Doutes

Octavia referma violemment la porte d’entrée derrière elle. Elle posa son instrument sans délicatesse sur son présentoir et s’affala dans le canapé. Vinyl s’approcha d’elle avec une tasse de thé. Elle lui fit un petit sourire pour essayer de lui remonter le moral. Ce n’était pas la première fois que son amie et colocataire revenait de Canterlot dans cet état.

“Merci,” commença la jument grise en attrapant la boisson.

La licorne blanche s’assit à côté d’elle, la fixant comme si elle attendait quelque chose.

“Tu veux savoir ce qu’il s’est passé à Canterlot ?” reprit la terrestre. “Rien de particulier.”

Elle se leva et partit vers sa chambre. Elle n’avait pas atteint le couloir que son chemin fut bloqué par Vinyl. Son regard, même au travers de ses lunettes, laissait comprendre à Octavia qu’elle ne s’en sortirait pas cette fois sans vraiment discuter avec sa colocataire.

“Je ne vais pas y échapper ?” demanda-t-elle avec un soupir.

La licorne lui fit un non de la tête avant de lui pointer du sabot le canapé.

“Si tu insistes, mais ce n’est pas grand-chose. C’est juste que…”

La jument grise détourna les yeux, comme si ce qu’elle allait dire lui était douloureux. La DJ la prit dans ses pattes pour essayer de l’aider à se calmer.

“Vinyl, je crois que je suis un peu jalouse de toi.”

La licorne se redressa et la regarda bizarrement.

“Laisse-moi t’expliquer. Le gala où je suis allée s’est très bien passé, comme tous les précédents, mais à chaque fois, je me sens triste quand je repars. Tous ces poneys qui passent devant nous, sans même s’arrêter, me donnent l’impression que je n’existe pas, que je suis invisible.”

Vinyl se mit à chercher quelque chose dans la pièce, comme si c’était très important. Octavia lui lança un coussin qui lui atterrit sur la tête tout en laissant échapper un petit rire.

“Arrête de faire l’idiote, je ne suis pas capable de devenir invisible, je ne suis même pas une licorne. Pour en revenir à ce que je disais,” continua la jument grise en reprenant son sérieux, “c’est que je n’ai pas l’impression que mon travail, ma musique, soient vraiment appréciés. À chaque fois, c’est la même chose, les mêmes musiques encore et encore. Si je suis jalouse, c’est que tu es tellement libre dans ta musique. Tu n’es pas bloquée comme moi par des règles si rigides que je commence à sérieusement douter de mon envie à continuer de faire de la musique.”

Elle posa sa tête sur l’épaule de Vinyl qui était revenue s’asseoir à côté d’elle.

“Quand je viens te voir dans les clubs où tu passes ta musique, tu as l’air si heureuse, et voir tous ces poneys danser si librement, comme si ta musique était la seule chose au monde. Je t’envie Vinyl. J’ai envie de voir les poneys danser comme ça sur ma musique, j’ai envie de voir des poneys heureux au son de mon instrument. Tous ces poneys pour lesquels je joue ne me donnent jamais l’impression d’aimer ce que je fais. Même s’ils viennent me voir après pour me dire que c’était bien, ça sonne faux.”

Vinyl releva la tête de son amie tout en lui faisant un grand sourire. Elle se leva et se dirigea vers le violoncelle reposant sur son présentoir. Elle le souleva à l’aide de sa magie et commença à observer les cordes comme si elle essayait de se souvenir comment jouer de celui-ci. Octavia s’approcha de sa colocataire qui s’était mise dans la position pour jouer de l’instrument.

“Pose-le, s’il te plaît. Je n’ai pas envie que tu le casses.”

La licorne fit glisser ses lunettes le long de son museau, et regarda la jument grise d’une façon laissant comprendre qu’elle demandait si la terrestre était en train de se moquer d’elle. Elle prit l’archet dans son sabot, et le laissa courir sur les cordes. L’instrument produisit des notes formant un arpège simple, mais maîtrisé.

“Désolée,” s’excusa Octavia en baissant la tête. “J’avais oublié que toi aussi tu avais suivi ces cours de musique.

Vinyl reposa délicatement le violoncelle et poussa son amie vers ses platines, l’obligeant à monter sur la petite estrade devant celles-ci.

“Vinyl, je ne sais pas me servir de tout ça. Tu as mis des années avant de les maîtriser, et je ne suis pas sûre de pouvoir faire quelque chose de correct avec toutes ces choses.”

