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Ostentation

Une fiction écrite par Hérode.

Ostentation

Je me rendais à cette époque à Nombreux Galops, et attendant l'express qui n'arriverait que dans deux heures, je pris le parti de battre du sabot les rues alentours à la gare de Crinièrehatten. Évitant de justesse une Arabe Sellouite qui se mit à se disputer violemment avec une Sellouite derrière moi

dans leur obscure langage, j'aperçus au bout de la rue une vingtaine de poneys habillés en noir, entourant un calèche funèbre avançant au ralenti.

M'étonnant de ne pas voir de représentant de la couronne d'Équestria à la tête du cortège, je pensais avoir surpris un enterrement réformiste. Me réjouissant à l'idée de trouver des camarades de pensée, je m'approchai lentement, pour finalement m'adresser à la licorne fermant le cortège. Il m'expliqua être l'oncle de la défun-te, il me fit bien signifier cela lorsque je l'accostai.

« C'était une toute jeune mariée savez-vous ? Jasmin Doré était son nom. La pauvre n'était pas mariée depuis six mois... » Et il me conta ainsi l'histoire de cette poney de terre, tout le long du chemin vers le cimetière.

Jasmin Doré était une poney de terre d'une coquetterie sans égal. Tous les écus dont elle n'avait pas besoin pour vivre, passaient dans l'achat de bijoux brillants de milles feux. Des broches, des anneaux de pattes, des accessoires vestimentaires. Sauf que voilà, son maigre salaire de, disons-le, de servante ne lui permettait pas de mener la vie d'or à laquelle elle aspirait.

Elle vivait du coup dans la peine, pouvant se permettre une fois l'an une pièce d'orfèvre en alliage. Sauf que voilà, elle n'aimait que l'or. Seul l'or lui faisait bouillir les yeux, chauffer le cœur et trembler les sabots. Cela ne l'empêchait cependant pas d'habiter à Nombreux Galops, au service de son maître, Pantalon Extravagant.

Elle s'était mise à son service voici trois mois, après avoir été congédiée par son ancien maître, un certain monsieur Sale Riche, faute de moyens. Cela lui plaisait à vrai dire, elle avait perdu la petite joie, chaque jour, de passer devant le bureau de Sale Riche, et de voir furtivement l'horloge en fenêtres en verre à l'armature d'or, finalement vendue pour payer les dettes.

Pantalon Extravagant quant à lui n'était pas une licorne si près de ses sous. Sa propriété était d'une dimension sans égale, et devait rendre verts de jalousie les voisins. Rien que sa marque mignonne représentait trois petites couronnes, c'est pour dire. Jasmin Doré logeait dans une modeste pièce à l'arrière de la demeure, la plupart du temps ne bénéficiant pas de la lumière apportée par la princesse du jour.

Elle s'empressait chaque matin de faire sa toilette, et de vite commencer le ménage dans la pièce convenue la veille, alternant avec une autre servante la moitié de la maison. Néanmoins la moitié d'une grande maison, cela reste grand. Elle s'efforçait donc toute la journée de faire briller de toutes ses forces les dorures des boutons de porte, des coins de meuble, elle repassait de la cire à la limite du raisonnable sur les parquets, et passait bien tout le temps du séchage à regarder le tout briller au soleil, et à condamner ses capacités olfactives.

Naturellement elle avait l'interdiction formelle de s'approcher de la boîte à bijoux, mais avait quand même le loisir de pouvoir admirer les possessions de Pantalon Extravagant, suspendues au cou de sa compagne licorne de l'époque, ou plus modestement sur lui-même. Jasmin Doré n'avait cependant pas la joie de parer Fleur de Lys, c'était son nom, pour les soirées mondaines. Cette dernière avait en effet ramené, en même temps qu'une douzaine de cadeaux honteusement chers et un bruyant poulain et une servante personnelle, qui s'occupait exclusivement de sa maîtresse. Et rien d'autre.

