Team Windigo

C’était une sale journée.

Pourtant, elle avait tout pour plaire. Depuis l’attaque sur Canterlot, nous avions assez d’amour pour ne jamais avoir faim. Chacun pouvait sentir l’esprit de ses frères rassasiés, et cela rendait toute la ruche heureuse. La reine, elle, ne nous semblait pas heureuse. Elle avait une grande frustration à l’esprit, et même nous ne pouvions rien faire pour l’aider.

“Équipe de recherche quinze ! Je veux vous voir à l’alvéole soixante dans dix minutes.”

“Bien, ma reine.”

Nous avions répondu dès que la commande était venue dans notre esprit, abandonnant nos recherches sans plus tarder.

Nous étions une équipe de chercheurs, mais pas n’importe laquelle. Nous étions une équipe remplie de changelings supérieurs, capables de penser par eux-mêmes, pas comme les ouvriers.

La ruche était divisée en plein de petites alvéoles, où n’importe qui se serait perdu. Mais pas nous. Tous les membres de la ruche étaient reliés aux changelings bâtisseurs, ce qui faisait que nous avions tout un plan précis de l’édifice dans la tête.

Dix minutes plus tard, nous étions devant l’alvéole soixante, où nous attendait la reine. Le garde nous laissa entrer sans la moindre résistance ni parole. Il avait entendu l’ordre, comme nous, et il n’était pas question ni pour lui ni pour nous de le contester.

Nous entrâmes très vite dans la petite salle du trône. Nous n’avions jamais compris pourquoi les poneys faisaient tout si grand. Ici, chaque salle nécessitait plusieurs jours de construction et de creusage, et nous perdions de nombreux changelings dans la construction à cause des éboulements. Une fois la salle créée, son espace était optimisé au maximum.

Malgré notre précipitation, nous avions très vite ralenti en voyant la reine. Elle semblait… furieuse. A tel point qu’une étrange brume rouge flottait autour d’elle. Sa colère était si intense qu’elle en faisait échapper par son nez et par sa bouche.

“Équipe quinze !”

Nous nous sommes agenouillés devant elle, frémissant sous la peur.

“Cela fait maintenant près de deux semaines que je vous ai demandé de vous occuper du cas. Et pourtant, vous ne m’avez communiqué aucun résultat.

- Ma reine, dit l’un d’entre nous. Nous ne vous avons rien communiqué car il n’y a rien à dire. Cet être… Ce… “Windigo” comme l’appellent les poneys, est un vrai casse-tête. Il repose sur la pierre, mais nos sabots passent au travers. Nous ne pouvons le toucher qu’avec notre magie ou nos outils imprégnés de magie. Nous ne pouvons pas faire d’expérience risquée avec lui, c’est un spécimen unique, et nous-

- ASSEZ !

L’ordre résonna si fort dans notre esprit que nous nous étions tu instantanément.

- Je n’accepterai aucune excuse de votre part, équipe quinze. Il vous reste exactement quinze jours pour trouver une utilité à ce spécimen. Sinon, je commencerais à créer d’autres oeufs de chercheurs ! Est-ce bien compris ?!”

Soudain, nous vîmes la brume rouge s’intensifier. Sauf la couleur, c’était exactement comme ce qui se produisait quand certains poneys se voyaient. Comme quand ils produisaient plus d’amour.

Sans vraiment nous en rendre compte, nous nous étions mis, par instinct, à aspirer cette brume, comme nous le faisons pour récolter l’amour des poneys. La reine, comme si elle ne le remarquait pas, continuait à s’énerver. Nous continuâmes d’aspirer cette brume jusqu’à ce qu’elle disparaisse totalement.

“Partez, maintenant. “

La grande changeline semblait être soudain prise d’une grande fatigue, ce qui nous alarma. Étrangement, sa colère semblait avoir disparu. Nous nous regardâmes entre nous avant de reculer en nous inclinant.

“Bien, ma reine.”

