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Whitepath ou la résignation vaine. [...]

Une fiction écrite par Craïnn.

Conclusion

On fit ramener un char semblable à celui qui avait amené Whitepath à Manemoorne pour la première fois. Ce dernier étant évanoui, il n’eut pas à supporter de nouveau la terreur du mal de l’air lorsqu’on le transporta à l’hôpital public de la ville. Les deux princesses, soulagées que l’affaire se termine si bien, surveillaient le cortège, également assistées par les gardes qui avaient démontré avec zèle leur brillante inutilité. Luna remarqua une expression préoccupée sur le visage de Twilight.

On fit amener Whitepath pour une radio d’urgence, celle-ci révéla qu’aucun dégât interne n’avait été subi par la licorne, et cela malgré la frappe remarquable que Luna avait donnée à son flanc. Twilight, en complément de ces examens, tenta par trois fois de déceler une éventuelle survivance de l’énergie de Nightmare Moon dans le corps de la licorne. Trois fois elle ne décela rien, sans que cela ait pourtant l’air de la rassurer. Chaque présence qu’elle ressentait par ses capacités d’alicorne correspondait à une sensation, ou encore à une image ou à un sentiment. La première fois qu’elle l’avait essayé, pour le tester sur une de ses propres amies, elle fut surprise de ressentir l’aura de Fluttershy comme une odeur de tarte aux cerises qui se répandait depuis l’intérieur de son corps, comme si l’odeur sortait des narines plutôt que d’y rentrer. Ce fut pour Twilight l’expérience la plus étrange de sa vie.

Ce pouvoir, donc, n’était pas uniquement utile pour repérer les poneys, mais aussi pour vaguement connaître leurs intentions, leur fiabilité et leur moi profond. Le cas de Whitepath était assez inquiétant en ce qui concernait ce test. Son aura produisait une sensation de froid, un froid nu, brut, impuissant, un froid de frigo. Cette sensation, qui avait déjà déstabilisée Twilight une heure plus tôt dans le désert, lui avait redonné cette expression troublée, perplexe et inquiète. Alors que Luna fronça les sourcils en interprétant cette expression faciale comme la détection d’un restant de menace. Twilight rassura aussitôt la princesse, qui aurait vaporisé la licorne sur place, contre les ordres de sa sœur, si Nightmare Moon était encore existante.

Whitepath ouvrit les yeux. Son esprit était perdu dans un brouillard de pensées indémêlables. Il se retrouvait dans cette chambre blanche, dans ce lit blanc, accoutré de cet habit de malade vert, sans savoir comment. Il était plus que fatigué et il bougea à peine la tête quand il entendit la porte s’ouvrir. Il posa son regard sur la fenêtre, et la vision des horribles gratte-ciels gris posés comme des colonnes soutenant le ciel nocturne. Il allait se rendormir quand une crinière nimbée d’étoiles entra dans son champ de vision. Il tressaillit autant que ses forces le lui permirent, tenaillé entre peur et respect devant la princesse de la Nuit.

Luna le trouva enfin réveillé, en repassant quelques heures après le vague examen de Twilight sur ce pitoyable sujet. Elle s’entretint avec lui de son état, et la licorne lui assura qu’elle ne ressentait aucune douleur. Quand Luna lui demanda de quoi il se souvenait, elle fut soulagée d’apprendre que ses souvenirs n’allaient pas au-delà de son assaut sur le campement. Cela expliquait bien des choses. Sans l’influence de Nightmare Moon, jamais il n’aurait regagné les montagnes sans se faire repérer par les gardes. La méthode employée pour arriver à cet exploit restait tout de fois inconnue à Luna, et cette pensée la troubla autant que le bout de peignoir que l’on avait retrouvé sur son dos quand il était évanoui. Profitant de la situation, elle lui expliqua comment il avait été assommé au cours de l’assaut sur ceux qu’ils l’avaient enlevé, qu’il avait été rapatrié ici, et que cela faisait une journée qu’il dormait. Elle expliqua cela avec un sourire malin. Sourire remarqué par Whitepath, qui n’en fit aucune mention, bien qu’il le trouva douteux, cependant il n’avait ni l’énergie, ni les tripes de nier l’histoire de la princesse, qui était de plus fort cohérente avec ses souvenirs et son état actuel.

