Chapitre unique

Luna marqua une pause. Sa respiration était hachée, son souffle court, mais elle y était désormais habituée. Seulement, avoir passé mille ans coincée sur la lune avec pour seule compagnie une double personnalité psychorigide avait eu la fâcheuse conséquence de rouiller un peu ses capacités magiques et astronomiques.

Mais maintenant, c'était fait. Les étoiles étaient toutes à leur place, les constellations prêtes à être interpréter dans tous les sens par des charlatans qui iraient après écrire leurs torchons dans les horoscopes, le satellite naturel d'Equestria présentait la bonne face, et avait en plus l'honneur d'être ornementé d'un magnifique croissant aux courbes irréprochables.

Dommage que les poneys à savoir apprécier le paysage nocturne étaient très rares.

Après avoir fait passer l'astre du jour derrière l'horizon, Celestia était parti précipitamment dans sa chambre pour une raison obscure à la princesse lunaire. À peine lui avait-elle souhaité une bonne nuit que la souveraine principale d'Equestria s'était déjà téléportée, n'attendant même pas de réponse.

Il faut dire que la régente solaire avait eu une dure et longue journée. Comme ma corne, songea Luna sans raison précise aucune. Les audiences avec leurs sujets s'étaient enchaînées sans interruption, suivi d'un dîner d'affaire avec les nobles de Canterlot pour discuter des accords commerciaux avec les zèbres, représenté par un étrange alicorne rouge rayé de bordeaux. Il était normal que la dirigeante autoproclamée d'Equestria puisse décompresser de temps en temps, de quelque façon que ce soit, après le couché du soleil.

Maintenant qu'elle y pensait, sa sœur lui avait semblé impatiente, nerveuse même, dans l'exercice de ses fonctions. Étrange. Mais bon, Luna n'était pas du genre à fouiller dans les affaires des autres, même si les autres en question étaient sa propre sœur.

Elle jeta un regard aux alentours. Où est Atticus ? Cherchant des yeux son animal de compagnie, la princesse de la nuit remarqua de toutes petites empreintes sur l'infime couche de poussière qui s'était déposée dans la journée sur les tapis du palais.

Les gens ont souvent tendance à oublier à quel point une déesse vivant principalement de nuit peut avoir une vision exacerbée.

Les traces s'ensuivaient dans une trajectoire assez ésotérique qui aurait probablement semblé aléatoire pour un néophyte, mais Luna comprit, après quelques minutes de traque, que son animal de compagnie se dirigeait vers la chambre de Celestia. Cette aranéide est décidément trop curieuse. C'était d'ailleurs son principal défaut.

Comme Luna s'y attendait, la piste s'arrêta devant la porte de sa sœur. Elle l'ouvrit.

« 'Tia, tu saurais où se trouve Atticus ? Je crois qu'elle t'a encore suivie, et - »

L'alicorne s'interrompit. Un véritable troupeau de juments hétérogènes était allongé sur l'immense lit de leur dirigeante, roucoulant, gloussant, et entourant visiblement cette dernière dans des positions qui laissaient peu de place à l'imagination, mais qu'il serait inopportun de décrire ici. Je dirais simplement que toutes les pégases présentes avaient leurs ailes bien étendues.

Un silence pesant s'installa lorsqu'elles se rendirent compte de l'arrivée de Luna.

« Wow. »

Après une courte pause, sans aucun doute imputable à la surprise -et non pas dû à la condition physique desdites juments-, la princesse nocturne reprit la parole.

« Wow. » Elle n'était pas choquée, mais tout de même assez étonnée que sa sœur, qu'elle pensait si chaste, s'adonne à ce genre de jeux. « Je suis très... désappointée. »

Toutes les juments en trop disparurent soudainement dans une explosion d'étincelles multicolores. Celestia n'était pas très connue pour sa légendaire propension à prévenir ses sujets avant de les téléporter.

Luna poursuivit son monologue :

« Et bien, je ne vais pas plus te déranger de la sorte. » dit-elle en marchant à reculons vers la sortie, un air pour le moins gêné recouvrant son visage. « Je te laisse, j'ai une araignée dissidente à retrouver et - »

La porte se referma dans un claquement sonore. Luna déglutit.

« LUNA ! » C'était extrêmement rare que la Celestia use de la voix royale. Elle ne l'utilisait -inconsciemment ou non- que dans des accès de rage sans équivalent, laissant souvent des villes entières à feu et à sang dans son sillage. Mais les livres d'histoire n'en faisaient jamais mention, les autorités s'arrangeaient pour ne laisser aucun témoins qui viendraient ternir l'image de leur glorieuse Princesse. Sa sœur n'avait d'ailleurs plus entendu cette voix depuis son propre exil, un millénaire auparavant. Bref, un sacré paquet d'années. « Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Luna déglutit une nouvelle fois.

« Eh bien, comme je te le disais, je cherche Atticus. Je ne pensais pas que - »

« On ne t'a jamais appris à toquer avant d'entrer ? »

Les oreilles de la princesse nocturne, bien que habituées à écouter du Heavy Metal avec le son au maximum, s'étaient mise à saigner.

« Maintenant que j'y pense, il me semblait entendre des bruits depuis l'extérieur, donc ça n'aurait rien changé, j'aurais quand même compris que tu - »

« Luna ! »

Le visage de Celestia avait viré au rouge, et la colère n'en était sûrement pas la seule responsable.

La concernée se ratatina dans son coin, espérant s'en tirer avec le minimum syndical de dommages. Elle ne voulait pas retourner de sitôt sur la lune. Elle devait tenter de raisonner sa sœur.

« Tu sais, c'est normal ce que tu fais. Tout le monde à ses envies, désirs… Tu peux m'en parler, si tu veux. » Celestia n'avait pas bougé. Le rythme de sa respiration témoignait de son humeur. « Tu n'es pas sans savoir que ma garde rapprochée est, comme son nom l'indique, très proche de moi. Il est possible que cela ait des petites répercussions sur ma vie intime, mais ce n'est pas le sujet. » On devinait qu'elle rougissait, bien que l'on remarque difficilement la différence dans son pelage sombre. « Tout ça pour dire, tu n'as pas à t'en vouloir, ou quoi que ce soit d'autre. Ne penses pas que ma vision de toi va changer pour si peu. »

Elle détailla le visage de la princesse solaire, à l’affût du moindre signe d'hostilité, prête à fuir si le besoin se présentait. Celestia prit enfin la parole.

« Sors d'ici. » Elle avait suffisamment réussi à se calmer pour reprendre sa voix habituelle. Un bon point pour Luna. « Maintenant. »

Cette dernière ne se fit pas prier, et disparut dans un tourbillon d’étincelles beaucoup plus sombre.

Celestia émit un long, très long soupir en s'affalant dans son lit, désormais bien grand pour elle seule. Pourquoi n’avait-elle pas pensé à verrouiller la porte ?

Le visage enfoncé dans les coussins, elle entendit un petit bruissement régulier à coté de son oreille. Elle tourna la tête.

Juste sous ses yeux se tenait Atticus.

« Aaaaaaaaaaaaah ! »