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Érosion

Une fiction écrite par Acylius.

Chapitre unique

Aujourd’hui était un grand jour pour Twilight. Normalement, elle aurait dû se rendre à ses cours de langues et de magie mais, lorsqu’un mot d’excuse de la princesse avait prévenu les professeurs qu’elle n’y serait pas, aucun n'avait pensé une seule seconde à en discuter. Cependant, elle devait se mettre sur son trente-et-un afin de donner la meilleure image possible d’elle même. Une grande personnalité allait faire son arrivée à Canterlot. Même si Célestia lui avait dit que Namar n’était pas du genre à donner trop d’importance à ce genre de détails, mieux valait ne pas se laisser aller.

Elle ne s’inquiétait pas pour Spike, ce dernier allait se prélasser dans la bibliothèque royale dans laquelle Twilight résidait, en lisant des bandes dessinées ou en dormant. Le dragonnet n’avait même pas fait attention lorsque la jeune licorne l’avait prévenu qu’elle était dispensée de cours et qu’elle serait de retour plus tôt. Mais sur la route, un sentiment d’inquiétude lui traversa l’esprit. Même si Spike n’était pas aussi bête qu’un dragon sauvage, il était toujours partant pour avoir de mauvaises idées afin de tromper son ennui, de quoi s’attendre à retrouver sa bibliothèque sans dessus-dessous.

L’invité devait normalement arriver en fin de matinée mais, en levant la tête, la licorne mauve vit une étrange machine vers l’horizon : un ballon dirigeable, beaucoup plus gros et sombre que ceux qu’il était parfois possible de voir autour de la citadelle, crachant de la fumée à l’arrière. Pas de doute, il s’agissait bien des bouquetins faisant leur arrivée. Twilight pressa alors le pas pour monter vers la zone d’amarrage, située plus haut en amont de la montagne, non loin du château.

Dans la grande cabine de l’engin, l’équipage entier était en activité, se préparant à ralentir pour accoster. Certains bouquetins étaient impatients à l’idée de visiter la capitale d’Equestria, alors que d’autres étaient tout bonnement pressés de repartir chez eux. Quant à Namar, il était impossible pour qui que ce soit de dire si cela le réjouissait ou pas.

Célestia était déjà sur le pont de débarquement, escortée par deux gardes, un grand sourire sur le visage. Le vieux bouquetin était un ami de longue date, qu’elle avait rencontré de nombreuses fois à l’occasion de visites chez l’un et l’autre. La seule différence était que, cette fois-ci, il venait seul.

Twilight arriva à ses côtés, légèrement essoufflée après sa course dans l’escalier. Le dirigeable n’était plus qu’à une centaine de mètres, laissant le temps à la petite jument de se remettre convenable.

- Tu n’as pas à te tracasser, ma chère élève, rassura la grande alicorne. Il n’est pas du genre à s’attarder sur ce genre de détails.

- Je tiens quand même à montrer que nous ne sommes pas un peuple négligent.

- Il le sait, voyons. Ce n’est rien d’autre qu’une visite de courtoisie. Personne n'a à prouver quoi que ce soit.

- C’est... C’est quand même la première fois que je rencontre le dirigeant d’un autre pays !

- Rassure-toi, fit la princesse en se baissant pour lui donner une légère caresse avec le cou. C’est un bon ami, il sera ravi de faire ta connaissance, et je n’ai aucun doute sur toi en ce qui concerne ton comportement.

Si c’était Celestia qui le lui disait, alors autant se fier à elle et ne pas s’en faire. Mais même ça, la licorne avait du mal à y arriver. Le nœud dans son ventre ne fit que se resserrer lorsque l’ombre du dirigeable les recouvrit alors qu’il approchait du pont pour doucement y accoster. La jeune ponette sursauta lorsque la porte de la cabine s’ouvrit pour tomber lourdement sur le plancher afin de faire office de passerelle. Deux bouquetins en armure chacun muni d’une lance se postèrent de chaque côté. Une grande silhouette sortit de l’ombre, plus imposante. Rien qu’en observant les anneaux dorés qui décoraient ses grandes cornes, sa tunique sombre et sa barbe châtain qui touchait presque le sol, Twilight comprit de qui il s’agissait. Elle se courba aussitôt, ne laissant même pas le temps au visiteur de voir son visage. À côté d’elle, Célestia s’avança, un sourire aux lèvres, avant d’incliner poliment la tête.

