La mort est un petit poney noir homosexuel

J’ouvris brusquement les yeux lorsque je sentis mon corps s’enfoncer peu à peu dans ce qui devait être de l’eau. Je ne savais pas ce que je faisais là, ni même où j’étais, mais la panique prit rapidement le dessus alors que j’agitais mes sabots pour rester le plus possible la tête hors de l’eau. J’avais beau me débattre comme une damnée, je n’arrivais qu’à m’enfoncer encore plus dans cette eau glaciale. Il n’y avait aucun endroit sûr pour m’y accrocher, j’étais au beau milieu de l'océan. Le ciel était recouvert d’une brume grisâtre qui m’empêchait de voir à plus d’une dizaine de mètres.

Je sentis les larmes déborder de mes yeux alors que mon corps était davantage entraîné par le fond. Où étais-je tombée ? Le Taxidermiste avait-il eu le temps de me jeter un sort ? Pourquoi n’étais-je plus sous ma forme de succube ? J’eus à peine le temps de prendre une bouffée d’air avant d’être totalement immergée. La force qui me traînait vers le fond décida de s’intensifier, sombrant encore plus vite dans les abîmes glacials et obscurs.

J’étais déjà perdue, cela ne servait plus à rien de retenir ma respiration ou de me débattre, il y avait des combats qui étaient déjà perdus d’avance à l’instant où l’on déclenchait un piège. Le mieux que je pouvais espérer, c’était de mourir rapidement, ce qui n’était pas gagné dans la situation actuelle des choses. Mon esprit n’arrivait plus à raisonner correctement, j’espérais encore un signe du destin alors que mes poumons réclamaient une dernière bouffée d’air. Je me mis à hurler sous l’eau en me serrant le crâne espérant plus que tout ne plus souffrir de trop. Le liquide glacial me trancha la gorge tellement il était froid, j’eus alors un hoquet de surpris en me mettant à respirer normalement, les poumons remplis d’eau.

Je ne savais toujours pas où je me trouvais, mais cette perspective d’avoir évité la mort me permis de me détendre plus que de raison alors que je tombais toujours peu à peu dans les néants troubles des profondeurs. En règle normale, il fallait que je me bouge, que je cherche encore à fuir ce destin qui m’avait entraîné jusqu’ici sans que je ne puisse rien faire, mais j’étais en vie, c’était le principal pour le moment. L’eau ne me semblait plus aussi froide alors que je détendais mon corps en observant la surface s’éloigner de plus en plus. Ce n’était plus si effrayant, je trouvais même cela plutôt joli.

Quelque chose troubla alors la surface, une tache sombre qui était bien trop loin pour que je puisse la distinguer. Cette chose était-elle en train de vivre l'expérience qui m’avait été offerte quelques secondes plus tôt ? C’est alors que ce point sombre se mit à briller d’une lumière verte. Celle-ci se fit de plus en plus intense, prenant peu à peu une forme et des contours. On aurait dit un immense squelette, celui d’un corbeau, les orbites caverneux semblaient m’observer au loin. Il était immense, il était magnifique.

L’animal battit des ailes et je sentis une nouvelle vague de froid glisser le long de mon corps, m’obligeant à me recroqueviller sur moi-même, mes ailes étendues tout autour de mon corps. L’immense créature squelettique n’avait pourtant rien sur les ailes si ce n’était que des os pour se propulser, néanmoins, il parcourut une grande distance en se rapprochant dangereusement vite de moi. Mon esprit était en alerte, mais mon corps ne voulait pas lui obéir. Quoi qu’il puisse m’arriver, la mort ne semblait pas la pire des idées à l’heure actuelle.

Le corbeau vert s’arrêta juste en face, son regard dépourvu d’yeux était dirigé sur moi comme s’il hésitait encore à passer à l’attaque. Puis, il rapprocha ses deux grandes ailes décharnées et m’entoura avec. La lumière était tellement intense, insupportable, que je fermai les yeux en espérant que tout ça se termine rapidement.

Enfin, je me retrouvais à nouveau avec le froid, la douleur, la peur. Ma tête était à nouveau hors de l’eau et ce fut instinctivement que je me mis à battre des sabots pour m’y maintenir. Il n’y avait toujours rien à la surface en dehors du brouillard omniprésent. J’entendis cependant des bruits dans l’eau juste derrière moi. Brusquement, je me retournai pour apercevoir un poney en train de nager vers une petite barque, je me mis directement à le suivre, ne sachant pas si c’était le mieux à faire.

Il eut du mal à grimper dans sa barque, comme si l’attraction que l’eau avait eue sur moi était en train de se manifester à nouveau, pourtant je ne ressentais rien. Une fois en sécurité, il se retourna sur moi et attendit que je m’approche pour me tendre un sabot zébré.

Je le fusillai alors du regard. C’était lui, le Taxidermiste, sous sa véritable forme, son tout premier corps. Maintenant, je n’étais plus du tout certaine d’être en sécurité.

« Crois-moi, tu n’as aucune envie de rester dans cette eau. » Fit-il, la patte toujours tendue vers moi.

Je finis par l’accepter et m’en servis pour me hisser non sans battre des ailes pour m’extirper de l’eau plus aisément. Une fois les sabots sur le plancher, je me mis à l’autre bout de la barque en m’apprêtant à l’affronter à nouveau.

« Hey, calme-toi, je t’aurais pas sauvée si c’était pour essayer de te tuer juste après ?

-Alors pourquoi est-ce que tu as essayé de me tuer avant si c’est pour me sauver juste après ? »

Il haussa simplement les sourcils en soupirant, puis se plaça à l’autre bout de la barque comme pour me laisser de l’air. Ne voyant là aucun risque imminent, je me mis à respirer plus calmement en observant un peu l’endroit où je me trouvais. Nous étions toujours au milieu d’un océan calme et totalement dénué de tout courant. Le brouillard s’était légèrement dissipé, mais il m’était toujours impossible de voir le ciel ainsi qu’un quelconque endroit jusqu’auquel voler.

La barque n’était pas très grande, juste assez pour accueillir trois poneys au maximum. Il y avait une petite lanterne au bout d’une longue perche accrochée à la proue juste derrière moi. La petite flamme verte qui brûlait ne bougeait pas d’un poil, je ne savais même pas ce qui était en train de brûler pour produire cette couleur, mais je me retournai bien vite sur la seule personne capable de me donner les réponses que je désirais. Le zèbre arborait une crinière dont le noir avait été remplacé par un mauve criard. Elle retombait mollement sur son visage à cause de l’humidité et cachait en partie ses yeux de la même couleur.

« Où est-c…

-Dans l’autre monde bien sûr. » Me coupa-t-il en haussant les épaules, arborant un léger sourire. Je regardai à nouveau autour de moi, c’était ça l’autre monde ? Un immense océan entouré de brume. « J’imagine que c’est ta première venue ici, alors laisse-moi te souhaiter la bienvenue. J’espère que tu as apprécié ta petite baignade dans la rivière des âmes. »

Je fronçai un moment les sourcils avant de pencher la tête en dehors de la barque pour observer l’eau. Elle était étincelante, mais toutes ces lumières provenaient des profondeurs. Certaines étaient vives, d’autre presque éteintes, elles bougeaient en continu, vite ou lentement. La rivière des âmes… je ne me serais jamais attendue à ce qu’elle se trouve dans l’autre monde.

« Qu-qu’est-ce que ça veut dire… pourquoi je suis là, moi ? » Demandais-je la gorge serrée, en tournant légèrement le regard vers le Taxidermiste.

« Allons, tu n’as pas une petite idée ?

-J-je t’ai tué, je m’en rappelle, j’ai arraché la pièce qui te retenait dans mon monde, puis… » Je ne me rappelais plus de ce qui se passait après cela, c’était le trou noir. « Mort t’a aidé ?! » Crachais-je les dents serrées.

Le zèbre se mit à rire en s’installant un peu mieux dans sa barque avant de secouer la tête.

« J’ai cru un instant que Mort viendrait m’aider, mais il n’est pas vraiment facile de manipuler une entité immortelle qui distribue la mort par sa simple présence. » Il me fixa en me pointant de son sabot. « Tu es là uniquement par ta faute, et c’est grâce à moi que tu es dans l’autre monde, sinon, tu te complairais encore dans ces eaux glaciales. »

Mon attention se reporta alors sur les profondeurs étincelantes, juste avant que je ne vois une immense masse sombre passer dans les étoiles et les éteindre. Cette chose continua sa route sans se soucier des lumières qu’elle laissait sur le côté, avançant sans s’arrêter ni ralentir.

« Qu’est-ce que c’est ? » Je sentis un frisson parcourir tout mon corps à la vision de cette créature.

« Un passeur, ou un fléau… La lumière, le néant, les limbes, l’enfer, rien… Personne ne sait ce que ces choses sont, ni même ce qu’elles font et ce qu’il arrive aux âmes gobées. Et ça, ça fait peur à tout le monde. » Répondit-il en se rapprochant de moi pour observer cette chose. « S’il avait été plus proche, jamais je ne serai descendu te chercher.

-Comment peut-on faire pour rester dans un endroit pareil aussi longtemps ? » Fis-je en regardant à nouveau autour de moi à la recherche de la moindre chose qui puisse signaler une présence. « Pas étonnant que tu sois devenu complètement fou.

-Je te remercie. » Dit-il en se mettant à rire. « Et qui s’attendait à ce que la présence lunaire se soit réfugiée ici et y ait trouvé son alter ego. Celestia elle-même n’aurait pas pu deviner qu’elle allait tomber amoureuse d’elle. »

Je secouais la tête sans même chercher à comprendre ce qu’il venait de dire. Il m’aurait fallu bien plus de temps dans cet endroit pour réellement comprendre tout ce qu’il disait, et je n’avais aucune envie de rester plus longtemps ici.