Finalement, au vu des blessures minimes que présentait le patient, il fut convenu que son départ pour la terre se ferait le lendemain même. Luna communiqua l’information à sa sœur par un courrier. Celestia lui répondit aussitôt, et lui demanda de décaler la date de retour d’une journée, en précisant qu’elle avait une belle idée derrière la tête. Luna accepta, sa sœur étant toujours maîtresse de la situation, et puis les caprices de la princesse du soleil ne se finissaient jamais en désastres, eux. Elle enviait à sa sœur son esprit calculateur. Luna informa Whitepath de la date de son départ, et lui fit une offre bien singulière. En échange d’un versement mensuel visant à combler le salaire réduit qu’il gagnait sur terre, et de nuits sans cauchemars jusqu’à la fin de ses jours, il devrait consentir à tenir dans la version de l’histoire qui sera offerte à sa famille, et à ses proches inquiétés, le rôle de coupable. Après tout, Luna n’était qu’en mission de surveillance et cette licorne, non contente de troubler la déesse protectrice, la frappe. Mais des circonstances déterminant qu’il ne savait pas qui il avait frappé à ce moment-là, lui valurent le pardon de son geste, et une rente prouvant que la princesse de la nuit n’était aucunement rancunière. En clair, elle gardait le beau rôle et une réputation sauve. Whitepath, bien que spirituel par moments, pesa rapidement la valeur d’un mensonge et celle de l’argent. N’ayant ni réputation, ni fierté à respecter, il accepta vite.

Luna prétexta la préparation de moyens divers et variés à Whitepath pour justifier la journée supplémentaire demandée par sa sœur pour de mystérieuses raisons. Whitepath hocha simplement la tête avant de se rendormir. Twilight était vite repartie en Equestria, sa mission étant accomplie. Luna mit cette journée à profit pour régler le cas de Batpride, qui se révéla simplement être un rebelle conservateur, qui, soucieux de ne pas voir l’oligarchie de Manemoorne s’effondrer, avait trouvé un moyen de rétablir l’ordre : les parchemins. Il avait trouvé des informations sur ceux-ci dans de vieux rapports qu’on avait volés dans les archives du département de surveillance de Canterlot. Ma sœur peut me reprocher d’être injuste et immature, mais je ne laisse pas des informations comme celles-ci sans surveillance, moi ! Luna fulminait. Elle avait évité la catastrophe dans ce côté, car si le corpulent Batpride avait retrouvé ces parchemins, il aurait pu causer bien des dégâts dans la campagne avant d’être stoppé. L’enlèvement de Whitepath aura au moins servi à marquer la position du camp et à prévenir le danger. Dommage, pour une fois qu’il fut utile, il ne s’en souviendrait pas.

Luna écrivit une autre lettre à sa sœur, lui demandant si le rebelle pourrait être banni à vie sur le soleil. La demande surprit Celestia, mais elle ne put refuser cela après avoir pris connaissance des faits. Elle renforça par la suite le dispositif de surveillance des vieilles archives, qu’elle croyait à tort inoffensives. La princesse de la nuit demanda par la suite, après être revenue au palais, des nouvelles de l’état de Madscroll. Celui-ci était prêt à partir dès que possible, mais il demandait avant à parler avec son professeur. Luna le vit, ayant repris sa bure et arborant un air humble, comprenant que sa remarque de la veille avait également choqué celle qui lui servit de mère de substitution. Luna sentait à travers le lien qui la reliait à son élève que celui-ci savait pour le sort qui attendait la source de pouvoir qu’il avait toujours voulue savoir dormant au creux de la montagne. Ils se regardèrent pendant une minute, sans rien dire, lui l’air gêné, elle l’air peinée. Finalement, elle prit la parole, de la voix la plus douce qu’elle put : « Tu comprends pourquoi je dois le faire ? » Madscroll ne répondit pas. Il tremblait sur ses pattes et Luna sentait la frustration monter en lui. Elle partit sans rien ajouter. Il n’y avait pas d’espoir pour lui. Il ne voyait que le passé partout, sans que ce ne fût réellement sa faute. Luna, elle, n’avait pas cette attache, et elle préféra finalement le bien de son peuple aux reliques oubliées.

