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Gentilhomme

Une fiction écrite par Vuld.

Gentilhomme

Lecteur, toi qui es avisé, tu ne supportes pas qu'on te parle d'humains. Sois ici chez toi, car si cette histoire en met un en scène, ce n'est que pour se moquer de lui et remettre ces singeries à leur place. Il faut vraiment être un benêt pour s'ennuyer avec de telles créatures vaines et sans poil, et qui ne sauraient pas quoi faire de leurs dix doigts.

Mais si vraiment toute raison t'a quitté, et que tu te complais dans cette énorme gabegie, alors continue à lire et tu verras qu'il y a des choses bien plus admirables dans ton monde ici ou hors d'Equestria, oeuvre de fantaisie ou enchantements de la réalité, sans avoir à s'inventer une ridicule humanité.

Mais pour cela tu dois accepter de me suivre à Jollywheat.

Il fallait bien, pour commencer un récit aussi fantasque, que le lieu soit fantasque également. Et pour les plus braves qui ne s'intéressent pas à ces choses, qu'ils sachent quand même que sur le chemin des White Tail Woods il y aurait une plaine mythique, vaste et riche et où se seraient déroulés de grands actes de l'histoire équestrienne dont il ne reste évidemment aucune trace. Tu pourras trouver cette plaine ailleurs, si ça te chante, puisque la littérature se soucie peu d'être honnête. Sinon, tu pourras réduire cette plaine à un deux champs.

Elle avait, de toute manière, bien piteuse figure, cette plaine légendaire. Une riche famille en avait racheté chaque lopin de terre, et jusqu'aux villages et aux maisons, tant et si bien que tout là-bas leur appartenait et que par décret royal ils y étaient les seuls régnants. Tous les habitants étaient alors des employés aux champs, et par leur travail ceux-ci étaient riches et luxurieux ou emplis d'un bétail abondant. Il n'y avait pas jusqu'aux murets le long des sentiers qui ne respiraient la prospérité, et les ponettes qui vivaient là-bas, rendues solides et infatigables par le labeur, souriaient volontiers aux rares passants.

Car ces terres étaient privées, et on pouvait être arrêté si on n'avait pas l'autorisation de s'y rendre.

À part ça, il n'y avait pas de lieu plus enchanteur, de plus rieur et de plus chantant dans tout Equestria. Et quand notre humain y arriva, tu peux bien imaginer sa réaction, ainsi que celle des juments et des étalons qui le virent sortir des bois.

Car oui, l'humain sortit des bois, comme si de rien n'était, et en tout bon humain il chevauchait une équidée qu'il avait rendue misérable. Je ne dis pas ponette, car ce n'était pas le cas : celle-ci venait de par-delà l'océan, de Saddle Arabia ou de cette région, car elle était née en vérité dans les montagnes d'Armaneia avant de descendre au sud, dit-on, à Samashah, à moins que ce ne fut Karbarley. Ce fut en tout cas dans cette région des grands fleuves, loin au nord de ces fameux déserts dont on se sert pour nommer tout et n'importe quoi.

Comment ensuite cette jument, qui certainement ne devait pas avoir cette allure de baudet à l'époque, descendit plus au sud encore, puis traversa l'océan, puis traversa un monde pour se retrouver parmi les humains, et comment elle fit pour revenir ?

Cela, présentement, ne nous intéresse pas.

Non, laissons là cette brave jument pour nous intéresser à celui qui la chevauchait sans gêne. C'était un humain, grand même pour les siens : il était haut comme une asperge au moins aussi maigre, d'allure sèche et la peau jaunie jusqu'à peler. Ses yeux étaient alourdis par les cernes, son visage gravé par les os. Les humains ont de petits yeux sans vie, mais au moins cet humain-là les faisait étinceler d'une intelligence rare. Ne m'en veux pas si je lui donne au moins un bon trait, car le pauvre en avait bien besoin.