« Comment fait-on pour sortir d’ici ? » Demandais-je en déployant mes ailes.

« Qui te dit que je vais t’aider ? » Demanda-t-il en détournant le regard, sans se départir de son stupide sourire.

« Tu viens de me sauver la vie… et je t’en remercie. » Je ne savais pas si c’était une bonne idée de remercier un type pareil, mais il l’avait tout de même mérité. « Donc, si je ne suis pas dans la rivière des âmes, c’est bien que mon corps m’attend encore dans mon monde.

-Et des poneys sont déjà restés des années dans le coma sans que jamais ils ne réussissent à rejoindre leur corps… » Chantonna-t-il en balançant la tête. « Pourquoi souhaites-tu déjà partir ? C’est la première fois que tu as l’occasion de visiter l’autre monde, de rencontrer tous les monstres qui n’ont pas encore rejoint le tien, et toi, tu veux déjà oublier tout ça ?

-Peut-être que je ne suis pas un monstre fait pour vivre ici.

-Qui sait, peut-être que tu le deviendras. » Dit-il en s’avançant pour placer un sabot sur mon épaule.

Je l’observais un moment, le regard planté dans ses yeux mauves. Il n’était pas si mal, il avait même l’air gentil quand il faisait un effort pour sourire. Son corps de zèbre était jeune, peut-être même plus que moi. Comment quelqu’un comme lui avait-il pu sombrer dans la folie de la sorte, le poussant à s’attaquer sans jugement à toutes créatures qu’il croisait ? Pourquoi avait-il attaqué Carmen et Flashlight, m’envoyer ce message personnel, pour me sauver alors qu’il aurait pu me laisser mourir ?

« Je ne veux pas rester ici… » Lui dis-je alors que je sentis ma voix se mettre à trembler. Il étira alors un peu plus son sourire, il avait l’air rassurant pour un zèbre qui avait essayé de me tuer.

« Tout va s’arranger Cadance, je te le promets, il faut juste attendre un peu…

-Je ne veux pas attendre, je déteste déjà cet endroit… » Rétorquais-je les dents serrées alors que je sentais les premières larmes déborder de mes yeux.

Le Taxidermiste gloussa légèrement avant de se rapprocher encore de moi, faisant glisser le sabot qu’il avait sur mon épaule le long de mon encolure pour me serrer légèrement contre lui. Il était presque aussi grand que moi, ce qui me permit de laisser ma tête reposer contre son crâne.

« Je sais ce que tu ressens, mais je te le promets Cadance, d’ici quelques instants, tout va s’arranger pour toi.

-Et toi ?... » Murmurais-je en le serrant un peu plus contre moi. Il aurait pu me laisser mourir, moi, j’aurais pu essayer de le jeter dans l’eau, je n’avais plus aucune arme, mais je ne doutais pas avoir plus de force que lui. Mais il m’avait sauvée… et je craignais devoir me battre contre un corbeau géant squelettique… Et il était le seul capable de me dire comment revenir dans mon monde.

« Moi ? » Dit-il en s’écartant légèrement, restant toujours à ma portée. « Ne t’inquiète pas pour moi, tout ceci n’est pas ma fin, ce n’est que mon commencement. Il me faudra juste plus de temps pour revenir.

-Ce n’est pas juste… » Lâchais-je en détournant le regard. Les monstres étaient tous les mêmes, impossible de s’en débarrasser. « Et il n’y a aucun moyen pour te faire changer d’avis ? » Je penchais la tête sur le côté alors que mes oreilles se dressèrent sur mon crâne. Peut-être qu’il y avait une chance. « Je t’ai vaincu, tu sais que tu n’as aucune chance… alors, tu pourrais revenir du bon côté, non ? »

Il afficha alors un air grave en baissant la tête. Il devait me trouver stupide, mais au moins, j’aurais tenté ma chance.

« Désolé Cadance, mais je ne crois pas qu’il y ait un bon côté en étant dirigé par la présence lunaire. Je crois trop en ces choses qui me font peur, qui m’ont prit tout ce que j’ai, de ça, j’en ai la certitude, et mon combat ne prendra jamais fin à cause d’eux. Jamais je n’oublierai ce qu’ils m’ont fait.

-Tu as dû vivre l’enfer dans notre monde… » murmurais-je alors en me mettant déjà à sa place. Il avait beau être fou, il avait raison sur un point, une fois devenu Marshall, l’avenir ne semblait être qu’une suite d'événements de plus en plus horribles. « Mais tu sais que c’est tout simplement impossible de couper le lien entre nos mondes. Tu t’engages dans un combat éternel qui n’aura jamais de fin…

-Ton combat à toi ne semble pas vraiment différent, excepté que la fin de celui-ci signifiera indubitablement ta mort. » Expliqua-t-il en haussant les épaules. Puis, il retourna s’installer à sa place pour continuer, la voix pleine de mélancolie. « Je crois en ces causes perdues que tu ne peux voir, et je crois que les ténèbres sont là uniquement pour nous rappeler où la lumière se cache. Mais elle est de plus en plus ténue, et bientôt, même la folie n’arrivera plus à me guider sur le bon chemin.

-C’est complètement injuste… » Maugréais-je en me réinstallant de mon côté de la barque, le regard perdu dans l’horizon brumeux. « Je crois que j’aurais plus intérêt à abandonner ce rôle, et essayer d’avoir une vie normale.

-Cela fera de toi l’un de ces monstres qui essayent de s’adapter… J’avais essayé de faire cela il y a longtemps de ça, mais c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir. Nous attirons les ennuis comme du sirop avec les mouches. »

Je fermai les yeux un instant en ressentant une étrange fatigue s’emparer de mon corps. Étais-je à nouveau en train de mourir ? Le Taxidermiste ne me ferait pas une chose pareille, si ?

« Bats-toi Cadance, poursuis ton combat, ne crains aucun démon et complète ton devoir.

-Pourquoi cela t’importe-t-il à ce point ? Je te rappelle que tu as essayé de me tuer il y a moins d’une heure de ça. »

Le zèbre se releva brusquement et se pencha sur moi.

« Parce que je te comprends, Cadance, et qu’il faut quelqu’un pour défendre cette ville si je ne suis pas là. Tu n’es clairement pas la plus qualifiée pour prendre les bonnes décisions, mais tu es la seule capable de remplir ce rôle.

-Je ne sais pas si je dois prendre ça bien ou non… » Répondis-je les oreilles plaquées contre mon crâne, ce qui fit rire le Taxidermiste.

« Je trouve formidable le combat que tu mènes pour ton amour perdu. Je t’admire pour poursuivre une voie que j’ai moi-même suivie, mais c’est ainsi, tu ne peux sauver personne de cette manière. J’espère juste que les derniers mots gravés sur ta tombe ne seront pas adressés à mon égard…

-Pourquoi t’en voudrais-je après tout ? » Fis-je lascivement. « Tu n’es pas la première personne à essayer de me tuer, et toi au moins, tu n'essaies pas de me manipuler. Mais qui te dit que je ne serai pas encore là à ton retour dans mon monde ?

-Parce que j’ai suivi le même parcours que toi, j’ai ressenti la douleur de perdre cette personne que j’étais et que tu es actuellement. J’ai rendu l’âme depuis tellement longtemps, mais je suis toujours là… Zenoviy est mort, laissant la place au Taxidermiste. Si nos routes venaient à se recroiser, je ne pense pas retrouver la jeune Cadance prête à vouloir aider tout le monde, cherchant à se différencier des monstres, manipulables à souhait.

-Qui te dit que je vais craquer ? Tu penses que c’est obligatoire, que tous les Marshalls finiront par perdre la tête ou devenir les monstres qu’ils combattent. Mais moi, je sais que je tiendrai le coup jusqu’à mon dernier souffle… Je suis plus forte que toi. » Je me levai pour lui faire face, affichant un air serein. Il n’était qu’un fou parmi tant d’autres, moi, je pouvais faire la différence.

« C’est tout ce que je te souhaite, accroche-toi, même si je ne partage pas ton avis sur la meilleure chose à faire pour notre monde, j’espère que tu te battras jusqu’au bout. » Ses longues oreilles se dressèrent sur son crâne, et il se mit à observer un point juste derrière moi. « Je crois que c’est maintenant que nos routes se séparent. Rassure-toi, tu ne me verras pas avant très longtemps, mon pouvoir n’est pas facile à contrôler pour diriger un corps depuis ton monde. Quand je reviendrai, je ferai en sorte que tu sois la première au courant. » Expliqua-t-il en se mettant à rire alors que la barque se mettait à tanguer.

Je me retournai alors et vis une étrange lumière intense dans le brouillard, me faisant plisser les yeux. Était-ce vraiment mon ticket de retour que j’avais en face de moi ? Je voulus battre des ailes pour me rapprocher, mais je ne réussis à capter aucun courant d’air capable de m’élever. L’autre monde était bien étrange…

« Laisse-moi t’accompagner… » Annonça le Taxidermiste qui était déjà en dehors de la barque. Je l’observais avec stupéfaction en le voyant marcher sur l’eau calme qui ressemblait à un immense miroir. « La rivière n’accueille que ceux qui meurent. » Je pris alors la patte qu’il me tendait et posa un premier sabot sur la surface lisse de l’océan. Je ne ressentais absolument rien, c’était comme si mon sabot flottait dans le vide, pourtant, j’étais bien sur une surface solide capable de me supporter.

« Mort doit t’attendre de l’autre côté, j’imagine qu’il me fait toujours un peu la tête, alors s’il te plait, évite de parler de moi…

-...Mort… » Bredouillais-je alors que nous étions en marche vers la lumière.

