Chapitre unique

« Déblayer, déblayer... Toujours déblayer... C'est fatiguant... »

SnowFall n'avait que ces mots à la bouche, il les répétait inlassablement, comme une mélodie monotone, ennuyante.

Sa cutie mark l'avait destiné à déblayer les routes gelées du nord : un petit monceau de neige séparé en deux parties comme pour former une route. Exclus du village par ses confrères terrestres qui peinaient à donner une ration de nourriture suffisante aux pégases et licornes, pour assurer un temps plus clément sur leur petite bourgade nordique.

Car oui, cette histoire est bien lointaine, bien avant Equestria. Elle remonte à l'époque où les races se battaient pour survivre sur cette terre hostile et désunifiée. SnowFall était de ceux qui n'arrivaient pas à cultiver la terre, et qui n'apportaient rien à la société. Simple d'esprit et pauvre, la vie ne lui réservait rien de bon. C'est ainsi qu'il fut envoyé en mission par son père qui ne savait que faire de ce bon à rien. Il lui avait dit : « Pars, tu dois déblayer la neige, rendre les routes praticables et tu effaceras ainsi la dette que tu as envers nous. » Et il partit. Avec pour seuls instruments ses sabots, pour seule couverture sa fourrure et pour seule nourriture celle qu'il trouverait.

Il n'était pas aisé de se procurer à manger dans la neige et les blizzards fréquents. Plus il déblayait, plus la neige revenait. Il ne comprenait pas. SnowFall ne comprenait pas grand chose. Il savait qu'il fallait manger cependant, et à force de creuser la neige, parfois, il trouvait de rares touffes de verdure qui se battaient contre le froid. Il se demandait souvent s'il était juste de grignoter ces feuilles qui luttaient pour pousser dans la neige, alors que lui était dans les mêmes conditions. Mieux vaut manger plutôt qu'être mangé. C'était l'un des rares enseignements que son père lui avait inculqués et qui lui avait été salutaire jusqu'à maintenant.

Ce jour là, il répétait toujours les mêmes mots, déblayait toujours cette même neige et mourrait toujours de faim. Il n'y avait pas un poney aux alentours, seulement du blanc à perte de vue.

Ce fut le jour de trop. Il s'écroula sur le petit lopin de terre qu'il venait de déblayer, ferma les yeux, puis s'éteignit quelques minutes avant une tempête de neige.

SnowFall ne sentait plus ses membres tandis qu'il voyageait dans une dimension infinie, pleine d'étoiles et de bandeaux aux couleurs chatoyantes et vaporeuses. Il était porté par un vent stellaire doux et apaisant. Il paniqua néanmoins lorsqu'une voix caverneuse retentit :

- Toi qui a été rejeté par tes pairs. N'aspires-tu pas à un meilleur destin que celui de mourir seul et méconnu ?

- Qui êtes-vous ? Pourquoi il n'y a plus de neige ?

- Tu peux retourner dans la neige si tu le souhaites. Mais avant je ne te demanderai que ceci : méritent-ils de mourir, ou de survivre ?

- Ils mourront si je ne déblaye pas.

- Montre leur alors qu'ils ont besoin de toi...

Lorsqu'il reprit conscience, il faisait noir. La neige le recouvrait, mais il n'avait plus froid. Il voulut percer cette couverture de ses sabots pour se dégager, mais au lieu de déplacer la neige, il passa au travers, littéralement, sans que le manteau blanc ne bouge. Et il s'éleva dans les nues. Une fois haut placé dans les nuages chargés de glace, il aperçut son petit village par delà la tempête et s'y dirigea. Là, il resta pour espionner les terrestres. Il fut frappé par la mésentente des villageois, qui ne faisaient que se disputer pour un rien, au lieu de travailler ensemble. Plus que de la peine à la vue de ce spectacle, SnowFall ressentit de la colère. Il frappa alors de ses sabots sur les nuages glacés qui déclenchèrent une tempête si folle que les habitants crurent à un coup monté de tous les pégases réunis.

SnowFall se rappela alors que les pégases étaient les vrais coupables. C'était à cause d'eux qu'il avait quitté le village afin de ne plus être une bouche de trop à nourrir. Ils voulaient sans cesse plus de vivres en échange de quelques flocons de moins. Toujours empli de colère, il alla recouvrir de neige la nation pégase qui crut à une ruse licorne pour les éliminer avec leur magie sournoise.