Il était d'autre part assez normalement vêtu, bien que son accoutrement soit misérable, comme tout ce qui vient de chez les hommes : il avait des chausses, un vieux pantalon de tissu, une chemise du dimanche sous un plastron de fer. Oui, un plastron, et un écu et sur la tête une salade, qui est une sorte de casque. Enfin il tenait une lance à une main et à la ceinture une épée.

Les ponettes qui le virent approcher s'effrayèrent. On s'enfuit à son approche. Les paysannes se dépêchèrent d'avertir le sheriff Trade Fair, lequel se trouva dépassé.

Il voulut d'abord être sûr que cet humain existait bien, et que les travailleuses ne lui faisaient pas une farce. On l'emmena donc en amont, du côté des moulins qui, pour attraper le vent, devaient border d'assez près les bois de White Tail. Là, on lui montra l'humain qui monte une jument. Le sheriff n'en crut pas ses yeux et ne voulut pas s'approcher, mais s'en repartit aussitôt.

« Qui dois-je avertir ? La famille, ou la garde ? Ce qu'il me faudrait, ce serait les deux, une héritière et une princesse ! »

Bien sûr la destinée allait exaucer son souhait.

Car enfin, un humain qui s'en vient de nulle part en traversant les dimensions, cela fait sensation : ce sont comme des vaguelettes après qu'un caillou a plongé dans le lac. Et quand bien même son arrivée serait passée inaperçue, dans un monde aussi magique que le nôtre il était une anomalie immanquable dans le bon ordre des choses. Il ne fallait pas s'étonner si l'harmonie y trouverait à redire.

Si tu doutais, donc, que l'histoire soit récente, voilà de quoi te rassurer : dans son château de Ponyville, tout de diamant et d'or, la princesse Twilight Sparkle et ses amies ressentent un appel. L'harmonie a besoin d'elles, là-bas à Jollywheat.

Je passe, si tu permets, la difficulté qu'elles eurent à trouver cette plaine, qui est une aventure en soi. Imagine cependant que cela ne leur prit pas de temps, malgré la distance qui les sépare et la difficulté d'atteindre un lieu aussi improbable. Toujours est-il que quand elles arrivèrent, notre homme n'avait pas encore atteint les moulins. Le sheriff qui les accueillit hardiment s'empressa alors de les y emmener. Il n'hésita pas un instant, car parmi les amies de la princesse se trouvait Applejack, qui appartenait à la famille.

Il les emmena du côté des moulins persuadé que l'humain s'y trouverait encore. Et effectivement l'humain s'y trouvait, occupé à donner de la lance contre les moulins. L'humain les chargeait au trot cadencé et plantait sa lance dans la brique ou dans les pales qu'il déchirait. Les juments éplorées le regardaient ruiner les bâtisses une à une sans vergogne.

Si tu t'étonnes qu'elles en aient des larmes, dis-toi que ce sont elles qui les ont bâtis, elles qui devront les réparer et elles qu'on amenderait pour tous les retards.

Mais l'humain n'en avait cure, et sitôt qu'il avait cassé sa lance sur un moulin il repartait sur un autre en lançant des cris de guerre et de victoire. Il tirait sur les rênes pour pousser sa monture, laquelle renâclait et obéissait et s'élançait tant bien que mal. Le sheriff en voyant ça supplia la princesse d'intervenir, et Twilight Sparkle s'avança.

Elle se mit sur le chemin de l'humain, lequel s'arrêta net et leva la lance au ciel. Mais il ne sembla pas surpris le moins du monde de voir une alicorne, comme tant d'autres textes se complaisent à vous le décrire. Au contraire, il l'interpella :

« Hors de mon chemin, sbire, si tu ne veux pas goûter au même sort que tes maîtres ! Je ne salirai pas ma lance avec toi, mais je laisserai plutôt ton corps se faire fouler par les sabots de ma monture, puisque c'est tout ce que- »

Il se coupa à peu près là, car la princesse manquait de patience et, à dire vrai, d'intérêt pour cette créature simiesque. Elle l'avait donc enveloppé dans son halo de magie et le soulevait tranquillement de la selle dont il avait ceint la jument, si bien que l'humain se retrouva à flotter, l'air assez bête.