« Ne t’inquiète pas, si tu retournes dans ton monde, c’est bien parce que tu n’es pas sur sa liste pour le moment. » Répondit-il avec le sourire. Il s’arrêta ensuite juste devant l’étrange passage lumineux. « Eh bien, j’espère que c’est un adieu. » Il tiqua légèrement avant de reprendre rapidement. « Oh et n’hésite pas à fouiller dans la poche de mon manteau, je voulais parier vingt bits sur ta mort, mais bon, tu te doutes bien que je n’allais pas revoir Luna pour officialiser mon pari.

-Vous adorez vraiment tous ce jeu affreux ? » Demandais-je les sourcils froncés.

« Nous ne sommes que des monstres. » Plaisanta-t-il en s’écartant légèrement.

J’observais encore cet étrange chemin de lumière, incapable de me dire si c’était la bonne voie, ou celle qui m'entraînerait vers le néant. Quoi qu’il en soit, l’idée de l’emprunter semblait plus rassurante que de rester ici. Mettant un premier sabot devant moi, je m’arrêtai brusquement pour me retourner sur Zenoviy.

« Dis-moi, j’ai une dernière question… qui n’a rien à voir avec tout cela.

-Pose, je verrai si je te répondrai ou pas.

-Quel est ton travers ? » Demandais-je la tête penchée. Le zèbre se mit à glousser avant de partir sur un rire plus franc.

« La caféine. » Répondit-il simplement. « J’en suis complètement accro et je ne peux pas m’empêcher d’en boire, même quand il est mauvais… et toi ? » Il détourna aussitôt le regard, comme gêné de poser cette question auquel il avait lui-même répondu.

« La nourriture… principalement le sucré.

-Ah, ça explique les…

-Même ici je suis prête à te tuer si tu termines ta phrase ! » Avertis-je sur un ton glacial.

« D’accord… » Il se racla la gorge tandis que je le fusillais toujours du regard. « Eeet… sinon, j’ai envie de savoir, quand Luna s’invite dans tes rêves, elle y installe toujours un bar ?

-Il y a longtemps de ça, elle s’est invitée dans mes rêves parce qu’elle devait me parler d’une affaire urgente, elle a passé toute la nuit à boire dans ma tête. » Racontais-je en me mettant à rire.

« Et tu prenais quoi comme alcool ?

-Oh euhm… du Gin tonic, et toi ? » Répondis-je quelque peu surprise par la question. Après tout, je lui avais demandé son travers, je pouvais bien répondre à cette question.

« Irish coffee.

-Évidemment… Même si je me demande si c’est conseillé de boire du café dans ses rêves.

-J’en avais des crampes à l’estomac le lendemain matin. » Plaisanta-t-il avant que le silence ne retombe enfin. Il n’avait plus de raison de me tuer, il partageait juste avec la dernière personne qu’il voyait avant un long moment de solitude. « J’espère ne jamais te revoir. » Conclut-il en s’écartant encore, me laissant un peu d’intimité avec mon destin qui brillait intensément dans la brume.

« J’espère pour toi…

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On aurait pu croire que la première chose qui nous venait à l’esprit lorsqu’on revenait à la vie, c’était une douce lumière qui nous baignait jusqu’à ce qu’on ouvre les yeux, ou même encore l’image de nos proches qui nous ont soutenu toute notre vie. Une jolie musique passée sur un film en noir et blanc de ses meilleurs instants vécus, les lèvres de notre beau prince qui vient de nous embrasser pour nous réveiller de ce cauchemar…

Non, en réalité, j’avais juste l’impression de me réveiller après un lendemain de cuite. Tout était douloureux à l’intérieur et autour de moi, la lumière de la lune était déjà trop intense pour mes yeux trop sensibles. Je me mis à grogner lorsque je tentai de me redresser.

« Doucement, ce n’est pas conseillé de se relever aussi vite quand on revient d’un aussi long voyage. »

J’ouvris brusquement les yeux, surprise d’entendre la voix de quelqu’un d’autre dans le cimetière de Canterlot. Je me mis alors à hurler en me tenant le crâne, incapable de supporter la vision d’horreur qui s’était présentée à moi.

Une chose, une créature, un monstre, c’était tout simplement innommable. Je ne l’avais vu qu’une seule seconde avant de refermer les yeux, mais sa vision allait me hanter à jamais. C’était indescriptible, je n’arrivais pas à mettre des mots concrets sur ce que j’avais vu, tout ce que je voulais pour le moment, c’était oublier tout ça. Mais la seconde vision d’horreur qui m’avait frappée, c’était la couleur rouge que la lune venait de prendre et qui baignait tout le cimetière d’un halo carmin.

« QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE BORDEL !!! » Hurlais-je en rampant en arrière, incapable de rouvrir les yeux.

« De quoi est-ce que tu parles ? » Me demanda la chose qui avait une voix tellement grave et profonde qu’elle résonnait encore dans le fond de mon crâne bien après qu’il se taise.

« LA LUNE ! » Rétorquais-je en pressant ma tête de mes sabots.

Je sentis cette aberration placer l’une des choses qui lui servaient de patte sur mon épaule, son contact était froid, glacial, mais je ne réussis pas à bouger d’un seul centimètre. Je ne voulais plus rien voir, tout oublier, cette horreur était dans ma tête. C’était comme une crise cardiaque qui n’arrêtait pas de se déclencher et s’arrêter une fraction de seconde avant de reprendre.

« Calme-toi, fais le vide dans ton esprit, oublie tout cela, contente-toi de fermer les yeux sur ton monde, ferme les yeux sur la vérité. »

Sa voix paraissait de moins en moins grave et assourdissante. Je me mis à compter jusqu’à dix, prenant en compte le conseil que me donnait cette abomination. C’était étrange de se dire qu’il suffisait de tout oublier pour que cela fonctionne, si ça pouvait marcher avec tous mes problèmes alors je l’aurais fait depuis longtemps.

« Il suffit juste de fermer les yeux, comme ton monde l’a toujours fait. »

Je hochai la tête avant de me retourner dans la direction d’où provenait la voix. Sa voix n’était plus du tout douloureuse à entendre, elle semblait tout à fait normale. Je mis tout de même un sabot devant mes yeux avant de les ouvrir, ne voulant pas revivre une expérience aussi traumatisante que brusque.

La lumière projetée par l’étoile lunaire avait repris sa couleur d’origine, moi qui avais pris moins de cinq minutes pour compter jusqu’à dix, je constatais très vite que le résultat avait été efficace.

Une lune d’argent dans le ciel, et un poney noir qui me dévisageait alors que j’étais allongée au sol. Je me redressai alors péniblement, ne me méfiant même pas du poney qui se trouvait là. Je venais de voir le pire et il m’avait fait oublier tout de ce que le mot sécurité voulait dire.

« Pourquoi la lune était rouge ? E-et pourquoi elle est redevenue normale à présent ? » Demandais-je l’esprit et la voix encore dans le vague.

« Tu es revenue de l’autre monde, tu y as vu des choses que jamais tu ne verras dans le tien. Cela t’a rendu plus lucide sur ce qui se trouve face à toi. Mais tu n’as pas accepté ce savoir, tu as décidé de le refouler en toi, fermer les yeux à nouveau, t’enfermer dans ce beau mensonge qu’est ton monde. Tu n’as pas à t’en vouloir, il est très rare de trouver des personnes prêtes à accepter ce don de lucidité. La vérité est un fardeau que personne n’aime à porter. » Expliqua-t-il avec une certaine sagesse.

« Tu me prends pour une conne, c’est ça ?! » Me vexais-je en fronçant les sourcils.

Le petit poney noir sursauta avant de faire un pas en arrière.

« Euhm… N-n-no-non. J-je vou...vou...voulais juste d-d-dire qu-que cccc’était normal.

-Oh merde c’est toi Mort ? » Je me réveillai brusquement en faisant un pas vers lui, cherchant un moyen pour m’excuser et ne pas l’énerver davantage. « Désolée, j’ai eu du mal à me réveiller… c’est pas tous les jours qu’on meurt… Je sais que c’est un peu ridicule de ma part de m’énerver sur toi, alors que tu pourrais me tuer sans que je ne puisse rien y faire… Sans rancune ?

-Y-y-y-y a pas de mal. J-j-j-jjje… exxxcuse-m-moi. »

Il se retourna alors rapidement pour se mettre à respirer plus fort. La mort venait-elle vraiment de s’excuser auprès de moi ? Je constatai rapidement que j’étais toujours dans le cimetière de Canterlot, à mes sabots, le corps qu’avait utilisé le Taxidermiste, et à une dizaine de mètres de nous, les cadavres encore debout qui restaient silencieux et immobiles.

Ne sachant pas si le mieux à faire était de m’en aller en courant, je me dirigeai vers Mort qui semblait toujours avoir des difficultés pour reprendre son calme. Je posai alors un sabot sur son épaule pour essayer de l’aider, ne sachant pas si j’étais en train de faire une grave erreur. Il tenta alors d’afficher un léger sourire, comme pour me faire comprendre qu’il appréciait mon geste. C’était donc ça, la mort ? Un petit poney noir homosexuel qui bégaye ? Et c’était moi, où il était en train de me faire une crise d’asthme ?

Je devais admettre que le Taxidermiste avait tout de même de bons goûts, même si on parlait de la mort, ce petit poney au physique androgyne n’était pas mal du tout. Ce qui était le plus troublant, c’était ses yeux d’un bleu roi tellement profond qu’on avait l’impression de voir une porte vers la rivière des âmes elle-même.

