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Les ailes du désespoir

Une fiction écrite par Rosycoeur.

Chapitre unique

Tu étais enfin arrivé au but, devant ce trône de fer, forgé de sang et d’ossements, dominant la pièce. Jadis une salle illuminée par mille vitraux de lumière, de paix, de joie et de majestuosité. Désormais, de la roche obstruait chaque passage susceptible de laisser passer un mince rayon, survivant des nuages noirs éternels. De la roche qui recouvrait les murs, le sol et le plafond. Elle produisait sa propre lueur pourpre, bien différente de la chaleur simple qui inondait les feu jours.

Enfin arrivé au but ? Non, tu n’étais pas assez stupide, ni naïf pour le croire. L’optimisme et la chance avaient déserté depuis très longtemps. Tu avais été emmené, emporté. Dès que tu avais pénétré cette montagne de pierre et de métal - autrefois palais de marbre -, tu savais que plus personne n’oserait t’aider. Quelle ironie… tu rêvais pourtant d’y aller il y avait quelques jours…

Le courage que tu t’attribuais intérieurement s’était vite évanoui dès que tu avais été capturé par la Cravache striée en personne. Une des alliées les plus proches de Sa Magnificence. On disait qu’elle avait l’habitude de laisser à ses cibles, par quelque enchantement terrifiant, des éraflures si profondes qu’on pouvait voir la silhouette des entrailles dans le flot de sang. Tu t’étais laissé enchaîné avec docilité, sans résistance.

Ton bourreau portait une énorme armure intégrale forgée dans un métal précieux aux reflets violets, couleur fétiche de la dictatrice. Elle était composée de nombreuses plaques dardées de piques, purement esthétiques. La queue et la crinière était plaquées sous la carapace impénétrable. Les fentes, au nombre de cinq, sur le heaume étaient les seules failles.

La Cravache striée ressemblait aux gardes habituels, des sentinelles sans âme ni scrupule qui erraient dans chaque zone urbanisée de l’Empire, en plus impressionnant. Toutefois elle n’avait aucun rapport avec ces poupées nées de magie noir que tu pouvais vaincre. Et en dépit de cette apparence bien masculine, une voix de jument en sortait.

“Chien couvert de puces, tu ne seras sauvé par aucune astuce. L’envie ne me manque pas de te châtier maintenant, mais Sa Magnificence est là et va t’applique Son divin jugement.”

C’était une voix grave étonnamment calme et mature, qui ne trahissait pas un fanatisme aveugle. Au contraire, elle manifestait un respect véritable envers sa supérieure. Tu pouvais y déceler de la colère et du mépris à ton égard. Pour appuyer ce propos, elle tira vigoureusement sur la chaîne de ton collier de bronze et te laissa tomber sur le sol. Tu étais entièrement menotté jusqu’au musèlement, bien que ne crierais pas.

Tu tremblais de peur et tu te retenais. Tu avais été arrêté au mauvais moment : à un moment où le tyran en personne revenait sur son trône, après maints affrontements. En effet, la cruelle dirigeante était autant un poney de réflexion qu’une guerrière. On disait qu’elle donnait ses ordres pour les mois à venir et qu’elle était capable de prédire l’avenir.

Quelles tortures subirais-tu ?

La Cravache striée attendait, dépourvue de plus de vie qu’une statue. Elle restait à une certaine distance du trône, comme intimidée par sa grandeur. Tu ne pouvais rien faire à part trembler et regarder le siège du pouvoir. Le siège de malheur et de mort. Plus tu scrutais ses sinistres formes, plus la folie de cette prétendue déesse te paraissait ignoble.

Tu pouvais détourner tes yeux de cette horreur à l’image de sa propriétaire, gémir et trouver le spectre d’un réconfort pour tes dernières minutes. Mais, aussi couard fusses-tu, tu préféras consacrer les ultimes méandres de ta vie à observer, assimiler des informations. Tu avais toujours eu l’âme d’un fonceur, d’un combattant, et finalement tu accomplissais correctement tes devoirs d’éclaireur au moment le moins propice.