"Mais oui ! Les licornes ont fait en sorte que les pégases viennent nous tourmenter. Ils prennent des vivres en échange du jour et de la nuit."

 SnowFall traîna son déluge avec lui jusque sur les licornes, et bientôt, tous les poneys se retrouvèrent dans une tempête qui s'intensifiait sous l'effet de leurs discordes perpétuelles. Il en avait assez de les entendre se chamailler. Cela devait cesser. Il voulait les ensevelir jusqu'au dernier.

Chemin faisant, il vit cette petite pégase, chétive, abandonnée par son clan qui ne résistait pas au froid mordant. Elle s'éteignit, là, sous lui. La peine qu'il éprouva dut toucher son créateur, car, quelques minutes plus tard, la petite pégase s'éleva à son tour vers les nuages. Alors que son corps restait sans vie dans la neige, son esprit s'éveilla et comme transporté par le vent glacé, elle alla, dans sa nouvelle enveloppe translucide, rejoindre SnowFall. Les deux corps éthérés surplombaient à présent la vaste étendue immaculée.

Sa rancœur à elle était bien plus virulente que celle de SnowFall et leur vengeance couplée faisait des ravages. Ainsi ils semaient la neige là où était le trouble. Puis, survint cette licorne, incapable d'utiliser ses pouvoirs, chassée dans le froid et condamnée à une mort certaine. Son dernier souffle expira, libérant son esprit vengeur sous le regard alerte des deux Windigos. Le trio était désormais complet et plus rien ne semblait pouvoir les arrêter.

Plus le temps passait plus les poneys épuisaient leur ressources et plus la fin était proche pour eux. Bientôt le châtiment serait absolu.

"La destruction de ces races avides et cruelles était le meilleur moyen d'apaiser les cœurs souffrants. Oui, le meilleur moyen, le seul moyen."

Nul espoir pour les poneys cherchant à fuir le blizzard, les Windigos s'en venaient recouvrir de leur tapis blanc leurs espérances. Et pourtant...

Un jour, alors que les hauts dignitaires de chaque race ainsi que leurs acolytes, ciblés par les Windigos, avaient trouvés refuge dans une grotte : un événement inattendu survint. Alors que les dirigeants imbus d'eux et égoïstes se voyaient gelés sur place au fur et à mesure que leurs querelles s'intensifiaient, un sous-fifre de chaque race défia le froid. Ils étaient là, tous trois en proie au gel qui commençait à emprisonner leurs membres, mais ils ne se disputaient pas, non, ils riaient. L'aversion commune pour leurs supérieurs les unifiait. Nos trois Windigos furent d'abord désappointés, et redoublèrent d'effort. C'est alors que la magie de la licorne, amplifiée par cette amitié naissante, brisa la glace et chassa les chevaux de glace.

Ceci est l'histoire telle que nous la connaissons. Cependant, ce qu'il advint des Windigos était jusque là méconnu. La magie de la licorne ne fit pas seulement fondre la glace, elle fit également fondre les cœurs et la rancœur de trois esprits que tout opposait et qui sont morts pour des raisons pourtant bien semblables. Trois races ennemies qui trouvèrent un but commun et un lien fort. Après tout, ils étaient restés unis et travaillaient ensemble à détruire ceux qui les avaient persécutés. Était-ce une simple coïncidence ? La voix qui leur avait donné les moyens de changer leur destin avait-elle intentionnellement créé un représentant de chaque race pour assouvir son désir de vengeance ? Ce n'était qu'une leçon. C'est ce qu'ils comprirent ce jour là. Ils ne devaient pas se venger, ils devaient enseigner aux autres, leur apprendre que leurs différences n'étaient pas un frein à leurs rêves et à leurs buts. Les Windigos contribuent depuis ce temps à ce que les poneys restent en harmonie. S'il est vrai que le partage et l'accomplissement de nos rêves se fait en communion avec les autres, c'est aussi vrai pour la vengeance et la destruction. C'est pourquoi ils s'assurent que chaque âme sombre et malveillante se trouve emprisonnée dans la glace. Pour apprendre à chacun que la discorde n'engendre que le gel au fond des cœurs corrompus et qu'il faut aider son prochain pour de meilleurs lendemains.