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Et si c'était elle ?

Une fiction écrite par LtZip.

Acte 1

La langue est la seule différence entre le sucré et le cauchemar. Si les araignées étaient sucrées vous les lécheriez et les trouverez fort bonnes, jusqu'à ce qu'elles mangent votre langue, là vous hurlerez car elles sont un cauchemar et elles se font un chemin dans votre gorge. Vous êtes sucré et elles sont un cauchemar. Un cauchemar rampant, grouillant et sucré.

« Qui peut bien perdre son temps à écrire un tel tissu d’âneries ? » Grogna la licorne.

Le parchemin qu'elle tenait de sa magie devant ses yeux se déforma comme une voile mal fixée face au vent quand elle pressa son trot. Elle renforça subtilement sa prise et se maudit de s'être laissée aller à une négligence digne d'une pouliche à peine sortit du ventre de sa mère. C'était qu'elle avait hâte de revenir à son étude, de toute évidence son sort de traduction avait besoin de quelques retouches.

Le parchemin lui avait été remis par son professeur avec l'expresse consigne de le traduire, chose à laquelle elle s'était attelée sur le chemin du retour. De toute évidence cela allait être plus compliqué que prévu, à moins que ce charabia ne soit ce qu'elle était censée traduire, ce dont elle doutait fortement. Qu'a cela ne tienne, l'échec n'avait jamais été option pour elle et cela n'allait pas commencer aujourd'hui avec ce ridicule petit morceau de parchemin.

« Sunset ! » l'appela une voix.

Elle baissa son parchemin et ses yeux cyan se posèrent sur un trio de licorne interchangeable. Ses amies, en quelque sorte.

« On t'a enfin mis le sabot dessus, dit l'une d'entre elles, Moon Dancer organise une petite fête dans la cour ouest, ça te tente ? »

La jument se para alors d'un sourire désormais bien rodé.

« J'adorais mais, elle secoua alors le parchemin devant leur museau, un travail de dernière minute de la part de la princesse, pas vraiment le genre de chose qui peut attendre. Navré, une autre fois peut-être ? »

Elles parurent déçues, un petit peu, mais elles la laissèrent passer. Dès qu'elles furent hors de vue son sourire s'effaça, quelle perte de temps que ces poneys, mais elle n'avait guère le choix. Son mentor faisait une fixation sur le fait qu'elle devait se faire des amis, ça et le fait qu'elle devait faire preuve d'humilité. Alors elle avait appris à sourire, que cela lui avait été utile. Elle avait aussi trouvé ces trois-là, juste assez d'intelligences pour qu'elle n'ait pas envie de les frapper chaque fois qu'elles ouvraient la bouche mais pas assez pour demander plus que ce qu'elles avaient déjà, à savoir frayées avec « la licorne la plus douée de son temps ».

Un autre sourire, sincère celui-ci, se dessina sur son visage quand elle vit qu'elle était enfin arrivée à la porte de son étude. Et quelle étude était-ce là, rien de moins qu'une majestueuse tour d'ivoire si haute qu'un dragon se dressant de toute sa hauteur ne parviendrait pas à la dépasser. On ne méritait rien de moins quand on était l'élève de la Princesse Celestia, la dirigeante d'Equestria et le poney le plus puissant qui n'est jamais existé.

Elle en ouvrit les battants, laissant les odeurs familières envahir ses narines et ses yeux se gorger de la vision d'un intérieur aussi somptueux que l’extérieur. De l'or, du marbre et de l'ivoire sculpté en plusieurs étages de bibliothèques et autres lieux propices à l'expérimentation magique, le tout construit autour d'un grand escalier en colimaçon. Elle aimait cet endroit.

Elle s'en alla vers la table de travail la plus proche, sur laquelle était posée une plante en pot de nature indéterminé, plante qu'elle salua au passage.

« Un autre jour, un autre sort, Philibert. »

Philibert, qui appelait une plante Philibert ? Qui nommait une plante de toute façon ? Elle, quand elle était plus jeune. Ça lui était venu comme ça et c'était rester. Ça n'avait pas beaucoup d'importance après tout, ce n'était qu'une plante, mais c'était sa plante et en tant que tel elle n'avait pas d'égale, dans tous les sens du terme. Elle l'avait fait pousser elle-même avec un sort de croissance de son cru dans le cadre d'un examen du temps où elle était à l'école pour licorne surdouée. Elle réussit la corne levée, tellement en fait que Philibert recouvrit tout Canterlot, c'était une longue histoire. Elle l'avait conservé comme symbole de son succès, après l'avoir ramené à une taille plus acceptable bien sûr, et s'en servait aussi de temps en temps comme cobaye pour certains sorts.

Elle posa le parchemin à plat et commença par annuler la magie traductrice, rendant au texte sa forme originelle. Avant de traduire quelque chose, il fallait déjà définir à quoi on avait à faire, en l'occurrence il s'agissait de toute évidence d'une forme d'Equestrien ancien, pas assez ancien cependant pour être antérieur à la création de la langue commune. Pourtant, son sort calibré pour l'Equestrien pré-classique n'avait donné que du charabia, elle devait être passée à côté de quelque chose.

Elle tenta un sort de reconnaissance linguistique, qui lui confirma ce qu'elle savait déjà, c'était de l'Equestrien pré-classique. Pourtant, il y avait quelque chose qui ne collait pas, elle en aurait mis sa corne à couper, peut-être le délai du sort à agir. Par acquit de conscience elle appliqua plusieurs sortilèges de vérification. Il s’avéra qu'elle s'était trompée, son sort de traduction avait marché à la perfection, c'était le texte lui-même qui était complètement incohérent. Mais pourquoi la Princesse lui avait demandé de s'occuper d'un texte qui était de toute évidence au mieux une mauvaise blague, au pire l’œuvre d'un dément ? À moins...à moins que cela ne fasse aussi partie de l'exercice, ce délire pourrait avoir un sens caché, un code qu'il lui fallait percer avant de pouvoir véritablement s'atteler à la traduction. Des livres allaient devoir être ouverts.

Plusieurs couvertures de livres et de nombreux essais infructueux plus tard, elle réussit à mettre au point le bon sort de décryptage, du moins le supposait-elle, le temps d'effectuer la traduction et elle le saurait.

Le résultat la laissa encore plus perplexe que le charabia de la toute première fois :

Les étoiles sont un mensonge. Des îlots de lumière perdus dans un océan de ténèbres. Un mensonge. Ce sont les yeux des ténèbres, froids et indifférents, que regardent-ils ? Leur lumière nous guide quand nous sommes perdus dans la nuit. Un piège. Cette lumière n'est pas la nôtre, elle nous leurre, nous attire. Il y a de nombreuses bouches derrière elle et de nombreuses dents dans chacune d'elles, toutes sont affamées. Elles sont nos amies. Un mensonge et un piège. Elles nous trahiront. Elles la laisseront s'échapper. Six ont été pour l'emprisonner, quatre seront pour la libérer. La parjure, la rejetée. Pour que tourne la Roue et qu'à nouveau soit l’inéluctable. La lune est une tombe et n'est pas mort ce qui ne fait que rêver.

C'était paradoxalement à la fois plus cohérent et encore plus confus. Le texte était sinistre à souhait. La première moitié était une sorte de délire paranoïaque sur les étoiles, la seconde ressemblait plus à une sorte de prophétie. Prophétie dont certains détails lui rappelaient la légende de Nightmare Moon, si ce n'est que la légende ne parlait pas d'un hypothétique retour.

Qu'à cela ne tienne, elle avait traduit le parchemin, l'exercice était terminé et elle l'avait réussi haut-la-corne, comme d'habitude. Ne restait donc qu'à faire son rapport comme accoutumé. Elle se saisit de son journal, l'ouvrit à une page blanche et commença à écrire. Par le truchement d'un enchantement tout ce qui était couché sur ce papier serait aussitôt transposé dans un livre identique que détenait son Mentor, cela permettait une communication aussi rapide et fluide que si elles se tenaient dans la même pièce.

Très chère Princesse Celestia, vous serez heureuse d'apprendre que j'ai terminé la traduction du parchemin que vous m'avez donné, vous en trouverez une copie à la fin de mon message. Sachez qu'il semble s'agir d'une sorte de prophétie et qu'elle contient certaines références troublantes à Nightmare Moon.

Il eut un délai plus long qu'à l'accoutumer avant sa réponse, le temps d'examiner la traduction sans doute.

Très chère Sunset, ton travail est, une fois encore, exemplaire. Quant à ta célérité à l'accomplir, elle ne cessera jamais de m’impressionner. Pour être honnête avec toi je n'attendais pas un tel résultat avant la fin de la semaine.

Cette prophétie t'intrigue et je le comprends, sache cependant que ce n'est point à toi de t'en inquiéter. Des choses bien plus concrètes attendent d'occuper ton esprit. Vois-tu, je pense qu'il est grand temps d'étendre tes compétences dans d'autres domaines que celui de la pure magie, c'est pour cela mon élève que je t'envoie à Ponyville. Tu y superviseras les préparatifs du festival du Solstice d'été qui s'y tiendra cette année. Tu es libre d'y amener tes amis avec toi si tu le désires.

Voilà qui était inattendu, une réponse s'imposait avant tout autre chose.

C'est un grand honneur que vous me faites Princesse et sachez que je vous ne décevrais pas. Quant à mes amis, je ne pense pas que ça les intéresse de visiter Ponyville ou de me voir galoper à droite et à gauche pour m'assurer que tout se déroule comme prévu, aussi irais-je seule.

Fort bien. J'ai affrété un chariot volant qui te conduira sur place, ton départ est prévu pour cet après-midi. Pendant la durée de ton séjour tu résideras à la bibliothèque de Golden Oak qui est actuellement inoccupée.

Sunset referma son journal, plus perplexe encore qu'avant de l'avoir ouvert. Ponyville, le festival, qu'avait donc la Princesse derrière la tête ? Car la princesse avait toujours quelque chose derrière la tête. La plus innocente des demandes, le plus banal des exercices recelait toujours un sens caché. La licorne avait depuis longtemps l'impression qu'elle était perpétuellement mise à l'épreuve, sans cesse comparée à une sorte d'idéal connu de Celestia seule et que si elle s'en écartait un peu trop, elle était bonne pour faire ces valises. Plus le temps passait plus elle avait la sensation que ce jour était proche, car elle ne se leurrait pas, même si son parcours était aussi assidu qu'irréprochable son Mentor n'était pas satisfait d'elle. Trop arrogante, trop égocentrique, trop...ambitieuse. Des « défauts » que l'Alicorne avait tout tenté pour corriger via d'interminables, et parfois atrocement tordues, leçons sur l'amitié, la compassion et l'humilité. Toutes avaient échoué. En un mot comme en cent, elle n'était pas la gentille petite pouliche prête à lui lécher les sabots ou plus si affinités dès qu'elle ouvrait la bouche et cela la dérangeait.

Bien sûr, elle n'aurait pas pu aller aussi loin sans mettre un peu d'eau dans son cidre, ou plutôt sans avoir appris cette chose fantastique qu'était l'hypocrisie. Sourire de façade, amis de façade, servitude de façade. Son quotidien tout entier était devenu une façade, avec la peur tenace qu'un jour inéluctablement la Princesse ne voie au travers et ne la chasse à coups de fer à la croupe.