Ce meuble massif t’inspirait crainte et dégoût. Il était fait pour inspirer la crainte et le dégoût. Il substituait à l’ancien trône de bonté, qui avait été détruit. Encore plus gargantuesque que ce dernier, il présentait un dossier froid d’acier et autres éléments oxydables, incrusté dans le mur de roche. Il brillait d’une aura rouge cerise, sûrement un enchantement le protégeant de l’air ambiant, sa seule faiblesse. En somme, à lui-seul un symbole de puissance.

Cette impression d’immensité et de noblesse était teintée par cinq séries de scènes gravées profondément dans le métal, séparées par des glyphes. Tu étais trop loin pour les appréhender distinctement, mais l’artiste malsain était parvenu à faire ressortir l’atrocité des actes. Au sommet de la plaque de fer, cinq épieux de fonte empalaient une fausse tête aux yeux exorbités et les quatre membres du poney qu’il aurait été. La ressemblance était saisissante. Mais aussi morbide était l’imagination derrière cela, ces décorations demeurait fictives.

Le siège était à première vu un bloc de marbre, de hauteur considérable, qui ne présentait pas de marche permettant aux êtres profanes du sol d’accéder au sommet. Qui le voudrait ? En effet, ce qui était à première vue de l’illustre roche était composé des os de centaines, de milliers de poneys. Écrasés et broyés, en laissant les formes de certaines parties pour laisser voir leur effarante origine. Cinq crânes de juments en haut-relief s’y détachaient parfaitement. Tu n’étais pas sûr si ce morceau au-dessus d’un d’eux était une corne ou un os indépendant.

Quel dégénéré avait pu concevoir un tel chef-d’œuvre dans le domaine macabre ? La despote en personne ? Au fond, ce n’était pas étonnant. On lui disait être le génie le plus brillant du siècle, capable de tout faire. En plus du trône, tantôt rudimentaire et élaboré, quatre tas d’ossements l’encadraient, mis en valeur par de la luminosité, provenant encore une fois d’un sortilège.

Tu te rendis compte que cet endroit était arrangé de façon à attiser la haine et la répugnance. Tu ne comprenais pas cette mise en scène écœurante. L’impératrice était-elle malade à ce point pour apprécier ces ornements ? Mystérieusement, tu avais l’impression que ce n’était pas le cas, qu’elle cherchait à provoquer cette antipathie dans un certain but.

Et cela marchait. Tu étais rempli de terreur et de révulsion. Soudainement, tu remarquas l’omniprésence du chiffre cinq. Pourquoi le pensais-tu maintenant ? Ce détail parmi tant d’autres ? Et d’où puisais-tu la force d’y penser ? Tu avais si peur, mais en même temps, tu avais l’impression que tu étais près de découvrir quelque chose d’important. A moins que c’était la folie qui te frappait en tes derniers instants ?

La dirigeante s’était emparée du pouvoir en cinq jours. Cinq jours avaient suffi pour tuer les princesses Célestia et Luna et s’approprier leur palais. Quoique après ce moment historique, seules les horloges donnaient une illusion du temps passé. Cependant, les rumeurs dans les réseaux obscurs prétendaient qu’elles avaient été vaincues en trois jours, avant d’être achevées au bout de deux d’agonie. Deux alicornes qui avaient la réputation de contrôler les astres et d’être immortelles.

La magie de la dictatrice était destructrice. Encore une fois, tu n’avais jamais été témoin d’un de ses combats, tu ne l’avais jamais vu en chair et en os également. Les informations que tu avais venaient toujours des bruits. Selon les quelques survivants de sa présence, un pentagramme apparaissait quelques centièmes de seconde avant qu’il fût remplacé par des flammes dignes des Enfers.

