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La Menace Rouge

Une fiction écrite par Craïnn.

Chapitre unique

Les trois silhouettes dans l’arrière-salle observaient la masse rouge affalée et ronflante qui s’étendait sans connaissance sur la petite table carrée au centre de la salle blanche. C’était un poney. Un poney rouge, large d’épaule et d’une carrure plus que certaine. Une crinière orange entourait disgracieusement son visage et une moitié de pomme verte, vue depuis l’intérieur, ornait son flanc qui reposait sur un tabouret tout aussi immaculé que la salle cubique dans laquelle il dormait.

C’était sur cette vision que les trois hauts personnages, tout de rouge vêtus, portaient leur regards perçants comme des becs de pic-vert. Ils regardaient le poney, mais lui ne pouvait pas les voir. D’abord parce qu’il était endormi, d’accord. Mais avant tout car la vitre blindée qui séparait le groupe de l’étalon avait été conçue de telle manière que l’on pouvait voir la salle depuis l’arrière de cette vitre, mais elle ne se présentait que comme un banal miroir pour ceux qui se tenaient de l’autre côté.

L’autre côté... Ou, comme les trois individus inquiétant aimaient l’appeler, la salle d’interrogatoire.

Une des personnes qui se tenaient là, plus petite et trapue que ses congénères, demanda avec une grimace à son supérieur, une longue personne imbue de son rang et du fait qu’elle portait un super chapeau rouge qui en jetait grave : « Vous êtes sûr que c’est le bon, chef ?

-C’est toi qui disais tout à l’heure que tu avais repéré le spécimen parfait, lui répliqua aussitôt le haut personnage d’une voix autoritaire malgré sa tendance à tendre dans les aigus.

-Bah oui, mais vous m’avez dit...

-Je sais ce que je t’ai dit ! » le coupa sèchement son supérieur tout en lui laissant voir un rictus triomphant fendre son visage et faire pivoter ses deux petites pointes de moustache comme des leviers de flipper « et de toute façon, je suis forcé de constater que pour une fois... pour une fois dans votre existence, vous avez correctement accompli votre devoir. Oui, le spécimen à l’air bon.

-Ho ! ho ! » intervint le troisième, un individu dont la forte moustache imposait de la prestance... enfin, jusqu’à ce que l’on remarque son capuchon d’aviateur qui reposait sur sa tête et qui plaçait un sérieux contraste entre lui et la robe rouge sur laquelle gisait un crucifix de bois qui pendait en collier. « Il se réveille ! le sujet se réveille !

-Alors il n’y a pas un instant à perdre ! Repris le chef, n’oubliez pas que nous devons déployer notre arme principale au bon moment...

-Vous voulez dire nos armes principales ? lui demanda candidement le moustachu empourpré.

- Hum, euh... oui, se rectifia le rouge chapeauté, oui, NOS armes principales... En attendant l’occasion, faites signal à Lord Smith, c’est à son tour d’agir. »

Comme par automatisme, le laquais courbé poussa un bouton à même le mur, tandis que son chef, une lueur vindicative dans le regard, ouvrit une porte dérobée qui se trouvait à leur droite, et, se retournant vers ses collègues : « Allons à la porte de derrière, et tâchons de trouver la bonne occasion... »

Ses laquais s’engouffrèrent avec lui dans le couloir et refermèrent la porte derrière leur supérieur. Quelque part dans le bâtiment, une petite sonnette retentit, faisant comprendre à un des acteurs du drame qui allait se jouer que son tour d’entrer en scène était venu.

La dernière chose dont se souvenait Big Macintosh était d’avoir fermé l’œil sur le moelleux sans pareil d’un oreiller d’une chambre d’ami de la maison de son cher cousin Applejuice, que la maladie tenait sous son emprise. Aussi quand l’étalon vermeil vit la blancheur impeccable de la salle, la peur le saisit en même temps que l’éblouissement.

Son œil ne s’était pas habitué à la clarté qu’une fente s’ouvrit dans le mur blanc qui lui faisait face. Il en sortit une créature dont l’étalon n’avait entendu parler que de par les descriptions fort relatives que lui avait faites sa sœur, un jour où la princesse de l’amitié, avait, pour employer l’expression technique, merdé en beauté. La catastrophe en elle-même fut bien sûr contenue sans incidents, et l’on en entendit plus jamais parler.