Alors, en attendant que ce jour arrive, elle s'était décidée à apprendre le plus possible d'elle. Car c'était là le seul but de sa vie depuis qu'elle avait eu sa Cutie Mark, être la meilleure. Pour cela il fallait apprendre des meilleurs et en ce bas monde personne n'était meilleur que Celestia.

Assez. Ces ruminations ne menaient nulle part. Elle devait rassembler ses pensées et ses affaires, Ponyville l'attendait.

*****

Le festival du solstice d'été existait depuis près d'un millénaire, il fut créé initialement pour commémorer la défaite de Nightmare Moon mais, le temps passant et les faits se muant en légendes, il était devenu une célébration du jour le plus long qui marque le début de l'été. Dans une version comme dans l'autre c'est le pouvoir de Celestia, puisse-t-il être éternellement triomphant, qui y était révéré. Devant une foule à moitié exsangue d'avoir veillé une nuit entière l'immortelle Alicorne du Soleil levait son astre avec moult effets dignes des plus grandes showmare. Une reconstitution symbolique du terrible combat qu'elle avait sans doute dû livrer des siècles auparavant. Cela marchait à chaque fois, des poneys ébahis à n'en plus finir.

Le festival se déroulait dans une ville différente chaque année et cette année l'heureuse élue était Ponyville. Cette dernière se trouvait à vol de pégase de Canterlot, par temps clair on pouvait la voir s'étendre sur la plaine vallonnée en contrebas. Une petite ville, si on la comparait aux jungles de béton qui dévorait la Cote Est, sans pour autant n'être qu'un village. Assez jeune si on la comparait aux antiquités qui se massaient à l'Ouest, à peine un petit siècle.

Parmi tous les bâtiments qui la composaient il y en avait un qui se démarquait des autres, une curiosité même. Un arbre, un chêne pour être précis, dont on avait creusé l'intérieur pour y installer une bibliothèque. Et dans cette bibliothèque il y avait une licorne très fatiguée.

Sunset Shimmer était cette licorne. Elle gisait dans son lit, tentant de récupérer d'une journée particulièrement exténuante. Cette journée, elle l'avait passée à s'entretenir avec les différents poneys chargés des préparatifs du festival. Ce dernier étant prévu de longue date sa « supervision » se résumait à vérifier que les responsables étaient un tant soit peu compétents et que tout serait près pour le grand soir. Une tâche à priori simple donc et qui n'expliquait en rien sa fatigue. Le problème était que les poneys de cette ville étaient tous fous. Elle n’exagérait qu'a peine, le premier auquel elle avait tenté d'adresser la parole s'était enfui en hurlant et ce ne fut que le début.

Les préparatifs étaient divisés en quatre catégories, la nourriture, les décorations, la météo et la chorale d'oiseaux. Oui, une chorale d'oiseaux. Chacune de ces catégories était sous la responsabilité d'un poney et quels poneys : une fermière avec une famille bien trop nombreuse et qui avait tenté de la gaver de pomme et autres dérivés ; une couturière hystérique qui l'avait confondu avec l'un de ses poneyquins ; une pégase crâneuse au possible qui était persuadée qu'elle deviendrait une Wonderbolt et pour conclure une autre complètement muette.

Celestia soit louée, malgré leur tempérament haut en couleur, elles semblaient savoir plus ou moins ce qu'elles faisaient si bien qu'elle n'eut à s'attarder auprès d'elles plus que raison. Qui aurait-cru qu'elle regretterait un jour ses « amies » de Canterlot, celles-là au moins se satisfaisaient d'un sourire et de quelques politesses et ne faisaient rien de plus déraisonné qu'une sauterie dans une arrière-cour.

Satisfaite d'en avoir fini et peu désireuse de voir si le reste de ponyville était du même acabit, elle avait rallié la bibliothèque où elle allait séjourner pendant toute la durée des événements. L'endroit avait le mérite d'être original même s'il était très loin de rivaliser avec le luxe et la distinction de ses appartements à Canterlot. À ce moment-là elle entretenait encore l'illusion de pouvoir y rester au calme jusqu'à l'ouverture du festival puis, une fois ce dernier fini, qu'elle pourrait rayer ces poneys de sa mémoire et faire comme si rien ne s'était passé. Une illusion qui s’était évanouie à l'instant où elle avait ouvert la porte.

Le simple fait d'y repenser la faisait grincer des dents et s'enfouir un peu plus sous ses couvertures. C'est l'exact moment où tout était parti de travers. Quand elle eut franchi l'entrée pour se retrouver dans le noir, quand les lumières s'étaient soudainement allumées pour révéler tous ces poneys qui lui hurlèrent « surprise » dans les oreilles.

Le responsable de tout ceci ? Ce fameux poney qu'elle avait rencontré à son arrivée, celui-là même qui s'était enfui en hurlant à sa vue comme si elle était quelques démons du tartare. Cette...chose qui échappait à toute tentative de descriptions avait décidé de lui organiser une petite fête de bienvenue. Qui avait-elle invité ? Autant de poneys que l'on pouvait en mettre dans un arbre de cette taille, tout Ponyville selon ses propres dires. Cela incluait bien évidemment les quatre catastrophes rencontrées un peu plus tôt.

Sur l'instant elle avait voulu hurler plus fort qu'eux pour les faire taire puis de hurler encore plus fort avant de les mettre tous à la porte. Mais ce n'est pas ce qu'elle avait fait, ce qu'elle avait fait c'était la fête avec eux. Non pas parce qu'elle en avait envie, non pas par diplomatie ou politesse, mais bien parce qu'elle était piégée. Elle ne pouvait pas prétexter avoir quelque chose d'important à faire en rapport avec les préparatifs parce qu'elle en revenait, elle ne pouvait pas non plus les esquiver et s'enfermer dans la bibliothèque parce que la fête se déroulait dans la bibliothèque. La dernière option civilisée à sa disposition fut donc d'y participer assez longtemps pour qu'ils soient satisfaits puis de s'éclipser dès que l'occasion se présenterait.

N'était-ce pas ce que Celestia voulait en fin de compte ? N'était-ce pas son visage qu'elle voyait sur tous ces poneys, avec ce détestable sourire maternel qu'elle arborait quand elle pensait qu'enfin la leçon était rentrée ? Ces insupportables yeux magenta n'étaient-ils pas partout autour d'elle à la regarder ? Superviser les préparatifs du festival, quelle vaste plaisanterie, cela n'avait été qu'un stratagème de plus pour l'obliger à se faire des amis, les potiches de Canterlot ne devant plus suffire visiblement.

Ce ne fut pas sa première festivité imposée et encore moins la première fois où elle eut à donner le change, mais ce fut de loin la plus dure.

Son plus beau sourire avait paru bien faible face au leur et toutes ses tentatives pour l'égaler s'étaient soldées par des crampes aux zygomatiques. Bien malgré elle et malgré une musique peu inspirée elle s'était retrouvée entraînée dans une danse qui lui laissa les pattes engourdies.

La nourriture à disposition, bien que plus simple que celle de Canterlot, s’était avérée aussi étonnamment plus goûteuse et s'était frayé un chemin jusqu'à sa bouche sans qu'elle s'en rende vraiment compte. Ce fut la première fois qu'elle mangea épicée et sa langue en gardait le souvenir cuisant encore maintenant.

Quand les invités étaient venus se masser autour d'elle et que les questions à propos de Canterlot ou de son statut fusèrent aucun n'avaient essayé de la flagorner dans l'espoir d'obtenir quelques faveurs en échange, ils voulaient juste faire sa connaissance. La sincérité de leur curiosité l'avait laissé coi.

Elle avait passé des nuits blanches à apprendre des sorts tous plus complexes les uns que les autres, elle avait même survécu au Grand Galopin Gala de l'année dernière, aussi appeler l'événement mondain le plus ennuyeux qui soit. Rien de tout cela n'avait cependant réussi à l'épuiser comme cette simple fête de village.

Parce qu'ils ne faisaient pas semblant. C'était la conclusion à laquelle elle était arrivée.

À Canterlot tout le monde jouait le même jeu qu'elle, tout le monde, ou presque, faisait semblant, un vaste ballet d'hypocrite dont elle avait appris le tempo, il y a bien longtemps.

À Ponyville, il n'y avait rien de tout cela, la gentillesse n'était pas une arme dont on usait avec calcul et les sourires n'étaient pas des masques qui cachaient quelques nébuleuses intentions. Ces poneys étaient venus pour s'amuser et non intriguer, pour l'accueillir et non la mettre à l'épreuve.

C'était comme avoir bu de l'eau toute sa vie et soudainement avaler cul sec un tonneau entier de cidre. C'était parfaitement grisant et ça vous laissait complètement terrassée.

Un rire nerveux monta en elle. Était-ce donc cela le plan de la Princesse ? Que ces honnêtes et travailleurs poneys de provinces sauraient la dérider ? Que certains d'entre eux pourraient même devenir ses amis ? C'était risible, une fois le festival terminé, elle serait de retour à Canterlot, elle continuerait sa vie comme si de rien n'était et ces fêtards seraient bien vite sortis de sa mémoire.

Son rire mourut dans sa gorge, remplacé par un gémissement rageur.

Quand elle avait remarqué qu'elle n'était plus le centre de toutes les attentions, elle avait tenté de négocier une sortie. Tout aurait pu se dérouler sans heurt s'il n'y avait pas eu cette horrible ponette rose bonbon pour l'aborder à cet instant. Pendant toute la soirée, elle n'avait pas cessé de la dévisager de ses horribles yeux bleus et à chaque fois qu'elle sourirait cette dernière se rapprochait, encore et encore, sans jamais départir de son expression suspicieuse, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle soit bien trop près.

Qu'est-ce qui clochait chez elle ? Que lui voulait-elle ? Elle ne la trouvait pas assez sincère c'est ça ? Tant mieux pour cette saleté qu'elle ne le fut pas, sinon elle aurait eu quelques problèmes pour sourire pendant un petit moment.

Tout ce qu'elle fit fut de parler et de parler, à propos de quoi ? À propos de parler sans doute, si elle avait pu percevoir quelque sens dans ce qu'elle disait elle l'avait oublié depuis. Et sa voix, c'était comme avoir une ruche d'abeilles dans la tête.

Elle su très rapidement que si elle continuait à l'écouter sa santé mentale n'en sortirait pas indemne, abandonnant toute tentative de prétexte, elle avait fait volte-face pour se précipiter vers l'escalier menant à l'étage, pour mieux percuter le poney qui se trouvait devant. Si seulement elle n'avait fait que le percuter et si seulement ça avait pu être quelqu'un d'autre que cette irritante pégase bleue.

Par quelques caprices du destin leurs visages s'étaient télescopés en une parodie bien trop convaincante de baiser. Pendant un instant qui dura bien trop longtemps, elles s'étaient regardées les yeux dans les yeux, unies par les liens du choc et de la honte. Avant que quiconque ne puisse vraiment réagir, elle avait déjà battu en retraite dans sa chambre, un goût de cidre dans la bouche et des poils cyan dans les narines. Personne ne l'avait retenu.

Cette chambre était l'exact opposé de la pièce qu'elle venait de quitter, aucune lumière à l'exception de celle de la lune qui filtrait par l'unique fenêtre, aucun objet à l'exception de son journal et sa plante qu'elle avait amenée avec elle, posé sur sa table de chevet. Aucun poney à l'exception d'elle-même.

