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Cœur de Feutre

Une fiction traduite par LittleParrot.

Chapitre 1 : L'art de la confection de poupées

Canterlot continuait de satisfaire les attentes de Rarity à la moindre occasion. L’opulente salle de bal où elle se trouvait était digne d’un roi – ou plutôt, d’une princesse, comme c’était effectivement le cas. Et elle se sentait certainement comme telle alors qu’elle ébahissait les poneys alentours de ses dernières créations. Elle avait employé peu de pierres précieuses, jugeant que le bal de charité de la Société de Bienfaisance de Stalliongrad n’était pas le meilleur endroit pour exposer quantité de gemmes inestimables, à moins qu’elles ne fussent là pour être offertes à la cause elle-même.

Malheureusement, on ne pouvait pas en dire autant de la plupart des autres participants – de ce que Rarity pouvait constater, chacune des nobles juments présentes arborait l’une de ces tenues tape-à-l’œil, chics et parsemées de pierreries qui portaient l’empreinte du savoir-faire de Hoity Toity. En réalité, c’était exactement le même modèle. Exactement la même robe.

La licorne n’avait rien contre la forme de la toilette en elle-même – elle était aussi splendide et glamour que le reste de l’œuvre du couturier. Mais elle savait que les porteuses se moquaient bien de la quantité de travail qui avait été fournie. Si Hoity Toity surgissait à ce moment précis avec encore une nouvelle tenue, il y aurait une violente confrontation pour la lui arracher des sabots, juste ici et maintenant.

Alors que Canterlot même était un glorieux témoignage du talent artistique de l’équinité, l’élite canterlotienne restait hautaine, froide et arrogante.

Les dons affluaient, mais il s’agissait tout juste d’une question d’apparences. Là, les bits payaient le prestige, la réputation d’une âme généreuse. Une telle renommée cachait bien souvent le véritable poney derrière le masque. Rarity frémit alors que son esprit revenait à la soirée du Grand Galloping Gala : ce prince abject était le pire du lot, et il s’était inopportunément révélé constituer la règle plutôt que l’exception.

Heureusement, Rarity connaissait certaines de ces exceptions en personne. Elle sourit à la pensée de l’une d’entre elles, certainement déjà endormie – à moins que son museau ne fût enfoui dans un autre de ses livres. Elle se réprimanda mentalement ; elle avait passé tant d’années à soupirer pour ce rustre grossier qu’elle n’avait pas pris en compte quelque chose – ou plutôt, quelqu’un – de bien plus proche. Après tout, la bibliothèque de Ponyville n’était qu’à un jet de pierre de la Boutique…

« Ce bal est décidément un grand succès, ne partagez-vous pas mon avis ? »

La voix arracha Rarity à ses pensées et elle lissa la ride qui s’était formée sur son museau alors qu’elle contemplait les autres participants. Elle sourit, se tournant pour faire face à une autre des exceptions – le crin gris-bleu, un monocle et un veston à se damner ; ce n’était autre que Fancypants.

« Mille mercis pour votre généreuse contribution, répondit-elle, radieuse. Votre don avait de quoi faire complexer chacun des poneys ici présents ! »

Fancypants repoussa la louange d’un geste du sabot. « Sottises. Comment dit-on de nos jours ? » Il s’éclaircit la gorge. « Si tu as ce qu’il faut, ne t’en cache pas ? »

Rarity émit un grognement disgracieux, puis rougit en constatant les regards que cela lui avait causés. « O-oui. Certes. » Elle n’avait pas le cœur de lui expliquer que ce n’était pas exactement en ce sens que la phrase était utilisée. Heureusement, l’étalon ne s’en aperçut pas.

« Je ne peux penser à une cause plus belle que le soutien d’un orphelinat. La Société mérite le moindre des bits qu’elle pourra rassembler.

— Assurément ! Je… » Un large bâillement l’interrompit, qu’elle recouvrit rapidement d’un sabot. « Oh, je suis terriblement confuse ! J’ai commencé vraiment tôt ce matin, et je dois prendre un train encore plus tôt demain… »

Fancypants sourit. « Je comprends parfaitement. Vous dormez à nouveau au château, n’est-ce pas ? demanda-t-il, et Rarity hocha la tête. Je garderai la boutique. Saluez vos amies de ma part, entendu ? »

La jument lui rendit son sourire avec reconnaissance. « Bien sûr. Bonne nuit, Fancypants. »

***

Les pas de Rarity résonnaient le long du couloir, contrastant avec l’activité habituellement présente au sein du château. Après un millier d’années de gérance diurne, la vie au palais et la société mondaine ne s’étaient pas encore parfaitement adaptées au retour de la seconde princesse d’Equestria. Luna elle-même avait choisi d’être active durant le jour pour l’instant, désireuse d’être proche de ses sujets après son millénaire de solitude, mais elle avait progressivement commencé à retourner aux horaires qui lui étaient naturels. La rumeur voulait qu’elle se fût habituée à la vie nocturne de Canterlot et qu’elle eût modifié ses heures d’éveil en conséquence.

Mais à présent ? Le Château Royal était tout à fait endormi, à l’exception des quelques gardes qui patrouillaient dans les salles ou restaient postés devant une porte. Le silence était oppressant et Rarity se sentit accélérer, pressée de regagner sa suite. Elle avait simplement à prendre à gauche là, et après le tapis rouge…

Elle s’arrêta au bout de quelques pas et baissa le regard vers ses sabots. Elle ne se souvenait pas d’avoir foulé un quelconque tapis lors de ses précédentes nuits au palais. J’ai dû me tromper de chemin. À l’évidence, elle avait besoin de sommeil. Elle fit demi-tour pour revenir en arrière mais se figea lorsque ses oreilles entendirent quelque chose de déplacé.

Des voix.

Rarity jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Tout au bout du couloir se trouvaient deux larges portes, et un mince rai de lumière filtrait par l’ouverture réduite. Quelqu’un avait apparemment oublié de les fermer. Elle s’approcha doucement, sa curiosité la poussant plus loin quand bien même son esprit lui intimait de ne pas fureter. Les voix s’éclaircirent alors qu'elle parvenait à quelques pas des portes.

« Je n’ai pas oublié ce regard, Lulu. Que caches-tu ? »

Lulu ? Rarity reconnaissait cette voix chaude et agréable. D’une façon ou d’une autre, elle était tombée sur la princesse Celestia. Mais à qui parlait-elle ?

« J-je ne cache rien du tout, ma sœur ! »

Rarity étouffa à grand peine un hoquet de surprise. Elle n’était pas simplement tombée sur une, mais bien sur les deux princesses. Elle recula. Il faut que j’y aille. Il est tard, et j’ai besoin de dormir.

« Mais si ! » insista Celestia. Elle se mit à rire. « Peut-être… qu’un étalon a retenu ton attention ? »

Oh. Je pourrais éventuellement rester un peu plus… C’était bien trop croustillant pour passer à côté. Rarity s’approcha de nouveau et lança un regard curieux à travers la mince ouverture.

Luna rougissait, avec un regard furieux pour sa sœur étendue auprès d'elle devant un feu de cheminée. « Non. Et même si c’était le cas, je ne le dirais pas à une commère comme toi ! »

Celestia gloussa. « Je plaide coupable. Mais tu me caches quand même quelque chose, Lulu. De quoi s’agit-il ? »

Luna ferma les yeux et soupira, courbant la tête de manière résignée.

« Je voulais te faire une surprise », admit-elle alors que sa corne commençait à briller. Quelque chose sortit de sa crinière – une petite forme sombre, que Rarity ne put identifier avant que la lumière du feu ne l’atteignît. C’était une poupée, une poupée en peluche qui représentait la princesse Luna en personne.

Les yeux de Celestia s’agrandirent alors qu’elle apercevait la poupée. De nombreuses émotions se mêlaient sur son visage, ce qui n’échappa pas au regard de l’alicorne sombre.

Le sourire de Luna s’atténua devant le silence de sa sœur. « Tu… tu ne l’aimes pas ? »

L’aînée sembla sortir d’une forme de torpeur.