Gaufre Bleue se réveillait donc tous les jours tranquillement, descendait les escaliers d'une manière odieuse aux yeux de Jasmin, oubliait la plupart du temps de la saluer, ainsi que tout le reste du personnel, et réveillait sa maîtresse avec tous les soins du monde. Qui sait les remarques blessantes qui s'échangeaient entre les deux comparses. Jasmin ne pouvait le supporter. Elle manqua plusieurs fois de briser son mutisme de servante quand elle voyait cette poney de terre bleue manipuler le collier d'or, fleuron des cadeaux de Pantalon Extravagant, pour le passer au coup de sa maîtresse.

Elle s'était même surprise à penser à la tuer et à prendre sa place. Plusieurs fois. La première fois était en songes, un soir d'automne, une difficile journée de travail dans les sabots. Cela s'était passé assez rapidement, un croche-pattes traître au sommet des escaliers, un terrible accident avait-on conclu. « Moi ? Mais enfin je ne sais pas si Madame permettrait... » feignit-t-elle, lorsqu'on lui demanda de prendre la succession de la rosse.

À tout moment de la journée, elle passait donc des perles dans la crinière, empilait les bagues sur la corne de Fleur de Lys. Ce qui la réveilla ce fut l'ombre chaotique d'un garde royal tout de noir vêtu, aux yeux rouges saillants, la prenant par le cou et la jetant au sol, ce qui eut pour effet de la faire disparaître, purement et simplement, juste après le choc avec le sol.

Il était loin d'être l'heure du réveil, cependant elle ne parvint pas à se rendormir, à cause des émotions qu'elle venait de subir. Elle affronta alors coup sur coup une attente à la limite du supportable dans la pénombre de sa chambre de bonne et une lancinante fatigue tout au long de son service, coupée peu de temps avant sa fin par l'autre, qui lui demanda d'apporter une serviette tiède pour la nuque de Madame. Jasmin Doré en fut d'abord si surprise qu'elle brisa la soucoupe qu'elle rangeait. Un sursaut de honte la gagna ensuite, reliquat de ses émotions de la journée et de la nuit, sursaut vite balayé par sa fiévreuse jalousie de la rosse. Ne pouvait-elle pas aller chercher sa serviette elle-même ?

« Je dois m'occuper du chignon de Madame, si je m'absentais maintenant je serais bonne pour tout refaire ! » Cette explication, honnête en toute apparence, tua Jasmin Doré de l'intérieur. Toutes les horreurs qu'elle avait pu murmurer, toutes les abominations auxquelles elle pouvait penser, se pressaient si fort dans sa bouche, qu'elle mit plusieurs secondes à formuler une réponse cohérente, avant d'aller chercher non sans amertume la serviette.

Suite à quoi elle mit fin à son service et alla s'enfermer dans sa chambre, où elle pleura devant sa maigre collection de bijoux blancs et couleur de paille brillante. Pourquoi les Sœurs Déesses insufflaient-elles de telles pensées dans sa tête ? Payait-elle pour des crimes commis par des ancêtres oubliés ? Jamais personne ne lui avait répondu. Pas les bijoux. Pas les licornes. Pas même les plus érudites.

Un soir pourtant, alors qu'elle avait presque réussi à bannir son impérieuse jalousie de son esprit, Gaufre Bleue vint d'elle-même la voir, pour lui demander un nouveau service. « Voilà, dame Fleur de Lys souhaite que je lui fasse une nouvelle coiffure, sauf que je devrais littéralement utiliser mes quatre sabots pour la réaliser, je vous demande ainsi si ce n'était pas trop vous demander de me donner un coup de patte! » expliqua-t-elle avec enthousiasme. Jasmin fut en quelque sorte contaminée et répondit « Si c'est Madame qui demande, je ne peux pas refuser ! » avec un sourire à peine forcé.

Elles poussèrent la porte de la chambre de leur maîtresse, et après que Jasmin Doré l'eut saluée, les deux servantes se mirent au travail sur la chevelure de Fleur de Lys. Non sans mal, malgré les précautions de Jasmin Doré. Elles se génèrent souvent, se touchèrent involontairement, avec dégoût dissimulé pour Jasmin pendant toute la séance de coiffure. Vint la séance de parure, à laquelle elle n'avait pas songé.