Si elle en croyait les sons qui lui parvenaient du rez-de-chaussée la fête poursuivait son cours en dépit de son absence. Personne n'était venu la chercher, mais par sécurité, elle avait verrouillé sa porte à double tour, ce soir on ne viendrait plus l'importuner.

Maintenant qu'elle était épuisée comme jamais, en plus de s'être couverte de honte devant quasiment toute la ville, est-ce que la Princesse était satisfaite ? Pouvait-elle reprendre ses études de magie à présent ou lui réservait-on d'autres surprises de cet acabit ? Une seule d'entre elles ayant suffi à la mettre dans cet état, elle n'était pas certaine de survivre aux suivantes, son point de rupture étant dangereusement proche.

Cela ne pouvait finir qu'ainsi, tout ce temps passé à faire semblant d'être quelqu'un qu'elle n'était pas, le poney que Celestia voulait qu'elle soit. Toute cette comédie, c'était comme retenir sa respiration, longtemps, très longtemps. Mais le problème quand on retenait sa respiration, c'était qu'à un moment ou un autre, on était obligé de reprendre son souffle.

Était-ce cela que la Princesse attendait ? Le moment où elle reprendrait son souffle ? Cette mascarade, cette tentative de la sortir de sa zone de confort ce n'était pas pour la sociabiliser, mais pour la pousser à bout ? Pour l'obliger à révéler son vrai visage ? Et qu'elle était donc ce vrai visage ? Qui avait-il derrière le masque ? Elle n'en était plus sûre elle-même, quelque chose qui ne serait guère plaisant autant pour le Professeur que pour l'élève à n'en point douter.

Et ensuite ? Quand elle aurait finalement craqué que se passerait-il ? Serait-elle renvoyée ? Il y avait des moyens plus rapides de faire cela. Ou alors serait-elle brisée juste ce qu'il faut pour que la dernière leçon puisse enfin lui être inculquée ?

C'était absurde, grotesque au dernier degré, cette maudite souveraine ne pouvait-elle voir ce qui était juste sous son nez ? La disciple parfaite en tout point, aussi intelligente que puissance ? Alors pourquoi cela ne suffisait-il pas ? Qu'est-ce qu'elle faisait mal ? Qu'est-ce qui lui manquait ?

Elle connaissait la réponse à cette question depuis bien longtemps : Des amis. Des amis, voilà la grande obsession de son Mentor. Des amis, comme ces petits poneys qui faisaient la fête en bas ? Comme si des choses aussi médiocres pouvaient être ses amis.

Mais ce n'était même pas cela qui la mettait vraiment en rage, c'était la complète hypocrisie de la démarche. Combien d'amis Celestia avait exactement ? Aucun, elle avait vérifié. La vérité c'était qu'une princesse n'avait pas d'amis, car personne ne lui était égal. Elle avait des sujets, des serviteurs, mais pas d'amis. Une vérité qu'une certaine Alicorne avait visiblement du mal à accepter aux vues de tout ce qu'elle infligeait à sa pauvre élève.

D'ailleurs, combien d'autres avant elle la Princesse avait déjà détruits en transférant sur eux ses névroses ? Trop pour qu'elle se fatigue à compter. Parmi eux combien avaient marqué l'histoire et combien avaient fini abandonné sur le bas-côté, oubliés de tous ? Surtout, qu'est-ce qui lui faisait croire qu'elle pourrait faire mieux qu'eux ? La certitude qu'elle pourrait tromper Celestia sans doute ou qu'elle parviendrait à lui faire comprendre son point de vue.

Que sa formation passait avant tout, que si elle n'était pas totalement imperméable au concept de se faire des amis, ces derniers devraient être au moins aussi exceptionnels qu'elle et sûrement pas des petites gens d'une petite ville. Et si elle ne trouvait personne de cette trempe ? Alors elle finirait Princesse, un destin dont elle pourrait se contenter. Mais Celestia, elle ne s'en contenterait pas, car son poney idéal lui était ami avec tout le monde, y compris les petites gens d'une petite ville. Sauf qu'elle n'était pas ce poney idéal, elle était Elle et c'était là le cœur du problème.

Un choix s'offrait à elle, elle pouvait continuer sa stratégie actuelle, jouer la carte de l'hypocrisie jusqu'au bout et sans doute devoir se trouver des « amies » plus convaincantes que les miséreuses qu'elle se traînait actuellement. Mais ce soir une telle posture venait de trouver ses limites, sans compter que son Mentor commençait à voir clair dans son jeu. Elle regretta alors de ne pas avoir emmené ses potiches avec elle, une erreur d'appréciation qui risquait de lui coûter très cher. Ce festival semblait bien plus important qu'il n'était sensé l'être et pour Sunset il prenait de plus en plus la forme d'une dernière chance. La patience de la Princesse était proverbiale, mais sûrement pas illimitée. Si à l'issue du séjour elle estimait que la licorne était une cause perdue cette dernière était bonne pour prendre la porte.

Ce n'était pas comme si elle était réellement irremplaçable après tout non ? Sa remplaçante devait déjà attendre que l'Alicorne vienne la prendre sous son aile, figurativement et littéralement. Quant à elle, elle passerait le reste de sa vie à envier ce sommet qui lui serait à jamais interdit et à contempler quelqu'un d'autre recevoir la gloire qui lui était destinée.

L'alternative était qu'elle cessait d'être Sunset Shimmer pour se couler dans le moule de l'idéal de Celestia, elle devenait enfin ce qu'elle rêvait d'être, sans pouvoir l'apprécier vu qu'elle ne serait plus Elle. Et cela ne s’arrêterait pas là, une fois son « apprentissage » terminé, une fois devenue ce qu'elle était censée devenir à l'issue de celui-ci l'influence de l'Alicorne ne cesserait pas pour autant de peser sur sa vie. Il y aurait cet étalon charmant qu'il fallait absolument qu'elle rencontre, ce nom qui irait tellement bien à l'un de ses poulains, ces places côtes à côtes dans le cimetière, le comble du romantisme. Bien sûr elle dirait oui à tout, la princesse s'assurait simplement du bonheur de son ancienne élevé voilà tout. Elle ne serait plus qu'une poupée obéissante jusqu'à la fin de ses jours.

Ce n'était pas un choix, c'était tout le contraire d'un choix, c'était une farce. Mais qui ? Qui riait en se demandant, quel cauchemar la vie de Sunset Shimmer allait devenir ? Qui ?

Elle en aurait pleuré si elle n'était pas si épuisée, écrasée par le poids de sa réflexion. La tradition voulait que l'on reste éveillé la nuit du festival, mais en cet instant, elle n'avait que faire de la tradition, elle était tellement fatiguée, elle voulait juste dormir.

Son lit baignait dans la lueur de la lune, dans cet état second qui était le sien elle éprouvait la perception aiguë de chacun de ses rayons qui cascadaient sur son corps. Jamais l'éclat de l'astre ne lui avait paru si intense auparavant, jamais ce dernier ne lui avait semblé si présent, lui donnant la sensation d'un œil démesuré qui aurait braqué son regard sur elle. Un œil qui voulait être regardé en retour.

Une lumière si vive, si entêtante, aurait dû ruiner toutes ses chances de pouvoir se reposer, au lieu de quoi elle l'invitait à s'abandonner au sommeil le plus profond. Plus elle la regardait plus elle se sentait apaisée, ses sombres pensées chassées de sa tête l'une après l'autre. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

La lune était haute dans le ciel, au travers de sa fenêtre elle ne voyait qu'elle qui emplissait quasiment tout l'espace. Recouvrant pour moitié sa face visible était cette grande tache noire qui avait pour forme la tête d'une licorne et que les poneys appelaient « La jument séléniaque ».

La lune est une tombe et n'est pas mort ce qui ne fait que rêver.

Sans qu'elle parvienne à se l'expliquer la prophétie du parchemin lui était soudainement revenu en tête. Dans ce petit carré de voûte céleste qu'elle entrevoyait depuis son lit il y avait quelques étoiles, certaines d'entre elles brillaient bien plus fort que les autres, quatre d'entre elles. Leur éclat livide était comme une pulsation et il lui sembla, mais ça ne devait être qu'une conséquence de son immense fatigue, qu'elles bougeaient, que, lentement, elles se rapprochaient de la lune.

Quatre seront pour la libérer.

Pourquoi la prophétie...Fut sa dernière pensée avant que le rideau de ses paupières tombe définitivement sur ses yeux.

*****

Sa robe est trop petite. Elle n'arrive pas à bouger. « Bouge, bouge, bouge » hurlent ses pensées, elles tournent et retournent, dansent, dans son cerveau sans jamais pouvoir s'en échapper, comme un poisson dans un bocal. Elle voudrait tellement bouger, tellement, tellement, mais ses muscles demeurent silencieux, ses membres immobiles. Son corps est froid et dur, comme du bois, de la pierre, du métal. Comme la mort. Comme la mort.

Elle n'arrive pas à bouger, sa robe est trop petite. Ses coutures trop serrées, beaucoup trop. Ça lui fait mal quand elle respire. Elle respire de moins en moins. Il y a quelque chose sur son visage. Froid et dur comme le reste. Un masque, c'est un masque. Il maintient sa bouche fermée, écrase son nez. Où sont les trous pour respirer ? Il n'y a pas de trous, il n'y a pas de « respirer ». Elle ne peut pas respirer, elle suffoque. Elle suffoque, elle va mourir. Elle va mourir et elle ne peut rien faire. Elle ne peut rien faire, ni crier, ni respirer, ni bouger.

Elle peut bouger, ses yeux seulement, bouger pour voir. Voir où elle est. Elle est dans l'un des couloirs du palais, si grand, plus grand que le palais, plus grand que le monde. Elle regarde le soleil qui est une fenêtre plus grande que le ciel, sans être éblouie ou aveugler. La lumière est peinte, elle n'éclaire personne.

Il n'y a pas de « personne », elle n'est pas seule. Il y en a d'autres, tellement d'autres, d'autres comme elles. Toute une ligne qui s'étend d'un bout à l'autre de son horizon. Un corridor infini de poupées.

Elle entends quelque chose, quelque chose qui se rapproche. Un son familier, le bruit des sabots ferrés sur un tapis épais. Quelqu'un approche. Il y a d'autres sons, mais ceux-là, elle ne les reconnait pas. Un frottement, comme quelque chose de lourd que l'on traîne sur le sol. Un autre, un peu plus tard, plus lointain, semblable à du verre qui se brise. Alors que les pas se font plus distincts, les deux sons se répètes. Une routine s'instaure, les pas, le frottement, le bris. Chaque fois plus fort, chaque fois plus proche. Encore un instant. Encore un instant et elle pourrait voir ce qui vient. Ce qui vient vers elle.

Là, elle apparaît à la frontière de ses orbites. La Princesse. Si grande. Elle emplit tout l'espace, ne laissant rien d'autre qu'elle à voir. Que fait la Princesse ici ? Pourtant, c'est bien la Princesse. La Princesse qui vient vers elle.