Ayant pour ambition de tenir la promesse intérieure qu’elle s’était faite hier, elle fonça vers les montagnes. Elle n’eut aucun mal à retrouver la cité, l’effondrement du balcon extérieur ayant pratiquement révélé toutes les structures du palais de Nightmare Moon. Elle bénit les superstitions lunaires et les légendes qui enveloppaient les montagnes en voyant que nul n’avait eu idée d’explorer cette faille plus que béante. La nuit tombait. Elle y pénétra et chercha une étagère de fer. Luna y prit tous les rouleaux, les emmena avec elle sur la place de la cité, les déposa en tas sur le sol, et les embrasa. Alors que les maudits rouleaux se consumaient, elle jeta un ultime coup d’œil à ce qui avait été son œuvre. Cette colonne souterraine marquée de flammes bleues comme autant d’étoiles dans un univers trop ordonné ne déclencha pas chez elle le moindre petit sentiment de nostalgie. Elle éteignit toutes les flammes avant de repartir.

La navette préparée spécialement pour le départ de Whitepath impressionna ce dernier quand il la vit, fou de joie à l’idée de quitter cette planète remplie de poneys plus cinglés et vindicatifs les uns que les autres. On lui avait rendu son manteau, seul bien dont il disposa. Avant son départ, Luna lui rappela qu’il avait intérêt à tenir sa promesse, et y rajouta une condition pour s’en assurer. Si Whitepath disait la vérité à quelqu’un, elle lui enverrait un cauchemar si puissant et si horrible qu’il le tuerait. Whitepath déjà motivé par l’argent n’avait pas besoin de cette condition supplémentaire, qui représentait par contre une assurance pour Luna. Celle-ci était désormais débarrassée d’un poids et elle allait pouvoir se donner pleinement et sereinement à la préparation du prochain grand sommet des princesses, qui avait lieu dans une semaine, à Canterlot.

Whitepath, seul passager dans la navette, sans compter les quelques gardes qui s’assuraient désormais de délivrer leur princesse de son ultime souci, regardait, rêveur, les astres se succédant au fur et à mesure que le trajet passait. Il aurait pu en nommer quelques-uns, mais sa rêverie le menait vers son retour au quotidien. Le propriétaire de la librairie ne l’aurait pas viré en son absence ? Comment sa famille interprétera-t-elle son comportement ? Serait-il traité de régicide là-bas aussi ? Il soupira et fouilla instinctivement dans sa poche. Son sabot y rencontra un objet rond et froid. Il ne sut que dire en tirant de cette poche cet horrible pin’s sur lequel il était marqué en lettres bleues sur fond d’argent « Luna was here ».

Ne sachant comment interpréter ce qu’il considéra comme une très mauvaise farce, il se rendait compte que la navette entrait dans l’atmosphère et qu’un garde lui hurlait dans les oreilles d’attacher sa ceinture. Il rangea le bout de métal dans sa poche et obéit. Alors que l’engin se posait, Whitepath remarqua qu’il n’était pas à Manehattan. Il avait atterri sur une cité faite de tours toutes plus richement décorées les unes que les autres, bâties au flanc d’une montagne. La navette s’ouvrit. Whitepath n’eut pas le temps de faire un pas dehors ou encore même de profiter du beau ciel d’une matinée terrestre qu’une forme rose lui barra le chemin en hurlant « SURPRIIIISE ! »

