Je posai mon sabot sur mon museau pour empêcher un gloussement qui pourrait réveiller le petit. Prixilia se leva et m’approcha, le regard… étrange. Elle rit en silence puis m’invita à m’assoir. Ce que je fis sans me faire prier. Nous restâmes là à nous regarder dans les yeux, ne sachant pas vraiment quoi faire. Une petite heure passa ainsi avant que Dew baille et s’étire. Il nous regarda quelques instants, les yeux embués par le réveil, avant de venir rejoindre sa mère et de lui faire un câlin. Je lui souris quant à moi chaleureusement.
« Tu as bien dormi Dew ? » lui demandai-je.
Il commença à rire.
« Ouai ! Trop ! » Il me sourit et s’assit sur la gauche de sa mère.
Durant un court instant j’entendis leur ventre gargouiller et ça me fit rire. Tous deux rougirent avant que la mère se lève et aille chercher sa sacoche. Elle se le sangla autour du flanc et s’apprêta à sortir. Je restai là me demandant ce que je devais faire. Elle me fit un regard en coin, sourit, et me fit un mouvement de la tête pour m’inviter à la suivre. J’eus l’intuition de prendre ma sacoche aussi et je la suivis. Dew resta là et fit les lits de lui et sa mère avant de s’assoir et d’attendre.
Quand nous fûmes dehors, Prixilia m’invita à la suivre de nouveau et nous prîmes la direction de l’extérieur de la ville. Une fois loin de la périphérie elle m’indiqua une petite prairie d’herbe haute en me disant qu’elle y était déjà allée il y a quelques jours. Je ne comprenais toujours pas ce qu’elle m’emmenait faire. On marcha encore quelques minutes avant de tomber sur une super prairie pleine de fleurs avec des bordures d’arbres et des petites marres aux reflets agréables. On avait totalement changé de paysage.
« Où on est ? »
« Là où je prends de quoi subsister », dit-elle en souriant avant de prendre un liseron des champs. Elle le porta à son museau, huma le parfum et le porta à sa crinière où elle l’y accrocha. Elle me lança un petit regard les yeux plissés avant d’en chercher d’autres.
Entre-temps je m’étais rappelé ce que Dew m’avait dit à propos de sa mère. Elle vendait des fleurs et quelquefois des fruits si elle en trouvait. Ça lui procurait assez d’argent pour se nourrir. Je me mis donc aussi à rechercher des fleurs. Je les connaissais toutes par cœur grâce à mon apprentissage à la ruche. En moins d’un quart d’heure, nos deux sacoches furent remplies. Elle me sourit avant d’éclater de rire. Ma crinière était pleine d’herbe. Je gloussai aussi. Elle avait du pollen sur le museau.
Mais ça ne dura pas longtemps. En tout cas pour moi. Un flash avait attiré mon attention dans le dos de Prixilia. Je la regardai puis le vis de nouveau, plus net. Mon sang ne fit qu’un tour.
« Prixi, derrière moi ! Vite ! »
Elle s’arrêta de rire et vit à mon regard que je ne plaisantais plus. Elle prit ses sabots à son cou et se cacha derrière moi… à temps. Le flash que j’avais vu se retrouva à là où elle était cinq secondes avant. Une changeling se tenait là et me lorgnais avant de faire scintiller sa corne.
« J’ai de la chance, deux repas pour le prix d’un, vous devriez savoir que ce n’est pas prudent de se promener aussi loin de chez vous… »
À son regard je vis qu’elle s’apprêtait à se jeter sur moi. Je me retransformai alors et la fit perdre le fil. Elle s’arrêta et trébucha. Puis, se relevant, elle me sourit méchamment.
« Mince t’es arrivé avant moi. Bon vas-y sers-toi. »
Prixilia, malgré ma retransformation ne m’avait pas lâché le sabot droit. Elle restait collée à moi comme de la glue, terrifiée. Mais cette attitude n’échappa pas à la changeling.
« Qu’est-ce que t’attends pour te nourrir abruti… mais… pourquoi elle te colle comme ça cette proie ! »
« Ta gueule !! »
Le sang m’était monté à la tête et ma corne scintillait méchamment et mon regard avais viré au bleu-violet.
« Si tu la touches t’es morte ! »
Elle sembla tomber de haut avant de grogner.
« C’est quoi ton problème crétin, pourquoi tu la protèges comme ça ?! »
« Ce n’est pas tes oignons dégage avant que j’te casse la gueule tellement fort que ta corne r’ssemblera à un bouquet d’épines ! »
Prixilia tremblait et me donnait encore plus la rage qu’elle ne la touche. Bien sûr rien ne se passe comme prévu…
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« Ça va Prixi ? »
« Moi oui mais toi, ton aile… »
« Ça va t’inquiète pas… Aïe !… »
Le combat avait été rude. La changeling qui nous avait attaqués devait avoir mon âge et elle était en pleine forme. Mon aile restante avait souffert. Elle avait perdu une grande partie de sa rigidité et elle pendait au-dessus du cadavre de ma camarade d’espèce. Son corps ensanglanté contrastait de noir et rouge avec le vert de la prairie. Je tenais à peine sur mes pattes tellement je tremblais. J’avais tué de nouveau… mais cette fois je ne le voyais pas comme un crime de ma part.