C’était un humain, plus hideux et étrange encore que ce que les récits, les mimiques et les gestuelles absurdes que sa sœur lui avait fait dans le but de décrire leur espèce. Effrayé, Big Macintosh eut pour réflexe premier de reculer jusqu’à ce que ses sabots arrière entrèrent en contact avec le mur. Cette réaction provoqua un sursaut de panique de la part de l’humain. Celui-ci semblait atterré devant une vision telle que celle de l’imposant poney rouge qui respirait nerveusement.

« Qui... articula à peine Big Mac de sa grosse voix de paysan, Qui êtes-vous et pourquoi suis-je ici ? ». A la frayeur éphémère de l’humain succéda une expression de perplexité clairement décelable. Il referma la porte derrière lui et fit face à l’étalon. Il était tout de gris vêtu. Un pantalon de lin gris, une chemise grise, un manteau gris par-dessus. Un haut-de-forme couronnait sa tête et un monocle d’or cerclait son œil gauche, qui semblait empreint de suffisance.

« Eh bien, gentleman, répondit-il avec un horrible accent, voyez-vous, j’ai clairement l’intention de vous retourner la question, car vous êtes ici présent dans mon living-room.

Li... Living-room, répéta l’équidé rustaud alors que ses yeux parcouraient follement son environnement, vous vous moquez de moi ! Je sais reconnaitre une prison quand j’en vois une ! »

A ces mots, le personnage au monocle regarda à son tour l’apparence sécuritaire de la salle. Son regard restait arrogant, mais un imperceptible plissement de sa lèvre supérieure gauche montrait qu’il avait un minimum de doute sur l’efficacité de son mensonge.

« Seriez-vous en train de remettre en cause mon sens de la décoration ? Sachez que moi, Lord John Smith, tient le bunk... la propriété la plus fang shui de toute cette campagne... » sur cette parole, l’humain sortit de son manteau une large pipe et une boîte qui contenait de quoi la remplir. Lentement, sans faire plus attention à Big Macintosh que s’il était absent, il bourra la pipe, craqua une allumette elle-même tirée du large manteau monotone.

La fumée s’éleva légèrement alors que Lord Smith reposait son regard sur l’étalon : « Eh bien, vous n’êtes guère un gentleman ! Je vous ai dévoilé mon nom, et ce serait pure politesse que vous me dévoiliez le vôtre...

-Vous... vous m’avez enlevé ! Hurla Big Macintosh, plus effrayé qu’énervé. Je n’ai rien à vous dire. Qu’est-ce que vous voulez de moi, d’abord ?

-Eh bien par exemple, repris John Smith avec le plus grand calme, savoir ce que fait un bloody cheval rouge qui parle en plein milieux de mon living-room...

-Encore une fois... Qui... qui êtes-vous et qu’est-ce que je fais ici ?

-Hum, fit Lord Smith en haussant les épaules, tant de questions ; je ne m’attendais pas à un cheval, et encore moins à une inquisition espagnole... »

A peine Smith eu-t-il achevé sa phrase qu’un grand TA-DAAA se fit entendre via un interphone placé près du plafond. Big Mac sentit quelque chose le frapper à l’arrière, le projetant violemment contre la table. Se retournant en vitesse, car le choc ne fut guère excessif, il aperçut trois autres êtres humains tout de rouge vêtus qui avaient bondi dans la salle par une porte dérobée. Celle-là même qui poussa notre malheureux héros.

Un des trois nouveaux personnages, le plus grand, portait un chapeau rouge qui en jetait grave. Regardant le poney surpris avec un sourire et un regard de triomphe, il cria : « Personne ne s’attend à l’inquisition espagnole ! » Big Mac, sonné et terrifié, n’osait plus rien dire. Il respirait sous le coup d’une pression trop grande pour que ses lignes puissent seulement la décrire. Disons simplement que la folie d’être pris d’une façon incompréhensible dans une salle d’interrogatoire entre trois inquisiteurs et un Lord douteux n’avait à peu près rien d’agréable.

