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Une simple note

Une fiction écrite par ShiningParadox.

Chapitre I : La Grande Ville

Vinyl Scratch traversa d'un sabot détaché les grands étals de fruits et légumes. Elle marqua une pause et prit une profonde inspiration, l'esquisse d'un sourire se dessinant sur son visage.

Elle continua son exploration et s'amusa à citer dans un murmure le nom des fruits qu'elle reconnaissait, comme pour ne pas les oublier : « pomme, cerise, melon ». C'était bête, elle le savait, mais la petite échoppe lui rappelait avec un pincement au cœur sa vie campagnarde. L'ambiance de la ville était si différente !

Arrivée à la fin de l'allée, la pouliche resta un instant immobile, sentant son estomac gronder. La jeune jument posa un sabot le long de son ventre, son maigre repas de la veille l’avait laissée sur sa faim. Vinyl secoua sa sacoche d'un mouvement de bassin peu convaincu pour en vérifier la contenance. Rien. Elle lâcha un soupir résigné.

La pouliche releva le museau et parcourut l'épicerie d'un regard circulaire, son œil se posa instinctivement sur le monticule de pommes qu'elle venait de croiser. Les quelques rayons de soleil qui traversaient le magasin rendaient leur rouge éclatant et leur aspect terriblement appétissant. Elle se mit à respirer plus fort, un air chaud sortit de ses naseaux ; une petite odeur sucrée vint chatouiller ses narines qui se dilatèrent. La licorne ferma alors les yeux pour mieux apprécier le parfum du fruit.

Elle vit les pommiers de sa jeunesse se dresser devant elle et se rappela la douce odeur s'échappant de la cuisine de son enfance ; Vinyl se retrouva ainsi face à une table d'un bois raffiné dont on ne pouvait voir le bout. Devant elle passaient en rêve tous les plats que l'esprit pouvait imaginer. Tout n'était que tartes délicieusement sucrées, moelleux aux pommes enrobés d'un caramel encore fumant et crumbles croustillants, dans lesquels sa mâchoire s'ouvrait puis se refermait instinctivement. La salive emplit sa bouche.

Comme précipitée dans une eau glaciale, Vinyl ouvrit les yeux, le regard fou. Elle fit un pas hésitant vers l'avant. Puis un deuxième. Chaque mètre parcouru accélérait son rythme cardiaque. Elle pouvait sentir son sang parcourir plus rapidement ses veines. Elle s'arrêta un instant, tremblante. Son œil se posa sur la propriétaire occupée à ranger des cagettes dans un coin. Son cœur rata un battement, elle ne pouvait plus penser correctement.

La licorne ouvrit sa sacoche en hâte et y glissa plusieurs pommes à l’aide de sa magie avant de partir d'un pas rapide et trébuchant. Ses yeux s'emplirent de larmes de culpabilité, réduisant sa visibilité tandis que la sonnette émettait une longue plainte et que la porte s'ouvrait pour laisser disparaître la malheureuse. Le soleil lui fit perdre, l'espace d'un instant, toute notion de lieu et de temps. Elle se sentit flotter, ballottée de tous côtés.

Elle venait de le faire, pour la première fois. L'appel d'un besoin primaire l’avait poussée à voler. La jeune jument avait envie de fuir la vie rude que la ville lui avait offerte, mais elle ne pouvait malgré tout s’y résoudre. Elle devait continuer de croire et d’espérer. Vinyl reprit peu à peu ses esprits et se laissa guider par la foule qui l’entourait, flânant de rues en avenues, bousculant quelques passants qui se retournaient en grognant, la fusillant du regard ou lui adressant quelques remontrances qu’elle tâchait d’ignorer.

Derrière ses petites lunettes de soleil, un modèle simple de l’époque aux verres arrondis et à la monture fine, elle retint une nouvelle larme avant de cabrer sa taille pour se donner un faux air d’assurance : « Tout est dans le paraître, lui disait son père, montre au monde que tu as la carrure pour le soutenir et celui-ci te le rendra ».

Vinyl eut de la peine au souvenir de sa famille. Sa fugue était encore fraîche et chaque jour passé dehors pesait sur son cœur. Elle repensa à son père, quelques mois avant l’accident, qui lui souriait chaleureusement.