Ils étaient tous là, sur la plateforme devant la navette. Ses parents, sa mère souriante et son géniteur grave. Ses amis, au nombre de cinq. Pinkie, qui l’avait pratiquement tué avec son embuscade et qui l’achevait à présent avec un câlin. Même son patron était là, le regardant d’un air de fierté. Au milieu de cette assemblée miraculeuse, qui emplissait de cœur de Whitepath d’une joie indescriptible, la princesse du soleil rayonnait de sa présence. Elle s’avança vers lui en premier. Whitepath, gêné d’être en face d’un personnage si important en présence de tant de monde, prit l’air le plus digne qu’il avait – qui était évidemment ridicule – et écouta Celestia lui souhaiter un bon retour sur terre, tout en le priant discrètement de ne plus lever le sabot sur la royauté. Cela fait, elle se retira.

Toute l’assemblée l’accompagna dans le dédale des salles de Canterlot, où Pinkie dirigeait les poneys en chantant joyeusement, et bondissant comme à son habitude. Comme on peut s’en douter, Whitepath était le centre d’attention de la journée. On lui expliqua que son oncle de Manehattan qui l’hébergeait, avait donné une alerte le matin d’après sa disparition. Les convives croyaient alors que c’est cette alerte mêlée au pardon de Luna qui avait valu à Whitepath son retour. Il ne démentit absolument pas leur version. Pas plus que Pinkie, à qui la princesse Celestia avait fait promettre de ne rien dire. Dès que Celestia eut annoncé ce retour, elle l’avait présenté comme une erreur judiciaire dans laquelle il y avait tout de même une faute du côté de celui qu’on avait banni. Mais, entretenant son image de généreuse souveraine, elle avait convié l’entourage du jeune poney à une petite fête de retour, organisée à sa demande par Pinkie. Seul l’oncle de Whitepath n’avait pas pu venir, étant retenu par ses obligations à Manehattan.

La joie était grande dans le cortège, et tous venaient voir Whitepath, leur adressant son petit commentaire. Ce fut d’abord son patron, un licorne marron et jovial qui lui adressa avec un sourire : « Frapper une déesse pour défendre ma librairie ! Si la moitié de mes employés avaient ce courage... Enfin, je suis fier de vous ! Pas la peine de venir négocier votre prime, je vous l’ai déjà versée ! ajouta-t-il en riant.

-Il a grandi pour devenir quelqu’un de brave ! dit sa mère, rebondissant sur le premier commentaire du libraire.

-Il a grandi pour devenir un délinquant », rectifia son père, décidément seul nuage sombre qui planait sur cette belle réunion.

Les amis de Whitepath, le sourire aux lèvres, restaient silencieux, ils savaient qu’ils pourraient presser leur camarade sur tous les petits détails de son aventure – que Whitepath était justement en train de réinventer, comme l’exigeait sa situation – quand ils auraient le temps d’être seuls avec lui.

Pinkie les fit finalement tous entrer dans une salle rectangulaire décorée des carreaux typiques du château de Canterlot. Une table rectangulaire décorée d’une nappe blanche accueillait quelques mets que l’on consommait habituellement à l’heure du goûter, alors qu’il n’était pas midi passé. Mais l’occasion était trop belle, et Pinkie entretenait l’ambiance de façon plus que correcte, jusqu’à ce que la présence inexplicable de Gummy dans un bol rempli de sablés ne vienne jeter un émoi sur l’assemblée. Seul le rire qu’eut Whitepath à cette vision permit à Pinkie de ne pas voir gâchée sa fête de retrouvailles.

