à comprendre pourquoi la monarque était aussi aimée de son peuple.
_Papa, dit la pouliche avec hésitation, je... je voudrais arrêter la musique.
_Nous en avons déjà discuté, trancha son père en prenant un morceau de pain. Tu iras au bout de cette année, comme nous l’avons entendu. Si après, tu sais jouer convenablement, tu auras le choix de continuer ou pas.
_Mais papa...
_Tu as entendu ton père, Lyra, intervint sa mère. Et puis tu ne vas pas faire une scène devant Sa Majesté, non ?
Bizarrement, l’idée de déplaire à la Princesse en passant pour une petite impertinente qui répondait à ses parents bloqua assez Lyra pour qu’elle se taise et finisse sa soupe en silence. Celestia glissa à un autre sujet avec brio, et rapidement, l’incident fut oublié.
Le repas se termina et la Princesse prit congé de ses hôtes. Pourtant, sur le pas de la porte, elle fit une demande surprenante : elle demanda à Lyra de la raccompagner jusqu’à son carrosse. “La”, pas “les”. Twilight avait demandé la permission à son mentor de partir devant elle et de l’attendre dans le véhicule.
Surprise, Lyra accepta. Elle reconduisit donc la princesse d’Equestria jusqu’en bas de leur immeuble. Ça faisait bizarre à la petite licorne de se faire emboîter le sabot par la jument la plus puissante d’Equestria.
À l’extérieur, l’air était plutôt frais. Lyra frissonna avant de sentir quelque chose de chaud l’envelopper. La Princesse avait enroulé une de ses ailes autour de la petite pouliche pour la réchauffer.
La licorne formula un “merci” muet des lèvres. Celestia se borna à lui sourire.
_Princesse, je peux vous poser une question ? demanda la jeune ponette à la crinière couleur menthe.
_Mais bien sûr, lui répondit l’alicorne.
_Est-ce que vos parents vous ont déjà forcée à faire quelque chose que vous vouliez pas faire ?
Le sourire de la souveraine s’effaça. Lyra écarquilla les yeux. Oh, elle avait vexé la Princesse !
Il fallait qu’elle se rattrape !
_Votre Majesté, je voulais pas être indiscrète, je...
_Ça va, la rassura Celestia en levant un sabot. C’est juste que ta question m’a prise au dépourvu. Et pour y répondre, oui. Il y a très longtemps, ils voulaient que je me marie à un zèbre que je ne connaissais pas.
_Pourquoi ? demanda Lyra d’un air étonné. Et puis pourquoi un zèbre ? On les voit jamais.
_C’est un peu compliqué à comprendre pour une pouliche de ton âge, dit Celestia. Et ça remonte à très longtemps, bien avant ta naissance ou celle de tes parents.
Elle leva les yeux au ciel et sans que Lyra ne comprenne pourquoi, fixa la lune quelques secondes. La crinière pastel de la Princesse flottait au vent.
_Avant certaines autres choses.
_Mais vous êtes pas mariée, dit Lyra en fronçant les sourcils. Ça veut dire que vous avez dit non ?
_C’est plus compliquée que ça, soupira tristement l’alicorne. Mais non. Je n’ai pas osé m’opposer directement à mon père. Certaines choses étaient en jeu, j’ai eu peur de les perdre. J’avais prévu de m’enfuir après les noces.
_De fuguer ? balbutia une Lyra éberluée.
Celestia gloussa devant l’air étonné de la pouliche.
_Je n’étais pas très sage quand j’étais jeune, dit Celestia en pouffant. Plutôt du genre à faire des tas de bêtises.
L’image de la Princesse faisant des bêtises s’imprimait très difficilement dans l’esprit de la jeune licorne turquoise.
_Mais j’aurais dû prendre mon père entre quatre yeux et lui expliquer. Peut-être que... certaines choses se seraient passées autrement.
Quelque chose brilla au coin de l’œil de Celestia. Est-ce que la Princesse était en train de... pleurer ?
_Ce que je te conseille Lyra, souffla l’alicorne en clignant des yeux pour chasser la larme, c’est de parler de ton problème avec tes parents. Ils t’écouteront. Ils t’aiment.
_Oui mais...
_Mais ?
_Vous l’avez entendu au repas. Y veulent pas que j’arrête la musique.
_Et toi ? demanda Celestia. Tu veux arrêter ?
_Mais je suis nulle ! s’exclama Lyra. Je me fais mal aux sabots, le professeur me crie dessus et...
_Est-ce que tu as déjà essayé de jouer pour toi ? demanda Celestia.
_Hein ?
_Pas de jouer pour faire plaisir à tes parents ou à ton professeur. Jouer parce que tu en as envie. Parce que ça te fait plaisir à toi.
_Jamais, confessa la petite licorne.
_Tu sais quoi ? lui dit l’alicorne en se penchant pour lui ébouriffer gentiment la crinière. On va faire un marché toutes les deux. Tes cours de musique se terminent dans combien de temps ?
_Dans quatre mois, votre Majesté.
_Alors je voudrais que pendant ces quatre mois, tu essayes de tirer du plaisir en jouant. Et à la fin de l’année, j’aimerais que tu viennes au palais. Jouer pour moi.
La mâchoire de Lyra manqua de tomber par terre. Jouer pour la Princesse ! Elle ! En privé !
_Mais je ne sais pas jouer Princesse !
_Si tu réussis à aimer ta musique, j’aimerai aussi, la conforta Celestia. Et dans ces quatre mois, que tu décides d’arrêter ou de continuer la musique, je viendrai personnellement te soutenir si tes parents ne sont pas d’accord. Ça te va ? demanda-t-elle en tendant son sabot.