- Bienvenue à vous, cher ami, salua-t-elle. J’espère que le voyage aura été agréable.

- Un plaisir, répondit le bouquetin en courbant également l’échine.

Il n’y avait pas de chaleur dans sa voix et aucune expression n’était visible sur son visage. Revoir Célestia lui réchauffait certes un peu le cœur, mais pas suffisamment pour le mettre en joie. Et ça, la princesse solaire savait pourquoi. Cependant, le moment n’était pas venu pour aborder le sujet.

- Permettez-moi de vous présenter quelqu’un de très spécial, reprit l’alicorne. Voici ma nouvelle élève, Twilight Sparkle.

Sans gêne, elle invita la jeune jument à s’avancer devant le grand cornu. D’un pas timide, la licorne mauve se rapprocha avant d’à nouveau courber l’échine.

- C’est un grand honneur de faire votre rencontre.

- Continuez à vous baisser comme ça et vous finirez par vous bloquer le dos, retourna-t-il.

Sans tarder, la ponette se remit droite et commença à s’excuser, sous les rires étouffés de la grande alicorne.

- Elle est la plus dévouée et plus brillante de mes élèves, complimenta Célestia. Je suis certaine que, plus tard, elle fera de grandes choses.

- Je vois que vous surveillez toujours vos élèves d’aussi près, répondit le bouquetin.

- Dès leur plus jeune âge, répondit la princesse. Et pour ce qui est de notre très chère Twilight, elle a su me montrer son potentiel sans même s’en rendre compte.

- Mon seul et unique objectif pour le moment est de poursuivre mes études, ajouta la petite jument, dont les joues se teintaient de rouge.

Le grand bouc ne répondit pas, laissant Twilight encore un peu plus dans l’embarras, jusqu’à ce que Célestia la sorte du pétrin en proposant de se mettre en route vers les jardins.

 

***

 

Les parcs et les jardins du château, comme à leur habitude, resplendissaient de couleurs et de verdure. Nul hiver ne sévissait jamais ici, de sorte que la flore offrait en permanence aux visiteurs le spectacle printanier de ses fleurs aux milles teintes et aux milles parfums, au milieu des plantes aux feuilles rondes et des animaux qui vivaient là, insouciants, comme à l’état sauvage. Même Namar, avec ses yeux noirs noyés dans les cernes et les rides, ne pouvait qu’apprécier la promenade, bien qu’il n’en laissât rien paraître. S’il y avait bien une chose qui lui manquait, au milieu des rocailles grisâtres de Caprésia, c’était un lieu comme celui-là. La vérité, c’est qu’il ne montrait pas à quel point cela le réconfortait de se trouver en ce lieu, en compagnie de Célestia.

- Canterlot est plus verdoyante que jamais, commenta l’alicorne. Tout Equestria est à l’image de ces jardins : florissante et en paix. J’espère qu’il en est de même chez vous.

- Rien de différent, répondit-il. Les Diamond Dogs continuent à harceler nos frontières, mais ça, nous en avons l’habitude.

- Si vous avez besoin d’une quelconque aide…

- Je crains que ce soit là quelque chose contre lequel vous ne puissiez rien, sauf votre respect.

Après encore quelques minutes de marche, ils quittèrent les jardins, mais au lieu de prendre la direction du château, ils se dirigèrent vers la ville. Twilight, qui suivait toujours en silence les deux monarques, nota que les gardes solaires ne les escortaient plus, pas plus que les soldats caprésiens. En même temps, qui aurait l’audace de s’en prendre à l’alicorne solaire et à son invité ? La paix régnait et le risque d’attentat contre l’un ou l'autre était quasi nul. De toute façon, elle savait d'expérience que les pégases de la garde ne devaient pas être loin, surveillant attentivement leurs faits et gestes depuis les hauteurs. Les passants qu’ils croisaient se prosternaient devant le petit groupe avant de reprendre le chemin, sous le regard bienveillant de leur princesse, alors que le vieux bouc se contentait d’un coup d'oeil distrait.

- Toutes ces courbettes… murmura-t-il juste assez fort pour que Célestia l’entende. N’en avez nous jamais assez ?