« Je suis désolée, Lulu. J’étais juste en train de réfléchir. » Elle adressa un grand sourire à Luna, s’emparant de la peluche avec sa propre magie pour la placer entre ses antérieurs, adossée contre sa poitrine. « Cela faisait si longtemps que je n’en avais pas vue, murmura-t-elle, resserrant son étreinte sur la poupée. Et leur symbolique a… évolué, en ton absence. »

Luna inclina la tête, confuse, et sa crinière étoilée se déplaça au gré d’une brise invisible. « Comment ça ? »

Le sourire de Celestia changea, prenant une tournure plus espiègle. « C’est une tradition maintenant, qui va et qui vient toutes les centaines d’années environ, et dont la signification varie un peu à chaque fois. » La Princesse rit doucement. « Nos petits poneys lui ont même donné un nom. Cœur de Feutre. »

Luna hocha la tête puis fronça les sourcils alors qu’elle continuait d’écouter sa sœur. « Mais qu’est-ce que ça signifie ?

— Oh, je ne sais pas si je devrais te le dire…

— Tiiiaaa ! » gémit la cadette avec une moue boudeuse.

Celestia rit. « Je ne pourrai jamais résister à ce regard. Très bien. » Elle sourit à sa sœur. « De nos jours – ou plutôt, il y a à peu près un siècle, la dernière fois que la tradition a été pratiquée –, le donneur crée une poupée à son image pour l'offrir à un autre poney. Cependant… » Elle baissa le regard sur la peluche puis revint à Luna. « Cela symbolise le don de son cœur. Elle est offerte pour exprimer de l’intérêt, le désir d’une relation avec ce poney. » Son sourire s’agrandissait au même rythme que les yeux de sa sœur. « Une relation romantique.

— J-je ne savais pas, je ne voulais pas… » bredouilla Luna, son rougissement visible malgré sa robe sombre.

Un bruit de sabots résonna sur le sol de marbre, détachant l’attention de Rarity de la porte. Probablement un garde qui faisait sa ronde. Mais, même si ce n’en était pas un, être prise à fureter n'était pas une option. Alors qu’elle parcourait rapidement les alentours du regard, les mots qui provenaient de la porte restaient audibles, et Celestia poursuivait :

« Je sais, Lulu. Je l’accepte dans l’esprit du sens originel.

— Tu as mentionné que la signification avait souvent changé, fit Luna. Tu m’en dis plus ? »

Bien qu’elle voulût écouter la réponse de Celestia, Rarity ne pouvait plus se permettre de rester. Elle se hâta de parcourir le couloir en sens inverse, loin des bruits approchants, son esprit empli de ce qu’elle venait d’entendre. D’idées. Elle n’allait peut-être pas dormir autant qu’elle l’avait espéré.

La dernière chose qui lui parvint fut l’intonation maligne de Celestia. « Eh bien… »

***

Les peurs de Rarity se révélèrent fondées. Heureusement, elle avait eu la prévoyance de boucler ses nombreuses valises avant d’aller se coucher et, après quelques maigres heures de sommeil, une domestique vint l'éveiller à l’heure demandée. Elle passa immédiatement quinze minutes scandaleusement courtes à se coiffer, s’assurant d’être aussi présentable et fabuleuse que possible, même au petit matin.

Peu de poneys seraient debout à cette heure, et encore moins auraient de chances de la voir, mais il n’y avait pas d’excuse pour ne pas être belle, pas vrai ?

Cependant, à présent qu’elle se trouvait dans le train, le doux roulis menaçait de la bercer au point qu’elle se rendormît. Rarity aurait pu faire une sieste, le trajet durant plusieurs heures, mais, compte tenu de sa fatigue, elle risquait de complètement manquer son arrêt. Et le suivant était Appleloosa. Elle n’avait rien contre le foyer des cousins d’Applejack, mais elle avait du travail et ne pouvait pas se permettre ce genre de retard.

Non. À la place, elle concentra son énergie sur le fait de rester éveillée, son esprit revenant aux sujets qui l’avaient maintenue debout toute la nuit. L’idée même des poupées, et la tradition qu’elles représentaient, avaient enchanté la licorne dès l’instant où elle en avait entendu parler.

Sa passion pour les romans d’amour était bien connue de ses amies – ce dont les moins délicates d’entre elles ne manquaient pas de se moquer. Mais elle ne pouvait pas s’en empêcher ; les actes héroïques et les discours passionnés du noble protagoniste suffisaient à la faire se pâmer. Même si elle savait que ce n’étaient là que les scribouillages de juments esseulées, ils faisaient vibrer l’âme romantique de Rarity.

Mais ces poupées, cette tradition du « Cœur de Feutre » ? Les romans la faisaient vibrer, mais voilà qui la faisait frémir toute entière. Ça paraissait… réel. Ça venait du fond du cœur[1]. Elle sourit en réalisant qu’elle venait peut-être de découvrir l’origine du nom de la tradition. Twilight serait fière d’elle.

Rarity avait passé la moitié de la nuit précédente à se tortiller et à retourner l’image de sa poupée en pensée, jusqu’à ce qu’elle pût se la représenter dans les moindres détails. Elle s’était même levée pour en faire un croquis très précis. Elle avait ensuite dressé la liste de tous les matériaux dont elle aurait besoin et noté les dimensions approximatives.

Elle la ferait à peu près de la taille d’un jouet en peluche, comme un ballon de basket. Elle serait suffisamment petite pour être câlinée, mais suffisamment grande pour être mise en évidence, tout comme celle de la princesse Luna. La taille parfaite !

Elle avait fait une check-list et tout planifié. Twilight déteignait visiblement sur Rarity ; elle aurait été si fière d’elle.

Twilight.

Twilight Sparkle.

Une image de la licorne lavande se forma dans son esprit alors qu’elle baissait les paupières, ce qui semblait se produire à chaque fois qu’elle fermait les yeux. Twilight y était souriante, entourée de ses amies dans le train de Canterlot tout juste de retour de l’Empire de Cristal. Rarity pouvait sentir le contact de Twilight, son sabot reposant par-dessus celui de la bibliothécaire.

Rarity avait toujours aimé l’autre licorne, mais ç’avait été à cet instant qu’elle avait su que c’était plus que de l’amitié. Ce sourire adorable. Ce tressaillement de la paupière quelque peu effrayant, mais si attachant, qu’elle avait quand elle était contrariée. Cette splendide rayure rose dans sa crinière et dans sa queue. Et ce rire merveilleux.

Rarity savait qu’elle allait devoir mettre la moindre parcelle de son savoir-faire dans la création de cette poupée. Elle avait entendu Celestia déclarer que c’était comme donner une partie de son cœur au destinataire. Au lieu de ça, elle ferait bien comprendre que c’était tout entier qu’elle l’offrait.

Rarity sourit doucement en se représentant le reste de leur petit groupe. D’autres diraient que c’était juste son imagination, mais elle pensait bien avoir vu certains signes. La façon dont Pinkie semblait étreindre Fluttershy plus que n’importe quelle autre de ses amies, ou que n’importe quel autre poney en ville. La façon dont elle paraissait ralentir, spontanément, rien que pour s’adapter au rythme de la pégase. La façon dont Fluttershy semblait s’épanouir quand Pinkie était dans les alentours, un perpétuel sourire au visage.

De légers signes, mais suffisants pour attirer son attention.

D'un autre côté, les liens entre Rainbow Dash et Applejack étaient plus clairs. Ils restaient subtils, mais dépourvus d’ambiguïté de son point de vue. Les regards qu’elles échangeaient, leurs sourires à la dérobée, leur proximité physique constante. Elles paraissaient traîner ensemble en permanence, jamais à plus d’un jet de pierre de distance. C’était un signe plutôt révélateur. Elle se demanda brièvement si les autres l’avaient également remarqué.

Et, enfin, il y avait Twilight et elle-même.

Le sourire de Rarity s’atténua alors qu’elle poursuivait son cheminement de pensées. Elle était confiante en sa faculté à retracer les petites lignes de l’amour qui couraient entre ses quatre autres amies, et relever quoi que ce fût venant de Twilight n'aurait vraiment pas dû lui poser problème. Mais l’autre licorne était, ironiquement, un livre fermé. Bien que Rarity eût grandement apprécié le contact de son sabot sur celui de Twilight, celle-ci n'avait eu que peu voire pas de réaction.

