A Night on Deck

"Freedom's just another word for nothing left to lose."

—Janis Joplin, "Me & Bobby McGee"

À bord du S.S Hoofington, l’élite de Canterlot se rassemblait pour sa première nuit sur le pont du bateau. Le navire était une splendide construction, fait au sabot et magiquement enchanté par les meilleurs architectes d’Equestria. À peu près une centaine des plus riches et influentes licornes attendaient dans la salle à manger du bateau, nichée dans les ponts inférieurs, près du rugissement de la bête. Le S.S Hoofington avait pris la mer du côté de la côte venteuse de Fillydelphia, à destination des Royaumes Griffons. Parmi les nobles qui avaient pris leurs sièges et frappaient impatiemment des sabots – les estomacs grognant sen signe de protestation – se trouvait pas moins que le neveu de la Princesse Celestia, le Prince Blueblood.

Resserrant sa cravate, le Prince Blueblood prit un siège à l’une des tables proche de l’entrée de la salle à manger du bateau. Il choisit une table vide, cherchant du réconfort et de la solitude en attendant son repas. C’était une reprise bienvenue.

Toute la journée, il avait pris son plus beau masque, répondant aux questions insensées et retournant les bavardages stupides des paysans qui l’accompagnaient sur ce voyage. Après tout, c’est lui seul qui avait été envoyé par décret royal visiter les Royaumes Griffons voisins pour poursuivre des négociations commerciales. Les autres n’étaient que de simples vacanciers.

Le Prince Blueblood était un étalon riche et de goût, et connaissait la valeur du temps. Tandis que le Soleil se couchait sur les eaux calmes à l’horizon, il savait qu’il n’avait pas beaucoup de temps à passer avant qu’il n’aille plonger dans la nuit. Ainsi, il s’assit dans son siège et frappa une fois des sabots.

Au bon moment, un serveur arriva, plateau en sabot. « Oui, Votre Altesse ? » demanda-t-il, inclinant sa tête.

Blueblood sourit et lança en retour, « Dis-moi, étalon. Combien de temps avant que les chefs préparent mon dîner ? Je suis assez affamé. »

Déjà, quelques gouttes de sueur froide coulaient sur le cou du serveur. « Ahh, monsieur, les chefs travaillent diligemment pour– »

« Alors dépêchez-vous de le faire venir », dit-il abruptement. Il tourna le museau et grogna, croisant ses sabots. « Et assurez-vous que ces chefs ne lésinent pas sur le vinaigre balsamique cette fois ! Par la crinière de ma tante, la dernière fois que je me suis retrouvé coincé sur l’un de ces bateaux dégoûtants et délabrés, ma salade était encore plus sèche que le désert d’Appleloosa. »

Les pupilles du serveur se dilatèrent jusqu’à la taille de son plateau. « O-Oui, monsieur ! Bien sûr, Votre Altesse ! » L’étalon s’inclina à nouveau devant son invité en se hâtant, rétropédalant vers les cuisines.

Du coin de l’œil, le Prince Blueblood remarqua une paire de licornes juments gloussantes s’avançant vers sa table. Il leva les yeux au ciel et soupira. La solitude devrait attendre. Avec réticence, le prince se retourna sur son tabouret et fit face à ses admiratrices. Forçant un sourire (en se rappelant de la leçon de Celestia sur les manières royales après ce malheureux incident au Gala), il parvint à dire, « Bonjour, les pouliches. Belle nuit, n’est-ce pas ? »

L’une des juments couina de joie et frappa ses sabots ensemble, se tournant vers son amie. « Oh là là ! Il est tellement charmant ! »

L’autre jument maintint son calme et tendit une simple serviette et une plume, brillante d’encre. « C’est si merveilleux de vous rencontrer, Votre Altesse ! S’il vous plaît, pouvons-nous avoir un autographe ? »

Résistant à l’envie de grogner, le Prince Blueblood acquiesça, serrant les dents et utilisant sa magie pour prendre la plume.

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Dans les cuisines de l’énorme bateau de croisière, une équipe de chefs se hâtaient pour préparer le repas du soir. De la nourriture importée, de toutes variétés, apaiserait la faim grandissante des passagers. Des salades fraîches, des pains cuits sur pierre, des ragoûts, et de succulents desserts demandaient un temps précieux. Un temps que l’équipe agitée ne possédait tout simplement pas.

« Peppercorn ! Laddie, ne renverse pas ce bouillon ! Ça m’a pris toute la journée pour faire ce bouillon de légumes pour ce ragoût ! » cria le chef de cuisine, Salt Sphere. Des tâches de gras et sauce sur son tablier, il secoua son museau grisonnant et ordonna au reste de l’équipage, « Accélérez, flemmards ! Ces lèche-sabots vont pas attendre beaucoup plus longtemps pour leurs plats ! »

Peppercorn stabilisa la casserole de bouillon et la porta vers l’une des plaques de cuisson. « Mais Salty, on aura encore besoin d’au moins une demi-heure pour tout préparer ! » Touchant un bouton sur son cou, il dit, « Peut-être qu’on devrait amener ce musicien pour– »

« Encore ?! » Salt Sphere grogna et essuya ses sabots sur son tablier. « C’est la seule raison pour laquelle on garde ce taré dans le coin, pas vrai, Peppercorn ? Pour rattraper votre flemmardise ! » Il fit signe vers son équipe, secouant encore son museau en signe de déception.

Il y a à peu près un mois, le capitaine du S.S. Hoofington avait engagé un musicien itinérant pour jouer pendant que le bateau naviguait autour du continent de Las Pegasus. Le nouveau était un étalon poney terrestre nommé Noteworthy, qui était monté à bord du bateau de croisière avec rien d’autre qu’une valise et un saxophone.

Ni Salt Sphere, le capitaine, ou les passagers n’avaient vu un poney terrestre saxophoniste. Coordonner ces délicates clés avec des sabots maladroits semblait, au mieux, risible. Cependant, le nouveau avait échoué à décevoir. Sur un coup de chance, Salt Sphere avait pu voir les dernières minutes du spectacle de Noteworthy.

Et devint encore plus confus.

Noteworthy semblait être un poney distant, presque arrogant. Les quelques tentatives de Salt Sphere pour entamer la conversation avec lui tombèrent à plat. Noteworthy ne semblait pas très intéressé pour parler à quiconque, passant la plupart du temps enfermé dans sa petite chambre ou au bar du Hoofington sur le pont inférieur. Mais là où il contenait et étouffait chaque mot qui sortait, Noteworthy exprimait chaque pensée et émotion qui traversait son mystérieux esprit sur scène.

Noteworthy était un drôle de type, admit Sphere, mais par Celestia, qu’est-ce qu’il savait bien jouer.

Soupirant, le chef acquiesça lentement et fit partir Peppercorn avec un sabot levé. « Va trouver ce type et amène-le sur scène. Fais-lui jouer un truc rapide pour garder cette bande de richards occupés pendant que mon équipe de feignasses finit ce dîner ! » Salt Sphere rua sur le mur avec ses pattes et frappa impatiemment du sabot. « Qu’est-ce que vous attendez ?! Au boulot, tout l’monde ! »

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Cette photo. C’était cette photo qu’il chérissait au-delà de ses maigres possessions. Des habits, une montre de poche gravée pour lui par un vieil ami, quelques livres et journaux, plumes et encre, même une petite tirelire remplie de fonds d’urgence ; tout ça pouvait être avalé par la mer rugissante, tant qu’elle lui laissait cette photo. Equestria pouvait sombrer aux profondeurs de Tartarus et il danserait dans les flammes, tant qu’il pouvait voir cette photo chaque nuit avant que le sommeil ne l’emporte.