La mort prématurée de sa mère l’avait profondément transformé. Elle se souvint de ses pleurs jusqu’à tard le soir qui l’empêchaient de trouver le sommeil. Il avait subséquemment commencé à boire pour combler le vide de sa disparition et peu à peu, la condition de la ferme familiale de Whitefield, au nord-ouest de Manehattan, s’était dégradée jusqu’à l’inévitable. Le fermier avait dû vendre ses terres et la jeune pouliche l’avait quitté un matin pour partir vers la métropole à la recherche d’une nouvelle vie.

Manehattan. Le nom de la grande ville était sur les lèvres de tous. Haut lieu des fantasmes et des utopies les plus folles, la métropole avait su se développer à une vitesse jamais égalée. En quelques années, la petite cité portuaire avait pris des proportions insoupçonnées. Chaque rue, chaque croisement était le centre d’un véritable brassage culturel, fourmillant d’informations, de vie, d’inspiration et d’opportunités.

Les plus traditionnels avaient d’abord crié à l’indignation, craignant la disparition des us et coutumes qui faisaient le charme et la particularité d’Equestria ; mais il n’en fut rien. La ville dansait avec les cultures, les recomposant à son aise au gré de son évolution. Il en était sorti un air nouveau, une hymne à la splendeur collective.

Rapidement, les bâtiments avaient pris une forme nouvelle, plus effilée, tendant à repousser le ciel toujours plus loin. Il était même question d’un gigantesque projet où se dresserait le joyau d’une architecture nouvelle, bâti d’acier et de béton.

Parachutés dans cet univers nouveau, certains avaient su contrôler leur chute, maîtriser leur trajectoire pour atterrir en haut d’une échelle sociale inédite. Il ne suffisait plus d’être issu d’une grande lignée pour dominer, le charisme et la perspicacité étaient devenus les maîtres-mots.

La ville était un rêve plein d’amour, d’énergie, d’heureux hasards, de découvertes impromptues, de tensions et de pleurs, parfois, mais toujours un espace de création. Cependant, au fil du temps, l’écho de la joie et de la perfection avait laissé apparaître une autre face, plus sombre cette fois, de la métropole nouvellement souveraine.

Vinyl Scratch l’avait appris à ses dépens. Elle avait atteint les portes de la ville en fin de soirée, peu avant minuit, avec pour seul bagage une petite sacoche à moitié vide. Là où partout ailleurs il aurait été tard, Manehattan bouillonnait encore d’activité. La licorne se souvenait encore des fiacres qui se croisaient dans un brouhaha assourdissant, des boutiques qui diffusaient leur lumière dans les rues animées. Elle avait été marquée par l’odeur de gaz omniprésente qui s’échappait, invisible, de l’éclairage public.

Ne sachant où dormir, elle avait interpellé quelques piétons qui s’étaient contentés de l’ignorer ou d’accélérer le pas. La ville l’avait avalée, la ponette n’était devenue rien d’autre qu’une ombre parmi tant d’autres. Les rêves de la jeune jument de Whitefield avaient alors été balayés par le souffle de la métropole. On lui avait dit qu’aucun travail n’était disponible pour une pouliche de sa carrure ; aucun hôtel n’avait accepté de la prendre faute d’argent ; aucun particulier n’avait même daigné lui entre-ouvrir sa porte. Elle avait fini par errer sans but, refusant la mendicité. La soif puis la faim étaient devenues ses plus chers compagnons, lui susurrant continuellement à l’oreille la dure réalité.

Le heurt avec un passant la fit revenir à elle.

Sonnée, la ponette mit quelques instants avant de reprendre ses esprits. Vinyl écarquilla les yeux et s’étonna du lieu où elle se trouvait. Les hauts bâtiments avaient laissé place à de petits appartements de briques à l’architecture simple. De nombreux zèbres vaquaient à leurs occupations tandis que le soleil déclinait lentement à l’horizon, teintant la scène d’un léger halo orangé. Elle laissa échapper un petit rire : la jument adorait cette période de la journée. Le crépuscule avait toujours été un moment relaxant où elle pouvait se laisser aller. Regagnant un peu confiance, elle reprit son chemin à la découverte de ce quartier encore inconnu.