- Même si je leur demandais d’arrêter, ils continueraient, répondit tranquillement la princesse, sans cesser d’adresser ses sourires et ses saluts aux poneys courbés devant eux. Et après tout, quel mal y a-t-il à cela ?

- J’ai assez vu de gens se plier en deux devant moi dans ma vie. Ils s’inclinent comme ils le faisaient devant mon père, et le sien avant lui, et ainsi depuis des siècles. Et cela continuera lorsque je ne serai plus, pour mille ans encore.

- Ne parlez donc pas de ces choses. Les temps changent, et les gens avec.

- Soyez réalistes, Princesse, fit-il d’un ton brusque. Je suis vieux. Chaque jour, je mets de plus en plus de temps à me lever, mon corps me fait de plus en plus mal, et certains souvenirs s’effacent de ma mémoire. Mon temps est compté, je le sens, mais je semble être le seul à le voir. Mais ça, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est.

- Je comprends tout à fait, répondit Célestia avec sérénité malgré la nature sinistre de la conversation. Comment croyez-vous que mes sujets se comportent avec moi ? Quand le temps passe et que vous restez là, sans rien pouvoir faire d’autre que de voir les êtres chers que l’on connaît nous quitter…

Elle adressa un regard appuyé au vieux monarque, qui soupira tristement.

- Josana était une merveilleuse compagne autant qu’une bonne amie, continua la princesse. Nous la regrettons tous.

- Je vous remercie, fit-il d’un ton sensiblement plus doux. Son départ fut paisible, c’est là le mieux que l’on puisse espérer. Reste à voir combien de temps la destinée me réserve avant de me faire subir le même sort.

- Ne soyez pas si sinistre, tenta Célestia avec un sourire. Nous passerons encore de longues années ensemble, j’en suis certaine.

Alors qu’ils arrivaient à la place qui faisait face au château, un groupe de poneys vint à leur rencontre. En tête se trouvait une licorne mâle au pelage blanc et aux crins bleus, portant un costume et un monocle. Il était accompagné par ses semblables, mais aussi par des terrestres ainsi que des pégases, tous habillés de manière à bien montrer qu’ils étaient de la haute société.

- C’est un grand honneur pour moi de faire votre connaissance, salua Fancy Pants en se courbant.

Tandis que la riche licorne présentait les autres poneys au monarque, Célestia se pencha vers Twilight, restée en retrait.

- Mieux vaut que je te dispense de cette ennuyeuse balade, lui dit-elle pendant que Namar s’éloignait avec les autres. Tu peux retourner à tes occupations, à présent.

- J’ai trouvé cette rencontre tout sauf ennuyeuse Princesse ! Et, normalement je devrais être en cours...

- Alors pourquoi ne profites-tu pas de ce temps libre pour te reposer un peu ?

Sans laisser le temps à son élève de répondre, l’alicorne blanche rejoignit le groupe, la laissant seule derrière elle. La petite licorne resta sur place pendant un instant avant de se mettre en route pour la bibliothèque. Après tout, sa priorité était de réviser. Célestia avait d’ailleurs raison en lui disant de se reposer car, ce soir-là, elle avait prévu de veiller tard pour observer les étoiles. Sur le chemin, elle repassa en revue les paroles qu’elle et Namar avaient échangées ainsi que ce qu’elle l’avait entendu dire à Célestia. À aucun moment il n’avait souri, comme si toute cette visite l’ennuyait ou le contrariait. Cela ne ressemblait guère au portrait que Célestia lui en avait dressé. Elle l’avait décrit comme quelqu’un de sérieux, certes, mais aussi charmeur et souriant. La princesse avait beau l’avoir prévenue qu’il avait changé depuis le décès de son épouse, elle ne s’attendait pas à ça. Était-ce sa faute ? N’avait-elle pas été à la hauteur ? Était-ce pour ça que Célestia l’avait renvoyée à ses occupations, comme pour se débarrasser d’elle ? Tout un tas de questions tourmentaient l’esprit de la licorne, mais elle savait que l’anxiété et le stress ne la mèneraient nulle part. Elle n’eut de tout manière pas l’occasion d’y penser davantage car toutes ses questions s’envolèrent aussitôt qu’elle entra chez elle et qu’elle posa les yeux sur le capharnaüm qui y régnait. Des livres étaient éparpillés sur le sol, fumant ou terminant de se consumer. Le télescope était renversé et de la suie encrassait les vitres et les fenêtres. Pas la peine de chercher plus longtemps la cause et l’origine de tout ce remue-ménage.