Noteworthy s’étira sur son lit, courbant son dos sur le matelas. Il fixa le plafond, tenant le cadre photo tout près de son cœur. Le contact froid du verre et du métal contre sa fourrure lisse et bleue envoya des frissons dans sa colonne vertébrale. Il expira et tourna les yeux vers le hublot du côté opposé de sa chambre douillette. Un curieux poisson orange et blanc trouva une entrée potentielle et passa sa nageoire là, le regardant. Noteworthy sourit et se leva du lit, trottant vers la fenêtre circulaire.

Il plaça un sabot sur la vitre et tapota légèrement dessus. Le poisson ne bougea pas. Il sourit et passa la photo d’un sabot à l’autre, avant de la presser contre le hublot. Le poisson ouvrit sa mâchoire, en un petit « O » de surprise.

« Elle est magnifique, n’est-ce pas ? » murmura-t-il à son visiteur, abaissant ses paupières.

Knock knock.

Des sabots bruyants sur sa porte envoyèrent son ami écaillé s’en aller à toute hâte vers les profondeurs de l’océan noir avant qu’il puisse répondre. Avec un soupir, Noteworthy plaça la photo sur la table de chevet, dos à la porte. « J’arrive. »

Il marcha vers la porte et l’ouvrit. Devant se tenait le maigrichon, et au museau boutonné, Peppercorn, qui triturait ses sabots. Noteworthy leva un sourcil. « Peppercorn ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Noteworthy ! Les invités font encore les impatients », dit Peppercorn, les yeux baissés au sol. Même si, lui aussi, croyait que Noteworthy était l’un des musiciens les plus talentueux qu’il ait jamais entendu durant sa courte vie, quelque chose chez l’étalon bleu l’agaçait. Il pouvait bien parler de lui derrière des portes fermées, mais museau contre museau, il se sentait… coincé. Anxieux. Comme si Noteworthy savait quelque chose sur lui, quelque chose sur lequel il ne parvenait pas à mettre le sabot. Comme si le silence de Noteworthy était délibéré, pas à cause de la même bizarrerie sociale qui tourmentait le petit chef.

Noteworthy grogna et se frappa le visage avec le sabot. « Encore ? Le vieux Salt Sphere prend tout son temps en cuisine, hein ? »

Peppercorn acquiesça et fit l’erreur de regardant dans ses yeux jaunes, vides et hantés. Jaune. Doré. La couleur des pièces. La couleur des pièces, et portant, Noteworthy vivait à bord de quartiers confinés avec seulement une valise à son nom. La couleur des pièces, et pourtant, Noteworthy donnait tous ses pourboires aux barmans et à l’équipage en cuisine.

Un mystérieux étalon bleu avec des yeux jaunes. Qui en savait trop.

Soupirant, Noteworthy jeta un œil vers un coin de la pièce, là où il avait mis son saxophone à sécher. Fraîchement poli et nettoyé, l’instrument brillait et étincelait dans la faible lumière de la lampe à huile sur sa table de chevet. Chaque clé brillait en séquence, une constellation de laiton. Son second bien le plus précieux.

Même lui trouvait assez étrange de considérer l’instrument en seconde place des choses importantes. Même la photo. Après tout, le saxophone était la raison pour laquelle il était là. C’était la raison pour laquelle il avait joué et misé dans les plus prestigieux casinos de Las Pegasus. C’était la raison pour laquelle il avait dansé sur le sol en damier des nightclubs de Manehattan. C’était la raison pour laquelle il avait vu les vastes étendues de sable de Saddle Arabia et le coucher de soleil contre les falaises d’Appleloosa.

Et… c’était la raison pour laquelle il était libre.

Noteworthy prit une grande inspiration et céda. Avec un lent, et réticent, hochement de tête à Peppercorn, il se dirigea vers son saxophone. Il semblait que tous deux avaient encore du travail à faire avant de terminer leur journée.

« Je serai là dans quelques minutes, Peppercorn. Garde-les occupés. »

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« Attention, s’il vous plaît ! Puis-je avoir votre attention, s’il vous plaît ? »

Le cœur de Peppercorn tonnait. Il décala son poids sur ses sabots et se leva jusqu’à la scène, appelant à nouveau, « Attention, s’il vous plaît ! Tout le monde, puis-je avoir votre attention s’il vous plaît ?! »

Un océan de museaux dignes se tourna vers lui, la plupart d’entre eux bouillonnants de colère. L’étalon nerveux toussa bizarrement tandis que la clameur de la pièce tomba dans le néant. Il essuya la sueur de sa crinière et entama son annonce. « Ah, oui, merci, juments et étalons. Ah, oui. Ce soir, nous avons– »

« Où est notre nourriture ?! » cria une jument près du fond de la salle à manger. Elle leva les yeux au ciel, s’éventa et fit claquer sa langue. « Nous avons attendu des heures sur ce rafiot pour avoir quelque chose à manger ! »

Le Prince Blueblood leva les yeux de son verre de scotch et ricana.

Se sentant faible, Peppercorn retomba sur ses quatre pattes et se reprit. Il jeta un œil vers le coin nord-ouest de la pièce, près des cuisines. Dans les ténèbres, Noteworthy attendait patiemment, son saxophone attaché autour de son cou. Avec un hochement de tête et un sourire, le musicien le pressa de continuer.

Peppercorn acquiesça et prit une profonde inspiration. Les murs commencèrent à se refermer sur lui, avancés par la clameur grossissante des nobles en colère et affamés. « Tout le monde ! Ce soir, nous avons un invité spécial. I-Il va vous jouer de la mu-musique pendant que nous préparons vos repas aussi vite q-que nous le pouvons. »

Avant que quelqu’un puisse dire quelque chose à Peppercorn, Noteworthy commença à trotter vers la scène, hors des ténèbres. Il grimaça légèrement quand la lueur de deux chandeliers au-dessus de la scène rencontra ses yeux fatigués, douze bougies brillant vivement. Il s’était préparé à toute hâte, choisissant une cravate avec la soie la plus fine et domptant les mèches rebelles de sa crinière. Son instrument reflétait la lumière du cadre de scène et contrastait contre sa crinière bleu nuit et son pelage, semblant presque extrêmement délicat

Le silence entra avec lui, se dispersant à travers la foule. Les nobles en colère oublièrent leurs estomacs pendant un moment, regardant avec curiosité le musicien grimper les marches de la scène. Peppercorn remercia le ciel d’avoir survécu à ce moment – contrairement à d’autres de ses collègues, qui trouvaient de temps en temps un verre ou un plateau jetés sur eux par une élite impatiente – et sortit. Le Prince Blueblood étira ses sabots et fit léviter son verre jusqu’à ses lèvres.

Noteworthy prit place au centre de la scène, élinguant son saxophone depuis son cou. Il sourit chaleureusement à la foule – un modeste et unique poney terrestre dans un océan de privilégiés et bénis. Dépassé par tous en pièces, sang, et magie, il opta pour ne pas commencer par une introduction. Ce n’était ni son travail, ni l’endroit, ou ses prérogatives de se faire connaître.

Noteworthy existait simplement en jouant le saxophone.