L’étalon releva les yeux, contempla les nouveaux entrés. Il y avait le grand moustachu au chapeau, à sa gauche une sorte de créature bancale au faciès marqué par une forme profonde de lubricité. Trapu et gauche, son manteau rouge se complétait sur sa tête par un capuchon de la même couleur. Le dernier enfin, ne semblait avoir que sa fierté pour lui. Le capuchon d’aviateur qui ceignait sa tête était cerclé d’une paire de lunettes de pilotes d’avion, ce qui ne semblait pas nécessaire dans sa fonction régulière.

Mais le chapeauté avait continué de parler : « En effet, notre meilleure arme est la surprise ! La surprise et la peur ! Nos deux armes principales sont la surprise et la peur... et une efficacité sans pitié... zut ! Nos trois armes principales sont – il commença à compter sur ses doigts- la surprise, la peur et une efficacité sans pitié... et une dévotion fanatique au pape... Raah... » L’inquisiteur durcit le regard qu’il jetait au terrestre, comme pour lui faire porter le poids de son incapacité à retenir son texte et à compter sur ses doigts à plus de trente ans.

« Bon, reprit-il calmement, nos armes principales sont : la surprise, la peur, une efficacité sans pitié, une dévotion fanatique au pape et de magnifiques uniformes rouges rutilants ! » ses yeux s’arrondirent «Oui, voilà, ça y est ! Je me souviens de pourquoi on a besoin de lui maintenant ! ». En effet les inquisiteurs ne faisaient pas que regarder l’étalon, ils regardaient surtout sa fourrure.

Il tendit son doigt et son bras dans la direction de l’étalon pétrifié : « Toi, cheval hérétique ! Acceptes-tu d’entrer dans le saint ordre de l’inquisition et de servir la grande église de Rome ?

-Qui... Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous voulez de moi ? trembla Big Macintosh en pensant qu’il avait une terrible tendance à se répéter.

-Nous sommes l’inquisition espagnole, envoyée vers cette terre lointaine par sa sainteté pour la conversion de tous les païens de cet endroit, même si ce ne sont que des chevaux qui parlent. » L’inquisiteur se mit à marcher de gauche à droite, lentement, les bras derrière le dos et la tête légèrement penchée vers le sol. « Mais nous ne pouvons nous y prendre par nous-même. Nous avons besoin d’un émissaire qui soit des leurs. Alors nous avons réfléchi. Nous avons revu toutes nos armes et à partir de cela nous avons tenté de trouver des individus qui correspondaient bien à elles.

Nous avions d’abord trouvé une jument rose, qui disait être spécialiste de la surprise. Alors nous lui avons couru après, en vain. Puis nous sommes tombés sur deux juments roses ; nous leur avons couru après, en vain. Finalement nous sommes tombés sur une armée de juments roses, alors nous avons couru. Cet échec nous a fait réfléchir, revoir nos méthodes.

Hier, mon espion, le cardinal ici présent – il désigna du doigt la créature au capuchon rouge- t’a repéré, suivi, drogué et ramené dans notre repère.

-Mais, protesta faiblement l’étalon rouge, moi la surprise...

-Ce n’est pas la surprise qui a fait que nous t’avons choisi... C’est ta couleur de fourrure qui t’as valu de te retrouver ici, dans notre repaire...

-Vous ! Hurla Big Macintosh à Smith avec une colère délivrée de la peur et de l’incompréhension, vous m’avez menti !

-Well, répondit le lord, techniquement non. C’était ma maison sous-terraine ici, et ces gentlemans me l’ont achetée. Ils m’ont toutefois autorisé à rester pour regarder les séances de tortures. Vous comprenez, mon life est d’un ennui...

-Bref ! hurla le rouge chapeauté, maintenant, cheval rouge qui parle ! L’écarlate de l’inquisition est sur ton poil, c’est assez pour que tu sois des nôtres. Rejoins-nous ou subit la torture !

-Jamais je ne vous rejoindrai ! hurla Big Mac, vous êtes clairement maléfiques !

-Je t’ai donné une chance de m’aider de ton plein gré, hurla l’inquisiteur avec colère, mais tu as préféré la voie de la souffrance. Cardinal ! Apportez les instruments ! »

Avec un rire saccadé et une grimace, l’homme tordu au capuchon rouge sortit de la salle par la même porte qu’il avait empruntée. Son rire ne cessa de résonner dans le couloir qu’il avait pris, de telle façon à ce qu’on pouvait déterminer son éloignement au bruit.

