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Ne Gentem

Une fiction écrite par Cesese.

Néant

4 heures, 45 minutes, 18 secondes.
19 secondes.
20 secondes.

Les yeux clos, je regarde des formes apparaître dans ce monde beige entouré de ténèbres qu'est le mien. L'obscurité envahit mon monde. J'ai peur. J'ouvre les yeux.
Je suis dans mon lit, dans ma chambre. Demain, ou plutôt aujourd’hui, c'est dimanche, mais je n'ai pas sommeil. Je referme les yeux.
Je vois du rouge. Le rouge me fait penser au sang. Je vois une tête de poney rouge sang se former. Je rouvre les yeux.
Rien à faire, je n'ai pas sommeil. Mais je dois dormir pour ne pas dérégler mon cycle de sommeil. De plus, je dois rejoindre des amis aujourd'hui. Quelle heure est-il ?

4 heures, 48 minutes, 55 secondes.
56 secondes.
57 secondes.

Le temps passe lentement. Trop lentement. Je voudrais me lever, mais mes sabots restent cloués au lit. Alors, je referme les yeux.
Cette fois-ci, je ne vois rien d'autre que du noir ; le néant. Alors, je pense à ma vie. Que suis-je ? Un simple poney qui vit à la campagne dans ce village qu'est Arros-de-chivau, un coin bien plus paumé que Ponyville, village des éléments de l'harmonie. Je suis né près d'ici, et y ai vécu depuis ma plus tendre enfance. Depuis que j'étais un petit poulain, je rêve de devenir un pégase. Mais les rêves restent ce qu'ils sont. Pourtant, chaque soir, j'ai une petite pensée sur ce que serait ma vie si je n'étais pas né terrestre. Après tout, un terrestre mauvais pour les tâches physiques, cela ne ressemble-t-il pas au début d'une mauvaise blague ? Enfin, j'ai beaucoup souffert de la solitude, non pas parce qu'on ne me donnait pas la chance, quoique ça dépend, mais surtout parce que je ne la prenais pas.

J'avais peur. Peur de me faire des amis, car tout ce que j'y voyais n'était que les efforts pour garder l'amitié, et la souffrance qu'elle pouvait apporter. Ainsi, j'étais très peu sociable à l'école. Maintenant que j'y pense, je réfléchissais trop, mais je ne trouve pas la force d'en rire. Après tout, ai-je vraiment changé ? Du haut de ma petite majorité, j'ai eu beau me faire des amis, je n'ai toujours pas trouvé l'amour, sûrement pour la même raison. Je réfléchis beaucoup trop. "Suis-je amoureux, ou me le dis-je seulement afin de me consoler ?" ; "Si je lui propose, c'est impossible qu'elle/il accepte de sortir avec moi." ; "Même si par miracle ça fonctionnait, si je l'aime pas, aurai-je la force de casser ? Et si c'était lui/elle qui décidait d'arrêter alors que je l’aimais plus que tout ?". Il n'y a qu'une seule jument pour laquelle j'ai réussi à demander, et encore, c'était parti sur une blague. Enfin, elle a refusé direct, donc ça n'a pas payé.

Aujourd'hui, dès que je vois un poney d'à peu près mon âge, j'imagine sortir avec lui, peu importe lequel c'est. Alors, le sentiment amoureux, je ne pense jamais le trouver. Mais j'espère que je le trouverai un jour. J'espère pouvoir rire de mon passé un jour, alors même qu'il n'y a pas de quoi rire. Ce jour-là, je ne serai plus une chose insignifiante, mais un poney épanoui, sans problème, et surtout, plus seul. Mais là, maintenant, je ne suis qu'une larve épuisée de sa vie, et qui se demande quand est-ce qu'elle deviendra un papillon, et qui s'inquiète de ne jamais en devenir un. Accroché à la feuille d'un arbre, il serait très facile de lâcher prise. Mais l'instinct me pousse à manger, marcher, me reposer. Alors, je mange. Peu, mais je mange. Je marche aussi. Je suis les autres, mais mes petits sabots m'empêchent de garder la cadence que d'autres considéreraient normale. Et enfin, je me repose. 23 heures sur 24 je dirais.

Il m'est arrivé plusieurs fois de dormir des jours entiers sans interruption. Au réveil, je n'avais pas faim, mais j'avais mal au ventre. Je n'avais pas soif, mais ma langue était sèche. Je n'avais pas froid, mais je frissonnais. Alors, je me rendormais. Ce n'était qu'une fois que je me rendais compte qu'il fallait manger, que je me levais. Je préfère rêver qu'être éveillé. Un sage a dit qu'il valait mieux vivre ses rêves que de rêver sa vie, mais je n'ai pas la force de les vivre. De plus, mes rêves restent utopiques. Changer de race, changer de sexe, vivre dans un autre monde, tout ça n'arrivera jamais, peu importe les efforts que j'y mets. Mais le rêver, ça c'est autre chose. Il suffit de fermer les yeux, et l'image vient d'elle-même. Mais je sais que ces rêves ne se réaliseront jamais, donc je déprime. Voilà le cycle de ma vie. Je rêve, je déprime, je rêve, je déprime... Bien sûr, je ne reste pas toute ma vie dans ma chambre. Je sors, je vais en cours, je vois des amis. C'est d'ailleurs bien plus amusant que de rester là à déprimer dans mon lit à 5 heures 10 minutes 48 secondes.
49 secondes.
50 secondes.