Lyra un peu hagarde, eut un peu de mal à ce que sa patte touche celle de la monarque.
Celestia replia son aile et grimpa dans son carrosse. Twilight dormait sur la banquette, le museau sur un livre ouvert.
La Princesse gloussa, et le retira gentiment du nez de son élève.
Avant de faire signe à ses gardes de s’élancer, elle se retourna vers Lyra.
_Remercie encore tes parents pour cette agréable soirée. Et ne t’en fais pas Lyra. Je suis sûre que tu y arriveras.
Les gardes pégases déployèrent leurs ailes et quelques secondes plus tard, le carrosse princier s’envolait, laissant Lyra en bas de chez elle, encore un peu choquée. La Princesse l’avait encouragée. Et lui avait promis son soutien quoi qu’il arrive.
La petite licorne remonta lentement chez elle et alla directement s’enfermer dans sa chambre. Elle se regarda dans le miroir de son armoire quelques secondes.
Si la Princesse croyait en elle, elle devait au moins essayer.
La pouliche alla jusqu’à son sac et tira sa lyre de son étui.
Lyra contempla longtemps son premier instrument de musique à la lueur de sa corne. Elle s’était accrochée, avait multiplié les essais et avait commencé à jouer pour elle-même. Et l’impossible s’était passé. Non seulement elle avait aimé ça mais en plus, elle se trompait de moins en moins.
Elle avait rattrapé tous les autres élèves de l’Institut et une fois, avait même tellement bien suivi la partition que le professeur n’avait rien trouvé à redire.
Mais le plus beau avait été son concert privé pour la Princesse. Celestia l’avait reçue dans les jardins du palais où elles avaient mangé toutes les deux, comme deux amies. Et Lyra avait joué. Bien joué. Magnifiquement joué.
Elle avait tellement brillé qu’à la fin du petit concert, la Princesse s’était contentée de sourire et de pointer le flanc de la petite licorne.
Et là sur ses cuisses, sa cutie mark. Une lyre.
Par réflexe, Lyra laissa ses sabots effleurer sa marque. Elle n'oublierait jamais que c’était grâce à la Princesse qu’elle avait ça. Ni qu’elle avait connu Twilight d’ailleurs, même si la ponette n’était jamais devenue une vraie amie.
La jument reposa doucement l’instrument à sa place après l’avoir serré quelques secondes contre son cœur. Elle referma le coffre et le rangea bien à l’abri sous les combles.
Elle retourna près de la statuette de Bonbon, s’en saisit et rebroussa chemin. Elle éteignit la lumière en partant, descendit l’escalier amovible et referma la trappe derrière elle.
Dans la maison, l’odeur des confiseries était encore plus forte.
Elle croisa Bonbon dans le salon, en tablier, en train de déposer un plateau recouvert d’un torchon sur la table. Lyra alla placer la statuette sur le fronton de la cheminée.
Puis elle retourna auprès de sa compagne. La terrestre attendit que la licorne soit près d’elle pour prendre le torchon en gueule et de l’ôter d’un coup sec.
Lyra resta bouche bée devant les friandises de cette année.
_Elles sont... elles sont...
_En forme d’humains, oui, confirma Bonbon avec un petit sourire. Tu as vu ? Ils ont tous des petits vêtements.
_Et des mains... balbutia une Lyra émerveillée.
_Et des mains, répéta la jument blanche en souriant. Ça te plaît ?
Les larmes au bord des yeux, Lyra ne put répondre autrement qu’en embrassant longuement sa partenaire.
_Je prends ça pour un oui, dit Bonbon, toujours souriante.
Lyra prit une confiserie en sabot et donna un rapide coup de langue. Délicieuse. Comme d’habitude.
_Tu en as mis du temps au grenier, fit remarquer sa maîtresse.
_Je suis tombée sur des vieux souvenirs, répondit Lyra. Des affaires de quand j’étais pouliche.
_Ah, dit Bonbon avec un grand sourire. La bonne vieille nostalgie. Ça me fait penser que l’autre jour, je suis retombée sur un vieux devoir que nous avait donné monsieur Waddle. Fallait s’écrire une lettre à soi-même quand on serait grande.
_Tu t’étais écris quoi ? questionna Lyra, curieuse.
_Je m’étais promis d’être heureuse.
_Et ?
Cette fois ci, ce fut Bonbon qui embrassa sa compagne.
_Je pense que ça veut dire oui, dit Lyra d’un ton pince-sans-rire.
Les deux ponettes restèrent enlacées un moment. Puis Bonbon rompit l’étreinte pour se diriger vers le porte-manteau. Elle prit sa selle fourrée, son écharpe et son bonnet.
_Il est presque minuit, fit-elle remarquer en s’habillant, on va rater le feu d’artifice si on tarde trop.
Lyra opina du chef, enfila elle aussi ses habits d’hiver et suivit sa maîtresse dehors. Dans Ponyville enneigée, couples, familles ou poneys solitaires se rassemblaient autour de l’hôtel de ville, et levaient les museaux vers le ciel noir.
Un “oooo” général parcourut la foule à minuit précises, quand les charges de feux d’artifice furent tirées. Le ciel était un amas d’explosions vertes, rouges et blanches.
_Joyeuse Veillée Chaleureuse mademoiselle Heartstrings, glissa Bonbon à l’oreille de Lyra en déposant un baiser sur sa nuque.
_Joyeuse Veillée à vous mademoiselle Sweetie Drops, répondit Lyra en tournant la tête pour capturer la bouche de la terrestre.
Et alors que les juments s’embrassaient, dans la foule, les amoureux faisaient de même, les familles se serraient dans leurs pattes, et les poulains grimpaient sur les épaules de leurs parents.
C’était une douce nuit qui s’annonçait.
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