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Jeux de vilains

Une fiction écrite par BroNie.

Jeux de vilains

Le ballet des gyrophares illuminait New York la nocturne. Les lumières bleues et rouges, si violentes, rappelaient un peu celles des clubs de la cité, en plus cru. De l'intérieur de l'immeuble de bureau, amas de verre et d'acier, fleuron de l'architecture manhattanienne, elles donnaient l'effet d'un balayage, comme le scanner d'un film de science-fiction. L'épaisseur des vitres était censée isoler totalement le gratte-ciel du bruit au-dehors, mais le boucan était si fort qu'il passait malgré tout au travers. Les sons étaient étouffés, cela dit. Le vacarme du rotor de l'hélicoptère, qui ne cessait de tourner en huit au-dessus du bâtiment, ressemblait davantage au bruit d'un ventilateur, entendu d'ici, et les mugissements des sirènes, à des plaintes d'animaux blessés.

Les snipers du NYPD, la police de la ville, avaient l'immeuble dans leur viseur depuis le début de l'opération, et l'appel paniqué des gardes de sécurité, qui signalaient la prise d'otages. Dans le plus pur respect du protocole, le NYPD avait fait son possible pour retracer le cours des événements, et identifier la menace. D'après leurs informations, il n'avaient qu'une suspecte : une jeune femme d'une vingtaine ou d'une trentaine d'années, en tailleur turquoise. Elle s'était introduite dans les locaux de la célèbre chaîne de télévision HBO avec un groupe de visiteurs du soir, avant de sortir une arme de son sac à main, et de s'enfermer dans le bureau du directeur avec ce dernier et d'autres otages. Elle avait affirmé également avoir déposé des bombes dans le bâtiment, qu'elle n'hésiterait pas à actionner en cas d'assaut de la police.

Les prises d'otages n'étaient pas chose courante à New York, Dieu merci, mais le NYPD savait comment gérer la situation. La clé, c'était le dialogue. Faire parler le suspect, savoir ses recommandations. Éventuellement, y céder un petit peu. Mais l'essentiel, ce n'était même pas de l'interpeller : c'était de garantir la vie des otages.

On ne pouvait être sûr de rien, c'était tout le souci de ce genre d'opération. Le plus calme des suspects pouvait tout à coup péter les plombs et se déchaîner, comme le plus vindicatif, subitement rendre les armes. Alors il fallait attendre, et observer. Le temps jouait pour eux de toute façon.

Dans le bureau du directeur de la HBO, le téléphone sonna brusquement. Une main aux ongles vernis s'en empara et plaqua le combiné contre son oreille.

_Oui ?

La voix était la même depuis le début de la crise. Calme, posée, agréable, charmante même. Pas paniquée pour un sou.

_Mademoiselle, c'est encore le négociateur de la police. Les gens que j'ai autour de moi aimeraient savoir si les otages vont bien.

Deux grands yeux couleur or – les merveilles qu'on faisait avec les lentilles de nos jours ! - se posèrent sur les trois silhouettes prostrées à ses escarpins vernis.

_Ils vont bien. Je me suis engagée à ne leur faire aucun mal avant la fin de mon ultimatum...

Les yeux se posèrent sur l'horloge numérique accrochée au mur, dont les aiguilles virtuelles égrainaient les secondes.

_Qui approche, soit dit en passant. Puis-je d'ailleurs vous demander où vous en êtes de mes demandes, monsieur le policier ?

_Elles ont été entendues par mes supérieurs hiérarchiques.

La voix féminine pouffa.

_S'il vous plaît, ne tournez pas autour du pot avec moi, n'essayez pas de gagner du temps. Ma question est simple, avez-vous, oui ou non, ce que je vous ai demandé ?

_Nous faisons notre possible pour...

_C'est non, donc, conclut aimablement la jeune femme en raccrochant le téléphone.

Elle sourit en pensant à la mine déconfite que devait avoir le pauvre négociateur, tant de mètres plus bas. Et le regard de reproche que devaient lui jeter ses collègues, pour avoir poussé son interlocutrice à raccrocher. Ils devaient sûrement craindre qu'elle se mette à exécuter les otages. Tant mieux. Ça accélérerait ses demandes.

C'était d'ailleurs incroyable qu'ils mettent autant de temps ! Depuis qu'elle était là, ils devaient largement avoir eu le temps de récupérer ce qu'elle voulait et lui ramener !

Enfin. Ça ne devait pas être facile. C'était bien pour ça qu'elle en était réduite à utiliser cette méthode, après tout.

Elle tira sa cigarette électronique de la poche de son tailleur, et en tira quelques bouffées. Ca ne valait pas une vraie, mais elle avait promis à sa petite amie de réduire sa consommation. Et si pour une fois elle pouvait tenir ses résolutions du nouvel an...