- SPIIIIIIIKE !!!

 

***

 

Canterlot avait beau respirer le calme et la tranquillité, la parcourir à patte au milieu des bourgeois était tout sauf une promenade de santé. Namar venait d’en faire les frais : avec le groupe de nobles, le bouquetin avait visité la plupart des grands lieux de la capitale ainsi que les manufactures, les boutiques renommées et les monuments, sans oublier de rencontrer les poneys importants de la ville. Il savait cependant que c’était là un des ingrédients incontournables de toute visite officielle, il s’était donc appliqué à hocher la tête et approuver avec le minimum d’entrain requis, même face à des choses qu’il connaissait déjà.

Le soleil commençait maintenant à se coucher, et enfin, l’Ibex était de retour au château. Il avait le temps de se reposer un peu, mais étrangement, malgré son âge et la fatigue accumulée depuis son arrivée, dormir était la dernière chose qu’il avait envie de faire, même après cette longue journée.

Il regagna les jardins royaux, attiré par le calme. Les oiseaux diurnes chantaient leurs dernières notes avant de retourner à leurs nids, peu à peu remplacés par les hiboux et autres animaux nocturnes. Par dessus les arbres, Namar aperçut, du haut d’une des tours du château, Célestia qui faisait luire sa corne pour abaisser son astre et lever celui de sa sœur. Le vieux bouquetin savait, naturellement, que la silhouette équine que dessinaient les cratères gravés à la surface de l’astre d’argent n’était pas le fruit du hasard. Même depuis son propre royaume, il pouvait l’observer chaque soir. Il lui arrivait parfois de penser que, si les excès de la magie n’avaient pas eu raison de la princesse de la nuit, il aurait pu un jour voir une autre alicorne lever dans la pénombre une lune toujours claire et lisse.

Un bruit étrange sortit le grand bouc de ses songes. En tournant la tête, il remarqua, plus loin sur la pelouse, une petite jument occupée à soupirer et à grommeler face à une longue vue. Visiblement, l’élève la plus douée de cette chère Célestia avait elle aussi passé une journée fatigante. Sans se presser, le grand bouc s’approcha en silence, dissimulé dans les ombres du soir.

 

Logiquement, Twilight aurait dû être au chaud dans sa bibliothèque pour observer tranquillement les étoiles, aidée par ses livres et ses cartes afin de mettre aisément le sabot sur les constellations qu’elle cherchait, mais c’était sans compter sur Spike, qui était tombé sur la réserve de gemmes et s’était lui-même collé une indigestion capable de le transformer en mini lance-flammes. Il était encore très jeune certes, mais il restait quand même une créature aux pouvoirs énormes et il lui arrivait souvent de ne pas savoir les contrôler.

Elle avait passé la journée à tout ranger et nettoyer mais elle n’avait pas eu le temps de remettre en était son télescope, si bien qu’elle avait dû en emprunter un plus petit. C’était tout sauf pratique, sans compter qu’elle n’avait plus ses points de repère ni ses notes pour s’aider. Elle devait chercher à l’aveugle, et rien que cette idée lui donnait envie de tout remballer et de rentrer chez elle pour se mettre sous ses draps.

- Un peu d’aide ?

Une voix avait surgi dans son dos, une voix qu’elle avait aussitôt reconnue. Elle se retourna et s’agenouilla aussitôt. Cette fois, l’Ibex ne se retint pas de montrer son agacement. Des poneys se courbant devant lui, il en avait vu toute la journée.

- Pitié, cessez donc de vous coucher au sol à tout bout de champ. Le faites-vous face à Célestia ?

- Euh… oui, avoua Twilight en se redressant. Enfin, quand je la rejoins le matin pour mes leçons, du moins.

Namar soupira, puis décida de passer à autre chose. D’un léger signe de tête, il désigna le télescope.

- Des choses intéressantes à observer, ce soir ?

- Non, pas vraiment, fit la ponette en grattant le sol de la patte. À vrai dire, je n’arrive même pas trouver l’étoile que je cherche, avoua-t-elle après avoir dégluti.

- Étonnant pour la meilleure élève de Celestia...

- D’habitude j’ai mes notes et mon télescope à moi, mais...