Mort finit par se détendre enfin pendant que je lui caressais le dos de manière distraite. Il se retourna alors sur moi, l’air quelque peu gêné, puis m’expliqua : « M-merci de ta patience… Désolé, mais je déteste les lundis. »

Je me retenais de lui dire qu’il était déjà plus de trois heures du matin et donc que nous étions mardi, cela n’était pas toujours une bonne chose de contrarier la mort en personne… Surtout si c’était pour qu’il me refasse une nouvelle crise. Je hochai alors la tête en l’écoutant poursuivre.

« Je suis arrivé juste à temps pour ton départ, puis j’ai attendu que tu reviennes pour t’aider à ranger tout ce bazar. » Il leva alors un sabot pour désigner tout le cimetière.

« Comment ça, tu m’as fait revenir à la vie juste pour m’occuper de ça ?

-Quoi ? » Demanda-t-il en penchant la tête sur le côté en me perçant de son regard surnaturel. « Oh non, tu dois me confondre avec quelqu’un d’autre, moi je ne ramène pas les gens, je les fais partir, c’est tout. C’est Zenoviy qui a évité que tu ne partes pour de bon, après, comme tu n’avais plus de raison d’être là-bas, il est normal que ton âme retourne dans son corps.

-Mais… Pourquoi est-ce qu’il m’a tué alors si c’est pour me sauver juste après.

-Là encore tu confonds nos pouvoirs. » Dit-il d’une voix étrangement joviale. « Enfin, disons que ce n’était plus dans son intérêt de te tuer s’il n’était plus là, et moi… Disons que si je t’ai emmené, c’est juste parce que c’était écrit. » Il haussa alors les épaules en se retournant sur la masse de cadavres qui me regardaient tous de leur regard vide. « Quoi qu’il en soit, j’ai besoin de toi pour arranger la situation.

-Pourquoi ça t’importe tant de m’aider à faire ça, en quoi c’est dans l’intérêt de la mort de faire ça ?

-Parce que s’ils sont là, c’est à cause de Zenoviy, et je ne veux pas qu’il se sente coupable d’avoir lâché une vague de carcasse incontrôlable sur Canterlot. » Dit-il lascivement.

« Très bien, ça me va comme explication. » Répondis-je en me replaçant à côté de lui. C’était étrange de voir la mort s'intéresser à quelqu’un à ce point, mais peut-être qu’il savait faire la part des choses entre le travail et l’amour, je ne serais plus en vie si ce n’était pas le cas. « Comment on fait ça ?

« Oh, ce n’est pas simple à la base, mais avec mon aide, on devrait y arriver sans grande difficulté.

-Et tu crois que je suis capable de faire ça, moi ?

-Tu as volé le pouvoir de Zénoviy, il en reste certainement encore un peu à l’intérieur de toi pour pouvoir les renvoyer. »

Je haussai un sourcil en observant Mort qui me regardait avec confiance.

« Je ne suis pas nécromancien, mais j’ai déjà vu faire Zénoviy plus d’une fois, et de toute façon, je sens son pouvoir me chatouiller quand il l’active. Tout ce qu’il nous faut c’est… » Il s’arrêta brusquement avant de partir derrière moi. Je me retournai pour le voir fouiller le corps qu’avait utilisé le Taxidermiste. Il en ressortit l’un de mes couteaux qui étaient enfoncés dans sa gorge et me le tendit, encore recouvert de sang.

« D-désolée… » Murmurais-je pour le petit poney qui arborait toujours un air jovial alors que son compagnon gisait juste derrière lui.

« De quoi ? » Demanda-t-il avant de suivre mon regard pour revenir sur le corps inanimé. « Cadance, je suis la mort… Si ce genre de chose commençait à me faire pleurer, alors la Vie aurait encore de quoi se moquer de moi. Et puis, il est juste de l’autre côté du voile, je l’aurais pour moi tout seul désormais, cela me convient bien mieux ainsi. »

Je haussais alors les épaules en faisant la moue, s’il était content ainsi, alors je n’allais pas m’en vouloir. Je reportais mon attention sur le couteau en me doutant de ce que je devais faire. La nécromancie était une magie qui fonctionnait en créant un lien, mais plus encore, un pacte. C’était ce genre de pouvoir qui nécessitait toujours un don, celui du sang. Ce qui me fit m’interroger sur la puissance du Taxidermiste. De ce que j’en savais, les réanimateurs étaient connus pour sacrifier un animal comme une poule, pour relever un corps, parfois même une chèvre quand il s’agissait d’un corps plus vieux. Quand nous nous sommes battus, aucun animal n’avait été sacrifié, et je ne savais même pas s’il avait seulement offert son sang.

Je fis glisser la lame le long de mon paturon, c’était le genre d’endroit où il était vraiment désagréable de se blesser, car j’allais me retrouver à marcher dessus pendant des jours. La douleur vive et sifflante me fit serrer les dents. Il fallait en avoir envie pour utiliser un pouvoir qui demandait de se mutiler à chaque fois. Je regardais alors mon sabot d’où le sang débordait pour en remplir tout le paturon.

Mort prit alors ma patte et me demanda de me concentrer, de chercher à puiser ce fond de pouvoir qui restait en moi, de chercher à retrouver le lien que j’avais entraperçu lorsque j’avais volé le contrôle des cadavres au Taxidermiste. Il me fallut chercher un moment, mais la pression glaciale que Mort me transmettait grâce à notre unique contact permit de me guider un peu mieux. J’avais l’impression qu’il était en moi, imposant le froid dans tout mon corps, mais était-ce lui, ou le pouvoir du Taxidermiste qui était en train de remonter ?

J’ouvris les yeux pour voir une lueur mauve naître à l’intérieur de la petite mare de sang dans mon paturon. Ce fut au même moment que j’entendis à nouveau les voix de toutes ses âmes qui étaient liées à moi. Elles se demandaient ce qu’elles faisaient là, ce que je voulais qu’elles fassent pour moi, que je leur dise où est-ce qu’elles se trouvaient. Ces âmes n’étaient plus de ce monde depuis un moment et on venait de les faire revenir de force, maintenant elles étaient complètement perdues et obéissaient à la seule présence qui pouvait leur servir de guide. C’était moi, j’étais ce guide.

« Qu’est-ce que je fais maintenant ?

-Tu es sûre d’avoir le contrôle sur eux ?

-Je n’en suis pas sûre.

-Rien de plus simple, demande leur quelque chose. »

Je me mis à réfléchir rapidement en cherchant la meilleure chose à faire… Ce n’était pas tous les jours qu’on pouvait diriger une foule de mort et je n’allais pas gâcher ma chance en leur demandant simplement de s'asseoir.

« Cadance est la plus belle des alicornes, et Chrysalis n’est qu’une vieille cougar trouée de partout ! » Clamèrent en choeur les carcasses.

« Quoi ?! Mais je ne leur ai même pas demandé de dire ça !

-Tu es en lien direct avec eux, leur transmettre tes pensées, c’est déjà leur donner des ordres. » Expliqua-t-il en arborant toujours un léger sourire, il n’avait pas l’air de trouver cela gênant.

« En plus la mort est tellement mignon !

-Fermez là, tous autant que vous êtes ! » Éructais-je en les pointant du sabot.

J’entendis alors l’un des rires les plus beaux que je n’avais jamais entendu, celui-ci provoqua tout de même un long frisson le long de ma colonne vertébrale, mais ça en valait le coup.

« Tu sais que les personnes qui ont tendance à me faire ce genre de compliment sont des suicidaires qui sont sur le point de se jeter des ponts ? »

Je me mis à rire de la manière la plus idiote possible, j’étais réellement en train de rougir devant la mort ? Ce petit saligaud ne pouvait pas se contenter d’être dangereux, il devait forcément être beau en plus de ça ! Heureusement, il n’était pas intéressé par les juments, et même si c’était rassurant, ça avait de quoi me frustrer. Je reportai alors mon attention sur les morts et…

« C’est pas vrai !? »

Tous étaient en train de tirer la langue vers Mort qui gloussait légèrement.

« Arrêtez ça tout de suite ! Je ne peux même pas avoir le dos tourné cinq secondes sans que vous vous mettiez à faire n’importe quoi !

-En réalité, je crois que c’est toi qui es bien trop distraite… » Jugea Mort en penchant la tête sur le côté.

« Je viens de revenir d’assez loin pour être excusée, non ? Maintenant, dis-moi ce que je dois faire ! »

Il força un peu plus sur mon sabot ensanglanté. Le sang n’avait plus du tout sa couleur carmin, mais brillait entièrement de la lumière mauve que j’avais fait naître plus tôt. Mort le posa ensuite au sol et me donna comme simple consigne : « Renvois-les ! »

Je retins ma respiration et tentai de me faire la plus convaincante sur l’ordre que j’allais leur donner.

« Vous qui avez été dérangé, retournez d'où vous venez. Votre tâche ici est achevée… vous pouvez vous barrer !

-Vous pouvez vous barrer ? » Répéta Mort juste à mes côtés. « t’es au courant que tu imites juste l’accent de Zénoviy sans raison ? La nécromancie n’a pas besoin de rimer pour fonctionner… et c’est limite raciste.

-Eh merde ! » Fis-je en relevant brusquement la tête, craignant d’avoir fait une nouvelle connerie, mais les corps se dispersèrent peu à peu, chacun regagnant sa tombe, comme s’ils connaissaient le chemin sans le moindre doute. « Le principal, c’est que ça marche, non ? » J’observais une jument se placer juste devant sa tombe avant de plonger ses sabots avant dans le sol sans forcer une seule fois. Elle avait l’air de se déplacer dans la terre comme moi je l’aurais fait dans l’eau. Une fois complètement immergée sous terre, le sol se referma derrière elle pour n’y laisser aucune trace de son passage. « Ils sont tous retournés à leur place

-Peut-être, on dirait bien, non ?

-Comment ça « peut-être » ? » M'enquis-je en me tournant brusquement sur lui.

