Au final, je ne sais rien de la souffrance. Je pourrai me torturer, brûler ma peau, arracher mes membres, cela ne changerait rien, je n'apprendrai rien sur elle. D'ailleurs, personne ne peut comprendre ces choses là.
La douleur physique est un souvenir, un mythe, elle agit d'abord sur votre corps, mais c'est souvent sur votre esprit que la blessure se voit le mieux. Si vous vous souvenez d'une souffrance physique, c'est parce qu'elle se insinué dans votre âme pour la noircir un peu plus.
Laissez moi vous le dire, quelle que soit sa force, la souffrance est une banalité. Habituez vous à elle dès maintenant. On ne sort pas indemne de ce genre d'expérience.
« Mon œil ! Qu'est ce que vous faites ? »
La douleur déchirait mon crâne. J'étais couché sur une table, tremblant et hurlant alors qu'un pégase me donnait les premiers soins.
« Mais tenez le moi bon sang! »
On m'a écrasé la tête contre la table pour l’empêcher de bouger, mes pattes étaient secouées de spasmes chaotiques mais cela ne gênait pas le médecin improvisé de mener son opération.
« Encore un effort, j'y suis presque ! »
Un hurlement rauque, gorgé de douleur noire résonna dans la pièce alors que le morceau de bois sortait de mon œil. Dans une tornade hurlante, mes pensées s'enfuirent par ce trou dans mon corps. Mon esprit commençait à se tordre, j'ai hurlé avant de sombrer dans l'inconscience, le marais puant des nuits sans rêves.
J'avais encore perdu quelque chose. Mes sentiments s'étaient dilués dans un grand chaudron d'acide, je me sentais comme mutilé.
Je n'ai pas du dormir très longtemps. Mon œil écrasé et crevé était parcouru d'une douleur électrisante mais j'étais assez lucide pour examiner mon environnement. Encore couché sur la table d'opération, j'avais une vue superbe sur le toit pourri et vermoulu du baraquement. Il faisait très noir, je ne voyais que les braises ardentes d'un feu autour duquel des pégases dormaient.
Un tremblement a traversé ma patte droite, ont m'avait piqué. Surpris, j'ai me suis immédiatement tourné vers elle.
Ma surprise fut encore plus grande lorsque j'ai pu voir celui qui avait fait ça.
« Doc ! Heureux de te voir ici !
- Moi aussi Red, je t'ai injecté un calmant pour ton œil.
- Que se passe t-il exactement ? On est où ?
- Dans la cave où tu te cachais, les pégases ont capturé ce gars là. »
Le doc a tendu le sabot vers un silhouette couché dans un tas de paille.
- Une licorne ? Ai-je dis.
- Exact, il t'a porté sur son dos jusque ici.
Hilare, j'ai lancé : - Quoi ? Une licorne a touché un terrestre et ce n'était pas pour le frapper ? Le monde est fou...
Le doc a ri avec moi : T'inquiète pas, ce gars est pas les autres licornes.
- Ciel, un anarchiste. »
Le silence s'est fait entre nous.
Le doc s'est adossé contre le long d'un mur : « Tant de pégases par ici ! A croire que tous les esclaves de Ponyville vont retrouver leur liberté aujourd'hui. »
J'ai voulu parler mais tout s'était arrêté dans mon corps. Je pensais à ce qu'il avait en dehors de Ponyville, à la liberté. Tout cela me semblait lointain, flou, impossible, contre nature. Une fureur tremblante est montée en moi comme un geyser.
« Je vais crever n'est ce pas ? »
Le doc parut interloqué.
Je sentais un brasier ardent dévorer mes entrailles.
- Je vais mourir dans cet ville, je le sais, pourquoi est se que je devrais le cacher ? Je suis
juste un cadavre !
Le médecin était bouleversé, le visage tordu par l'incompréhension, il bafouilla : - Red... mais qu'est se qui t'arrive ? C'est stupide de dire ça ! »
Mais la rage continuait, c'était une colère sans but, elle voulait détruire des choses.
J'ai presque hurlé: « Ce n'est pas stupide ! C'est la vérité ! Et d'ailleurs, pourquoi tu continue à nous aider ? Tu ne voudrais pas finir exécuté tout de même, non, ce ser... »
Je n'avais pas vu le coup venir, il s'était soudainement jeté sur moi pour me frapper au visage.