Bien plus bas, au niveau de la mer, les policiers observaient, les lèvres serrées, le ballet des forces spéciales, devant les grandes portes vitrées de l'immeuble. Les artificiers n'avaient rien trouvé au scanner, mais ce n'était pas pour autant qu'ils devaient foncer tête baissée. C'était peut-être des OEI, ces terrifiants Objets Explosifs Improvisés, qu'on pouvait fabriquer soi-même avec un peu de soude, de l'engrais et une cocotte minute.

La prudence, voilà ce qui caractérisait la police de la ville. Alors tant qu'ils n'étaient sûrs de rien, aucun mouvement. Surtout que s'il arrivait quelque chose aux otages ou à l'immeuble, ils pouvaient être certains pour le coup, que le maire aurait leur tête. Alors, ils faisaient ce qu'ils faisaient depuis plusieurs heures maintenant : ils attendaient.

Engourdie par sa position debout, la jeune femme se décida à éliminer les fourmis qui lui parasitaient les jambes depuis un moment.

Après avoir ôté ses escarpins, d'un pas leste, elle grimpa à même le bureau du directeur de la chaîne, avant de sauter à même la moquette, le plus loin possible.

Quand elle touchait le sol, elle gloussait comme une écolière avant de tout recommencer.

Visiblement lassé quand le spectacle se reproduisit pour la sixième fois en l'espace de quelques minutes, un des otages murmura quelque chose entre ses dents, du genre « elle est complètement folle ».

La preneuse d'otages s'arrêta net, comme si la phrase l'avait figée sur place. Elle tourna lentement son attention vers l'individu avant de s'avancer vers lui. Quand elle fut à même de le toucher, elle sortit un pistolet de sa poche, et l'agita devant le nez de l'homme.

_Je ne suis pas folle, asséna-t-elle d'une voix plus dure qu'elle n'avait eu au téléphone. J'ai juste des demandes, et je fais mon possible pour qu'on me les accorde. Et n'allez pas me dire que je ne vous traite pas bien !

De la gueule de l'arme, elle désigna une pile de magazines et de crayons, à terre, devant les prisonniers.

_Vous en connaissez beaucoup, vous, des otages qui ont le droit de s'occuper en faisant des mots croisés ? Je suis sûre que vous n'avez jamais été dans une prise d'otages comme ça !

_On a jamais été dans une prise d'otages tout court, souligna le directeur, presque avec véhémence.

_Eh bien justement, essayez de proposer ça la prochaine fois que ça vous arrivera, et vous verrez ce qu'ils vont vous répondre. Bon maintenant soyez gentil de ne plus vous plaindre, sinon c'est scotch pour tout le monde !

Le silence qui suivit la menace ne fut brisé que par le rire cristallin de la preneuse d'otages.

_Parce que j'ai ni vodka, ni tequila.

_...

_Oh allez, elle était drôle celle-là !

Un lourd SUV noir franchit le cordon de la police, portes coulissantes déjà ouvertes. A l'intérieur, deux policiers en uniforme escortaient une mallette argentée. Le véhicule s'était à peine arrêté que les agents apportaient déjà la mallette au commandant de l'opération, rivé à son talkie-walkie.

_Alors, vous l'avez eue finalement ?

Les policiers hochèrent la tête de concert, firent sauter les verrous de l'attaché-case, et soulevèrent le couvercle.

Le chef de la police jeta un œil à l'intérieur et grimaça. Une prise d'otages pour ça. Cette fille était une grande malade, et pourtant en quarante ans de métier, il en avait vu des trucs tordus. Il s'apprêta à faire signe au négociateur d'appeler la terroriste, quand une voix féminine l'interpella par dessus la barrière de sécurité.

_Monsieur ! S'il vous plaît !

Une jeune femme en robe blanche, se débattait avec un policier qui l'empêchait de franchir le cordon.

_Vous ne pouvez pas passer mademoiselle, répétait l'officier d'une voix monocorde, une opération de police est en cours, aucun civil n'est admis sur les lieux.

_Mais c'est ma copine qui est à l'intérieur, idiot ! Laissez-moi passer, je vais la raisonner.

Le policier interrogea son chef du regard, qui fit un bref signe affirmatif du menton. C'était une bonne carte à jouer, les familles des preneurs d'otages.

_Comment est-ce que vous vous appelez ?

_Bonaud, dit-elle en le prononçant à la française, Betty Bonaud. La fille qui est là haut, c'est ma compagne, Ludivine Heartstrings.

_Au téléphone, elle m'a affirmé s'appeler Lyra, souligna le négociateur, perplexe.

_C'est comme ça qu'elle aime bien se faire surnommer. Elle renomme tout, c'est son truc. Moi, elle m'a rebaptisée Bonbon, à cause de mes initiales, et parce que je bosse dans une confiserie.

_Drôle de fille, s'exclama un des policiers présents.

_Vous imaginez pas à quel point, soupira Betty. Je peux la voir ? Comment elle va ?

_Elle s'est enfermée dans le bureau du directeur d'HBO avec des otages, et elle n'a fait qu'une seule demande. Qu'on lui apporte... ça, murmura le négociateur en désignant la mallette.