- Calmez-vous, ma chère, je ne fais que de plaisanter, dit-il avec cependant la même expression froide. Que cherchez-vous ?

- Euh... l’étoile Alpha de la constellation d’Orion, expliqua-t-elle. Encore faut-il que je la retrouve et, sans mes cartes...

Alors qu’elle lui sortait tout un tas d’excuses, le grand bouquetin observa le ciel, puis la direction dans laquelle la longue vue était orientée. Sans crier gare, il se rapprocha de l’engin puis le tourna vers une autre direction, ne laissant même pas finir la licorne qui, en temps normal, aurait hurlé au scandale rien que pour avoir tourné sa lunette de quelques millimètres.

- Je vous en prie, invita-t-il.

Doucement, la jeune jument s’approcha de la longue vue, tout près de l’Ibex. À sa grande surprise, elle n'eut qu’à faire un petit mouvement sur le côté pour avoir pile en face d’elle l’étoile qu’elle cherchait. Sa bouche grande ouverte suffit à Namar pour comprendre qu’il avait vu juste.

- Quand on est vieux comme moi, on a tout le temps d’apprendre à connaître les étoiles.

- Je suis confuse, bredouilla à nouveau Twilight. C’est juste que, et bien, Célestia m’avait un peu parlé de vous, et je me demandais si… Enfin, j’aurais voulu savoir…

- Et bien je vous écoute, fit-il en s’asseyant à côté d’elle. On m’a parlé de Canterlot et d’Equestria toute la journée, alors pour une fois que c’est à moi que l’on s’intéresse…

Twilight avait tout un tas de questions, mais elle était si intimidée qu’elle peina à chercher la plus convenable. La nuit tombante qui assombrissait encore davantage la silhouette du grand bouc n’arrangeait pas les choses.

- Lors de notre première rencontre, ce matin, j’espère ne pas avoir été de trop. Je veux dire... Tout a été si vite que j’ai eu l’impression que l’on s’est débarrassé de moi.

- Ce n’est pas en faisant la révérence à tout bout de champ qu’on s’impose dans la conversation, en effet, mais loin de moi l’idée de penser une chose pareille. Si Célestia n’avait pas jugé que votre présence était importante, elle ne vous aurait pas demandé d’être là. De plus, je pense que si elle vous a dispensé de la suite de la visite, c’était surtout pour ne pas vous ennuyer. Je la connais assez bien pour pouvoir l’affirmer.

- À ce propos, si je peux me permettre...

- Continuez, dit-il pour la mettre en confiance.

- Si vous connaissez si bien Equestria et la princesse, alors pourquoi est-ce que vous avez quand même accepté qu’on vous fasse visiter la ville, puisque que vous la connaissez déjà ?

- Le monde change beaucoup, même en quelques années. Une fois encore, j’ai rencontré à Canterlot différents poneys, dont les commerces et les entreprises font marcher votre royaume d’une tout autre manière. Mais pour s’en apercevoir, il fait avoir été là avant ; la différence est alors flagrante. Cependant, même une jeune personne comme vous doit déjà s’être rendu compte de la vitesse à laquelle les choses changeaient, parfois.

Même s’il avait dit ça d’un ton toujours aussi sinistre, le fait qu’il l’ait mentionnée réchauffa le cœur de Twilight.

- Depuis quel âge la princesse vous couve-t-elle sous son aile ? Je sais qu’elle recrute les licornes jeunes, mais cela m’a toujours intrigué.

- C’est si lointain, maintenant... C’est à peine si je savais me servir de ma magie, j’étais même sur le point d'échouer mon examen d'entrée dans l’école jusqu’à ce que je me mette à tout faire voler et transformer les choses sans le vouloir, dit-elle en pouffant de rire avant de se reprendre. D’après la princesse, je cache en moi un très grand potentiel. Je ne sais pas si c’est vrai, mais…

- Si elle le dit, alors ce doit être le cas, coupa-t-il pour la rassurer.

Twilight ne sut pas quoi répondre. Ce grand bouc l’intimidait, avec ses yeux noirs et ses cornes aussi grandes qu’elle. Il était le roi d’un pays entier, alors qu’elle n’était rien d’autre qu’une simple élève. Voyant que Twilight n’arrivait à rien d’autre que de sourire maladroitement, Namar décida d’alimenter lui-même la conversation.