Gaufre Bleue, avec l'approbation du regard de Fleur de Lys, ouvrit un coffret, dont elle tira une paire de boucles d'oreilles en or en forme de gouttes, serties en leur centre d'une pierre rouge très luisante, à la différence du métal, qui était lui très mat. La servante fixa les bijoux à chaque oreille. L'autre, la coquette, ne put esquisser un geste. Elle fut pendant un instant comme transportée, et se voyait à la place de sa maîtresse, fermant les yeux, se donnant aux soins de Gaufre Bleue.

Se donner aux soins de Gaufre Bleue, c'est cette pensée qui la tira de son rêve, comme si elle avait manqué la marche d'un escalier imaginaire. Fleur de Lys alors la regarda, et elle fut à nouveau tout à fait dans son corps. Aussi demanda-t-elle timidement de pouvoir elle aussi parer sa maîtresse, suite à quoi cette dernière regarda sa servante attitrée, qui s'avança timidement en tenant le coffret dans sa bouche.

« Hé bien ma chère, prenez donc la broche avec le saphir et passez-la dans mes cheveux ! »

C'était la phrase qu'avait formulé Fleur de Lys, après avoir perdu patience avec Jasmin Doré, qui s'était perdue dans la splendeur du contenu du coffret. Tout ce dont elle rêvait était sous ses yeux ! De l'orfèvrerie à s'en recouvrir tout le corps ! Milles éclats d'or dans lesquels disparaître ! Vint alors en elle un report de la jalousie pour Gaufre Bleue vers leur maîtresse, si infime qu'elle ne ressentit rien sur le coup, mais qui fut plus tard total. Et dévastateur.

En effet Jasmin Doré et Gaufre Bleue avaient multiplié les séances de soins de leur maîtresse, et avaient fini par avoir une vraie relation professionnelle, voire amicale. À l'inverse Jasmin Doré jalousait de plus en plus sa maîtresse, mourant intérieurement à chaque fois qu'elle prenait un bijou pour le mettre sur Fleur de Lys. Sans compter que son poulain, ayant passé l'âge d'être une merveilleux cadeau de la nature, échappait souvent à sa nourrice, et en profitait pour détruire, volontairement ou non, tout ce qu'il pouvait mettre entre ses sabot, et ne pouvait pas avaler.

Un matin enfin, il fallut endimancher Pantalon Extravagant et sa compagne, ainsi que le petit diablotin, afin de pouvoir le présenter à un oncle, souhaitant voir à quel point il avait grandi. Il fut heureusement bien vite maîtrisé par son père adoptif et habillé par une servante. Pantalon pouvant se préparer tout seul, Gaufre Bleue et Jasmin Doré s'occupèrent exclusivement de Fleur de Lys, assez rapidement il faut le dire, à force d'habitude.

Seulement Jasmin Doré atteint sa limite ce jour-là, et s'effondra en sanglots alors que Fleur de Lys descendait l'escalier, ce qui la fit s'arrêter brutalement. Déjà Gaufre Bleue serra Jasmin dans ses bras que Fleur accourut, mais la voiture ne pouvant attendre, elle déposa un maladroit baiser sur le front de sa servante et disparut aussitôt.

Après une journée à la propriété s'étant écoulée au ralenti, Jasmin Doré fut convoquée, à la fin du souper, au moment où sa participation aux tâches ménagères ne nécessitaient plus sa présence. Elle manqua de pleurer à nouveau devant Pantalon et Fleur, en avouant sa passion secrète, sa mort lente de voir autant de richesses autour d'elle sans pour autant pouvoir en jouir pleinement.

Il fut décidé qu'on la mariât au premier étalon assez riche pour lui permettre d'accéder à son rêve. Pantalon mis ainsi sur la table cent trente millions d'écus pour la dot, ce qui était tout ce qu'il avait gagné au jeu du fer à cheval chez son beau-frère. Fleur proposa tout de suite plusieurs noms : MM. De Mesmerelles et de Vautour-Bateau, le jeune héritier des Précieuses-Tartes, ou bien alors M. Hautepaille, veuf depuis bien des années.