Pas elle, pas encore. Elle s’arrête devant une des poupées à sa droite. Immobile, elle la dévisage. Son visage vide de toute vraie expression, son regard figé donnant l'illusion de la concentration. On dirait une peinture. Cela dure un temps qu'elle ne peut déterminer. Soudain, un mouvement. Une petite poussée du sabot, le bruit de frottement, et la poupée disparaît. Un instant plus tard elle entends le son distant d'une chose fragile qui viens de se briser en mille morceaux.

Qu'est-ce que la princesse a fait à la poupée ? Pourquoi la Princesse a fait ça à la poupée ?

Déjà ses pas la mènent à la suivante et tout recommence, plus près d'elle, trop près d'elle. Elle est sur la ligne, son tour viendra bientôt. Elle a peur maintenant. Elle se moque de ce que la princesse fait ou pourquoi elle le fait. Elle doit savoir qu'il y a erreur, qu'elle n'est pas une poupée. Elle doit le lui dire avant qu'il ne soit trop tard. Mais elle ne peut rien faire à part regarder. Regarder les poupées tomber les unes après les autres. Un rythme qui ne souffre d'aucune fausse note.

Elle est la prochaine. Plus qu'une poupée avant elle, plus qu'une. La princesse est si proche maintenant. Elle voit ce qu'elle n'avait jamais vu auparavant, un nouveau mouvement. Ses lèvres qui bougent sans qu'aucun son ne soit produit. Que dit-elle ? Que veut-elle dire ?

Bientôt la poupée aura basculé, bientôt elle basculera elle aussi. Elle veut hurler, elle doit hurler, mais elle ne peut pas. Elle ne peut rien faire, rien à part regarder. Regarder la dernière poupée basculée. Regarder la Princesse s'approcher lentement d'elle.

Soudain elle se souvient qu'elle a une corne, qu'elle doit l'utiliser, qu'elle est sa seule chance. Mais il n'y a pas de corne. Il n'y a qu'un morceau dur et froid qui en a la forme. Dur et froid comme le bois, la pierre, le métal. Comme la mort.

Là, la Princesse lui fait face. Une montagne toisant une pierre. Ses yeux la dévisagent comme ils ont dévisagé les poupées avant elle. Les siens la supplient en silence, la supplient de la reconnaître. Ses lèvres entrent en mouvement, elle s'attend au silence, mais elle entend un son.

« Sunset Shimmer. »

Son nom, elle entend son nom. Mais jamais la voix qui le prononce n'avait été aussi froide, tuant dans l’œuf toute forme de soulagement ou de réjouissance.

« Quand je t'ai pris pour élève, j'avais cru voir en toi quelques formes de compassion et de sincérité, là où il n'y avait en réalité qu'ambition et égocentrisme. À maintes reprises j'ai tenté de te faire aller vers les autres, de te faire comprendre qu'ils étaient la clé à la fois du bonheur mais aussi du pouvoir que tu affectionnais tant. En vain.

« Le seul bonheur que tu n'aies jamais trouvé fut en contemplant ton reflet dans le miroir, lui seul trouvait grâce à tes yeux. Combien de fois ta conviction absolue que tout t'était dut aurait provoqué ta perte si je n'avais pas été là pour t'empêcher de brûler les étapes ? T'apprendre la vertu de la patience a bien failli venir à bout de la mienne. Ma joie en voyant que j'avais au moins réussi à t'inculquer cela fut égale à ma tristesse quand je compris que, dans le même temps, tu avais appris l'hypocrisie.

« Tu pourrais être tellement plus, faire tellement plus, tu as ce potentiel en toi, mais tu ne seras jamais capable de le voir. Toutes ces années gâchées à t'enseigner quelque chose que tu t'étais refusée d'apprendre dès le premier jour, à croire que j'arriverais à te changer. »

Jamais ne lui furent adressés de mots plus durs que ceux-là. Elle ne veut plus hurler, elle veut pleurer. Mais c'est la seule chose que ses yeux ne sont pas permis de faire. Un sabot se pose sur sa poitrine, elle ne le sens même pas. La peur elle-même l'a quittée, remplacée par une résignation absolue.

« Un échec de plus. »

Cet ultime murmure de la souveraine, une infime poussée et c'est fini. Elle bascule, dans l'envers de ce décor qui est le monde. Elle tombe, dans cet abysse qui est tout le reste.

Sa chute n'en est pas une. C'est l'univers qui semble rétrécir, s'effondrer sur lui-même, sur ce point focal qui est la présence de la Princesse elle-même. C'est ce monde peint qui s'effondre en un soleil éclatant, mais pourtant incapable de l'aveugler. Esseulé, insignifiant, mourant, là où il aurait dû être grandiose, majestueux et éternel.

Le voilà parti, éteint, dévoré par les ténèbres. Les ténèbres qui sont son monde à présent, son monde qui est sa chute, sa chute qui arrive à sa fin. Le fond du gouffre l'accueil, elle et le dernier des sons, celui d'une chose fragile qui se brise en mille morceaux. C'est sa fin.

Mais ce n'est pas la fin. Elle est toujours là. Là, dans ces profondeurs opaques. Là, où il n'y a rien si ce n'est le noir. Là est sa place. Dans ces ténèbres pourtant elle arrive encore voir, voir un kaléidoscope de formes aux couleurs éteintes.

Peut-être se l'imagine-t-elle seulement, peut-être que les formes ne sont qu'un mirage, l'ultime souvenir d'une lumière à jamais perdu. Non, cette obscurité n'aveugle personne, elle est peinte, tout comme la lumière avant elle. Alors, elle voit les formes, elle les voit, éparpillées devant elle en un puzzle insoluble. Les fragments de son propre corps. Froid et dur...froide et fragile, comme de la porcelaine. Brisée, la poupée de porcelaine. Brisée, comme toutes les autres avant elle. Elles sont toutes là, avec elle. Le sol n'est qu'un amas d'éclats de porcelaines, leurs éclats, qui s'étend à l'infini. C'est leur cimetière, le cimetière des poupées. Là est sa place.

Rien ne s'achève ni ne commence, ce n'est qu'une continuation. Elle n'est qu'un échec de plus, un débris de plus, un bruit de plus. Bientôt d'autres suivront, les autres poupées ratées qui viendront la rejoindre, les rejoindre.

Bientôt.

Les sons se font attendre, peut-être mettent-ils plus de temps à venir en ce lieu, peut-être la Princesse a-t-elle trouvé une poupée à son goût. Non, aucune poupée ne la satisfera jamais, les sons finiront par venir.

Bientôt.

Un son, enfin. Mais pas celui qu'elle attend. Pas celui d'une chose qui chute et se brise, non, quelque chose d'autre. Le son de ses restes à l'agonie que l'on écrase. Il y a quelque chose d'autre dans ce cimetière, quelque chose qui n'est pas en miettes et ça approche.

Le son s'amplifie, il est multiple. Une lourde masse qui se traîne au sol avec une célérité impie, comme un serpent démesuré que l'on croirait par trop adipeux pour être une menace, avant de se rendre compte bien trop tard que ce corps titanesque n'est pas fait de graisse excédentaire, mais de muscles que l'évolution a changés en arme. D'autres l'accompagnent comme des gardes accompagnent le cortège de la princesse, lourd et frénétiques comme les pistons et les bielles d'une locomotive. Des pas, trop de pas pour trop de pattes. Ce qui arrive n'est pas un poney, ce n'est rien de ce qu'elle connaît et sa peur qu'elle croyait à jamais éteinte se ravive.

Là, elle le voit. Non, elle ne peut pas le voir, pour la première fois elle ne peut rien voir. C'est un authentique morceau de néant qui se découpe dans la fausse obscurité, une masse mouvante de pure noirceur. Réel, hurle la peinture en silence, trop réel, hurle ses yeux et son instinct en miettes, en ce monde où tout est faux. Un intrus apportant avec lui la puanteur de la menace véritable.

Il se rapproche, rapide et lent à la fois. Lent par rapport au mouvement de ses membres, rapide par rapport à la distance qu'il avale. L'assurance de son avancée est glaçante, c'est celle d'une chose qui n'a pas besoin d'yeux, d'une chose qui à trouvée ce qu'elle cherchait. Il vient droit vers elle, pour elle, c'est une certitude.

Il est tout proche à présent. C'est un trou qui marche, une forme sans relief, la silhouette titanesque d'un cafard difforme. Son corps boursouflé aurait à lui seul pu contenir la Princesse et toute sa suite, ses pattes aux allures de colonnes ont dû renoncer il y a bien longtemps à soutenir une telle masse et depuis ne font plus qu'accompagner sa reptation.

Un souffle seulement les sépare à présent. Sa tête s'avance, comme celle d'une tortue sortant de sa carapace. Elle vierge de tout œil, antenne ou mandibule, ce n'est qu'une surface polie, un miroir de verre noir lui renvoyant sa propre réflexion brisée.

Soudain la surface s'ouvre en deux, se fend en deux. Une fente obscène et pulsante, qui se contracte comme pour aspirer le néant devant elle. C'est un corridor rempli de dents, des dents qui dansent, qui dansent pour sa chair.

Une cacophonie de crissements distordus s'en échappe. Pourquoi arrive-t-elle à y distinguer des mots ?

Là est ta place.

*****

Ses yeux s'ouvrirent les premiers, manquant de sortir de leurs orbites. Ensuite, ce fut le tour de sa bouche qui laissa s'échapper un cri inéquin. Enfin ses pattes, qui se détendirent comme des ressorts, luttant d'une telle force avec la couverture qu'elles parvinrent à la déchirer.

Cet instant de frénésie s'estompa aussi soudainement qu'il était apparu et le corps de la licorne redevint inerte, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. La terreur qui l'habitait remplacée par une autre, plus sourde. De celles qui vous laissaient tétaniser, incapable de faire le moindre mouvement, de prononcer le moindre mot. De celles qui vous laissent dans l'attente d'une menace qui ne viendra jamais.

Un temps indéterminé s'écoula au cours duquel elle lutta pour empêcher sa raison de s'effondrer. Ce n'est que lorsqu'elle parvient à se convaincre elle-même qu'elle ne se trouvait ni dans le couloir qui était le monde, ni dans le cimetière des poupées, mais dans son lit, dans cette chambre au sommet de la bibliothèque de Ponyville. Que tout ce qu'elle avait cru vivre, la Princesse, la chute, le cafard, n'avait été qu'un cauchemar, un horrible cauchemar. Ce n'est qu'à cet instant que les battements de son cœur ralentirent enfin et que son sang cessa de battre dans ses tempes comme un tambour,

Ses sens engourdis balayèrent la pièce à la recherche des stimulus familiers à même de conforter sa version de la réalité.

Ses oreilles cherchèrent les bruits de la fête, mais ils brillèrent par leur absence, la fête était finie, les poneys s'en étaient allés, seul restait le silence. Quelque temps plus tôt cela l'aurait ravi, à présent cela ne faisait qu'alimenter son angoisse. Ses yeux cherchèrent la lumière de la lune, mais ils ne trouvèrent qu'une faible lueur incapable de chasser les ténèbres qui avaient pris possession de l'endroit. Tel une mère s’inquiétant du silence soudain de son nouveau-né et se précipitant à son berceau son regard dériva vers la fenêtre et le ciel au-delà.