La jument se mit à parler alors :

« Ne lui fais pas de mal, princesse. Il n'est pas mauvais, juste fou. »

Surprise par ces mots, la princesse Sparkle relâcha son emprise et laissa l'homme retomber sur la jument. Cette dernière en souffrit mais ne s'en fâcha pas, et s'approcha simplement.

« Tu as de la chance, » gronda l'homme, « que Rossinante te prenne en pitié, chimère ! Ou je t'aurais mise en pièces sans hésiter ! »

« Tu peux lui dire de ne plus attaquer les moulins ? » Demanda la princesse à la jument.

Cette dernière secoua la tête.

« Je te l'ai dit, cet homme est fou. Là où tu vois des moulins, il voit des géants. Mais dis-lui plutôt que ces géants sont tes prisonniers, que tu n'es pas un monstre mais une princesse, que tu les as mis là comme en prison et que s'attaquer à des prisonniers est lâche. »

« Ma foi, je ne savais pas. » Bougonna l'homme soudain calmé. « Je ne suis pas un lâche, croyez-le bien, ce ne serait pas digne d'un chevalier errant. Et puisque vous êtes une princesse, laissez-moi m'excuser, et me courber devant vous. »

Il tapa de la botte sur la jument qui, bien docilement, s'abaissa jusqu'au sol, ce qui manqua de renverser son cavalier. Mais ce dernier était bien trop occupé à saluer de même et la princesse, devant ce spectacle, ne sut si elle devait rougir ou rire aux éclats.

Enfin l'homme se releva et retira son casque. Il avait la chevelure courte, déjà salée par l'âge, comme on dit, puisqu'il dépassait la cinquantaine. Sa moustache était toute rabougrie.

« Je suis le chevalier don Quichotte de la Manche, digne héritier des neuf chevaliers de la Renommée que je rejoindrai bientôt dans la gloire... »

Mais la princesse l'écoutait à peine et s'adressa à la jument.

« Vous avez l'air affamés et épuisés. Et si vous veniez avec nous ? »

La jument lui fit signe du regard que ce n'était pas à elle de demander cela, mais à son cavalier.

La princesse Sparkle soupira et invita donc l'humain à la suivre au plus proche village. Elle lui demanda, aimablement, de bien vouloir aussi descendre de la jument, par décence, mais l'auto-proclamé chevalier don Quichotte se fâcha.

« Comment ? Moi, un chevalier, aller à pied ? Roland a-t-il chargé à Roncevaux avec le piéton ? Il y a, princesse, cheval dans chevalier, et je ne saurais renier ma nature même. Ma monture et moi ne faisons qu'un, et pour rien je n'abandonnerais ma Rossinante, qui est la plus formidable monture qui ait foulé la terre ! »

La princesse lui offrit un sourire plein de pitié.

« D'accord… mais les chevaliers veulent faire plaisir aux princesses, non ? Et techniquement je suis une princesse, alors vous voulez bien faire ça pour moi ? »

L'humain la regarda, sembla réfléchir, fronça les sourcils et se tira le menton là où il aurait dû y avoir de la barbe, d'antan. Il réfléchit tant et tant qu'il en vint à une conclusion.

« Ma foi, je n'obéis qu'à ma dame, laquelle surpasse en beauté les plus grandes impératrices : et je défendrais son nom et sa vertu contre quiconque oserait la calomnier. Mais enfin, l'ordre de la chevalerie m'oblige bien à me montrer galant, et pour vous, si vous êtes réellement une princesse, ce qui reste encore à prouver, je peux souffrir cette entorse. »

Quand il eut fini son long palabre, il se décida enfin à descendre, non sans mal car personne ne lui tenait l'étrier, et il manqua de tomber. Mais la jument l'aida en cela, en se baissant quelque peu, et il se trouva les deux pieds sur terre. Après quoi il consentit à suivre la princesse, ses amies et le sheriff, non sans tenir la jument par ses rênes.