Avec une facilité d’expert, Noteworthy prit le saxophone entre ses sabots, se pencha légèrement sur ses pattes, ferma ses yeux, et se stabilisa. Se perdant dans le goût de la anche contre ses lèvres, la sensation des clés en laiton contre sa kératine, et la chaleur des bougies brûlant au-dessus, il commença à jouer. (NdT: dans la fiction, la chanson jouée est Baker Street de Gerry Rafferty)

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Le scotch glissant le long de sa gorge fut très vite oublié. Blueblood écoutait avec prudence. Il avait vu et entendu les plus grands musiciens au Château de Canterlot. Des trompettistes, percussionnistes, violonistes, pianistes, violoncellistes – tous avaient essayé d’obtenir ses faveurs royales, de gagner son patronage. Tous avaient échoué. Le Prince Blueblood était un étalon aux goûts riches et perspicaces. Il était un hédoniste et un épicurien, mais ne tirait aucun plaisir des gens qui étrillaient ses murs sanctifiés avec leur racket sans fin.

Cependant, ceci… ces notes…

La mélodie était réjouissante et douloureuse en même temps, l’amenant à s’arrêter. Il se stoppa à mi-chemin de sa boisson et fit léviter son verre sur la table. Jetant un œil vers le musicien, Blueblood eut du mal à le reconnaître. Instantanément, il se maudit face à sa propre stupidité. Un poney terrestre saxophoniste ? Les poneys terrestres n’étaient pas censés être des musiciens. Quelques-uns d’entre eux défiaient leur propre biologie, mais ils étaient rares, en effet. Une jument terrestre qui jouait le violoncelle et un étalon terrestre qui jouait du piano lui vinrent à l’esprit. Les deux avaient presque gagné ses faveurs.

Mais ça…

Se tenant droit sur son tabouret, Blueblood regarda l’artiste au travail. Ses sabots bougeaient habilement et rapidement de clé en clé. Chaque minuscule mouvement était précis. Pas de clés erronées n’étaient pressées dans le procédé. Son tempo était constant, ne manquant aucun temps. La chanson portait la pièce avec elle, effaçant toute colère, faim, ou anxiété des esprits. Blueblood regarda le reste des invités, tous ces roturiers aux yeux écarquillés. Tous semblaient avoir oublié sa présence, subjugués par l’étalon sur scène.

Pour la première fois en de nombreuses années, Blueblood sourit comme un poulain et ferma ses yeux, buvant la musique au lieu de sa liqueur.

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Un tumulte de sabots retentissants contre les sols sortit Noteworthy de son brouillard. Extrait des profondeurs de son tango, il tournoya et ajouta Musique comme partenaire, la laissant effectuer le dernier acte. Il ouvrit ses yeux et regarda tout autour de la pièce. Presque une centaine de nobles de Canterlot frappaient aussi durement et fort qu’ils le pouvaient, de façon grossière et enchantée.

Noteworthy sourit légèrement. Il avait à nouveau dansé avec la Musique, peignant la pièce avec ses brosses en laiton. Il avait collecté les froncements de sourcils de la salle, les balayant dans la poubelle avec tempo, mélodie, harmonie, chœur et refrain. Un scénario parfait, un ton parfait, une exécution parfaite.

Néanmoins, c’était l’ultime accomplissement de la Musique, pas le sien. Toutefois, l’étalon salua – pendant juste une seconde, juste un peu – puis passa son instrument derrière son cou, trotta hors de la scène, et fonça vers la cuisine avant que quelqu’un puisse le suivre.

Il pouvait toujours entendre les applaudissements pendant qu’il passait entre les casseroles grésillant et les chefs aboyant.

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Le pari de Salt Sphere avait été gagnant. Après que l’étrange étalon avait enchanté les invités, le dîner fut servi avec beaucoup d’excuses et d’inclinations tremblantes. Des bols de fraîche salade verte et de ragoûts copieux soulignés par des légumes de chaque couleur, des plateaux de quinoa et lentilles, des paniers de pain, et des plateaux de desserts remplis de tartes et gâteaux sortirent de la cuisine. La salle à manger bourdonnait très vite de légères conversations sophistiquées et du tintement des ustensiles. La crise avait été évitée.

Mangeant seul, le Prince Blueblood échoua à remarquer la multitude de goûts complexes. Son palais cessa de comprendre les couches d’épices et les sensations. Sa fascination dépassait sa faim, transformant son repas en un simple exercice de mâchoire. En mangeant, il pensa encore à l’étalon et à sa musique. Qui était ce mystérieux musicien ? Pourquoi ne s’était-il pas présenté ? Pourquoi n’avait-il joué qu’une chanson ?

Et pourquoi cette chanson était si… puissante ?

« Monsieur ? »

Blueblood sortit de ses pensées et se tourna vers le serveur se tenant à côté de sa table. C’était le même étalon timide qu’avant, cette fois en train de tenir un plateau plein d’assiettes sales et de verres. L’étalon inclina sa tête. « Votre Altesse, y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? »

Un sourire mesquin apparut sur le museau de la licorne. « Oui, il y a une chose. »

« Comme vous le souhaiterez, Votre Altesse. Devrais-je vous amener un… » Le serveur jeta un œil vers la table de l’invité d’honneur. « Plus de dessert ? Peut-être un autre scotch ? Un cocktail ? »

Il secoua sa tête et tapota son menton du sabot. « Non. Non, ça ne sera pas nécessaire. Dites-moi… qui était ce musicien ? »

Balançant le plateau vers son autre sabot, le serveur demanda, « Qui ? Noteworthy ? »

Blueblood cligna des yeux. Pourquoi ce nom était-il familier ? « Parlez-moi de lui. »

Le serveur haussa les épaules, tirant sur le col de son smoking. « Ah, monsieur, j’ai bien peur de n’avoir pas grand-chose à dire. Il ne parle pas beaucoup. Surtout de– »

« Où puis-je le trouver ? »

« Je pense l’avoir vu au bar de l’autre côté de ce niveau il y a peine quelques minutes. Si vous vous hâtez, Votre Altesse, il pourrait toujours y être. »

Se levant de son tabouret, le Prince Blueblood ajusta sa cravate et renvoya le serveur avec un petit coup de crinière. « Merci. Ça sera tout. » Passant devant des regards indiscrets, il se dirigea de l’autre côté du bateau, ignorant les murmures qui s’ensuivirent.

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Applejack Daniel’s on the rocks. Frais. Mordant. Brûlant un peu le long de sa gorge, laissant un feu dans son ventre. Un seul d’habitude. Parfois deux. Jamais plus de deux. Cela inviterait les ennuis.

Le serveur reposa son premier verre, servi à la perfection. « Hé. Bon boulot, p’tit », dit-il, lui offrant une serviette. Noteworthy l’accepta avec un signe de tête et prit une gorgée du whisky. « Il est comment, p’tit ? » demanda le barman en nettoyant un verre de shot.

Noteworthy sourit doucement et acquiesça à nouveau. Le parfait équilibre entre le feu et la glace. Une contradiction harmonieuse.

Haussant les épaules, le barman caressa son menton grisonnant pendant un moment avant de déplacer sa concentration vers les autres clients du bar. Le musicien venait souvent ici – presque chaque nuit. D’habitude, les autres clients lui fichaient la paix, jetant un coup d’œil vers lui de temps en temps.

Cependant, ce soir, des nobles étalons offrirent une poignée de sabots au musicien et un bloc de compliments. Les nobles juments battirent des cils vers lui et passèrent leurs sabots dans les crinières, pour le plus grand chagrin de leurs partenaires. Personne ne pouvait amuser l’étalon avec le saxophone. Il s’assit en silence au bar, sirotant son Daniel’s et chassant les cubes de glace en cercle dans le verre.

Noteworthy fixa son liquide. Dans une semaine à peu près, le S.S. Hoofington atteindrait les rives des Royaumes Griffons, présentant une autre opportunité pour l’aventure. Il avait rencontré quelques griffons, mais jamais dans leur pays natal. Accueilleraient-ils, eux aussi, sa musique ? Ou devrait-il rentrer à la maison avec l’équipage, peut-être reposer encore un autre sabot vers Las Pegasus ? Ou peut-être était-il temps de–

Non. Ça ne sera jamais le bon moment.