Betty jeta un œil à l'intérieur et fit la moue.

_C'est de ma faute, j'aurais jamais du lui montrer cette scène. Ça m'apprendra à lui faire découvrir des séries, tiens.

_Si vous voulez lui parler, j'étais en train de composer le numéro, dit le négociateur, agitant le téléphone.

Betty s'en saisit d'un geste prompt et le colla à son oreille.

_Lyra chérie, c'est moi.

_Bonsie ! Comment est-ce que tu vas ? Ça s'est bien passé à la confiserie, aujourd'hui ?

_Oui, plutôt bien, répondit la jeune femme d'une voix blasée. Mais c'est pas pour causer de ma journée que je te parle là. Faut que t'arrêtes tes bêtises et que tu fasses redescendre les otages.

_Ils ont ce que je veux ?

_Oui.

_Vrai de vrai ? Tu dis pas ça pour m'embrouiller, hein, Bonsie ? Tu l'as vue ?

_Je l'ai même touchée. C'est la vraie, la même que dans la série. Et le commandant de la police m'assure que si tu libères les otages, et que tu te rends, on devrait même s'arranger pour que tu la gardes.

Betty éloigna le combiné de ses voies auditives alors que le cri de joie de Ludivine résonnait dans tout le quartier. Elle rendit le téléphone avec un petit hochement de tête au négociateur.

_Ca ne devrait plus être long maintenant.

Et effectivement, moins de cinq minutes plus tard, les otages franchissaient les portes d'HBO, immédiatement pris en charge par les services d'urgence.

Ludivine elle-même parut peu après, les bras au-dessus de la tête, le pistolet pendant mollement à un de ses doigts.

Quatre policiers en tenue d'assaut l'entourèrent et avant qu'elle ne puisse protester, la désarmèrent manu militari, malgré sa bonne volonté.

On lui passa ensuite les menottes et on la mit sans ménagement à l'arrière d'une voiture. Le véhicule ne partit pas immédiatement. Pas tant que la police n'était pas sûre qu'il n'y avait plus rien à craindre dans les locaux de la chaîne.

_Alors ? demanda le chef de l'opération aux artificiers.

_Négatif, aucune trace d'explosifs, même pas des OEI. Elle bluffait.

_Et son arme est fausse, rajouta un officier, examinant le pistolet. C'est juste un morceau de métal peint. Que de la gueule, là aussi.

Betty poussa un soupir de soulagement. Elle savait que Ludivine n'était pas capable de faire ça pour de vrai, aussi déterminée qu'elle pouvait être.

_Alors elle va rien avoir, pas vrai ? lança-t-elle aux policiers, la voix pleine d'espoir.

_Votre copine a quand même fait une prise d'otages, et fait mobiliser une grosse partie de la police de New York. Ca dépendra du juge, mais à mon avis, elle va se prendre une grosse amende et des travaux d'intérêt généraux, voire un peu de cabane. La seule question qui se pose, c'est « est-ce que ça en valait le coup » ?

Betty tourna la tête jusqu'à l'arrière de la voiture de police, observant le visage ravi de Ludivine depuis la vitre. Pour sa petite amie, la réponse semblait évidente.

Cette dernière ne pouvait contenir son sourire malgré l'inconfort des menottes en regardant le trésor de la mallette, qu'on l'avait autorisée à garder avec elle. La vraie main en silicone de Games of Thrones, celle de la scène d'amputation de Jaime. Elle en rêvait depuis que Bonbon lui avait montré l'épisode, et n'avait trouvé que ce moyen pour mettre la main – si on osait dire – dessus. La jeune femme était ravie. Surtout si elle pouvait la garder.

_Allez ma petite dame, annonça le chauffeur après avoir claqué la portière, et en faisant vrombir le moteur, je vous emmène au poste. Mais comme je suis dans un bon jour, vous avez le droit de choisir la musique que je mets pendant le trajet.

Elle releva lentement la tête vers le rétroviseur.

_Vous avez l'album rouge des Beatles ?

_Je dois avoir ça, oui, répondit le policier.

Les lèvres de la jeune femme s'ourlèrent en un imperceptible sourire.

_Premier disque, piste cinq, s'il vous plaît.

La musique s’éleva dans la voiture alors que le véhicule s'engageait dans la nuit new-yorkaise. De la banquette arrière, Ludivine Heartstrings, dite Lyra, sifflota quelques secondes avant d'accompagner le groupe de John Lennon vocalement.

I want to hold your hand...

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Source de l'image de couverture : [lien]

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constantoine
constantoine : #10310
Haha , cette fic est énorme avec un grand F !
Le coup des mots croisés et la musique i want to hold jour Hans , c'était des moments fantastibuleux !
Très marrante !
Il y a 3 ans · Répondre
Pinkie007
Pinkie007 : #2031
O.M.G! Lyra connais les Beatles!? Nan, j'deconne.
.C'est juste FABULEUX comme fiction! J'adore. ..:)
Il y a 4 ans · Répondre

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