Absurde, te disais-tu. Attaché, emprisonné, et condamné, tu cherchais seulement une once de gloire pour clore ta vie en ayant l’impression d’avoir accompli quelque chose. Les intellectuels résistants avaient sans doute déjà mis le sabot sur cette information. Ils avaient consacré leur vie à chercher pourquoi, comment tout cela s’était passé. En effet, leur persécutrice aurait été une gentille princesse avant tout cela. Aurait. Les archives avaient été brûlées et ceux qui la connaissaient avaient été les premiers tués. On avait cherché à éteindre les dernières traces d’un passé heureux.

Et tu prétendais être proche de la vérité ? D’une cause qui pourrait “justifier” tout ce qui s’était passé, et auquelle des savants qui n’avaient que cela à faire (vraisemblablement) avaient dépensé des années à chercher ? Toi ? Pauvre ignare qui voulait croire la trouver alors que tu t’en moquais il y avait quelques heures ?

Tu fus ramené à la réalité par un coup brusque sur ta chaîne qui t’étrangla presque. La Cravache striée était si calme que tu avais oublié son existence. Elle aurait pu te détacher, tu aurais oublié de fuir. Les analyses superflues avaient contribué à te faire oublier ce qui se passait. C’était pour cela que tu méprisais les théoriciens : ils se détachaient de la réalité sous prétexte que cela les aidait à mieux réfléchir.

Tes délires intérieurs arrêtés, tu pus distinctement voir de la lumière éclairer le siège du trône. Une lumière blanche à la couleur ironiquement angélique. Tu ne te leurrais pas. Ce rayon préludait ton pire cauchemar.

Elle arrivait.

La (à présumé) jument armurée qui te tenait en laisse s’agenouilla avec célérité. Elle te frappa à la nuque sans te faire évanouir, pour que tu t’aplatissasses au sol. Tu avais il y avait des années prêté allégeance par écrit à la résistance, en promettant de ne jamais t’agenouiller face au tyran. Malgré le caractère purement symbolique de ce serment, tu avais l’impression de le trahir. La lâcheté t’empêchait néanmoins de te débattre et de lever la tête.

Dans une une totale autre situation, tu aurais raillé silencieusement une entrée si pompeuse. La souveraine suprême atterrissait directement sur son trône en passant par le plafond à l’aide d’un sort. Elle n’utilisait pas ses ailes cachées par une ample cape noire, employant directement la magie. Comme un prophète qui descendait directement du ciel… Prophète qui venait de massacrer un pays de plus pour étendre sa domination.

Tu avais les yeux principalement dirigé vers le sol de pierre, mais tu pouvais apercevoir cette alicorne. Ce monstre qui aurait été autrefois l’élève de la Princesse Célestia, élevée en princesse de l’amitié… Tellement irréaliste en ces jours, serait-ce seulement du folklore ? Des mythes inventées pour donner une dimension équine à cette créature sans pitié ? Mais ce que tu voyais dépassait les légendes de ce bas-monde.

Les résistants qui avaient pu voir cet être diabolique de près étaient des poneys morts et enterrés, à peine reconnaissables. Alors pour combler l’inconnu, on s’inventait son apparence. La plus cauchemardesque image restait plus rassurante qu’une menace invisible… dont le caractère concret était questionnable. Désormais, tu n’avais plus de doute.

Pas une chimère du Tartare, ni une vénus au corps digne des champs Élysées. Pas de beauté enchanteresse, de laideur repoussante. Rien de particulièrement spécial, en réalité. Personne n’avait songé à l’absence de singularité. Cette folle imbue du pouvoir était une jument qui paraissait ordinaire. Elle était couverte de sang, ostensiblement, et sa cape décorée de crocs et de griffes recouvrait la preuve de son alicornité.

Pelage lavande ordinaire, souillée par le liquide écarlate. Une crinière raide et une queue couleur de nuit, barrées de deux rayures violette et rose, coupées court. Une corne d’une taille pas exceptionnelle pointait entre les mèches sombres naturelles. Enfin, ces yeux améthystes, qui n’étaient même pas vairons ou brillants d’une lueur maléfique.