« Elle voulait te tuer… »
« Swamp ! Tu n’as pas à te justifier. Tu as fait ce qu’il t'a semblé le mieux. Grâce à toi je vais bien. »
Mais je voyais bien qu’elle n’allait pas si bien que ça. Elle s’était pris un vilain coup de sabot dans l’épaule et ce dernier saignait un peu, mais heureusement rien de grave. Pas comme la changeling. Cette dernière gisait dans une mare écarlate. Son crâne avait pris de très mauvais coups qui avaient fendu sa carapace et qui pissaient le sang. Sa corne était cassée et sa patte arrière ouverte au niveau du péroné laissant entrevoir l’os. Je la regardai avec un dédain inestimable. Puis, à bout de force, m’écroulai sur le flanc. Je ne pouvais plus rien bouger. Ma crinière au milieu des yeux cachait un coup que je m’étais pris à l’œil. Mon sabot cassé s’était rouvert et un mouvais coup à la base de ma queue m’empêchait de la bouger sans crier de douleur.
Prixilia ne savait pas vraiment quoi faire et finit finalement par me tirer sous un arbre, non sans mal de nos deux cotés. Nos sacoches étaient éparpillées un peu partout et l’une d’elle avait la sangle de cassée. Mais elle semblait plus s’occuper de moi qu’autre chose. Ne pouvant pas bouger sans souffrir, nous restâmes là durant sans doute plusieurs grosses heures, jusqu’à ce qu’un bruit de trompette nous alerte qu’un groupe de soldats arrivait, sans doute prévenus par Dew qui ne nous voyait pas revenir.
« Transforme-toi… » me souffla-t-elle à l’oreille avant qu’ils ne débarquent. Je lui souris et sentis ma magie grimper me permettant de le faire sans mal. Le premier à arriver fut un policier, celui qui était venu prévenir Prixilia hier, à sabots, qui courait vers nous, suivi de près par des gardes royaux et Dew.
Il remarqua le cadavre de la changeling et l’évita pour venir nous voir. Quand il nous vit, il semblait plus étonné qu’inquiet. J’étais sur les pattes avant de la jument, ma tête sur mes pattes, sur les siennes et elle avait sa tête sur la mienne. Même transformé, je saignait abondamment et souffrait de partout et ma crinière collait à mon crâne par le sang. Elle n’était plus aussi blanche que ce matin.
Nous fûmes conduits à l’hôpital en quelques minutes grâce à l’escorte volante. J’avais perdu connaissance lors du voyage à cause de la douleur mais ce ne fut pas long avant que je me réveille, couché, dans un lit d’hôpital, le sabot droit dans les bandages. Prixilia n’avait reçu qu’un simple cataplasme à l’épaule et me regardait, assise sur une chaise à côté de moi. Les gardes en face de moi me regardaient étrangement. J’eus alors un coup de sang, j’étais toujours transformé ? Un regard rassurant à Prixilia qui me fit un signe de la tête me fit comprendre que oui, et je pus respirer normalement. Une espèce de machine qui faisait Bip… Bip à côté de moi et reliée à moi par un câble attira un instant mon attention avant qu’un des gardes me retire de ma rêverie.
« Monsieur Antias ? Est-ce que vous vous sentez mieux ? »
Antias ? Un nouveau regard furtif à la jument me fit comprendre qu’elle n’avait pas dû donner mon vrai prénom.
« O-Oui… si on veut »
Même si mon aile avait disparu lors de la transformation, la douleur était toujours présente comme une aiguille dans le dos.
« Bien, alors nous vous prions de nous raconter en détails ce qui s’est passé. Le changeling que vous avez vraisemblablement tué à été autopsié. Il présentait de nombreuses traces de coups et de fractures, comme vous, ainsi que des ouvertures. Le combat a dû être rude, nous comprenons… vous avez eu de la chance d’y réchapper… »
« Oui sans doute… »
« Pouvez-vous épiloguer ? »
Je soupirai et fis ce que je pus pour m’asseoir avec une grimace de douleur. Mon amie eut un mouvement de panique et voulut m’aider, mais un mouvement de mon sabot lui dit que ça allait. Ça allait être long c’est tout.
Une bonne heure passa à expliquer aux gardes ce qui c’était passé, en zappant bien sur ma phase de transformation. Quand ils eurent fini de noter, ils me firent un signe de tête et partirent… remplacés aussitôt par le flic qui était venu nous voir en premier. Son œil méfiant à mon égard ne l’avait pas quitté mais il arborait quand même un sourire. Il fit la bise à la jument et me salua d’un signe de tête, que j’eus du mal à rendre à cause de la douleur.
« Merci d’avoir protégé Prixilia, je ne sais pas ce que j’aurais fait s'il était arrivé quelque chose à ma belle-sœur… il me reste plus qu’elle de mon frère… »
Je fus surpris, et pas qu’un peu. Il m’ouvrait son cœur sans que j’aie besoin de lui demander et de plus j’apprenais enfin qui c’était.
« Alfonso a eu très peur pour moi », rajouta Prixilia, « quand Dew l'a prévenu de notre absence il a foncé à notre recherche, là où Dew lui avait montré. » Elle sourit à son fils qui venait d’entrer. Ils se firent un câlin et me regardèrent. J’eus moi aussi envie de ce contact et l’idée que je ressente le manque commençait à confirmer sérieusement mes doutes sur ma capacité à ressentir l’amour.
L’horloge sonna midi que nous continuions à discuter. La matinée était passée très vite aujourd’hui…
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