Le sheriff avait hésité, mais en voyant Applejack approuver il avait cédé et le groupe se trouva vite au centre du village, entouré des paysannes qui se hâtaient de monter un banquet. La peur avait laissé place à la curiosité, si bien que toutes se pressaient autour de l'humain pour le voir, pour le toucher et l'écouter parler de sa voix grave et fripée. On lui offrait la nourriture par plateaux entiers, y compris du poisson et de la viande. Ne t'étonne pas qu'on le nourrisse comme un animal : un humain n'est qu'un animal, comment d'autre aurait-il dû être traité ?

Il riait à présent, cet humain, et se montrait bon invité, aimable et bavard sans fin. Il expliquait aux ponettes qui l'entouraient comment il les avaient vues fuir à son approche, et les avait prises pour des chimères, ou de mauvais démons qui se seraient emparés du bétail. Mais il était soulagé à présent de voir qu'elles n'étaient que des animaux magiques pareils aux bonnes fées que l'on rencontrait dans les grottes ou dans les clairières des forêts.

« Lanval n'a pas vécu autre chose en traversant sa rivière, et Guinemar a croisé une biche qui parle. La monture de Camille face à Enée était multicolore, comme se doivent de l'être les bêtes de l'autre monde. »

Les étalons et les juments riaient sans fin en l'écoutant et lui demandaient plutôt de parler du monde humain. Elles étaient étonnées qu'il ne parle ni de voiture ni d'avion, et que son monde ressemble au contraire tellement au leur, avec des ogres et des magiciens.

À côté de lui mangeait la jument qu'il appelait Rossinante et qui était restée tranquille jusque-là. Ce fut à elle que la princesse s'adressa à nouveau.

« Alors… tu ne m'as pas encore dit ton nom ? »

« Je suis Rossinante. » Lui dit la jument. « Et je suis la fidèle destrière du chevalier don Quichotte. »

« Et… qu'est-ce que tu fais avec cet… humain ? »

La jument se renfrogna, mais très légèrement, et sembla plutôt ennuyée. Elle tourna la tête un instant du côté de l'homme qui riait à gorge déployée sous les rires des juments qui se pressaient à lui. Elle sourit en le voyant ainsi.

« Je ne l'ai jamais vu si heureux. »

« Donc, tu es sa gardienne ? Une docteure ou quelque chose ? »

« Non. » Soupira la jument. « Et toi ? Tu es une alicorne. Es-tu la nouvelle princesse d'Equestria ? »

« Oh non ! » S'empressa de corriger la princesse Sparkle. « C'est Celestia ! Je ne suis que la princesse de l'amitié ! Juste… la princesse de l'amitié… c'est tout. »

« C'est déjà beaucoup. » Lui sourit aimablement la jument.

Elle continua la discussion en lui demandant des choses et d'autres sur ce qui s'était passé en Equestria, comme font les voyageuses après de longs voyages quand elles rentrent chez elles. Plus les questions s'éloignaient dans le temps, plus la princesse était surprise, et elle était pressée à son tour de lui poser ses questions. Surtout, la princesse se demandait pourquoi on l'avait fait venir : l'humain ne semblait pas dangereux, ni même inamical. Au contraire, il s'entendait si bien qu'il était déjà l'ami du village.

Oui, cette grande asperge dans la cinquantaine avait vraiment du succès. Au départ, c'était de la curiosité. Mais à présent les habitantes agissaient avec lui comme avec un grand-père auquel on demandait des histoires le soir aux veillées. On parlait déjà de lui bâtir une maison.

« Mais enfin, comment es-tu arrivé ici ? » Demanda enfin la princesse à Rossinante. « Comment êtes-vous venus ? »

« Ce n'est pas important. » Se défendit la jument.