Tu étais choqué par cette banalité. Tu t’étais attendu à des différences, à une preuve qu’un individu aussi sanguinaire n’avait rien à voir avec vous autres poneys. Tu avais rarement vu des clichés de la dirigeante avant son double-assassinat, et lorsque tu admettais que ces photos montraient la bonne jument, tu avais envisagé une transformation complète qui l’aurait fait perdre toute trace de ce qu’elle était originellement.

Pas… pas cela. C’était impossible qu’une personne pareille ressemblât à un compagnon licorne que tu pouvais croiser dans la résistance. Pas cela ! Pas cela !

Tu sentis brutalement une douleur lancinante au flanc, comme si on t’avait fouetté là. La Cravache striée te fusillait du regard à travers les fentes de son heaume. Tu t’étais levé brutalement… L’alicorne sur son trône, qui paraissait désormais inapproprié, te lançait un regard amusé. Elle parla à sa subordonnée.

“Zecora, qui est cette fois-ci l’insecte que tu m’ammènes ?”

La Cravache striée s’abaissa encore plus au sol et retira son imposant casque. Stupeur ! La caractéristique étrange ne venait pas de la tête dirigeante, mais d’un de ses sbires… qui n’était pas un poney. Quelle créature équine pouvait-elle être ? Son poil blanc grisé était rayé de bandes plus foncées. La crinière était une espèce de crête aux couleurs similaires bien droite sur la tête allongée. Ses yeux verts insondables n’exprimaient qu’une grande sagesse. Aberrant d’en voir dans le camp ennemi. Tu avais l’impression qu’en dépit de sa vigueur elle était d’un âge bien avancé.

“Un résistant stupide aux desseins perfides. Je l’ai surpris alors qu’il communiquait avec ses misérables semblables, en plus d’informations intéressantes j’ai capturé cet incapable.

- Ces rats sont de plus en plus désorganisés. bailla l’alicorne ennuyée. Je me serais attendu à un peu de défi digne de mon intellect.”

La jument abordait un air suffisant. Sa posture désintéressée transpirait la confiance et l’audace. Tu devinais que, sous cet ample habit sombre, ses jambes arrières étaient posées confortablement sur le rebord de son siège. L’arrogance, la présomption. Ces traits dignes des nobles corrompus, gardant leurs trésors sous le règne autoritaire.

Mais tu eus force de constater que ses grands yeux violets ne suivaient pas la même expression. Pensifs, miroitant une multitude de pensée. Même à ce moment-là celle qui avait pu conquérir tout Equestria en moins d’une semaine restait préoccupée. Tu ne pouvais que trop bien imaginer l’étendue de ses réflexions, ses analyses brillantes. Un abysse sans fond comparé aux iris impassibles de sa subordonnée. Un esprit bien différent de ceux des aristocrates opulents, qui lui avait permis d’accomplir tout ce qu’elle avait entrepris.

Elle devint soudainement plus sérieuse, et parla en de paroles mystérieuses.

“Des fois, je me demande si tout ça va réellement aboutir à quelque chose, Zecora. La cinquantième année arrivera bientôt. Et pourtant rien de concret. Je suis ravie qu’on ait au moins pu trouver de quoi ralentir ta vieillesse. Je n’aurais pas supporté de te perdre toi-aussi.”

De quoi parlait-elle ?

“Donc quelles sont ces informations ? Pas qu’elles me seront utiles, mais je reste curieuse.”

La Cravache striée sortit le morceau de papier que tu devais donner. Tu remarquas qu’elle l’avait sûrement transporté collé à son propre pelage. En ces temps, les sacs et autres contenants étaient traîtres : toi-même avais gardé ce message dans ta bouche fidèle. L’équidé l’avait dissimulé au sein de son poitrail.

“Un langage codé a été utilisé. Moi-même a rencontré un peu de difficulté. Sans que cela ne vous vexe, il risque d’être complexe.”