- Dites-moi, en quoi consistent vos études exactement ?

- Oh, il y a beaucoup de choses, s’empressa de répondre la licorne. Principalement la magie, bien sûr, mais j'apprends aussi les langues et les mathématiques, qui sont très utiles en sorcellerie. C’est n’est pas très difficile, mais cela prend beaucoup de temps. Heureusement, c’est passionnant !

- Et dans quel but faites-vous tout ça ?

Twilight, désarçonnée par la question, se gratta le menton une seconde avant de tenter une réponse.

- Euh, et bien… J’ai toujours été très attirée par la magie et tout ce qui la concernait, tout simplement. Qui sait, peut-être qu’un jour j’enseignerai la sorcellerie à d’autres élèves, en essayant de leur transmettre ma passion.

Namar fronça les sourcils. Il n’était pas professeur, mais il ne pouvait pas croire que Célestia prenne sous son aile de si jeunes licornes sans savoir ce qu’elle en ferait plus tard. Mais cela, c’était avec elle qu’il valait mieux en parler. Il avait suffisamment effrayé cette jeune licorne pour aujourd’hui. Après un dernier moment de silence, il se releva, le regard plongé dans le noir de la nuit.

- Et bien, je vous souhaite tout le succès que l’on puisse espérer, jeune licorne, dans cette voie ou dans une autre. Il est temps pour moi de vous laisser, à présent.

Twilight, à la fois soulagée et déçue qu’il s’en aille, fléchissait déjà les pattes pour s’incliner, mais se retint juste à temps, se rappelant les remarques du bouquetin. Celui-ci s’en aperçut et, visiblement satisfait, lui adressa un faible sourire, son premier de la journée. Twilight sourit à son tour, rouge comme une pivoine.

- Bonne nuit, sire, fit-elle simplement.

Sans rien dire, Namar s’en repartit vers le château. En repassant à côté de l’entrée des jardins, il tendit le museau pour humer une dernière fois le parfum des fleurs, encore vivace dans la nuit. Devant lui, la silhouette du château se dressait, noire face au ciel étoilé. Seules quelques fenêtres étaient encore allumées. Une en particulier, à mi-hauteur d’un des tours les plus éloignées, attira son regard. Célestia l’attendait. D’un pas tranquille, il quitta la pelouse et s’engagea vers l’arche de pierre qui menait au hall. Nul besoin de guide ; il connaissait le chemin.

 

***

 

Le salon, grand et confortable, offrait une vue splendide sur la vallée qui s’étendait face à la ville, au sud de la montagne contre laquelle était bâtie Canterlot. Même plongés dans les ombres de la nuit, les éléments du paysage étaient encore reconnaissables, baignés par la douce lumière de la lune. Quelques kilomètres plus loin, une petite ville dressait ses toits de chaume à l’orée d’une forêt.

Namar avait pris place dans un gros fauteuil rouge, tandis que Célestia s’était allongée dans son canapé habituel, qui lui permettait d’étendre ses longs membres à son aise. Elle terminait de préparer le thé lorsqu’il était entré. Deux tasses étaient disposées sur le plateau d’argent, mais elle n’en avait remplie qu’une seule.

- Si je me souviens bien, vous n’avez jamais été un grand amateur de thé, fit-elle avec un sourire en coin.

Sans attendre de réponse, elle retourna la tasse vide contre le plateau, puis, par magie, ouvrit l’armoire la plus proche, dont elle sortit une bouteille emplie d’un liquide doré. Elle en servit aussitôt un verre, qu’elle fit flotter vers son invité. Celui-ci observa un instant l’objet qui lévitait face à lui, puis tendit la patte pour s’en saisir. Paupières closes, il inspira pour humer l’agréable parfum, puis prit une première gorgée, qu’il savoura longuement avant de l’avaler. Le bon cidre était, à son grand regret, une chose qu’on ne trouvait qu’à Equestria.

Pendant un long moment, tous deux restèrent silencieux, savourant leurs breuvages à petites gorgées, sans autre bruit que le craquement des bûches dans la cheminée. Au bout d’une minute, Célestia finit cependant par poser sa tasse.

- La journée n’aura pas été trop fatigante, j’espère.

- Ce fut une bonne promenade de santé, dit-il. Certaines choses valaient la peine d’être vues. L’institut de recherches en magie, par exemple. Plus un seul aspect de la vie de vos sujets ne semble pouvoir se passer de sorts ou de charmes, à présent.