Un étalon racla sa gorge derrière lui. Noteworthy regarda du coin de l’œil. Là, une royale licorne avec une cravate en soie importée et une crinière blonde parfaitement coiffée lui sourit. « Excusez-moi, monsieur. Puis-je me joindre à vous ? »

« Hein ? » Noteworthy regarda autour du bar. Même s’il était animé, il y avait certainement d’autres places disponibles. Même s'il aimait la solitude, il détestait encore plus le conflit. Avec un haussement des épaules, Noteworthy fit un oui de la tête et sirota son whisky.

La licorne appela le barman, « Monsieur, un verre frais de votre meilleur scotch, s’il vous plaît. »

« Hmm ? » Le barman se retourna et haleta, pris par surprise. « V-Votre Altesse ! Bien sûr ! Oui ! Tout de suite, m’sieur ! »

« Altesse ? » Noteworthy se tourna vers la licorne, qui s’assit sur un tabouret à côté de lui.

Blueblood sourit. « Savez-vous qui je suis, Noteworthy ? »

Un autre sourcil levé. « Comment savez-vous mon nom ? Et non, je ne sais pas qui vous êtes. »

Ricanant, l’étalon royal accepta le verre avec un coup de magie bleue et un hochement de tête vers le barman. « Je suis le Prince Blueblood, neveu de la Princesse Celestia et ambassadeur aux Royaumes Griffons, même si beaucoup d’autres localités seront bientôt bénies de ma présence. »

Imperturbable, le musicien fit tourbillonner le glaçon dans son verre et tendit le sabot.

Le Prince Blueblood regarda son sabot, puis dans ses yeux, un mélange de curiosité et de dégoût sur son museau. Une fois de plus, il demanda. « Savez-vous qui je suis ? »

« Vous êtes le Prince Blueblood, neveu de la Princesse Celestia et ambassadeur aux Royaumes Griffons », récita Noteworthy, « même si beaucoup d’autres localités seront bientôt bénies de votre présence. »

Se tortillant bizarrement sur son tabouret, Blueblood grogna et bu son scotch. Noteworthy prit simplement un autre verre et le fixa en silence.

Blueblood froncé les yeux, perplexe. Où était l’admiration ? L’humilité ? La chute dans ses sabots en signe de vénération ? Au moins, où était l’honneur – le privilège – l’expression de joie et de stupéfaction ? Où qu’elles se trouvent, Noteworthy en était loin. Et cela intéressait et agaçait le prince.

Prenant ce silence comme le moment opportun pour s’en aller ; Noteworthy finit son whisky, savourant son voyage. « Bon », dit-il en repoussant le verre, « c’était un réel plaisir de vous rencontrer. Je ferais mieux d’y aller– »

« Attendez ! » s’exclama Blueblood, mettant un sabot sur son épaule. Il réagit instinctivement, puis recula instinctivement, se retirant. Étrangement, son sabot ne piquait pas ou ne semblait pas sale après ce contact avec un roturier. Mais peut-être, pensa-t-il, était-ce parce que l’étalon n’était pas un roturier.

Noteworthy répliqua calmement, « Oui ? »

« Votre musique… votre musique est, sans que je pense à un autre mot, stupéfiante. Jamais quelqu’un n’avait été capable de m’amuser quand vous l’avez fait ce soir. »

« C’était une chanson », dit platement Noteworthy. Il secoua son museau et se leva du comptoir. L’esprit fixé sur la photo, il redit, « C’était un réel plaisir de vous rencontrer, mais– »

« S’il vous plaît ! »

Blueblood bondit de son tabouret, laissant son scotch à moitié terminé. « S’il vous plaît, j’aimerais vous parler. Peut-être pourriez-vous devenir résident du Château de Canterlot, mon propre interprète personnel ? »

« Oh… » Noteworthy fit un pas en arrière et dirigea son regard tout autour, évitant les yeux du prince. « Ahh, je suis désolé, mais, je ne suis pas comme… »

« Quoi ?! » Haletant, Blueblood s’ébroua. « Non ! Non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! C’est juste… argh ! » Il fronça les yeux, foudroyant du regard les quelques badauds au bar. Baissant la voix, il dit, « S’il vous plaît, peut-on se parler quelques minutes ? Dehors, peut-être ? »

Noteworthy hésita. Blueblood n’allait pas le laisser partir si facilement. Même s’il était habitué à une certaine curiosité, il ne pouvait pas mettre le sabot sur la fascination du prince. Néanmoins, il semblait qu’il devrait endurer un tas de questions avant qu’il puisse se retirer vers son matelas, sa photo, et ses rêves.

« Très bien. » Noteworthy soupira. « Allons au point supérieur. »

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Se rendant à sa sombre et mystérieuse sœur, Celestia échangea son astre pour la lanterne de Luna. Les deux étalons montèrent vers les ponts supérieurs, heureusement sans autre compagnie. Une jument alcoolisée suivit Blueblood, mais une remarque sèche et un appel à la sécurité résolut le problème.

Ils restèrent dans le silence pendant quelques instants, regardant le lapement de l’océan contre le bateau, lent et doux. La Lune était pleine et dans l’absolu contrôle des marées, les abaissant cette fois. Au loin, très loin, l’horizon surgit, tentant et mystérieux. Il appelait le nom de Noteworthy, le raillait, le taquinait…

« Où est votre saxophone ? »

« Je l’ai remis dans ma chambre avant d’aller au bar. » Étirant ses sabots sur la rambarde, Noteworthy devina, « Vous pensez qu’il est enchanté, n’est-ce pas ? »

Le joignant, Blueblood grogna et leva les yeux au ciel. « Non ! Bien sûr que non ! Je… je suis moi-même un très puissant jeteur de sorts ! Je le saurais s’il était enchanté ! » Il ajusta sa cravate et grogna.

Noteworthy rit. « Il n’est pas enchanté, Prince Blu– »

« Appelez-moi Blueblood. »

Haussant les épaules, le musicien dit, « Très bien. Il n’est pas enchanté, Blueblood. »

« Alors… comment faites-vous ? »

« C’est en forgeant qu’on devient forgeron », dit simplement Noteworthy. Il inclina sa tête et jeta un regard de côté vers le prince. « Alors… est-ce de cela dont vous vouliez parler ? Vous voulez apprendre à jouer ? »

« Non, ce n’est pas… Non. » Blueblood s’éclaircit la voix et prit son sourire le plus radieux, ses molaires parfaites brillantes dans le clair de Lune. Il bomba le torse avant de dire, « J’aimerais vous offrir un poste, Noteworthy. Un, euh, concert à temps plein, dans votre terminologie. »

« Blueblood, c’est très gentil de votre part, mais– »

« Votre paie sera de mille pièces par semaine, plus un logement et les repas. Tout au Château de Canterlot, à mes frais ! » Blueblood s’arrêta, puis tendit un sabot à secouer. « Qu’est-ce que vous en dites ? »

Noteworthy observa le sabot, puis la licorne, puis encore le sabot.

« Eh bien ? » Blueblood poussa son sabot encore plus près de lui. « Qu’est-ce que vous en dites, Noteworthy ? »

« Merci, mais… » Reculant son sabot, Noteworthy se pencha sur la rambarde, les yeux collés vers l’horizon. « C’est une offre très tentante, mais j’ai bien peur de devoir la décliner. »

Les oreilles aplaties, Blueblood frappa le pont et fit éclater ses narines. « Comment pouvez-vous refuser une offre pareille ?! C’est au moins dix fois ce que ces hooligans vous paient ! » Il fit signe vers les ponts inférieurs avec un air agacé.