« C'est important ! » Insista Twilight Sparkle. « Tu as dû traverser l'océan ! Pas juste un océan, on dirait que tu es partie depuis des siècles ! Et enfin, les humains n'existent pas ! C'est juste une invention, et récente avec ça ! »

« Princesse. » L'apaisa la jument. « Ce qui importe est qu'il est heureux. Ce monde est le monde dont il a toujours rêvé. »

La princesse ne trouva rien à répondre.

Elle remarqua seulement que, depuis les moulins, la robe de la jument s'était jaunie. Elle avait été jusqu'alors d'un blanc un peu gris, un peu sale, mais à présent il tendait vers un jaune assez pâle. Il n'y avait donc pas que la voix qui revenait (ai-je oublié de dire que dans le monde des humains, la jument ne pouvait pas parler ?) mais la couleur également.

Elle vit aussi, mais cela était évident, combien le cavalier comme la jument étaient épuisés. Le repas devait être le meilleur qu'ils avaient mangé depuis des années, et cela était vrai : ce don Quichotte n'avait pour les tartes et pour les fumets de poisson que les meilleurs compliments, dont la sincérité faisait fondre les habitantes. Il mangeait comme jamais, jusqu'à en retrouver quelque couleur. Et il s'excusait pour les moulins qu'il avait endommagés.

« Croyez bien que ce chevalier ne souhaite rien plus que de réparer le dommage qu'il a causé, non par malice mais par ignorance. Trop de fois j'ai pu constater combien les apparences étaient trompeuses, mais la fougue qui m'anime souvent m'entraîne trop loin. J'aimerais à présent mettre cette fougue à votre service, à vous bons esprits. »

« Hourra pour don Quichotte de la Manche ! » Lui répondait-on.

« Vive le chevalier de Jollywheat ! »

Et c'était comme s'il était un poney, non un humain : on l'aurait volontiers porté en triomphe si la fatigue ne s'était pas installée. Dès qu'on le vit bâiller, on s'arrangea pour lui trouver une couche. On transporta le meilleur lit du village dans la meilleure maison, et on lui demanda si Rossinante dormirait dans la même chambre, ce qui le fit rire.

« Si c'était à la belle étoile, la question ne se poserait pas ; si c'était un simple destrier, je l'enverrais à la grange ; mais Rossinante se révèle être magique et douée de parole, aussi est-il juste qu'elle décide par elle-même. »

« Je parle, mais chevalier, » le supplia la jument, « je reste votre destrière. »

« Alors faisons les choses dans l'ordre, et ne bousculons pas les coutumes qui ont donné tant de grands chevaliers ! Mais assurez-vous qu'elle ait le meilleur foin et l'air le plus frais ! »

Les habitantes n'étaient pas bien sûres de comprendre, mais enfin on aménagea une autre chambre en bas de la maison où on déposa, à côté du lit, deux bottes pleines de foin. Après quoi le sheriff invita Applejack et ses amies à passer la nuit dans son manoir.

Sans doute jusque-là il ne s'était pas passé grand-chose, et si le héros de notre histoire, ce don Quichotte, n'avait pas été humain, elle n'aurait même pas valu d'être racontée. Les ponettes n'ont même pas été surprises et c'est à peine s'il y a eu un ou deux quiproquo. Pourtant je t'assure, lecteur, que ce héros était le bon et le seul qui pouvait être, et que ce lieu était le bon et le seul qui pouvait lui convenir, comme tu vas t'en rendre compte à l'instant.

En effet le lendemain la princesse Sparkle fut réveillée par les cris du sheriff.

« Sabotage ! Trahison ! » Criait Trade Fair. « Les employés refusent de travailler ! Cet humain, don Quichotte, mène la révolte, et ils menacent de brûler les champs ! »

Il supplia la princesse d'intervenir, et Applejack de lui pardonner, mais enfin il n'osait pas défier cet humain qui avait une arme, et il suggérait d'appeler la garde pour mettre fin à ces troubles.