Cette excursion inattendue lui fit tourner la tête. L’ambiance était très différente ici, et la multitude des détails, couleurs et senteurs, lui rappelait les jours de marché de son village.

La rue, de largeur respectable, continuait à perte de vue et était entrecoupée à intervalles réguliers par de nombreuses parallèles. Il y avait des centaines d’équidés, jouant, travaillant, courant et discutant dans une cacophonie assourdissante. Des calèches transportaient fruits et légumes au travers le quartier, dans les cris des marchands qui essayaient de se faire remarquer. Deux pouliches couraient sur le trottoir devant elle, se bousculant et riant de bon cœur. Un peu plus loin encore, un groupe avait installé sur le trottoir une petite table pour jouer à ce qui lui semblait être du tarot. Un zèbre de grande taille poussait un tonneau de cidre à la force de ses jambes tandis qu’un autre, au visage affermi par les années, jouait du saxophone sur un balcon.

La pouliche passa devant un bâtiment aux larges ouvertures dont s'échappait le son du marteau travaillant la pierre. Emplie d'une curiosité croissante, elle tourna la tête et aperçut des ouvriers sculptant la forme d'un lion mais qui était muni de grandes ailes et d'une queue bien étrange. Ce monstre, dont la simple vision la fit frissonner, semblait la fixer d'un regard mauvais, comme un silencieux avertissement. L'un des zèbres se retourna et la dévisagea d'un air déplaisant, elle accéléra le pas et s'éloigna de l'atelier.

Un peu plus loin, sur sa gauche se trouvait un chapelier. Vinyl s’arrêta un instant et aperçut son reflet dans la vitrine couverte d’une légère poussière : elle avait tant changé depuis son départ. La ville l’avait vieillie tant sur un plan physique que moral. La jument contempla le bleu électrique de sa crinière en bataille et se surprit à grimacer. Elle n’avait jamais réussi à les coiffer proprement, mais le résultat lui allait étonnamment bien, déstructuré, comme sa vie actuellement. Sa robe, quant à elle, était d’un blanc sale et arborait, par endroits, quelques taches grisâtres au milieu de poils collés par la sueur et la crasse des derniers jours. Son regard se posa alors sur son flanc, vierge. Rien de la ferme ou de sa petite ville n’avait réussi à la rendre spéciale. Il lui avait fallu du temps pour ignorer les moqueries de ses camarades et se dire que, loin d’être un défaut, l’absence de marque de beauté lui offrait l’infini des possibilités. Vinyl leva les yeux et vit la réflexion de plusieurs zèbres la dévisager. Elle se retourna puis se figea dans son mouvement.

Comment avait-elle pu oublier ?

Elle se recroquevilla instinctivement sur elle-même, les oreilles en arrière. Une tension foudroyante traversa ses muscles qui se contractèrent un à un. Figée, tremblante, ses pensées se bousculaient et s'entrechoquaient à la recherche d'une solution.

Les zèbres n’étaient pas acceptés plus haut dans la ville ; ils n’avaient pas les mêmes droits que les poneys et ne pouvaient circuler librement. Il en résultait une incroyable tension que Vinyl n’avait jamais réellement comprise. Elle avait certes entendu de nombreuses histoires au sujet de ces équidés, certaines terribles, pleines de violence, mais la pouliche n’avait jamais encore eu l’occasion d'en rencontrer. Elle déglutit.

Un petit groupe se formait autour de la malheureuse, tous la fixaient avec insistance : certains agressifs, d’autres mal à l’aise ou du moins interrogateurs. La scène s’était figée devant elle, parfaitement silencieuse et elle pouvait distinguer avec précision chacun des visages lui faisant face. La jeune jument sentit une goutte de sueur glisser lentement le long de son encolure, accentuant son malaise pendant qu’un long frisson lui parcourut l’échine.

Une seconde, une minute, plus peut-être, s'était écoulée. Son instinct lui hurlait de partir au grand galop, de laisser ce quartier loin derrière elle, de tout oublier et de se cacher derrière les pattes de son père ; mais elle était incapable de tout mouvement.