« Savez-vous combien de musiciens j’ai payé pour assister à mes anniversaires, mes garden party, mes spectacles ?! » Blueblood se pencha en avant, s’amenant museau-contre-museau avec un roturier. « Comment osez-vous rejetez mon offre ?! »

Noteworthy sourit.

« Qu’est-ce que vous trouvez de si… drôle ? »

Tenant sa position, Noteworthy dit calmement, « Savez-vous qui je suis, Blueblood ? Ou plutôt, qui j’étais ? »

« Bien sûr que non ! Personne ne semble le savoir ! »

« Aimeriez-vous que je vous le dise ? »

Faisant un pas en arrière, le prince grogna et leva les yeux au ciel. « Pourquoi me diriez-vous tout ça à moi, qui suis un total inconnu ? Vous n’avez même pas dit votre nom au public ! Alors pourquoi me diriez-vous cela ? »

« Vous n’avez pas à écouter. »

« Je… mais… hmph ! » Croisant ses sabots, Blueblood rejeta le museau avec un mouvement de son museau, fixant l’horizon à l’opposé. « Bien », dit-il froidement, regardant les vagues lécher le bateau. « Vu que personne n’a jamais entendu parler de vous, j’imagine qu’il n’y a pas grand-chose à dire. »

Noteworthy secoua son museau et rit. « Vous déciderez de cela à la fin. »

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« Suivant, au saxophone… Noteworthy ! »

Triturant ses sabots, le petit poulain bleu passa à travers les rideaux vers la scène. Sa crinière était trempée par la sueur et ses sabots tremblaient violemment. Entre ces sabots, il serrait son instrument, se répétant, « Ne le fais pas tomber, ne le fais pas tomber, pour l’amour de Celestia, ne le fais pas tomber. »

Nichés dans un coin du théâtre, une jument et un étalon agitèrent fièrement un sabot vers leur fils, des sourires pleins d’espoir sur leurs museaux. Au premier rang, un panel de juges regarda le poulain avec des regards désintéressés et un brassage de paperasse. Le dernier espoir de l’Académie des Musiciens de Fillydelphia venait d’arriver, et son audition ne pouvait pas se terminer plus tôt.

Un juge rit à haute voix quand Noteworthy émergea, chatouillé par la vue d’un poney terrestre maladroit avec un instrument aussi délicat. Les joues rougies par l’humiliation, Noteworthy s’ordonna en silence de rester concentré. De se souvenir de chaque leçon qu’il avait endurée ces dernières années. De se rappeler des sacrifices faits par ses parents – des marchands en difficulté financière – pour lui payer ses leçons. De se prouver en face de l’incrédulité et d’échanger son sourire narquois sur ce museau pour un regard ébahi.

Fermant les yeux, il envisagea les notes tombant devant lui, et commença à jouer.

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« Disons juste… il était temps que ce juge ravale ses mots. »

Blueblood jeta en arrière sa crinière et rit. « Alors… vous jouez depuis… combien d’années ? »

« J’arrive sur quinze, en fait. » Regardant son flanc – une simple paire de croches – il dit, « C’est le jour où j’ai eu ma marque de beauté. Maman et Papa n’aurait pas pu être plus fier. »

Le prince grogna en signe de désintéressement et amena un sabot vers sa poitrine. « J’étais l’un des premiers de ma lignée à avoir la mienne ! Est-ce censé m’impressionner ? »

« Non, en fait, c’est juste le commencement. »

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« Chers élèves, tournez, s’il vous plaît, vos livres à la page trente-trois, où nous commencerons notre étude des classiques de Beethoofen… »

Se concentrant intensément, Noteworthy remarqua à peine quelqu’un lui tapoter sur l’épaule la première fois. La seconde fois, il fronça les yeux et continua, tournant les pages de son livre. Une brise. Sans doute. Une troisième tape. Il essuya son épaule. Des araignées. L’académie était pleine d’araignées.

Un doux et petit gloussement détourna son attention du tome. Il regarda par-dessus son épaule. Là, une pouliche terrestre grise avec une crinière noire flottante tint un parchemin chiffonné dans sa direction et tendit le sabot. Comprenant, il le prit d’elle avant que le professeur ne se tourne vers sa classe.

À son plus grand étonnement, il sentit une étincelle à leur contact, et son museau rougit.

Cachant le parchemin sous son bureau, il le déploya aussi vite qu’il le pouvait. Sa récompense fut une question avec trois réponses possibles, une case blanche à côté de chaque :

Est-ce que tu m’aimes ?

Oui Non Peut-être

Regardant à nouveau la pouliche, il laissa ses oreilles s’abaisser et cocha, « Peut-être. »

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« Les amours de jeunesse. Toujours les plus difficiles. Je me souviens de mon premier faible… » Blueblood soupira d’un air satisfait et se tourna vers le musicien. « Quand j’avais douze ans, ma chère tante m’avait présenté à une élève et garde, Ca– »

Noteworthy tendit le sabot. « Ahh, mais c’est bien plus qu’un amour de jeunesse, Blueblood. »

« Comment cela ? » grogna-t-il. « Tout le monde expérimente ces bêtises. Les cœurs qui batifolent, les estomacs qui se retournent, la… poésie… » Nauséeux, Blueblood toussa et leva le museau. « Stupidités. Pas de quoi s’emmêler la crinière. Et je ne vois toujours pas en quoi cela explique quelque chose chez vous. »

« Vous le verrez, en temps voulu », dit Noteworthy. « Ce n’était pas juste un amour de jeunesse. »

« Oh ? Est-elle votre jument ? »

Noteworthy sourit, puis détourna les yeux.

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À maintenant dix-huit ans et à l’aube de sa virilité, Noteworthy trottait avec Octavia à travers les rues de Fillydelphia. Côté à côté, ils se baladaient, passant devant les cafés, boutiques, restaurants et magasins de vêtements. La brise d’été taquinait leurs crinières et envoyaient des pollens sur leur chemin. Entre deux éternuements occasionnels qui résultaient en des rires, ils parlaient avec excitation de leurs projets post-diplôme.

« Alors, tu vas aller étudier à Julimare, n’est-ce pas, Noteworthy ? »

« Bien sûr que oui, Octy », dit-il en la caressant avec le museau. Il embrassa sa joue et sourit. « Après six ans, pas question que je puisse aller ailleurs que là où tu vas. »

Elle leva les yeux vers lui, mordant sa lèvre. « Je… » Elle détourna le regard, frappant un rocher avec son sabot. « Tu es sûr ? Je veux dire… je ne veux pas te retenir. Je sais que tu pensais aller à Canterlot pour étudier. » Elle se pencha contre lui et caressa sa crinière. « Tu veux pas partir de cette ville de toute façon ? »

La serrant fort, Noteworthy mena la paire vers un banc à proximité. Assis sur sa croupe, il la câlina et dit, « Oui, oui, je le veux. Un jour. Mais maintenant, Octy, je veux être avec toi. »

« Je sais, mais… » Elle soupira. « Noteworthy, s’il te plaît, si tu changes d’avis – je ne t’arrêterai pas. Je te le promets. »

« Tu n’as pas à le promettre », dit-il, prenant ses sabots dans les siens. « Je n’irai nulle part. »

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Blueblood sourit, compréhensif. « Julimare ? C’est là que la plupart des membres de la cour royale vont à la faculté. Laissez-moi deviner… Une bourse d’études ? »

Noteworthy acquiesça. « En effet. En tant qu’un des rares poneys terrestres saxophonistes – et un bon, en plus », ajouta-t-il, obtenant une raillerie du prince, « on me garantissait des études gratuites. Octavia et moi sommes restés, bien sûr, dans des dortoirs séparés, mais nous faisions tout ce que nous pouvions pour nous voir aussi souvent que possible. » S’abaissant de la rambarde, il marcha du côté opposé du pont, regardant la marée commencer à changer.