La princesse s'y refusa et ralliant ses amies elle repartit au village où, effectivement, la fête avait tourné court et où les juments se réjouissaient plutôt avec des fourches et des torches. Au milieu de ces troupes improvisées qui allaient et venaient comme de petites hordes se tenait le chevalier don Quichotte, notre humain, tout fier dans son armure reforgée, belle et pleine d'entrelacs. La selle de sa jument Rossinante avait laissé place à un joli caparaçon campagnard cousu la nuit même, et un étalon avait offert une nouvelle lance pour son héros.

Car à présent le chevalier don Quichotte était bien le seigneur de ces lieux.

« Qu'est-ce qui se passe ici ?! » S'affola la princesse en s'approchant.

« Halte là, et prenez garde ! » Prévint le chevalier. « J'ai prêté serment sur mon amour et la personne de ma dulcinée du Toboso que je défendrais ce village contre quiconque voudrait lui nuire et l'oppresser. »

« Oppresser ? Je ne veux oppresser personne ! »

Mais le chevalier abaissa sa visière et pointa sa lance, ce qui fit frémir la princesse. Et la monture qui s'était montrée raisonnable la veille était prête à charger. La jument avait à présent le pelage d'or, pareil au sable brûlant des déserts par-delà l'océan. Des deux c'était elle qui paraissait la plus redoutable, la plus forte et la plus svelte.

« Tu as entendu mon maître, » la prévint Rossinante, « Jollywheat appartient désormais à ses habitantes. »

« Je ne comprends pas, tu es devenue folle ? »

« Peut-être. » Se moqua la jument. « Mais j'ai appris que ces sujets avaient été vendus comme de la marchandise, et je reconnais bien là Celestia. »

Les habitantes cependant avaient vu Applejack, et on se passait le mot qu'elle appartenait à la famille. On s'approchait d'elle pour l'attraper. Sans doute, on planifiait de la ficeler et de la jeter dans une cave.

Mais la fermière s'avança jusqu'à hauteur de la princesse et demanda ce que c'étaient que ces histoires, qu'on ne pouvait pas vendre des poneys comme ça et que jamais les princesses ne laisseraient faire ça. À quoi le sheriff se permit de la corriger et, ployant face à la foule en colère, il répéta que ces terres étaient privées et appartenaient aux Apples, que la princesse y avait consenti et qu'une loi différente s'y appliquait ; que depuis des générations les poneys travaillaient non pas pour eux mais pour la famille. La garde royale, conformément, viendrait mater les dissidentes et les remettre au travail.

« C'est impossible ! » S'exclama Applejack.

« Vous ne le saviez pas ? » S'étonnait Trade Fair, pris de court. « Cela fait plus d'un siècle ! Le père de mon père travaillait déjà pour vous. Il en a toujours été ainsi. »

« Eh ben qu'ça s'arrête ! J'peux pas croire qu'un Apple puisse laisser faire ça ! »

« Tout est légal, » reprit le sheriff avec prudence, « ces poneys habitent sur vos terres, sur votre propriété, vous n'exigez d'eux que ce qui est raisonnable. »

« Je suis née ici ! » Répliqua une pouliche. « C'est ma maison ! C'est mon village ! Personne viendra me le prendre ! »

Le chevalier don Quichotte fit avancer sa monture de deux pas, ce qui suffit à faire reculer la troupe de la princesse cernée de toutes parts. Il pourrait sembler bizarre qu'un humain rallie autant de ponettes aussi aisément, mais à l'instant elles auraient aussi bien suivi un ours.

La princesse Twilight Sparkle cria à toutes de se calmer, puis affirma que, légal ou pas, tout ça allait cesser, qu'on allait tirer ces choses au clair et que les poneys étaient libres. Ce qui mit fin aux hostilités.

La révolte de Jollywheat fut donc aussi brève que facile, ou tout du moins à son commencement : mais, lecteur, tu ne t'intéresses qu'à l'humain et l'humain, pour quelque voeux qu'il fit de protéger ces lieux, allait plus tard s'aventurer ailleurs. Alors ce qui arrive ensuite à Jollywheat nous intéresse peu. Pour le moment l'esprit de fête avait repris le dessus et seul le sheriff faisait grise mine, lui qui ne comprenait plus rien à ce qui se passait, et qui se demandait s'il allait se faire renvoyer.

