Chapitre 2
Cela fait trois jours. Trois jours que je marche, dans la même direction, vers l’est. Trois jours que j’ai faim, trois jours de marche forcée. Mes sabots sont fatigués, je dors pourtant bien toutes les nuits, m’endormant au couchant et me réveillant au levant. Mais malgré l’incompréhension de ma situation terrifiante, je me sens plutôt bien : il y a pire. Je pourrais être en première ligne, à chercher mon bras perdu dans la boue, et je ne sais quoi encore… Non franchement, je préfère être dans cette situation surnaturelle qu’ailleurs. Si un monstre géant me dévore, ce ne sera pas un danger plus grand que cette guerre dégueulasse.
Avec l’absurdité de la guerre et de la vie, on s’habitue à tout.
Pourtant, je me demande ce que je faisais. Pourquoi continuer ? Pourquoi marcher vers n’importe où ? Parce que je n’ai pas d’autre solution. Si vous demandez à quelqu’un que faire dans ma situation, il verra le problème bien plus simplement, plus rationnellement. Mais ici, maintenant, nous ne sommes pas dans une pièce de théâtre bien huilé par le dramaturge, auquel j’assistai à la Comédie Nationale, avec de beaux rideaux bleus et rouges, et dorures ; mais dans du fantastique. Lâché dans la nature, en toute liberté. De plus, je ferais n’importe quoi pour échapper à cette guerre immonde. Même si je dois me retrouver sur une autre planète.
Je ne veux pas de cette guerre. Je ne veux pas mourir bêtement comme des milliers d’autres poneys. Alors autant explorer la folie -ou ce qu’il semble l’être- et laissons-nous porter pour une fois. Sans questions.
Mais bon, ce n’est pas une chevauchée épique. Mes sabots sont défoncés, mes oreilles griffées par les ronces et autres buissons, mon dos toujours en martyr. A part la baignade d’hier qui s’arrêta brutalement à cause d’un ours, je ne m’étais pas lavé. Donc je vous laisse imaginer mon état.
Mais plus les jours passaient, plus j’avance dans cette forêt inextricable mais magnifique, plus je me sens bien, malgré ma fatigue, supportable -j’en avais vu d’autres. Libre ! Enfin, après cinq années de guerre, pour la première fois, je profite de la couleur des arbres, des longs silences, et des sons qui étaient comme du velours à côté de l’enfer sonore qu’est la guerre. Velours toutefois douloureux aux oreilles, après le vacarme dans lequel je m’étais habitué.
Une semaine passe. Je remarque que j’avais abandonné mon cynisme et mon côté philo-humaniste. Je commence même à me parler tout seul, au coin d’un feu jamais assez chaud.
« Je me demande comment s’en sorte les autres. – Bah tu t’en fiche t’es paumé, tu ne les verras probablement jamais. Tant mieux. – Oui mais quand même, j’aimerais bien savoir. Revoir quelqu’un d’aussi paumé que moi… - ça fait des années que t’en voit. Ne te bile pas. »
Je coupe les ponts avec mon ancienne vie, mon Ancient monde avec tant de facilité. Je m’en étonne moi-même. Il faut dire que je n’y étais plus trop attaché : des campagnes verdoyantes et villes prospères, il n’en reste plus que des cratères, de la boue, des ruines et une haine toujours plus grandissante pour ceux d’en face. Ce sont eux qui nous ont attaqués. On se défend. C’est tout.
**********
Je me suis demandé les raisons de cette guerre, son origine, les jours suivant. Marcher fait réfléchir, c’est vrai. En traversant des collines, des rivières, toujours entre les mêmes arbres d’un foret qui n’es finissait plus, je pensai et réfléchis à tout ce dont je n’avais pas eu le temps de penser. Des questions du style « pourquoi cette guerre », « pourquoi on ne discuterait pas avec ceux d’en face », « pourquoi elle voulait pas sortir avec moi » … Non pas celle-là. Je n’avais pas le sou, vivant sous les combles d’un immeuble en ruine. J’avais aucune chance. Et puis elle n’était pas si super que ça. Je rigole de ces situations embarrassantes d’avant. Aujourd’hui, tout va bien.