La licorne vint se placer à côté d’elle et se mit à lui montrer l’utilité de chaque partie de son installation, invitant à chaque fois la terrestre à essayer elle-même. Après quelques minutes de tentatives, Octavia voulut descendre de l’estrade avant d’être arrêtée par Vinyl. Celle-ci la souleva avec sa magie et posa ses sabots sur les platines, son regard dur faisant bien comprendre à Octavia qu’elle n’avait pas le choix.

La DJ retourna à l’endroit où Octavia avait l’habitude de répéter avant un concert ou une réception importante. Elle reprit l’instrument entre ses pattes et commença à jouer, invitant son amie à l’accompagner avec les platines. Octavia appuya diverses touches à côté des disques, mais avait du mal à saisir réellement comment utiliser tout ce matériel.

Elle essayait de répondre à chaque phrase mélodique que faisait Vinyl, mais bien que le rythme soit bon, la plupart des sons sortant des enceintes étaient dissonants. Au bout de plusieurs minutes d’efforts infructueux, elle décida d’abandonner. Elle reposa ses pattes au sol, les oreilles basses. Vinyl raccrocha le violoncelle et se dirigea vers la terrestre, la prenant dans ses sabots. Après quelques secondes où Octavia retenait des larmes d’exaspération, la licorne relâcha son étreinte et lui fit signe de l’attendre là. Elle partit dans sa chambre d’où elle revint avec un clavier. Elle enleva les platines et les remplaça par ce synthétiseur. Après avoir branché les nombreux câbles reliant l’installation, Vinyl invita son amie à reprendre place, cette fois-ci devant un instrument qu’elle connaissait.

Octavia s’arrêta en voyant l’inscription sur le clavier qui avait été retracé plusieurs fois. Les touches étaient clairement usées, prouvant que celui-ci avait été beaucoup utilisé au cours des dernières années. L’une des touches noires était neuve, et devait avoir été remplacée il y a peu de temps.

“C’est celui que je t’ai offert quand tu es partie de l’école ?” demanda-t-elle avec des sanglots dans la voix.

Elle n'eut pour seule réponse qu’un hochement de tête. La licorne recommença à jouer du violoncelle, attendant que son amie réponde à chacune de ses phrases, mais celle-ci était en train de regarder l’inscription sur le clavier avec des larmes sur le coin des yeux.

“N’oublie jamais ta passion pour la musique,” lut la musicienne en tentant de garder un semblant de maîtrise d'elle-même. “J’avais vraiment peur que tu arrêtes de faire de la musique quand tu as quitté l’école. Tu avais l’air vraiment mal à l’époque. Je pensais que tu ne t’en étais jamais servi.”

Vinyl lui fit plusieurs signes pour essayer de lui faire comprendre qu’elle était en train de vivre la même chose qu’elle, et qu’il fallait juste qu’elle retrouve cette passion qui lui manquait aujourd’hui.

“Tu as raison. Je ne devrais pas faire autant attention à ce que pensent les autres.”

Vinyl lui répondit par un grand sourire. Elle se remit encore une fois à laisser courir l'archet sur les cordes de l’instrument, mais cette fois, Octavia réussit à jouer en harmonie avec elle. Chaque note jouée par l’une des deux musiciennes se faisait répondre par une autre parfaitement choisie. Les deux juments restaient dans un style classique, le clavier produisant le son d’un piano. Octavia finit par tenter par un appui sur une pédale, ce qui fit sortir un bruit de batterie des enceintes. Elle appuya sur un bouton sur le synthétiseur, et un rythme simple de caisse claire se mit à passer en boucle pendant que Vinyl s'amusa à improviser des enchaînements de notes sur le violoncelle. Après que la terrestre ait appuyé sur d’autres boutons, le synthétiseur se mit à changer de sonorité, passant sur des tons bien plus électroniques.

Un grand sourire venait de se dessiner sur la bouche de la violoncelliste. Elle se laissait aller à la musique, ne faisant plus attention à ce qui l’entourait. Vinyl s'arrêta de jouer pour écouter son amie s’amuser à faire courir ses sabots sur le clavier. Elle était heureuse de voir autant de joie sur le visage d’Octavia. Assez rapidement, la jument grise s’accorda à fredonner un peu, rajoutant quelques sons à la musique qu’elle était en train de créer. Sa tête battait le rythme, ses yeux restant fermés pour se laisser envahir par l’ambiance électrique qui avait envahi la pièce. Elle passa plusieurs minutes avant de s'apercevoir qu’elle jouait en solo. Elle s’arrêta à son tour, légèrement gênée. Elle ne s’était plus laissée aller comme cela depuis le mariage de Crancky et Matilda, qui remontait à une éternité pour elle.

Elle descendit de l’estrade pour serrer la licorne blanche dans ses pattes, avant de lui dire simplement : “Merci, c’est exactement ce dont j’avais besoin.”