Quoique, je vais un peu vite : une jument également semblait morose.

Alors même que le chevalier avait posé pied à terre et serrait les sabots des habitantes venues le remercier, pareillement que s'il avait combattu un dragon, sa jument Rossinante le regardait faire de loin, sans rien dire. Twilight Sparkle la rejoignit et lui demanda ce qu'elle avait, et surtout pourquoi elle avait encouragé l'humain à se battre.

« Il est si joyeux… » songea la jument à voix haute. « Ce monde devrait être le mien, et il devrait être fait pour celui des hommes, mais au final c'est l'inverse. Princesse, j'aimerais repartir. »

« Repartir ? Où ça, en Saddle Arabia ? »

« Ah. C'est comme ça que ça s'appelle à présent… » Et la jument baissa la tête un peu plus. « En mon temps c'était l'Akhaltian Empire. »

« L'Akhal- mais c'est une légende ! »

Lecteur, si tu es érudit, je ne t'apprendrai pas que cet empire, s'il a vraiment existé, serait plus vieux qu'Equestria même, et pourrait être le premier de tous les empires. Celui-ci s'était formé le long des grands fleuves sous l'égide de la déesse Mira, laquelle disait-on avait donné naissance à tous les chevaux. Cette déesse, disait la légende, venait d'Armaneia avant de descendre au sud pour Samashah, à moins que ce ne fut Karbarley.

Cette déesse aurait affronté Celestia, laquelle lui aurait caché le soleil et, ce faisant, l'aurait exilée dans un monde froid et cruel qui ne pouvait être que celui des humains. Elle y passa des siècles, et bien des siècles encore, et bien plus à craindre pour son peuple. Et parmi les humains elle cherchait le moyen de revenir.

Alors elle avait susurré à l'oreille de ces bêtes l'idée de son monde plein de princesses et de magie. Elle l'avait répété tant et tant de fois qu'elle en avait fait sombrer nombre dans la folie. On écrivit des ouvrages à son inspiration. Puis on se lassa et de cheval d'apparat pour les reines elle se retrouva à tirer la charrue dans les champs, jusqu'à finir dans la maisonnée d'un certain don Quesada à qui, nuit après nuit depuis sa mansarde, elle murmura encore l'idée de ce monde. L'homme l'écouta.

Il se mit à lire et on crut que le mal venait des livres. Quand il fut tout à fait fou et qu'il se mit à chevaucher la jument, on brûla ses livres pour le guérir. Mais il continua, toujours plus loin à dos de cheval, entraîné par une folie que chaque nuit ravivait avec force.

Enfin la folie fut telle qu'elle ouvrit le chemin tant espéré, au travers d'une forêt sombre, jusque dans les terres d'Equestria, et la jument nommée Rossinante rentra chez elle.

Sans doute elle avait eu à coeur de faire la guerre à la princesse Celestia, sur d'anciennes rancoeurs millénaires. Mais entre temps elle était devenue une légende, l'histoire était devenue fiction et tout comme un poney aurait été bien en mal de trouver Jollywheat sur une carte, de même un habitant de Saddle Arabia aurait été bien en peine de dire ce qu'était l'Akhaltian Empire. Mais plus encore que le temps écoulé entre elle et ses sujets, c'était le temps écoulé avec cet humain qui la retenait à présent.

Elle s'approcha du chevalier et posa un sabot sur son épaule, ce qui le fit se retourner.

« Don Quichotte, rentrons. » Lui demanda-t-elle.

« Où cela ? » S'étonna ce dernier.

« Chez nous. » Dit Rossinante. « Là où je ne parle pas, là où on jeûne, là où les magiciens cachent la magie aux gens et jouent des tours aux chevaliers. »

« Mais Rossinante, tu ne comprends donc pas ? » S'attendrit don Quichotte comme devant une enfant. « Ce n'étaient pas des magiciens, ni Morgane ni Merlin, mais ma folie qui me faisait voir ces choses ! La chevalerie est morte là-bas, et ma dulcinée n'est qu'une paysanne. Mais ici, ici ! Les princesses existent encore, la magie règne et les chevaliers comme moi ont leur place ! »

Rossinante se peina à ses mots et lui offrit un regard suppliant.