Elle s'écroula sur l'asphalte dans un bruit sourd en signe de résignation. Plus rien n'avait d'importance, elle avait échoué.

« Mademoiselle ? » Ce simple mot avait été prononcé avec douceur et délicatesse, empreint d'une sagesse que seul un grand âge peut apporter.

« Mademoiselle ? » Elle releva la tête, étonnée. Ne serait-ce donc pas la fin ? Elle vit un vieux zèbre lui sourire doucement. Vinyl Scratch ne savait que répondre. La licorne cligna des yeux à plusieurs reprises tout en gardant le silence. Elle ouvrit la bouche puis la ferma à nouveau, sans qu’aucun son n'en sortît.

« Vous voilà dans un sacré pétrin. Venez avec moi, j'aimerais entendre votre histoire », continua-t-il, imperturbable. L'étonnante requête lui fit l'effet d'un coup de fouet ; interloquée, elle lâcha un « Hein ? Heu pardon ? Je veux dire, qu'avez-vous dit ? »

Le zèbre rit de bon cœur et tendit un sabot pour aider la jument blanche à se relever. Ils partirent dans l'étonnement général de la foule qui, ne sachant comment réagir, se poussa pour laisser passer les deux protagonistes.

Ils remontèrent la rue au petit trot. Le vieil équidé se faufilait avec une grande agilité entre les passants qui avaient repris leurs activités, si bien que la pouliche peinait à ne pas se laisser distancer. Elle accéléra et murmura pour elle-même « Dans quoi je me suis laissée embarquer... »

Son sauveur bifurqua soudainement sur sa gauche, la licorne blanche le voyait à peine entre les têtes des habitants. Elle pressa alors le pas et s'engouffra dans une petite ruelle étroite. Une porte était entre-ouverte sur sa droite. Était-il entré ? Vinyl fit quelques pas hésitants et entrebâilla la porte.

À l'intérieur, un petit escalier de bois étroit montait rapidement vers les hauteurs du bâtiment. Elle marqua quelques secondes d'hésitation. Pouvait-elle faire confiance à cet inconnu ? Pourquoi était-il parti si vite ? Tout un tas de questions se bousculaient dans sa tête.

Elle secoua sa tête et gloussa. « Tout c'la est ridicule ! » et monta les marches quatre à quatre.

Le haut de l'escalier menait directement à un petit appartement dont la porte d'entrée était ouverte. Elle posa un sabot sur le vieux parquet de l’appartement qui craqua doucement en retour, comme pour l’inviter à aller plus loin. La pièce était de taille modeste et ne contenait qu'un mobilier discret : un sofa terni par l'âge faisait face à un vieux piano en bois, dont certaines touches étaient enfoncées. Près d'un gramophone, s'accumulaient dans un coin, un nombre très impressionnant de disques vinyles dont les noms des artistes, bien visibles, ne lui disaient rien. Puis elle le vit, le zèbre qui lui avait permis de fuir la foule quelques instants plus tôt, assis sur un petit coussin. Il était près de la rambarde du balcon, profitant des derniers rayons de soleil qui rasaient l'horizon.

Sa crinière était taillée courte et était d'un blanc des plus purs. De longues rides parcouraient son visage. Son poil semblait dur et ses rayures, comme ternies par le temps, n'étaient pas très contrastées. Ses yeux se posèrent un instant sur la marque de beauté de son hôte, mais elle n'en comprit pas le sens. Encore un truc de zèbre sans doute, pensa-t-elle. Il l’invita à venir le rejoindre d'un petit geste de sabot ; la licorne s'avança et s’assit précautionneusement sur le sol avant de plonger son regard au fond des yeux du vieillard. La ponette frissonna. Elle y vit du regret et de la tristesse, mais également une petite lueur de malice, comme s'il voyait pour la première fois l'occasion de se racheter. L’ancien laissait la jeune jument l’inspecter. Quand Vinyl eut fini, il prit la parole : « Ta présence dans ce quartier est assez étrange. Je suis curieux, curieux d'en savoir un peu plus sur ce qui t'a amenée ici ».