Lorsque les adultes se mirent à parler entre eux, le groupe de jeunes adultes qui ne s’était pas revus depuis plus d’un an put discuter à loisir, tandis que Pinkie les écoutait discrètement en se préparant à servir le café. Whitepath vit tous ces visages où s’imprimait une curiosité absolue. À sa gauche, le pégase Bluecloud, plus sportif qu’intellectuel, mais qui, poussé par des élans d’idéal, rejoignit ce clan de marginal. Ce jour-là, il avait gardé son air de rêveur actif. À côté de lui, la licorne orange Lightsmoke, passionnée d’ésotérisme ancien. Elle avait secrètement fait rougir Whitepath au lycée, mais celui-ci préféra mettre de côté ce sentiment, étant conscient qu’elle le fréquentait plus par compassion que par affinité. Elle était sans doute la plus intéressée de l’assemblée par le récit de Whitepath. En face de lui, était l’étudiant Freebeing, terrestre passionné de philosophie, bien qu’il fût lui-même fort peu habile dans la pratique, mais il combla cette faiblesse par une connaissance impeccable des doctrines des grands auteurs équestriens. Le musicien – amateur – Wrongsound était à la gauche de notre héros. Celui-ci s’était fait connaître pour avoir réussi à produire un album de musique New Age de qualité relative. Il en profita pour en offrir un exemplaire à son ami de lycée, sous les sourires de ses amis qui semblaient dire : « Écoute ce disque et sens tes tympans fondre après cela. » Enfin venait entre le musicien et le philosophe, le terrestre Lightfeather, poète amateur reçu par quelques cercles littéraires peu conventionnels. Whitepath trouvait ses vers appréciables, et il était même un peu jaloux de son talent. Lightfeather, lui était toujours affalé comme s'il avait cumulé sur ses épaules toute la fatigue de tous les équestriens.

Whitepath, ayant rapidement fabriqué sa version des faits, parla d’un placement en résidence surveillé de quatre jours. Il ne devait alors sa libération qu’à l’honnêteté de Luna, qui avait fait mention de sa présence à sa sœur, qui accorda le pardon royal en vertu de sa supériorité d’aînée. Ainsi, il put justifier de n’avoir rien vu d’autre de la Lune que des gratte-ciels et un confort moderne similaire à celui que l’on trouve en Equestria. Ce récit déclencha la déception du groupe, en particulier celle de Lightsmoke, qui traduit son désarroi en baissant les oreilles. C’est à ce moment que Pinkie crut bon d’intervenir. Elle annonça haut et fort que le café était prêt, arrosant également, et sans que ce ne soit justifié, la salle d’une pluie de confettis multicolores. Bluecloud, le pégase à la gauche de Whitepath, en profita pour sortir quelque chose de son sac. Une bouteille thermos pour être précis, et la tendit au revenant. « Corsé spécialement pour le retour du… héros », dit-il avec un large et machiavélique sourire. Whitepath, voyant la manœuvre arriver, sans pour autant refuser le défi, prit une gorgée dans la bouteille. La concentration du café était en effet assez grande, mais ce n’était rien pour lui. Il faut dire que si boire du café était le destin de notre héros, son flanc ne serait plus blanc depuis bien longtemps. « Ho. J’ai bu bien, bien pire », répondit-il au pégase avec un sourire des plus sibyllin.

L’an 2 à compter du retour de la princesse Luna fut une année charnière en matière de progrès, autant de façon scientifique que sociale. Des relations diplomatiques se formèrent avec des peuples parmi lesquels discuter aurait semblé une chimère quelques mois auparavant. Ainsi les dragons, les griffons et les cerfs, nouveaux dans ce système qui veillait à la bonne entente des peuples, étaient les invités du grand sommet des princesses, qui, contrairement à ce que l’on peut croire, est aussi une occasion d’ouverture sur l’étranger. Ceci n’est évidemment que de l’histoire, mais le début de ce grand rendez-vous diplomatique se déroula sous des auspices plutôt incertains, ce qui marqua quelque peu les esprits. Cela faisait une semaine que l’affaire Whitepath était bouclée. Le sommet en lui-même durait cinq jours, et les dignitaires étrangers arrivaient au second, laissant la première journée aux princesses pour parler des problèmes intérieurs du royaume. Ainsi, lors de l’ouverture de ce sommet, les quatre princesses étaient réunies dans une salle, à huit-clos, sous les yeux et la plume d’un huissier chargé d’immortaliser sur son papier ce qui avait déjà l’air de la réunion la plus tendue de l’histoire équestrienne.