Le fait que Twilight ne montrât d'intérêt pour aucun autre poney était un réconfort bienvenu… mais il était maigre, puisque la couturière n'avait remarqué aucun signe en sa faveur, non plus.

Et si elle ne ressentait pas la même chose ?

Cette simple idée glaça le sang de Rarity. Twilight pouvait très bien dire non. La rejeter. Ou même être offensée. Voulait-elle véritablement mettre en danger leur amitié pour un concept aussi stupide ? Des poupées ?

La réponse était évidente. Non. S'il y avait bien une chose qu'elle ne risquerait pas pour la chance d'être avec Twilight, c'était l'amitié qu'elles partageaient déjà.

Mais… peut-être y avait-il un autre moyen ? Oui – elle pouvait lui offrir la peluche de façon anonyme. Cela ajouterait un air de mystère, d'intrigue, et lui donnerait une chance d'observer la réaction de Twilight. Si elle était négative, eh bien, personne n'avait à le savoir. Personne.

Et si elle était positive ? Rarity battit des sabots d’excitation à cette idée. Elle pourrait intervenir, assumer sa responsabilité et déclarer ses sentiments, tout cela d'un seul coup. Ce serait magnifique.

Mais Twilight était intelligente. Sacrément, adorablement intelligente. Si une poupée Rarity apparaissait de nulle part, elle suspecterait la licorne elle-même. Il fallait même reconnaître qu'il n'y avait pas besoin d'être aussi intelligent que Twilight pour en venir à cette conclusion. Ses autres amies le devineraient tout aussi rapidement.

Ses amies… ces mêmes amies qu'elle observait depuis un moment à présent. Ces amies qui, pour autant qu'elle le sût, avaient passé la limite de l'amitié et se trouvaient désormais dans le royaume du cœur. Applejack et Rainbow Dash s'étaient déjà offert les leurs. Fluttershy et Pinkie Pie pouvaient bien être sur le point de faire de même – et si ce n'était pas le cas, eh bien, toutes deux étaient du genre à apprécier un tel cadeau à sa juste valeur.

Mais, quelle que fût la façon dont elles étaient reçues, ces poupées étaient une représentation concrète du partage des cœurs. Ses amies ne méritaient pas moins leurs propres peluches que Twilight. Et si chacune avait la sienne, personne ne la suspecterait.

C'était parfait.

***

Rarity relâcha la respiration qu’elle avait retenue alors qu’elle coupait l’extrémité du dernier fil puis recula de quelques pas. Elle cilla confusément, glissant un sabot derrière ses lunettes de couturière pour se frotter les yeux, et laissa échapper un large bâillement. Elle aperçut les prémices de l’aube par sa fenêtre et réalisa qu’elle avait travaillé la nuit entière. Elle avait débuté tardivement, puisque Pinkie Pie avait insisté pour fêter son retour à Ponyville et qu’elle n’avait pas pu décliner l’invitation de son amie.

Bien qu’elle fût rentrée tôt la veille, elle avait eu très peu de temps pour commencer à travailler sur les poupées. Elle avait rassemblé la plupart des matériaux et, inspirée, avait fouillé ses coffres de joyaux. Elle avait envisagé d’utiliser des perles en bois pour les yeux des peluches mais, dans un éclair de génie, avait réalisé qu’elles paraîtraient plus vivantes si leurs prunelles étaient plutôt faites de pierres précieuses. Heureusement, elle avait été en quête de gemmes seulement quelques semaines auparavant, et elle avait refait sa réserve de manière appropriée.

À ce moment-là, évidemment, il avait été temps de se rendre à la fête de Pinkie, et il aurait été impoli de ne pas arriver à l’heure. Après tout, Rarity était l’invitée d’honneur. Et, comme toujours, elle avait passé une excellente soirée. En son for intérieur, elle aurait dû être furieuse du délai ridicule imposé à son projet, mais elle ne pouvait pas se fâcher contre son amie rose. Pinkie souhaitait simplement rendre les autres poneys heureux, et elle y arrivait si bien.

Il fallait admettre que la présence de Twilight avait certainement eu plus de poids dans le changement d’avis de Rarity que tout ce qu’avait pu faire Pinkie. Durant toute la soirée, ses yeux n’avaient cessé de revenir à celle qu’elle était venue voir, assimilant ses traits, son attitude, sa personnalité. Son âme même, si elle pouvait y parvenir. Elle voulait capturer son essence.

Elle avait fini par réussir à se détacher de Twilight et avait pris un peu de temps pour observer de même ses autres amies, bien qu’elle n’y eût sûrement pas mis autant de zèle. Mais elles méritaient tout autant d’efforts.

Et ces efforts avaient payé, pensait-elle alors qu’elle jaugeait les résultats de son travail d’un œil critique, la lumière du petit matin brillant à travers la fenêtre et baignant la pièce d’une lueur chaleureuse.

Rarity s’était attaquée à la poupée Rainbow Dash en premier. Elle s’était imaginé qu’il s’agirait de la plus complexe mais avait, de son point de vue, admirablement relevé le défi. De plus, elle pensait que la pégase aurait apprécié l’idée d’être la première. Ses nombreuses couleurs avaient assurément posé problème, mais la peluche bleu ciel semblait prête à s’envoler à tout moment, les ailes impatientes. La crinière avait l’aspect ébouriffé de son modèle et, bien que Rarity voulût la brosser, elle la laissa en l’état. Les spinelles[2] qu’elle avait utilisées pour les yeux étincelaient, en écho à la vigueur de la véritable jument.

Applejack, bien sûr, avait été la suivante. Il aurait paru… incorrect, d’une certaine manière, de ne pas faire succéder à la première poupée celle de sa partenaire. Elle avait utilisé toute sa réserve de fil doré pour la crinière d’Applejack, et ne le regrettait pas le moins du monde en la regardant briller à la lumière de l’aube. Les couleurs de la peluche étaient vibrantes de vie tout comme la ponette elle-même, depuis sa robe orange vif jusqu’à ses yeux d’émeraudes.

Rarity avait toujours admiré la grâce de Fluttershy. La pégase l’exprimait inconsciemment et n’y aurait pas cru elle-même, mais sa brève carrière de top-modèle avait révélé au monde ce que son amie avait toujours su, et celle-ci s’était assurée de le refléter en confectionnant sa poupée. Le pelage soigneusement brossé, les longs crins fluides, les ailes immaculées, et la paire d’yeux en aventurine[3] pour compléter le tout. Dans son état de fatigue, elle aurait presque pu jurer qu’elle regardait la véritable jument en miniature.

Pinkie avait assurément été délicate à réaliser. En dépit de ses excentricités, Rarity aimait énormément la ponette fêtarde. Mais elle pouvait se montrer terriblement frustrante par moments, et la peluche semblait le prendre à cœur, puisque la plupart des plans initiaux de la licorne avaient dû être repensés. La robe avait été simple et les topazes bleus correspondaient aux yeux de Pinkie, d’une couleur similaire à ceux de Rarity. La crinière, cependant, venait clairement du Tartare. Elle avait lutté avec pendant bien plus de temps qu’elle ne voulait l’admettre, dans une tentative de recréer les frisottis de l’originale. Elle s’était finalement rabattue sur de la laine effilochée, ce qui amuserait certainement Pinkie au plus haut point et imitait la « voluminescence » de ses crins, pour reprendre l’expression qu’avait un jour employée Rainbow Dash pour en parler.

Sa propre poupée avait été un jeu de poulains. Après tout, qui la connaissait mieux qu’elle-même ? Un pelage blanc immaculé, des yeux en saphir et une crinière qu’elle avait coiffée un million de fois. Il fallait admettre que c’était la première fois qu’elle utilisait du fil de fer pour lui donner la bonne forme, mais cela tenait.

Twilight allait l’adorer.

Rarity jeta un œil aux matériaux restants puis par la fenêtre, observant la lumière croissante qui affluait à l’intérieur. Elle avait tout préparé, toutes les pièces nécessaires à la confection de sa propre poupée Twilight. Mais elle était si fatiguée. Elle comprit que, dans son état, le risque de faire une erreur était extrêmement élevé. Et cela ne pouvait pas se produire, pas avec celle-ci.

Elle devait être parfaite.