Au bout de deux semaines, c’est moins le cas. Je mange de moins en moins, car bouffer des racines et quelques rares poissons, ça n’apporte pas grand-chose. La soupe c’est le top du top en nourriture je vous ai dit… ‘‘La faim, l’obstacle franchi collectivement et les relations entre les individus sont les trois piliers fondateurs de la civilisation, selon un illustre auteur. Lorsqu’un de ce pilier s’effondre, les deux autres suivent : plus de nourriture, tout le monde s’entre déchire ; plus de cohésion, une mal répartition de la nourriture et la confrontation les uns contre les autres ; plus de relations sociales, guerre civile.’’
C’était quelque chose comme ça. Mon monde s’efface de ma mémoire, j’en suis totalement conscient. A part un petit livre de philosophie et de poésie que je lis le soir (je l’ai déjà lu des milliers de fois avant de quitter cette guerre, il y a maintenant un mois), qui est la seule preuve tangible de l’existence de là d’où je viens.
J’ai pu étudier alors, les semaines qui suivirent, comment on peut oublier ce qu’on croyait pourtant à jamais connaitre, comment ces souvenirs, ces évidences peuvent s’effacer de notre mémoire. Le soir au coin d’un feu que j’arrivais parfois à allumer, je pensais à tout cela. C’était à la fois terrifiant, et vraiment intriguant. Etrange, presque fantastique. En regardant fixement le feu, je me dis que le temps pouvait arriver, petit à petit, inéluctablement, à rendre tout poussière. Toujours, je me disais que c’était impossible ; mais toujours, je m’endormais avec la certitude que c’était bel et bien possible, en oubliant les noms de mes lointains amis, ceux des villes et parfois de simples objets. Même la cours de ma vielle maison, celle où j’ai vécu toute ma jeunesse, connaissant ses moindre coins et recoins, n’étais plus que vagues souvenirs flous, comme lorsqu’on se réveille d’une nuit sans rêve ; juste une sensation, rien d’autre.
A cette frustration, ajoutez la faim, la fatigue et l’inquiétude permanente de la vie dans la nature, et surtout le mystère de ma destination… Étrangement, je préférais ça au front. Cela peut paraitre plutôt dingue, mais lorsqu’on a connu une attaque de tranchée, gaz de combat et l’immonde corps à corps qui s’ensuit, pendant des semaines, sans relâche, oui, on préfère ça.
Je vivais donc dans la nature, errant, fuyant une guerre d’un monde que j’avais oublié.
Ça résume plutôt bien. Je trouve.
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Cela fait treize mois que mon voyage à commencer. Enfin je pense, en comptant autant de jour, on se trompe forcément ; mais autour de treize mois donc, je quitte enfin cette forêt. Les grandes plaines vertes qui s'ouvrent il semblerait à l'infini devant moi me font presque peur, tellement l'habitude des arbres m'avait transformé. Le foret ne s'arrêtait pas en une lisière bien découpée ; plutôt avec quelques petits arbres et arbustes, qui rétrécissaient au fur et à mesure que l'on entre sur la plaine. Le bois continue à s'étendre, et qui sais pendant combien de siècles ou de millénaires elle a dévorée ces vastes étendues de terres.
Au-delà des collines, j'aperçois, perdu dans les nuages, de gigantesques montagnes, dissimulées a moitié par d'imposant nuages blancs. Tout comme les roches, ces derniers étaient si blancs qu'ils éclairaient la vallée. Sens figuré bien sûr.
Je restai deux heures, assis à l'orée de la forêt, avant de me lancer. Etrangement, cela faisait des semaines que je n'avais plus parlé, ne serait-ce qu'à moi-même. La parole ayant disparu - je m’en étonnai d'ailleurs - il y a quelques temps, je me rendis compte que moins on parle, mieux on réfléchi.
La première nuit, je marchai à la belle étoile. Impossible de dormir avec des milliers de scintillement, formant constellations, nébuleuses et voie lactée. Une légère brise souffla à mon réveil, et le soleil levant apparaissant derrière les montagnes m’indiqua la route à prendre.
Ce fut la fin -du moins en partie- de mon voyage solitaire. Chaque jour, j’aspirait au calme, et chaque jour je fus heureux. Mais au fond de moi, je ne savais pas si la civilisation me manquait ou non.
Mon destin s’est rattrappé sur toutes les années pourries que j’ai passé. Mais il me réserve autant de merde que de bonheur.
J’ai hâte.
Museau au vent, je défiai la montagne du regard dans le matin. Je pouvais aujourd’hui affronter le monde, l’univers tout entier ; je n’ai pas peur, au contraire : je suis prêt.
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