Autour de la table carrée, Luna, Celestia et Twilight ne cessaient de s’échanger des regards lourds de sens, tandis que Cadence, comprenant ce petit jeu et quelque peu frustrée d’en être éloignée, prenait des airs blasés, le coude sur la table et le sabot sur la joue. Deux des trois ambassadeurs qui venaient le lendemain étaient issus de peuples à la réputation brutale et sanguinaire, il y avait pourtant fort à parier qu’ils déploieraient plus de maintien que celui qui était celui des princesses dans cette salle. Finalement la réunion en elle-même commença, et avec elle le long discours de Twilight et de son programme d’aide aux blancs-flancs. Chose étonnante, Twilight avait prononcé tous les anciens discours sur le sujet avec une naïveté touchante, qui semblait servir elle-même d’argument. Or, lors de ce discours, elle avait pris un air de gravité qui contrastait totalement avec cette précédente image. Certes, l’affaire Whitepath y était pour quelque chose, même si elle n’avait jamais rencontré Whitepath, le blanc-flanc, il n’en restait pas moins que le mystère de l’aura de l’individu vint troubler son esprit plus disposé à la science et à la magie qu’à la politique.

Si Twilight n’était que très peu concentrée, au moins était-elle l’élément qui donnait le plus de dignité à l’assemblée. Luna notait à une vitesse impressionnante tous les points du discours de Twilight sur lesquels elle trouverait des failles afin de pouvoir placer son veto contre une mesure en faveur des blancs-flancs, et Celestia prenait des notes pour contrer les futurs arguments de sa sœur. Cadence, elle, était désormais affalée contre la table sans que personne n’y prêta attention. Elle-même, d’ailleurs n’était que très peu attentive. Elle donnerait sans hésiter raison à Twilight lorsque cette décision se présenterait, une telle mesure lui semblant être dans l’ordre du progrès. Du reste, elle n’écoutait pas les détails, après tout, elle était la princesse de l’amour, elle ne faisait pas dans le social.

Après cette réunion désastreuse, les princesses rentrèrent chacune dans leurs quartiers, se reposant dans le but d’accueillir les dignitaires dans des conditions optimales. Toutefois, Twilight ne pouvait contenir sa curiosité plus longtemps. Elle frappa au bureau de son professeur. Celestia l’accueillit alors qu’elle voyait avec ses notes les moyens d’empêcher Luna de gâter le projet de son élève. Twilight avait l’air extrêmement gênée, et Celestia sut automatiquement qu’elle devrait commencer la conversation : « Hé bien Twilight, tu n’as pas l’air d’aller bien.

-Vous l’avez remarqué, n’est-ce pas ? Mon discours…

-Ton discours était très bien, quoique pas assez stylisé mais…

-Non ! Je n’étais pas concentrée. Princesse, je suis face à un mystère et vous devez m’aider.

-Hum, je ne pense pas qu’il existe de remèdes magiques pour la concentration…

-Non, je… Il y a huit jours, lorsqu’il était encore sur la Lune, j’ai senti son aura… Celestia comprit de qui elle parlait, mais ne sut pas où son élève voulait en venir.

-Et ?

-Avez-vous déjà ressenti une aura aussi glaciale qu’un blizzard ?

-Plusieurs fois, mais je ne me souviens plus des poneys concernés.

-Savez-vous ce que cela signifie ? Celestia baissa son visage, et une apparence de remord et de pitié s’imprima sur celui-ci.

-Tu sais, Twilight, il arrive que des gens naissent, vivent et meurent sans jamais n’avoir réellement vécu, ou du moins avoir trouvé leur destin. Ces gens que tu nommes blancs-flancs et qui se retrouvent dans le cas du jeune Whitepath sont plus nombreux que tu ne le penses. Ces poneys sont généralement persécutés, et perdent petit à petit goût à tout. Même si la plupart d’entre eux ont la chance de vivre dans un bon confort matériel, la mort est souvent pour eux une délivrance fort attendue. Celestia était réellement désolée en prononçant cette vérité. Souvent raillés par les autres, les poneys « normaux », ils finissent par se défier de tout le monde, et leur cœur et leurs sentiments deviennent froids comme leur rancœur. Ces poneys sont des personnes en détresse et c’est pour ça que je crois sincèrement que tes idées sont bonnes. Nous tendrons le sabot à qui en aura besoin, et personne ne restera de côté. Elle frotta la crinière de son élève avec son sabot en signe d’affection. Nous ne laisserons plus personne souffrir. Je te le promets. Twilight, galvanisée par les mots de Celestia, et émue par la bonté de son professeur, demanda :

-Et Luna ?