Rarity cligna vaguement les yeux, dans un bâillement. Bien qu’elle voulût créer la dernière peluche, elle ne pouvait pas la laisser être rien de moins que le bouquet final. Et pour cela, elle devait aller dormir, le plus vite possible.

Cependant, cela ne voulait pas dire qu’elle ne pouvait pas envoyer les autres. Se dirigeant vers sa remise, la licorne fit léviter cinq des boîtes qu’elle utilisait pour les commandes volumineuses. Bientôt, toutes cinq étaient emballées et scellées, avec un léger rembourrage dans chacune d’entre elles pour en maintenir le contenu en bon état. Elle avait intentionnellement écrit les adresses de ses amies avec sa bouche plutôt que sa corne, consciente que son écriture habituelle serait bien trop révélatrice de l’identité de l’expéditeur.

Manteau noir ? Ok. Cinq boîtes prêtes à être envoyées ? Ok. Sac de bits pour payer les frais de port ? Ok. Tous les objets cités déposés, sans que personne ne la voie ? Une excursion heureusement brève, et ok.

Sommeil réparateur ? Ok. En triple exemplaire. Avec effet immédiat.

***

« Eh bien, fit Celestia, cherchant ses mots. Tu sais aussi bien que moi comment tout cela a commencé, Luna. »

La cadette acquiesça. « Un présent familial. Un symbole d’amour et de respect entre parents et enfants, ou au sein d’une fratrie. » Elle fronça les sourcils en regardant le foyer. « Te rappelles-tu qui l’a commencée ? Cela fait si longtemps… »

Celestia secoua la tête. « Non. Mais peut-être est-ce documenté dans les archives. » Elle souleva la poupée de sa magie et la percha sur son crâne, tout contre sa couronne. « J’ai toujours préféré le sens originel. »

Luna rit et se rapprocha, avide d’en entendre plus. « Qu’est-ce qui a suivi ?

— Les poneys ont commencé à les offrir à d’autres, en dehors de leurs familles. C’était un signe de confiance. C’en est finalement venu à signifier : “Je te considère comme faisant partie de ma famille.”

— Ce devait être un grand honneur », réfléchit Luna.

Celestia approuva. « Pour certains. Mais cela représentait plus qu’un honneur. » Elle sourit devant le sourcil levé de sa sœur. « C’était un symbole de profonde amitié. »

***

Twilight Sparkle se détourna de ses rayonnages en entendant un coup frappé à sa porte. Sa corne brillait alors qu’elle faisait léviter de nombreux ouvrages autour d’elle, occupée à la réorganisation hebdomadaire de la bibliothèque. Elle déplaça brièvement sa concentration et la porte d’entrée fut entourée d’un halo violet, s’ouvrant pour révéler nulle autre que la postière, Derpy.

« Une livraison pour Twilight Sparkle !

— Je suis là, Derpy. Entre ! » Elle retourna à ses étagères, fit rapidement flotter les livres jusqu’à leurs emplacements respectifs et hocha la tête de satisfaction. Tout était à sa place. Elle fit volte-face et bondit en arrière, surprise, en découvrant une paire d’yeux dorés qui la fixait à une longueur de corne.

« C’est troooop génial ! » Derpy était tout sourire, ses ailes papillonnant avec animation.

« Euh, merci ? » Twilight cilla, confuse. Elle remarqua ensuite la boîte placée sur le dos de Derpy. « Est-ce que c’est pour moi ?

— Hein ? » La pégase virevolta et hoqueta de surprise. « Oh ! Ouais ! » Elle observa la magie de Twilight qui s’emparait du paquet puis plongea la tête dans son sac pour en sortir un carnet. « Sgn ‘ci stpl ! »

Twilight rit de l’excentricité de Derpy. Une plume flotta vers le calepin et traça rapidement sa signature sur le formulaire. La postière sourit largement et le replaça dans son sac. « Eh ben. J’ai beaucoup de paquets aujourd’hui ! »

Elle fronça les sourcils, songeant à une chose qu’elle était seule à connaître, mais reprit de l’entrain aussi vite qu’elle avait baissé la tête. « Bon, je dois y aller ! Salut, Twilight ! »

Toujours souriante, la bibliothécaire retourna près de la boîte et la posa doucement sur la table, se demandant de quoi il pouvait s’agir. Elle n’attendait rien de particulier. Peut-être était-ce pour Spike ? Mais Derpy avait dit que le colis était pour elle-même, donc c’était peu probable. Elle illuminait sa corne pour ouvrir le paquet quand elle fut renversée par un objet moelleux mais lourd.

« Hiya, Twilight !

— Pinkie ? grogna la licorne, ses yeux roulant dans leurs orbites. Pour quelle raison m’as-tu fait tomber ?

— Parce que je suis excitée ! Je n’ai pas été aussi excitée depuis hier ! La fête de Rarity n’était pas sympa ? Tu ne t’es pas amusée ? »

Twilight leva les yeux au ciel sous l’avalanche verbale. « Bien sûr que je me suis amusée, Pinkie. Mais pourquoi es-tu excitée maintenant ? Où est la fête ? »

La ponette rose s’étrangla. « Il y a une fête ? Où ? Qui l’a organisée ? Pourquoi on ne m’a rien dit ?!

— Pinkie ! s’écria Twilight. Du calme. Il n’y a pas de fête ! C’était juste une expression !

— Oh. Ne me fais pas de faux espoirs comme ça, nunuche !

— J’essaierai, pouffa Twilight. Alors, qu’y a-t-il ?

— Oh ! » Pinkie sourit, se remémorant visiblement la raison de sa venue. Elle leva un sabot jusqu’à sa crinière et en sortit quelque chose de jaune et rose. En l’examinant, Twilight détermina rapidement qu’il s’agissait d’une peluche, qui représentait Fluttershy. La crinière, les ailes et la couleur du pelage étaient facilement identifiables.

Pinkie continuait de parler tout en tendant la poupée à Twilight. « Je viens de l’avoir par la poste. Je ne sais pas qui l’a envoyée mais elle est si adorable et mignonne et OH CELESTIA TU EN AS EU UNE TOI AUSSI ?!

— Eu une ? Une quoi ? » Twilight recula devant l’augmentation soudaine de volume alors que la ponette rose bondissait vers la table, scrutant intensément la boîte qui s’y trouvait.

Son amie sautillait, à peine capable de contenir son excitation. « Une peluche ! La mienne est arrivée dans un paquet juste comme celui-là ! Allez, ouvre-le !

— Très bien, très bien ! » Elle se rapprocha de la table, également pressée de voir si la prédiction de Pinkie allait s’avérer juste. Y avait-il une poupée à l’intérieur ? Sa magie s’illumina, découpant le ruban adhésif qui maintenait la boîte fermée. Avant de l’ouvrir, Twilight jeta un œil à l’adresse. Elle put apercevoir uniquement le destinataire, à savoir elle-même, mais pas d’expéditeur. Elle haussa les épaules, mettant ce mystère de côté pour le moment. Elle n’était pas certaine de savoir combien de temps elle pourrait supporter une Pinkie sur ressorts, et l’unique moyen de la calmer était de déballer le paquet.

Ouvrant les rabats, elle laissa sa magie plonger à l’intérieur de la boîte, se saisissant des objets qu’elle contenait. Une fois qu’elle eut ôté le rembourrage, l’accès fut dégagé, autorisant la licorne à soulever ce qui avait été protégé.

Il s’agissait, en effet, d’une deuxième poupée. Mais, à leur surprise, elle n’était pas comme celle de Pinkie. Au lieu d’une autre Fluttershy, Twilight avait sorti une peluche blanche, avec des crins violets et des yeux saphir. Même si elle n’avait pas immédiatement reconnu l’une de ses amies à l’aide de ses simples couleurs, la cutie mark représentant trois diamants n’aurait laissé aucune place au doute.

Pinkie était aux anges. « Hiii ! Elle est magnifique ! »

Twilight ne pouvait qu’approuver. « En effet. Elle est vraiment bien faite ! » Elle contempla la poupée entre les sabots de Pinkie et fronça un peu les sourcils. « Mais pourquoi Rarity ? Et pourquoi as-tu eu Fluttershy ? »

Pinkie haussa les épaules, son sourire toujours aussi large que possible. « Je sais pas ! Peut-être… » Elle fut coupée par une collision sonore. La porte de la bibliothèque avait été brusquement enfoncée, ouverte avec trop de force.