Nous étions dans un tel état d’étonnement et de réflexion que nous sortîmes de la salle sans regarder devant nous, perdus dans nos pensées.

Nous étions de retour au laboratoire, ou du moins si l’on pouvait l’appeler ainsi. Au centre, dans sa cage de résine, le Windigo était toujours couché, paupières fermées, comme pétrifié sur son socle, toujours aussi immobile, immatériel et impalpable. Et pourtant, il était bien vivant, nous le savions. Vivant, mais aussi inutile que s’il était mort.

Les autres arrivaient à leur tour, dans un silence lourd, grondant, presque palpable. Chaque paire d’yeux se posait instinctivement sur la créature prisonnière, toujours aussi immobile et muette. Les menaces de la reine résonnaient encore aux oreilles de chacun, sifflantes et tranchantes.

Nous continuâmes le travail là où nous l’avions pris. Reprenant les outils, nous nous sommes affairés près du Windigo, prenant des mesures, cherchant quelque chose d’utile pour la reine.

Soudain, alors que l’un d’entre nous passait près du museau de la créature, elle tressaillit. Surpris, nous avons tous reculé d’un bond, nous mettant hors de portée, un frisson d’excitation montant dans notre colonne vertébrale. Il avait enfin bougé ! Enfin une découverte capable de nous racheter auprès de la reine ! Nous étions tous surexcités, et ce sentiment augmenta encore quand il commença à se lever sur la pierre.

Soudain, nous sentîmes une secousse, et il commença à inspirer, comme quand la reine collectait l’amour que nous récoltions pour elle. Par réflexe, nous avons ouvert le museau, et l’étrange brume rouge que nous avions collectée sortit de notre corps, lui permettant de l’absorber facilement.

Les paupières du fantôme se levèrent encore un peu plus tandis que ses naseaux se dilataient, absorbant tout ce que nous émettions vers lui. Son éclat fantomatique se renforça encore. Le museau levé, les yeux grands ouverts, il se dressa alors dans sa cage de résine, avant d’en franchir les barreaux comme s’ils étaient aussi immatériels que lui.

Ses yeux… Nous étions fascinés par ses yeux. Si anciens, si puissants, à tel point que notre reine elle-même avait l’air d’une enfant en comparaison.

“Voici le meilleur repas que j’ai eu depuis… Longtemps…”

La voix grave et profonde du Windigo se répercuta dans la petite pièce, nous faisant nous sentir aussi insignifiants que quand nous étions devant la reine.

“Je peux la sentir… Je peux sentir la source de cette colère… “

Il se plongea directement dans notre esprit, injectant directement ses pensées dans les nôtres, comme si nous étions liés à lui. Un lien semblable à celui qui nous unissait à notre mère et au reste de nos frères mais en même temps plus calme, plus méthodique. Il n’y avait que nous et lui, comme si Chrysalis et le reste de l’essaim avaient disparu.

“Ainsi donc, vous êtes des… Changelings. Intéressant. Je ne pensais pas que vous survivriez, seuls, dans la nature. Cependant, il se pourrait que vous ayez encore une utilité. Je ne pensais pas que vous pourriez absorber la colère… Mais je pense pouvoir en tirer profit. Conduisez-moi à votre reine.”

Subjugués par cet ordre, nous le guidâmes dans la ruche, alors qu’il attirait tout les regards. Dès qu’il voyait un changeling, il l’arrachait au réseau de la reine et l’incorporait dans le sien, faisant sursauter l’individu, qui se joignait alors à nous.