Elle prit quelques secondes à rassembler ses esprits et débuta son récit. Vinyl ne savait pourquoi elle se confiait à cet étrange personnage, mais elle lui raconta son histoire, son enfance à la ferme, la mort de sa mère, son départ prématuré et la désillusion que lui avait apporté Manehattan.

Sans même s'en rendre compte, quelques larmes s'étaient mises à couler le long de ses joues. La tension s'évacuait doucement au fur et à mesure qu'elle lui relatait ses souvenirs. La jeune jument avait tout accumulé depuis son départ de la ferme, tâchant de garder la tête haute face aux événements. Elle n'avait pas flanché une seule fois malgré les difficultés accumulées ces derniers jours. Mais c’en était trop.

Le zèbre l'écouta avec patience, attendant que la tempête passe. Il avait eu une vie assez difficile lui-même et l'expérience lui avait appris à respecter la parole des autres.

Quand Vinyl eut fini, il se leva sans mot dire et commença à jouer de son saxophone, une mélodie au son de la détresse de la jeune jument. La licorne l'écouta jouer, encore et encore jusqu'à ce que l'ombre d'un sourire apparaisse sur ses lèvres. Le ton de l'instrument se mua alors progressivement en quelque chose de plus léger, un son clair, nouveau. Elle avait déjà entendu quelques saxophonistes ici ou là durant la courte semaine qu'elle avait passée à Manehattan, mais le vieillard renvoyait un sentiment très différent de la musique qu'elle avait l'habitude d'écouter. Elle sentit quelque chose grandir en elle, comme une révélation.

Dans une dernière aspiration, il mit l'instrument de côté. Un long moment passa sans que l'un ou l'autre des équidés ne prononce un mot. Malgré cette pause, Vinyl ressentait toujours le son de l'instrument résonner en elle.

Le zèbre brisa le silence : « La musique n'est pas simplement une affaire de notes et de structure, la musique est une expression de ses sentiments. Si certains vont se venger contre leurs ennemis, je préfère composer à leur perte ». Son ton se voulait rassurant et doux mais aussi légèrement insistant. Plus qu'un message, il voulait lui faire vivre ce qu'il pouvait ressentir en jouant.

Il s'avança de quelques pas et lui tendit le saxophone. Vinyl Scratch le dévisagea un instant, indécise sur ce qu'elle devait faire. La jument ne s'était jamais essayée à la musique auparavant, ne trouvant pas ça réellement… intéressant. Malgré sa corne, elle avait toujours été élevée dans l'esprit du travail de la terre auprès de ses parents. La pouliche se leva d'un bond : « Non ! Enfin je veux dire, je peux paaas ! » Le rouge lui monta aux joues. Voyant que le vieux ne bougeait pas d'un poil, elle ajouta hésitante : « Ehh, j'ai rien d'une musicienne vous savez, et puis, eh bien, je dois y aller, ciao ! »

Alors qu'elle se retournait en direction de la porte, elle entendit la voix du vieil équidé résonner : « Tu as autre chose à faire ? Je peux t'apprendre, c'est ta chance, à toi de la saisir ».

La pouliche se figea une nouvelle fois, partagée sur ce qu'elle devait faire. D'un côté son interlocuteur n'avait pas tort, en une semaine, elle n'avait pas réussi à trouver sa place dans la grande ville et rien ne laissait présager que les choses changeraient du tout au tout dans les prochains jours. Elle se surprit à sourire. Et puis pourquoi pas après tout ? pensa-t-elle, ça fera au moins une histoire délirante à raconter si j’obtiens un jour ma marque de beauté de conteur.

Bien plantée sur ses sabots, Vinyl s'approcha de l'instrument en laiton. Le zèbre s’avança doucement vers la jument au pelage blanc et l'invita à se mettre sur ses deux pattes arrière. Elle perdit rapidement l'équilibre et tomba sur le flanc, fébrile. Dans un petit sourire en coin, le vieux l'encouragea à réessayer. Cette fois-ci, il se colla à Vinyl pour qu'elle puisse s'appuyer sur son dos.

Elle prit l'instrument dans un mouvement lent, presque révérencieux et se figea. De nombreuses questions lui arrivaient à l'esprit : Que dois-je faire ? Comment se tient l'instrument ? Suis-je réellement en train de faire ce que je suis en train de faire ? Oh Celestia !