L'astre lunaire y trônait toujours, mais quelque chose avait changé, quelque chose manquait. La Jument séléniaque, elle avait disparu. Comment cela était-il possible ? Qu'avait-il bien pu se passer pendant son sommeil ? Rêvait-elle encore ? Son esprit encore embrumé, trop captivé qu'il était par ce qu'il voyait ou plutôt par ce qu'il ne voyait plus, ne se posa pas ces questions, elles restèrent donc sans réponse.

Que ce soit le fait de l'absence de la tache iconique ou de la fatigue qui l'avait quitté, cette lune n'avait plus rien en commun avec l'œil scrutateur qui avait si bien su l'hypnotiser. Sa pâle brillance, inapte à retenir son attention, était à des lieues de l'éclat capiteux dont la seule contemplation avait suffi à l'entraîner dans les abîmes du sommeil. La présence qui l'habitait, à la fois attirante et apaisante, s'en était allée, laissant derrière elle ce banal corps céleste qu'elle avait superbement ignoré tout le reste de sa vie.

Vide

Vide, oui, une coquille vide. Rien de plus qu'une tache de couleur en plein milieu du ciel, aussi plate, distante et insipide que pourrait l'être sa simple illustration dans un livre.

La tombe est vide

Elle ne voulait pas partir, cette sensation, ce frisson qui rampait le long de sa moelle épinière pour se perdre dans ses plus lointaines extrémités. La Peur. « Quelque chose ne va pas ! » Lui hurlait son instinct.

Son regard se détourna de la fenêtre, il n'y avait plus rien à voir de toute façon, pour revenir à cette chambre bien trop sombre à son goût. À aucun moment, elle ne remarqua que les quatre étoiles qui plus tôt encerclaient la lune avaient elles aussi disparu.

De la lumière. Il lui fallait de la lumière. Elle se redressa dans son lit et commença à chercher une lampe qui devait bien se trouver quelque part. Mais elle n'en trouva aucune à proximité et au-delà il n'y avait qu'une obscurité qui lui semblait être devenue encore plus épaisse.

Elle se décida alors à utiliser sa magie, chose qu'elle aurait dû faire depuis le début. La sensation au combien familière du pouvoir affluant dans sa corne ainsi que la lumière qui envahit la pièce dans la seconde qui suivit lui apportèrent un surprenant réconfort. Un réconfort qui ne dura que le temps qu'il lui fallut pour se rendre compte de l'état dans lequel ladite pièce se trouvait.

Elle n'avait pas le souvenir d'avoir un jour eu sous les yeux un endroit plus en désordre que celui-là. C'était comme si cent fêtes s'étaient déroulées simultanément dans cet espace restreint, que son lit, miraculeusement intact, était devenu l’œil d'un cyclone d'intérieur qui avait tout mis littéralement sans dessus dessous.

Il n'y avait que peu de choses dans cette chambre, plus une seule n'était à sa place ou ne ressemblait à ce qu'elle était censée ressembler, ce qui incluait ses propres affaires. Cette soudaine réalisation chassa de sa tête les résidus du cauchemar encore coincé dedans et la fit bondir hors de ses couvertures à la recherche de ses possessions perdues.

Son premier pas hors du lit fut accueilli par une vive douleur. Quelque chose était venu se coincer dans son sabot, quelque chose qu'elle identifia comme un fragment de pot de fleurs. Philibert ! Dans un mélange de hâte et de prudence, elle s'avança dans le fatras à la recherche de sa plante, ou du moins de ce qu'il devait en rester. Elle finit par la retrouver, couchée à même le sol, dans un meilleur état qu'elle ne l'aurait cru. Elle répara son pot avec sa magie et la remit dedans du mieux qu'elle put, espérant que cela serait suffisant. Mine de rien, elle y tenait à ce petit végétal.

Sa plante récupérée seul son journal manquait encore à l'appel, mais elle se faisait moins de souci pour lui que pour Philibert, les objets enchantés avaient tendance à être plus résistant que leurs homologues ordinaires.

Alors qu'elle continuait de ratisser la zone sinistrée à sa recherche, elle se demanda ce qui avait bien pu provoquer un tel chantier, ce sans que cela la réveille ou ne l'affecte. La seule explication rationnelle était que c'était de sa faute. Au cours de son sommeil agité, là où d'autres se débattent simplement avec leur membre, c'était sa magie qui s'était débattue, mettant la chambre sans dessus dessous. C'était digne d'une pouliche qui avait encore ses poussées de magie donc ça ne pouvait être que ça. Entre la pégase et maintenant la chambre, c'était en effet la journée où elle allait se couvrir de honte.

Au détour d'un débris, une étincelle vint accrocher son regard. Là, enfoui sous ce qui devait être une table ou une étagère, c'était difficile à dire, quelque chose qui brillait par intermittence, son journal. Elle se hâta de le dégager et constata qu'il était parfaitement intact, son éclat ne pouvait donc signifier qu'une chose, elle avait reçu un message de la Princesse.

Soudain, toutes les pièces s'assemblèrent dans son esprit et la panique commença à la gagner. Le Festival, elle avait complètement oublié le Festival. Tous les poneys étaient censés veiller cette nuit, mais pas elle, elle, elle s'était endormie comme une masse. Voilà pourquoi tout était si silencieux, ils étaient tous partis à la cérémonie. Toute la ville se trouvait à l’hôtel de ville, attendant que la Princesse vienne, qu'elle lève le soleil, toute la ville, sauf elle.

Bien évidemment son absence avait été remarquée, on pouvait se passer d'un simple poney, mais en aucun cas de l'élève de Celestia. Tous devaient se demander où elle pouvait bien être et quand est-ce qu'elle allait enfin arriver, car on ne pourrait décemment pas commencer le festival sans elle.

D'où ce message de la Princesse, sûrement écrit dans l'urgence et qui devait la sommer de venir en toute hâte. Que pouvait-elle bien penser de tout ça ? Que sa disciple avait eu un accident ? Qu'elle était partie badiner avec un étalon et avait oublié tout sens du devoir par la même occasion ? Qu'elle s'était effondrée dans son lit comme la dernière des fainéantes ?

La colère commença à monter lentement en elle. Tout ça c'était de la faute de ces stupides poneys et de leur stupide fête. Ils étaient les seuls responsables de son assoupissement comme elle ne manquerait pas de l'expliquer à Celestia, elle comprendrait...assurément.

Elle ouvrit son journal, repensa à son cauchemar et s'attendit au pire. Le pire fut bien en dessous de la réalité.

Sunset, ma très chère élève, tes craintes à propos de la prophétie étaient exactes et malgré mon souhait cette inquiétude qui ne devait qu'être mienne t'échoit à présent.

Ma sœur égarée, celle que l'on appelle désormais Nightmare Moon, mais que je ne cesserai jamais d'appeler Luna, va revenir cette nuit pour finir ce qu'elle a commencé il y a mille ans. Au contraire d'il y a mille ans cependant le pouvoir de la vaincre sans heurt, voire de la vaincre tout court, me fait défaut. Je parle bien sûr des Éléments de l'Harmonie : Générosité, Honnêteté, Rire, Gentillesse, Loyauté et enfin Magie. Ils demeurent là où ils ont été utilisés pour la dernière fois, dans le château qui était jadis le nôtre, au cœur de la Forêt d'Everfree.

Je veux que tu te rendes là-bas et que tu les récupères, dans l'hypothèse où j’échouerais ton devoir sera de t'assurer qu'elle ne puisse s'en emparer et de trouver les poneys qui seront digne de les porter. Ce sera alors le seul moyen de l’arrêter.

Quand tu auras fini de lire ce message je ne peux qu'imaginer combien ta stupeur sera grande. Tout cela va te sembler si soudain, tu penseras que je ne pourrais que gagner, tu voudras accourir pour m'aider, abstiens-toi de faire ces deux choses, ta mission est plus importante que moi.

Je sais qu'à terme tu éprouveras peut-être une certaine amertume, cela sera peut-être mon dernier message et il n'a rien d'un adieu convenable même si s'en est un pourtant. Je sais aussi que cette quête dans laquelle je t'envoie pourrait bien durer un jour comme une vie, pour moi elle en a duré mille, toutes infructueuse.

Pourtant, je veux que tu le sache, tu es mon élève et jamais ma confiance en toi ou en ce que tu étais capable d'accomplir n'a faillit. En cette mission que je te confie voit y la marque de ma confiance, car ce sont sur tes épaules et elles seules que je fais reposer le Destin d'Equestria.

Adieu, ton professeur, Celestia.

Qu'en restait-il ? De cette licorne qui s'était jetée dans son lit en maudissant les poneys et Celestia entre ses dents, de cette licorne au bord des larmes qui avait perdu presque tout espoir alors qu'elle voyait son futur se résumer à un choix impossible, qu'en restait-il après la lecture de ses mots ? Encore et encore elle les avait relus, encore et encore le texte avait défilé devant ses yeux jusqu'à ce qu'il s'imprime à la perfection dans sa mémoire. Qu'en restait-il ? Une licorne tétanisée, le cœur battant la chamade, submergée par un torrent d'émotions contraire.

La Haine, d'abord, cuisante, envers ce mentor qui exige de ses élèves une perfection inatteignable, leur promettant la gloire et la grandeur avant de finalement les rejeter.

Le Regret, ensuite, acide, d'avoir pensé une telle chose alors que cette lettre admettait l'exact contraire, que la Princesse reconnaissait tous ses talents et admettait que son temps était venu.

La Joie, subséquente, de se voir confier la plus importante des tâches, celle d’assister l'Alicorne dans la protection d'Equestria contre le retour d'un mal ancestral.

L’excitation, sublime, d'avoir enfin la chance de lui prouver une fois pour toutes qu'elle n'avait nul besoin d'amis pour accomplir son devoir.

Le doute, persistant, que tout cela lui semblait trop parfait, comme un rêve éveillé où tous ses désirs seraient devenus entre-temps réalités ou la plus cruelle des farces, élaborée par qui connaîtrait ses désirs mieux encore qu'elle-même.

La peur, enfin, petite voix au plus profond de son être qui hurlait dans les ténèbres. Qui hurlait qu'elle ne voyait que ce qu'elle voulait voir, que c'est mots n'étaient pas un rêve fait forme mais un cauchemar. Qui hurlait que c'était un adieu teinté de désespoir, la condamnant à un fardeau dont l'ampleur lui échappait. Qui hurlait que ce n'était plus un jeu, une leçon ou un examen, que le danger était réel et que rien ne l'avait vraiment préparé à l'affronter. Qui hurlait qu'elle y perdrait bien plus que son rêve si elle échouait. Qui hurlait encore et encore.

Mais elle resta sourde à cette dernière, trop occupée qu'elle était à assembler toutes les pièces du puzzle, chacune d'entre elles étant une marche formant l'escalier qui la menait inéluctablement vers son triomphe.

D'abord, ce parchemin qui une fois traduit révéla une prophétie du retour de Nightmare Moon, puis le festival qui cette année se tenait à Ponyville, localité mitoyenne de la forêt d'Everfree, là où se trouvaient les artefacts permettant sa défaite. Comme elle avait été sotte de penser qu'il s'agissait d'un énième stratagème d'amitié de la part de Celestia alors qu'en réalité elle organisait juste les préparatifs de sa mission.

La petite voix revint à la charge, plus forte qu'avant, avec une seule question, quand Celestia avait-elle envoyé ce message ?