Rainbow Dash sourit d’un air coupable, se grattant la tête avec un sabot. « Euh, désolée pour ça. Donc ! » Elle s’éclaircit la gorge. « Je viens juste d’avoir ce paquet avec une étrange… » Les mots moururent sur ses lèvres alors qu’elle apercevait les objets que tenaient ses amies. « Attendez, vous en avez reçues aussi ? »

Pinkie ne perdit pas de temps et bondit sur la nouvelle arrivante. « T’as eu qui Dash ? Qui, qui, qui ? »

Rainbow eut un mouvement de recul, s’éloignant un peu du museau de Pinkie. « Euh, A.J.

— Tu as eu Applejack ? répéta Twilight. C’est étrange. Trois d’entre nous ont reçu ces peluches. Peut-être que les autres en ont eu aussi ? » Elle jeta soudain un coup d’œil à la ronde, cherchant son assistant du regard. « Spike ? Spike ! Où es-tu ? »

Le dragon sortit de la cuisine, mastiquant bruyamment un sandwich. « Pas la peine de crier, je suis là.

— Spike ! J’ai besoin que tu ailles chercher Rarity. Demande-lui de venir ici immédiatement. » Twilight se tourna vers Dash, manquant le salut militaire du petit dragon. « Rainbow ! Occupe-toi de Fluttershy et d’Applejack.

— Ça marche ! s’écria la pégase, qui sortit au galop avant de s’élancer dans le ciel.

— Pinkie, tu… » Elle recula avec un hoquet de surprise, pivotant pour se retrouver à quelques centimètres des yeux bleus de son amie. Qu’avaient donc les poneys à être si proches d’elle aujourd’hui ?

« Twilight ? » demanda doucement Pinkie, la mine impatiente, pleine d’espoir.

La licorne déglutit, son cœur battant toujours frénétiquement. « O-oui ?

— Je peux… je peux jouer avec ? » La ponette terrestre désignait la poupée blanche qui reposait gauchement sur la table. La magie de Twilight l’y avait abandonnée au moment où elle avait perdu sa concentration.

Twilight cilla, se calmant enfin. « B-bien sûr, vas-y. Mais sois prudente ! Elle a l’air délicate. »

Pinkie avait déjà bondi et placé la poupée Fluttershy à côté de la Rarity miniature. Elle posa ses sabots derrière les têtes des peluches et les fit bouger en même temps qu’elle parlait.

« Oh, Fluttershy, commença-t-elle en une pâle imitation de la voix de Rarity. Le spa est tellement… torride ! »

Twilight se figea. Elle ne va pas…

« Il fait trop chaud pour que je porte cette serviette ! poursuivit Pinkie. J’espère que ça ne te dérange pas si… je l’enlève. »

Eh si. « Pinkie, qu’est-ce que tu fais ? » demanda Twilight dans une tentative de réprimande. Mais la ponette l’ignora complètement.

« En fait, Fluttershy, peut-être que tu devrais retirer la tienne aussi !

— Pinkie… » Twilight avait grondé le nom de son amie, son exaspération augmentant.

Pinkie continuait. « Hum, ok… » imita-t-elle, et Twilight aurait pu jurer que la pégase se trouvait dans la pièce. C’était exactement sa voix. Puis Pinkie retourna à Rarity : « Oh, Fluttershy, tes ailes sont si… majestueuses ! Surtout, mmh, lorsqu’elles sont déployées ! »

Le rougissement que Twilight avait combattu finit par vaincre sa maîtrise d’elle-même. « Pinkie ! Arrête ça !

— Mouah ! Mouah ! » Pinkie demeurait sourde alors qu’elle pressait les têtes des poupées l’une contre l’autre, émettant des bruits de baisers mouillés. Twilight s’apprêtait à illuminer sa corne pour arracher les peluches à l’étreinte de la ponette rose quand elle entendit une voix à la porte.

Rarity entra dans la bibliothèque, un sourire aux lèvres. « Bonjour les filles, que se passe-t-il ?

— O-oh, hey, Rarity ! » fut la réponse incertaine qu’elle reçut. Il semblait qu’elle eût surpris quelque chose et que Twilight essayât – sans trop de succès – de masquer son embarras d’un sourire forcé.

Mais la mine enjouée de Rarity était aussi contrefaite que celle de Twilight. De l’extérieur, elle semblait heureuse et insouciante mais, à l’intérieur, une large palette d’émotions déferlait sur elle, alors qu’elle essayait de comprendre ce que signifiait l’expression de Twilight. Confusion. Elle paraît… nerveuse. Inquiétude. Est-ce qu’elle sait ? Est-ce qu’elle a déjà deviné ? Excitation. Je peux lui dire, enfin ! Panique. Mais elle est nerveuse. Est-ce bon signe ? Ou mauvais signe ? Crainte. Peut-être la Princesse lui avait-elle déjà parlé des poupées ?

Elle avait vu la façon dont Celestia et sa protégée agissaient l’une envers l’autre. Il ne s’agissait pas simplement d’une relation entre une élève et son professeur, mais de bien plus. Si Rarity n’avait pas su que Twilight avait effectivement des parents, elle aurait pensé que la Princesse était la mère de la jeune licorne. Elles se comportaient comme si elles faisaient partie de la même famille.

Et la famille échangeait. Celestia pouvait très bien avoir écrit une lettre à Twilight, lui racontant que Luna lui avait offert une peluche. Rarity s’était enfuie avant de pouvoir surprendre les détails que donnait la Princesse à propos des autres significations des poupées et, à présent, Twilight les connaissait probablement tous. Oh là là. Elle sait.

Son oreille tiqua quand elle réalisa que son amie lui avait parlé et qu’elle n’avait rien écouté. Elle s’éclaircit la gorge, espérant ne pas sembler trop perturbée. « Je suis désolée, ma chère, j’ai eu une seconde d’inattention. Pourrais-tu répéter ?

— J’ai dit que j’attendais les autres. On a une sorte de mystère sur les sabots. » Twilight jeta un œil à Pinkie, qui jouait toujours avec les peluches.

« Oh, les poupées ? T-tu en as eu une, toi aussi ? demanda Rarity de manière peu naturelle, suivant le regard de Twilight. Que fais-tu, Pinkie ? » Elle tressaillit intérieurement en la voyant écraser les deux peluches l’une contre l’autre. Elles n’étaient pas réellement fragiles et pouvaient certainement supporter un traitement un peu brusque et quelques chutes… mais cela ne voulait pas dire qu’elle appréciait cette vision, en plus de tous ses autres problèmes.

« Oh ! » Pinkie se redressa, remarquant la nouvelle venue. « Je suis en train de jouer avec ! C’est vos activités lascives au sauna lors de votre journée spa !

— Hiii ! »

La réplique indignée de Rarity mourut dans sa gorge alors qu’elle se tournait vers la source du cri : une Fluttershy pétrifiée, se tenant dans l’encadrement de la porte. A-t-elle entendu ça ?

« L-l-l-lasci… oh Celestia ! » La pauvre pégase se recroquevilla derrière sa crinière, son visage prenant la carnation d’une tomate.

Oh que oui.

« Je suis désolée, les filles ! plaida Twilight d’un air exaspéré. Je ne pensais pas qu’elle ferait ça ! J’ai essayé de l’arrêter… c’est tellement embarrassant ! » Elle pouvait à peine regarder Rarity ou Fluttershy dans les yeux.

Alors c’était… oh Celestia. Rarity eut besoin de toute sa maîtrise d’elle-même pour arrêter le tressautement de sa paupière. C’était juste ça ? Son soulagement était presque palpable et elle ne savait pas s’il fallait en rire ou en pleurer. Twilight n’avait pas tout découvert. Son secret était toujours sauf.

Mais cela, c’était scandaleux ! « Pinkie ! Tu sais aussi bien que moi que ce genre de choses n’arrive pas au spa !

— Ooh, mais c’est amusant de faire semblant !

— C’est indigne ! siffla Rarity, jetant un regard noir à son amie.