Mes yeux sont déjà ouverts, je ne sais depuis quand. Je bouge un sabot. J'ai retrouvé un peu de moral avec cette rétrospection. Je me lève.
J'ouvre les volets, et contemple la lune. Seule dans le ciel, elle reste là à briller. Je ne comprends pas pourquoi la princesse Luna continue de la laisser dans le ciel. La pauvre, elle est seule cette nuit, et elle brille d'une lumière qui ne touche que des volets. Quelle ingratitude.
Je ferme la fenêtre, et retourne dans mon lit. Je commence à fatiguer.

Bonne nuit.

***

      "Que fais-tu seul dans ce champ en ruines ?" me demanda une voix douce dans mon dos.
           "Je fais passer le temps", répondis-je sans m'intéresser d'où provenait la voix.
      "Ne voudrais-tu pas ‘passer le temps’ avec de la compagnie ?"
           "À quoi bon ? Seul, je me comprends. Je n'ai pas besoin de formuler de phrases ni de respecter de règles de politesse, et j'évite ainsi un effort inutile."
      "Es-tu sûr que cet effort est inutile ?" demanda la voix en se rapprochant.
Je me retournai alors, et vis la princesse Luna en personne. Mon imagination est bien étrange pour prendre une princesse pour personnage d'un rêve. Une idée m'est alors susurrée dans mon esprit, comme quoi ce serait la vraie princesse, mais je la rejette. J'ai entendu dire que ce genre de choses arrivait très rarement, et que seuls des proches des éléments en avaient été témoins. Je ne suis qu’un poney normal.
           "Et bien, princesse, je ne le sais pas."
      "Alors, cela te dérangerait-il de nous donner un peu de ton temps ?"
           "En aucun cas, mais j'ai bien peur de vous en faire perdre moi-même."
      "Mon enfant, sache qu'on ne peut perdre de temps, on forge juste de l'expérience. Mais dis-moi donc, pourquoi restes-tu dans ces ruines ?"
           "Ces ruines représentent mon passé, j'imagine. Peu importe l'apparence, je m'y sens en sécurité."
      "En sécurité, sans toit pour te protéger et sans nourriture à manger ?"
           "Et bien..."
      "Hamlet Shield, c'est bien ça ?"
           "Oui, votre majesté."
      "Nous t'observons depuis une semaine environ. Nous avons été intriguées : pourquoi es-tu si seul dans tes rêves, alors que tu es entouré d'une dizaine d'amis ?"
           "... j’imagine, parce que je leur ferme la porte à mes rêves."
      "Tu la leur fermes ? Alors que tu sais que tu te sentirais mieux en leur compagnie ?"
           "Oui."
      "Tu es intéressant, Hamlet Shield. Tu as l'air de connaître le secret du bonheur, tout en restant dans l'obscurité."
           "C'est parce que je manque de courag-"
      "FAUX. Arrête ton hypocrisie, tu ne manques de rien. Sois honnête. De quoi as-tu peur ? D'être blessé ?"
           "..."
      "Vivre c'est souffrir. Mais cette souffrance, tout le monde la partage. Certains souffrent plus, d'autre moins. Mais tu n'es ni le plus, ni le moins à plaindre."
           "..."
      "Alors, je repose ma question. Pourquoi restes-tu seul ?"
           "Parce que... parce que je suis un couard. J'ai peur de vivre, mais j'ai aussi peur de mourir. Je n'aime pas ce monde, où tout le monde juge tout le monde et où on ne peut être naturel sans être pointé du sabot. Si je ne suis pas la norme, alors je suis un raté. Alors, il faut faire comme tout le monde : être un salopard en critiquant continuellement les professeurs, en se moquant des plus faibles, en parlant des autres poneys dans leur dos, en décrivant les défauts des autres en boucle chaque jour ! Sauf que je suis celui dont on se moque, dont on parle dans le dos, dont on rappelle chaque jour pourquoi c'est un nul qui ne réussira jamais rien dans la vie et qui ne comprend rien à l'«humour» ! Alors quand on vous dit à longueur de journée, 200 jours par an, que vous êtes un minable raté, vous en avez marre au bout d'un moment !!"
C’est alors que, contre toute attente, la princesse m'étreignit. Mes larmes souillaient son pelage, et je ne pouvais plus rien faire.
      "Calme-toi. Je comprends ce que tu ressens. C'est pourquoi je suis venue dans ton rêve."
Elle desserra l'étreinte, et me regarda dans les yeux.
      "Je suis venue te faire une proposition. Que dirais-tu de venir vivre au château ? J'aimerais t'apprendre ce qu'est la vraie vie, sans personne pour te dire ce que tu es."
           "... Pardon ?" dis-je en séchant mes larmes.
      "Tu es sans l'ombre d'un doute très sensible, et doté d'un sens de la logique très développé. Si tu viens au château, je te formerai en personne pour les études que tu souhaites. Après que ma sœur ait fait de Twilight Sparkle son élève, j'aimerais à mon tour m'occuper de toi. Acceptes-tu ?"
           "Je... je ne suis pas sur..."
      "Pourquoi hésites-tu ? C’est pourtant un grand honneur que nous te faisons."
           "Oui, sans doute… Bien, j’accepte."
      "Magnifique, dans ce cas je pars te chercher à l’instant. Je te conseille de te réveiller, il est déjà dix heures du matin."
C'est ainsi que la princesse immortelle s'envola, me laissant seul dans ces ruines qui me semblèrent après coup bien lugubres.

***

Mes yeux picotent un peu. Le soleil me gène, et je n'arrive pas à me rendormir. Tant pis, après avoir grogné un peu, je me lève vers la fenêtre. Encore un dimanche monotone. Je dois aller voir mes amis à 13h dans la forêt, vaut mieux pas que je traîne à me préparer. Je descends. Alors que je finis de me brosser les dents, on sonne à la porte.
           "J'arrive ! 5 minutes..."

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