« C’est très minime, mais il arrive qu’il y en ait un qui n’obéisse pas à l’ordre de retour. C’est arrivé une fois à Zénoviy, mais heureusement, il n’était pas parti bien loin.

-Tu dis ça pour me faire peur, pas vrai ? » Je vis alors Mort hésiter quelques secondes.

« O-o-ooui. »

Rassurée, j’en oubliai très vite ma panique pour me permettre enfin de souffler. Même accompagnée de la mort, je trouvais que la situation était en train de s’arranger enfin.

« Je ne sais pas si j’ai le droit de te remercier pour ton aide… » Fis-je en haussant un sourcil et en lui tendant une patte.

Il secoua la tête en souriant.

« Il n’est pas vraiment conseillé de remercier la mort, mais merci de l’attention. »

Je baissai mon sabot alors qu’il continua :

« Je ne sais pas si Guerre t’a demandé de t’occuper de cette histoire parce qu’il te faisait confiance, ou simplement parce qu’il était attiré par ton look…

-Qu’est-ce qu’il a mon look ? » Demandais-je en essayant de comprendre ce dont il parlait.

« Bah, les yeux… la crinière, et les dents aussi… et je crois que les cornes ont pu aider. »

Je précipitai mes sabots à mon visage, essayant de sentir une différence. Il y en avait une très nette au niveau de mes dents, on aurait dit que mes canines avaient poussé à la manière des batponies. Bien qu’elles étaient plus courtes, j'arrivais tout de même à les sentir avec ma langue. Mon sabot remonta jusqu’à ma crinière, essayant d'appréhender ce que Mort avait voulu dire par « des cornes » et je fus paralysée en sentant deux masses dures au sommet de mon crâne, toutes proches de mes oreilles. Elles avaient l’air plutôt longues et fines, mais c’était curieux que je me retrouve avec ça, même dans mon apparence non-équine, je n’avais pas cela. Je jetai un rapide coup d’oeil derrière moi pour voir que j’avais toujours mes ailes de cuir, même ce détail je n’avais pas réussi à le remarquer plus tôt. La dernière chose qui me frappa fut ma taille, j’avais l’impression d’avoir gagné une tête en plus, à l’oeil, j’aurais pu dire avoir la taille de Chrysalis.

« C’est pas normal… » Murmurai-je en sentant peu à peu la panique revenir en moi. Je ne pouvais pas me trimballer dans Canterlot comme cela, même à une heure pareille, si un poney me voyait ainsi, les rumeurs allaient circuler. « Dis moi que tu peux me faire un glamour pour cacher ça… j’en ai jamais fait, je ne maîtrise pas ce sort. S’il te plait… »

J’entendis alors la mort pousser un léger gloussement propre à provoquer des frissons dans tout mon corps.

« Si je t’ai aidé c’était pour les cadavres que Zenoviy a relevé, supplier la mort n’a jamais servi à rien. Et puis… je crois que c’est une petite vengeance parfaite pour avoir tué mon compagnon, tu ne crois pas ? » Dit-il sur un ton toujours joueur.

« Hey, c’était plus une idée de ton frère, alors sans rancune ? » Tentai-je en lui faisant une moue suppliante.

« Désolé, mais même si je voulais le faire, je ne sais pas comment. Je ne porte aucun glamour pour me masquer, c’est ton monde qui cherche à cacher ma véritable apparence.

-Tu n’as réellement aucun regret pour ce que j’ai fait ? » Demandais-je alors en changeant de sujet. Je savais que j’étais en train de parler de mort avec… la mort, mais c’était peut-être ma seule occasion pour comprendre un éternel.

« Aucun, je te l’ai dit, je l’aurais juste pour moi dans l’autre monde, et puis… Guerre a toujours été très protecteur… ou très envahissant selon le point de vue. Il m’a toujours dit qu’il le tuerait si je continuai à le voir, peut-être qu’il t’a envoyé pour se disculper et prouver par la même occasion qu’en tant que criminel, Zenoviy n’est pas assez bien pour moi. Bien sûr, je connais Guerre et je sais qu’il s’en fait aussi pour moi, il a en réalité toujours eu peur que mon compagnon s’en prenne à moi. »

Le Taxidermiste s’en prendre à la mort ? C’était une bien drôle d’idée, mais après tout, ce nécromancien n’avait jamais craint la mort, peut-être qu’il avait même d’autres tours dans son sac qui lui permettait de la surpasser… Je ne le saurais peut-être jamais.

« Tu penses vraiment être capable d’être… amoureux ? Où est-ce juste un jeu que tu joues pour passer le temps ? » J’avais peut-être été un peu trop loin avec ma question, mais j’avais fini par comprendre comment fonctionnaient les éternels. En dehors de leur devoir divin dans notre monde, ils ne s'investissaient dans nos vies que pour passer le temps. Heureusement, la mort eut un léger gloussement avant de me répondre :

« On ne m’a donné ni âme et ni larme à mes yeux, je suis et je resterai un corps sans visage, même avec l’âme de l’enfant et la mémoire du vieux, l’éternité sera toujours aussi longue pour moi à marcher sans coeur. Alors je m’en suis forgé un, peut-être qu’il est faux, défectueux, incomplet ou même imaginaire, mais pour moi, il compte, et pour Zenoviy aussi. »

Il vint alors s'asseoir près du corps que le Taxidermiste avait utilisé pendant tout ce temps. Caressant son encolure en souriant légèrement.

« D-désolée, c’est juste que ce n’est pas imaginable de pouvoir parler… à la mort ainsi. J-je veux dire, tes soeurs et ton frère m’ont dit que tu avais beaucoup de mal à jouer les poneys, comme eux.

-Oh, T-t-t-tu crrrrois ç-ç-ç-ça ? P-p-pestilence provoque des v-vagu-gues de mala-ladie juste pour f-f-faire marcher son ca-ca-cabinet. Faminnnne a utilisé son pou-pou-pouvoir pour ruiner la concurenccccce et Gu-guuuerre a déjà provoqué des émeutes à des f-f-fffestivals jjjjuste parce qu’il s-s-s’ennuyait. » Il plaça alors brusquement ses sabots contre son visage pour se calmer. j’étais sur le point de venir l’aider qu’il me scruta de son regard glacial avec ses yeux pourtant si profonds. « D-désolé. Après tout, ce n’est pas ta faute, l’infini perdurera, mais même nous n’arriverons pas à éteindre l’éphémère, alors pourquoi se priverait-on de nous amuser un peu ? »

Je soupirai face à autant de logique, pourquoi demander un coeur à quelqu’un qui ne fera qu’en souffrir, l’éternité était une malédiction qui vous faisait devenir le plus froid des êtres. Je haussai simplement les épaules en secouant la tête.

« C’est horrible… » Murmurai-je sans plus de conviction.

« Mais c’est la vérité… et même Zenoviy a toujours du mal à l’accepter.

-C’est pourquoi il a fait ça selon toi ? » Je vis dans le regard de Mort que cela avait l’air bien plus compliqué que ça. « T-tu n’es pas obligé de m’en parler, si tu veux. »

Il secoua légèrement la tête en continuant de caresser le corps d’emprunt de son compagnon.

« En réalité, Zenoviy a beaucoup été marqué par l’une de ses missions, c’est comme ça après tout, les poneys de ce monde ont toujours été très fragiles psychologiquement et ils n’arrivent jamais à supporter toute la vérité et les conséquences. Un monstre venant des fonds marins avait pris le contrôle d’un petit village côtier d’une cinquantaine d’habitants, non loin de Manehattan. Lorsqu’il est venu l’affronter, la créature s’est servie de la population pour se défendre. Zenoviy n’avait que son arme et son pouvoir pour l’attaquer, il ne s’attendait pas à ce que ce monstre ait autant d’emprise sur ces pauvres poneys… » Il se racla la gorge alors que sa voix tremblait légèrement, la mort pouvait-elle vraiment pleurer ? « Si j’ai du mal à raconter cette histoire, c’est parce qu’il m’en a beaucoup voulu, il me tenait en partie responsable, alors que j’aurais pu l’aider, comme il aime encore à le croire par moment. Depuis ce jour, il n’en pouvait plus de se battre, il ne voyait plus que les morts, et ceux qu’il n’arrivait pas à sauver… » Il haussa légèrement des épaules en gloussant. « J’aimais à croire que c’était parce qu’il m’aimait qu’il ne se focalisait que sur ça, mais l’esprit d’un poney semble plus compliqué à comprendre…

-Mouais… » Maugréais-je en me demandant ce que le Taxidermiste lui trouvait. « Mais… je crois que son esprit est un peu plus compliqué à comprendre que la norme. »

Mort se mit à rire un peu plus fort, me faisant à nouveau trembler de partout, c’était énervant !

« Il a toujours eu une case en moins si c’est ce que tu essayes de dire.

-Heureux que tu apprécies ce trait de caractère… » Répondis-je en haussant un sourcil.

« C’est certain, il faut bien quelqu’un de fou pour oser sortir avec la mort. Et de toute façon, il savait qu’il se laissait aller à chaque fois un peu plus à sa folie, c’est pourquoi il n’était plus sûr d’être sur la bonne voie jusqu’à ce qu’il te trouve.

-Comment ça ? » Je me rapprochai légèrement de lui, me plaçant de l’autre côté du corps du Taxidermiste.

« S’il a fait cet incendie aussi proche, visant l’une de tes amies, sans la tuer, c’est pour t’envoyer un message.

-Il voulait me provoquer, que je l’affronte en face à face, c’est bien ça ?