Lorsque tu tournas la tête vers la despote qui répondait, tu eus la surprise de la voir lévitant ce même papier. Sans éclat de magie ou autre, elle se l’était procurée à distance. Aucune licorne de ton entourage avait réussi un pareil exploit, mais tu étais conscient que tu étais face à une alicorne. A moins que c’était sa subordonnée qui avait réalisé ce tour.

“Tant mieux ! s’exclama joyeusement la jument. S’ils peuvent inventer un code décent, il y a encore un peu d’intelligence dans leurs rangs. Ce serait du gâchis si aucun d’eux n’est ni puissant ni motivé par une forte haine.”

Le papier disparut dans un éclat pourpre, rangé dans quelque compartiment secret.

“Zecora, va. Je vais m’occuper de ce poney, en espérant qu’il a du courage.

- Bien, ma Reine. Mais en dépit de toutes les peines, il n’émettra aucun son, donc de hurlement non. Comme je l’ai pu constater, il est muet.

- Qu’importe. Les langages des yeux et du corps sont tout aussi significatifs.”

Finalement, la Cravache striée s’en alla. Ta respiration se fit plus rapide et saccadée : ce n’était que le commencement de la répression. Ta tortionnaire te fixait, ses prunelles brillaient de convoitise en plus de ses multitudes autres sentiments. Deux trous noirs impatients d’absorber la vision de tes souffrances.

“Te-heh-heh…”

La folle eut un petit rire grinçant, comme si elle avait hâte de commencer, mais qu’elle préférait d’abord le montrer ? Cela te fit penser malgré toi aux antagonistes dans les bandes dessinées que certains camarades avaient ou dessinaient. Un rire de méchant. Un rire faux.

Éprouvait-elle le besoin d’un tel gloussement… ou bien simulait-elle ? Toute cette mise en scène malsaine, et saugrenue d’une certaine manière. Tout pour exciter la détestation et l’envie de représailles. Les génocides, les hécatombes aussi devaient sûrement y contribuer… massacrer tant d’innocents pour un but obscur ?

Comme pour protester, tu ouvris la bouche. Tes yeux se chargèrent de communiquer tes pensées. La perspicace jument s’arrêta dès qu’elle les comprit. Elle eut un soupir lassé avec une mine abattue, comme une pouliche qui demandait “J’ai été ridicule, hein ?”

Tu te souviendras pour tes ultimes instants d’avoir fait une comparaison entre cette monstruosité et une simple enfant...

Tes ultimes instants… Tu allais décéder...

“Je ne comprendrais jamais les mimiques des vilains dans la fiction, même dans certains de mes livres préférés. Quand on est en pleine guerre et qu’on est le sans-cœur à abattre, on manifeste sa bonne humeur qu’après être sûr de tout. Et malgré tout ce qu’on peut penser de moi, je ne suis pas omnisciente.”

Elle bondit hors de son trône, comme si elle se sentait indigne de cette place symbole du pouvoir ultime. Elle avait proclamé d’elle-même qu’elle n’était pas parfaite. Et pourtant, tu étais sûr de périr, de vivre tes derniers moments. Pourquoi espérer ? Personne n’allait te chercher, tu ne pouvais pas t’enfuir.

Tu allais mourir.

Et tu décidas de finalement l’admettre totalement.

“Par exemple, à chaque fois que j’exécute quelqu’un. J’ai toujours cette crainte qu’il s’enfuie. Malgré toutes les mises à mort réussies, rien n’est sûr. Être consciente de cette possibilité me permet-elle de préparer tout à l’avance ? Certes, j’ai des mesures, mais j’ai toujours l’attente d’être surprise, un jour.”

Soudain, tu vis une étoile à cinq branches apparaître sous toi. Un pentagramme. A peine tu le constatas que tu éprouvas une terrible douleur à la mâchoire demeurée ouverte. Un parlant aurait émis un dernier râle de souffrance. C’était comme si on perçait tes os. Lorsque que cette sensation se dissipa, tu ne pouvais plus fermer ta bouche. Elle était coincée ainsi.