« Octavia… la violoncelliste ? »

« Oui. Et une brillante. »

« Veinard. » Blueblood grogna et passa un sabot dans sa crinière. « Si seulement elle était une noble– »

Noteworthy le foudroya du regard.

« Désolé. » Timidement, le prince s’éclaircit la voix et dit sincèrement, « c’est assez impropre et impoli de parler de la jument d’un autre étalon de cette façon. Je m’excuse. »

Soupirant, Noteworthy dit, « Je n’ai pas encore fini, Blueblood. »

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Mille points de lumière. Au-delà de l’horizon se posait la mer, un océan entre les frontières maritimes d’Equestria et des Royaumes Griffons au-delà. C’était l’est. Mais l’ouest ? Trottingham, Manehattan, Canterlot, Poneyville, Appleloosa, et au-delà ? Que dire de cela ?

Noteworthy n’avait jamais été plus loin que Fillydelphia.

Perché sur le balcon de son dortoir, il compta les étoiles. Des semaines d’intense étude de la théorie musicale lui pesaient, annonçant leur présence en cernes noirs sous ses yeux. Ses os commençaient à se montrer sous son pelage bleu. Son esprit courait à toute vitesse ces jours-ci, plein de notes, mesures, rythmes, clés. Ses sabots et sa bouche lui faisaient mal à force d’écrire et jouer et écrire encore et jouer encore plus, tant de stress, d’anxiété et de disputes entre lui et Octy parce qu’elle était stressée aussi, stationnée de l’autre côté de Julimare où aucun étalon n’était autorisé dans les dortoirs et ils se rencontraient entre les cours et sous le couvert de la nuit dans les rues, mais ça ne suffisait pas, ça ne suffisait pas et tout s’écroulait…

Plus rien de cela n’importait maintenant. Noteworthy pencha son dos contre la rambarde du balcon et regarda à l’est. Une nation entière – un continent entier – lui faisait signe. Equestria elle-même était dans ses sabots. Il avait dix-huit ans. Et il se dirigeait vers quatre-vingt ans maintenant.

« Hé, Noteworthy ! Ça va ? » cria l’un de ses colocataires, lui lançant un regard inquiet depuis sa fenêtre.

« Ça va. Va dormir, Cedar », dit-il dans un soupir, fermant ses yeux. Se baignant dans le clair de Luna. Sentant le vent dans sa crinière.

Il y avait une musicienne qui jouait aux portes de Julimare – une jument licorne avec une lyre. Elle ne s’habillait jamais de façon raffinée, mais aucun de ses os n’était visible. Elle jouait surtout du classique, avec occasionnellement des chansons plus populaires. Elle plaça un chapeau devant elle, et il serait plein de pièces à la fin de la journée.

Au départ, Noteworthy ne savait pas vraiment pourquoi ses pensées étaient tournées vers la joueuse de lyre. Il était engagée avec une autre jument, après tout. Pas juste avec une autre jument. La plus belle jument qu’il avait jamais vue. Sa meilleure amie et confidente durant les six dernières années. Son tout.

Non, ce n’était pas le désir qui dirigeait sa contemplation. C’était ce sourire sur le museau de la joueuse de lyre. Un sourire satisfait et sincère, un qui avait échoué à orner le visage d’un de ses professeurs ou instructeurs ou chefs d’orchestre ou…

Ou, durant ces derniers mois, lui-même.

Le vent soufflait depuis l’ouest, et taquinait sa crinière.

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Durant une de ses rares journées de liberté, Noteworthy rencontra sa jument dans les faubourgs de Fillydelphia, près d’un lac scintillant. Il accrocha paresseusement ses sabots hors du banc, les laissant souffler dans la brise. C’était une drôle de position, mais il semblait aller à la joueuse de lyre. Il avait essayé et la trouva tout aussi confortable.

La joueuse de lyre. Cela faisait six mois qu’elle avait commencé à Julimare et l’avait vue gratter les cordes, visiblement sans se soucier des autres. Peu importe à quel point il essayait, il ne parvenait pas à retirer cette image de son esprit – pourquoi était-elle si heureuse alors que tous les autres étaient si… mornes ? Sérieux ?

La vie était-elle censée s’arrêter d’être amusante après l’université ou quelque chose du genre ?

« Noteworthy ? » La douce voix d’Octavia le tira hors de ses pensées. Elle se tenait, curieuse, à côté du banc, la tête inclinée. « Est-ce que c’est… confortable ? »

Il rit et tapota le banc à côté de lui. « Bien sûr, Octy. Viens-ici et rejoins-moi. »

Avec un sourire, elle se pencha contre son étalon et embrassa sa joue. « Désolée d’être si occupée ces derniers temps. J’ai commencé à travailler tôt sur mon projet de fin de semestre. Une autre composition et performance, à faire dans quelques mois. »

« Dans quelques mois, et tu commences déjà ? Pourquoi t’inquiéter ? » demanda-t-il.

Octavia gloussa et passa un sabot dans sa crinière. « Eh bien, si tu veux devenir la meilleure violoncelliste de tout Equestria, tu ne peux pas te permettre de t’endormir. Et toi ? » L’inquiétude dans sa voix, elle regarda dans ses yeux et dit, « Cedar a dit que tu étais… déprimé récemment. »

« Cedar ? » Il grogna. « Cet idiot ? Tu crois ce qu’il dit sur moi ? » Croisant ses sabots, il recula d’elle, se penchant contre le bord du banc.

« Noteworthy… » Soupirant tristement, Octavia s’avança vers lui. Il se tortilla loin d’elle, fixant le lac. Elle essaya à nouveau. « Noteworthy, s’il te plaît. On n’a pas beaucoup de temps pour se voir… dis-moi ce qui te tracasse. S’il te plaît ? »

Avec un soupir, il se tourna pour lui faire face. Prenant ses sabots dans les siens et les serrant tendrement, il rencontra son regard. « Octavia… Est-ce que tu as déjà remarqué… » Ses mots se noyaient, luttant pour remonter à la surface.

« Est-ce que j’ai déjà remarqué quoi, Noteworthy ? »

Noteworthy secoua sa tête. « Oublie », marmonna-t-il, relâchant son étreinte. Il tourna le museau et fixa à nouveau le lac. « C’était stupide de toute façon. »

« Allez. On est ensemble depuis combien de temps maintenant ? » Octavia s’arrêta, attendant sa réponse. Quand l’étalon ne répondit pas, elle dit, « Je tiens à toi, Noteworthy. Vraiment. Je suis désolée qu’on doive être si loin alors qu’on est si proches… c’est ça qui te tracasse ? Je te promets que j’essaierai de trouver plus de temps pour nous deux, vraim– »

« Ce n’est pas à propos du temps », dit-il, se retournant. Ajustant sa position, Noteworthy demanda, agacé, « Est-ce que tu as remarqué que personne ne semble heureux ici ? »

Octavia cligna quelques fois des yeux pour toute réponse, puis demanda, « Qu’est-ce tu veux dire ? »

« Les professeurs, les instructeurs, les chefs d’orchestre ! Les poneys dans les rues. Tous nos camarades de classe. » Noteworthy frotta ses yeux et soupira profondément. « Tout le monde semble malheureux. Mais pourquoi, Octavia ? C’est la meilleure académie d’Equestria. Presque chaque grand musicien est sorti diplômé de Julimare. »

« Eh bien, je pense que ça a un rapport avec toute la pression, mon cœur. » Ses oreilles se levèrent. Octavia n’utilisait jamais des surnoms comme celui-là. Caressant sa joue, elle murmura, « Ne t’inquiète pas. Tout se passera bien. Tu es juste stressé, je le vois. »

Essayant autant que possible, il voulait être d’accord, de se soumettre à son réconfort, de la tenir près de lui et l’embrasser là où tout irait bien. Mais il ne le pouvait pas. Noteworthy était un étalon avec de nombreux traits, mais la malhonnêteté n’en faisait pas partie. Incapable de forcer un sourire, il laissa son visage s’assombrir, la tristesse formant des lignes sur son museau.