« Et alors ? Ne veux-tu pas revoir ton écuyer le fidèle Sancho Panza ? Et le curé Pero Perez ? Et ta gouvernante, et ta nièce ? »

« Sancho me manque, c'est vrai. » Avoua l'homme. « S'il ne s'était pas pris dans les ronces, nous serions ensemble et sans doute, je pourrais enfin lui offrir son île. Mais raisonne avec moi : si je repars, et que je continue mon errance, j'abandonnerais les autres tout autant. Ou bien veux-tu que je m'enferme chez moi ? »

La jument baissa la tête.

« Mais ici, » plaida-t-elle, « ils ont déjà plein de chevaliers, plein de princesses, tandis que sans toi ton monde n'en aura plus aucun. Chez toi les bêtes doivent lutter pour être bonnes, elles qui sont faites littéralement de boue. Ici la magie ordonne tout. Es-tu devenu chevalier pour toi-même ou pour les autres ? »

« Pour moi-même ! » Affirma vivement don Quichotte, avant de se reprendre et, contrit, de se mettre à réfléchir.

Il se mit à faire les cent pas, l'air fâché. Il lâchait des cris parfois et la foule des habitantes le regardaient faire sans comprendre, et n'osaient pas l'interrompre. Il avait l'air d'un fou. La princesse Sparkle qui avait observé tout cela n'y comprenait rien non plus, mais crut comprendre ce qui préoccupait vraiment la jument : la peur de perdre son seul ami.

« Chevalier, » lui dit la princesse, « excusez-moi d'intervenir mais… vous n'aviez pas dit qu'un chevalier ne faisait qu'un avec sa monture ? »

Don Quichotte la foudroya du regard, puis étonné reporta les yeux sur Rossinante. Il s'assombrit un peu plus, pesta et se dépêcha de la seller.

« Rentrons, Rossinante ! Un chevalier errant va là où sa monture le mène. Trop de chevaliers se sont faits piéger par les fées et les esprits des bois, qui finissent leur vie dans ces clairières, loin de leurs voeux ! Il ne sera pas dit que don Quichotte se sera laissé prendre ! »

Puis il frappa des bottes sa jument, se rendit compte qu'elle portait toujours le caparaçon et haussa les épaules. Il lui demanda par contre, embêté, dans quelle direction se trouvait leur monde, et la jument n'en savait rien. Alors l'un et l'autre firent contre bonne fortune bon coeur et se mirent d'accord pour s'en aller par les forêts et les monts en quête de la Castille. Les habitantes le supplièrent de rester mais n'y purent rien, et à défaut elles le couvrirent de cadeaux avant son départ, et lui promirent qu'il aurait toujours sa place chez elles.

La princesse Sparkle s'en regarda aller cet humain singulier sur sa singulière monture, qui n'allaient nulle part dans n'importe quelle direction et qui se disputaient déjà après cent mètres comme un vieillard pouvait le faire avec sa fille.

Ce qu'il advint de lui, je ne sais pas, mon récit s'arrête là, dans cette plaine improbable où un humain était passé un jour, qui avait fait tout sauf ce qu'on attendait de l'humanité.

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Trone
Trone : #20047
Je rend grasse a ton grand talent de conteur. Tu est sans doute le fan-ficeur le plus doué du fandom français.
Quelque soit l'histoire que tu raconte, j'arrive a y croire, et les images se bousculent dans ma tête me faisant presque rêvée éveillé.
Bien jouer mec.
Il y a 3 ans · Répondre
rainbownuit
rainbownuit : #20025
*vide une boîte entière de cachée que les docteurs mon prescrit pour pas que Pinkie Pie me rendre fou*
Il y a 3 ans · Répondre

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