Le doc m'avait souvent dis qu'il existait des gens comme lui, des résistants qui combattaient Licornia, souvent au prix de leurs vies. Je savais que cela comptait énormément pour lui mais la grande colère avait fait table rase sur ces choses là et je l'avais insulté dans un point douloureux.
« Ça suffit ! Arrêtez ça tout de suite ! »
Un pégase s'est interposé entre moi et le médecin. Le doc avait les yeux plein de haine lorsque qu'il m'a lancé ce regard plein de dégoût, de déception, droit dans les yeux.
A ce moment là, mon esprit n'était plus qu'une grosse machine à laver. Il tournait et remuait dans tous les sens dans un grand bruit de fusée au décollage.
La porte du baraquement s'était brusquement ouverte, les gars qui sont entrés gueulaient comme des fous. Sans que je puisse comprendre ce qui se passait, on m'avait jeté par terre.
« Un médecin ! On a besoin d'aide ! »
Mais là, la face étalé sur la poussière, je plongeais, impassible, dans des abysses lointaines et profondes. Je ne sais rien du produit que m'a injecté le doc mais je connais des gens qui adoreraient en posséder une ou deux seringues.
Je ne pensais plus à rien. La réalité venait de se briser le crâne sur cette maudite seringue.
Lorsque j'ai ouvert l’œil, je me trouvais encore sur le sol. Doucement, je me suis levé, une fanfare licornienne semblait danser dans ma tête.
Couché sur la table, le souffle faible, le visage strié de souffrance, sans rien dire, le pégase lutait contre son corps, contre ce membre meurtri entouré d'un bandage, il avait l'air trop jeune pour avoir déjà perdu une patte. Je pensais à mon œil, une preuve de compassion sans doute.
Les pégases fumaient près du feu, le regard vide, l'air lassé. Je me suis assis à leurs côtés, sans un bruit. D'abord, il ne se passa rien. Personne ne m'avait calculé, ou alors on m'ignorait mais peu de temps après, la voix d'un vieux pégase brisa le silence.
« Il faut attendre, juste attendre.
Intrigué, j'ai dit : - Attendre ? Attendre quoi ?
- Les licornes, elles sont là, autour de nous. J'ai envoyé trois soldats voir dehors, ils ne sont pas tous revenus en entier. »
J'ai tourné la tête vers le blessé, un frisson m'a traversé le dos.
J'ai dit : « Et... Qu'allons nous faire ?
- Il n'y a rien à faire, nous allons juste attendre. »
Beaucoup de gens à Ponyville ont déjà tenté de s'échapper. Longtemps on m'a proposé de participer à ces évasions. Longtemps j'ai pu voir les fuyards, capturés, revenir à Ponyville, direction la mine. La mine était grande, elle pouvait largement accueillir tous ceux qui aurait le malheur de rater leur évasion. Cet endroit me donnait des sueurs froides, c'était la mort assurée une fois qu'on entrait dans ces tunnels dévoreurs de chair. Cette chose m'avait persuadé que jamais je ne pourrai m'évader.
« Regardez ! »
Le pégase avait crié, désignant un mur du baraquement où de la lumière s'échappait. Nous nous sommes approchés du mur et avons collé nos museau contre le bois pour mieux voir à travers les lattes.
« L'aube, a dit le vieux pégase. »
Le brouillard s'était levé, on voyait les rues délabrées, vidées de toute vie. J'étais devenu minuscule, à la merci du monde et de ses dirigeants. A ce moment là, j'ai su se qui allait se passer.
« Ils sont forts, ils vont nous tirer de notre trou, nous débusquer comme des renards, parce qu'ils le peuvent, parce que c'est Licornia, je vais perdre quelque chose que je ne retrouverais jamais, pour le moment je ne m'en rends pas compte mais un jour je contemplerai les cicatrices sur mon esprit et je comprendrai. »
Nous furent tous capturés. Les pégases opposèrent peu de résistance mais les casques noirs ne se privèrent pas de les passer à tabac. Puis tout recommença.
J'étais redevenu un esclave docile et travailleur, qu'allait il se passer à présent ?
Non. Je savais déjà ce qui allait se passer.
Quand je suis arrivé dans cette ville, j'ai su que pour un long moment. C'est un esprit obstiné dans la survie qui s'est forgé en moi, si obstiné qu'il en avait oublié tout le reste. Il était temps que les choses changent.
J'ai dit, tout bas, pour m'en persuader : « Je ne mourrai pas ici. »
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