-Oh non, il voulait juste que tu le sauves en l’aidant à prendre une décision. »

Je fronçai les sourcils en ayant du mal à comprendre. Cet affrontement, ce combat, les risques que j’avais pris, tout cela était simplement pour aider un malade à se donner bonne conscience sur les massacres qu’il perpétrait ? S’il m’avait tuée, il aurait trouvé juste de poursuivre sa voie. Je regardais le corps inanimé d’une personne qui avait certainement eu une vie à soi avant de devenir le réceptacle pour l’âme pourrie du Taxidermiste.

« Alors… ça veut dire qu’il ne reviendra pas pour faire à nouveau du mal ? » Espérais-je en observant la mort.

« Qui sait ? Il a toujours été borné, mais c’est ce que j’aime chez lui. Son assurance, même quand il se sait déjà perdu, et puis, il fait partie des rares personnes à oser me narguer sans avoir peur de moi. Au final, je me sens bien plus normal que Guerre ou Pestilence, quand je suis avec lui.

-Comment l’as-tu rencontré au juste ? » Demandais-je en m’éloignant quelque peu du corps qui gisait au sol. Je commençais à en avoir assez d’être ici, le vent devenait de plus en plus froid. De plus, à ce qu’il paraissait, la mort n’était pas quelqu’un de très patient.

« Son pouvoir a toujours fait en sorte que nous nous apercevions. C’est lui qui a été le premier à ouvrir le dialogue, il n’a pas pu l’oublier, puisqu’il en est mort. » Il se mit à rire face à moi et je tentai du mieux que je le pus, de le suivre poliment dans son fou-rire. « On a ensuite beaucoup parlé. Avec lui, je n’ai pas l’impression de vivre l’éternité dans le silence comme simple spectateur. Il aime m’écouter et partager ma vision sur ce monde, comme sur l’autre. J’aime la façon dont il me fait danser grâce à son pouvoir, et il aime quand je le caresse avec mes sabots froids comme le marbre. » Cela devenait trop glauque et macabre pour moi qui préférai ne plus lui poser de question. J’avais compris maintenant comment un malade comme le Taxidermiste en était arrivé là et ce qu’il attendait de moi. C’était tout ce que je pouvais faire, ça, ainsi qu’espérer qu’il ne revienne plus jamais dans mon monde.

Mort dût voir mon empressement, car ce fut avec un léger soupir qu’il se releva en me disant :

« Je m’occuperai du corps, ne t’en fais pas. Par contre, j’ai entendu dire que Guerre t’a invitée dans son restaurant… désolé pour toi, mais je te conseille vivement d’y aller.

-C’est vraiment nécessaire ? » Demandais-je en faisant une légère grimace, montrant mon envie folle d’aller manger dans le restaurant de ce pervers.

« Malheureusement oui, et ne perds pas de temps. J’ai déjà plusieurs rendez-vous à ton nom et je n’ai pas trop envie d’en rajouter encore un. »

Je sursautai légèrement.

« Comment ça, à mon nom ? »

Mais à peine eus-je le temps de cligner des yeux que la mort n’était déjà plus là. Il ne restait plus que moi dans ce cimetière, entourée par les tombes. Le corps du Taxidermiste avait été emmené par Mort, comme il l’avait dit. Maintenant que toute cette histoire était réglée, j’allais enfin pouvoir me reposer, je commençais à être épuisée par tous ces fous et ces monstres.

Je ressentais toujours un grand vide lorsque je clôturais une affaire. Je n’étais pas vraiment heureuse de savoir qu’un monstre venait d’être arrêté, me contentant de me dire que j’aurais pu faire ça bien plus tôt, que j’aurais dû être meilleure encore. Le mal avait été fait, comme à chaque fois, je venais juste de me donner un répit jusqu’au prochain monstre. C’était mon rôle de Marshall, c’était ma vie.

Jamais on ne pourrait les arrêter, et tenter de le faire, ça serait devenir comme le Taxidermiste, je l’avais toujours su. Il n’y avait qu’une infime frontière entre moi et ceux que je combattais, mais jamais je ne la traverserai, j’étais loyale envers ceux qui m’avaient sauvée et protégée lorsque j’étais devenue l’une de ces créatures qui vivent cachées.

Je repris alors la route vers la sortie du cimetière de Canterlot, me contentant de marcher, car j’avais bien trop froid pour voler. De plus, le passage ouvert qui laissait apercevoir la lune était un gouffre perpétuellement traversé par le vent, il était impossible de l'emprunter sans se faire balayer par ce dernier.

Sur ma route, je crus entendre des bruits de pas derrière moi, mais j’étais pourtant seule. Je n’avais plus peur, pas avec tout ce que j’avais vu. Toussant légèrement, je me remis en marche alors qu’une étrange ombre marchait à mes côtés. Elle disparaissait à chaque fois que j’essayais de me concentrer pour bien l'apercevoir. Puis, de nouveaux bruits de pas se firent entendre.

À la sortie du tunnel, j'aperçus à nouveau Mort qui me tournait le dos, s’était-il déjà remis au travail ? Il se tourna alors pour m’observer du coin de l’oeil avant de détourner le regard et de se mettre en marche. Je ne savais pas quoi faire, l’appeler ? Qui était assez fou pour appeler la mort ? Je repris alors la route de ma maison, seul endroit où j’avais encore l’impression d’être en sécurité… Enfin, même avec Chrysalis à l’intérieur. J’étais certaine que si je lui demandais gentiment, elle me laisserait dormir sans essayer de me casser les sabots. De toute façon, l’affaire étant terminée, notre marché l’était aussi, elle n’avait plus rien à faire chez moi !

Je me remis à tousser un peu plus violemment avant de serrer les dents lorsqu’une vive douleur m'assaillit le crâne. Au même moment, je revis Mort traverser la rue en face de celle où je me trouvais.

« Ma chérie… »

Je posais un sabot sur ma tempe en essayant de calmer la douleur qui me vrillait la tête, ce n’était pas naturel d’avoir aussi mal. Je venais d’éviter de contrarier Mort pendant qu’il était en face de moi, ce n’était pas pour le ravoir dans les sabots moins d’une demi-heure après. Épuisée par tous ces évènements, je ne pris plus aucun risque en décidant que le mieux à faire était encore de voler jusqu’à chez moi. Sous cette apparence, c’était encore la meilleure des idées.

La nuit semblait plus sombre que d’habitude, et totalement déserte. J’avais du mal à me diriger et pris la décision de m’envoler alors même que je trouvais le vent glacial pour cette nuit. Je me mis à tousser en étirant peu à peu mes ailes, mais finis par changer d’avis quand je reconnus le banc où j’avais l’habitude de me tenir.

La capitale était très silencieuse à une heure pareille, mais à ce moment précis, j'eus l’impression que le monde avait arrêté de tourner l’espace de quelques secondes alors que je me dirigeai lentement vers ce banc. La douleur me ramena bien vite à la réalité, j’avais l’impression que l’on faisait glisser une lame le long de ma cervelle, et que ma gorge était en train de s’arracher de l’intérieur.

« C-Cadance… vous êtes encore là ? »

Je sursautai légèrement en me remettant à tousser alors que la jument Pall Mall se présentait au même moment près du banc. Je sentis alors des nausées me retourner l’estomac alors que je ne me sentais plus capable de tenir debout.

« Je devrais vous poser la même question, Pall Mall, vous avez vu l’heure ? » Articulais-je d’une voix rauque entre deux toux. Elle respirait toujours cette sérénité qui me calmait à chaque fois que je la regardais, même pendant que j’étais en train de cracher du sang.

« J-je pensais que vous ne reviendriez plus… »

Je me prostrai brusquement au sol en me tenant les côtes. J’étais réellement en train de cracher du sang, je sentais son goût métallique sur ma langue. Mon corps ne pouvait plus s’empêcher de trembler à cause du froid, et de la fatigue.

« Je… je voulais m’excuser pour notre dernière rencontre… » Bafouillais-je douloureusement.

« Il ne fallait pas… » Dit-elle sur un ton plutôt triste alors qu’elle se rapprochait de moi pour venir poser un sabot sur mon dos. « Mais qui sait… Vous avez l’air de ne plus savoir où vous vous trouvez. »

J’ouvris les yeux pour voir Mort assis sur le banc, le regard baissé sur ses sabots. Qu’est-ce qu’il voulait à Pall Mall ?

« La nuit a été longue, mais je voulais vous revoir… Je ne veux pas que vous partiez… » Ma gorge me brûlait alors que du sang se mettait à couler un peu plus sans même que je n’aie à tousser pour le régurgiter.

« Je suis incapable de partir… » Dit-elle d’un ton mélancolique. « Du moins, pas avant notre dernier rendez-vous. »

Elle m’attrapa alors par les épaules et me souleva pour me permettre de m’appuyer contre elle. J’étais fatiguée et j’avais de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts.

« On n’est pas obligé d’en faire notre dernier rendez-vous… » Soufflais-je contre son encolure. Je me sentis bien alors qu’elle passait ses sabots le long de ma taille en fredonnant une chanson. Luttant pour ouvrir les yeux alors que mon visage était pressé contre le sien, je vis Mort, un peu plus loin, marcher lentement vers nous.

« Il y a des choses contre lesquelles ont ne peut lutter… J’en suis désolée… » Je sentis alors la jument se mettre à sangloter. Elle était formidable, alors même qu’elle n’allait pas bien, elle cherchait à me consoler. J’utilisai le peu de force qu’il me restait pour lui caresser la crinière. « Vous avez toujours eu raison… Il n’y a que des monstres qui chercheront à vous manipuler. »

Je plissais les yeux en me battant pour ne pas m’endormir, mort n’était plus qu’à quelques mètres de nous.

« Je t’interdis de la toucher ! » Éructais-je en même temps que je crachais du sang.