Il lui chuchota doucement à l'oreille : « Prends l'instrument comme ceci ». Il lui montra et Vinyl fit comme il dit.

***

Flawless Measure. C'était son nom. Le vieux zèbre était devenu son mentor et elle commençait à se faire accepter par les habitants du quartier, malgré quelques insultes entendues ici et là.

Vinyl Scratch était devant le vieil immeuble du zèbre, attendant le signal de l'horloge du quartier. Cela faisait quelques jours que la jeune jument venait, à 14h30 précisément – la régularité était clé d'après l’ancien – apprendre à dompter cet horrible instrument.

Si la ponette adorait entendre Flawless se lancer dans de grandes improvisations, elle n'avait jamais encore réussi à aligner deux notes correctement. Elle s'était énervée, avait pleuré, une fois, et avait même essayé de se plaindre plus ou moins tendrement au musicien ; mais celui-ci ne cessait jamais de lui sourire et restait silencieux.

Le son net du clocher vibra dans l'air chaud de l'après-midi. La licorne ferma les yeux un court instant et se mit à monter les marches en bois d'un petit trot enjoué. Elle frappa à la porte et entra.

« Je peux te proposer un thé ? » lui dit l'aîné en guise de salutation. « Nope, j'te remercie, j'aimerais directement jouer. J'ai essayé de suivre ton conseil l'autre soir et j'aimerais le mettre en pratique.

– À ta guise ».

La jument s'avança jusqu'au saxophone et prit une profonde inspiration. Elle se dressa sur ses deux pattes arrière, s'adossa contre le mur pour gagner un peu en stabilité puis saisit l'instrument et porta le bec à sa bouche. Une note, puis une autre, doucement. Le son qui sortait de l'instrument en laiton n'avait rien de majestueux entre les sabots de la jeune licorne, mais celle-ci ne se découragea cependant pas.

Flawless lui avait expliqué que le jazz ne s'apprenait pas, qu'il se vivait. Il lui avait dit que ce n'était pas de la simple restitution de partition comme la musique classique, qu'il fallait faire corps avec l'instrument, corps avec sa musique. Il lui avait expliqué que le jazz était la retransmission de ses sentiments, que c'était une façon de s'exprimer et de les partager avec le monde. La jument avait alors essayé de s'imaginer dans la position d'un grand jazzpony, virtuose et maître de son art. Toute la soirée de la veille, elle avait improvisé un morceau sans même avoir l'instrument entre les pattes.

Sortant de ses pensées, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas arrêté de jouer. Le son qui sortait de l'instrument était encore loin de ce que pouvait faire le vieux musicien, mais pour la première fois, celui-ci avait gagné en pureté et en assurance.

Tremblante d'euphorie, Vinyl Scratch s'éloigna de quelques pas du mur alors que le tempo de sa musique augmentait. Elle était enfin sincèrement heureuse. Repartant dans son imagination, elle se mit à faire quelques pas vers l'avant. Ses sabots se tordaient en appuyant sur les clés qui claquaient de satisfaction. Sans crier gare, elle souffla à pleins poumons dans l'instrument en levant le saxophone au-dessus d'elle. Vinyl Scratch perdit l'équilibre et s'effondra dans un bruit sourd contre le parquet de l'appartement.

Le vieux zèbre se mit à rire de bon cœur devant la jument qui le regardait d'un air mi-vexé, mi-enjoué. Il s'avança vers elle et lui cria : « Je le savais ! », avant de se remettre à rire. « Tu ne comprends pas ? Mais regarde donc ! Quel flanc, quelle allure ! »

Vinyl Scratch tourna lentement la tête vers sa croupe et la vit. Deux croches noires parfaitement inscrites sur son flanc encore vierge quelques secondes auparavant. Elle lâcha une grossièreté et se retourna de nouveau vers son mentor, tout sourire, avant de sauter à son encolure de bonheur. Il lui embrassa le front.