— Je ne pense pas que Fluttershy trouve cela amusant », ajouta Twilight, désignant la ponette toujours recroquevillée. Pinkie poussa un petit cri et bondit immédiatement dans sa direction, les poupées oubliées sur la table.

« Je suis désolée, Fluttershy ! » La jument rose se baissa jusqu’au sol, au niveau de la pégase, et celle-ci lui jeta un coup d’œil par-dessus sa crinière. « J’étais juste en train de taquiner Twilight !

— Ç-ça va, Pinkie… » marmonna Fluttershy, toujours rouge. Elle piailla quand Pinkie lui sourit et l’attira dans un doux câlin.

« Mais qu’est-ce qu’y s’passe ici ? demanda Applejack, alors qu’elle et Rainbow Dash apparaissaient derrière Fluttershy, assimilant l’étrange scène qui se déroulait devant elles.

Twilight s’éclaircit la gorge, l’air toujours un peu tendue. « Ne faites pas attention à ça ! Asseyez-vous les filles, il se passe quelque chose d’étrange.

— C’est à propos d’ces poupées ? hasarda la fermière. Dash m’a dit que toi et Pinkie en avez eu une aussi. »

Twilight approuva. « En effet. Et Rarity également, semble-t-il. Fluttershy, en as-tu reçu une ? »

Rarity déglutit tandis que la pégase hochait la tête avec un petit : « O-oui ». Une onde de culpabilité la traversa. Techniquement, elle n’avait pas menti – à aucun moment elle n’avait effectivement dit qu’elle avait aussi une peluche, et Twilight l’avait simplement supposé. Tout de même, les mots mensongers lui pesaient aussi lourdement que si c’était elle qui les avait prononcés.

Heureusement, tout le monde semblait concentré sur Twilight. « Pinkie, tu as reçu cette poupée Fluttershy. » Elle ignora le couinement de celle-ci alors que Pinkie hochait la tête, brandissant la peluche en question. « Je sais que Rainbow a eu Applejack…

— Ouais », confirma la pégase en haussant les épaules. Rarity releva la façon dont les sourcils d’Applejack se levaient.

Twilight approuva, sa corne s’illuminant alors qu’elle faisait léviter la poupée blanche devant elle. « Et j’ai reçu une peluche Rarity. Fluttershy, qui as-tu eu ? »

L’intéressée fixait le sol en se tordant les sabots. « Je. Hum. J’ai eu… Pinkie Pie. » Elle piailla à nouveau alors que la ponette rose couinait de délice, câlinant d’abord la poupée puis Fluttershy elle-même. Un instant, Rarity oublia sa panique, souriant au duo. Toutes les réserves qu’elle avait eues avant de confectionner leurs deux peluches disparaissaient.

Twilight poursuivait. « Applejack, tu as reçu…

— Dash, coupa la fermière, avec un regard pour Rainbow.

— Ce qui veut dire que Rarity a dû m’avoir », acheva Twilight.

Rarity ne put se résoudre à lui répondre et hocha simplement la tête.

Twilight se frotta le menton du sabot, plongée dans ses pensées. « Il y a forcément un motif dans ces associations, mais quel est-il ? »

Rarity observait toujours attentivement ses amies alors qu’elles réagissaient à la question de Twilight. C’était en partie dû à son inquiétude – n’importe laquelle d’entre elles pouvait commencer à en suspecter une deuxième, et elle faisait une cible aussi facile que les autres – et en partie à de la pure curiosité. Elle avait initialement créé les poupées parce qu’elle avait cru distinguer quelque chose entre ses amies mais, depuis qu’elle les avait terminées, elle s’était retrouvée à scruter les couples qu’elle avait devinés, comme pour justifier le temps et les efforts passés à fabriquer les peluches.

Elle ne manqua pas le coup d’œil qu’Applejack lança à Rainbow Dash, ni le petit sourire en coin qui l’accompagnait. Rainbow leva un sourcil en retour, avant de hausser les épaules. Fluttershy secoua la tête, l’air aussi perdue que les autres.

Et Pinkie souriait.

« Attendez. Attendez. Je crois… je crois que j’ai compris ! Je crois que j’ai compris ! J’ai carrément compris ! »

Rarity ne put que la dévisager, horrifiée. À part Twilight, elle n’avait pas eu l’idée que l’une de ses amies pût connaître la tradition. Pourquoi cela ne lui était-il jamais venu à l’esprit, elle ne le savait pas. Elle essayait désespérément de trouver quelque chose à dire ou à faire, sans succès.

Elle ne pouvait qu’attendre que la tempête s’abatte sur elle.

« Euh, j’ai pas compris. »

Quoi.

« C’est plutôt ton rayon, Twi.

— Le mien ? »

Rarity sourit, les mots d’Applejack la tirant de sa confusion momentanée. Oh, je pourrais t’embrasser pour ça. « Évidemment, ma chère, fit-elle, s’adressant à Twilight. C’est un mystère – une recherche à effectuer, pour ainsi dire. »

Elle sourit en voyant les yeux de Twilight briller de compréhension et d’impatience.

« Et je – nous savons toutes à quel point tu adores ça », se corrigea-t-elle au dernier moment. C’était limite.

« Tu as raison. Je dois juste prendre ça comme un projet de recherche ! Merci les filles ! Je m’y mets de suite ! » Twilight adressa un grand sourire au groupe avant que son estomac ne grognât bruyamment. « Après manger, plutôt. » Elle rougit, s’attirant le rire de ses amies.

Applejack se releva, étirant ses jambes. « Bon, maintenant que c’est arrangé, j’retourne à la ferme. Ces pommes vont pas se ramasser seules, même si j’voudrais bien.

« Fluttershy, tu dois me montrer la poupée-moi ! réclama Pinkie alors qu’elle hissait la jument en question sur ses sabots. S’il te plaaaaaaît ?

— Oh – mais – je – il faut toujours que je nourrisse certains de mes animaux… bredouilla la pégase, et elle réprima un sourire quand Pinkie se jeta sur elle en boudant, yeux et lèvres tremblants. Mais je suppose qu’on pourrait le faire ensemble ?

— Yaay ! Et ma Flutterpoupée pourra dire “bonjour” aussi ! »

Rarity entendit Fluttershy bafouiller : « F-Flutterpoupée ? » alors que le duo quittait la bibliothèque, bientôt suivies d’Applejack et Rainbow Dash. La fashionista remarqua la façon dont Rainbow se tenait proche de la terrestre, comme si elle projetait de la suivre tout du long jusqu’à Sweet Apple Acres. Elle hocha la tête pour elle-même. Alors qu’elle avait eu une légère inquiétude concernant la paire rose et jaune, elle n’avait jamais eu le moindre doute à propos du couple turbulent.

Bien trop tôt, seuls demeuraient là Twilight, Spike et elle-même.

« Tu veux manger un morceau, Rarity ? » s’enquit Twilight, un sabot levé en direction de la cuisine.

Rarity secoua la tête. « Ça ira, merci. Va donc calmer la bête sauvage dans ton estomac. » Elle chassa l’autre licorne d’un geste. Alors que Twilight lui tirait la langue puis quittait la pièce, les yeux de Rarity ne purent s’empêcher de la suivre jusqu’à ce qu’elle fût hors de vue. Soupirant, elle se tourna vers les étagères. Assurément, parmi tous ces livres, certains donneraient à Twilight l’indice qu’elle cherchait. Elle ferait aussi bien de s’assurer que la bibliothécaire eût effectivement quelque chose à trouver.

Elle sursauta lorsque le dernier occupant de la salle se mit à parler. Elle l’avait complètement oublié, trop concentrée sur le départ de Twilight.

« Tu l’aimes.