Le sang de l'élève se figea, cela ne pouvait être en aucun cas avant que ne s'endorme, elle l'aurait forcément remarqué. Le souvenir de cette lune blafarde, dépourvue de sa tache familière, se rappela à elle et un terrible scénario s’esquissa. Jusque-là elle n'était pas parvenue à expliquer pourquoi l'astre avait ainsi changé d'aspect, mais maintenant tout devenait clair, c'était parce que Nightmare Moon s'en était échappée. Mais, Celestia, étant Celestia, avait envoyé sa lettre avant que cela n'arrive, la base de son plan étant que son ancienne sœur ne s'empare pas des éléments, or, quelle meilleure façon de faire cela que d'envoyer quelqu'un les récupérer avant même qu'elle en ait l'idée ? Sauf qu'elle dormait quand le message est arrivé et le temps qu'elle se réveille, il était trop tard.

La colère monta à nouveau en elle, une fois encore c'était la faute de ces maudits poneys et de leur maudite fête, si ce n'est que cette fois, au lieu de simplement lui garantir une humiliation publique, c'était l'avenir d'Equestria tout entière qu'ils avaient compromis. Elle était quasi certaine que cela comptait comme un crime capital et elle saurait le leur ferait payer, un jour.

Elle se força à inspirer profondément, à se calmer, ne serait-ce qu'un petit peu. Bien trop de temps avait été perdu et il était hors de question qu'elle en perde plus à s'énerver contre ses imbéciles. Sa priorité était de récupérer les éléments et elle devait se mettre en route sans tarder.

Elle passa mentalement en revue tout ce dont elle aurait besoin pour son périple. Sa corne et sa magie étant plus que suffisantes pour parer à quasiment toutes éventualités, son seul bagage consisterait donc en son journal, au cas où la Princesse la recontacterait et...Philibert, une compagnie infiniment plus agréable que ne le furent jamais tous les « amis » que Celestia lui avait mis dans les pattes. Ne lui restait plus qu'à trouver un petit sac de selle pour y mettre ses possessions. Peu désireuse de fouiller toute la bibliothèque pour en trouver un, elle se contenta de transmuter une couverture en l'objet désiré.

Quand elle s’apprêta à mettre ses affaires dans ce dernier elle remarqua que quelque chose avait changé, une page de son journal avait été tournée. Un détail en apparence insignifiant, elle l'avait très bien pu faire cela elle-même en bougeant, si ce n'est que sur cette page censée être blanche quelque chose y était écrit.

Vide

Un simple mot, placé à l'exact centre de la feuille. Ce n'était pas l'écriture de Celestia, en réalité c'était à peine une écriture. Le cadavre d'une ligne assassinée, massacrée, par ses angles. Sa dépouille disjointe soudée à elle-même en une vague semblance de calligraphie.

Le relief de l'encre l'intriguait, sa profondeur la dérangeait, avec quelle force, avec quelle rage, avait-il été appliqué pour que cela parvienne à transparaître sur le journal ?

Une curiosité qui lui est étrangère la pousse à tourner cette page, elle le regrette presque sur-le-champ. Il n'y avait pas d'encre, seulement une déchirure qui avait la forme d'un mot. Le Vide était vide. Et au-delà une autre page, avec d'autres mots.

La lune est vide

Dans ces traits un rythme, une froide et fluide hystérie qui abolissait la frontière entre cursive et capitale. Était-ce l'œuvre de la plume d'un être vivant ou du stylet d'une froide machine ? Elle ne pouvait le dire. Par Celestia, elle ne pouvait le dire !

Cela faisait mal de juste le regarder, pire de le lire, insoutenable de le comprendre. Jusqu'à cet instant précis elle ignorait qu'un texte pouvait être torturé, qu'une écriture pouvait souffrir, maintenant elle savait.

Et elle continua de tourner les pages, à aucun moment l'idée d'arrêter, l'idée qu'elle pouvait arrêter, ne lui vint à l'esprit.

La tombe est muette

Elle voulait s’arrêter, mais elle continuait à tourner. Page, mots, vide. Encore et encore. Toujours pas d'encre. Qu'elle était alors la chose noire qu'elle distinguait au fond de cet abîme de papier ? Que lui arriverait-elle quand il n'y aurait plus rien à tourner ? Elle ne voulait pas le savoir, elle ne le voulait pas.

Les morts s'en sont allés

Les pages tournent, beaucoup trop. Les mots font mal, de plus en plus. Le vide, il danse dans ses yeux. Tout devient noir. Ça ne va pas. Ça ne va pas. Ça ne va pas.

Le rêve s'achève

Un fracas derrière elle, presque éclipsé par celui de son journal se refermant avec une violence inouïe. Était-ce l'œuvre de ses sabots ou de sa magie ? Elle n'en était pas sûre.

Confuse elle se retourna pour voir sa fenêtre grande ouverte. Quelque chose était passé au travers, s'était écrasé dans son lit et se débattait à présent avec les draps.

L'offuscation ne vint pas. Des taches noires pulsaient devant ses yeux comme après le flash d'un photographe. Elle contemplait la scène grotesque avec un détachement qui ne lui ressemblait pas. Elle se sentait dolente, comme glacée à l'intérieur.

Finalement, victorieuse des tissus, la chose émergea. C'était une pégase bleu, avec une crinière multicolore. Encore elle. À sa vue la licorne resta bien plus stoïque qu'elle ne l'aurait dû, comme si son esprit fonctionnait par à-coups. La fête, le « Baiser », l'humiliation, tout cela finit par lui revenir en tête, cependant. Tout, sauf la colère, remplacée par du dédain. Du dédain pour cet insignifiant poney, du dédain pour cet insignifiant événement et enfin, surtout, du dédain pour y avoir accordé autant d'importance.

« Toi. » lança-t-elle froidement.

« Moi. » fit la bleutée avec une agaçante désinvolture .

En temps normal elle l'aurait simplement renvoyé d'où elle venait, par cette fenêtre en l’occurrence. Accompagné, ou pas, d'un bon coup de sabot à la croupe selon son humeur. Mais elle n'avait même pas le temps pour ça.

« Qui es-tu déjà ? » demanda la licorne à moitié sincère.

« Ah ! S’exclama la pégase. Tu rigoles, comme si on pouvait oublier Rainbow Dash ! »

Mais le temps qu'elle réponde Sunset lui avait déjà tourné le dos. Avant que la pégase ne fasse irruption, elle faisait quelque chose, quelque chose d'important, mais elle n'arrivait pas à se rappeler quoi. Tout ce dont elle était sûre c'était que cela avait un rapport avec son journal.

« J'espère pour toi que tu as une excellente raison pour t'être écrasée sur mon lit et dis-toi que je te laisse t'expliquer uniquement parce que je n'étais pas en train de dormir dans ce lit. » Ajouta-t-elle sur un ton qui ne tolérerait aucune dérobade et tout cela sans accorder le moindre regard à l'intruse.

Cette dernière esquissa un début de sourire gêné, bafouilla un semblant d'excuse à propos des édredons massacrés avant de se raviser et d'expliquer la raison de sa venue.

« Ben, commença-t-elle, au départ on était tous à l'hôtel de ville à attendre que la Princesse arrive, pour le festival tout ça. Sauf que la Princesse, ben, elle est jamais venue. À la place c'est quelqu'un d'autre qui est apparu, elle ressemblait à la Princesse, mais en tout noir. Elle arrêtait pas de se marrer et disait que c'était elle la Princesse maintenant. Et puis, avant qu'on puisse faire quoi que soit, elle était plus là.

« Tout le monde s'est mis à paniquer, à chercher la Princesse partout, mais ils l'ont trouvée nulle part. C'est là qu'on a remarqués que son élève, c'était à dire toi, manquait aussi à l'appel. On s'est alors dit qui si on te mettait le sabot dessus, on arriverait peut-être à savoir ce qui se passait. Et on a donc commencé à te chercher là où on t'avait vu pour la dernière fois, à la Bibliothèque. Sauf que la porte de ta chambre était bloquée, pas moyen de l'ouvrir, alors...je suis passé par la fenêtre. Voilà, tu sais tout.

« Alors, ajouta-t-elle, est-ce que tu sais ce qui se passe ? »

Mine de rien Sunset dut reconnaître que la logorrhée de la pégase fut moins inutile qu'elle ne l'aurait cru au premier abord, en fait elle contenait même quelques informations intéressantes. En premier lieu, que Nightmare moon avait déjà fait une apparition, ce qui ne rendait que sa quête plus urgente encore, ensuite, que ce « on » qui ne cessait de revenir indiquait que la bleutée n'était pas la seule à s'être lancé à sa recherche, enfin, qu'à l'avenir elle devrait appliquer à ses fenêtres le même sortilège qu'à ses portes.

Son journal et sa plante glissés dans son sac de selle, son sac de selle placé sur le dos, elle était enfin prête et daigna donc faire à nouveau face à l'intruse pour répondre à sa question.

« Oui, dit-elle le plus simplement du monde, je sais ce qu'il se passe, mais tu n'as pas à t’inquiéter, je suis en voie de résoudre le problème. »

Sur ses mots, et avant que la pégase ne puisse rétorquer quoi que ce soit, elle se téléporta, disparaissant sous ses yeux ébahies en une explosion de lumière avant de réapparaître aussitôt au pied de l'arbre-bibliothèque...et en plein milieu d'un groupe de ponettes.

Elles s'éparpillèrent d'abord, surprises de son apparition, puis, la reconnaissant, se précipitèrent sur elle, la noyant sous un torrent presque inintelligible de paroles. Elles étaient quatre et elle les reconnues toutes, les responsables du festival. Si c'était une plaisanterie, cela ne la faisait pas rire, du tout. Elles furent bientôt rejointes par la bleutée qui émergea de la fenêtre tel un boulet de canon, visiblement peu satisfaite d'avoir été laissée en plan, et dont la voix s'ajouta à la cacophonie ambiante.

« Silence ! » Cria l'élève de Celestia, et le silence vint. « Parlez une à la fois, continua-t-elle plus calmement, ou alors ne parlez pas du tout. »

Ce fut la licorne du groupe, une styliste bien apprêter qui n'aurait pas dépareillé dans les bals de Canterlot, qui prit la parole la première.

« Sunset Shimmer, commença-t-elle sur un ton des plus précieux, je voudrais en premier lieu m'excuser pour l'évidente et complète absence de savoir-vivre dont Rainbow Dash a fait preuve. Il s'avère que nous étions, et le somme encore, très inquiètes vis-à-vis de la situation actuelle et que nous voulions nous entretenir avec vous au plus vite dans l'espoir de dissiper nos craintes. »

Oui, son usage du langage pompeux des nobles était parfait. Non que cela fasse une quelconque différente en l'état actuel des choses, elle n'avait juste pas le temps pour ces atermoiements.