- Et chaque jour, de nouveaux progrès sont réalisés, de nouveaux sorts sont inventés, et de nouvelles applications sont découvertes aux anciens, continua Célestia.

- Le progrès est une notion très relative, répliqua Namar.

Ce disant, il esquissa une légère grimace, qu’il dissimula en prenant une nouvelle gorgée. Peut-être était-il réellement fatigué, après tout. Cependant, la remarque de Célestia lui donnait l’occasion d’embrayer sur le sujet qui l’intéressait réellement.

- J’ai pu faire plus ample connaissance avec votre élève.

- Oui, je vous ai vus dans les jardins en train d’observer les étoiles. N’est-elle pas fantastique ?

- Je dois admettre qu’elle est très intelligente pour une petite de son âge. Mais ne trouvez-vous pas risqué d’enseigner une chose aussi délicate que la magie de manière aussi intense à de si jeunes élèves, aussi brillants soient-ils ?

- Au contraire, répondit Célestia d’un ton calme, sans cesser de sourire. En lui apprenant à maîtriser la puissance qu’elle possède en elle dès l’enfance, non seulement je ne m'inquiète pas pour plus tard, mais en plus j’ai la certitude qu’elle accomplira de grandes choses.

Elle avait dit ça en regardant le clair de lune, qui illuminant d’une douce lumière toute la vallée. Un millénaire auparavant, les nuits étaient bien plus lumineuses, avec un ciel composé de milliards d’étoiles. La voûte nocturne actuelle n’offrait qu’un bien piètre spectacle par rapport aux cieux que sa sœur avait autrefois l’habitude de composer. Mais cela, elle seule pouvait le savoir. Une vague de mélancolie traversa son regard, sans échapper aux yeux scrutateurs de l’Ibex.

- Vous avec jadis connu une autre jeune jument prometteuse, et cela a mal fini pour tout le monde. Vous ne pouvez pas l’avoir oublié. Votre sœur avait en elle au moins autant de magie que cette jeune licorne et voyez ce qui s’est passé lorsqu’elle s’est laissée emporter, dit-il durement.

- Ce qui est arrivé à Luna est uniquement de ma faute. Elle est le résultat de ma négligence passée et, chaque jour, elle me rappelle que je dois veiller sur mes proches. C’est pour cela que je veille à ce que Twilight ne tombe pas dans le même piège, tout comme je l’ai fait avec Cadence.

- Et qu’en est-il de cette autre brillante élève, cette fameuse Sunset Shimmer, dont vous m’avez tant parlé dans une de vos lettres ?

- Je m’étais trompée sur son compte. Elle n’a pas su se montrer à la hauteur de son talent. Elle s’est laissée aller à son ambition jusqu’à se perdre et la confiance que j’avais placée en elle n’a pas suffi à l’en détourner. Mais ce ne sera pas le cas de Twilight, je le sais.

- Vous ne me ferez tout de même pas croire que la même chose ne peut pas se produire. La source du danger est toujours plus proche de nous que l’on ne le pense et il suffit de peu pour que ce que vous croyez maîtriser échappe à votre contrôle. Tôt ou tard, votre belle et grande magie se retournera à nouveau contre vous. Vous vous servez du même pouvoir qu'utilisent tous les tyrans et les monstres de votre histoire. Combien de légende et de livres parlent de temps de malheurs où des milliers de poneys périssaient sous des êtres maléfiques avides de pouvoir, de magie et de chaos ? Et croyez-vous que les poneys aient été les seuls à en souffrir ?

- Et c’est pour cela que je m'attelle à la dure tâche de faire en sorte que tout cela ne se reproduise pas.

- Avez vous déjà essayé de ne pas vous en servir pendant ne serait-ce qu'une journée ? Ou bien vous et votre peuple en êtes-vous devenus dépendants au point de ne plus pouvoir vous en passer dans aucun aspect de votre vie ?

- Autant ordonner aux oiseaux de ne plus voler ou aux arbres de cesser de pousser. Ce sont là des problèmes auxquels il n’y a pas de solution. Tant que la magie existera, ce danger existera lui aussi. Et la magie ne cessera jamais d’exister, sous une forme et sous une autre. C’est elle qui fait tourner le monde.