“Une de ces mesures est de briser la corne, d’arracher les ailes, de couper les cordes vocales et enfin de bloquer la mâchoire. Tu es chanceux, muet, de n’avoir à subir que cette dernière opération, la moins douloureuse je pense. Si tu t’échappes, pourras-tu écrire ce que tu as vu avec seulement tes sabots ?”

Elle s’approcha de toi à une distance minime. A présent, tu pouvais bien voir son visage plus ordinaire que jamais. Elle détacha ta muselière inutile et - plus stupéfiant - tes chaînes. Manuellement, à cause sûrement d’une protection magique. Tu étais en apparence libre, ce dont tu savais totalement faux.

Sachant qu’il était inutile de fuir, tu reculas seulement de quelques mètres, ne pouvant supporter d’être aussi près - jusqu’à toucher le museau - de cette créature à l’aspect équin. Cette dernière attendit ta réaction, ton éventuelle tentative d’escapade.

Elle comprit que tu avais accepté de trépasser.

“Tiens, es-tu ce qu’on pourrait appeler un héros ? Tu ne t’esquives pas, sachant à quel point c’est futile. Tu sais quelle est ma puissance. Sais-tu que quelques uns d’entre vous ont tenté de me tuer dès qu’ils ont vu que je ressemblais à une simple jument ? Les pauvres ont été exécutés immédiatement. Peut-être qu’on viendrait à ton secours dès que je déciderai de t’achever ? Vas-tu être un héros tragique ou un héros tout court ?”

“C’est le moment où je fais un monologue. En réalité, je l’ai commencé bien avant comme tu es incapable d’articuler un mot. C’est idiot de dévoiler ses plans à ce moment-là, n’est-ce-pas ? Ou bien c’est un instinct de méchant. Qui sait si nous ne sommes pas sur écoute… les murs ont des oreilles.”

“Ton regard est rempli de peur. Mais je peux aussi y déceler de l’incompréhension, et de la colère… tant mieux.”

Elle sourit sans joie.

“Comment réagiras-tu si je dis que tout ce que j’ai entrepris, les tueries, l’oppression, la tyrannie, était pour un monde meilleur ?”

Avant que tu ressentisses de l’indignation et de la répugnance à son égard, elle se débarrassa de sa cape spectaculairement. Ses taches de sang furent retirés aussi, fût par magie, fût par son habit qui avait été enlevé de la manière la plus brutale possible. La salle, qui était peu éclairée, s’assombrit tout à fait. Chaque source de lumière s’éteignit, comme de simples bougies face au vent. Par quelque sort supplémentaire, le noir n’était pas total et tu pouvais voir plus ou moins la silhouette de la jument.

Elle s’était assise sur son arrière-train, les ailes repliées sur son corps.

“On m’a donné beaucoup de surnoms sur le champ de bataille. Démon de flammes… Faucheuse… mais il y en a un qui revient souvent : les ailes du désespoir.”

Oui, tu le connaissais. Ceux qui n’osaient pas prononcer Son nom par superstition utilisait toute sorte de sobriquet, les plus audacieux allant aux insultes. Les vétérans ayant survécu à son intervention préféraient cette dénomination plus métaphorique. Selon eux, elle arrivait par le ciel, son ombre néfaste s’étalait au sol et prédisait un grand malheur.

“Je le trouve ironique, moi. Bien que j’aime bien combattre de haut, j’utilise seulement ma télékinésie pour me transporter. Personne n’a vu d’autres appendices sortant de mon dos, et pourtant on continue d’employer ce terme. Aucun n’a émis l’hypothèse que je ne sois qu’une licorne n’ayant jamais reçu la bénédiction des princesses.”