Tout le monde resta immobile dans la salle. Lord Smith s’était appuyé contre le mur et se regardait dans la glace, arrangeant son monocle de façon à ne pas perdre son air noble tout en continuant de fumer. Les deux inquisiteurs restants riaient cruellement dans leur barbe. Big Macintosh, lui, ne riait pas, et n’avait pas de barbe. Il avait toujours eu l’occasion de s’endurcir durant son travail quotidien et il espérait pouvoir être assez résistant pour ne pas céder face à ces fous. S’ils l’avaient, lui, qui sait ce qu’ils feraient à sa famille ? à Equestria ?

Le rire inique se fit de nouveau entendre, et le Cardinal rentra. Deux coussins logés au creux de ses mains. Le sourire du moustachu au chapeau rouge se transforma en un instant en une image du désappointement suprême. Il le prit à part et lui chuchota : « J’ai dit les instruments de torture, sombre imbécile ! Qu’est-ce que c’est que ça ?

-C’est que ... grand inquisiteur... tout le budget est passé dans l’achat de ce repère... On a que le mobilier restant pour la torture.

-Oh, c’est pas vrai, dit le leader de la triste équipe en plaquant fermement sa main contre son visage. Bon... faisons avec. »

Se retournant alors vers l’assemblée : « Vous, dit-il en désignant du doigt son collègue aux lunettes d’aviateur, et Lord Smith, maitrisez-le ! »

En deux secondes les deux désignés bondirent sur le pauvre Apple qui tenta en vain de se débattre. Tenu par ses deux pattes avant, soulevé et maintenu comme il l’était, il avait malgré tout la ressource de rire intérieurement de la mine dépité du grand au chapeau rouge. Celui-là même reprit, ébranlé dans sa conviction : « Cardinal ! Commencez la ... oh, mon dieu... Commencez ... la torture.

-Mais c’est pas vraiment de la tor... lui susurra l’intéressé.

-Je sais mais faites comme si, pour l’amour de Dieu ! »

Le cardinal trapu, révélant son sourire pervers, commença avec un air de cruauté sans égal à tapoter doucement le ventre de l’étalon à l’aide des coussins. Ça ne chatouillait même pas. Big Mac ne savait guère plus quoi penser de ces curieux personnages. Menaçants, certes, mais plus farfelus que dangereux. Après quelques essais infructueux de cette torture fort particulière, le maitre inquisiteur fit un signe au cardinal pour qu’il cesse. Faisant deux pas pour se dresser de toute sa taille devant l’étalon, de manière à paraître imposant malgré les circonstances, il dit :

« Ah ! Tu te crois fort parce que tu as réussi à résister aux coussins, hein ? Tu n’en es qu’au début de tes peines ! Cardinal ! Apportez... Le fauteuil confortable ! »

Et ce fut le début d’une longue série de tortures toutes pareilles à celle-ci.

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Applejack n’avait cessé de trimer tout le jour pour oublier.

Elle était venue avec son frère et sa grand-mère dans le petit village de Nicefield, niché dans une campagne entre montagnes et forêts. Cette venue avait pour visée de s’occuper de la ferme d’un cousin qu’une fièvre avait impitoyablement terrassé pour une durée que les médecins estimaient de plusieurs semaines. Toutes les autres branches de la famille Apple étaient occupées, mais ceux de Sweet Apple Acres venaient juste de conclure une vente record qui non seulement les mettait à l’aise pour un moment mais qui leur avait permis d’évacuer un stock important de la ferme. Moins de produits, moins d’entretien. Ils étaient tout désignés pour prêter un sabot fort à leur cousin, le malheureux Applejuice, qui possédait cette propriété, à peu près similaire à la leur.

Arrivés la veille au soir, les cousins et leur grand-mère n’eurent que le temps d’aller saluer leur hôte puis d’aller s’affaler sur ce qu’ils pouvaient et fermer les yeux dans la perspective prochaine d’un labeur considérable.

Tout ce qui se déroula en cette fournée ne démentit pas cette prévision.

Big Macintosh avait disparu pendant la nuit. Dans la chambre d’ami qu’il avait si brièvement occupée, on retrouva sur le lit défait une simple note anonyme qui se réduisait dans son contenu à ces trois mots : « HA ! HA ! HA ! ».