- Pas le monde, ma chère. Votre monde. Le reste n’en a jamais eu besoin.

Le silence retomba. Dans l’âtre, une bûche se brisa en deux, produisant une gerbe d’étincelles qui illumina un instant la pièce. L’alicorne et son invité terminèrent tranquillement leurs verres, le regard tourné vers la nuit. Le lendemain, Namar repartirait chez lui, vers son royaume austère et gris, au milieu des cimes.

 

***

 

Très loin au nord-ouest, sous le manteau de terre et de roche qui couvrait la montagne, un groupe de mineurs, serrés dans leur galerie, donnait le dernier coup de pioche de la journée, et probablement de la saison. L’hiver s’annonçant précoce sur le haut plateau. Les premières neiges ne tarderaient pas à tomber, sonnant la fin de la période de prospection. Cela n’était pas sans réjouir les mineurs, pressés de retrouver leurs foyers après des mois d’absence. Le chef avait cependant insisté pour inspecter une dernière zone, à l’extrémité du plateau, et qui, d’après le géologue de l’équipe, contenait probablement des gisements de fer. Les mineurs, résignés, s’étaient dépêchés d’atteindre l’endroit et d’y creuser une galerie de sondage, mais sans résultat jusqu’alors.

- Vivement qu’on se barre enfin d’ici, grommela un des mineurs de tête, le pelage couvert de poussière. Raz-le-cul de ce fichu coin.

- Peut-être, mais en attendant, ça paie, et moi j’ai une femme, répliqua son voisin entre deux coups de pioche.

- Ouais, et tu t’imagines sans doute que, pendant que tu passes l’été à casser des cailloux à l’autre bout du pays, elle t’attend sagement à la maison ? se moqua son compagnon. T’auras bien de la chance si elle n’est pas allée voir ailleurs, histoire de… Ah, bon sang !

Un craquement de bois se fit entendre. Quand le colérique bouquetin releva sa pioche, il n’en restait plus qu’une moitié de manche. Le reste s’était brisé lorsqu’il avait cogné contre la paroi.

- Ma meilleure pioche, merde ! Et on a plus de manches de rechange !

- Attends, regarde un peu sur quoi t’as cogné, fit son camarade en approchant la lampe.

- M’en fous, on s’en va !

- Non mais regarde, c’est bizarre.

Il tenait entre ses sabots un fragment de la pierre contre lequel s’était brisé l’outil. C’était un matériau sombre, massif, vaguement rouge sous la faible lumière. Le mineur leva le morceau devant ses yeux, étonné.

- C’est quoi, un genre de régolite ?

- Non, ici ça se peut pas, grommela son compagnon en tapant de la patte contre la paroi.

- Il faudrait montrer ça au chef, tu crois pas ?

- Montre lui ce que tu veux, moi je mets les voiles, répliqua l’autre, qui rampait déjà vers la sortie.

 

Quelques heures plus tard, la galerie était fermée, mettant officiellement fin à la saison de prospection. Les derniers mineurs, leurs outils accrochés au flanc ou sur le dos, descendaient la pente rocheuse pour rejoindre la route, où les attendaient les chariots qui transportaient le gros du matériel ainsi que leurs provisions. Tous avaient hâte de se mettre en route et de rejoindre la capitale. Les yacks attelés aux véhicules grattaient le sol de leurs sabots, prêts au départ.

Dans le chariot de queue, dans l’espace exigu laissé vide au milieu des caisses d’échantillons, le géologue de l’équipe entamait l’écriture du rapport du jour, le dernier pour cette année. L’étrange morceau qui venait d’être découvert était posé à côté de lui, prêt à être rangé avec les autres échantillons. Aucun membre de l’équipe n’avait pu dire de quoi il s’agissait, ce qui en soi rendait déjà l’objet intéressant. Une fois de retour à la capitale, ce serait aux experts des mines de déterminer exactement de quoi il en retournait. Avec un, peu de chance, un de ces petits génies trouverait peut-être une utilité à cette étrange roche rougeâtre.

Une série de cahots indiqua au bouc que le chariot dans lequel il se trouvait venait de se mettre en marche. Il se dépêcha de terminer le rapport, puis nota sur la carte la position de la dernière galerie creusée, avant d’emballer le morceau de roche dans un tissu et de le ranger dans une des caisses, au milieu des autres pierres.

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