Arrivés à une grande salle, nous vîmes la reine, entourée du reste de l’essaim. Les changelins que le Windigo avait arrachés à l’emprise de la reine le suivaient tels des fourmis, notre équipe en tête. Ceux dont notre reine gardait le contrôle se massaient autour d’elle. La grande Changeling faisait face à l’équidé fantôme dans la noirceur luisante des souterrains. Nous pouvions voir maintenant les émotions et les pensées de la grande changeline s’évaporer autour d’elle, comme nous pouvions voir celles des poneys que nous chassions. Elle sentait que quelque chose lui échappait. L’esprit du Windigo touchait le sien pour s’y infiltrer et elle pouvait sentir le lien qui l’unissait aux Changeling qui le suivaient, tout comme elle était liée à ses propres enfants. Il regardait notre reine comme un loup guettant sa proie, la convoitise brillant dans ses yeux. Elle sembla alors comprendre que ceux de ses enfants qui le suivaient l’avaient mené à elle. La créature fantôme inspirait, de la même manière qu’elle aspirait l’amour que ses sujets récoltaient pour elle. Mais qu’espérait-il pouvoir absorber d’elle ? Par de l’amour, mais alors quoi ?

Une voix grave et sourde se leva alors dans son esprit, comme si la chose lui murmurait à l’oreille.

“La colère… tu en es emplie. De la colère contre tes ennemis, mais aussi contre tes propres enfants. Ils ont pu la sentir, tu sais ? Ceux auxquels tu as ordonné de m’étudier. Je leur ai appris à le faire, et ils m’ont apporté la tienne. Et je sens, maintenant, que tu en as encore beaucoup en toi.”

Avant de lui laisser le temps de l’attaquer, elle chargea sa corne et s’apprêta à tirer, mais déjà elle se sentait vidée par la colère que le Windigo lui arrachait. Aussitôt, ses fidèles changelings massés derrière elle lui envoyèrent tout ce qu’ils conservaient encore d’amour en eux. En réponse, nous firent de même avec ce qui nous restait de colère, renforçant encore l’emprise écrasante de notre nouveau maître. Comme Célestia lors de leur précédent duel, Chrysalis vit le rayon filer vers sa corne, avant d’exploser et de la projeter au sol, sonnée et vidée de ses forces. Le Windigo se cabra pour hennir, victorieux. Il s’avançait déjà pour marcher sur la notre ancienne reine, mais les d’autres changelings encore fidèles bondirent en vrombissant pour la couvrir de leur corps et l’emmener hors de portée. Le nouveau maître de la ruche les suivit du regard alors qu’ils filaient au loin, mais il ne fit pas un geste pour les suivre. Il respira à nouveau, museau levé, ses yeux fantomatiques brillants de son nouveau pouvoir, tandis qu’il étendait son esprit aux quatre coins de la forteresse de résine.

“Vous avez un nouveau roi, et vous récolterez désormais un nouveau nectar auprès des poneys. Préparez-vous, mes nouveaux enfants.”

Et tous, tel un seul corps, nous nous agenouillèrent devant lui, avant de partir préparer l’assaut.

Celestia leva le regard vers l’horizon, où le petit amas de points sombres approchait. Ses gardes l’entouraient, prêts à la défendre, mais elle leur fit signe de rester immobiles. Ce n’était de toute évidence pas une attaque. Lorsque la reine changeling et son escorte se posèrent sur la terrasse du château, l’Alicorne blanche s’avança vers elle, tête haute.

“Je suis étonnée de te voir. Pour quelle raison laisses-tu ton essaim seul pour venir me voir ainsi, en plein jour, sans masque et sans armée ?

- Je n’ai plus ni essaim ni armée. On me les a arrachés. Et celui qui l’a fait fera bientôt de même avec ton royaume, puis tous les autres dans ce monde. Sauf si tu m’aides.

La Princesse Céleste sembla réfléchir, étudiant la changeling en face d’elle. Pour autant qu’elle pouvait le voir, elle ne mentait pas. Et c’est ce qui était d’autant plus troublant.

- Viens me parler de tout ça à l’intérieur et… Sous déguisement. Je suis curieuse de savoir qui a pu te vaincre, si la magie de ma nièce n’y est pas parvenue.

La reine détrônée ricana, regardant la Princesse Solaire dans les yeux.

- Vous le connaissez bien, vous, les poneys… Cette créature est un Windigo.”

THE END