-Ma sœur ne deviendra jamais responsable. Elle voyait les blancs-flancs comme des parasites, sans les connaître, et à présent qu’elle en a connu un qui l’a offensée, elle se figure qu’ils sont tous similaires à celui-là. Mais rassure-toi, je travaillerai dur pour que ses préjugés ne nous rendent pas la tâche plus difficile », ajouta-t-elle avec un clin d’œil à son élève. Deux ans plus tard fut votée la motion légale d’aide aux blancs-flancs, entraînant avec elle un élan de solidarité sans précèdent dans la principauté d’Equestria, et, malgré le déploiement de grands efforts, elle ne donna que des résultats fort mitigés.

Le patron de Whitepath avait consenti à ce que ce dernier passe un week-end dans la maison de ses parents, ce qui devait arriver habituellement quatre fois par an. Il fit donc le voyage dans le train depuis Canterlot avec ses amis après avoir dit au revoir à Pinkie et l’avoir remerciée pour tout. Les conversations entre amis continuèrent, chacun parlant de sa vie et de ses projets. Whitepath, ayant repris rapidement ses vieilles habitudes, ne parla que très peu, car il n’avait toujours que très peu à dire. À l’arrivée, ils se dirent tous au revoir en se promettant de se revoir de nouveau. Après la fête, qui dura bien six heures à force de discussion, et un voyage en train tout aussi épuisant, quoique moins long, Whitepath fut fourbu et ne dîna que très peu avant d’aller se coucher. Bien que son retour et son après-midi fussent marqués par la joie de revoir les siens et sa planète, une mélancolie habituelle, présente depuis chaque instant mais endormie sous ses pensées banales, mais qui ne manqua pas de le troubler ce soir-là au creux de son lit.

Alors quoi ? Tu as vu deux planètes, campagnes comme villes, tu as vu un désert et un palais, tu as parlé avec les bat-ponies. Des poneys tueraient pour voir ce que tu as vu. En moins d’une semaine, tu as vu et Luna la discrète, et la grande Celestia. Tu as vu quelques dangers, connu des peurs terribles et exagérées. Tu avais cent fois l’occasion de te faire un destin, et tu as tout laissé passer. Maintenant c’est fini, les occasions sont éteintes. Tu n’auras jamais de destin. Tu n’auras jamais de Cutie mark. C’est avec ce ton cruel que son esprit annonça une vérité qui l’était tout autant. Car Whitepath aura connu jusqu’au bout un flanc plus immaculé que le sable de la Lune qu’il avait jadis foulé.