Tu étais trop secoué par cette révélation qui semblait en être une. Encore une fois, elle te surprit. Elle alluma sa corne d’une lumière chaude, suffisamment brillante pour éclairer tout son corps. Et elle “déploya” ses ailes dans toute leur envergure.

Ceux-ci étaient dénué de toute plume, de toute chair. Ces membres étaient uniquement constitués d’ossements albâtres. Ils sortaient directement de son corps : il n’y avait pas la moindre plaie ou goutte de sang. Comme si la chair s’était reformée tout autour de l’os.

“Ceci est mon tribut ! annonça la jument d’une voix claire et anormalement forte. Ou plutôt, un rappel ! J’ai tué les trois princesses dont mon mentor, mon propre frère et mes amies ! Je me suis mutilé, ces ailes confirmaient mon titre. Il n’en reste que les os ! J’ai payé ! Tout le monde a payé ! Pour un monde meilleur !”

En entendant ces mots de fanatique, la colère et le dégoût remontèrent à nouveau. Ton écœurement était totalement justifié. Un monde meilleur ? Bâti par les cadavres de tous les innocents massacrés ? Et puis quoi encore ? Tu voulais bondir dans un dernier geste, un sursaut avant la mort, essayer d’étrangler cette chose. L’instinct de survie - ou la poltronnerie - te clouait au sol. Tu avais accepté la mort, mais ton corps cherchait encore à grappiller quelques instants de misérable existence.

“... tu dois me prendre pour une folle, murmura t-elle alors doucement. Et tu as raison. Mais je devais le faire. Je n’avais pas le choix.”

Sans que tu t’y attendisses, un autre pentagramme apparut. Cette fois, c’était comme si on coupait lentement tes jambes arrière. Tes yeux étaient exorbités et tes jambes avant battaient frénétiquement l’air. Après plusieurs minutes où tu sentais des lames invisibles s’enfoncer plus profondément en toi, la sensation disparut. Tu possédais encore tes membres, mais ils ne répondirent plus à tes ordres.

“... je suis prudente, et je suis censé te torturer. Zecora a sacrifié la paix et la tranquillité, elle n’a pas plus donné que le peuple, je ne trouve pas ça injuste pour autant. Pourquoi souhaiter du mal à un de ses derniers et rares proches ?”

Tu t’agitais encore comme si tu éprouvais la douleur, peu habitué à te sentir mieux immédiatement après un coup - magique ou non - d’une telle amplitude. Lorsque tu prêtas attention à ce qu’il y avait autour de nouveau, tu vis que la pièce avait retrouvé sa luminosité initiale.

“La prospérité ? La joie ? La population les a sacrifiées d’elle-même. Je n’ai dicté aucune loi qui ne les limite. Dès que je suis montée au pouvoir, je me suis aussitôt levée pour partir à la guerre. Les ordres que je donne sont majoritairement militaires. Dans toutes les villes des gardes artificiels rôdent, et dès fois ils tuent un poney au hasard, qu’il soit dehors ou cloîtré chez lui. Mais comme certains ont vite appris à les vaincre, j’envoie parfois un de mes subordonnés plus puissants, de temps en temps.”

Elle se leva et se plaça dans une position bipédale, écartant ses jambes avant. Ses ailes d’os pendaient presque lamentablement. Une posture victorieuse, qui contrastait avec le visage défait de l’alicorne aux yeux profonds.

“Un tel système devrait pouvoir être démantelé très vite. Un poney sera toujours plus fort que mes alliés, que moi. Je possède d’incroyables pouvoirs psychiques et offensifs. Autrefois, j’étais l’Élément de la Magie. Mais personne n’est invincible. Alors pourquoi ? Mon Empire est devenu une féroce dictature, sans que je contrôle tout, sans que j’y exerce un sabot de fer. Et pourtant, tout le monde est cloîtré chez soi, dans la peur.

Poneys, griffons, bisons, yaks, changelings… tous pareils !”