La panique première de la sœur occupa d’abord longtemps la vieille Granny Smith. Plus d’une heure la verte aïeule passa par tous les tons pour tenter de raisonner sa petite-fille. Elle parvint finalement à lui expliquer que son travail n’attendait pas et que la promesse faite au cousin défaillant ne devait pas être mise en berne pour autant.

Elle arrêta ainsi son projet : elle, que l’âge rendait faible et fragile, irait renseigner les représentants locaux de la loi tandis qu’Applejack tenterait d’accomplir à elle seule le travail de deux. L’organisation réglée ainsi, personne ne perdrait son temps. Mais il y eu des imprévus.

Aussitôt Granny Smith éloignée de la bicoque d’Applejuice, la jument orange se reperdit dans une frénésie générée autant par la révolte de son inaction que par l’inquiétude de la perte. Elle rentra si vite dans la chambre de son cousin que ce dernier, alité et faible, crut défaillir. Brandissant le papier qu’elle maudissait intérieurement sous ses yeux, elle hurla à la face du malade maintes questions qui perdaient finalement leur sens de par leur multiplication.

Le malade finit par perdre tout à fait connaissance, sans qu’il ne sache lui-même si c’était le regard exorbité et injecté de sang de sa cousine ou le fait qu’elle le secouait comme un prunier qui était à l’origine de cet évanouissement.

L’horreur de l’acte fit violemment effet sur Applejack, qui finit par reprendre ses esprits, et, souriant nerveusement, elle replaça correctement la tête de son cousin sur son oreiller avant d’effacer en vitesse toute trace de son désastreux passage. Enfin, le vrai travail commença.

Deux heures plus tard, Granny Smith revenait, nouvelles en sabots : Si c’était pour retrouver l’étalon rouge, il ne faudrait pas compter sur la police de Nicefield, qui n’était pas même rompue à éviter les vols de récoltes ou encore à gérer les rassemblements de lapins si fatals aux travaux agricoles.

Elle retrouva sa petite-fille dans le champ et dans une situation douloureuse à contempler. Applejack portait autour de son cou trop frêle la charrue que tirait habituellement son frère. Elle traçait bien des sillons, mais elle allait trop vite dans sa besogne : elle les faisait trop long et elle déviait de sa ligne trop souvent pour les réussir droits. Par instants, elle s’arrêtait et tournait la tête vers la droite, vers l’épaisse forêt qui semblait s’étendre à l’infinie en bordure de l’exploitation. Peut-être quelque folie poussait la jument à y voir un signe de l’apparition de son frère.

Elle se perdait en vérité dans des réflexions bien complexes qui la détournaient de la juste exécution de sa tâche. Il n’avait pas pu s’enfuir, rien n’était moins certain, il n’en avait aucune raison. S’il avait été emmené, toutes les pistes menaient à cette forêt. Tout son espoir venait de là, tous ses regards furent lancés dans cette direction.

Cependant la façon dont le travail était mené causait plus d’embarras que de bien à la ferme. Granny Smith, devinant l’objet de toutes les intentions de la jeune fermière, décida de la priver de la vision de la forêt et l’envoya ainsi s’occuper de la grange pour le reste de la journée. Elle-même ne quitta pas le chevet du malade qu’Applejack avait si bien traité. Après tout, distiller les infâmes remèdes de grand-mère à un individu faible était une maigre compensation quand elle pensait que la vie de son petit-fils restait entre les sabots d’individus qui avaient plus de chance de terrasser un dragon avec un couteau à beurre que de ramener saint et sauf Big Macintosh.

Une journée de cette agitation épuisa bien vite tous ceux qui la vécurent.

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Enfin, alors que le soleil se couchait derrière la montagne, projetant une ombre formidable qui venait couvrir la moitié de la bourgade, les Apples restant crurent que le temps du repos était enfin arrivé. Applejack était exténuée. Granny Smith l’était par nature, elle que l’âge n’avait guère favorisé de ce côté. Le malade, quant à lui, devait aux soins conjugués de ces deux juments de craindre désormais plus sa famille que la maladie, ce qui était une amélioration en soi.

Le trio n’était cependant pas au bout de ses peines.