Alors qu’il venait de s’endormir, sa mère, ravie de retrouver son fils qui lui avait tant manqué, loin de son foyer, entra discrètement dans sa chambre pour le regarder, comme une image de tendresse pure. Elle était une licorne blanche, comme son fils, au crin noir, comme son fils. À son flanc couvert d’une règle et d’un crayon, on pouvait à peu près se figurer sa profession d’enseignante en mathématiques. Cette matière faisait partie de celles dont son fils s’était défié le plus, mais cela importait peu désormais. Avant le départ de son fils, elle s’était attristée de ce que celui-ci parlait fort peu. Son départ pour Manehattan lui avait au moins donné l’espoir que le temps et la distance lui donne de la conversation, aussi avait-elle pris son mal en patience pour voir son fils arriver à quelque chose, mais non. En voyant son flanc toujours aussi blanc et son air toujours aussi taciturne que sur le chemin de la gare, il y avait quelques mois, elle sut qu’elle s’était trompée. Mais, dès lors, son instinct maternel se réveilla d’une bien étrange façon. Elle observa durant la journée les manières de son fils. Elle voyait un fond d’indifférence dans la joie qui teintait son visage à son arrivée, du mépris quand il souriait aux plaisanteries de ses amis et de la mortification quand il était en face d’elle. Cette funeste et fine observation ne la rendit pas triste. Bien au contraire, désormais, elle connaissait son fils, elle le connaissait complètement, et elle l’aimait ainsi de tout l’amour aveugle qu’une mère peut témoigner à sa progéniture. Il était incapable, mou, sans volonté, vide pour ainsi dire, et maintenant froid, cynique, taciturne et hypocrite. Oui, c’était son blanc-flanc adoré. Que de pitié ! ne cessait-elle de se dire. Cet enfant a vraiment grandi avec si peu d’affection ? Mais maintenant elle prit entièrement conscience de la réalité de la vie de son fils. Oui elle le savait, elle le savait mais elle s'en moquait.

Elle embrassa son front et remit correctement la couverture sur lui. Elle partit de la chambre en refermant lentement la porte. Alors qu’elle contemplait le sommeil de son fils tout en faisant pivoter celle-ci, elle résuma dans sa tête cette vérité qui tombait comme une sentence sur le destin de son fils. Elle avait enfanté un monstre.

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Craïnn
Craïnn : #37004
Br0hoof01 avril 2016 - #36987
Une fin qui me laisse pantois ,on s'attend à une fin heureuse mais au final la situation du perssonage n'a qu'empirer
Je suis à la limite de la dépression la
Diable... Si c'est le cas, je m'excuse d'autant plus que ce n'était guère mon attention.

Ce n'est pas une fin "mauvaise", c'est juste que rien a changé, si ce n'est une prise de conscience supplémentaire; une acceptation d'une réalité dure mais présente. Rendre la fin heureuse alors que rien ne semble y mener, c'est impossible. Un pessimisme total, non. Un retour à la vie quotidienne après un voyage hors de l'habituel, ce n'est ni plus, ni moins que la fin de Candide. Mais je maintiens que j'ai eu la main un peu lourde sur ce chapitre. Peut-être écrit dans une période de cynisme profond.

Quoi qu'il en soit, merci de ta lecture et j’espère que tu en a profité.
Il y a 2 ans · Répondre
Br0hoof
Br0hoof : #36987
Une fin qui me laisse pantois ,on s'attend à une fin heureuse mais au final la situation du perssonage n'a qu'empirer
Je suis à la limite de la dépression la
Il y a 2 ans · Répondre
Craïnn
Craïnn : #15080
constantoine26 février 2015 - #15006
Très dark ce chapitre par rapport au reste de la fiction je trouve.
cocolicoco26 février 2015 - #15020
Ui, j'avoue, on rigole un peu moins.
Mais j'ai fini par m'attacher à Whitepath (peut-être passqu'il me ressemble, par certains aspects ?). Un personnage aussi bien construit mérite sans doute d'être réutilisé, même à titre de personnage secondaire...
J'ai essayé de faire en sorte que ce récit soit dans une modération constante, car faire que de l'humour me semblait trop forcé, et ne faire qu'un récit sombre m'aurait mené à une accumulation de lourdeurs insupportables. Pour finir, il me fallait bien insister sur un des deux aspects, sans pour autant oublier l'autre, et je ne pense pas que cette histoire ait besoin d'une fin plus joyeuse.
Il y a 3 ans · Répondre
cocolicoco
cocolicoco : #15020
Ui, j'avoue, on rigole un peu moins.
Mais j'ai fini par m'attacher à Whitepath (peut-être passqu'il me ressemble, par certains aspects ?). Un personnage aussi bien construit mérite sans doute d'être réutilisé, même à titre de personnage secondaire...
Il y a 3 ans · Répondre
constantoine
constantoine : #15006
Très dark ce chapitre par rapport au reste de la fiction je trouve.
Il y a 3 ans · Répondre

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