« Et tu crois pouvoir m’en empêcher ? » Ce n’était pas la voix si caractéristique de Mort que j’entendis, mais celle de Chrysalis. Je rouvris alors tout à coup les yeux en ayant un brusque regain d’énergie. Je surpris Pall Mall en la poussant derrière moi pour la protéger de la changeline.

« Qu’est-ce que tu viens faire ici, Chrysalis !? » Demandais-je en colère. J’étais en panique, si elle était là, c’était qu’il y avait un gros problème.

« Éviter de te perdre à nouveau. Cette fois-ci, je ne laisserai pas cette Sorgina s’en prendre à toi ! » Elle pointa Pall Mall du sabot.

« Tu ne toucheras pas à cette innocente ! En te montrant sous ta véritable apparence face à elle, tu as déjà enfreint la loi. J’ai tout à fait le droit de t’arrêter !

-Regarde-toi. » Grogna-t-elle en ayant un gloussement fort grave. « C’est l’hôpital qui se fout de la charité. »

Je serrai les dents en me plaçant un peu mieux devant Pall Mall, rien que le regard de Chrysalis posé sur elle suffisait à me mettre en colère.

« Fiche le camp, Chrysalis ! » J’avais dit ça les dents serrées alors que je sentais encore le goût du sang sur ma langue. Mes muscles étaient contractés et m’empêchaient pratiquement de bouger, mais je savais qu’à la seconde où elle allait tenter quelque chose, je serais sur elle. Mon coeur battait à cent à l’heure, et mon esprit était totalement aux aguets. Il ne lui suffisait que d’un seul geste pour que je ne réponde, alors qu’est-ce qu’elle attentait ?

Chrysalis baissa simplement les yeux en haussant les épaules, s’était-elle déjà avouée vaincue ? Je la connaissais bien, ce n’était pas son genre.

« Je suis désolée Cadance. »

Ce n’était pas la reine des changelins qui avait murmuré cela, mais la jument qui était juste derrière moi. Tentant un rapide coup d’oeil en arrière, je pouvais voir Pall Mall, les larmes aux yeux, prostrée au sol.

« Pall Mall, relevez-vous ! » Dans cette position, elle était une proie facile pour la matriarche, mais je fus vite interrompue lorsque plusieurs changelins apparurent tout autour de nous. Nous étions encerclées.

« Cadance, écarte-toi… » Dit Chrysalis plus comme un conseil que comme un ordre.

Je fronçai alors les sourcils en me penchant légèrement en avant, les ailes tendues. Si elle voulait s’en prendre à elle, il faudrait me passer sur le corps. J’entendis alors quelqu’un se mettre à tousser, c’était la jument âgée juste derrière moi.

« Qu’est-ce qu’ils sont en train de vous faire ? » M’enquis-je pour la jument alors que les changelins autour de nous étaient tous équipés d’étrange encensoir qu’ils balançaient devant eux. « Chrysalis arrête ça !

-Tu ne m’empêcheras pas de te sauver, Cadance. » Répondit-elle simplement.

Je fus sur le point de m’énerver davantage, mais je sentis le sabot de Pall Mall attraper ma patte arrière.

« Ne vous battez pas pour moi, Cadance. Tout cela est ma faute, ce n’est qu’un juste retour des choses. » Articula-t-elle difficilement en toussant.

« Arrêtez de vous épuiser, restez tranquille, je vais trouver une solution. » Répondis-je en me retournant pour poser un sabot sur son épaule et une aile juste devant son visage pour limiter la fumée.

« Combats là, Cadance ! Tu es bien plus forte qu’elle alors arrête de te faire manipuler ! » Protesta Chrysalis.

« La seule manipulatrice que je vois ici, c’est toi !

-Très bien ! Avancez ! Et faites attention à Cadance, elle ne va pas rendre la tâche facile ! » Ordonna Chrysalis en faisant apparaître une cigarette juste devant elle qu’elle alluma.

Les changelins se rapprochèrent de manière synchronisée, ne laissant aucun espace par lequel je pourrais fuir avec la jument. M’envoler avec elle était une très mauvaise idée, tant nous aurions été vulnérables. Je pouvais voir Chicha se rapprocher dans les rangs, son regard était inexpressif, juste celui d’un insecte. Que faisait-il là, je croyais qu’il était toujours prêt à tout pour moi ?

« Abandonnez, vous ne méritez pas ça. » Souffla Pall Mall prostrée au sol.

Je fis alors la seule chose que je pouvais encore faire. Fusillant Chrysalis du regard, mon corps se décrispa l’espace d’une seconde, me permettant de lancer mes sabots en avant pour me mettre à galoper. Elle n’était qu’à moins de cinq mètres de moi, j’étais bien plus rapide qu’elle, et elle était trop distraite à fumer pour réagir à temps. Je n’avais plus de lame avec moi, mais mes ailes de cuir étaient bien assez solides pour la blesser. Il n’y avait aucun changelin devant elle et moi, cette faille dans sa stratégie allait lui coûter cher. C’était donc dans une nuit d’été pourtant froide que j’allais devoir me battre avec Chrysalis. Cela nous pendait au museau depuis le premier jour.

Je déployai mes ailes, prête à la frapper avec, mais au moment où je fus sur le point de m’élancer, j’entendis le bruit des flammes lécher le corps du changelin le plus proche de moi.

« Tù Cligert ow Tayder ! »

Je fus alors brusquement plaquée au sol, le souffle coupé. L’esprit trouble, je ne comprenais pas ce qui venait de m’arriver, ni même où je me trouvais. Laissant le voile noir qui m’obscurcissait la vue se dissiper, je vis que la changeline était toujours en face de moi alors que je ressentais une pression énorme sur mon encolure et mon dos. Mon visage était collé à terre, mais je réussis à voir du coin de l’oeil Chrysalis qui était juste au-dessus de moi, un regard noir.

« Tu as encore énormément de choses à apprendre pour pouvoir me vaincre… » Murmura-t-elle avant de sourire légèrement. Le sourire de la triomphante, le sourire d’une sadique, le sourire d’un monstre.

Je reportai mon regard sur la changeline juste en face de moi pour la voir disparaître dans un tourbillon de flammes vertes, pour n’y laisser qu’un simple changelin à la fin. Celui-ci faisait une taille en plus que les changelins normaux.

« Lâche-moi ! » Ordonnais-je en me débattant du mieux que je le pouvais, ce qui ne fit qu’appuyer l’emprise que la matriarche avait sur moi.

« Tu n’as pas encore compris qui étaient tes véritables ennemis ? »

J’étais bien trop occupée à essayer de me libérer pour lui répondre. J’essayai d’envoyer mes ailes dans ses côtes, mais elle les attrapa pour les plaquer contre mon dos, n’hésitant pas à les tordre à moitié pour les maintenir sans difficulté. Je reportai alors mon attention sur la jument que j’avais laissée à l’emprise du groupe de changelins qui se rapprochait d’elle.

Pall Mall n’arrivait plus à respirer et se contentait de tousser en se cachant le visage. La fumée était de plus en plus dense autour d’elle et j’avais de plus en plus de mal à la voir.

« S’il te plait Chrysalis, ne fais pas ça !

-Sais-tu la différence que nous donnons entre les créatures étranges qui parcourent ce monde, et les monstres ? » Demanda-t-elle sans détourner son regard du spectacle qu’elle avait chorégraphié.

« Je t’en supplie Chrysalis ! » Répondis-je en larmes.

« Les créatures surnaturelles sont prêtes à obéir à vos lois stupides, elles ne chercheront jamais à faire du mal aux innocents, sauf bien sûr si c’est par accident. Ce qui fait de lui un monstre… » Elle appuya un peu plus sur ma colonne et mon encolure, m’empêchant de respirer alors qu’elle se penchait sur mon oreille. « Mais les monstres, ma chérie, les véritables monstres, s’en fichent bien de vos règles, ils ne sont là que pour tuer, car c’est dans leur nature, et ils ne peuvent rien faire contre cela. Leur existence même est une punition pour tous ceux qui les croisent, et malgré tous les efforts qu’ils pourront faire pour donner le change, ils resteront des monstres qui prendront la vie des innocents parce qu’ils ne peuvent faire que ça pour survivre. Retiens bien cela, Cadance, un monstre qui tue est un monstre qui reste en vie, et un monstre qui ne tue pas est tout simplement mort.

-J’accepterai de devenir ta servante !

-Quoi ?! » Éructa-t-elle en appuyant encore davantage sur mon encolure, m’empêchant complètement de respirer.

« L-le… lien… » Articulais-je avec tout le mal du monde.

« T-tu ne sais plus ce que tu es en train de dire, Cadance… »

Je regardai la jument entourée de fumée, incapable de respirer alors que Chrysalis avait légèrement défait sa prise. Elle était complètement prostrée au sol, et m'observait avec un regard suppliant.

« Tu attends mon accord, car le lien entre nous est déjà fait. Tu attends que je te donne ma parole, que j’accepte d’être ta servante, ton esclave, ta partenaire ou quoi que ce soit d’autre. Alors c’est ta seule et unique chance, Chrysalis. Je te promets que je suis sincère, j’y engage ma seule parole, là, envers toi.

-Tu es prête à te sacrifier pour cette Sorgina ? Elle n’a fait que te tuer à petit feu, elle t’a ensorcelé pour te faire croire que tu étais toujours bien en sa compagnie, elle a aspiré ton être lui-même pour imposer le froid dans ton corps ! Pourquoi voudrais-tu faire une chose pareille pour un monstre qui se remettra à tuer une fois que je l’aurais libéré ?!

-C’est ta seule chance Chrysalis ! choisis bien, car jamais je ne referai une proposition de la sorte si tu la tues. Alors j’espère pour toi que ça en vaudra le coup ! »

Elle se remit à nouveau à appuyer sur mon encolure, visiblement en colère par le dilemme que je venais de lui imposer.