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Note de l'auteur

Merci beaucoup pour votre lecture ! Ceci marque la fin de la première partie de l’incipit de ma toute première fiction. L’écriture n’est pas un art trivial à maîtriser et il m’aura fallut de longues heures pour arriver à la fin de ce petit texte. Toutes les remarques sont bien sûr les bienvenues, alors n’hésitez pas un instant !
Le prochain chapitre mettra en scène une certaine jument à la robe grise, un an plus tard, pleine d’ambition.

Relecture : Supernova, Sangohan38 et Brocco, merci à eux.

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speedangel
speedangel : #46886
La suite !!!!! Non mais quel P***** de concept c'est coooooool :)
Il y a 10 mois · Répondre
Especiel
Especiel : #20957
Jai adoré xD Voila encore une destiné différente pour notre DJ-PON3 xD Sa va faire la euh... quatrième destiné différente que je vois xD
En tout cas bravo moi j'ai kiffer :P
Il y a 3 ans · Répondre
LifeTech
LifeTech : #16969
En lisant ça, j'avais l'impression que Vinyl était très proche de moi émotionnellement alors que j'ai pas du tout la même histoire qu'elle (logique) et que je n'aime pas trop ce poney de base (pas taper). Le passage avec la musique, qu'il faut la vivre et pas seulement l'interpréter, je trouve sincèrement que c'est le meilleur de ce chapitre, probablement parce que j'aime la musique.
J'ai hâte de lire la suite en tous cas :D
Il y a 3 ans · Répondre
Cesese
Cesese : #16945
Magnifique. Je me suis laissé porter par tes mots, et que dire de plus que ceci : Bonne continuation !
Le réalisme dont tu fais preuve dans ce chapitre (ainsi que la ressemblance à "The Snow on Her Cheek") m'ont transporté dans cet univers. Je n'ai pas de doute quant à la qualité d'écriture, en espérant que tu sauras être autant passionnant dans le futur, mais je te fais confiance ;) (zut, je n'ai pas trouvé un seul défaut :o)
Il y a 3 ans · Répondre
ShiningParadox
ShiningParadox : #16891
Yop @System, merci beaucoup pour ton commentaire !

Je m'en vais corriger de ce pas les dernières coquilles du texte. Je dois t’avouer que j’avais écris « soleil » sans majuscule puis ai changé la typographie de l’astre après relecture. Je viens de vérifier la Banque de Dépannage Linguistique de Québec [lien] et… tu as raison. Tant de règles dans cette langue !

Sinon les choses devraient commencer à se mettre en place à partir du chapitre 3, considérant mon second chapitre comme la suite de ce prologue, du point de vue unique d’Octavia cette fois ci.
Il y a 3 ans · Répondre
System
System : #16889
Je te passe rapidement une liste non exhaustive de fautes trouvées lors de ma première lecture afin que tu puisses les rectifier.

Quelque part, il y a un « zébre » au lieu d'un « zèbre », il y a également un « dépends » au lieu d'un « dépens », un « prêt » au lieu d'un « près », un « cola » – sponsorisé par The Coca Cola Company – à la place d'un « colla », un « soirée d'hier » qui aurait dû être un « soirée de la veille », un « sur les clés de qui claquaient » avec un mot en trop, un « Soleil » qui aurait dû être un « soleil » dans ce contexte, mais puisque nous sommes dans MLP, je veux bien te concéder la possibilité de capitaliser les astres compte tenu de leur importance et de leur lien avec les princesses.

Pour le reste du texte, c'est brillant. Surtout pour une première. Étant donné que cela me rappelle parfois Snow, je suppose que cela ne peut que jouer en ta faveur bien que ce ne soit pas du tout ma période ou ma culture de prédilection, mais je suis ravi de voir avec quelle fluidité et maîtrise tu as su nous communiquer tes idées et ta passion.

C'est un prologue en standalone, difficile d'en dire plus pour l'instant, mais j'attends la suite pour sûr ! Le nouveau canon que tu es en train de développer pour Vinyl me plaît bien et se démarque tellement de ce que l'on nous régurgite inlassablement que je t'encourage à continuer dans cette voie.
Il y a 3 ans · Répondre
fredericdu2375
fredericdu2375 : #16882
je crois que c'est LE couple le plus aimé celui la vinyl et octavia
Il y a 3 ans · Répondre

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