Elle se reposa au sol. Alors que tu te demandais pourquoi elle racontait tout cela, elle s’avança vers toi, comme tout à l’heure. Cette fois-ci, tu ne pouvais t’échapper de son hideuse approche. Comme pour s’assurer de ne pas te voir ramper désespérément, elle paralysa également tes jambes avant. Même en étant aphone, tu croyais avoir éteint une clameur qui naissait dans ta gorge. Cette fois, des frissons électriques parcourais ton nerf. C’était comme si un feu brûlait et te dévorait de l’intérieur.

“Fin du monologue. Les murs ont-ils bel et bien des oreilles, ou bien as-tu été seul témoin comme d’autres avant toi ? Sache que tout ce que j’ai fait est pour le bien de ce monde. A côté, les morts ne sont qu’un bas prix.”

Désormais, la torture commença sérieusement. Alors que l’électricité continuait de parcourir tes jambes, elle te poussa au sol, impuissant. Elle sauta sur toi et te piétina de ses sabots, ses ailes crissaient abominablement le sol de pierre. Toujours sur toi, elle créa un autre pentagramme, et brisa ta colonne vertébrale. Le mal fut plus court et abominablement intense.

Elle continua peu à peu à décapiter, briser, embraser chaque parcelle de ton être. Chaque os, organe. Les rendant inutiles ou en les annihilant directement. Sans la moindre pitié, d’équité. La dernière vision que tu appréhendas de tes yeux injectés de sang était ses iris, qui pour la première fois présentaient une lueur de folie. Elle ne te considérait que comme un bout de viande qu’elle martelait. Elle ôta peu à peu tes autres sens, en se gardant te toucher à ton ouïe.

Ce calvaire, amalgame de mille supplices tous divers et tous terribles, ne faisait qu’alimenter cette flamme intense. Ces sentiments tourbillonnants, de la haine contre ta persécutrice. De la rage, du dégoût. Ton corps était à présent tel un cadavre respirant, agité par les spasmes de la douleur et de tes sentiments. Tu maudis ces moments, tu la maudis, tu maudis ces moments où tu pensais du bien d’elle. Ou plutôt où tu n’avais pas pensé du mal.

“OUI ! Déteste-moi ! Déteste-moi de toutes tes forces ! J’ai tout ruiné !”

Ce fut la dernière phrase que tu entendis.

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Acylius
Acylius : #49197
@Rosycoeur :
Pour être honnête, quand les chapitres à valider sont un peu longs, je me contente parfois de piocher quelques paragraphes au pif. Mais chut...
Il y a 3 mois · Répondre
Rosycoeur
Rosycoeur : #49194
@speedangel
J'aimerais bien, dans une fiction plus longue. Mais merci.

@Acylius
Techniquement, tu as validé cette fanfic. Si ce que tu dis est vrai, ça veut dire que j'aurais pu mettre une affreuse erreur de syntaxe, tu ne l'aurais pas remarqué. :) Donc ça veut dire que tu as mal fait ton travail de validateur.

Mais comme tu as pris beaucoup de temps à valider, peut-être que tu as lu en te forçant. Mais cela voudrait dire que ton commentaire est un mensonge.

Ou bien, en dépit de tout ce temps, tu n'as pas pu le lire. Donc tu as regardé l'article sur le résultat du challenge, et comme la critique était positive tu as décidé d'accepter. Mais ça voudrait dire que tu as fait un mauvais travail de validateur.

(Remarque à prendre avec humour.)

C'est vrai que la deuxième personne est très directe, c'est comme si on donne des ordres, mais je suis toujours étonnée que des gens n'arrivent pas à lire uniquement à cause de ça.
Il y a 3 mois · Répondre
speedangel
speedangel : #49187
C'est vraiment beau, tu devrais en faire plus souvent :)
Il y a 3 mois · Répondre
Acylius
Acylius : #49184
J'ai essayé, mais rien à faire, la narration à la deuxième personne me rebute trop. Dommage.
Modifié · Il y a 3 mois · Répondre

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