— Je – quoi ? hoqueta Rarity, faisant volte-face pour regarder Spike en espérant que son cœur ralentirait sous peu. Qu’est-ce qui t’as donné cette idée ? »

Le jeune dragon se donna un moment avant de répondre, doucement : « Je connais ce regard. En général, je te regarde comme ça. »

Rarity sentit un poids s’installer au creux de son ventre. « Oh, Spike… »

Il prit quelques instants pour se calmer avant de lui adresser un sourire hésitant. « J’ai toujours su que ça ne pouvait pas marcher. Tu n’es pas de ma tranche d’âge, pas de mon espèce, pas dans ma catégorie. » Il haussa les épaules avec un soupir. « Mais, eh, les meilleures choses ont une fin ! »

Rarity pouvait sentir son cœur se tordre aux mots de Spike. Elle se rapprocha du jeune dragon et l’enveloppa dans un câlin. « Peut-être que je ne suis pas aussi loin de “ta tranche d’âge” que tu le penses, Spike. Tu grandis. » Elle se pencha vers lui et planta un baiser sur le sommet de son crâne. « Et personne n’est hors de ta catégorie. Tu es un parfait gentlecolt. Enfin, gentledragon. »

Spike maintint l’accolade un petit moment, avant de s’éloigner et de se frotter le nez. « Merci », prononça-t-il avec un sourire plus affirmé.

Rarity détestait l’idée de lui poser la question, mais elle devait le faire. Même si c’était retourner le couteau dans la plaie du dragon. « Vas-tu le lui dire ? »

Il grimaça. « Non. » Il leva une serre avant qu’elle ne puisse répondre. « Je ne vais pas me mettre en travers de ton chemin. Mais ne t’attends pas non plus à ce que je t’aide. » Il secoua la tête. « Ce serait un peu trop.

— Bien sûr, Spike. Merci. » Elle regarda ailleurs, incapable de croiser son regard. « Et je suis désolée.

— Ne le sois pas. Rends-la simplement heureuse, Rarity. » Spike prit une profonde inspiration, avant de se tourner vers la cuisine. « Pour l’heure, je vais juste m’assurer qu’elle ne mette pas le feu à la maison. »

Rarity attendit d’entendre la porte se refermer derrière lui avant de pivoter à nouveau vers les étagères. Tout empressement de confirmer la présence de supports de recherche au sein de la bibliothèque l’avait quittée, mais elle devait en être certaine.

P pour « Poupée »… Attends, « 426.71 GRE » ? Ce n’est pas dans l’ordre alphabétique ! Comment Pinkie…

***

« Ça a fini par dépasser la simple amitié, cependant.

— Dépasser l’amitié ? » demanda Luna, les sourcils haussés.

Celestia acquiesça. « Oui. C’est finalement devenu un symbole de “famille”. »

Luna leva un sabot. « Attends. Ne viens-tu pas juste de dire que c’était une histoire de famille avant ça ?

« En effet. Mais il s’agissait de la famille véritable – parents, enfants, frères et sœurs. » Celestia sourit à la sienne, l’effleurant doucement du museau une fois de plus, comme pour rattraper le millénaire qu’elles avaient passé sans se toucher. « C’était différent. Ça a changé pour signifier “Je veux que tu deviennes de ma famille.” » Elle appuya le mot, amplifiant son sens.

Les yeux de Luna s’agrandirent. « Tu veux dire…

— Pas seulement. D’un adulte à un poulain, c’était une déclaration d’adoption officieuse. Entre deux adultes, cela voulait dire qu’ils se considéraient comme faisant partie de la même fratrie. » Celestia sourit à sa sœur, discernant la question dans ses yeux. « Mais, oui, il y avait aussi un aspect romantique, quand il s’agissait d’une jument et d’un étalon. » Celestia fronça légèrement les sourcils. « Ou occasionnellement de deux juments ou de deux étalons, mais ce genre de relations n’étaient pas vraiment rendues publiques, en ces temps-là. Heureusement, les mentalités ont changé. »

Luna contempla le feu, pensive. « Cela fait beaucoup de choses à assimiler, Tia. » Elle leva un sourcil en entendant sa sœur s’esclaffer. « Il y en a encore ?

— Une dernière chose, oui… »

***

Pinkie Pie gloussa alors qu’elle montait les escaliers du Sugarcube Corner, droit vers sa chambre, attentive à ne pas faire tomber la poupée Fluttershy qui se trouvait sur son dos. Une fois à l’intérieur, elle sourit plus intensément que jamais. Elle revenait du cottage de Fluttershy, où elle avait finalement pu rencontrer sa version en peluche. Elle avait probablement effrayé plus d’un des petits animaux de Fluttershy avec son couinement de délice. La robe, les yeux, les crins et la cutie mark étaient tous Pinkitastiques ! Elle devait trouver le poney qui les avait faites pour lui organiser la plus grande fête de tous les temps.

Pinkie rua en direction du lit, faisant décrire à la peluche un arc parfait jusqu’à ce qu’elle reposât sur les oreillers avec ses compagnons : une horde de poupées de chiffon, qu’elle avait fabriquées elle-même. Il y avait sa famille de la ferme de cailloux, les Cake et leurs jumeaux, Cranky et Matilda, et même les princesses.

Et, évidemment, ses cinq amies.

Pinkie avait songé à créer une poupée pour chaque poney qu’elle considérait comme un ami mais, comme cela concernait tout Ponyville, elle avait réalisé longtemps auparavant qu’elle n’avait pas réellement la place de stocker autant de peluches, et s’en était tenue à ceux dont elle était la plus proche.

Elle sautilla jusqu’à son coffre, fouillant à l’intérieur jusqu’à trouver le nécessaire pour souhaiter la bienvenue au nouveau membre de sa famille en tissu. Petite table. Tasses. Théière. Chapeau, portant la mention « 10/6 »[4].

Bientôt, tout fut en place, en particulier son couvre-chef. Elle leva sa tasse et fit un large sourire à la nouvelle poupée Fluttershy, qui était assise en face d’elle avec une deuxième tasse entre ses sabots. « Fluttershy ! Ton anniversaire est dans quatre mois. Cela veut dire qu’aujourd’hui… est ton non-anniversaire ! » Elle pointa la peluche du sabot. « Alors faisons la fête ! »

***

« Aaah… AAAAH-tchoum ! » Fluttershy se frotta le museau. Quelqu’un était-il en train de parler d’elle ? Elle espéra que ce n’était rien de méchant.

Elle se secoua et se concentra de nouveau sur sa tâche en cours – un repas. Elle se faisait de la soupe, ainsi qu’un petit supplément pour Angel. Il faisait encore des siennes et avait demandé – poliment, il avait retenu la leçon – quelque chose de plus élaboré qu’à l’ordinaire : une « salade aux cent nuages ». Elle se tenait devant le plan de travail, les ingrédients d’un côté, le livre de cuisine de l’autre, et s’attaquait à cette recette complexe.

Angel était également présent, surveillant Fluttershy d’un œil. Mais il restait surtout debout, pattes croisés, assassinant le livre de cuisine du regard. Ou plutôt, ce qui le maintenait.

« Oh, ne le prends pas comme ça, Angel, roucoula Fluttershy. Pinkie ne fait que m’aider. » Le lapin ne détourna pas les yeux, tirant la langue à la poupée qui était assise derrière l’ouvrage. La pégase fronça brièvement les sourcils tout en retournant à sa cuisine, remuant la soupe qui bouillonnait dans la marmite. « J’aurais dû lui proposer de rester déjeuner… » marmonna-t-elle.

Elle leva une aile pour tourner la page mais, distraite comme elle l’était, manqua son but de peu. Elle renversa le livre, l’envoyant rouler au sol avec la peluche.

« Oh Celestia ! Je suis désolée, Pinkie ! » Fluttershy ramassa la poupée et la replaça sur le comptoir, l'époussetant pour la garder propre. « Je suis désolée, je ne faisais pas attention ! Es-tu blessée ? » Elle l’inspecta, soulevant chaque sabot et l’examinant avec soin.

Sur le plan de travail, Angel se frappa le front de la patte.

***

Spike s’affairait dans la bibliothèque, brandissant son arme contre l’ennemi. Son puissant plumeau vaincrait la poussière et la saleté, et laisserait l’endroit propre et brillant. Ou, du moins, aussi brillant qu’une telle pièce pouvait l’être.

Il n’était cependant pas seul. Du coin de l’œil, il observait Twilight. Elle avait mangé puis s’était mise à ses recherches. À présent, elle était entourée d’une douzaine de livres qui traitaient tous plus ou moins de poupées. Elle aurait dû être ravie, plongée qu’elle était dans son élément : la lecture.