La jument se leva et le tira vers elle du menton. « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Octy… est-ce que tu… » Il grimaça, sachant ce qui allait suivre. Incapable de s’arrêter, il finit tout de même, « Est-ce que tu as déjà vu cette licorne qui joue de la lyre ? »

Confuse, elle fit lentement oui de la tête. « O-Oui. Je l’ai vue quelques fois. Pourquoi ? » demanda-t-elle, une pointe de peur dans sa voix. Était-cela ? Était-ce de cela que lui avait averti son amie Vinyl ?

Y avait-il une autre jument ?

Noteworthy sentit sa tension et rit. Ce rire étrange ne fit que donner l’impression que l’air était plus lourd. Frottant sa nuque, il dit, « Bon, ce n’est pas ce que tu penses– »

« À quoi je pense ? »

« Je n’ai… je ne parle pas d’elle comme ça, Octy. C’est juste… elle semble heureuse. »

Elle se moqua. « Et ? »

« Ben… » Noteworthy tourna les yeux vers les rues de Fillydelphia au loin, grouillantes de poneys de tous âges, formes, et tailles. Ils marchaient à travers les rues, en majorité seuls, les yeux au sol. Aucune émotion n’était visible sur leurs museaux – vides comme un ciel sans nuages. Il se tourna vers Octavia. « Tu ne veux pas être heureuse ? »

« Quoi ? » Elle recula un peu, alarmée. « Bien sûr que je veux être heureuse ! C’est quoi cette question ? »

« Je ne sais pas. » Fixant ses sabots, Noteworthy dit, « Peut-être que c’est la question la plus importante. Peut-être que c’est celle que personne ne se pose. Peut-être que tout le monde fait ce qu’on attend de lui. »

Octavia sentit son cœur se durcir comme la pierre et glisser dans son estomac, s’y posant lourdement là. Elle avala avec difficulté, son cœur commençant à battre plus vite. « Noteworthy… » Prenant un de ses sabots dans les siens, elle demanda, « Est-ce que tu en train de dire ce que je pense que tu es en train de dire ? »

Il mordit sa lèvre inférieure et ferma ses yeux. « Tu te souviens quand tu as dit que tu ne m’arrêterais pas si je voulais quitter Fillydelphia ? »

La pierre se gela en glace, proliférant à travers ses veines. D’une certaine façon, elle trouva la force de répondre, « Oui, je me souviens. »

« Je… »

Il tourna le regard des rues vers le lac.

Noteworthy leva ses yeux dans ceux d’Octavia. Six années le fixaient. Six années qui pouvaient être effacés par une simple phrase. Six années qui tranchaient profondément dans son cœur, laissant des cicatrices qu’aucune autre jument ne pourrait guérir ou toucher.

Six années qu’il n’oublierait jamais, s’il devait les perdre maintenant – même si cette simple pensée suffisait à briser quelque chose en lui.

Noteworthy ne pouvait pas mentir.

« Je veux partir, Octy. »

Le vent sifflait dans les arbres et l’arbre, coupant à travers le ciel sans nuages. Dans les rues, le rythme des sabots et discussions échouaient à noyer ses pensées. Il l’avait fait. Il l’avait fait. Il l’avait enfin fait. Il l’avait enfin dit.

« Octy… ? »

Il avait tout gâché.

« Noteworthy… » Octavia retira ses sabots des siens, détournant les yeux. Luttant contre ses larmes, elle s’étrangla, « O-Où ? »

« Où ? »

« O-Où tu iras ? »

« Je– »

« Canterlot ? » Elle se retourna, un feu d’espoir brûlant dans ses yeux. Noyant ses larmes, qui brillaient derrière un voile fin. « Est-ce que tu vas aller à Canterlot ? Pour étudier ? Pour jouer pour les Princesses ? »

Noteworthy secoua sa tête.

« Alors… » Passant ses sabots dans sa crinière, Octavia commença à divaguer. « Où tu iras, alors ? Il n’y a pas d’école de musique à Manehattan ! Ou Trottingham ! Ou Poneyville ! Juste Canterlot, Fillydelphia, et quelques poneys qui vont aux Royaumes Griffons ou en Saddle Arabia pour étudier, mais les griffons et chevaux et poneys n’ont pas vraiment de bonnes relations, et tu seras si loin et je devrai économiser des pièces pour venir te voir, et– »

« Octy. » L’agrippant par les épaules, Noteworthy força Octavia à lui faire face. « Je… je t’aime, mais je suis désolé. Je ne peux pas rester ici. Je n’irai pas à Canterlot non plus. »

Laissant quelques larmes s’échapper, elle renifla, évitant ses yeux. « Où… Où tu iras, alors, Noteworthy ? »

Ses yeux jaunes étaient pleins de détermination tandis qu’ils regardaient vers la source du vent. « Je n’en suis pas encore sûr. Mais je dois juste… y aller. »

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Le Prince Blueblood s’éclaircit la voix. Noteworthy accrocha ses sabots sur la rambarde, fixant le vaste horizon bleu. Jouant avec sa cravate, le noble étalon se demanda s’il devait lui demandé ce qui s’était passé ensuite. Par son regard monotone et tourné à des kilomètres, c’était trop évident.

Cependant, il n’eut pas à débattre très longtemps, avant que Noteworthy ne reparle.

« J’ai rejoué de nombreuses fois cette conversation dans ma tête, Blueblood. Pour être honnête, je ne lui ai pas dit l’entière vérité. Je n’avais aucune destination spécifique en tête. » Cherchant l’étoile du Nord, il continua, « Je voulais juste être heureux. J’avais entendu tant de poneys qui se retiraient, voyageaient, vivaient avec des petits contrats ou en jouant dans la rue comme cette joueuse de lyre. Cherchant par eux-mêmes. Cherchant un sens.

« Toute ma vie, j’ai été élevé avec l’impression que c’était tout ce que j’étais censé faire. Une fois que j’ai été à l’académie, tout semblait se mettre en place devant moi. Être diplôme, aller à Julimare, avoir un autre diplôme, gagner les faveurs des nobles… »

Trouvant Polaris et traçant un cercle invisible autour avec un sabot, Noteworthy dit, « Mais cette jument. Cette jument avec sa lyre. Cette jument avec sa lyre, assise sur un banc et collectant des pièces dans son chapeau. Cette jument a changé ma perspective entière. Bon, elle et le ciel. »

« Le ciel ? » Blueblood trotta derrière lui et le rejoignit sur la rambarde, les yeux tournés vers les étoiles. « Qu’y a-t-il de si unique dans le ciel ? Ne l’aviez-vous pas vu avant ? »

« Bien sûr que si. Mais je ne l’avais pas vraiment vu. »

Le Prince Blueblood ouvrit sa bouche pour objecter, mais pensa à quelque chose de mieux. Au lieu de ça, il montra son accord, pressant le musicien de continuer.