Déjà Jasmin était émerveillée par tous ces noms, porteurs de richesses infinies et d'asphyxie de bonheur total. Pantalon Extravagant avouera plus tard avoir concédé au mariage uniquement par curiosité, et en aucun cas par chevalerie. Ainsi c'est avec un sourire joueur qu'il approuva le mariage de mademoiselle Jasmin Vivifiant Doré et monsieur Diamant Sournois Scintillant, négociant en foin, après pas moins de deux mois de recherches infructueuses.

La célébration fut mémorable, peut-être plusieurs poulains furent conçus ce soir-là, d'autres mariages furent détruits à jamais, et des relations prometteuses naquirent aussi, dans l'euphorie de l'ivresse. La seule chose sur laquelle il faudrait s'attarder serait le lendemain, où le couple de jeunes mariés n'avait rien fait que de ronfler de concert avec tous ceux qui avaient investi le château royal.

Dans les couloirs passa un majordome, évitant les divers cadavres abreuvés du cocktail des Étables Indépendantes ou bien encore Pantalon Extravagant, dans les pattes d'un magnifique étalon, mais vraiment jeune pour lui. Il frappa à la chambre nuptiale, entra en silence et réveilla les maîtres en tirant les rideaux, et indiqua à Diamant Scintillant qu'il fallait repartir immédiatement à Crinièrehatten, où attendaient de gros clients.

Réalisant la situation, Jasmin Doré ordonna qu'on fasse un crochet par la résidence de Pantalon Extravagant, avant d'atteindre la gare. Sur place, elle galopa vers les loges des servantes et embrassa Gaufre Bleue une dernière fois, pour enfin lui dire adieu.

On dit qu'elle pleura bien souvent son amie, et qu'on entendit même des gloussements tard dans la chambre de la poney de terre bleue.

Crinièrehatten consistait en une ville beaucoup plus moderne que Nombreux Galops, donnant sur la mer, et coiffée d'innombrables gratte-ciels. Le couple vivait un peu à l'écart de ces immeubles cependant, dans une maison individuelle achetée avec la dot. Ils eurent tout d'abord droit à la visite des parents de Diamant Scintillant, les bons Perle de Nacre et Pot Scintillant. Le père portait une admirable et fière moustache, et la mère abonda en conseils sur la tenue d'une maison pour Jasmin, fit mille remarques sur la tenue actuelle, heureusement Diamant Scintillant fut lui aussi inondé de conseils par son père.

Un soir enfin, Jasmin Doré demanda à son mari s'il était possible de faire les boutiques le lendemain. Il accepta à une condition. Lorsqu'elle demanda laquelle, il sourit largement et se dirigea vers la chambre à coucher. Elle se résigna tout d'abord, puis accepta son sort. Elle alla ensuite de bon matin en ville seule, son mari étant occupé aux affaires.

Elle opta pour la boutique la plus voyante de toute l'avenue des Princesses, qui était aussi la plus chère de toute la ville. Elle écarquilla les yeux devant tant de richesses enfin à sa portée, et s'acheta le plus de pièces possibles : deux paires de boucles d'oreilles, l'une sertie d'émeraudes, l'autre de topazes, un charmant collier très fin mais très brillant, une broche de saphir, une autre en pure orfèvrerie et enfin un collier de pattes aux mille diamants.

Lorsque le joailler lui annonça le prix elle faillit vaciller d'émotion. Il ne demandait pas moins de vingt-deux millions sept mille six cent soixante quatre écus, soit plus d'un millier de fois son ancien salaire mensuel ! Elle remplit avec peine et en tremblant le chèque donné par Diamant Scintillant, et une fois qu'elle fut remerciée par le commerçant, offrant l'écrin avec les bijoux et le plaçant bien à l'abri, elle sortit, arborant un sourire radieux et trottant de bonheur.

Malheur lui en prit de traverser la rue des moissonneurs, où elle fut renversée par une carriole sans doute en retard, qui fonçait sans prêter attention aux alentours. Jasmin Doré expira peu de temps après, jetant un dernier regard à l'écrin qui avait répandu son contenu sur la chaussée, et était maintenant trempé de boue. C'était il y a trois jours.

Nous arrivâmes enfin au cimetière et après la mise en bière, lorsque je fis demi-tour, une poney de terre bleue vint s'effondrer devant moi.

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