« Cependant, continua-t-elle, la porte de votre chambre était, et reste, verrouillée à double à tour. » La voix de la licorne s’accéléra brutalement quand elle vit le regard glacial que Sunset posait sur elle.« Je sais, je sais, cela voulait dire que vous ne souhaitiez pas être importunée d'une quelque manière que ce soit, mais pour nous cela pouvait aussi dire que vous étiez absente ou que quelque chose vous étiez arrivée, il nous fallait en avoir le cœur net. » Voyant que l'élève de Celestia était en train de se détourner d'elle, sa voix devint clairement suppliante. « Rainbow Dash était la seule d'entre nous à avoir à la fois la capacité d'atteindre cette fenêtre et le...culot nécessaire pour le faire. »

« Oh, la barbe ! » S'exclama l'intéressé, interrompant son amie alors qu'elle allait commencer une nouvelle tirade. D'un simple battement d'aile elle vint se placer devant la licorne de Canterlot, lui bloquant le passage. « Crois pas une seule seconde que tu peux te barrer comme ça.» Clama-t-elle « Tu m'as dit que tu savais ce qui se passait, alors crache les détails. »

Sunset desserra lentement les dents, malgré l'envie quasi-absolue qu'elle avait d'infliger à la pégase une leçon qu'elle se rappellerait jusqu'à la fin de ses jours, elle décida qu'il valait mieux qu'elle lui réponde, à elle et ses amies. C'était le seul moyen d'avoir la paix.

« D'accord, lâcha-t-elle sèchement, vous voulez savoir ? Vous allez savoir. Ce qui est apparu à l'hôtel de ville devait sans nul doute être Nightmare Moon. Si vous ne savez pas de qui il s'agit, parce que, par exemple, vous n'avez jamais ouvert un livre d'histoire de vos vies, disons qu'elle a un très, très vieux compte à régler avec Celestia. Cette dernière, cependant, avait prévu que cela risquait d'arriver et m'a chargé, moi, d'aller récupérer les artefacts magiques qui permettront de s'en débarrasser. Vous comprenez à présent pourquoi je n'ai pas de temps à perdre. Donc, si vous voulez bien m'excuser. »

D'un trot soutenu elle s'éloigna d'elles, les laissant digérer dans leur coin les informations qu'elle venait de leur donner, espérant que, lorsqu'elles auraient fini leur réflexion, elle serait déjà loin. Comme pour s'accorder à ce désir son trot se mua bien vite en un galop qui l'emmena toujours plus loin de la bibliothèque et toujours plus près de son objectif, la forêt d'Everfree.

À nouveau seule avec ses pensées la jeune licorne prit conscience que le fait que Ponyville soit à proximité de ladite forêt ne signifiait pas pour autant qu'elle était bâtie à la lisère de cette dernière.

Cela faisait bien trop longtemps à son goût qu'elle arpentait ces allées désertes, zigzaguant entre ces bâtiments noyés dans la pénombre avec pour seul son à ses oreilles ceux de son souffle et de ses sabots claquants sur le sol.

Mais où pouvaient donc bien être passés tous les habitants, au vu des événements actuels elle était même étonnée que seulement six d'entre eux soient venus tambouriner à sa porte, enfin à sa fenêtre.

Étaient-ils encore tous à l'hôtel de ville, paniquant en boucle sur place dans l'attente que quelqu'un leur dise quoi faire ? Étaient-ils tous rentrés chez eux pour aller se coucher en attendant que ça passe ? Nightmare Moon aurait-elle triomphé et aurait infligé une terrible punition à ces grossières créatures qui avaient osé dormir pendant ses nuits ?

Instinctivement elle jeta un regard à la lune blafarde au-dessus d'elle. Non, si la Rejetée avait été effectivement victorieuse, elle l'aurait annoncé d'une façon qui ne laisserait pas la place au doute. N'était-ce pas d'ailleurs ce qu'elle avait tenté de faire à l'Hôtel de ville avant de disparaître subrepticement ? Si ce qu'on lui avait raconté était vrai. Où pouvait-elle donc bien être à présent ? Encore en train de se battre avec Celestia, espérait la licorne. Elle espérait même que son mentor parviendrait à la vaincre seule, sans parvenir à s'en convaincre.

Si elle avait beaucoup à reprocher à la Princesse, il y avait une chose qu'elle ne pouvait en aucun cas lui enlever, c'était l'être le plus puissant qu'elle connaissait. Pourtant, Nightmare Moon s'annonçait comme son égale, voire plus si l'on considérait que Celestia avait eu besoin des Éléments pour la vaincre la dernière fois. Le message de la souveraine était clair, il n'y aurait pas de victoire facile, voire de victoire tout court, si elle ne parvenait pas à récupérer ses artefacts. C'était cela qui rendait sa mission capitale. Fierté et Crainte se battirent à nouveau en son cœur.

Les maisons autour d'elle commencèrent à se faire plus éparses et au loin apparu une vaste rangée d'arbres. La lisière, enfin.

Retentis alors derrière elle un éclat de voix rauque. Prise d'un mauvais pressentiment, elle se refusa à ralentir ou à regarder par-dessus son épaule, faisant comme si elle n'avait rien entendu. Un exercice futile, Rainbow Dash lut rattraper en moins de temps qu'il ne lui en fallut pour se résigner. La pégase voletait à ses côtés, soutenant son allure effrénée avec une nonchalance révoltante.

« Hé ! Dit-elle. T'es au courant que tu fonces droit vers la forêt d'Everfree ?

— Oui, répondit-elle à contrecœur.

— Alors, ça veut dire que ce que tu recherches se trouve dans l'un des endroits les plus sauvages de tout Equestria ?

— Oui. », répondit-elle encore une fois, incertaine d'où la bleutée voulait en venir.

Cette dernière sembla ralentir un instant, permettant à la licorne de la distancer. De façon très temporaire, cependant, car la jument ailée revint très vite à son niveau, avant de la dépasser et de se placer devant elle. En lieu et place de la forêt et de la ville tout ce que voyait Sunset désormais s'était cette pégase bleu qui volait à reculons et parlait avec une excitation qui grandissait à chaque mot.

« Doooonc, fit-elle en étirant absurdement chaque syllabe, une ancienne force maléfique que la Princesse avait vaincue il y a des années est revenue pour se venger et plonger Equestria dans la Nuit éternelle. Et on t'a envoyé récupérer la seule chose capable de la vaincre et qui se trouve en plein milieu de l'un des endroits les plus dangereux qui soit ?

— O-oui. », bredouilla-t-elle, maintenant véritablement confuse.

Les yeux de la pégase s’écarquillèrent, ses iris cerise réduits à deux fins anneaux encadrants un abîme de noirceur humide au sein de laquelle se reflétait le visage circonspect de la licorne. Cette dernière venait de ralentir subrepticement, de plus en plus décontenancer par l'attitude de la jument ailée. Un large sourire se répandait sur la figure de cette dernière qui était devenue l’allégorie d'un bonheur absolu. Son poitrail se gonfla, signe d'une grande inspiration.

« Mais.C'est.Trop.GÉNIAL ! » hurla-t-elle soudainement.

Surprise par un tel déferlement d'émotion, Sunset trébucha et s’étala de tout son long sur la route poussiéreuse. Un « détail » qui échappa totalement à Rainbow dash.

« C'est le truc le plus génial que j'ai jamais entendu de toute ma vie ! Continua-t-elle. Et ma vie est entièrement faite de trucs géniaux !

« Je viens avec toi ! » Ajouta-t-elle sur un ton qui exprimait moins la demande qu'un état de fait.

Alors face contre-terre le choc de cette annonce suffi à remettre la licorne instantanément sur ses quatre sabots.

« Quoi ?! S'écria-t-elle. Non !

— Allez ! Insista la bleutée.

— Non ! C'est absolument hors de question !

— Tu es sûre ? La pégase prit un air conspirateur. Tu devrais regarder un peu mieux. »

Elle s'écarta alors pour permettre à Sunset de voir ce qu'il y avait derrière elle. Sa course l'avait grandement rapprochée de la lisière, ce qui lui avait auparavant paru comme une simple rangée s'apparentait maintenant plus à une véritable muraille végétale. Tellement d'arbres, leurs formes noueuses, toutes identiques à ses yeux, s’entremêlaient jusqu'à devenir indiscernable l'une de l'autre. Leurs feuillages s'entrelaçaient pour former formait un manteau si épais qu'aucune lumière ne semblait pouvoir passer à travers. Au-delà des premières couches de végétations, il n'y avait rien d'autre que les ténèbres desquelles s'échappaient périodiquement les cris de quelques animaux qui lui étaient inconnus.

Elle avait l'impression de faire face à une forteresse inexpugnable, forteresse à l'assaut de laquelle il lui fallait se lancer. Non loin d'elle, cependant, la muraille laissait entrevoir une trouée. Il s'agissait d'un sentier...Non, c'était bien trop large, c'était une route, une route qui séparait la marée verte en deux et s’enfonçait dans ses tréfonds.

« Tu sais pourquoi tout le monde a peur de cette forêt ? Lui murmura la bleutée à l'oreille. Parce qu'elle fait ce qu'elle veut. Pas un terrestres pour dire aux plantes comment pousser, pas un pégase pour dire à la météo qu'elle doit être ceci ou cela le lendemain. Là-bas tout se fait tout seul. La nature suit ses propres règles et c'est pas celles des poneys. Et il y a aussi un paquet de bestioles pas sympas qui se balade là-dedans.

« Ça fait un peu beaucoup pour un poney tout seul, pas vrai ? C'est pour ça qu'il faut que quelqu'un t'accompagne.

— Quelqu'un comme toi je suppose ? Répliqua la licorne, acide.

— T'a tout compris, t'aura bien besoin d'une future Wonderbolt là-dedans.

— Tout est dans le titre, future Wonderbolt. Décroche tes galons et là, on pourra en reparler.

— Tu sais que je vais pas te lâcher, hein ? Insista la pégase. Et que t'a aucun moyen de me semer ?

— Tu crois ? Susurra Sunset d'un ton soudainement menaçant.

— L'a raison tu sait », ajouta une voix derrière elle.

La licorne fit volte-face pour voir que pendant que Rainbow Dash la harcelait, ses camarades avaient réussi à les rattraper. N'arriverait-elle donc jamais à s'en débarrasser ? Parmi elles c'était la fermière qui l'avait interpellé.

« Ce coin m'arche pas comme l'faudrait, disait-elle. Y aller seule c'est stupide. Y aller seule alors que tout Equestria repose sur toi, y a même plus de mot pour dire ce que c'est. Tu peux pas dire ce qui va se passer là-bas. Tu peux pas dire que t'aura pas un problème que tu pourra pas résoudre toute seule. Là t'aura besoin d'aide, sauf qu'aura personne pour t'aider et nous on s'ra tous dans le purin. »

Elle devait admettre que la terrestre marquait un point, mais il y avait une chose qu'elle avait oublié de prendre en compte.

« Admettons que je veuille une...escorte, dit-elle. Que choisirais-je selon vous, entre des membres de la garde royale, vous savez, des poneys qui ont été spécifiquement entraînés à faire face au danger et vous, des...civils ?

— Nous n'en avons peut-être pas l'air comme ça, rétorqua la styliste, mais nous savons prendre soin de nous. »

Sunset étouffa un ricanement, certes la voltigeuse et la fermière ne devaient avoir peur de se salir un peu les sabots, voire beaucoup. Mais les trois autres ? Une styliste qui ferait une attaque dès qu'un soupçon de saleté viendrait se déposer sur son pelage immaculé. Une pégase jaune à l'aspect misérable qui semblait prête à disparaître dans son ombre. Et enfin, il y avait cette chose rose, elle ignorait ce dont elle était réellement capable, mais elle se refusait à l'avoir dans son dos.