Noteworthy détourna ses yeux de l’astre de Luna et les retourna vers son neveu. « Si ça n’était pas pour ces deux choses-là, je pense que j’aurais continué à Julimare. Je serais diplôme aujourd’hui. Je jouerais peut-être au château de Canterlot pour vous, comme vous le vouliez. »

« Ça me semble un contrat parfaitement acceptable », dit le prince, souriant à pleines dents.

Noteworthy ricana. « Je ne vais toujours pas le faire, Blueblood. »

« Mince », soupira Blueblood en se penchant encore contre la rambarde, suivant l’horizon. « Bon, personne ne pourra dire que je n’ai pas fait de mon mieux pour vous convaincre. » Du coin de l’œil, il regarda Noteworthy se tenir en silence. « Alors… qu’est-ce qui s’est passé ensuite, Noteworthy ? Est-ce… » Il hésita, et décida tout de même de demander. « Est-ce que votre jument est venue avec vous ? »

« Je pensais que vous ne me le demanderiez jamais. »

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Après quelques semaines épuisantes à cataloguer ce qu’il possédait – en en vendant certaines, offrant d’autres, emballant le reste dans une grande valise – Noteworthy se tint devant les portes de Julimare pour la dernière fois. Son fidèle saxophone attaché autour de son cou et sa valise sur le côté, l’étalon creusa du sabot dans les rues pavées, attendant.

Attendant Octavia.

Ses parents furent les suivants à entendre la nouvelle. Ils étaient furieux. Leur seul fils – leur talentueux, doux et obéissant fils – leur renvoyait leurs sacrifices en plein visage, détruisant tout ce qu’ils avaient fait pour lui. Il n’avait pas réussi à dire qu’il n’abandonnerait pas le saxophone. Une porte frappée en plein museau lui en empêcha.

Ses colocataires et amis suivirent. Son annonce fut rencontrée avec scepticisme et mépris, relevés de (ce qu’il suspectait) une pointe de jalousie de certains, Cedar inclus. Tandis que ses amis se retrouvaient esclaves des livres, parchemins, et pupitres, Noteworthy devrait face à de nouveaux défis. Que les nouveaux soient meilleurs que les anciens, il le découvrirait très vite.

Il ajusta la ceinture de son saxophone et regarda tout autour. Aucun signe de la jument. « Allez, Octy… »

Il n’avait jamais dit qu’il ne reviendrait pas.

Juste qu’il ne savait pas.

Noteworthy attendit. Et attendit.

Il s’assit sur sa croupe, enlevant le saxophone de son cou et le déposant contre la valise. Il attendit encore. Enlevant une carte d’Equestria de la valise, il traça les étapes de son voyage. Tout d’abord, il irait à l’ouest. C’est ce que les étalons disaient toujours aux poulains, non ? « Va à l’ouest, p’tit gars. » Aller à l’ouest.

Aller à l’ouest et être heureux.

Une heure ou plus passa. Noteworthy rangea la carte et attendit, cherchant un signe d’Octavia.

Il ne partirait que quelques mois. Peut-être une année. Cela ne lui prendrait pas longtemps pour se trouver, non ?

Il n’était pas perdu.

Pas vrai ?

Noteworthy attendit. Il continua à attendre. Il continua à attendre, même quand la nuit tomba, même quand ses sabots s’endormirent, même quand ses larmes se mélangèrent à la pluie.

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« Après cette nuit, je suis parti. Je suis d’abord allé à Manehattan. J’ai joué dans des night-clubs. Puis Poneyville. J’ai joué pour la Fête du Soleil d’été. Puis Appleloosa. J’ai rencontré les habitants… les buffles aussi. Ensuite à Las Pegasus. J’ai joué dans les casinos les plus célèbres. Je suis même tombé sur quelques gangsters. » Noteworthy sourit à pleines dents, marchant vers Blueblood. « Ça fait presque sept ans. Je n’ai jamais regardé le passé depuis. »

Le Prince Blueblood secoua lentement son museau, ne pensant pas avoir bien entendu. « Attendez… Alors, vous avez perdu votre jument, vos parents vous ont déshonoré, et vos amis pensaient que vous étiez fou. »

La licorne inclina sa tête. « Et ça vous fait sourire ? »

Noteworthy acquiesça.

Faisant quelques pas en arrière, le Prince Blueblood leva un sourcil et grogna son scepticisme. « Qu’est… qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? »

« Je suis libre, Blueblood », dit-il.

« Libre ?! Comment ça ? » Blueblood gesticula vers la mer. « Libre de… dormir sous les ponts ? De vous inquiéter pour votre prochain repas ? De fixer l’eau ? Libre de manger de la sous-nourriture de rafiot ? Libre de gambader avec ce dégoûtant équipage ? » Il se tourna vers Noteworthy, certain que ses oreilles l’avait trahi. « Et vous… vous avez tout abandonné ! Comment est cette liberté ? »

Avec un dernier sourire, Noteworthy dit simplement, « Plus rien à perdre », et inclina sa tête.

« C’était un plaisir de vous rencontrer, Prince Blueblood. »

Avant que la licorne puisse l’arrêter, Noteworthy trottina vers le pont inférieur et se faufila en cuisine. Le Prince Blueblood ne le suivit pas. Il resta immobile pendant un long moment sur le pont supérieur, fixant la Lune de sa tante, se demandant quel tour elle avait joué sur le saxophoniste.

Se demandant ce qui l’obligeait à la suivre, la lanterne dans la nuit.

Se demandant si, lui aussi, était heureux.

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Noteworthy verrouilla la porte de sa chambre et enleva sa cravate, la pliant avec précaution et la replaçant dans sa valise. Il poussa un soupir de soulagement quand il localisa sa seconde possession la plus prisée.

Il n’avait pas tout perdu. Blueblood avait tort.

Enlevant la photo, il s’assit sur le lit, assis sur ses hanches, laissant ses pattes se balancer contre le sol. Il rit et caressa le métal et verre froid, traçant les lignes du cadre.

Noteworthy jeta un œil vers le hublot. Le poisson était revenu, ses ailettes ouvertes, la curiosité piquée. Souriant, il trotta vers la fenêtre et pressa la photo contre le verre.

« Elle est magnifique, n’est-ce pas ? »

Le poisson ouvrit et referma sa bouche, puis nagea loin.

Noteworthy retourna la photo pour lui faire face. Elle n’avait jamais dit adieu, mais elle n’en avait pas besoin. Les adieux étaient difficiles. Bien trop difficiles à demander à une jeune jument. Il comprenait. Il le devait.

Il lui avait écrit des lettres durant toutes ces années. Elle ne lui avait jamais répondu.

Noteworthy ne pouvait pas lui en tenir compte.

Malgré tout ça, il était libre. Il n’avait aucune attache, aucune responsabilité, aucune peur, aucun obstacle. Avec seulement quelques objets pour lesquels s’inquiéter, il déménageait de ville en ville, jouant de son saxophone, courant après son rêve. Courant après lui-même.

S’approchant plus près. Toujours plus près.

Mais, réalisa-t-il, assis sur son petit matelas, quelques fois, il ne voulait plus être libre.

Quelques fois, il voulait avoir à nouveau quelque chose à perdre.

Noteworthy sourit dans les yeux d’Octavia et murmura, « Ce soir a été une merveilleuse nuit sur le pont. Laisse-moi te parler d’un nouvel ami que je me suis fait. Je pense que tu l’aimeras… »