Quatre silhouettes se déplaçaient dans les ténèbres qui occupaient le chemin de terre qui menait à la maison. Une des ombres était équine, les trois autres humaines. Toutes avançaient à pas feutrés, bien que quelques légers rires à peine soupirés sortaient de leurs gorges. Sans encombre d’aucune sorte, ils parvinrent à la porte d’entrée.

Big Macintosh, vêtu d’une chemise rouge trop large pour lui et d’un tricorne garni de plumes qui arborait de façon improbable la même couleur, menait ce groupe, car c’était ce soir son soir. Le soir de l’initiation. Les longs traitements subis au sein du repère de l’inquisition avaient, on ne sait trop comment, fini par le convaincre de les rejoindre.

Il colla lentement son oreille à la porte après avoir délicatement enlevé son extravagant couvre-chef. Comme il s’y attendait, les deux voix des juments qui furent sa famille résonnaient à l’intérieur. Cette seule pensée lui fit détacher un sourire silencieux. Il leur était dévoué, du moins, jusqu’à hier soir. Sa servitude bornée de terrestre se livrait désormais à un autre maître, plus puissant et ambitieux. Son premier acte d’éclat sera de soumettre sa famille aux toutes puissantes lois du Pape. Et dans ce but, maintenant, il allait user de l’arme principale de l’inquisition... euh, des armes principales.

Il fallait juste guetter l’occasion d’en utiliser la première, ou plutôt, entendre cette occasion. Dans cette optique, l’écarlate inquisiteur néophyte écouta avec soin les paroles que voici, son sourire malsain allant croissant alors que les mots sortaient des gorges de ceux qui les prononçaient :

«-Les bottes de foin ? demanda une voix branlante et aiguë qu’il identifia facilement.

-Resserrées, casées, empilées, répondit une seconde voix qui était tout aussi familière à l’oreille de notre étalon vermeil.

-Les tonneaux ? reprit Granny Smith avec un ton inquis... imposant, un ton imposant.

-Bouchés, calés, empilés, soupira Applejack.

-Le petit bois ?

-Euh ... le ... le petit bois ? hésita la sœur du nouvel agent ecclésiastique, et bien...

-Et bien ? Tu l’as bien entassé comme j’ai dit au moins ? la sévérité de la vieille commençait à se faire entendre.

-Et bien...

-Et bien quoi ? J’attends !

-Et bien moi aussi j’attends, grand-mère ! explosa soudain Applejack, j’attends qu’on me rende mon frère ! J’attends qu’on me confirme qu’il va bien ! Je m’inquiète à chaque seconde... Tu me pardonneras bien volontiers de ne pouvoir me concentrer sur cette fichue grange... là ! ». Un long silence.

« Tu n’as pas répondu à ma question... fit remarquer froidement Granny Smith.

-Ecoute, grand-mère, pour une fois écoute... La situation... je suis à deux doigts de craquer ! Alors si t’as pas d’nouvelles, au moins fais pas de reproches. » elle soupira « C’est du réconfort que j’attendais ici, pas l’inquisition espagnole ! »

A ces mots, le cœur de Big Macintosh s’emballa, à la limite d’une frénétique explosion interne. Il savait ce qu’il lui restait à faire.

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Note de l'auteur

J’ai mal à mon husbando à cause de cette daube, ce n’est pas la peine de m’accabler d’avantage.

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Craïnn
Craïnn : #28380
Brocco28 septembre 2015 - #28371
Un texte pour lequel tu n'as aucune honte à avoir. J'ai ri.
Alors ce texte a réussi sa mission. ^^

C'est pas de la honte. C'est une sorte de remord léger.
Il y a 2 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #28371
Un texte pour lequel tu n'as aucune honte à avoir. J'ai ri.
Il y a 2 ans · Répondre
Craïnn
Craïnn : #28332
constantoine26 septembre 2015 - #28328
Allons Crainn, tout va bien. Je suis sur que ton husbando s'en remettra.
Tu ne comprends pas, Constant. Rien de tout ceci n'est réellement arrivé. Rien.
Il y a 2 ans · Répondre
constantoine
constantoine : #28328
Allons Crainn, tout va bien. Je suis sur que ton husbando s'en remettra.
Il y a 2 ans · Répondre

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