« Ça, c'est ce que vous pensez, or ce qu'on pense n'est pas obligatoirement la réalité. Rétorqua-t-elle, vénéneuse.

— Te fatigue pas, lança la bleutée, même si tu veux pas de nous on te suivra quand même.

— Pour qu'ensuite ce soit à moi de vous sauver parce que vous vous serez mises dans le pétrin ? Hors de question.

— Et si c'est nous qui t'la sauvons ta mise, là tu sera bien contente qu'on était là. Faut arrêter d'et buter comme ça. Equestria c'est aussi chez nous, on va pas rester assises sur nos croupes alors qu'on peut aider et t'a clairement besoin d'aide. C'est trop gros pour qu'tu fasses ta fieraude. »

La licorne de Canterlot tenta une dernière protestation avant de se résigner. À quoi bon ? Ces idiotes n'entendraient pas raison, quoi qu'elle puisse leur dire. Autant les laisser la suivre, cela lui coûterait moins de temps que de vainement essayer de les dissuader.

Mais au moment où elle allait le leur faire savoir, elle s'imagina Celestia, son sourire, sa voix à la fois douce et profonde.

Dis-moi, qui sont donc ces ponettes que je vois avec toi ? Disait-elle.

Et elle lui répondait : Elles ? Rien qu'une nuisance. Elles se sont mises dans mes pattes et je n'ai pas réussi à m'en débarrasser. Sinon tout cela aurait été fini bien plus tôt.

Mais elles ont été, à leur façon, d'une certaine aide, n'est-ce pas ?

Non.

Oui.

Non.

Ce petit sourire entendu, plus jamais, plus jamais elle ne voulait le voir.

Le groupe parut sincèrement décontenancé par le changement dans l'attitude de Sunset. Son silence soudain, son regard vide, les petits tics nerveux dont étaient prises ses oreilles et ses lèvres. Brutalement, elle éclata de rire, le genre de rire qui n'avait rien de rassurant.

Brusquement un trait cyan fendit l'air et frappa Rainbow Dash de plein fouet, elle-même ne l'avait pas vu venir. Ses amies, horrifiées, l'entendirent crier, de surprise ? De douleur ?. Ils la virent s'écraser au sol avec bien trop de force pour que cela soit la simple œuvre de la gravité. Elles ne virent ni n'entendirent, cependant, le second trait, plus large celui-ci, qui les atteignirent dans la seconde qui suivit.

Aucune ne perdit conscience. Il eut une intense lumière, comme le flash d'un appareil photo, et quand elle se dissipa le monde leur parut le même qu'il était auparavant. Si ce n'était Rainbow Dash qui gisait non loin d'elles, ses ailes étalées à ses côtés de façon presque comique.

Pendant une fraction de seconde, elles pensèrent au pire, mais la pégase bougeait, elle luttait pour se tenir debout, sans vraiment de succès. Une aura magique enveloppait ses sabots et ses plumes, les maintenant soudés au sol. Elle essaya de toutes ses forces, mais ne parvint pas à se dégager.

Quand elles voulurent lui venir en aide, elles se rendirent compte qu'elles avaient subi le même sort, le sort que Sunset Shimmer leur avait jeté. Elles étaient complètement immobilisées, à sa merci. Cette dernière les regardait avec un air vaguement triomphant, une inquiétante lueur dansant dans ses yeux.

« Bon sang ! Cria la voltigeuse. C'est quoi ce délire ?! Si c'est une blague elle est pas drôle ! »

La licorne esquissa un sourire, pas un de ceux de la fête, celui-là était authentique. Ce n'était peut-être pas une blague, mais cela ne l’empêchait pas de trouver cela fort drôle. Cela suffit à faire taire la bleutée.

« Vous ne compreniez pas... Sa voix était basse, son ton était doucereux, de petits ricanements émaillaient sa diction. Vous ne vouliez pas comprendre... » Lentement, elle s'approcha des ponettes. « Ce n'est pas votre histoire...C'est la mienne ! » Leur cracha-t-elle au visage.

Ces pupilles brillants comme des charbons ardents, sa crinière rouge et or en bataille qui ondulait à chaque inflexion, on aurait dit une flamme vivante qui se déchaînait à quelques centimètres seulement de leurs museaux.

« Une forêt, une mission, un désastre, une...crise, c'est tout ce que c'est pour vous, n'est-ce pas ? Mais pour moi, c'est une épreuve...Mon épreuve ! À moi et moi seule. Le moment pour lequel j'ai étudié et me suis entraînée toute ma vie. Le moment où ma destinée pourra enfin s'accomplir. »

« C't n'import quoi ! T'a complément déraillé ! » s'écria à son tour la fermière, bientôt rejointe par ses camarades.

« Vous déraisonnez, le stress vous a fait perdre la tête ! »

« C'est pas comme ça qu'on fait une blague ! »

« Ce...ce n'est vraiment...pas très...pas très gentil...du tout... »

« Attention ! Rappela la licorne. Avec ces petites bouches. Il se pourrait bien que j'aie aussi un sort pour elles. »

Elles se turent alors conscientes que ce n'était sans doute pas une menace en l'air.

« Qui croyez-vous que je sois ? Demanda-t-elle. Une petite servante surmenée ? Une nobliaute en goguette qui fait un caprice ? Non ! Je.Suis.L'élève.De.La.Princesse !

« Et qu'est-ce que cela signifie ? Que j'ai été choisie pour devenir l'une des grandes de ce monde, plus grande qu'aucun autre poney, plus grande qu'un mage, plus grande qu'un noble. J'ai été choisie pour devenir une Princesse. Une vraie Princesse, pas un meuble poudré comme ce déchet de Blueblood. »

Elle offrit au groupe un regard de Cockatrice, les mettant au défi de la contredire.

« Il y a mille ans, quand Celestia faisait face à Nightmare Moon, où étaient ses gardes ? Où étaient ses amis ? Il n'y avait personne. Même tes précieux wonderbolts n'existaient pas encore à cette époque. » ajouta-t-elle pour la pégase bleutée. « Elle l'a affronté seule, elle l'a vaincu seule.

« C'est là la voie des Princesses, face à l'adversité, face aux menaces quel qu’elles soient, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, parce qu'elles ont le pouvoir et la sagesse qui fait défaut à tous les autres. Les épreuves qu'elles doivent endurer pour le devenir reflètent cet état de fait. Au nom de quoi agirai-je différemment ?

« Et vous, la plèbe, les paysannes, les petites punaises qui n’arrêtez pas de couiner dans mes oreilles, quel rôle pourriez-vous donc avoir dans tout ça ? Aucun, si ce n'est celui que je viens de vous donner, celui de spectatrices. La croupe collée au sol, vous me regarderez au loin faire route vers mon triomphe, et lorsque je reviendrai victorieuse vous m'applaudirez en conséquence, comme les bons petits sujets que vous êtes. »

Un sourire satisfait aux lèvres la licorne se détourna soudainement d'elles.

« C'est fini, conclu-elle, vous ne me ralentirez plus, vous ne me distrairez plus, et surtout, vous ne me volerez pas ma gloire. »

Les abandonnant à leur sort, ou plutôt à son sort, elle reprit son chemin en direction de l'orée de la forêt. À peine avait-elle commencé à s'éloigner que leurs cris retentirent à nouveau.

« Hé, , HÉ ! Reviens ! Tu vas pas nous laisser là comme ça quand même ?! » Celui-ci venait de la voltigeuse.

Le sourire de Sunset s'agrandit alors qu'elle tourna la tête vers elle.

« Ne vous inquiétez pas, dit-elle, le sort est temporaire...Enfin, je crois. Dans le cas contraire, je reviendrais le dissiper quand j'en aurai fini avec cette forêt...Si je ne vous ai pas oubliées entre-temps bien sûr. »

Ce fut le dernier regard, et les derniers mots, qu'elle leur accorda. Les cris continuèrent bien sûr, mais elle ne leur prêta plus attention. À chaque pas qu'elle faisait ils faiblissaient un peu plus.

Bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru elle atteignit la lisière. Leurs voix à ce moment n'étaient plus qu'un lointain bourdonnement. La route vers le cœur de la Forêt s'ouvrait doit devant elle, comme si elle l'avait attendue tout ce temps. Sans la moindre hésitation, ni regret, ni remords, elle s'y engagea.

Elle s'imagina alors que les vastes rangées d'arbres qui la flanquaient de chaque côté étaient les colonnes du Grand Hall de Canterlot, que la terre sous ses sabots était le plus luxueux des tapis, que la pâle lumière de la lune qui filtrait à travers des frondaisons était en réalité celle du soleil qui se déversait triomphante au travers des gigantesques fenêtres. Et qu'au bout de ce chemin voilé d'obscurité l'attendait son trône où une Celestia à la fois heureuse et boudeuse viendrait apposer sa couronne sur sa tête.

Son visage n'était plus assez grand pour contenir son sourire, son regard à cet instant aurait fait trembler de peur un dragon et pétrifié une cockatrice.

Pas après pas, la forêt se fit plus épaisse, le feuillage des arbres se joignant pour former une voûte au-dessus d'elle. Pas après pas, la lumière déclinait un peu plus, jusqu'à ce qu'il ne reste que les ténèbres. Pas après, pas les voix s'étiolèrent un peu plus, jusqu'à ce qu'il ne reste que le silence.

Pas après pas, jusqu'à ce qu'elle soit enfin seule. Comme cela aurait toujours dû être.

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Note de l'auteur

Avec ceci il s'agît de ma première fic à chapitre sur le site.

Je ne saurais donner de date exact pour le suivant, cela va dépendre de si je vais enchainer tout de suite sur le second ou tenter un autre projet personnel, mais aussi de pas mal de paramètre Irl.

Sans compter que ma rapidité d'écriture est à géométrie variable.

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Luiwen
Luiwen : #48669
Pour ce qui est du prochain chapitre, ça ne m'étonnerait même pas de voir Nightmare Moon tenter de corrompre Sunset Shimmer et d'en faire son élève personnel en lui disant qu'elle avait raison de considérer Celestia comme quelqu'un d'idiote et que l'amitié est totalement inutile pour avoir le pouvoir et le respect. Pouvoir et respect qu'apparemment Shimmer recherche dans ton hisoire.
Après tout, qu'elle soit Nightmare Moon ou non, elle reste la belle princesse de la nuit : elle a du voir le cauchemar de Sunset. Qui dit qu'elle va exploiter de ce qu'elle a vu dans le cauchemar pour faire de Sunset son disciple ?
Aller savoir ; mais je suis impatient de lire la suite.
Il y a 5 mois · Répondre
LtZip
LtZip : #48606
@Luiwen: Je me suis rendu compte de cette coquille qu'après avoir posté le chap. Et comme je n'étais pas chez moi ces trois derniers jours...Mais je corrige dans l'instant.
Il y a 5 mois · Répondre
Luiwen
Luiwen : #48593
"Ces poneys étaient *étaient* venus pour s'amuser et non intriguer, pour l'accueillir et non [inserer le verbe manquant de votre choix]"

Je kiffe la personnalité de Sunset Shimmer. Elle fait penser à quelqu'un se battant pour le bien alors qu'elle est du côté obscur de la force.

Sinon, la forme est à revoir.
Il y a 5 mois · Répondre

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