« Dépêche-toi Chrysalis, elle n’a pas l’air d’aller bien !

-Chakcha ! » Rugit-elle à mon égard avant de reporter son attention sur la jument brune. Elle ne bougeait pratiquement plus alors que les changelins autour d’elle continuaient de balancer les encensoirs d’où provenait une fumée de plus en plus dense. « Etsiam Demissa ! »

Tout sembla alors s’arrêter brusquement, comme si l’ordre qu’elle avait donné avait en réalité figé le temps. Les changelins prirent quelques secondes avant de recevoir l’ordre, mais disparurent aussitôt après.

Je voyais Chrysalis se rapprocher de Pall Mall alors que Chicha était l’un des rares changelins à être resté en retrait. Je jetai un rapide coup d’oeil au-dessus de moi pour voir que les rôles avaient été inversés et que je me retrouvais maintenant sous le grand changelin. D’où venait ce cafard ?

« Si tu la tues, l’une de nous sera la suivante ! » Hurlais-je avec détermination.

La matriarche ne semblait pourtant déjà plus m’écouter, observant avec dégoût la jument qui était allongée par terre. Pall Mall ne réagissait pas, ayant bien trop de mal pour respirer entre deux quintes de toux. La changeline l’attrapa alors par l’encolure pour la soulever.

« CHRYSALIS ! » Criais-je en me débattant comme une damnée pour sentir une vive douleur au niveau de ma colonne.

Elle l’empoigna solidement pour la soulever à hauteur de son visage. La jument brune était totalement inerte, mais elle gardait pourtant les yeux ouverts.

« Je ne veux plus jamais te revoir… » La voix de Chrysalis résonnait dans ma tête alors qu’elle parlait à voix basse à la jument. Pourquoi parlait-elle si doucement si c’était pour me renvoyer chacune de ses paroles dans le crâne. « Tu vas fuir Equestria et disparaître de ma vue. Je ferai en sorte que toutes les matriarches du monde entier prennent le temps de te faire souffrir si jamais tu fais l’erreur de t’aventurer sur leurs secteurs. » Elle serra davantage la gorge de Pall Mall, l’approchant de sa gueule. « Je n’ai fait que promettre ta survie pour cette nuit. Quand Cadance se réveillera enfin, quand elle aura compris tout le mal que tu lui as fait subir, c’est d’elle que tu devras te méfier. Alors, prie pour que jamais je n’entende ton nom à nouveau, prie pour mourir des sabots d’une autre personne que moi, car je prendrai bien plus de plaisir à te voir souffrir lentement plutôt que de t’accorder une mort rapide. » Elle décrispa alors son sabot de sa gorge pour la laisser lourdement tomber au sol. Avant qu’elle ne se relève, Chrysalis se plaça entre elle et moi pour lui ordonner. « Je ne veux plus t’entendre lui parler ou prononcer son nom, je ne veux plus te voir poser ton regard infect sur elle, je ne veux pas de ta gratitude pour ma bonté ou de faux regrets pour ce que tu as fait. Je veux te voir disparaître, je veux oublier ton existence, te balayer de ma mémoire et quand j’y arriverai, à ce moment-là et seulement à ce moment-là, tu pourrais espérer continuer de vivre ta vie pathétique dans la peur. Je t’aurais déjà oublié depuis longtemps, mais toi, toi, jamais tu ne m’oublieras. »

Quand Chrysalis eut fini ses menaces et qu’un silence de mort s’installa tout autour de nous, elle revint calmement vers moi. Ses yeux verts étaient brillants et se mélangeaient à cette lueur meurtrière qui veillait toujours au fond de son regard.

« Laisse-moi lui parler… » Marmonnais-je à la changeline qui avait parfaitement entendu. Elle m’observa un instant, était-elle en train de réfléchir ou était-elle en train de chercher à savoir si j’étais sérieuse ou non.

« Tu ne m’as demandé que de la laisser partir. Rien de plus.

-Tu n’as pas le droit.

-J’ai tous les droits désormais, Cadance. » Elle parcourut la distance qui nous séparait et se pencha sur moi pour que nos visages soient à la même hauteur. « Absolument tous les droits, car désormais, tu m’appartiens complètement. » Puis, elle se redressa pour se placer entre moi et la jument.

Je pus tout de même la voir entre ses pattes, Pall Mall se releva lentement, faisant bien en sorte d’éviter de croiser mon regard ou celui de Chrysalis. Elle pivota les ergots et nous tourna le dos avant que son corps ne se mette à briller d’une étrange lueur blanchâtre. Une jument entièrement blanche apparut lorsque la lumière diminua d’intensité. Tout son corps semblait briller et j’avais même l’impression de voir à travers elle. Elle risqua un dernier regard à mon attention, outrepassant l’ordre de Chrysalis. Je savais que cette dernière ne la tuerait pas pour autant, elle avait bien trop à y perdre, mais cela représentait tout de même un risque tellement elle était imprévisible. Je vis dans le regard de Pall Mall, ou de cette jument qui m’avait peut-être menti sur toute son histoire, ainsi que sur son nom, qu’elle avait l’air d'éprouver du regret.

Elle observa les cieux et s’envola aussitôt après, sans un mot, sans un regard en arrière. Je pouvais la voir dans le ciel comme une étoile filante qui ne cessait de s’éloigner. Je n’arrivais pas à retenir mes larmes, je ne savais même plus pourquoi j’étais en train de pleurer, je ne voulais plus réfléchir, j’étais juste fatiguée de tout cela.

« Tu peux la lâcher. » Fit Chrysalis alors qu’elle observait toujours l’étoile dans le ciel.

Je sentis le grand changelin au-dessus de moi s’éloigner, me laissant enfin libre de me relever, ce que je fis avec empressement avant de me demander ce que je pouvais faire de plus après cela. Il était trop tard, j’avais perdu, peu importe ce que j’aurais dû faire et ce que j’avais fait, j’étais perdante quoi que je fasse. Le banc, les rosiers, et même le parc autour de nous commençèrent à se dissiper. Une simple illusion, même ce banc était faux. On se retrouva bien vite dans une simple ruelle derrière les grands bâtiments commerciaux.

Chrysalis se tourna alors vers moi, se rapprochant pour se placer à moins d’un mètre. Elle n’avait plus l’air tellement en colère. J’aurais pu croire la voir sourire de bonheur maintenant que je lui appartenais, mais même cela ne semblait pas la combler pour le moment.

« Tu as eu ce que tu voulais, non ? » Demandais-je la voix tremblante alors que mes yeux ne pouvaient s’empêcher de couler. « Alors, vas-y, jubile, fête ta victoire, moque-toi de moi. Tu as tous les droits maintenant, je t’ai donné ma parole. Alors s’il te plait, vas-y, sois sans pitié, fous-toi de moi, frappe-moi, car je suis incapable de le faire pour moi-même. Mais je t’en supplie Chrysalis, reste le monstre que je pense que tu es, ne change pas pour moi, ne me donne pas une seule once de regret envers toi. Je t’en supplie et je te le demande à genoux, prouve moi qu’il n’y a pas pire monstre que toi, convaincs moi que jamais une jument comme Pall Mall n’aurait pu t’arriver à la cheville et que j’ai placé ma confiance dans les bonnes personnes. S’il te plait Chrysalis, sois le monstre que je déteste, sois celle qui me permettra d’être sûre que mon monde n’est pas déjà envahi et perdu par des monstres comme cette jument. » Je me battais du mieux que je pouvais pour rester debout, pour retenir mes larmes et mes sanglots, pour m’empêcher de craquer et de fuir en courant.

Chrysalis se pencha légèrement sur moi et entoura ses pattes autour de moi. C’était la dernière chose qu’il me fallait pour craquer définitivement. Mes sabots n’arrivaient plus à me tenir, mes larmes et mes sanglots ne pouvaient plus s’arrêter. J’étais contre la matriarche, c’était la seule chose que je savais, c’était la seule chose qui avait de l’importance pour moi, en ce moment.

« Je suis désolée, ma chérie…

-Je suis fatiguée Chrysalis. Fatiguée de devoir me battre et d’être seule comme tous ces monstres, fatiguée de devoir me convaincre que je me bats pour le bien, alors que je n’arrive même pas à justifier ma place ici, je suis fatiguée, Chrysalis, de voir toutes cette méchanceté dont ces monstres sont capables et qui sommeille aussi au fond de moi. Je ne suis pas la meilleure pour défendre ce monde, je suis incapable de me défendre moi-même, mais je sais que si je ne le fais pas, je serai aussi bien responsable des prochains morts pour n’avoir rien fait.

-Je suis désolée, ma chérie… » Répéta-t-elle en collant son museau contre le haut de mon crâne. « Je te promets que je te protégerai, Cadance. Je te donne ma parole que je ferai toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour te défendre et t’apporter tout ce qu’il te faut. Tu es tellement précieuse à mes yeux, et je sens que tu souffres ma chérie. Je sens en moi ta douleur, mais il faut que tu arrêtes, ma chérie. Je suis là maintenant, et jamais je ne t’abandonnerai. » Sa voix se voulait sûre, rassurante, mais pourtant, au fond d’elle, moi-même je le sentais, cette tristesse que je transportais, la même était au fond de la changeline, vivante, mais silencieuse. Où était le monstre ?

« Je veux rentrer chez moi, Chrysalis. S’il te plait… J’ai vu la mort, je me suis baigné dans la rivière des âmes, j’ai enterré des cadavres… j-je suis fatiguée, je veux juste rentrer chez moi.

-Tout de suite, ma chérie, je m’occupe de toi, alors repose-toi, n’aies plus peur de fermer les yeux, tu n’as plus rien à craindre...