Mais, chaque fois qu’il la regardait, il s’apercevait que quelque chose n’allait pas. Sa concentration habituelle était absente et son attention ne cessait de s’éloigner de ses études. Il l’avait surprise à jeter des coups d’œil de côté et elle avait même complètement tourné la tête vers la table une fois ou deux, entièrement focalisée sur l’objet qui y reposait – la peluche blanche avec la crinière violette et bouclée.

Spike retourna à son travail, peu désireux de s’attarder sur le sujet. La blessure était toujours fraîche et, s’il y pensait trop longuement, il se mettrait certainement à pleurer. Mais Rarity avait dit qu’il grandissait. Il ne la décevrait pas en versant des larmes.

Tout de même, il était étrange que Twilight fût si… distraite. Elle avait tendance à se perdre dans les écrits, ignorant tout ce qui l’entourait au point de perdre également la notion du temps. Mais peut-être, puisque la poupée faisait partie du mystère, l’étudiait-elle simplement comme une référence.

Quelques étagères plus tard, il lui jeta un nouveau regard qui le fit ciller. La concentration de la bibliothécaire était de retour et elle brillait de son enthousiasme habituel. Elle avait l’air bien plus détendue, ses yeux parcourant les lignes de texte à toute allure. La peluche était blottie entre ses antérieurs, face au livre, et la tête de Twilight était penchée en avant, son menton reposant sur la crinière de la poupée.

Spike eut son premier véritable sourire depuis sa conversation avec Rarity. C’était Twilight – tant qu’elle était heureuse, peu lui importait que la cause en fût une peluche ou non.

***

« Attention à l’endroit où tu mets tes sabots, Blondie[5] !

— J’mets mes sabots où j’veux et même que ça va te plaire, Daring !

— Plus tard, sûrement, mais pour l’instant évite de mettre tes sabots dans l’un de ces pièges mortels qui sont placés là depuis un millénaire !

— Oh. Euh, ouais. J’vais faire gaffe. »

Rainbow Dash sourit largement en déplaçant Blondie et Daring Do à travers son lit, les faisant sauter par-dessus les divers objets qu’elle y avait disposés pour simuler les nombreux pièges auxquels le duo devait échapper. Elles en pinçaient vraiment l’une pour l’autre, même si les livres ne l’énonçaient pas clairement. Il suffisait juste de « lire entre les lignes », comme Twilight avait appelé ça. D’un autre côté, la licorne avait aussi dit que c’était Rainbow qui s’imaginait tout cela, puisque les relations romantiques n’étaient pas appropriées pour le divertissement des poulains. Il n’y avait rien de gênant dans l’association, avait-elle argumenté, l’audience ciblée était simplement trop jeune pour un tel sujet.

Rainbow s’ébroua. Il y avait carrément quelque chose entre ces deux-là, elle l’avait bien remarqué. Et, à présent qu’elle avait cette poupée Applejack qui faisait une excellente doublure de Blondie, elle avait finalement une compagne d’aventure pour sa propre peluche de Daring Do, qu’elle avait achetée après avoir lu la série complète. Pas qu’un autre poney pût vraiment l’apprendre. Après tout, Blondie rappelait franchement Applejack. Yeux verts, pelage orange, taches de rousseur, crinière blonde. Même l’image de couverture lui ressemblait presque exactement, elle était juste… plus grise. Et elle avait un long manteau. Rainbow se demanda brièvement si de tels habits existaient en taille peluche. Peut-être Rarity pouvait-elle lui en faire un ?

Rainbow souleva la poupée Applejack, l’observant de plus près. Quiconque l’avait fabriquée avait fait un travail génial. Le moindre détail, depuis le chapeau jusqu’à la cutie mark, était aussi proche de la perfection que possible. Si proche, en fait, qu’elle ne put résister à l’envie d’attirer la peluche à elle pour un câlin, se blottissant amoureusement contre elle. Elle ne pouvait se lasser du contact de la fourrure d’Applejack sur la sienne, de la sensation de l’avoir à ses côtés alors qu’elle enroulait une aile autour de la terrestre, pelotonnées à chaque fois qu’elles étaient seules.

Mais bien qu’elle aimât se pelotonner, Rainbow ne pourrait jamais le révéler à un autre poney. Sa réputation durement acquise tomberait en ruine et elle serait la risée de la ville, peut-être même de tout Equestria. Qui avait déjà entendu parler d’un Wonderbolt fleur bleue ? Par chance, elle avait réussi à convaincre Applejack de garder leur relation secrète. L’honnête fermière avait longuement levé les yeux au ciel, mais elle avait fini par céder. Même si elle continuait de taquiner Dash à ce sujet de temps à autre.

Rainbow secoua la tête pour s’arracher à ces pensées, se concentrant à nouveau sur l’aventure. Daring Do venait juste de faire une erreur digne d’une pouliche : après avoir obtenu sans encombre le précieux trésor – les lunettes dorées des Wonderbolt –, elle avait laissé son attention faiblir et amorcé l’un des pièges les plus mortels de toute l’équinité.

La gigantesque pomme roulante.

Daring et Blondie tournèrent les talons et se mirent à courir, déclenchant tous les chausse-trapes qu’elles croisaient. Daring pivota la tête et mesura du regard l’immense fruit qui déboulait sur elles.

« Mais comment cette pomme a-t-elle fait pour pousser autant ? demanda Dash, prêtant sa propre voix à l’intrépide exploratrice. – Et comment j’le saurais ? J’ai l’air d’une fermière p’têtre ? » se répondit-elle, imitant l’accent campagnard d’Applejack pour faire la desperado. Puis elle gloussa, poussant les poupées du sabot tout en faisant rouler une pomme derrière elles avec une aile.

C’était tellement amusant.

***

Applejack lança son Stetson sur le portemanteau en rentrant chez elle. Il était impoli de garder son chapeau en mangeant, même lorsqu’on était seul. Apple Bloom était toujours à l’école, Big Mac était aux champs et Granny Smith s’était endormie dans son fauteuil à bascule devant la cheminée.

Puisqu’elle s’était enfuie pour aller voir les filles, Applejack avait manqué le repas de midi, mais une certaine vieille ponette avait laissé quelques beignets sur la table à son attention, qu’elle engloutit rapidement. Ils lui suffiraient pour le restant de la journée, jusqu’au traditionnel gros dîner de la famille Apple. Entretemps, elle avait toujours beaucoup de travail à effectuer. La fermière s’avança vers la porte d’entrée, attrapant son chapeau et le replaçant sur sa tête, mais s’immobilisa, un sabot déjà dans l’embrasure.

Applejack lança un coup d’œil en arrière, en direction de l’escalier qui menait aux chambres. Elle pivota de nouveau vers la porte et observa le ciel, remarquant les quelques nuages restants – certains petits, un autre grand avec des fontaines arc-en-ciel. Elle hocha la tête pour elle-même, retourna à l’intérieur et trotta vers l’étage.

Quand elle redescendit, son chapeau était toujours sur sa tête, mais il était à présent orné d’une ficelle qui sécurisait le passager qui avait pris place à son bord – une petite poupée bleue, avec une crinière prismatique et une paire d’ailes bleues.

Applejack sortit en trottant joyeusement, le pas vif et léger alors qu’elle se dirigeait vers le verger. Toute à son plaisir, elle ne remarqua pas que la vieille jument s’était réveillée et avait suivi sa petite-fille du regard.

Granny Smith avait vu la nouvelle addition au couvre-chef d’Applejack et avait étréci les yeux. Des engrenages se déclenchèrent, de vieux souvenirs longtemps oubliés refirent surface. Elle avait une vague idée de ce que pouvait signifier cette peluche et il n’y avait qu’un moyen de le savoir. Il lui semblait qu’elle se devait de trouver une jeune pégase arc-en-ciel.

Juste après avoir achevé sa sieste.

[1] En anglais, “It was heartfelt.”, jeu de mots intraduisible avec la tradition du “Felt Heart”.

[2] Spinelle : oxyde de magnésium et d’aluminium, de couleur rouge.

[3] Aventurine : variété de quartz, de couleur verte.

[4] 10/6 : inscription présente sur le chapeau du Chapelier Fou d’Alice au Pays des Merveilles.

[5] Blondie : référence à une fiction AppleDash anglophone connue, What would Daring Do.

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